HISTOIRE
LANGUE UNIVERSELLE
AUTRES OUVRAGES DE M. COUTURAT
De Platonicis mythis, thèse latine (épuisée).
De l'Infini mathématique. 1 vol. in-8" (Paris, Alcan, 1896).
La Logique de Leibniz, d'après des documents inédits. 1 vol. in-S"
(Paris, Alcan, 1901).
Opuscules et fragments inédits de Leibniz, extraits des manuscrits
de la Bibliothèque royale de Hanovre. 1 vol. 10-4° (Paris, Alcan, 1903).
La Logique algorithmique (.en préparation).
Pour la Langue internationale. 1 brochure in-iO, 1901.
Die internationale Hilfssprache. 1 brochure in-16, 1902.
(L'auteur distribue gratuitement ces deux brochures.)
AUTRES OUVRAGES DE M. LEAU
Étude sur les équations fonctionnelles à une ou à plusieurs
variables, thèse pour le doctorat es sciences malhém.iti(iucs (Paris.
Gauthier-Villars, 1897).
Représentation des fonctions par des séries de polynômes (Dul-
lelin de la Société mathématique de France, 1899).
Recherche des singularités d'une fonction définie par un déve-
loppement de Taylor {Journal de Mathématiques, 1899).
Une langue universelle est-elle possible? Appel aux hommes de
science et aux commerçants. 1 l)rochure in-16 (Paris, Gauthier-Villars,
1900).
33Ô-03. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 6-03.
HISTOIRE
DE LA
LANliUE UNIVERSELLE
PAR
L. COUTURAT
Docteur es lettres,
Trésorier
L. LEAU
Docteur es sciences,
Secrétairj général
do la Di'li'f/ation pour l'adoption d'une langue auxiliaire internationale.
« 11 y a force gens qui cmployeroient
volontiers cinq ou six jours de tems pour
se pouvoir faire entendre par tous les
hommes. »
Descartes.
« Si una lingua esset in mundo, acce-
deret in effectu generi humano tertia
pars vitfe, quippe quœ llnguis impen-
ditur. »
Leibniz.
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET G'«
"îQj.DOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1903
DroiU d* traduction tt d« reproduetion r4*«rvAa.
AVIS IMPORTANT
Nous tenons avant tout à déclarer que le présent ouvrage
n'est nullement une publication officielle de la Délégation
pour radoption d'une langue auxiliaire internationale; il
ne peut être considéré à aucun titre comme exprimant
l'opinion collective de ses membres, ou comme engageant
en quoi que ce soit ses décisions futures. Ce n'est pas
davantage un rapport officiel présenté ou soumis à la
Délégation : c'est purement et simplement l'œuvre person-
nelle et privée des deux auteurs. Nous l'avons entreprise
spontanément, pour répondre au désir de nombreux parti-
sans de la Langue internationale, qui nous demandent
souvent des renseignements sur l'histoire de cette idée et
sur les différents projets auxquels elle a donné naissance.
Nous souhaitons que ce travail satisfasse leur légitime
curiosité, qu'il contribue à initier le public studieux à l'état
de la question, à propager l'idée de la Langue interna-
tionale, enfin à faire connaître la Délégation et à lui gagner
de nouvelles adhésions.
PRÉFACE
La nécessité d'une langue internationale auxiliaire n'est
plus contestée par personne : elle s'impose avec une évidence
et une urgence croissantes, à mesure que se développent les
relations de toute sorte entre les nations civilisées. Cest un lieu
commun que de constater les progrès inouïs des moyens de
communication : on pourra bientôt faire le tour du monde en
quarante jours; on télégraphie (même sans fil) d'un côté à
Jautro (le l'Atlantique; on téléphone de Paris à Londres, à
Berlin, à Turin. Ces facilités de communications ont entraîné
une extension correspondante des relations économiques : le
marché européen s'étend sur toute la terre, et c'est sur tous
les points du globe que les principaux pays producteurs
entrent en concurrence. Les grandes nations possèdent des
colonies jusqu'aux antipodes et elles ont des intérêts dans les
pays les plus lointains. Leur politique n'est plus confinée sur
l'échiquier européen; elle devient coloniale et « mondiale ».
Toujours pour la même raison, elles sont de plus en plus
obligées de s'entendre et de s'unir, soit dans un intérêt com-
mercial (Convention de Bruxelles relative au régime des
sucres), soit dans un intérêt moral (Convention internationale
relative à la traite des blanches).
Dans le domaine scienlifique, également, « cette tendance
à l'association... a commencé î\ franchir, avec les chemins de
fer et les télégraphes, les frontières qui séparent les peuples;
elle s'exerce au delà des mers et tend à unir les deux conti-
VIII PRÉFACE
nents ' ». Par exemple, le Bureau international des poids et
mesures, fondé en vertu de la Convention du mètre (20 mars 1875),
comprend 16 États; V Association géodésique' internationale,
constituée en 1886, en comprend 18. La Carte du ciel, entre-
prise internationale au premier chef, unit dans une colla-
boration constante les principaux observatoires des deux
hémisphères. « Il est impossible de ne pas être frappé de la
rapidité avec laquelle se multiplient aujourd'hui ces orga-
nismes internationaux* ». Ce besoin croissant d'entente et de
coopération entre les savants de tous les pays, que cons-
tatent tous les esprits éclairés \ a enfin donné naissance à
V Association internationale des Académies, fondée en 1900 et
inaugurée effectivement en 1901 à Paris *. Pour faire connaître
les raisons qui justifient cette institution, nous ne pouvons
mieux faire que de citer encore le secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences de Paris, qui est d'autant mieux
qualifié pour les exposer qu'il a pris une part active à celte
création : « Le mouvement scientifique qui, au commence-
ment du XIX* siècle, se limitait à un petit nombre de nations,
s'étend aujourd'hui au monde entier ; de plus, au sein même
de chaque nation, son importance s'est accrue dans des pro-
portions dont on peut à peine se faire une idée.... Qui ne voit
1. G. Darboux, article sur V Associa lion internationale des Académies,
dans \g Journal des Savants de janvier 1901.
2. G. Darboux, art. cit.
3. Voir, par exemple, la conclusion du rapport de M. Emile Picard sur les
Sciences, inséré dans les Rapports du jury international de l'Exposition
universelle de 1900.
4. L'Association internationale des Académies comprend les Académies
ou Sociétés des sciences d'Amsterdam, de Berlin, de Bruxelles, de Budapest,
de Christiania, de Copenhague, de Gœttingue, de Leipzig, de Londres {Roj/al
Society), de Munich, de Paris (Académie des sciences, Académie des sciences
morales et politiques, Académie des inscriptions et belles-lettres), de Saint-
Pétersbourg, de Rome (Accademia dei Lincei), de Stockholm, de Vienne et
de Washington. Elle tient une Assemblée générale tous les trois ans (la
i" à Paris en 1901 ; la 2" à Londres en 1904), et est représentée dans Tinter-
valle par un Comité. « Pour la prise en considération, l'étude ou la prépa-
ration d'entreprises et de recherches scientifiques d'intérêt international,
des Commissions internationales spéciales peuvent, sur la proposition d'une
ou de plusieurs des Académies associées, être instituées, soit par l'Assem-
blée générale, soit, dans l'intervalle entre deux Assemblées générales, par
le Comité. » {$ 10 des Statuts.)
PRÉFACE IX
que, sous peine de revenir à la tour de Babel, une si énorme
production scientifique doit <>tre unifiée et coordonnée? Que
de temps perdu pour les chercheurs, que de recherches inutiles
et par cela môme nuisibles, si les nomenclatures changent avec
les nations, si les classifications ne sont pas concordantes, si
les instruments choisis pour efTectuer les mômes mesures
donnent dans les difïerents pays des indications qui ne soient
pas comparables, si les définitions ne sont pas les mêmes, si
les unités adoptées sont diflerentes, si les travaux accomplis
en des points différents concourent au même but et entraînent
ainsi de regrettables doubles emplois ' ! »
On a dû remarquer que l'expression de « tour de Babel »
se présente comme malgré lui à l'esprit de l'auteur, et que la
première condition de l'organisation du travail scientifique
qu'il énonce est l'uniformité de la nomenclature, c'est-à-dire un
vocabulaire scientifique international. Or c'est là la moitié
d'une langue internationale. Ainsi toutes les raisons invoquées
à l'appui de la création de V Association internalionale des Aca-
démies militent également en faveur de l'adoption d'une langue
internationale. Plus généralement, chacune des raisons qui
justifient séparément les diverses conventions internationales
et les divers offices internationaux vaut pour la langue inter-
nationale, instrument ou complément nécessaire de toutes ces
institutions-. Sa nécessité résulte encore plus évidemment
du développement des moyens de communication : à quoi bon
pouvoir se transporter en quelques heures dans un pays
étranger, si l'on ne peut ni comprendre les habitants ni se
faire comprendre deux? A quoi bon pouvoir télégraphier
d'un continent à l'autre, et téléphoner d'un pays à l'autre, si
les deux correspondants n'ont pas de langue commune dans
laquelle ils puissent écrire ou converser?
Aussi l'utilité d'une langue internationale est-elle de plus
en plus généralement reconnue. Mais il y a encore beaucoup
de personnes qui n'osent s'arrêter à cette idée, parce qu'elles
1. G. Darboux, art. cité. (Les italiques sont de nous.)
2. Citons encore VOffice international du Iravait, à Bâle, et le Bureau
international de la paix, à Berne.
Vjjl PRÉFACE
nents ' ». Par exemple, le Bureau international des poids >•(
mesures, fondé en vertu de la Convention du mètre (20 mars 18"o),
comprend 16 États; V Association géodésique' internationale,
constituée en 1886, en comprend 18. La Carte du ciel, entre-
prise internationale au premier chef, unit dans une colla-
boration constante les principaux observatoires des deux
hémisphères. « Il est impossible de ne pas être frappé de la
rapidité avec laquelle se multiplient aujourd'hui ces or|^'a-
nismes internationaux * ». Ce besoin croissant d'entente et de
coopération entre les savants de tous les pays, que cons-
tatent tous les esprits éclairés ^ a enfin donné naissance à
V Association internationale des Académies, fondée en 1900 et
inaugurée effectivement en 1901 à Paris *. Pour faire connaître
les raisons qui justifient cette institution, nous ne pouvons
mieux faire que de citer encore le secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences de Paris, qui est d'autant mieux
qualifié pour les exposer qu'il a pris une part active à celte
création : « Le mouvement scientifique qui, au commence-
ment du XIX* siècle, se limitait à un petit nombre de nations,
s'étend aujourd'hui au monde entier ; de plus, au sein même
de chaque nation, son importance s'est accrue dans des pro-
portions dont on peut à peine se faire une idée.... Qui ne voit
1. G. Darboux, article sur VAssociation internationale dés Académies,
dans leJow'nal des Savants de janvier 1901.
2. G. Darboux, art. cit.
3. Voir, par exemple, la conclusion du rapport de M. Emile Picard sur les
Sciences, inséré dans les Rapports du jury international de l'Exposition
universelle de 1900.
4. VAssociation internationale des Académies comprend les Académies
ou Sociétés des sciences d'Amsterdam, de Berlin, de Bruxelles, de Budapest,
de Christiania, de Copenhague, de Gœttingue, de Leipzig, de Londres {Hoi/al
Society), de Munich, de Paris (Académie des sciences. Académie des sciences
morales et politiques, Académie des inscriptions et belles-lettres), de Saint-
Pétersbourg, de Rome (Accademia dei Lincei), de Stockholm, de Vienne et
de Washington. Elle tient une Assemblée générale tous les trois ans (la
1" à Paris en 1901 ; la 2' à Londres en 1904), et est représentée dans l'inter-
valle par un Comité. « Pour la prise en considération, l'étude ou la prépa-
ration d'entreprises et de recherches scientifiques d'intérêt international,
des Commissions internationales spéciales peuvent, sur la proposition d'une
ou de plusieurs des Académies associées, être instituées, soit par l'Assem-
blée générale, soit, dans l'intervalle entre deux Assemblées générales par
le Comité. » (S 10 des Statuts.)
PREFACE IX
que, sous peine de revenir à la tour de Babel, une si énorme
production scientifique doit être unifiée et coordonnée? Que
de temps perdu pour les chercheurs, que de recherches inutiles
et par cela même nuisibles, si les nomenclatures changent avec
les nations, si les classifications ne sont pas concordantes, si
les instruments choisis pour effectuer les mêmes mesures
donnent dans les différents pays des indications qui ne soient
pas comparables, si les définitions ne sont pas les mêmes, si
les unités adoptées sont différentes, si les travaux accomplis
en des points différents concourent au même but et entraînent
ainsi de regrettables doubles emplois * ! »
On a dû remarquer que l'expression de « tour de Babel »
se présente comme malgré lui à l'esprit de l'auteur, et que la
première condition de l'organisation du travail scientifique
qu'il énonce estl'uniformité de la nomenclature, c'est-à-dire un
vocabulaire scientifique international. Or c'est là la moitié
d'une langue internationale. Ainsi toutes les raisons invoquées
à l'appui delà création de V Association internationale des Aca-
démies militent également en faveur de l'adoption d'une langue
internationale. Plus généralement, chacune des raisons qui
justifient séparément les diverses conventions internationales
et les divers offices internationaux vaut pour la langue inter-
nationale, instrument ou complément nécessaire de toutes ces
institutions -. Sa nécessité résulte encore plus évidemment
du développement des moyens de communication : à quoi bon
pouvoir se transporter en quelques heures dans un pays
étranger, si l'on ne peut ni comprendre les habitants ni se
faire comprendre d'eux? A quoi bon pouvoir télégraphier
d'un continent à l'autre, et téléphoner d'un pays à l'autre, si
les deux correspondants n'ont pas de langue commune dans
laquelle ils puissent écrire ou converser?
Aussi l'utilité d'une langue internationale est-elle de plus
en plus généralement reconnue. Mais il y a encore beaucoup
de personnes qui n'osent s'arrêter à cette idée, parce qu'elles
1. G. Darboux, art. cité. (Les italiques sont de nous.)
2. Citons encore VOffice international du travail, à Bàle, et le Bureau
intei'uational de la paix, à Berne.
X PRÉFACE
la considèrent comme une utopie. C'est là un préjugé qui ne
résiste pas à la réflexion. Nest-il pas évident, en effet, que si
les nations civilisées voulaient et pouvaient s'entendre pour
adopter dans les relations internationales la langue de Tune
d'elles, on aurait une langue internationale possible et prati-
cable, qui offrirait à tout le moins cet avantage, d'être la
seule langue étrangère indispensable, et de dispenser d'ap-
prendre les autres? A défaut de cette solution simpliste, mais
non équitable, que la rivalité d'intérêt et d'amour-propre des
diverses, nations rend chimérique et exclut a prion^ elles pour-
raient adopter d'un commun accord une langue morte pour
servir d'idiome auxiliaire neutre. Les savants regrettent sou-
vent le temps où le latin était la langue scientifique unique,
et ils sont ainsi amenés à rêver la résurrection du latin comme
langue internationale. C'est encore là une solution possible,
sinon peut-être la plus pratique. Enfin on conçoit qu'on puisse
construire pour cet usage une langue artificielle, plus ou
moins analogue à nos langues « naturelles », et qui serait
même, comme l'a affirmé Max Mlelleh ', « plus parfaite, plus
régulière et plus facile à apprendre » qu'aucune d'elles. Ceux
à qui cette dernière idée paraît chimérique sont simplement
mal informés, et la lecture du présent ouvrage suffira, nous
l'espérons, à les détromper. Quoi qu'il en soit, on n'a véritable-
ment que l'embarras du choix entre diverses solutions plus
ou moins simples et pratiques, mais toutes possibles, pour
peu qu'on le veuille et qu'on se mette d'accord sur l'une
d'elles. Il nest donc plus permis de douter de la possibilité
théorique de la langue internationale; il suffit qu'on puisse
concevoir une langue auxiliaire commune et unique, qui ne
soit pas plus difficile à apprendre et à pratiquer que l'une
quelconque des langues vivantes, et qui soit capable de servir
aux mêmes usages. L'adoption d'une telle langue ne sera plus
qu'une affaire d'entente internationale et de bonne volonté,
n ny a qu'un point sur lequel on puisse encore garder
H.';rifer;it^Trp!^v?2' tr,.'" '""""'■ """"'*'' '" "»" *""••
PREFACE XI
quelques doutes, c'est sur la possibilité pratique de la L. I.,
c'est-à-dire sur la possibilité de faire adopter universellement
et définitivement un projet, et un seul. Or, depuis vingt ans
surtout, les projets pullulent, et il est à prévoir qu'ils se mul-
tiplieront encore davantage à mesure que le besoin d'une
L. I. devient plus impérieux, et que l'idée fait des progrès
dans l'opinion publique. Dans l'ordre industriel, on ne pour-
rait que se réjouir d'une telle abondance, car elle offre plus
de choix au consommateur, et la concurrence amène un per-
fectionnement graduel des produits; mais quand il s'agit de
la langue internationale, cette richesse est embarrassante et
la concurrence est funeste, car Yunité et Yunicité de cette
langue en sont les qualités essentielles, sans lesquelles toutes
les autres sont négligeables et même illusoires. Aussi la mul-
tiplicité de projets ne fait-elle que confirmer le public dans le
scepticisme auquel l'engagent déjà suffisamment la paresse
et l'inertie.
On pourrait croire, toutefois, que cette concurrence, tem-
porairement fâcheuse, aura du moins pour résultat final le
triomphe du meilleur projet, en vertu d'une sélection natu-
relle, et que ce projet, ayant subi victorieusement l'épreuve
de la pratique et s'étant assoupli à l'usage, sera plus parfait
qu'il n"eût été sans la salutaire concurrence des autres. Mais
c'est là une illusion dangereuse. D'abord, les divers projets
rivaux n'entrent pas réellement en concurrence : la plupart
des intéressés n'en connaissent qu'un seul, et adoptent sans
critique et sans choix le premier qui se présente à eux, du
moment qu'il répond, tant bien que mal, à l'idéal entrevu.
Ensuite, le succès d'un projet dépend, non seulement de sa
valeur intrinsèque, mais d'une foule de circonstances exté-
rieures, des moyens de propagande et des ressources finan-
cières dont il dispose, du terrain plus ou moins favorable où
il se propage, etc. En outre, sa zone de diffusion est déter-
minée en partie par le lieu et le pays où il est né, ou par le
fait qu'il rencontre en tel pays un propagateur plus ou moins
actif, influent et habile. Tous ces éléments réunis ont bien
plus d'effet que la valeur propre du projet, que peu de gens
XIV PRÉFACE
et pourrait se propager sans obstacle, il ne serait pas pour
cela assuré de triompher par la seule force de son mérite
propre. En effet, la plupart des intéressés attendent, pour
s'y rallier, qu'il puisse leur servir, c'est-à-dire qu'il soit uni-
versellement adopté : or il ne sera jamais universellement
adopté, si tout le monde fait le même raisonnement et garde
la même réserve. Certes on ne peut trop louer et féliciter les
promoteurs de tels projets : ils font preuve d'un désintéresse-
ment et d'un dévouement méritoires en prêchant d'exemple,
en apprenant et en pratiquant une langue dont ils n'ont que
peu d'occasions de se servir : ils font en quelque sorte une
avance au reste de l'humanité. Mais qui répond que leur
avance sera remboursée, que leur exemple sera suivi? Il est
malheureusement à craindre que, lorsqu'un tel projet aura
recruté tous les hommes capables d'une initiative géné-
reuse et d'un effort désintéressé, leur phalange soit encore
trop faible pour entraîner la masse des indifférents et vaincre
leur inertie. Et puis, tout dévouement a des limites : si, au
bout de quelques années de propagande et de sacrifices, le
projet n'a pas obtenu un succès universel et conquis des
millions d'adeptes dans tous les pays, la lassitude et le décou-
ragement s'emparent des meilleurs, et une prompte déca-
dence suit des progrès si chèrement achetés. D'ailleurs, une
langue ne vit et ne prospère qu'autant qu'elle est réellement
pratiquée; or, si ses premiers adeptes ne trouvent pas assez
d'occasions de l'employer, ils ont bientôt fait de l'oublier.
Ajoutons à cela que la plupart des adeptes attendent, pour
apprendre sérieusement la langue, qu'elle ait réussi, de sorte
que leur adhésion, conditionnelle en quelque sorte, ne porte
que sur le principe même de la L. I. Enfm, le succès même
d'un projet peut lui être funeste : car, à mesure qu'il recrute
des adeptes de nationalités et de conditions plus diverses, à
mesure qu'il se développe pour satisfaire des besoins plus
variés, il donne lieu à des propositions de réformes et à des
demandes de perfectionnements qui, s'inspirant des goûts ou
des habitudes de tel pays ou de telle profession, tendent à en
détruire l'unité. Il suscite ainsi des amendements et des
PREFACE XV
contre-projets entre lesquels ses partisans se divisent; et
alors c'en est fait de l'union et de la langue elle-même, car
elle se dissout promptement et devient inutile, dès qu'elle
n'est plus une.
Tout ce que nous venons de dire n'est pas une hypothèse
en l'air, un roman poussé au noir : c'est l'histoire même du
Volapûk, qui est mort bien moins de ses défauts intrinsèques
que de la désunion de ses partisans. Sans les considérations
précédentes, on ne pourrait comprendre que cette langue, qui
se vantait en 1889 d'avoir un million d'adeptes, n'en eût plus
un an après qu'un nombre insignifiant. Et il ne faut pas croire
que cette décomposition subite s'explique uniquement par
les graves imperfections du Volapûk, qui, en suscitant des
projets de réformes, ont amené des schismes entre ses parti-
sans; aucun projet, si parfait qu'il puisse être, n'est à l'abri
des divergences d'opinion inévitables entre adeptes de diffé-
rentes nations. Seule une autorité mlernationale peut le pré-
server de toute dissidence et en garantir l'unité durable.
Nous pouvons invoquer ici le témoignage très autorisé de
M. Hugo ScuucuARDT. L'illustrc philologue, depuis longtemps
partisan de la langue internationale, avait dès l'origine porté
un jugement défavorable sur le Volapûk^ et, au moment
môme de ses triomphes éphémères, prédit son échec finaP.
Eh bien ! voici le jugement qu'il portait sur lui après sa déca-
dence : « Son échec ne peut se déduire directement de ses
défauts organiques, qui ne l'ont pas empêché de donner des
preuves de sa force Si tous les gouvernements de V Europe...
l'avaient introduit comme matière obligatoire d'enseignement
dans les écoles publiques, son avenir eût été assuré malgré tous
les projets meille^irs^. » Ces paroles font bien ressortir l'impor-
tance de Vautorité dans la solution définitive du problème :
comme le dit plus loin l'auteur, « la décision dépend plus de
la nature des hommes que de celle des choses », c'est-à-dire
plus de la bonne volonté et de l'entente des intéressés que
1. Auf Anlass des VolapUks (1888).
2. Welti'prache und Weltsprachen, p. 18, 19 (1894).
XVI PRÉFACE
des qualités intrinsèques de la langue à choisir. Sans doute,
il n'est pas indifférent que la langue adoptée soit plus ou
moins simple, facile, logique et régulière; mais avant tout, il
importe qu'elle soit unique, et cotte qualité primordiale ne
peut être garantie et maintenue que par une entente interna-
tionale et une sanction officielle.
Est-ce à dire qu'il convienne de s'adresser (directement)
aux gouvernements des nations européennes et américaines,
comme le proposent quelques-uns, pour qu'ils adoptent une
langue internationale par une convention diplomatique?
Mais d'abord, ni les politiques ni les déplomates ne sont com-
pétents pour choisir la L. I. : ils ne pourraient que s'en
remettre, soit à une Commission scientifique internationale
nommée flrf^oc, soit plutôt ù V Association internationale des Aca-
démies, créée tout exprès pour résoudre les questions scienti-
fiques d'un intérêt international '. Dès lors, n'est-il pas plus
simple que les intéressés s'adressent directement à celle-ci
par la voie des Académies nationales, au lieu de passer par
l'intermédiaire des gouvernements?
De plus, les gouvernements ne peuvent pas prendre l'ini-
tiative d'une telle innovation; ils attendraient, et avec
raison, qu'ils y soient invités et presque obligés par l'opinion
publique. Or qui est mieux qualifié pour représenter cette
opinion pubhque que les Sociétés scientifiques et profession-
nelles de tout genre, dont la Délégation centralise les vœux*,
et que les Académies, auxquelles elle se charge de les trans-
mettre? Le jour où il sera temps de demander aux États un
appui et une sanction officielle ^ qui le pourra plus effica-
cement que ces mômes Académies? Enfin, la sagesse des
nations nous enseigne qu'il vaut toujours mieux « faire ses
affaires soi-même » : « Aide-toi, le ciel (ou l'État) t'aidera » ; etc.
On a dénoncé cent fois la superstition de l'État-Providence,
1. De mémo que, toutes les fois qu'il s'agit de prendre des mesures d'hy-
gicne les gouvernements consultent les Académies compétentes.
2. \oir plus loin le programme de la Délégation.
3. Par exemple, en introduisant la L. I. dans les écoles à titre d'enseigne-
ment facultatif ou obligatoire.
PRÉFACE XVII
cette manie de s'adresser à l'Etat pour toutes sortes d'entre-
prises qui relèvent bien plutôt de l'initiative privée, et que
celle-ci peut mener à bonne fin plus rapidement et à moins
de frais. Comme Ta dit excellemment M. Demolins*, « on ne
demande pas aux pouvoirs publics de faire les choses : on
les fait soi-même; si on les fait bien, les pouvoirs publics
suivent, qu'ils le veuillent ou non ». Que tous les partisans
de la L. I. méditent cette forte parole, et la prennent pour
devise.
Au surplus, dans l'histoire de la science contemporaine,
n'avons-nous pas des exemples de réformes ou d'innovations
très importantes qui, nées de l'initiative privée, ont été réali-
sées par l'entente internationale des intéressés? Tel est le
système d'unités C. G. S., adopté et promulgué par le Congrès
international des Électriciens tenu à Paris en 1881 ; telle est
encore la nomenclature de la Chimie organique, dont la
réforme, décidée par le Congrès international de Chimie tenu
à Paris en 1889, a été réalisée par une Commission internatio-
nale qui se réunit à Genève en 1892 ^. Ainsi, toutes les fois
que des hommes de diverses nations et de même profession
ont eu conscience de l'intérêt qu'ils avaient à adopter un lan-
gage commun ou des mesures uniformes, ils se sont réunis,
ils se sont entendus, et leur accord volontaire a suffi à donner
à leurs décisions toute l'autorité et l'universalité qu'on pouvait
désirer. Les États et les gouvernements n'ont même pas eu à
intervenir : la nomenclature chimique et le système C. G. S.
n'en ont pas moins pénétré dans l'enseignement, dans l'indus-
trie et dans l'usage. Cela ne veut pas dire que nous devions
dédaigner, pour la langue internationale, une telle sanction
officielle, dont nous avons montré plus haut l'importance.
Mais cela prouve que cette sanction suprême ne peut et ne
doit venir qu'en dernier lieu, pour consacrer les décisions
prises par une autorité compétente et une entente spontanée
des intéressés; et qu'après tout on pourrait fort bien s'en
1. A-t-on intérêt à s'emparer du pouvoir? ch. VI, fin.
2. Voir WûRTZ, Dictionnaire de Chimie pure et appliquée, 2° supplément
(par Friedel), l"partie, art. Chimique {Nomenclature). Paris, Hachette, 1894.
CouTURAT et Leau. — Lano-uc univ. 0
XVIII PRÉFACE
passer, du moment que cette entente serait réalisée d'un*'
manière effective et pratique.
Par quel moyen pourra-t-on réaliser celte entente? Cer-
taines personnes ont émis l'idée d'un Congrès international.
Mais cette idée doit être écartée. Dabord, il est matérielle-
ment impossible de réunir en un même lieu tous les intéressés,
qui .se comptent non par milliers, mais par millions. Ensuite,
ces réunions forcément éphémères n'ont pas le temps de dis
cuter des questions aussi délicates et aussi complexes, et sont
toujours obligées de s'en remettre à des Commissions spé-
ciales ' ; enfin, l'immense majorité des intéressés n'ont pas l.t
compétence nécessaire pour étudier et résoudre une «juestioii
qui est en grande partie du ressort de la philologie, et ils
seraient sans doute les premiers à décliner une telle responsa-
bilité. L'exemple des électriciens et des chimistes ne peut i<i
qu'égarer par une fausse analogie. Dans l'un et l'autre cas, ht
science même qui posait le problème fournissait tous lc<
éléments de la solution. Le cas de la langue internationale
est plutôt analogue à celui des moyens de communication :
or, fort heureusement, on n'a pas besoin de connaître hi
théorie des machines à vapeur pour prendre le chemin de
fer, ou la théorie du téléphone pour employer cet instrument.
Sans doute, le public doit être consulté sur l'utilité de telle
ou telle ligne de chemin de fer; mais, une fois connues les
principales localités à desservir, c'est aux ingénieurs qu'il
appartient de trouver le meilleur tracé possible et de choisi i-
le mode de traction. De même, c'est à l'opinion publique de
proclamer l'utilité d'une langue internationale et de définir
les divers besoins auxquels elle devra satisfaire : et ce sent
ensuite l'affaire des philologues de trouver l'idiome qui
répondra le mieux aux vœux du public.
Pour émettre ces vœux, tout le monde est compétent, nous
entendons par là tous ceux qui ont ou peuvent avoir affaire
avec l'étranger; mais c'est surtout aux Sociétés profession-
nelles de tout genre qu'il appartient de formuler de tels vœux,
1. Voir. p. XXII, note 2, les détails relatifs au Congrès international de
PRÉFACE XIX
puisqu'elles sont instituées pour défendre les intérêts profes-
sionnels de leurs membres, pour les unir et pour les repré-
senter. D'autre part, à qui présenlera-t-on ces vœux? Qui aura
la compétence nécessaire pour leur donner satisfaction? Il
faut que ce soit une autorité scientifique et internationale. Or
il existe une telle autorité : c'est V Association inlernationale des
Académies, dont nous avons expliqué plus haut la création.
Elle présente assurément au suprême degré toutes les qualités
de compétence et d'impartialité nécessaires pour rendre une
décision autorisée qui s'impose à tous les intéressés. C'est
donc à elle qu'il convient que ceux-ci s'adressent, par l'inter-
médiaire obligatoire d'une ou de plusieurs des Académies
associées *.
Telles sont les idées qui ont présidé à la fondation de la
Délégation pour Vadoption d'une langue auxiliaire internationale.
Les premiers délégués, nommés par des Congrès internatio-
naux et par des Sociétés savantes pendant l'Exposition univer-
selle de Paris en 1900, l'ont constituée le 17 janvier 1901, en
arrêtant le plan d'action formulé dans la Déclaration suivante :
DÉCLARATION
Les soussignés, délégués par divers Congrès ou Sociétés pour
étudier la question d'une Langue auxiliaire internationale, sont
tombés d'accord sur les points suivants :
1° Il y a lieu de faire le choix et de répandre l'usage d'une
Langue auxiliaire internationale, destinée, non pas à remplacer
dans la vie individuelle de chaque peuple les idiomes nationaux,
1 . Voir le § 10 des Statuts, cité p. vui, note 4. Quelques membres d'Aca-
démies étrangères nous ont déclaré qu'ils doutaient que la question de la
langue internationale fût du ressort de V Associai ion, et que celle-ci voulût
s'en charger. Nous répondons que c'est là une question de compétence qui
ne peut être résolue que par ï Association elle-même, en toute souveraineté,
et que ni un académicien, ni même une Académie n'ont le droit de préjuger.
Or, pour que V Associa tien la résolve, il faut ([u'clle en soit saisie par une
ou plusieurs des Académies associées ; celles-ci ne peuvent donc pas nous
opposer une exception d'incompétence sans empiéter sur les droits de
VAssociation. En attendant, nous croyons fermement que l'institution d'une
langue internationale est une de ces « entreprises scientifiques d'un intérêt
international » pour lesquelles VAssociation a été expressément fondée,
suivant la lettre et l'esprit de ses Statuts.
XX PREFACE
mais à servir aux relations écrites et orales entre personnes de
langues maternelles différentes.
2° Une Langue auxiliaire internationale doit, pour remplir
utilement son rôle, satisfaire aux conditions suivantes :
ire Condition. — Être capable de servir aux relations habi-
tuelles de la vie sociale, aux échanges commerciaux et aux rap-
ports scientifiques et philosophiques;
2™o Condition. — Être d'une acquisition aisée pour toute per-
sonne d'instruction élémentaire moyenne, et spécialement pour
les personnes de civilisation européenne;
S'"" Condition. — Ne pas être lune des langues nationales.
3° 11 convient d'organiser une Délégation générale représen-
tant l'ensemble des personnes qui comprennent la nécessité
ainsi que la possibilité dune langue auxiliaire et qui sont inté-
ressées à son emploi. Cette Délégation nommera un Comité
composé de membres pouvant être réunis pendant un certain
laps de temps.
Le rôle de ce Comité est fixé aux articles suivants.
4" Le choix de la Langue auxiliaire appartient dabord à
l'Association internationale des Académies, [)uis, en cas d'in-
succès, au Comité prévu à l'article 3.
5° En conséquence, le Comité aura pour première mission de
faire présenter, dans les formes requises, à l'Association inter-
nationale des Académies, les vœux émis par les Sociétés et
Congrès adhérents, et de l'inviter respectueusement à réaliser
le projet d'une Langue auxiliaire.
6» Il appartiendra au Comité de créer une Société de propa-
gande destinée à répandre l'usage de la Langue auxiliaire qui
aura été choisie.
7° Les soussignés, actuellement délégués par divers Congrès
et Sociétés, décident de faire des démarches auprès de. toutes les
Sociétés de savants, de commerçants et de touristes, pour obtenir
leur adhésion au présent projet.
8° Seront admis à faire partie de la Délégation les représen-
tants de Sociétés régulièrement constituées qui auront adhéré à
la présente Déclaration.
Cette Déclaration constitue le programme officiel de la
Délégation et la base d'entente de toutes les sociétés adhé-
rentes, car aucune action commune et efficace n'est possible
PRÉFACE XXI
sans un accord sur les princijDCS et le but de cette action.
Elle pose les termes du problème et fixe la marche à suivre
pour le résoudre. Elle formule les conditions pratiques que
devra remplir la future langue auxiliaire, tout en réservant
complètement la question du choix (à part Texclusion des
langues nationales, condition indispensable d'une entente-
internationale); et cela pour deux raisons : la première est
que les adhérents peuvent être d'accord sur le principe de
la L. I., et différer d'avis sur la meilleure solution à adopter;
la seconde (qui dérive de la première) est que, voulant
remettre le choix de la L. I. à une sorte d'arbitrage, on
devait naturellement laisser entière la liberté de l'arbitre. En
résumé, il fallait, d'une part, que les conditions posées fussent
assez générales et assez larges pour n'exclure a priori aucune
solution, et par suite pour pouvoir rallier tous les partisans
de Vidée de la L. I.; et, d'autre part, que ces conditions
fussent assez précises' pour définir nettement les besoins
auxquels la L. I. doit répondre, et déterminer les principes
qui devront en diriger la création ou le choix.
Enfin, il fallait prévoir le cas où l'Association internationale
des Académies^ pour une raison quelconque, ne voudrait pas
se charger du choix de la L. 1., ou ne pourrait pas s'acquitter
de cette mission : la réalisation d'une réforme si importante
pour le progrès des sciences et de la civilisation ne peut
évidemment dépendre d'une circonstance accidentelle; il est
inadmissible que les vœux de l'humanité qui travaille et qui
pense puissent être tenus en échec par une autorité officielle,
si haute qu'elle soit. C'est pourquoi la Déclaration stipule
que, à défaut de V Association internationale des Académies^ le
choix de la future L. I. appartiendra au Comité élu par la
Délégation. En effet, la Délégation, une fois qu'elle sera com-
plète, représentera l'ensemble des intéressés. Mais, comme il
sera impossible de réunir les milliers de délégués qui la
composeront, ils devront à leur tour déléguer un petit nombre
de personnes qui puissent conférer ensemble et agir en leur
nom. Ce Comité comprendra, on peut le présumer, des per-
sonnes dune compétence et d'une autorité exceptionnelles,
XXII PRÉFACE
choisies autant que possible dans toutes les nations, et prises
au besoin en dehors de la Délégation. Il sera donc le repré-
sentant, au second degré, de l'ensemble des intéressés, et, de
même qu'il aura toute Tautorité nécessaire pour être leur
interprète auprès des Académies, il aura toute Tautorilé
nécessaire pour prendre, s'il y a lieu, la décision souveraine
qui fera loi pour toutes les sociétés adhérentes. Il pourra,
d'ailleurs, soit se compléter en s'adjoignant les compétences
spéciales dont il croira avoir besoin, soit confier une partie
de sa tâche à des commissions techniques nommées par lui ',
Au surplus, cette procédure ne différerait pas sensiblement
de celle que suivrait sans doute V Association internationale des
Académies : car, dans les quelques jours que dure une Assem-
blée générale, elle aurait tout juste le temps de prendre une
décision de principe, et elle serait obligée d'instituer une ou
plusieurs commissions pour régler les innombrables détails
que la solution comporte*. Quelle que soit donc la marche
adoptée, le résultat sera très probablement le môme; la seule
différence résidera dans l'autorité qui le promulguera. Mais,
dans un cas comme dans l'autre, cette autorité aura la même
valeur aux yeux des intéressés, car de toute façon elle sera
émanée de leur union organisée et de leurs vœux concordants.
Ce plan d'action a été compris et approuvé, car la Déléga-
tion a reçu, en deux ans, plus de 130 adhésions, soit de
Congrès internationaux, soit de Sociétés de savants, de
commerçants, d'industriels, de touristes, d'ouvriers, dont
quelques-unes sont internationales, et dont les autres appar-
1. Ce sera probablement le cas pour l'élaboration des vocabulaires scien-
tifiques internationaux.
2. C'est précisément ce que fit le Congrès international de Chimie en 1889.
« Le temps limité dont disposait le Congrès ne permit pas une étude com-
plète des reformes à effectuer dans une question aussi complexe. 11 fut aJors
forme une Commission internationale permanente, composée de savants
pris parmi les plus autorisés de tous les pays : à cette Commission était
réservée la tache d'étudier un système complet de nomenclature en Chimie
organique ». (Wurtz, loc. cit.) Cette Commission chargea à son tour une
sous-commission, composée de ceux de ses membres qui résidaient à Paris,
de préparer la réforme, et c'est elle qui se réunit le 19 avril 1892 à Genève
pour discuter le rapport de la sous-commission et prendre les résolutions
unaies qui ont fixé la nomenclature chimique aujourd'hui adoptée.
PREFACE XXIII
liennent à la France, à la Belgique, à la Suisse, à l'Angle-
lerre, à lAllemagne, à la Suède, à la Russie, à rAutriche, à
l'Italie, à lEspagne, à la Bulgarie, aux Etats-Unis et à la
République Argentine. Nous ne pouvons les énumérer ici';
bornons-nous à citer les Touring-Club de France, de Belgique,
de Bohème, de Suède et de Suisse, et, parmi les Sociétés
savantes, la Société mathématique de France, la Société astro-
nomique de France, la Société française de Phijsique, la Société
internationale des Électriciens, la Société mycologique de France,
la Société de Sociologie, la Société Phïlomatkique, la Société
des Gens de Science, V Association Polytechnique, etc., etc.
Peu de temps après sa fondation, la Délégation s'est asso-
ciée à une démarche dont le succès a été complet et presque
inespéré. En avril 1901, à l'occasion de la première Assemblée
de Y Association internationale des Académies, tenue à Paris
sous la présidence de l'Académie des Sciences, une adresse
fut présentée à cette Académie par l'un de ses membres,
M. le général Sebert, pour la prier de mettre à l'ordre du
jour de l'Assemblée la question de la langue internationale ;
cette adresse, signée de quelques membres de la Délégation,
parvint au Secrétariat trop tard pour pouvoir être prise en
considération; mais elle avait déjà recueilli, dès le premier
jour, l'approbation et la signature de 25 membres de l'Institut
de France. Encouragé par ce résultat, le bureau de la Délé-
gation continua à loisir à recueillir pour cette adresse les
signatures de nombreux membres des Académies et des Uni-
versités françaises. Le succès obtenu en France par cette
pétition nous a suggéré l'idée de la généraliser pour l'étendre
à tous les pays civilisés; d'ailleurs, son texte visait une cir-
constance particulière et désormais passée. Il convenait de
la dépouiller de toute détermination de temps et de nationa-
lité, et de la transformer en une approbation pure et simple
du programme de la Délégation, de manière qu'elle pût être
signée par les savants de toutes les nations, et être présentée
1. Demander aux auteurs de ce livre la dernière édition de VElat de ta
Délégation.
XXIV PRÉFACE
indifféremment, suivant les cas, à Tune quelconque des Acadé-
mies associées*. Sous celte nouvelle forme, la pélilion a déjà
reçu la signature de membres très distingués des Académies
et des Universités étrangères-; elle constitue par elle-méni<'
une manifestation et provoque un mouvement d'opinion Ires
favorables aux progrès de la Délégation.
Pourquoi réservons-nous cette pétition aux membres des
Académies et des Universités? D'abord, parce que leur opi-
nion est celle qui a naturellement le plus de poids auprès
des Académies associées; ensuite, parce que les Universités,
étant en général des corps officiels, ne peuvent pas donner à
la Délégation leur adhésion collective : celle-ci doit donc être
remplacée par l'adhésion individuelle de leurs membres, qui
aura le même effet moral. D'autre part, avant de solliciter
et d'obtenir l'adhésion officielle d'une des Académies asso-
ciées, il est nécessaire de gagner l'approbation el l'appui de
quelques-uns de ses membres : et cette approbation peut
même avoir du prix aux yeux des autres Académies, surtout
quand il s'agit d'un de ces savants d'une réputation euro-
péenne, qui font partie de plusieurs Académies nationales
à titre de correspondant ou d'associé. Nous avons déjà obtenu
par ce moyen des résultats précieux. Le plus important est
la décision officielle par laquelle V Académie impériale des
Sciences de Vienne a chargé (le 26 juin 1902) un de ses
membres, M. le Professeur Hugo ScnucuARDT, l'illustre phi-
lologue, « de suivre le mouvement relatif à la création d'une
Langue auxiliaire internationale et de lui en rendre compte .>.
C'est là une prise en considération de l'œuvre de la
Délégation, et un témoignage d'intérêt de la part d'une des
Académies associées; et ce premier succès en présage beau-
coup d'autres. La question a été également posée devant
d'autres Académies d'Europe, grâce à l'appui de certains
1. Le texte de cette pétition internationale se compose de la Déclaration
accompagnée de cette formule : « Les soussignés approuvent le projet for-
mule d!insla Declaralion ci-contre, et le recommandent aux Sociétés savantes
(lui lont i)artie de VAssociatio7i internationale des Académies. »
-. Voir la Liste des signatures, que nous publions périodiquement.
PRÉFACE XXV
membres très éminents et très influents, dont la bienveil-
lance et la sympathie nous font espérer un résultat favo-
rable.
On le voit, la question de la langue internationale est sortie
de la période des tâtonnements, des tentatives individuelles,
des efforts isolés et divergents; elle entre dans une période
d'action pratique, concordante et organisée. Eh vertu du
principe : « L'union fait la force », l'ensemble des intéressés
trouvera dans une représentation impartiale le moyen de se
faire entendre, de formuler ses vœux et d'en obtenir l'accom-
plissement. Au surplus, l'idée de la L. I. fait des progrès de
plus en plus rapides, car toutes les raisons que nous avons
énumérées croissent de jour en jour en force et en urgence.
D'ailleurs, l'œuvre de la Délégation, par sa nature même,
gagne sans cesse du terrain, et ne peut pas en perdre. Le
succès final est donc infaillible; ce n'est qu'une affaire de
temps. Mais il dépend de chacun des partisans de l'idée
d'avancer l'heure de sa réalisation; et pour cela le meilleur
et le plus sûr moyen est de collaborer à l'œuvre de la Déléga-
tion. Par leur nombre et par leur union, ils sanctionneront
pratiquement la sentence arbitrale, et la rendront irrévo-
cable; leur adhésion unanime découragera toute concurrence
et préviendra tout schisme ultérieur. Du reste, la Société de
propagande qui sera instituée à ce moment* pourra compter
sur l'appui de toutes les Sociétés adhérentes que représentera
la Délégation; la tâche de cette Société, si étendue qu'elle
soit, sera relativement facile, car, par la publicité universelle
qu'aura nécessairement la décision finale, le monde entier
saura qu'il existe désormais une langue internationale offî-
cielle, et chacun aura intérêt à l'apprendre, aura môme le
droit de s'en servir avec l'assurance de recevoir une réponse,
ce qui est, aux yeux du grand public, la meilleure des recom-
mandations. C'est alors que la Société pourra solliciter et
obtenir l'appui des gouvernements, qui donneront à la langue
universellement adoptée une consécration officielle. Ainsi
1. En vertu de l'art. VI de la Déclaration.
XXVI PRÉFACE
sera définitivement réalisé le rèvc de tant de jj^rands jiensenrs
qui furent, là comme ailleurs, des précurseurs et des pro-
phètes; et celte institution, tlont les conséquences bienlai-
sanles sont incalculables, niarcpiera une ère nouvelle d.-in^
Ihistoire de Thumanité et de la civilisation.
INTRODUCTION
Il nous reste à expliquer et à justifier brièvement le plan que
nous avons adopté. L'histoire de la langue universelle ' est
l'histoire des diverses tentatives qui ont été faites pour instituer
une telle langue, et principalement des divers projets de langues
artificielles qui ont été proposés pour cet office. Pour classer
ceux-ci, l'ordre chronologique paraissait, au premier abord,
le plus naturel dans un ouvrage historique. Mais, si nous l'avions
rigoureusement suivi, il nous eût amenés à entremêler des
projets de nature et d'esprit très différents, ce qui eût laissé
au lecteur une impression de confusion et de chaos. Au con-
traire, leur succession en apparence irrégulière s'éclaire et
s'ordonne, si l'on distingue trois familles de projets. Il y a,
d'une part, des projets qui, pour des raisons diverses, ne
tiennent aucun compte des langues naturelles, et qui sont des
langues originales, construites de toutes pièces : nous les appe-
lons systèmes a priori. Il y a, d'autre part, des projets qui, prenant
pour modèle les langues naturelles (particulièrement les lan-
gues européennes), s'efforcent de les imiter et leur empruntent
presque tous leurs éléments : nous les appelons systèmes a pos-
teriori. Entre ces deux groupes, radicalement distincts par
leurs tendances, il existe un certain nombre de projets qui
s'inspirent à la fois des deux principes opposés, et qui offrent
1. Nous prévenons le lecteur que nous employons l'expression de langue
universelle comme synonyme de « langue internationale auxiliaire ». En
effet, d'une part, « langue universelle » ne veut pas dire « langue unique de
l'humanité » ; et, d'autre part, nous pouvons affirmer, après enquête, qu'aucun
des auteurs modernes de « langues universelles » n'a prétendu supprimer
ou supplanter les langues nationales : la plupart l'ont môme déclaré expli-
citement. L'interprétation contraire est donc injuste et fausse
XXVIII INTRODUCTION
un mélange des caractères propres aux deux groupes (ce sont
principalement le Volapnk et ses dérivés); nous les appelons
pour cette raison systèmes mixtes K Ce sont là trois familles vrai
ment naturelles, car, comme on le verra, les projets de chacune
d'elles présentent des caractères communs qui les distinguent
nettement des autres. Nous avons donc réparti tous les projets
de langues artificielles en trois sections, et c'est seulement à l'inté
rieur de chacune d'elles que nous avons suivi l'ordre chronolo-
gique, qui souvent marque aussi un rapport de liliatifui.
Nous commencerons parles systèmes a priori, parce que cett<-
section comprend tous les projets anciens, notamment les pro
jets de langues philosophiques; et nous finirons par les sys-
tèmes a posteriori, parce qu'ils sont tous modernes, et que la
plupart d'entre eux sont postérieurs au Volapûk (type des sys-
tèmes mixtes). Cet ordre nous paraît d'ailleurs conforme à
l'évolution naturelle de l'idée de la langue universelle, comme
nous le montrerons dans notre Conclusion. A la suite des systèmes
a posteriori, nous étudierons, dans un chapitre final, les projets
qui tendent à ressusciter une des langues mortes (le latin surtout^
car ce sont évidemment les plus a posteriori. Enfin, il convenait
de dire un mot des pasigraphies (langues universelles écrites),
bien qu'elles sortent des conditions du programme de la Délé-
galion, parce qu'on les confond souvent avec les langues univer-
selles proprement dites (à la fois parlées et écrites), et parce
qu'elles reposent sur les mêmes principes que celles-ci. Nous
en ferons l'objet d'un chapitre préliminaire, attendu que la plu-
part des pasigraphies sont des projets anciens, analogues aux
langues philosophiques.
Nous avons analysé tour à tour les différents projets d'une
manière absolument impartiale, en leur consacrant, comme de
juste, une étendue proportionnelle à leur importance, c'est-à-dire
à leur degré de développement et à leur originalité. Pour rendre
ces analyses plus aisément comparables, nous leur avons imposé,
autant que possible, un plan uniforme : après un préambule où
nous résumons les idées directrices de l'auteur, les intentions et
les opinions qui ont inspiré son projet, nous analysons la
1. Cette classification, ainsi que les appellations a priori, a posteriori, nous
a ete suggérée par le Rapport sur la question de la langue internationale,
présente par M. Gaston Moch au 8" Congrès universel 'de la Paix (1897).
l-t. le rapport du Comité de la Société de Linguistique (Section I, eh. xi).
INTRODUCTION XXIX
Grammaire, puis le Vocabulaire, et chacune de ces parties toujours
dans le même ordre (la grammaire comprenant l'alphabet et la
prononciation, puis la morphologie des diverses « parties du
discours », et enfin la syntaxe; le vocabulaire comprenant les
radicaux, les dérivés et les composés). A cette analyse théorique
nous avons joint, autant que possible, un spécimen de la langue *
et, lorsqu'il y avait lieu, un Historique du projet.
Nous aurions pu nous en tenir là ; peut-être même l'aurions-
nous dû, pour conserver à notre travail un caractère rigoureu-
sement historique et objectif. Si nous ne l'avons pas fait, c'est
parce que notre ouvrage a en même temps une fin pratique,
qui est de propager l'idée de la langue universelle et de préparer
le public à sa réalisation. Pour cela, il fallait dégager de
l'histoire, impartialement consultée, les conclusions pratiques
qu'elle nous paraît comporter, et tirer du passé d'utiles leçons
pour l'avenir. En outre, nous tenions à rendre notre travail aussi
instructif que possible, même pour le lecteur le moins versé
dans la philologie. Par suite, il ne convenait pas de laisser
celui-ci en présence de plus de cinquante projets très divers,
sans lui donner aucune indication critique, sans lui fournir
aucun point de repère et de comparaison. Il y a plus : il est
impossible de donner une idée exacte et complète d'un projet
par une simple analyse, forcément sommaire et abstraite, de sa*
grammaire et de son vocabulaire, ou même par un échantillon
de quelques lignes; il faut encore en caractériser l'esprit, la
méthode générale, la physionomie, et ces considérations d'en-
semble pi'ennent forcément la forme d'une critique*. Pour
toutes ces raisons, nous avons cru devoir faire de chaque projet
une Critique, dont l'étendue se mesure en général, non pas à ses
défauts, mais bien plutôt à ses mérites, et qui est destinée avant
tout à en dégager les principes elles traits essentiels. Sans doute,
nous avons été ainsi conduits à louer tel détail et à blâmer tel
autre, à faire ressortir ce qui nous paraissait « le fort » et « le
faible « de chaque projet. Mais ce ne sont là que des apprécia-
1. Toutes les fois que nous l'avons pu, ce spécimen est la traduction du
Pater : 1" parce que le texte en est universellement connu; 2" parce que ce
spécimen nous était fourni par le plus grand nombre des projets; T parce
qu'il est plus facile de comparer les diverses langues sur un même texte
original.
2. Est-il besoin de dire que nous employons ce mot au sens propre ot
étymologique, qui signilie jugement et non blâme'!
XXX INTRODUCTION
lions personnelles, que le lecteur peut rectifier ou retourner au
moyen des données mêmes que nous lui fournissons. De mônic.
nous avons résumé dans une Critique générale les caractères com-
muns et les principes généraux des projets de chaque section ; le
lecteur est libre de les juger autrement que nous, nous lui
aurons du moins épargné la peine de les dégager et de les
réunir. De même, enfin, nous n'avons pas épargné les critiques
au latin. Pourquoi? Parce que les avantages historiques et lill
raires du latin sont manifestes à tous, tandis que les difficultés,
les inconvénients et les défauts de cette langue passent inaperçus,
tant aux yeux de ceux qui la savent (parce que l'habitude les
leur fait oublier) qu'aux yeux de ceux qui ne la savent pas. En
un mot, nous nous sommes efforcés de dresser équitablenient le
bilan de chaque projet, et nous laissons au lecteur le soin
d'évaluer et de comparer l'actif et le passif. Nous avons voulu
simplement mettre le public au courant de l'histoire de la ques-
tion et de son état actuel, en réunissant dans ce volume des
renseignements qu'il est impossible de trouver ailleurs rassem-
blés; et le mettre en mesure de se faire une opinion personnelle,
en soumettant ces matériaux à une discussion critique qui en
prépare et en facilite la comparaison.
11 est souvent très difficile de se procurer les documents rela
tifs à l'histoire de la langue universelle. Quelques-uns d'entre
eux (parfois fort rares et fort précieux) nous ont été communi-
qués par MM. Michel Bréal et le général Sebert, membres de
l'Institut de France; Hermann Diels, de l'Académie des Scienc
de Berlin; Victor Egger, professeur de l'Université de Paris;
L. de Beaufront, Léon Bollack, C. Bourlet, George Hesuerson,
A. Kerckhoffs, F. Kurschner, le D' Letellier et VI, Rosenbergeh.
Nous tenons à leur en exprimer ici tous nos remerciements.
ABRÉVIATIONS ET SIGNES:
D.
= allemand (deulsch).
E.
= anglais (englisli).
F.
= français.
G.
= grec (ancien).
I.
= italien.
L.
= latin.
P.
= portugais.
Pol.
= polonais.
R.
= russe.
S.
=1:: espagnol.
L. I.
= langue internationale.
m.
=: masculin.
f.
= féminin.
n.
= neutre.
s.
= sing. = singulier.
pi.
== plur. = pluriel.
P-
= pers. = personne.
litt.
=: littéralement.
Les lettres égyptiennes indiquent les mots de la langue artificielle
étudiée; les lettres italiques indiquent les mots correspondants des
langues naturelles (du français, quand il n'y a pas d'indication).
Les lettres normandes (c et v) indiquent la place respective d'une
consonne ou d'une voyelle indéterminée dans un schéma de mot.
HISTOIRE
DE LA
LANGUE UNIVERSELLE
CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES PASIGRAPHIES
On appelle pasigraphie une langue universelle exclusivement
écrite, un système de signes écrits (ou plus généralement de
signes optiques) destiné à exprimer et à transmettre la pensée.
Comme les langues de ce genre se trouvent exclues par les con-
ditions énoncées dans la Déclaration, nous ne croyons pas devoir
étudier ici un à un les divers projets de pasigraphie. Nous nous
bornerons, pour en donner une idée, à en formuler le principe
général.
Supposons qu'on numérote tous les mots du dictionnaire
d'une langue, ainsi que les flexions grammaticales et les affixes ;
chaque mot (ou élément de mot) pourra être représenté par le
nombre correspondant; et si l'on assigne les mômes numéros
aux mots équivalents d'une autre langue, on pourra traduire
dans celle-ci le texte chiffré. ^
Tel est le principe général de toutes les pasigraphies. Elles ne
diffèrent que dans l'application, et cela de deux manières : fpar
l'ordre assigné aux mots ou aux idées; 2° par la nature des
signes employés.
Si l'ordre assigné aux idéos prétend suivre une classification
logique, on a une pasigraphie philosophique. Sinon, on a une
pasigraphie purement empirique ou pratique.
CouTURAT ET Leau. — Lanfruc uuiv. 1
2 CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Les nombres dont nous avons parlé ne sont pas autre chose
que des combinaisons des 10 chiffres. Si l'on remplace ces
chiffres par des lettres ou des signes quelconques (auxquels on
assigne un ordre fixe) en plus ou moins grand nombre, on aura
des combinaisons de lettres ou de signes qui joueront le mi^mc
rôle, et quon pourra ranger dans un dictionnaire suivant un
ordre analogue à Tordre numérique ou alphabétique.
Les pasigraphies sont analogues aux langues a priori, l^ien
nempèche, en effet, de transformer une pasùjrophieeu pasiphrasie.
c'est-à-dire en une langue parlée : il suffit de prendre pour
signes des lettres, et de ne former que des combinaisons « pn»
nonçables » de lettres, par un mélange convenable de voyelles
et de consonnes. C'est ce qu'ont fait notamment Dvlgarno et
WiLKiNS pour la numération et, pour tout le vocabulaire. Gros
SELiN et Letellier (voir Section I, ch. il, m, vu, i.\).
Nous ne ferons exception que pour deux pasigraphies, parc<'
qu'elles ont reçu une application pratique et une consécration
officielle : ce sont le Code international des signaux maritimes et la
Classification bibliographique décimale.
CODE INTERNATIONAL DES SIGNAUX MARITIMES '
Les signaux maritimes ont pour éléments 18 pavillons ' bien
distincts de couleur et de dessin. Chacun de ces pavillons cor-
respond à l'une des 18 consonnes : R, C, D, F, G, H, J, K, L, M,
N, P, Q, R, S, T, Y, W, qui est en quelque sorte son nom, et qui
le représente dans le Code (pour la commodité de l'impression).
Les « mots * de la langue sont constitués par les « arrange-
ments » sans répétition de ces pavillons 2 à 2, 3 à 3 et 4 à 4; il
y en a 78.642 : c'est dire qu'il en reste un grand nombre en blanc^
pour les usages nationaux et particuliers. Ces combinaisons sont
consignées par ordre dans le Code avec leur signification (dans
l'une quelconque des langues fiationales). Cette signification est
\. Code international de signaux à l'usar/ecles bâtiments de toutes nations
(in-8°, Paris, 1871) publié par les soins de Sallandrouze de Lamornaix (mort
amiral de la marine française).
2. Plus exactement : 1 guidon, 5 flammes et 12 pavillons carrés: plus un
pavillon spécial qui est le symbole du Code, et qui annonce qu'on va faire
les signaux.
LES PASIGRAPHIES 3
soit un mot, soit une phrase tout entière, ou encore un nombre.
La classification des sens attribués à ces divers signaux n'a
aucune prétention logique : elle est dictée par des motifs tout
pratiques. Les signaux de 2 signes expriment les aires de vent,
les avis pressés et importants. Les signaux de 3 signes expriment
les longitudes et latitudes, et les demandes et renseignements
les plus utiles en mer. Les signaux de 4 signes (de beaucoup les
plus nombreux) sont divisés en trois catégories : jusqu'à CGWV, •
ils désignent des noms géographiques; de CHBD à FGMD, ils
représentent des mots usuels; deGQBCà WVTS, ils représentent
des noms de bâtiments, différents pour chaque nation, de sorte que
chacun de ces signaux doit être précédé du signal indiquant la
nationalité. Chaque nation dispose donc de cette section du
Code; elle y inscrit d'abord ses bâtiments de guerre (initiale G),
puis ses bâtiments de commerce (initiales H et suivantes).
Quand les bâtiments qui doivent correspondre sont à trop
grande distance pour qu'on puisse distinguer les pavillons, on
remplace chacun d'eux par une combinaison de 3 signes incolores
reconnaissables à leur silhouette (boule, flamme et carré). La
nuit, ces signes sont remplacés par des feux de couleurs et de
dispositions diverses.
Le Code comprend, outre le dictionnaire qui permet de tra-
duire un signal en langage ordinaire, un dictionnaire qui permet
de traduire un mot ou une phrase par un signal. Les mots sont
rangés par ordre alphabétique ; les phrases se trouvent à la suite
du mot qui y joue le principal rôle.
Historique.
L'histoire de l'invention et de l'adoption du Code international
est fort intéressante pour les partisans de la langue universelle,
car c'est un exemple « vivant » de langue universelle adoptée par
une entente internationale. Elle est résumée dans le rapport
adressé par le ministre de la marine Chasseloup-Laubat à l'em-
pereur Napoléon III, pour le prier de signer le décret du
23 juin 1864 qui mettait le Code en vigueur pour la France. Le
ministre rappelle que le Règlement international pour prévenir les
abordages en mer a été adopté d'abord, d'une commune entente,
par la France et l'Angleterre (décret du 23 octobre 1862), et
4 CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
ensuite, à leur exemple, par 20 autres puissances maritimes.
De même, il espère (et nous croyons que cette espérance sVsl
réalisée) que la « langue maritime universelle » (sic) que la Fram
et l'Angleterre vont instituer sera bientôt adoptée par toutes 1»-
autres nations.
Il existait déjà des codes de signaux maritimes, mais iU
étaient propres à chaque nation, et même il y en avait plusieurs
de la même nation : en Angleterre, ceux de Tynn (1818), de
Squire (1820), de Philipp (1836) et de Marryal; en France, le
code Reynold; en Amérique, le code Rogers. On comprend
aisément les inconvénients de cet étal de choses, qui empêchait
les navires de différentes nations de communiquer à distance et
au besoin de se porter secours; de même qu'avant le lièglement
de 1862, faute d'une convention internationale sur les feux de
position et la marche à suivre en cas de rencontre, les risques
d'abordage étaient beaucoup plus grands. Pour remédier à cela,
le Board of Trade avait nommé en 1855 un comité qui formula en
1856 un projet de code international. Le ministère dp la marine
de France nomma de son côté une commission qui s'entendit
avec celle du Board of Trade; on réforma et perfectionna le projet
de 1856, et c'est ce projet qui fut adopté en 1864 par les deux
gouvernements. Comme on l'a vu, le travail de rédaction du Code
français dura plusieurs années, puisqu'il ne parut qu'en 1871.
Cette histoire suggère quelques réflexions. Et d'abord, c'est
avec un étonnement mêlé de quelque honte qu'on apprend que
des mesures dun intérêt aussi urgent, aussi vital, nont été
prises qu'il y a trente ou quarante ans. On se demande comment
et pourquoi l'on ne s'était pas avisé plus tôt de conventions si
simples et si salutaires.
Ensuite, on constate avec satisfaction qu'il a suffi de l'entente
de deux nations (il est vrai que c'étaient alors les deux puis-
sances maritimes principales et presque uniques) pour imposer
à toutes les autres ces institutions, uniquement en vertu de leur
intérêt. On peut donc croire que, le jour où les principales
nations d'Europe et d'Amérique adopteraient officiellement une
langue internationale, toutes les autres seraient bientôt obligées
de l'apprendre et de l'employer.
Enfin, on ne peut s'empêcher de trouver que le Code interna-
tional, si bienfaisant qu'il soit, est pourtant tout à fait insuffi-
sant. Il permet bien aux marins de correspondre de bord à bord,
LES PASIGRAPHIES 5
mais non pas d'homme à homme. On a bien un signal pour
demander d'un bateau à l'autre un médecin ou un chirurgien;
mais, par un contraste étrange, ce médecin, une fois à bord, ne
peut plus communiquer avec les hommes qui l'ont appelé, s'il
se trouve appartenir à une autre nation et ignorer leur langue.
Comment pourra-t-il interroger le malade ou le blessé? Comment
celui-ci ou ses camarades pourront-ils lui expliquer l'accident?
Comment i)ourra-t-il demander à bord ce dont il a besoin, se
faire aider dans l'opération, ordonner des soins? Le Code inter-
national n'est plus d'aucun secours. Son œuvre humanitaire est
donc incomplète.
Mais il n'est pas besoin d'aller sur mer, ni d'envisager des
circonstances imaginaires, pour se convaincre que la Langue
internationale est d'une nécessité vitale et humaine. Une armée
internationale est réunie en Chine : admettons que les officiers
soient tous d'éminents polyglottes; les soldats, en tout cas, ne
le sont pas. Arrive un événement grave et subit, une attaque,
un incendie, une rixe : comment les soldats pourront-ils
s'entendre pour se prêter main-forte, pour concerter la résistance,
pour dissiper un malentendu meurtrier? Comment même pour-
ront-ils tous ensemble obéir aux commandements qu'un officier
leur donnera dans sa langue nationale? Voici un autre fait, tout
récent : pour réprimer des troubles dans une ville de population
polonaise, on a fait faire des charges par des détachements de
cavalerie hongroise. Plusieurs personnes ont été tuées ou
blessées faute de comprendre les ordres et les sommations; un
médecin polonais qui soignait les blessés n'a dû son salut qu'à
ce qu'il s'est rappelé (à temps!) les deux mots hongrois qui
signifient : Croix-Rouge.
Tous ces faits authentiques, d'expérience courante, prouvent
que la « langue maritime universelle » est loin de répondre à
tous les besoins des relations internationales, et que, si l'on veut
être fidèle à l'idée humanitaire qui l'a inspirée et la réaliser plei-
nement, il est urgent d'instituer une langue internationale parlée
et écrite, qui sera d'un usage bien plus général et dun manie-
ment plus facile.
CHAPITRE PRELIMINAIRE
CLASSIFICATION BIBLIOGRAPHIQUE DÉCIMALE '
Il y a une autre pasigraphie qui est entrée dans la pra-
tique et qui rend des services d'un autre ordre : c'est la clas-
sification bibliographique décimale, proposée dés 1873 par M. Melvii.
Dewey, président de ÏAssociation des bibliothécaires américains.
et adoptée par Vinstitiit de bibliographie internationale, fondé ii
Bruxelles en 1895 pour établir un répertoire bibliographiqui-
universel des productions intellectuelles du monde entier.
Ce répertoire a pour base une classification méthodique de
toutes les connaissances humaines et de tous les objets
d'étude. Celle-ci se traduit par des nombres ou numéros classi-
ficateurs qui permettent de ranger les fiches (représentatives
des ouvrages) suivant l'ordre idéologique des matières, tii-
manière à rapprocher et à classer ensendjle les ouvrages
relatifs au même sujet, et à permettre l'intercalation indéfinie
de nouvelles fiches sans troubler l'ordre antérieurement établi.
Voici comment sont formés les numéros classificateurs : l'en-
semble des connaissances humaines est divisé en dix grandes
classes désignées par les dix chiffres, de 0 à 9 :
0 Généralités.
1 Philosophie.
2 Religion, théologie.
3 Sciences sociales, droit.
4 Philologie, linguistique.
3 Sciences mathématiques et naturelles.
6 Sciences appliquées, technologie.
7 Beaux-Arts.
8 Littérature.
9 Histoire et Géographie.
Chacune de ces classes comprend à son tour 10 divisions
numérotées par un des chiffres de 0 à 9, et qu'on désigne en
plaçant ce chiffre à droite du chiffre de la classe. Par exemple,
la cinquième classe est divisée comme suit :
^ 1. Classification décimale : Tables rjénérales abrégées. Publication n» 9 de
rOfllce international de Bibliographie, 73 p. 8" (Bruxelles, 1897). Annuah"
de l'Institut international de Bibliographie pour l'année 1902, 174 i). s
(Bruxelles, 1902).
LES PASIGRAPHIES 7
50 Généralités.
51 Mathématiques.
52 Astronomie, géodésie, navigation.
53 Physique (et mécanique).
54 Chimie (et minéralogie).
55 Géologie.
56 Paléontologie.
57 Biologie, anthropologie.
58 Botanique.
59 Zoologie.
Puis chacune de ces divisions est partagée en 10 sections,
qu'on désigne en plaçant le chiffre correspondant à droite de
ceux qui désignent la division. Par exemple la Physique (53) est
subdivisée comme suit :
530 Généralités.
531 Mécanique.
532 Hydrostatique et hydrodynamique.
533 Pneumaticjue (gaz; aérostation).
534 Acoustique.
535 Optique.
536 Chaleur, thermodynamique.
537 Électricité.
538 Magnétisme.
539 Physique moléculaire.
On conçoit aisément que ce procédé de subdivision peut ètr(^
prolongé autant qu'il est besoin pour enfermer l'idée ou le sujet
considéré dans une classe spéciale; celle-ci sera désignée sans
ambiguïté par la série des chiffres qui désignent toutes les
divisions antérieures. Voici un exemple de ces déterminations
ou spécifications progressives :
61 Médecine.
612 Physiologie.
612.3 Digestion.
612.31 Bouche.
612.313 Glandes salivaires.
612.313.6 Pathologie de la salive.
612.313.03 Microbes de la salive.
Tel est le principe de la classification décimale. Nous n'entre-
rons pas dans le détail des notations qui permettent d'exprimer
les relations ou les combinaisons de plusieurs idées exi)riniées
8 CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
chacune par un nombre. Bornons-nous à en donner un exemple :
étant donné que :
31 = statistique,
331.2 = salaire,
677 = industrie textile,
31 : 331,2 : 677 signifiera : statistique des salaires dans lindustrio
textile.
Pour ranger par ordre tous ces nombres (qui ont des nombres
de chiffres très divers), on les considère comme dos nombres
décimaux dont on aurait supprimé le zéro et la virgule, et on les
range par ordre de grandeur croissante, c'est-à-dire dans l'ordre
de leurs premiers chiffres (à gauche), s'ils diffèrent; sinon, dans
l'ordre de leurs deuxièmes chilTres, s'ils dilTèrent; sinon, dans
l'ordre de leurs troisièmes chiffres, et ainsi de suite. Cet ordre
est analogue à Tordre alphabétique employé dans les diction-
naires; il permet d'intercaler entre deux nombres quelconques
autant d'intermédiaires qu'on veut. Ainsi la classification déci-
male réunit les avantages du classement idéologique et du clas-
sement alphabétique. En outre, elle reste toujours ouverte à des
subdivisions nouvelles, et elle est i)ar suite susceptible d'une
extension indéfinie.
« Les nombres classificateurs correspondant à des idées et
non à des mots, ils constituent une véritable nomenclature inter-
nationale. > Par exemple, « au même nombre 536 correspondra
le mot Chaleur dans les tables françaises, Wàrme dans les tables
allemandes, Heat dans les tables anglaises ». La classification
bibliographique ainsi obtenue est donc absolument interna-
tionale.
Nous n'avons pas à apprécier ici les services que ce système
rend à la bibliographie'. Nous n'avons à le considérer que
comme une pasigraphie et comme un moyen de communication
international. Au contraire du Code des signaux maritimes, dont
les combinaisons ont une signification arbitraire, cette pasi-
graphie repose sur une base logique. En revanche, elle est d'une
portée bien moins étendue : ce n'est pas une langue, mais simple-
1. L'idée de prendre les chiffres pour index des subdivisions d'une classi-
flcation est très naturelle et très ingénieuse. Comme le pensait Leibniz, les
nombres sont les plus commodes de tous les signes, d'abord, parce qu'ils
sont concis et maniables; ensuite, parce qu'ils possèdent un ordre fixe et
bien déterminé; enfin, parce qu'ils sont en nombre illimité.
LES PASIGRAPHIES 9
ment une nomenclature. Elle n'exprime en somme que des con-
cepts ou des classes d'objets; elle est analogue à une langue qui
ne comprendrait que des substantifs et des adjectifs, mais pas
de verbes. Elle serait incapable de traduire la moindre phrase.
On ne peut donc pas la considérer comme une langue interna-
tionale.
Nous n'insistons pas sur ce fait qu'elle n'est qu'une pasigraphie,
c'est-à-dire une langue écrite, car il serait facile de la transformer
en une langue parlée en traduisant les chiffres par des sons.
C'est précisément ce qu'ont fait certaines langues philosophiques
(Delormel, Vidal, Letellier) qui reposent sur une classification
décimale des idées. Nous indiquerons, dans la critique de ces
projets, les raisons pour lesquelles il ne nous paraît pas pos
sible de prendre une classification logique quelconque pour base-
d'une langue internationale; nous nous permettons d'y renvoyer
le lecteur.
Bibliographie.
Voici, à titre de renseignement, la liste des principaux
systèmes de pasigraphies ;
Joseph DE Malmieux : Pasigraphie, dédiée à Sicard (Paris, 1797).
WoLKE : Die Pasiphrasie (Dessau, 1797).
Moses Paic : Pasigraphie mittels arabischer Zahlzeichen (Semlin,
18o9).
Sinibaldo de Mas : L'Idéographie (Paris, Duprat et Rothschild,
1863).
Bachmaier : Pasigraphisches Wôrterbuch, deutsch-englisch-fran-
zosisch (Augsburg, 1868); id.. Édition anglaise (ibid., 1870).
Janne Damm : Praklische Pasigraphie (Leipzig, Douffet, 1876).
E. de Baranovski : L'Idéographie, une langue pour toutes les
nations (Kharkov, 1884).
Cari Haag : Versuch einer graphischen Sprache auf logischer Grund-
lage (Stuttgart, Kohlhammer, 1902).
W. Rieger : Zifferngrammatik, ivelche mit Hilfe der Wôrterbûcher
ein mechanisches Uebersetzen aus einer Sprache in aile anderen ermog-
licht (Graz, Styria, 1903) K
1. Ce dernier projet, comme son titre l'indique, ne traduit en chiffres que
la partie grammaticale des mots, et emploie les radicaux nationaux. Ce n'est
10 CHAPITRE PRÉLLMINAIRE
On peut joindre aux Pasigraphies le langage mimique, pi.
conisé comme langue universelle par quelques i)ersonn«^.
notamment par Jean Rambosson, auteur d'un livre sur YOv'ujinc
de la parole et du langage parlé, qui publia en i8o3 une Élude phi-
losophique et pratique du langage mimique comme langage universel
(Hachette) '. Il est clair qu'il ne peut ùlro question du langage
des sourds-muets, qui se compose de signes alphabrlicjucs. et
qui suppose une langue écrite, soit nationale, soif inlcnin
tionale *; mais seulement d'un système de signes itléographiqiK-s
qui serait un développement et un perfectionnemtMit de la
mimique naturelle, à laquelle on est obligé de recourir avec dc-^
étrangers dont on ignore la langue. Or il importe peu «pie ces
signes soient des dessins écrits ou des gestes : tout ce que nous
dirons des langues idéographiques (ou philosophiques) s'appli-
quera à un tel système.
Quoi qu'il en soit, l'immense majorité des hommes trouvera
toujours plus commode l'emploi des signes vocaux et écrits
habituels que celui des signes manuels; et cela est si vrai, que
l'on apprend à présent aux sourds-muets à parler et à lire la
parole, et que cette nouvelle méthode est considérée comme
un progrès par rapport à la méthode de l'abbé de l'Epée, si
utile et si ingénieuse qu'elle soit. Dans tous les cas, on voit
que les sourds-muets, auxquels certains inventeurs de L. I.
ont pensé avec une sollicitude fort louable, mais trop exclu-
sive, ne seront nullement privés des bienfaits d'une L. I. écrite
et parlée, et pourront s'en servir par la méthode qui leur seiii
familière.
donc que la moitié d'une pasigraphie numérique analogue à celles de Paic
et de Bachmaier.
1. Voir aussi le journal La Science, 1835.
2. Cette remarque suffit à montrer que les sourds-muets pourront parler
par gestes une langue internationale quelconque aussi bien qu'une langue
nationale.
SECTION 1
SYSTÈMES « A PRIORI
CHAPITRE I
DESCARTKS
Le grand philosophe français a exprimé son opinion sur le
problème de la Langue universelle dans une Lettre au P. Merseiine
du 20 novembre 1629 ^ Son ami et correspondant lui avait
envoyé un placard ou prospectus imprimé, en latin, d'un auteur
inconnu, contenant six propositions relatives à une langue uni-
verselle. Descartes commence par discuter ces propositions, en
essayant de deviner leur sens, avec une tendance visible (qui est
un trait de son caractère) à n'y trouver rien de merveilleux, rien
qu'il n'eut pu inventer lui-même sans peine. Nous citons le pas-
sage le plus intéressant de cette discussion, parce qu'il contient
un programme de langue artificielle qui a été réalisé de nos
jours :
« Pour la signification des mots, il n'y promet rien de parti-
culier; car il dit dans la quatrième proposition : lingiiam illam
interpretari ex didionario, qui est ce qu'un homme un peu versé
aux langues peut faire sans luy en toutes les langues com-
munes... Ce qui empesche que tout le monde ne le pourroit pas
faire, c'est la difficulté de la grammaire; et je devine que c'est
I. Edition Clerselier, t. I, n" 111, p. 498; éd. Cousin, t. VI, p. 61; id.
Adam-Tannery, t. 1, p. 76 (Paris, Cerf, 1898).
12 SECTION I CHAPITRE I
tout le secret de vostre homme. Mais ce n'est rien qui ne soit
tres-aisé; car faisant une langue, où il n'y ait quune faconde
conjuguer, de décliner, et de construire les mots, qu'il n'y en ait
point de defectifs ny d'irreguliers, qui sont toutes choses venues
de la corruption de l'usage, et mesmc que rinflexion des noms
ou des verbes et la construction ' se fassent par affixes, ou devant
ou après les mots primitifs, lesquelles affixes soient toutes spé-
cifiées dans le dictionnaire, ce ne sera pas merveille que les
esprits vulgaires apprennent en moins de six heures à composer
en cette langue avec l'aide du dictionnaire, qui est le sujet de la
première proposition. »
Dans ces lignes, Descartes esquisse le plan d'une langue régu-
lière et pratique, que l'on puisse comprendre immédiatement
à l'aide du seul dictionnaire. C'est précisément là ce que le
D"" Zameniiof a voulu et réalisé en créant VEsperanlo. Mais Des-
cartes paraît dédaigner une telle langue utilitaire, faite pour les
« esprits vulgaires » ; il rêve d'une langue philosophique qu'il définit
en ces termes :
« Au reste, je trouve qu'on pourroit adjouter à cecy line inven-
tion, tant pour composer les mots primitifs de cette langue, que
pour leurs caractères, en sorte qu'elle pourroit estre enseignée
en fort peu de tems, et ce par le moyen de l'ordre, c'est-à-dire,
établissant un ordre entre toutes les pensées qui peuvent entrer
en l'Esprit humain, de mesme qu'il y en a un naturellement
établi entre les nombres; et comme on peut apprendre en un
jour à nommer tous les nombres jusques à l'infini, et à les écrire,
en une langue inconnue, qui sont toutesfois une infinité de mots
differens; qu'on pust faire le mesme de tous les autres mots
nécessaires pour exprimer toutes les autres choses qui tombent
en l'esprit des hommes; si cela estoit trouvé, je ne doute point
que cette langue n'eust bien tost cours parmy le monde, car il y
a force gens qui employeroient volontiers cinq ou six jours de
tems pour se pouvoir faire entendre par tous les hommes. L'in-
vention de cette langue dépend de la vraye Philosophie; car il
est impossible autrement de dénombrer toutes les pensées des
hommes, et de les mettre par ordre, ny seulement de les dis-
tinguer en sorte qu'elles soient claires et simples; qui est à mon
advis le plus grand secret qu'on puisse avoir pour acquérir la
1. Sous-entendu : des mois.
DESCARTES 13
bonne science; et si quelqu'un avoit bien expliqué quelles sont
les idées simples qui sont en l'imagination des hommes, des-
quelles se compose tout ce qu'ils pensent* et que cela fust receu
par tout le monde, j'oserois espérer ensuite une langue univer-
selle fort aisée à apprendre, à prononcer et à écrire, et, ce qui
est le principal, qui ayderoit au jugement, luy représentant si
distinctement toutes choses, qu'il luy seroit presque impossible
de se tromper; au lieu que tout au rebours, les mots que nous
avons n'ont quasi que des significations confuses, ausquelles
l'esprit des hommes s'estant acoutumé de longue main, cela est
cause qu'il n'entend presque rien parfaitement. Or je tiens que
cette langue est possible, et qu'on peut trouver la Science de qui
elle dépend, par le moyen de laquelle les paysans pourroient
mieux juger de la vérité des choses, que ne font maintenant les
l)hilosophes-. »
Nous avons tenu à citer en entier ce passage, car il formule
avec une clarté magistrale le programme de toutes les langues
philosophiques nées depuis lors, et en exprime les idées direc-
trices : l'analogie de toutes les idées avec les notions de nom-
bre; la recherche des idées simples qui forment par leurs com-
binaisons toutes les autres idées; l'analogie de ces combinaisons
avec des opérations arithmétiques, et par suite l'assimilation du
raisonnement à un calcul mécanique et infaillible. De là suit que
chaque mot doit envelopper et symboliser la définition de
l'idée; que la langue ainsi créée « dépend de la vraie philoso-
phie », et que, inversement, elle l'incarne, de sorte que l'ap-
1. Ce quelqu'un, c'est Descartes lui-mt^me, qui voulait fonder toute la plii-
losophie sur les « idées claires et distinctes ». Ainsi son idée de la langue
universelle se rattache directement aux principes de sa philosophie.
2. Une copie de ce passage se trouve dans les papiers de Lfibmz, qui y a
ajouté la remanjue suivante :
« Cependant quoyque cette langue dépende de la vraye philosophie, elle
ne dépend pas de sa perfection. C'est-à-dire cette langue peut estre établie,
quoy([ue la philosophie ne soit pas parfaite : et à mesure que la science
des hommes croistra, cette langue croistra aussi. En attendant elle sera
d'un secours merveilleux et pour se servir de ce que nous sçavons, et pour
voir ce qui nous man([ue, et pour inventer les moyens d'y arriver, mais sur
tout pour exterminer les controverses dans les matières (jui dépendent du
raisonnement. Car alors raisonner et calculer sera la môme chose. » (Opus-
cules et fragmenls inédits de Leibniz, éd. Couturat, p. 27-28 ; Paris,
Alcan, 1903.)
Cette remarque est intéressante : 1° parce qu'elle tend à réfuter une objec-
tion adressée aux langues philosophiques; 2° en ce qu'elle montre le lien
qui rattache le projet de Leibniz à celui de Descartes.
14 SECTION I, CHAPITRE I
prendre, c'est apprendre à penser. Toutes ces idées se trouve» -
ront développées et appliquées chez les successeurs de Descaries.
Mais, à côté de ces idées qui constituent le principe d'un voca-
bulaire philosophique tout différent de celui de nos langues,
et qui caractérisent les langues a priori, il ne faut pas oublioi-
que Descartes a émis des vues d'une justesse et d'une précision
admirables sur la constitution d'une grammaire régulière el
logique, applicable aux radicaux des langues a posteriori. On
peut donc dire que, dans cette seule lettre, le père de la philoso-
phie moderne a conçu et prévu les deux principaux systèmes
de langue universelle que nous allons étudier tour à tour.
CHAPITRE II
DALGARNO *
La langue philosophique de George Dalgarno est surtout un
vocabulaire fondé sur une classification logique de toutes les
idées"-. Los 17 classes suprêmes sont désignées par 17 lettres
dont chacune sera l'initiale de tous les mots de la classe corres-
pondante. En voici la liste, qui donne en môme temps l'alphabet
do la langue :
A Êtres, choses.
H ^ Substances.
E Accidents.
I Êtres concrets (composés de substance et d'accident).
0 Corps.
Y* Esprit.
U Homme (composé de corps et d'esprit).
M Concrets mathématiques.
1. Ars Sionorian, vulgo Charncter universalis et Lingiia philosophica
(London, 1001). Le sous-titre est significatif : Qua potevunt homines cliver-
sissimorum Idiomatum, spatio duariim septimanarum, omnia Animi sua
sensa {in Rébus familiaribus) non minus intelligibiliter, sive scribendo sive
loqiiendo, mutuo coinmunicare, quam Lingids propriis vernaculis. Prœlerea
hinc etiam poterunt Juvenes Philosophise Principia et veram Logicse Praxin
citiuset facilius multo imbibere, quam ex vulgaribus Philosopkorum scriplis.
Cf. Lexicon grammalico-philosophicum, dans les papiers de Leihmz (Phil.,
VII, D. I, 1). George Dalgarno, né à Oid-Aberdeen vers 1020, fut directeur
(Fécolo privée à Guernesey. puis ù Oxford, et mourut en 1087. Il est l'auteur
du Didascalocoplius {[(SS^O), c'est-à-dire d'une méthode d'instruction pour les
sourds-muets, et l'inventeur d'un alphabet de signes manuels. C'est, comme
on voit, un précurseur de l'abbé de l'Épée.
2. Celte classification a eu l'iionneur de servir de guide et de modèle à
Leibniz dans les tables de définitions (ju'il dressait en vue de son Encyclo-
pédie. Voir CouTURAT, La Logique de Leibniz, ch. V, § 24; et Opuscules et
fragments inédits de Leibniz (Phil., Vil, D, ii. 1-2, 3).
3. Voyelle grecque : r, {êta),
4. Voyelle grecciue : u (upsilon).
16 SECTION I, CHAPITRE II
N Concrets physiques.
F Concrets artificiels.
B Accidents mathématiques.
D Accidents physiques généraux.
G Çhialités sensibles.
P Accidents sensitifs.
T Accidents rationnels (intellectuels).
K Accidents politiques.
S Accidents communs.
La lettre S, quand elle n'est pas initiale, est une lettre servile
ou auxiliaire, c'est-à-dire qui concourt à' la formation des mots
sans avoir un sens logique déterminé. Trois autres lettres sont
également serviles :
r, qui signifie l'opposition (le contraire);
1, qui signifie le milieu entre les extrêmes;
V, qui est l'initiale caractéristique des noms de nombre.
Chacune des 17 classes se divise en sous-classes, qui se dis-
tinguent par la variation de la seconde lettre. Voici, par exeniph-,
les sous-classes de la classe K (accidents politiques) :
Ka- Relations d'office (de JonctionJ.
Kt,- Relations judiciaires.
Ke- Matière judiciaire .
Ki- Rôle des parties.
Ko- Rôle du juge.
Ku- Délits.
Ku- Guerre.
Ska- Religion. r : Superstition.
Enfin, chaque sous-classe comprend un certain nombre de mois
qui se distinguent par la variation de la dernière lettre. Voici,
par exemple, les mots rangés dans la dernière sous-classe (Ska-) :
r : nature.
r : misère.
r : profaner,
r : louer.
Skam
grâce.
Skan
félicité.
Skaf
adorer.
Skab
juger.
Skad
prier.
Skag
sacrifice.
Skap
sacrement,
Skat
mystère.
Skak
miracle.
DALGARNO 17
On voit que cette classification comprend à la fois les noms et
les verbes. L'auteur avait inventé des mots spéciaux pour servir
de pronoms, de particules et de flexions grammaticales.
On a pu remarquer que dans cette liste les mots se succèdent
dans un ordre déterminé, correspondant à l'ordre constant des
voyelles et des consonnes. Lorsqu'il n'y a pas assez de voyelles
ou de consonnes simples, on emploie à leur suite des voyelles ou
consonnes doubles.
Cet ordre constant établi entre les voyelles, d'une part, et les
consonnes, d'autre part, correspond à leurs valeurs numériques.
En effet, Dalgarno a inventé, pour traduire les nombres en
mots, la méthode suivante. A chacun des 10 chiffres il fait cor-
respondre une voyelle (ou diphtongue) et une consonne :
1
2
3
4 ■
5
6
7
8
9
0
Un nombre écrit dans le système décimal se traduira par un
mot contenant autant de lettres (voyelles et consonnes, alterna-
tivement) qu'il a de chiffres, chaque lettre correspondant au
chitïre de même rang (toutes ces lettres sont précédées de Tini-
tiale caractéristique V). Ainsi :
Vel signifie 30
Vado — 154
Vendo — 3234
Ventura — 32861
Dans les mots ordinaires de cette langue, chaque lettre n'a
pas un sens logique déterminé, attendu que ce sens varie du
tout au tout d'une classe à l'autre; elle n'a qu'un sens numé-
rique : elle indique le numéro d'ordre de la sous-classe dans la
classe, ou du mot dans la sous-classe. Mais comme, d'autre part,
l'ordre des sous-classes et celui des mots est presque toujours
absolument arbitraire, il en résulte que pour connaître ou
CouTURAT et Leau. — I.anfruo univ. ^
A
M
H
N
£
F
0
B
y
D
u
G
AI
P
El
T
01
K
I
L
18 SECTION I, CHAPITRE II
retrouver le sens d'un mot il faut savoir par cœur toute la clas
sification logique, c'est-à-dire tout le dictionnaire. Par exemple :
N^ika signifie Éléphant.
Nr,kTi — Cheval.
Nr.ke — Ane.
Nïiko — Mulet.
Pour retenir le sens de chacun de ces mots, si semblables de
forme, il faut se rappeler exactement l'ordre dans lequel les
animaux correspondants sont rangés, sans en omettre un seul.
On voit par cet exemple combien une telle langue est artificielle,
et par suite difficile à apprendre, à retenir et à pratiquer.
P.-S. — Dalgarno avait eu pour précurseur un autre Écossais, sir
Tliomas Urquhart (ou Urchard) de Cromarty (1611-1660), connu
surtout par sa traduction de Rabelais, devenue classique en Anglt-
terre, qui avait publié Logopandecteision, or an Inlroduclion to thc
Universal Language (London, in-4°, 1053). Ce projet tout théorique
ne compi^enait ni vocabulaire ni grammaire. Il y avait 12 parties du
discours; les noms avaient 11 genres, 11 cas et 4 nombres; les
verbes, 4 voix, 7 modes et H temps; enfin chaque mot devait avoir
au moins iO synonymes. L'indication la plus intéressante est
celle-ci : chacune des lettres d'un mot devait avoir un sens, de sorte
qu'on pourrait les intervertir sans inconvénient. Cela suffit à carac-
tériser une langue philosophique analogue à celle de Leibniz. — Un
autre projet a été conçu vers le même temps par le marquis de WoR-
CESTER {Century of thc Names and Scantling of... Inventions, 1663 -,
mais ce n'était qu'un « caractère universel », c'est-à-dire une pasi-
graphie que chacun pourrait lire dans sa propre langue. V. John
WiLLCOCK, Sir Thomas Urquhart of Cromartie (Edinburgh and Lon-
don, 1899).
CHAPITRE III
WILKINS'
John WiLKiNS (1614-1672), évéque de Chester, était un des
savants les plus éminents de l'Angleterre. Il lut un des fonda-
tours de la Société Royale de Londres, et son premier secrétaire.
Il avait publié, vingt ans avant l'ouvrage de Dalgarno, un Mercure
qui paraît n'être qu'un traité de Cryptographie ou de correspon-
<lance secrète 2. Le projet de Dalgarno fut probablement inspiré
par ce premier essai; Wilkins entreprit à son tour de le i)erlec-
tionner. Son projet, très complet et très développé, comprend à
la fois une langue philosophique et une pasigraphie idéogra-
phique {Caraclère réel) qui traduit les mots de la langue par des
<'spècos d'hiéroglyphes. Mais, comme ces mots peuvent aussi
s'écrire avec les lettres ordinaires, nous ne parlerons pas de
cotte i)asigraphie, que Leibniz jugeait entièrement inutile, et
plutôt rebutante^.
Le principe du système de Wilkins est le même que celui du
système de Dalgarno. Le vocabulaire est fondé sur une classifi-
cation logique de toutes les idées, réparties en 40 genres, que
caractérisent les deux premières lettres de chaque mot. Eu voici
la liste :
B* Idées transcendentales générales.
Ba Relations trenscendenlales mixtes.
Be Relations transcendentales d'action.
\. An Essai/ towards a Real Characler and a Philosop/iical Language (in-
Tolio, London, 1G68).
2. Mercury, or the secret and swift Messenger, sheiving hoiv a Man ma;/
irilli Privacg and Speed communicate his Thoiighls to a Friend al a Distance
(London, 1641).
3. Voir CouTLUAT, La Logique de Leibniz, p. 59.
20
SECTION
I. CHAPITRE m
Bi Discours (Langage).
Da Dieu.
Da Le monde.
De Les élémenls.
Di Les pierres.
Do Les métaux.
Ga Les plantes :
feuilles.
Ga -
fleurs.
Ge -
fruits.
Gi -
arbustes.
Go -
arbres.
Zx Les animaux
: exsangues.
Za -
poissons.
Ze -
oiseaux.
Zi —
bêtes (quadrupèdes)
Pa Parties particulières.
Pa Parties générales.
Pe Quontité : Grandeur.
Pi — Espace.
Po — Mesure.
Ta Qualité : Pouvoir naturel.
Ta — Habitude.
Te — Manières.
Ti — Qualités sensibles.
To — Maladies.
Ga Action spirituelle.
Ca Action corporelle.
Ce Mouvement.
Ci Opération.
Co Relations économiques.
Cy Possessions.
Sa Provisions.
Sa Relations civiles.
Se Relations judiciaires.
Si Relations militaires.
So Relations navales.
Sy Relations ecclésiastiques.
Chacun de ces 40 genres se divise en un certain nombre de
dljj'évences, et chaque différence en un certain nombre d'espèces.
Ces différences et ces espèces étant rangées par ordre, on leur
WILKINS 2 1
fait correspondre respectivement les 9 consonnes et les 9 voyelles
suivantes, qui représentent leurs numéros d'ordre :
1 2 3 4 5 G 7 8 9
Différences :bdgptczs n
Espèces : a a e i o u y yi yui
Un radical se compose des deux premières lettres correspon-
dant à son genre, de la consonne correspondant à sa différence,
et de la voyelle correspondant à son espèce. Par exemple, De
signifie Élément; Deb indique la 1'" différence du genre Élément.
à savoir Feu ; et Deba indique la l""* espèce de Feu, à savoir Flamme.
Aux radicaux ainsi constitués il faut ajouter les dérivations et
\cH flexions.
Les dérivations par affinité et par opposition sont indiquées par
la répétition de certaines lettres du radical, ou par la substitu-
tion des lettres opposées-.
Les adjectifs se forment en changeant la 1'''^ consonne du radical
suivant une certaine règle.
Les abstraits se forment en changeant (suivant la même règle)
la 2'' consonne du radical. Par exemple, Saba signifie roi; Sava
signifiera royauté '.
Les adverbes se forment en changeant la voyelle radicale en
diphtongue (en lui ajoutant un i).
Dans les substantifs, le pluriel s'indique en ajoutant -u à la fin
du radical.
Dans les verbes, Vactif ci le passif s'indiquent en insérant res-
pectivement 1 ou m après la première voyelle du radical.
Les radicaux, modifiés au besoin par les dérivations et les flexions
précédentes, constituent les mots proprement dits. Restent les
particules, qui sont de deux sortes : les particules grammaticales et
les particules transcendentales.
Les particules grammaticales sont
i" La copule (le verbe être);
2° Les pronoms;
1. Nous remplaçons par u le caractère grec composite (cursil) qui repré-
sente la diphtongue o-j. Wilkins a prévu le cas où il y aurait plus de 9 dif-
férences dans un genre ou plus de 9 espèces dans une différence, et inventé
un artifice pour continuer la numération avec des lettres.
2. Un tableau spécial indique les couples de lettres qui seront par conven-
tion considérées comme opposées.
3. Ces substitutions de consonnes sont rendues possibles par le fait que la
moitié seulement (9) sont employées à former les radicaux.
22 SECTION I, CHAPITRE III
3° Les interjections;
4" Les prépositions (monosyllabes commençant par L ou R) ;
y° Les adverbes (monosyllabes en M-);
6° Les conjonctions (monosyllabes en N-);
7" Les articles ;
8', 9" Les modes et les temps des verbes'.
Les particules transcendentales sont des syllabes (préfixes ou
suffixes) qui contiennent les voyelles a, a, ou e, et qui expriment
les relations suivantes par rapport à l'idée du radical :
Métaphore.
Similitude.
Espèce.
Manière.
Chose.
Personne.
Liou.
Temps.
Cause.
Signe.
Agrégat,
.•^égrégat.
Lamo.
Aiguille.
Outil.
Vase.
Instrument.
Machine.
Cloison.
Armemont
Vôtement.
Armure.
Maison.
Chanihre.
Habitude.
Art.
Officier.
Artiste.
Artisan.
Marchand.
Faculté.
Penchant.
Commencement
Képëtition.
Entreprise.
I^:ian.
Augmentation.
Diminution.
E.\c6s.
Défaut.
Perfection.
Corruption.
Voi.x.
Langage.
Màlo.
Fomello.
Jeune.
Partie.
WiLKiNS a un procédé analogue à celui de Dai.g.vh.vo pour lia
duire les nombres en mots : il ajoute à la syllabe Pob (caiaclc
ristique des noms de nombre) les voyelles ou consonnes qui
correspondent, dans le tableau donné plus haut, aux cliilTres
consécutifs du nombre à énoncer.
L'ouvrage de Wilkins se termine par un Dictionnaire où les
mots anglais sont rangés par ordre alphabétique; en regard de
chaque mot se trouve, soit l'indication des numéros de son
■ genre, de sa différence et de son espèce (au cas où ce mot est
catalogué dans la classification logique), soit la définition du
mot au moyen de radicaux catalogués (et, au besoin, de dériva-
tions ou de flexions).
Ce système a le môme défaut fondamental que celui de D.\i.-
G.\RNO, quoiqu'il soit théoriquement plus parfait. C'est celui qu(>
Leibniz jugeait le meilleur de tous ceux qui avaient été propo.sés
de son temps; il faisait grand cas de l'œuvre de Wilkins, et, s'en
inspirait fréquemment, tout en la discutant.
I. On voit par là que celte langue est tout à fait analytique.
CHAPITRE IV
LEIBNIZ'
Leibniz reprochait aux systèmes de Dalgarno et de Wilkins de
n"ôtre pas encore assez philosophiques. Il rêvait d'une langue
qui fût non seulement l'expression adéquate de la pensée, mais
un « instrument de la raison ». L'usage international devait être
le moindre avantage de cette langue : non seulement les mots
devaient traduire la définition des idées, mais ils devaient rendre
sensibles aux yeux leurs connexions, et par suite les vérités rela-
tives à ces idées, de telle sorte qu'on pût les déduire par des
transformations algébriques, et remplacer le raisonnement par
le calcul. Cette langue procédait directement de la conception
de la Caractéristique universelle, c'est-à-dire d'une Algèbre logique
applicable à toutes les idées et à tous les objets de la pensée.
Le principe de la Caractéristique était celui-ci : toutes les idées
complexes sont des combinaisons d'idées simples, de même que
tous les nombres non premiers sont des produits de nombres
premiers. La composition des idées entre elles est analogue à la
multiplication arithmétique, et la décomposition d'une idée en
ses éléments simples est analogue à la décomposition d'un
nombre en ses facteurs premiers. Cela admis, il est naturel de
représenter les idées simples par les nombres premiers, et les
idées composées de telles ou telles idées simples par le produit
des nombres premiers correspondants. Peu importe d'ailleurs
1. L'illustre philosophe (1046-1716) n'a composé aucun ouvrage spécial
touchant la Langue universelle. 11 a pensé à ce sujet pendant toute sa vie,
depuis l'âge de 18 ans; mais il s'en est surtout occupé vers 1679. Les nom-
breux textes relatifs à son projet sont dispersés dans plusieurs éditions, et
la plus grande partie est encore inédite. Les principaux sont cités ap. Col-
TURAT, La Logique de Leibniz, ch. 111, et Opuscules et fragments inédits de
Leibniz, notamment Phil. VII, B, ni.
24 SECTION I, CHAPITRE IV
que le nombre des idées simples soit petit ou grand, ou nuMne
infini : elles trouveront toujours assez de symboles dans la suite
des nombres premiers, qui est infinie. Toutes les vérités logiques
seront représentées par des vérités arithmétiques relatives à la
multiplication et à la division, comme celles de la table de
Pythagorc (Ex. : 2x3^6), et tout raisonnement se réduira à
un calcul numérique.
Pour transformer ce calcul logique en une langue, il suffit de
traduire les nombres par des mots prononçables, suivant une
méthode analogue à celles de Dalg.\rno et de ^VlLKINS. On repré
sentera les 9 chiffres significatifs par les 9 premières consonnes :
b, G, d, f, g, h, 1, m, n; et les unités décimales successives (1. K».
100, 1 000, 10000) par les 5 voyelles : a, e, i, o, u. Les unités d'ordre
supérieur pourront être représentées par des diphtongues. Dès
lors, pour énoncer ou pour écrire un nombre, il suffit d'énoncer
le nombre des unités de chaque ordre décimal, en associant la
consonne correspondant au chiffre et la voyelle correspondant
à l'ordre décimal. Par exemple, le nombre 81 374 s'écrira et se
prononcera : Mubodilefa.
Cette notation a sur celle de DALGAR^'0 cet avantage, que la
valeur numérique des lettres est indépendante de sa position (de
son rang), de sorte qu'on peut intervertir sans inconvénient les
syllabes du mot, chacune d'elles indiquant par sa voyelle l'ordre
d'unités qu'elle représente. Ainsi le môme nombre pourra aussi
bien s'énoncer : Bodifalemu, c'est-à-dire :
1 000 + 300 -f 4 + 70 -H 80 000 = 81 374.
Leibniz voit dans cette faculté de permuter les syllabes d'un
mot une grande commodité, et croit qu'elle offrira des ressources
merveilleuses pour la poésie et le chant. Il entrevoit même la
possibilité de traduire cette langue en musique.
Telle était l'idée première de sa Langue universelle. Mais pour
la réaliser, il fallait élaborer un vocabulaire et une grammaire.
Pour former le vocabulaire, il fallait analyser toutes les idées
de l'esprit humain, les réduire à leurs éléments simples, et dresser
le catalogue complet de ceux-ci, c'est-à-dire des idées premières.
D autre part, pour composer une grammaire « rationnelle », il
convenait d'étudier les grammaires des langues naturelles, pour
démêler et dénombrer les diverses relations des idées, exprimées
par les particules et par les flexions. Ce double travail d'analyse
logique des mots et des formes grammaticales, qui devait néces-
LEIBNIZ 2d
sairemont prendre pour base l'étude comparative des langues et
des grammaires, a beaucoup occupé Leibniz, et n'a jamais été
achevé. Aussi sa Langue philosophique est-elle restée à l'état de
projet théorique.
Toutefois, pour faciliter la transition des langues naturelles à
la langue « rationnelle », Leibniz fut amené à admettre un inter-
médiaire et un substitut provisoire. L'élaboration de la gram-
maire devait précéder celle du vocabulaire; par suite, en atten-
dant qu'on eût inventé les mots véintables, il était bon d'appliquer
les règles grammaticales à un substratum concret, qui ne pou-
vait être emprunté qu'à une langue naturelle. Leibniz choisit
naturellement le latin, qui était la langue savante de son temps.
C'est donc au vocabulaire latin qu'il veut appliquer provi-
soirement la grammaire philosophique. Celle-ci doit être, d'une
part, universelle, c'est-à-dire réunir toutes les ressources et tous
les avantages des grammaires naturelles, de manière à pouvoir
exprimer toutes les distinctions et toutes les nuances qu'offrent
les diverses langues; mais, d'autre part, elle doit être absolu-
ment régulière, c'est-à-dire exempte des exceptions, des anomalies
et des illogismes qui entachent toutes les grammaires naturelles.
De cette manière, elle sera à la fois plus riche et plus simple
qu'aucune d'elles; d'autant plus que Leibniz s'attache à en
bannir toute complication superflue. Cette partie de son œuvre
étant celle qui offre aujourd'hui le plus d'intérêt pratique, nous
allons l'exposer avec quelque détail.
En premier lieu, Leibniz déclare inutile et illogique la plura-
lité des déclinaisons et des conjugaisons. Il ne devra donc y
avoir qu'une seule déclinaison et qu'une seule conjugaison,
toutes deux absolument régulières et sans exception. De plus,
la distinction des genres est complètement inutile : on la suppri-
mera. Cette triple simplification rend déjà la langue rationnelle
bien plus facile qu'aucune langue naturelle; car, comme le
remarque expressément Leibniz, la partie la plus difficile de la
grammaire est la diversité des genres, des déclinaisons et des
conjugaisons. Mais la conjugaison peut se simplifier encore : la
variation du verbe suivant les personnes et les nombres est
inutile, car cette distinction est déjà indiquée par le sujet; c'est
là une sorte de pléonasme ou de double emploi, comme la varia-
tion du verbe suivant le genre, qui a lieu en hébreu. Même dans
le substantif, la distinction du nombre est inutile, car elle sera
26 SECTION I, CHAPITIIE IV
suffisamment indiquée par l'article ou l'adjectif démonstratif qui
le précède. De même Tadjoctif épithète n'a besoin d'aucune
flexion, puisquesesflexionsnefont que répétercelles du substantif.
D'ailleurs, Leibniz tend à supprimer le plus possible les
flexions •. En effet, elles font double emploi avec les particules :
les prépositions régissent les cas; les conjonctions régissent les
modes. Par conséquent, ou bien les cas et les modes dispensent
des particules, ou bien les particules dispensent des cas et des
modes. Cette dernière alternative est évidemment préférable, car
les particules sont bien plus nombreuses et plus variées que les
flexions; il serait impossible d'avoir autant de cas que de pré-
positions, et autant de modes que de conjonctions. Il faut donc
remplacer tous les cas par le nominatif })récédé de diverses
prépositions, et tous les modes par l'indicatif précédé de diverses
conjonctions. Il ne reste plus que la distinction des temps, qui
est essentielle au verbe, mais que Leibniz propose d'étendre aux
adjectifs (les participes l'ont déjà), aux adverbes, et même aux
substantifs (qui peuvent désigner une action passée, présente on
future) 2. De même, il applique les degrés de comparaison, non
seulement aux adjectifs et aux adverbes, mais aux verbes et aux
substantifs ^
Ces quatre classes de mots proprement dits (par opposition
aux particules) sont du reste intimement unies par la dérivation.
Dabord, il n'y a pas de difl"érence entre les adjectifs et les
adverbes : l'adverbe est l'adjectif du verbe. D'autre part, la dis-
tinction du substantif et de l'adjectif n'a pas grande importance
logique : le substantif est un adjectif joint à l'idée de chose ou d'être :
aussi tout adjectif peut-il devenir un substantif. Il n'y a donc on
définitive que deux classes de mots réellement distinctes : les
noms et les verbes. Mais les uns peuvent dériver des autres : l'hé-
breu fait dériver les noms des verbes; Leibniz aime mieux faiiv
dériver les verbes des noms, qui expriment des idées plus sim-
ples. Un verbe n'est souvent qu'un nom (un adjectif notamment)
accompagné du verbe être; celui-ci est donc le seul verbe essen-
1. En général, il préfère les langues analytiques (comme le français) aux
langues synthétiques (comme le latin).
2. Exemples : l'adjectif ridiculurus, pour qualiOer une chose qui sera ou
ueviendra ndicule (voir une jolie anecdote à ce propos dans les Opuscules
ineaus, p. zsy) ; les substantifs amavilio etamatâiritio, pour désigner le fait
d avoir aime ou de devoir aimer, l'amour passé ou futur (if>id.).
6. U. la règle de la marguerite de M. Bollack.
LEIBNIZ 27
tiol, et l'on pourrait former tous les autrescn l'employant comme
auxiliaire ou comme affixe. Ainsi, une fois qu'on aura établi
la liste des mots-racines, on devra dresser une liste des affixes
(jui serviront à former les mots dérivés ; chaque affixe devra
avoir un sens déterminé et absolument uniforme.
Si les mots proprement dits constituent la matière du discours,
\oi^ particules en constituent la forme; aussi Leibni-z attache-t-il
une grande importance à l'analyse de leur sens et de leur rôle
grammatical, non seulement pour la constitution d'une « langue
rationnelle », mais encore pour la connaissance des « diverses
formes de l'entendement > ' . Nous ne suivrons pas Leibniz dans le
détail de son « analyse des particules» (à laquelle il a consacré de
nombreuses pages inédites), justement parce qu'elle avait, selon
lui, une portée logique bien plus que philologique. Nous indi-
querons seulement qu'il avait une théorie ingénieuse au sujet des
prépositions : toutes les prépositions signifieraient primitive-
ment des relations de lieu, et c'est par des métaphores spatiales
qu'elles arriveraient à signifier des relations d'un tout autre
genre.
Nous n'insisterons pas non plus sur les défauts de ce projel,
qui sont ceux de toute langue philosophique. Nous avons indiqué
ailleurs ^ le vice capital du système de Leibniz : les idées ne se
combinent pas entre elles suivant un mode de composition
symétrique et uniforme comme la multiplication arithmétique;
elles ont entre elles des relations hétérogènes et très variées, qui
correspondent précisément aux particules, et qui devraient s'ex-
primer par autant d'opérations différentes. De plus, le nombre
des idées simples est beaucoup plus grand que ne le croyait
Leibniz, de sorte que VAlphabet des pensées humaines comprendrait
des centaines et peut-être des milliers de caractères; en leur
ajoutant la multitude de signes nécessaires pour traduire les
relations des idées, on obtiendrait une idéographie extrêmement
compliquée, et pratiquement inutilisable (lors môme qu'on réus-
sirait à la rendre énonçable sous une forme suffisamment concise
et claire). Enfin, la richesse même que Leibniz prévoyait pour sa
langue serait un grand défaut, car elle constituerait pour la
mémoire une surcharge effrayante. Non seulement, en elïet, il
1. Voir les Nouveaux Essais, livre 111, ch. vu.
2. L. CouTURAT, La Logique de Leibniz, Conclusion; Pour la Langu
internationale, p. 13-14.
28 SECTION I, CHAPITRE IV
faudrait reconnaître à l'œil et à l'oreille le même mol dans les
diverses permutations de ses syllabes; mais la môme idôe serait
exprimée par une foule de mots différents, correspondant A
autant de décompositions diflérentes du nombre correspondant
i en facteurs (non premiers)*. Pour comprendre une telle langue
et pour la parler, il faudrait, de Taveu même de Leibniz, avoir
constamment à l'esprit la table de Pythagore, c'est-à-dire elTec-
tuer sans cesse des multiplications et divisions moniales. On ne
peut rien dire de plus décisif pour prouver qu'une telle langue
serait impraticable.
1. Par exemple, le nombre 120 est susceptible de 7 décompositions en
2 facteurs: 2 x GO, 4 x 30, 8 :k 15, 3 X 40, 6 X 20, 12 X 10, 24 X 5: de S
en 3 facteurs, de 4 en 4 facteurs, et d'une en 5 facteurs (qui sont ses facteurs
premiers).
CHAPITRE V
DELORMEL *
L'auteur de ce projet, inspiré des idées humanitaires de la
Révolution, se propose « de rapprocher les hommes et les peuples
par le doux lien de la fraternité » au moyen d'une langue univer-
selle logique et régulière, tandis que nos langues « présentent à
chaque instant des irrégularités qui les rendent difficiles et lon-
gues à apprendre ». Il importe d'autant plus de remarquer qu'il
« n'entend point par là une langue qui supprime et remplace
les autres ». Il reconnaît qu'une telle langue ne peut être insti-
tuée que par le gouvernement : car autrement « chacun y tra-
vaillera à sa manière », et « le défaut d'uniformité en empêchera
le succès ». D'ailleurs, « jamais homme ne s'avisera d'apprendre
une langue, quelque aisé qu'il soit de s'en instruire, s'il ne sait
que d'autres l'apprennent comme lui ». On ne peut formuler avec
plus de force et de justesse les raisons qui rendent nécessaire
l'œuvre entreprise par la Délégation; et pour cela seul, Delormel
mériterait de n'être pas oublié dans cette Histoire.
Nous n'entrerons pas dans le détail de sa grammaire, toute a
priori et embarrassée de néologismes qu'il faudrait définir et
expliquer. Nous nous contenterons de donner une idée de son
vocabulaire. Celui-ci repose, en deux mots, sur une classification
logique des idées à base décimale ". C'est pourquoi l'alphabet
comprend 10 voyelles :
a, é, i, 0, u, au, ê. ei, eu, ou,
1. Projet cVune Langue universelle, pre'senlé à la Convention nationale,
par le Citoyen Delormel. A Paris, chez l'auteur, au ci-devant Collège de la
Marche, rue et Montagne Geneviève (sic). An 3 (1793). 50 p. in-8\
2. On pourrait donc voir en Delormel un précurseur de la classification
bibliographique décimale (Voir le Chapitre préliminaire).
30 SECTION I, CHAPITRE V
et 20 consonnes :
labiales : v, f, m, b, p;
dentales : d, t;
linguales : z, s, r, j, c (c/i);
palatales : n, 1, y;
gutturales: g (dur), k;
pectorale : h;
auxiliaires : q ign), x.
Cela posé, les radicaux (tous substantifs), d'où Ton lire par
dérivation les adjectifs, les verbes et les adverbes, sont distribués
dans les classes suivantes, caractérisées par des indicatives ini-
tiales :
a Grammaire.
au Agréables.
e Art de parler.
é Morale.
i État des cjioses.
ei Sensations.
0 Corrélatifs.
en Perception, jugement.
u Utiles.
ou AITections, passions.
V Mathématique.
r Commerce.
f Géographie.
j Marine.
m Chronologie.
c Art militaire.
b Physique.
n Arts et métiers.
p Astronomie.
1 Sciences.
d Minéraux.
y Législation.
t Végétaux.
g Religion.
z Animaux.
k Gouvernement.
s Médecine.
Les subdivisions de chacune de ces classes s'obtiennent en
ajoutant à l'initiale une 2" et une 3^ lettre. On forme ainsi des
radicaux de 3 lettres et de 2 syllabes. Les dérivés directs se forment
en intercalant une lettre entre ces 2 syllabes; et les dérivés secon-
daires, en intercalant 2 ou plusieurs lettres. Des exemples feront
comprendre ce système :
Ava ^ Grammaire.
Ave = Lettre.
Alve = voyelle.
Adve = consonne.
Avi = syllabe.
Avo = accent.
Avau =: mot.
DELORMEL 31
Âlvau := nom.
Alavau = nom commun.
Alevau = nom propre.
Âlivau = radical.
Alidvau = dérivé.
Alizvau = composé.
ol ainsi de suite, les subdivisions étant marquées par de nou-
velles lettres intercalaires.
Les particules sont formées tout aussi régulièrement : les pro-
noms personnels sont a, e, i; les nombres : za, ze, zi, zo, zu,...
pour les unités, da, de, di, do, du,., pour les dizaines, fa, fe, fi,
fo, fu,... pour les centaines (ba, be, bi, bo, bu désignant les unités
décimales d'ordre ternaire : mille, million...); les prépositions:
la, le, li, lo, lu,... les conjonctions : ta, te, ti, to, tu,...; et même
les interjections : ha, he, hi, ho, hu... ,
Les mots dérivés d'un radical et ses diverses flexions se for-
ment au moyen des l;j indicatives finales suivantes :
z marque le pluriel dans les articles et les pronoms;
V l'adjectif et le nombre ordinal;
b le plus-que-parfait du verbe;
p le passé —
d le présent —
s le futur antérieur —
r le futur
t l'adverbe;
1 le diminutif;
n — comparatif;
g — superlatif;
m l'augmentatif;
f — comparatif;
c — superlatif;
k la négation, ou plutôt le contraire; exemples : le ^= près
de, lek = loin de; li = dans, lik = hors de; lau =: devant, lauk =
derrière ; na =: avec, nak = sans.
Enfin les mois composés se forment aussi par intercalation du
radical déterminant au milieu du radical déterminé; par exemple,
de alve := voyelle et ze = deux on forme : alzeve = diphtongue.
Nous n'insisterons pas sur la critique de ce projet, qui n'a
qu'un intérêt historique. Il suffira de remarquer qu'il a les
mêmes défauts que toutes les langues philosophiques, car il
32 SECTION I, CHAPITRE V
repose comme elles sur « un tableau réfléchi des connaissances
humaines ». Toutes les flexions y sont également arbitraires. Il a
un défaut propre, qui est la formation des dérivés et composés
par intercalation : c'est là un procédé tout à fait contraire ;"i
l'esprit des langues européennes, et qu'on ne saurait trop évitei-,
car il dénature le radical et le rend méconnaissable; dans nos
langues, un radical est un bloc, dont les extrémités peuvent sans
doute s'altérer, mais dont le centre est immuable, et surtout insé-
parable.
CHAPITRE VI
SUDIIE : SOLRÉSOL *
Jean-François Sudre, né à Albi en 1787, était professeur à l'école
de Sorèze lorsqu'il eut (en 1817) l'idée de prendre pour éléments
d'une langue universelle, au lieu des sons divers et variables de
nos langues, les sept notes de la musique, signes uniformes,
invariables et vraiment universels. Ces notes pouvaient dailleurs
s'employer de sept manières différentes, qui constituent autant
de formes de la Langue musicale : 1" on peut énoncer ou écrire
les noms internationaux de ces notes, ou seulement leurs ini-
tiales (s = si, so = sol); 2° on peut les chanter ou les jouer sur
un instrument de musique quelconque; 3° on peut les écrire sur
une portée comme de la musique; 4° on peut les représenter par
7 signes sténographiques spéciaux, soit écrits, soit dessinés en
l'air avec le doigt-; ii» on peut les figurer par les 7 premiers
chiffres arabes, ou par les nombres correspondants de coups
sonores, de pressions tactiles, etc. ; 6" on peut les représenter par
les 7 couleurs du spectre (feux, lanternes, fusées, etc.) ; 7" enfin
on peut les désigner en touchant avec l'index de la main droite
les 4 doigts de la main gauche ou leurs intervalles (qui rempla-
cent ainsi la portée musicale). Plusieurs de ces modes de trans-
mission peuvent servir aux aveugles et aux sourds-muets, à qui
l'auteur espérait ainsi faciliter les relations sociales; d'autres
conviennent aux communications à distance, optiques ou acous-
tiques, sur terre ou sur mer, de jour ou de nuit, ou à la corres-
1. Langue musicale universelle, inventée par Fran(;ois Siure, également
inventeur de la Téléphonie. Double dictionnaire. 2* éd. xxxi -|- xxiv -j- 147
+ :il7 -j- 10 p. in-i" (Paris, 1800). Grammaire du Solrésol ou Langue uni-
verselle de Fr. Sudre, par Colesias Gajewski, 44 p. in-lG (Paris, 1902).
2. Inventés par Vincent Gajewski (1813-1881).
CouTURAT et I-EAU. — Laiiguc univ. 3
34 SECTION I, CHAPITRE VI
pondance secrète. Cette langue est donc à la fois parlée, écrile,
muette et occulte. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être musicien
pour l'apprendre.
Vocabulaire.
Le lexique est naturellement combiné tout entier a priori; mais
il ne repose pas, comme dans les langues philosoi)hiques, sur
une classification logique des idées. Les mots sont de 1, 2, 3, 4
ou :i syllabes suivant qu'ils sont formés par la combinaison dr
1, 2, 3, 4 ou 5 notes '.
Les combinaisons de 1 et 2 notes sont les particules et les pro-
noms : si = oui, do = non; re =et; mi = ou; sol = si (conj.i:
dore = je ; demi = tu ; dofa = il ; redo = mon ; remi = ton ;
refa = son, etc.
Les combinaisons de 3 notes sont les mots les plus usités :
doredo = temps ; doremi =jour; dorefa = semaine; doresol = mois ;
dorela = année; doresi = siècle, etc.
Les combinaisons de 4 notes sont distribuées en 7 classes
(assez improprement appelées clefs) d'après la note initiale : la
clef de do appartient à l'homme physique et moral; celle de re,
à la famille, au ménage et à la toilette; celle de mi, aux actions
de l'homme et à ses défauts; celle de fa, h la campagne, aux
voyages, à la guerre et à la marine; celle de sol, aux arts et aux
sciences; celle delà, à l'industrie et au commerce; celle de si,
aux rapports politiques et sociaux ^.
Enfin les combinaisons de 5 notes fournissent la nomenclatur<>
des trois règnes : animal, végétal et minéral.
Les dérivations s'effectuent de trois manières :
i° Quand un mot représente un verbe, le nom de chose, le
nom de personne, l'adjectif et l'adverbe qui procèdent de l'idée
verbale se forment en accentuant respectivement la f", la 2«, la
3° ou la 4« syllabe du mot. Par exemple :
sirelasi (sans accent) = constituer.
sirelasi = constitution.
1. Uy a 7 mots de I syllabe; 49 de 2; .330 de 3; 2 268 de 4, et 9 072 do 5.
2. Nous ne parlons pas, pour simplifier, de la 2' partie du vocabulaire,
contenant les notes répétées, et dont les divisions ne correspondent pas
exactement aux 7 clefs précédentes. Par exemple, la clef de mi y comprend
les adverbes et les prépositions.
SUDRE : SOLRÉSOL 35
sirêlasi = constituant.
sirelâsi = constitutionnel.
sirelasî = constitutionnellement.
2° Le contraire d'une idée s'exprime en renversant l'ordre des
syllabes du mot correspondant : Ex. : domisol (accord parfait) =
Dieu, solmido = Satan ; misol == le bien, solmi = le mal ; soUasi =
monter, silasol = descendre.
3° Les degrés d'une idée (d'un adjectif ou d'un subs!antif)
se marquent par les particules fasi (augmentative) et sifa
(diminutive) ; on obtient le l'"'" degré (comparatif) en la plaçant
avant, et le 2° degré (superlatif) en la plaçant après le mot
modifié.
Enfin, pour pouvoir incorporer au besoin les noms propres,
termes géographiques, etc., l'auteur a prévu une transcription
en notes des lettres de l'alphabet.
• Gramm.\ire.
On a vu comment se distinguent les diverses « parties du
discours » qui correspondent à une môme idée : à savoir par le
renforcement d'une note, marquée d'un accent circonflexe.
Deux autres flexions grammaticales, dans les substantifs, se
marquent aussi par des accents : le féminin (naturel), exprimé
par la répétition de la voyelle de la note finale (marquée d'une
barre supérieure) ; et le pluriel, exprimé par la répétition de la
consonne initiale de la note finale (marquée d'un accent aigu).
Ex. : sisol = monsieur; sisôl (prononcez sisool) = madame;
dofaa =: elle; doffaa = elles.
Le substantif ne prend ces marques du féminin et du pluriel
que lorsqu'il est isolé; autrement, il reste invariable, et c'est
l'article qui les prend. 11 n'y a qu'un article défini; et pas d'article
indéfini ou partitif.
L'article sert encore à marquer les cas, réduits à trois : le
nominatif accusatif la ; le datif {à, au, à la, aux) fa ; et le génitif-
ablatif {de, du, de la, des) lasi.
L'adjectif est invariable, et Suit toujours son substantif. On a
vu comment se forment ses degrés de signification.
Le verbe est invariable; l'infinitif sert aussi d'indicatif présent.
La conjugaison se fait au moyen de particules auxiliaires qui
36 SECTION I, CHAPITRE VI
indiquent le temps et le mode (le nombre et la personne étant
indiqués par le pronom-sujet). Ce sont :
dodo pour Vindicatif imparfait;
j.gj.g — plus-que-parfait:
mimi — /«'"'''
fafa pour \e conditionnel présent ;
solsol — Yimpératif;
lala — le participe actif;
sisi — le participe passif.
Le passif se forme au moyen du verbe auxiliaire être = faremi.
L'interrogation s'indique en mettant le pronom-sujet après le
verbe ; la négation s'exprime par do.
Historique.
C'est dix ans seulement après avoir conçu la première idée de
sa langue musicale universelle que Sudre présenta son travail,
encore incomplet, à l'Académie des Beaux-Arts de Paris (1827).
Il travailla pendant quarante-cinq ans à le compléter et à le
perfectionner. A sa mort (2 octobre 1862), son vocabulaire n'était
pas encore imprimé. 11 fut publié par sa veuve en 1866, et c'est
alors seulement que le Solrésol fit son entrée dans le monde.
Toutefois, il avait déjà reçu les plus bautes et les plus flatteuses
approbations : et d'abord, celle de plusieurs commissions suc-
cessives de Vinstitut de France (1827, 1833, 1839,1856), où figuraient
des savants comme Prony, Arago, Fourier, Flourens, des musi-
ciens comme Cherubini, Lesueur, Auber, Bo'ieldieu, Halévy, et
l'illustre philologue Emile Burnouf ; puis celle de nombreuses
sociétés savantes, notamment des Académies de Metz (1844), de
Rouen (1845), de Bordeaux (1860). Le Solrésol fut récompensé tour
à tour par le Cercle des Arts (1841), la Société libre des Beaux-Arts
(1842), Y Athénée de Paris (1843), la Société d'encouragement (18o;>); il
fut honoré à l'Exposition universelle de Paris (1835) d'une
récompense exceptionnelle de dix mille francs, et à l'Exposition
de Londres (1862) d'une médaille d'honneur*. Enfin il fit
l'objet de rapports, tous favorables, de plusieurs commissions
d'officiers généraux nommées par les ministres de la guerre et
1 . Sur le rapport du physicien Lissajoux.
SUDRE : SOLRÉSOL 37
de la marine en 1829, 1843, 1833, 1864 '. Le maréchal Soult mit à
l'étude la Téléphonie dans l'armée de terre, et l'amiral de La Uon-
cière Le Noury proposait de l'adopter dans la marine de guerre.
L'auteur reçut des encouragements et des témoignages de sym-
l)athie de Victor Hugo, de Lamartine et d'Alexandre de Hum-
boldt; il fut présenté à Napoléon III à Plombières (1837) et invité
à expérimenter sa méthode devant l'Empereur. Il parcourut pen-
dant de longues années la France et l'Angleterre pour faire
connaître son système; et, après sa mort, sa veuve continua
courageusement son apostolat. Elle fonda, avec le concours de
Vincent Gajewski, la Société pour la propagation de la Langue uni-
verselle Solrésol, qui existe toujours '^.
Critique.
On a peine à s'expliquer le succès relatif de cette langue, la
plus pauvre, la plus artificielle et la plus impraticable de toutes
les langues a priori. Il n'est pas besoin de longues réflexions
pour s'apercevoir combien est vaine la tentative d'exprimer
toutes les idées humaines au moyen de 7 syllabes seulement,
toujours les mêmes. Avec une base aussi étroite, on comprend
aisément que la langue soit d'une rebutante monotonie; en outre,
les mots, tous semblables, défient la mémoire la plus sûre. En
somme, le Solrésol présente, à un degré suprême, tous les défauts
pratiques des langues philosophiques, sans en avoir les avan-
tages théoriques.
En effet, la logique est la moindre qualité de ce système. Il
suffit, pour s'en convaincre, d'examiner la numération : elle
procède par périodes de 6 nombres, ce qui jure avec le système
décimal; on nomme successivement les nombres de 1 à 20, puis :
.30, 40, 30, 60, 80, 100, 1000, 1 million, en omettant 70 et 90, ce
qui est un pur gallicisme. Autre exemple : il n'y a aucun lien
de dérivation entre les pronoms personnels et les pronoms
possessifs; dore (je) n'est pas non plus le contraire de redo
1. A la suite d'un rapport du général baron Marbot (1839), une récom-
pense nationale de 5Ô 000 francs fut allouée à Sudre; mais elle ne fut jamais
payée.
2. Son secrétaire général est M. Boleslas Gajewski, flls de Vincent
Gajewski (113, avenue de Saint-Mandé, Paris).
38 SECTION I, CHAPITRE VI
(mon), ni remi {ton) celui de mire (qui); tandis que misi (bonsoir)
est le contraire de simi {bonjour).
La règle de dérivation des quatre ou cinq sens du même mot
dont on change l'accentuation n'est pas non plus appliquée uni-
formément. A côté de la série suivante : lafalami = Géométrie,
géomètre, géométrique, géométriquement, on trouve celle-ci : fasol-
lasol = Vaisseau, navire, brick, corvette, frégate, qui comprend des
espèces différentes du même genre, et non pas le substantif
(navigateur), l'adjectif (naval), le verbe (naviguer ') et l'adverbe
(navalement) dérivés de l'idée de vaisseau. D'ailleurs, la classifica-
tion des idées correspondant aux combinaisons successives de
notes n'est pas plus régulière, et est faite sans aucun principe
logique; elles sont rangées dans un ordre à peu près arbitraire,
et en tout cas absolument empirique 2.
Mais, lors même que cette classification serait régulière, elle
subirait de nombreuses infractions par suite de la règle d'inver-
sion. En effet, quand on retourne un mot pour exprimer l'idée
contraire, la dernière syllabe devient la première, et ne corres-
pond plus à la clef à laquelle le mot devrait appartenir. Le mot
vient donc s'insérer, dans l'ordre « alphabétique », entre les
mots d'une tout autre classe d'idées. C'est ainsi qu'entre redore
= philosophie et redofa = morale s'intercale redomi = répugnance,
contraire de midore =: sympathie. Inversement, le mot qui signifie
démoraliser (fadore) se trouvera, bien loin de son inverse redofa,
dans la clef de fa. Le contraire de domiresi = entendre, est
siremido = être sourd, et se trouve égaré dans la clef de si parmi
les idées relatives au gouvernement des Etats (député, dynastie,
empire, royauté). Ces mots (imprimés en italiques dans le diction-
naire) constituent des lacunes choquantes et trompeuses dans
l'ordre établi tant bien que mal entre les idées analogues 3.
Il y a pis encore : certains mots sont l'inverse l'un de l'autre
sans exprimer le moins du monde des idées contraires. Ex. :
dosidomi = légume, midosido = sacrifice *.
1. Traduit par faladore.
2. Entre faladore = naviguer et faladosol = ramer se trouvent intercalés
faladomi = espace et faladofa = lieue.
3. D'ailleurs, cette idée de l'inversion, théoriquement ingénieuse et sédui-
sante, n'est pas du tout pratique; car la relation entre un mot et son inverse
est bien peu sensible, et demande un effort de réflexion pour être aperçue.
Cela tient à ce que le temps n'est pas réversible, ou que la succession n'est
pas une relation symétrique.
4. Critique due à M. Dormoy, auteur du Balta.
SUDRE : SOLRÉSOL 39
Enliu une source d'équivoques encore plus grave est la liision
possible entre plusieurs mots consécutils; la interne phrase
(succession de notes) peut avoir des sens tout différents suivant
la manière de couper les mots : famisi domido = porter l'univers;
mais fami sidomido = cette place *. On voit que les amateurs de
calend.)ours et de logogrii)lies auraient beau jeu dans une telle
langue. Aussi est-il recommandé aux adeptes de bien séparer les
mots dans la prononciation. Mais ce précepte, bon tout au plus
pour les novices, est la condamnation de la langue, comme
langue parlée; car il revient à dire que la conversation cou-
rante y est impraticable.
Nous n'insisterions pas tant sur la critique de ce système, s'il
n'avait pas reçu des approbations si nombreuses et si autorisées.
On a môme peine à se les expliquer, tant elles contrastent avec
la défiance, le scepticisme et surtout l'inertie auxquels des
projets infiniment supérieurs se heurtent encore de nos jours
dans le monde savant. Nous croyons toutefois en découvrir deux
raisons. D'une part, Sudre paraît avoir été guidé par la pensée,
éminemment philanthropique, détendre les bienfaits de la langue
universelle aux aveugles et aux sourds-muets; et cette pensée a
pu toucher les savants, les artistes et les lettrés dont nous avons
cité les noms. D'autre part, l'application de son système (la
Téléphonie) aux communications (optiques ou acoustiques) à
grande distance ou de nuit a pu séduire à bon droit les autorités
militaires et navales qui l'ont ajjprécié favorablement; et en
effet, ce sont des combinaisons analogues qui constituent le
Code international des signaux maritimes, adoi)té depuis lors.
Ainsi le système peut recevoir des applications pratiques dans
certaines circonstances spéciales. Mais il n'est pas raisonnable
de s'astreindre à des conditions aussi gênantes et aussi restric-
tives pour élai)orer une langue d'un usage universel et courant.
Autant vaudrait chercher à construire une bicyclette qui i)iit
servir même aux boiteux.
1. Autre exemple : la fadomi = la lettre; lafadomi = additionner.
CHAPITRE VII
GROSSELIN
La langue universelle de Grosselin se compose de lliOO mots,
dits racines, et de 100 suffixes de d«''rivation {terminaisons modifica
trices). « Chaque racine correspond à un numéro qui est l'expres-
sion écrite de l'idée. » Les nombres de 1 à 100 représentent les
particules et les noms de nombre; de 101 à 200, les parties des
animaux; de 201 à 300, les espèces animales; de 301 à 500", les végé-
taux et leurs parties; la 6° centaine est consacrée aux phénomènes
et aux corps naturels, la l'' à l'habitation de l'homme, la 8" aux
vêtements, jeux, armes, la 9« aux machines et outils, la 10« à l:i
métaphysique et à la littérature. Les H» et 12" contiennent les
qualités (adjectifs); les 3 dernières contiennent les actions (verbes).
De même, les suffixes sont numérotés de 1 à iOO, et dans
l'écriture ils se mettent en exposant du radical. Ex. : 1091 = roi,
i r=r qualité abstraite : 1091* =^ royauté; 30 = opinion, parti,
secte : 1091^0 = royalisme; 1047 = vieux, 9 = devenir : 1047' =
vieillir, et ainsi de suite. Les llexions grammaticales sont indi-
quées par des préfixes analogues.
Jusqu'ici, rien ne distingue le système de Grosselin d'une
pasigraphie par chiffres ^. Pour en faire une langue, l'auteur n'a
eu qu'à assigner des sons à ses chiffres. Les petits chiffres cor-
respondent aux voyelles ou diphtongues :
a, è, 0, ou, eu, i, ai, ei, oi, é,
et les grands chiffres aux consonnes :
p, f, m, t, s, ch, k, n, 1, r,
1. Système de Langue universelle, par A. Grosselin : Grammaire abrégée
de la Langue universelle, précédée d'un discours de l'auteur. 11 + 24 p.
in-8\ Paris, Rorct, 1836.
2. Comme celles de Paic et de Bachmaier, qui lui sont postérieures.
GROSSELIN 41
qui peuvent indifféremment être remplacées par les douces cor-
respondantes, ce qui donne une certaine latitude à la pronon-
ciation. Ainsi les affixes sont des groupes de voyelles, et les
radicaux des groupes de consonnes. Pour rendre ceux-ci pro-
nonçables, l'auteur y intercale des voyelles (non significatives)
suivant une règle assez compliquée. Ex. : 201 = frap = homme.
La conjugaison s'elïectue au moyen de voyelles : celle qui indique
la personne (avec le nombre et le genre) se met avant le radical ;
celle qui indique le mode s'intercale après la l""" consonne du
radical; et celle qui indique le temps, après la 2" consonne.
On le voit, dans ce système, « c'est l'écriture qui représente
directement les idées, et la parole devient une traduction de
l'écriture ». C'est pour ainsi dire une pasigraphie parlée.
Nous passons sous silence les signes sténographiques par
lesquels l'auteur remplace ses chiffres ou ses lettres; et les pro-
cédés mnémotechniciues qu'il a imaginés pour apprendre plus
facilement le v^ocabulaire, c'est-à-dire les séries d'idées qui cor-
respondent aux nombres successifs. Ces procédés nous paraissent
d'une efficacité douteuse; mais, loin d'en blâmer l'auteur, nous
lui ferons un mérite d'avoir aperçu la difficulté, et d'avoir cherché
à y remédier.
Nous ne nous attarderons pas à critiquer la grammaire, abso-
lument contraire à l'esprit de nos langues, on l'a vu, puisqu'elle
emploie des préfixes et, qui pis est, des infixes K Nous voulons
seulement faire remarquer une illusion de l'auteur (illusion très
fréquente), qui consiste à prétendre qu'avec loOO racines et
iOO affixes de dérivation on peut former 150000 mots, et obtenir
ainsi un dictionnaire très riche*. C'est que, en réalité, l'immense
majorité des combinaisons ainsi obtenues n'aurait aucun sens.
Soit 101 := tète : que signifierait 101' = qualité de tôte; lOP** =
parti de la tête; 101® = devenir tête, etc.?
En revanche, il y a quelque outrecuidance, et beaucoup de
naïveté, à prétendre que 1500 racines suffisent à former tous les
mots dont on a besoin, et à réserver, en tout et pour tout,
20 racines aux espèces de mammifèi^es, 30 aux oiseaux, 20 aux
poissons, et ainsi de suite. Comment désignera-ton les espèces
qui ne figurent pas dans le catalogue trop sommaire de l'auteur?
1. Cf. la critique de Delormel (ch. v).
2. Et même 15 millions de mots, en ajoutant 2 affl.ves au même radical.
42 SECTION I, CHAPITRE VII
Par des dérivés sans doute! De même, il est puéril de réserver
100 racines, pas une de plus, aux machines : n'en invente-t-on
pas tous les jours de nouvelles? Comment l'auteur eût-il traduit
ivagon, locomotive, télégraphe, téléphone, phonographe. <|ui manquent
(et pour cause) à son vocabulaire, et qui ne trouveraient pas de
place dans sa classification? On voit par ces exemples combien il
est vain de prétendre dresser une fois pour toutes le catalogue
de nos idées, et en faire une énumération et une classification
complètes. Il faut toutefois reconnaître que Grosselin a fort
judicieusement fait place dans son lexique à des radicaux adjec-
tifs et même verbes, alors que tant d'auteurs de langues a priori
et même mixtes (Volaptik, Bolak. etc.), veulent systématiquement
prendre pour racines les substantifs seuls. Il emploie mémo
comme racines les particules, ce qui est logique et ingénieux '.
Par exemple, les adverbes de temps et de lieu {quand? où.'
dérivent des pronoms (quel?); de 0.3 = auprès dérive l'adjectif
53^ =: voisin; de 33 = chez dérive le verbe fréquentatif 33" =
fréquenter.
1. Cf. VEsperanlo.
CHAPITRE VIII
VIDAL: LANGUE UNIVERSELLE ET ANALYTIQUE^
V alphabet comprend 22 consonnes et 13 voyelles, classées
comme suit :
d
t
u
g
k
2 (ou)
b
P
é
V
f
a
i
X
i
6 (r lingual)
1
0
z
s
7 {oui)
ç (dn)
c
m
8 (ei)
y
û
ign)
9 (ai)
n
r
(guttural)
œ
m
à
h
ô
e
Les 9 premières lettres de chaque colonne ont la valeur numé-
rique qui correspond à leur rang (et pour certaines à leur
figure). « Dans ce système, les chiffres et les lettres sont une
seule et môme chose » (p. 34). Aussi nous dispenserons-nous
d'exposer le système de numération, à la fois compliqué et illo-
gique.
Voici la classification des parties du discours d'après leur forme :
Tout mot d'une lettre, si c'est une consonne, est un pronom
personnel; si c'est une voyelle, c'est un verbe.
1. Langue universelle et analytique, par E.-T.-T. Vidal, auteur de la Sto-
nograpliie verticale. 414 p. in-16 (Paris, Sirou, 1844).
4i SECTION I, CHAPITRE VIII
Tout mot de deux lettres (forme cv) est une forme personnelle
du verbe être (pronom et verbe).
Tout mot de trois lettres terminé par un a est un article; toi-
miné pari ou o, est un pronom: par è, une préposition: par 2 ou
œ, un adverbe; par n, une conjonction.
Tout mot de plus de trois lettres terminé par une voyelle est un
substantif; terminé par une consonne, un adjectif.
Les pronoms personnels sont :
l'^p.
2«p.
3" p. m.
3' p. f,
Sing.
V
b
g
d
Plur.
f
P
k
t
Ces consonnes se combinent avec les voyelles qui constituent
les divers temps du verbe être : i, indicatif présent; a, imparfait;
è, passé; u, plus-que-parfait; o, futur; on, futur antérieur, etc.
Ainsi l'indicatif présent se conjugue comme suit : vl, bi, gi; fi, pi,
ki; l'imparfait : va, ba, ga,... et ainsi de suite.
Le vocabulaire ne comprend que des radicaux substantifs, iden-
tiques aux nombres; ils sont rangés par ordre alphabétique ou
numérique, et correspondent à une classification logique des
idées. Les initiales désignent les vingt classes suprêmes :
N : mesure, matière, forme, mouvement.
Z : végétaux.
B : animaux.
T : homme physique.
D : homme moral.
F : homme social.
FL : métiers.
F : agriculture, arts alimentaires,
K : arts-sciences, langue, etc.
R : temps, transports.
BL, PL : dignitaires et dignités.
G : lieux, géographie.
S : Dieu, physique et métaphysique.
J : homme sensible.
L : homme intelligent.
V : homme pieux (religion).
KL : homme civilisé.
X : industrie, commerce.
GL : arts libéraux-
VIDAL : LANGUE UNIVERSELLE ET ANALYTIQUE 45
M : arts, sciences K
Si l'on ajoute à chacune de ces consonnes une voyelle, on
obtient le nom des premières subdivisions. Ex. : bu = quadru-
pède; b2 = oiseau; hé = poisson; ba = insecte. Ensuite, à chacune
de ces sylialics on peut ajouter 20 consonnes, puis 6 voyelles, ce
qui donne pour chacune 120 mots de 4 lettres. Ex. : ga = géogra-
phie ; gan2 = Europe ; gané = Asie ; gana == Afrique ; gani = Amé-
rique; garu = Russie; gar2 = Saint-Pétersbourg ; de même : ginu
=:: France, gin2 = Paris, etc. On voit que, comme l'auteur s'en
vante (p. 12), l'ordre numérique, l'ordre alphabétique et l'ordre
des matières ne font qu'un.
Avec ces radicaux on forme des substantifs dérivés au moyen
de 96 syllabes-préfixes. On en tire également les adjectifs : « il
suffit d'ajouter une de ces 5 lettres : n, s, 1, x, ô à une voyelle
d'un substantif pour le changer en adjectif » (p. 351).
Ces indications suffisent à montrer combien un tel système est
peu pratique, et contraire à toutes les habitudes et à toutes les
lois du langage naturel. .
1. Les 12 premières classes sont identiques aux 12 classes suprêmes de la
Pasigraphie de Maimieux (1797). C'est ce qui explique (sans le justifier) le
désordre de cette classification, où les 8 dernières classes font visiblement
double emploi avec les premières.
CHAPITRE IX
LETELLIER
L'auteur de ce projet de langue, qui lui avait coftté quinze ans
de travail, et qui était achevé en 18o0, est parti de cette idée, que
la langue universelle ne doit être ni une langue morte, ni une
langue vivante, ni une langue inventée sur le modèle des langues
vivantes. Elle doit être fondée, selon lui, sur la théorie du langage,
dont voici le principal axiome : * Les lettres ou caractères dont
se compose le mot théorique doivent représenter quelque analyse
de l'idée qu'il prétend communiquer » ; la théorie du langage
n'est donc pas autre chose qu'un inventaire de toutes nos idées,
1. Cours complet de Langue univei'selle , offrant on mi^inc temps une
méthode facile et sûre pour apprendre les langues, et pour comparer, en
quelques mois, toutes les littératures mortes et vivantes, par C.-L.-A. Letel-
LiER, ex-régent de rhétorique à Lisieux, ex-inspecteur des écoles du Cal-
vados. 4 vol. in-8" (Caen, Chesnel, 1852-55) 1. 1 (xlviii + 372 p.) : Grammaire;
t. 11 (ix + 4G6 p.) : Radicaux ; t. III (m 4-515 p.) : Applications aux Sciences ;
t. IV (x-|-539 p.) : Applications aux Lettres. — Clef de la théorie du lan-
gage qui donne naissance à la Langue universelle, par Letellier, 23 p. in-S"
(Paris, Duprat, 1856). — Etablissement immédiat de la Langue universelle,
par Letellier, 52 p. in-8*, introduction à la 2" édition du t. I du Cows com-
plet (Paris, Duprat, 1861). — Méthode du mot théorique grammatical pour
apprendre en quelques mois une langue morte ou vivante... 2* éd. v -}- 87
p. 8° (Caen, 1870). — Théorie des langues maternelles et du langage interna-
tional, 2" éd. XXXI + 265 p. 8° (Caen, 1883). — Dictionnaire de 30.000 mois
internationaux définis par les lettres qui les composent et par la classifica-
tion des idées, xiv 4-315+ 19 p. 8° (Caen, 1886). — Petit Atlas de classifi-
cation pour toutes les idées jusqu'à la 4" division, ou pour tous les mots
internationaux jusqu'à la â" lettre, vu 4" 101 p. 8° (Caen, 1886). Mention-
nons aussi les autres ouvrages de l'auteur, qui se rapportent au même
sujet : Les Lois de la parole, examen critique des bases sur lesquelles repo-
sent les langues orientales et occidentales (1861) ; — Le mot, hase de la raison
et source de ses progrès (1875); — Le mot Dieu, étude philosophique sur la
pensée, la raison et la vérité relative (1880). Tous ces ouvrages se trouvent
chez le D' Letellier (fils de l'auteur), 41, rue de Bayeux, à Caen.
LETELLIER 47
soumises à une analyse logique que doit traduire la nomencla-
ture. Or nos idées se répartissent en deux grandes classes : les
idées de rapport, exprimées par les flexions grammaticales; et
les concepts absolus, exprimés par les radicaux. L'analyse de
chaque mot du discours doit donc être double : l'analyse gramma-
ticale (déjà connue) détermine le sens des flexions, et par suite les
relations du mot et son rôle dans la phrase. Il faut y joindre
ïanalyse radicale (que l'auteur croit avoir inventée), qui détermine
le sens du radical et sa place dans la classification logique.
Cette théorie du langage, qui n'implique pas nécessairement
rétablissement de la Langue universelle, bien qu'elle y conduise
directement, a sa valeur et son utilité propres; on peut et on
doit la juger en elle-même, selon l'auteur, indépendamment de
toute application pratique. C'est même là, selon lui, le critérium
d'après lequel on doit juger tout projet de langue universelle :
il faut demander aux principes proposés ce qu'ils apportent
d'utile au milieu des éléments de la langue que l'on parle, c'est-à-
dire s'ils font mieux comprendre et mieux analyser nos langues
naturelles. L'auteur ne désire nullement supprimer ou remplacer
les langues vivantes ; il ne prétend même pas créer à lui seul la
langue universelle. Il demande seulement que des savants réunis
en Congrès ou en Académie se pénètrent de la théorie du lan-
gage, et créent eux-mêmes la langue universelle qui est une
conséquence de cette théorie. Pour que la théorie du langage
engendrât la langue universelle, il suffirait que les principes de
cette théorie fussent adoptés par les délégués de quatre ou cinq
grandes nations européennes. L'auteur soumet d'avance son
système à « la commission internationale » ou à 1' « académie
formée des délégués de tous les idiomes » (t. II, p. 329).
Grammaire.
Suivant les principes mêmes de la langue, son exposition est
divisée en deux parties (dont chacune forme un volume de son
grand ouvrage) : l'une concerne les Grammaticaux, c'est-à-dire
les éléments grammaticaux des mots et de la phrase (flexions
et particules); l'autre concerne les Radicaux (éléments invaria-
bles des mots).
Cette distinction est si importante, qu'elle règne même dans
48 SECTION I, CHAPITRE IX
l'alphabet, où les lettres sont divisées en radicales et grammati-
cales. Voici le tableau des 15 voyelles et IG consonnes (nous
ajoutons la prononciation entre parenthèses) :
VOYELLES
, ( Douces : a, e, i, o, u.
Radicales l ^ , _,._,,.,-,.,- ,^s - , ,
( Fortes : a (a), e (e), i (m), o {6), u (ou).
Grammaticales : à (an), é (e muet), ê (eu), ô (on), ù (mi)
CONSONNES
Douces : b, g (dur), d, v, j.
Fortes : p, c (k), t, f, h (c/i).
Radicales
Grammaticales : 1, m, n. r, s, z
Vaccent n'est d'aucune utilité, suivant l'auteur (II, 332); c'est
une richesse de sa langue de n'avoir aucune accentuation propre;
elle se prête ainsi à tous les systèmes de versificatioa (II, 334-j).
Tout radical est substantif et commence par une voyelle. Par
suite, la première voyelle d'un moi est la première lettre de son
radical; et toute consonne initiale est grammaticale. C'est ainsi
que la consonne initiale
b- caractérise un adjectif qualificatif ,
p- — un adjectif déterminatif
g- — un verbe,
c- — un participe,
j- — un adverbe simple,
h- — un adverbe dérivé,
d- — un pronom,
t- — une préposition,
V- — une conjonction,
t- — une interjection.
Les substantifs se déclinent comme suit. On ajoute au radical,
au singulier :
-a pour former le nominatij;
•e — Vaccusatif;
-i — le génitif;
-0 — Vablatif;
-u — le datif.
LETELLIER 49
Au pluriel, on remplace chacune de ces voyelles douces par la
voyelle forte correspondante (voir Y Alphabet). Le radical substantif
est masculin en principe. Pour former le féminin et le neutre, il
suffit d'intercaler respectivement r ou s entre le radical et la
désinence casuelle.
L'article défini n'est pas autre chose que le grammatical de son
substantif, placé avant lui. Ainsi : a ^ /e, ra = la (au nominatif).
Les adjectifs s'accordent avec leur substantif, c'est-à-dire pren-
nent le même grammatical.
Les pronoms personnels (caractéristique d-) sont : da (l'i^pers.),
de (2" pers.), di (3" pers.). Ils se déclinent comme les substantifs :
les pronoms du pluriel sont le pluriel des pronoms du singulier.
Les pronoms possessifs sont : di (1'® pers.), de (2^ pers.), di (3^ pers.).
Le pronom démonstratif est do ;
— indéfini du ;
— interrogalif do ;
— relatif dû ' .
Les adjectifs déterminatlfs (caractéristique p-) sont :
1" Les adjectifs possessifs : pa (mon), pe (ton), pi {son); pa (notre),
pi (vo^re), pi (/eur)^.
2° L'adjectif démonstratif: po ;
3° — indéfini: pu;
4*5 — interrogalif: po;
')'> — numéral cardinal: T^û-;
1)0 — numéral ordinal : pê-^.
L'article indéfini est formé par pu- et le grammatical du substantif.
Les verbes ont une conjugaison uniforme, qui s'effectue au
moyen des lettres suivantes :
1" Voix : g pour l'actif; r pour le passif; 1 pour le neutre; s pour
l'impersonnel (lettres mises avant le radical) ;
2'^ Modes : 1 marque Vindicatif; m, le conditionnel-optatif; n, Vimpé-
rat'if;v, le subjonctif; s, V infinitif (letlres mises après le radical);
3° Temps : e désigne V imparfait, 1 le passé, è le passé antérieur, ê le
\. On remarquera runiforiuité de tous ces pronoms, bien propre à engen-
drer la confusion. Par exemple, dans ceUe phrase : « C'est vous qui 7«'avez
dit laquelle », les cinq mots soulignés se traduiraient par : dosa, dea. dûa,
dau et dure.
2. On remarquera qu'ils ne correspondent nullement aux pronoms pos-
sessifs.
3. Voir la numération dans le Vocabulaire.
CouTURAT et Leau. — Lanc-ue univ. 4
50 SECTION I, CHAPITRE IX
plus-que-parfait, o \c futur, ô \c futur antérieur (lettres mises après
les précédentes) :
40 Personnes : a e, i au singulier;
0, û, ô au pluriel;
â, e, ï au duel '.
(lettres mises après les précédentes).
Voici, par exemple, les principales formes du verhe être, (|ui
n'a pas de radical, et se réduit à la lettre g (caractérislique du
verbe), suivie des flexions :
Indicatif présent : gla. gle, gli, glo, glu, glô;
imparfait: glea, glee, glei
passé : glia
— futur: gloa
Subjonctif présent : gra, gre, gri,
— imparfait : gréa,
Infinitif présent : gsé (être);
— passé : gsi (avoir été).
Pour conjuguer n'importe quel verbe, il suffit d'intercaler son
radical dans les formes du verbe être après le g initial.
Les participes sont caractérisés, comme on sait, par l'initiale c
substituée à l'initiale g.
L'auteur forme les temps secondaires avec le particii)e i>assé
du verbe conjugué joint à l'auxiliaire ai'otr; celui-ci se réduit au
grammatical du verbe, c'est-à-dire au verbe être où l'on suppri-
merait l'initiale g.
La langue universelle de Letellier n'a pas de syntaxe propre et
autonome. Et, en efl"et, l'auteur applique son analyse grammati-
cale à des exemples empruntés à diverses langues (môme non-
aryennes), en calquant mot à mot toutes les particularités de
grammaire et de syntaxe de ces textes (I, ch. iv); et il la pré-
sente comme * une méthode pour apprendre les langues mortes
ou vivantes , ou comme instrument pour établir une com-
paraison entre tous les idiomes connus 2 » (I, ch. v). C'est pour-
quoi il s'efforce d'enrichir sa grammaire de toutes les flexions et
de toutes les nuances des langues naturelles : il regarde « ces
divergences comme autant de richesses » (II, 3.30).
1. Facultatif, mais utile pour traduire les langues qui possèdent un duel
(le grec, par ex.). Voir la Critique.
2. Cf. la Méthode du mol théorique grammatical (1870).
LETELLIER 5 1
Vocabulaire.
Vanalyse radicale d'un mot consiste à le définir et à le classer,
en descendant par degrés de l'idée la plus générale dont il relève.
La formation des radicaux présuppose donc une classification
logique de toutes nos idées : « La classification donnera nais-
sance à la nomenclature,... lorsque les classes, ordres, genres, etc.,
étant figurés par une lettre, voyelle ou consonne, ces caractères
réunis pour analyser une même idée formeront un mot aussi
facile à prononcer qu'à écrire ».
L'auteur adopte une classification décimale : il répartit toutes
les idées on 10 grandes divisions ou catégories, dont chacune
comprend 10 classes, dont chacune comprend 10 ordres, dont
chacun comprend 10 genres, dont chacun comprend 10 espèces;
ce qui fait 100 000 espèces.
On pourrait représenter ces espèces par les 100 000 premiers
nombres (soit par tous lès nombres de 5 chiffres). Pour les repré-
senter par des mots prononçables, il suffit de remplacer chaque
chiffre de rang impair par une voyelle, et chaque chiffre de rang
pair par une consonne correspondante. On obtiendra ainsi
100 000 radicaux composés de voyelles et consonnes allernées,
qui représenteront en même temps les 100 000 premiers nombres.
Nous forçons un peu l'idée de l'auteur pour la mieux faire com-
prendre; mais nous y sommes autorisés par son propre aveu :
« Nos radicaux sont en réalité des nombres » (t. I, p. xliv).
Il convient donc d'exposer d'abord son système de numération,
puisque la construction du lexique en découle tout entière.
Faisant abstraction du préfixe pu-, caractéristique des noms
de nombres cardinaux, on obtiendra chacun d'eux en remplaçant
le chitt're des unités par la voyelle, celui des dizaines par la con-
sonne, celui des centaines par la voyelle, celui des mille i)ar la
consonne, etc., qui lui correspond dans le tableau suivant :
12 3 4 5 6 7 8 9 0
aeiouaeiôu
bgdvj pctf h
Exemples : bû -= 10; ba=: 11; be = 12; bi=: 13;.... gû— 20; ga =
2l:....fô = 90; ahû = 100;.... ÔfÔ = 999; bûhû = 1000;... etc.
Ainsi un nom de nombre ne comprend pas plus de lettres que
52 SECTION I, CHAPITRE IX
ce nombre ne contient de chiffres (dans le système déciiual):
ôtufopo = 1)859 464. Par suite, il suflira de 5 lettres pour former
chacun des radicaux qui exprimeront les 100 000 espèces de In
classification. La f® lettre (voyelle) sera le numéro de la division ;
la 2° lettre (consonne), le numéro de la classe; la ."Jo (voyelle), Ir
numéro de l'ordre; la 4^ (consonne), le numéro du genre; la
S" (voyelle), le numéro de l'espèce.
Exemple: a = animal; â.h^= mammifère; Aho=^ carnassier; âboj=:
félin (genre felis); âboje =: c/ia/. De même: chien =ibode, c'est-
à-dire animal mammifère carnassier du genre canis (d) et de l'espèce
chien (e).
Nous n'entrerons pas dans le détail de cette classification
logique ; nous nous bornerons à en indiquer les dix grandes
divisions, représentées par les 10 voyelles initiales :
Manières d'être
aux individus ( isolément a
pris ( dans leurs rapports mutuels e
, ,. .. I 4P < U- » S du monde moral i
des faits relatifs 1 aux obiots < . i t ■
/ ' ^ du monde physique o
à l'usage de la parole u
"Si) / . j-, ^ animaux a
proprement dits.
«s g
os -z I i i""i " ^végétaux e
Êtres } ( naturels 1
ou objets ) ,n ■ , (de nécessité primaire'... o
( ^ de nécessité secondaire '. . iï
La dénra/ioft is'efîectue, soit au moyen de voyelles-préfixes : ô-
pour les augmentatifs, ê- pour les diminutifs, o- pour la
négation, etc. ; soit au moyen des consonnes grammaticales
intercalées entre les deux premières lettres du radical : r indique
la répétition, s le lieu, n la durée, m la possibilité; 1 et z indi-
quent le genre, dans un être animé; etc. Ainsi, si ibiv = cheval,
albiv = étalon, et azbiv =: jument.
Les mots composés se forment en juxtaposant les radicaux com-
posants, et en intercalant entre eux un 1 quand leur séparation
n'est pas marquée (par deux voyelles ou deux consonnes consé-
cutives). D'ailleurs, l'auteur les juge inutiles : dans son système,
la composition est remplacée par la formation logique des radi-
1. Par cette distinction peu claire, l'auteur entend la distinction des
besoins de l'homme individuel (logement, aliments, vêtement, mobilier) et
des besoins de l'homme social (monnaies et mesures, arts et jeux, médecine
et navigation, agriculture et industrie, culte, guerre).
LETELLIER 53
eaux, i)uisqii(% selon ses propres ternies, chaque radical « ren-
ferme autant de radicaux qu'il contient de lettres. « (II, 309).
Pour donner une idée de celte langue, il sullit de citer la
traduction du vers connu de Voltaire : « Qui sert bien son pays
n'a pas besoin d'aïeux » : Dua gibéli ji pié ivaé je gali jéb ibàé té
elgai.
En résumé, Tauleur attribue à sa langue les qualités suivantes :
clarté (chaque mot ayant un sens unique, plus d'équivoques ni de
synonymes) ; richesse (formation indéfinie de nouveaux radicaux,
en ajoutant de nouvelles lettres aux anciens); facililé mnémo-
nique (chaque mot traduisant sa propre définition). Il prétend
même s'en servir i pour favoriser l'intelligence des enfants et la
mémoire des hommes mûrs » (t. II, ch. iv).
Nous n'insisterons pas sur les Applications de la théorie du lan-
gage aux Sciences et aux Lettres qui remplissent les deux derniers
volumes de son grand ouvrage. Le lecteur devinera aisément
en quoi consistent les « applications aux sciences arithmétique,
zoologique, botanique, nïinéralogique, chimique, médicale, géo-
graphique, etc.; à des notions toutes nouvelles sur la parenté,
les registres de l'état civil, les rues des villes, les monnaies, les
poids et mesures; aux signes représentatifs de la parole par
l'écriture sténographique, par les mouvements du corps humain,
et par la télégraphie électrique ». Il suffit de se rappeler que
dans cette langue la nomenclature équivaut à une classification
logique, d'une part, et à la numération décimale, d'autre part,
pour comprendre qu'elle est applicable à tous les ordres d'objets
que l'on peut classer ou numéroter (comme les rues d'une ville,
par exemple); et qu'elle peut se traduire par toutes sortes de
signes conventionnels correspondant soit aux lettres, soit aux
chiffres '.
De môme, quand on connaît tous les avantages que l'auteur
revenditjuait pour sa langue, on ne sera pas étonné qu'il pro-
posât d'appliquer sa théorie du langage : « 1° à la production de
la pensée; 2° à l'étude de la langue maternelle; 3° à la traduction
des auteurs étrangers dans la langue maternelle; 4° à la connais-
sance des littératures de tous les peuples; 5° à l'étude approfondie
d'une langue morte ou vivante; 6° au meilleur système d'instruc-
tion publique ou privée chez tous les peuples ». Et en elîet. sa
1. Cf. los signes du télégraplie Morse, ceux du Code international des
signaux maritimes et ceu.v de la Langue tnusicale de Siure.
54 SECTION I, CHAPITRE IX
théorie du langage comprenait à la fois, par sa partie fornioUo
(grammaire) toute la Logique, et par sa partie matérielle (voca-
bulaire) toute une Encyclopédie. Il aurait pu dire, comme son
prédécesseur Leibniz : « Qui linguam hanc discet, siniul et
discet Encyclopœdiam » '.
Critique.
Outre les défauts communs à toutes les langues philosophiques,
que nous étudierons plus loin, le projet de Letellier a ses défauts
propres, les seuls que nous ayons à discuter ici. Nous n'insiste-
rons pas sur les défectuosités de la grammaire, sur le choix
absolument arbitraire des désinences, et sur la place bizarre
assignée aux consonnes caractéristiques des diverses parties du
discours; ni sur le nombre vraiment excessif des voyelles (où
l'auteur fait figurer les voyelles nasales, si peu internationales),
qui ne s'explique que par le besoin d'avoir autant de voyelles
que de consonnes pour représenter les subdivisions décimales
de la classification. Le défaut fondamental de la grammaire
consiste dans la prétendue richesse que l'auteur a voulu lui
donner, pour lui permettre de traduire mot à mot toutes les
langues avec leurs particularités de style et leurs anomalies de
syntaxe. Il suffit, pour le montrer, d'analyser le court exemple
cité plus haut : on y voit ne... pas traduit par deux négations :
je... jéb, ce qui est un gallicisme. En outre, la locution avoir besoin
de, qui constitue logiquement un verbe simple (et même un verl)e
actif), est traduite littéralement par trois mots : c'est encore un
gallicisme. Ainsi la langue de Letellier, n'ayant pas de syntaxe
propre, serait le rendez-vous de tous les idiotismes nationaux,
et n'aurait pas l'intelligibilité internationale qu'on doit exiger
d'une langue universelle.
De môme, nous nous bornerons à remarquer que les lettres
affectées à la dérivation sont choisies arbitrairement, et que
certaines sont étrangement placées à l'intérieur du radical.
1. Lettre à Oldenburg (Phil. Schriflen, VII, 13). Cf. De Arle combum-
toria : ■< simulque imbibetur omnium rerum fundamentalis cog-nitio » (Phil.
Sc/tr., IV, 73). Voir aussi le titre de VAts Sir/norum de Dalgarno : « liinc
etiam poterunt Juvenes Philosophiœ principia et veram Logica; praxin...
imbibere ».
LETELLIER 55
([u'elles viennent ainsi défigurer •. Nous voulons seulement
insister sur le principe de la formation des radicaux, c'est-à-dire
sur la nomenclature soi-disant logique de l'auteur. Il dit lui-
même : « Chaque lettre d'un radical émet une idée » (I, p. x.x.wi).
Cela est vrai, à la rigueur; mais il faut ajouter que (sauf la
voyelle initiale, qui représente la division suprême) chaque lettre
d'un mot a un sens tout différent suivant les lettres qui la pré-
cèdent. C'est ainsi que, dans les mots aboje et abode, qui ne dif-
fèrent que par la 4" lettre, la dernière lettre e signifie l'espèce
chat dans le gerivofelis (j) et l'espèce chien dans le genre canis (d).
D'autre part, on voit que le changement d'une seule lettre du
mot fait i)asser d'un genre à l'autre, d'un ordre à l'autre, d'une
classe à l'autre, de sorte que si l'on prononce mal ou si l'on
entend mal (ce qui arriverait aisément, surtout entre étrangers)
on ne s'entend plus ou l'on commet d'énormes quiproquos. Ainsi
agode sera un nom d'oiseau, âdode un nom de reptile; bien pis,
comme certains peuples confondent aisément les douces et les
fortes, on pourra entendre, au lieu des mots précédents, apode,
qui est un nom d'annélide, acode, qui est un nom d'arachnide, et
âtode, qui est un nom d'insecte. Une telle nomenclature est une
source de perpétuelles confusions, tant entre des espèces voi-
sines qu'entre des espèces très éloignées.
Si le sens des lettres varie d'un mot à l'autre et d'une place à
l'autre, c'est qu'en réalité les lettres ne correspondent pas à des
idées, mais uniquement à des nombres : ce sont de simples
numéros d'ordre, de sorte que, pour les comprendre et les
employer correctement, il faut avoir présente à l'esprit la classi-
fication entière, soit 100 000 espèces, avec leur ordre, sans en
oublier ou intervertir une seule, autrement on est perdu 2.
Ce qui confirme cette critique, c'est la corrélation que l'auteur
essaie d'établir entre les subdivisions d'une classe et celles d'une
1. Cf. la critique de Delormel (ch. v).
2. Pour se rendre compte de reffort de mémoire que suppose la recon-
naissance d'un mot, il suffit de lire la définition suivante (te.xtuelle) :
« ëvëbo définirait le laurier, puisque ë figure le végétal ; v indique qu'il a
deux cotylédones, que la fleur est sans corolle, et que ses étamines sont
sur le calice; ë, qu'il a les caractères des laurinées; b annonce qu'on va
compter le nombre des étamines; ô (9 en arithmétique) détermine le
nombre 9 de ces étamines. Ainsi ëvë pla(;ait avec Jussicu les laurinées
parmi les dicotylédones apétales périgynes; bô a fait rentrer ce végétal
dans l'ennéandrie de Linné. » On a pu remarquer que le sens du second ë
n'a rien de commun avec celui du premier.
36 SECTION I, CHAPITRE IX
autre, notamment entre certains êtres et certaines manières
d'être. Ainsi les objets naturels relatifs à Ihomnie forment la
classe ij, et ceux relatifs à l'animal, la classe ip. Telles sont
notamment les parties du corps : Tjo sera la tèle (ensemble),
ijod l'œil, et ijodé la paupière de Ihommc; ipo, ipod et Ipodé
seront les mêmes parties chez un animal. Or, d'autre part, les
maladies (manières d'être) forment la classe af : ainsi afodésiifiii-
fiera la maladie de la paupière, ou blépharile.
Cette corrélation est assez satisfaisante, parce qu'elle est sensible.
Mais que dire de la suivante? t 1 {objet naturel) suivi de la con-
sonne qui équivaut comme a {animal) au nombre 6, représenlei-a
l'objet naturel qui appartient à l'animal ». Ainsi, c'est parce que
p = i = 6 que ip représente les parties des animaux; de même,
c'est parce que k = ë = 7 que ik représente les parties des végé-
taux fë). On admet ainsi une corrélation entre voyelles et con-
sonnes; et cette corrélation, qui n'a rien de naturel ni de
sensible, n'existe que par l'intermédiaire du nombre. N'avions-
nous pas raison de dire que les lettres ne sont que des numéros?
On pourrait encore faire bon marché d'une telle corrélation ;
mais voici un cas où elle est bien i)lus nécessaire. L'auteur se
flatte d'avoir trouvé des expressions claires et concises pour
toutes les relations de parenté (classe eg). Il fait correspondre
les voyelles et consonnes suivantes aux relations de parenté
écrites au dessous :
eiouaëlô
g d V j p c t f
père fils frère mari épouse mère fille sœur '
Il représente les relations simples en ajoutant la voyelle cor-
respondante au radical générique eg : ainsi :
ege indique la condition de père;
egi — fils;
ego — frère;
egu — mari;
ega — épouse;
egë — mère;
egï — fille;
6^0 — sœur.
1. Ou remarque que les titres masculins et féminins se correspondent
LETELLIER S 7
Puis il représente les relations composées en ajoutant aux
mots précédents la consonne qui représente la première relation
simple qui entre en composition; ainsi :
egeg := (jrand-père paternel (père du père)
egëg = — maternel (père de la mère)
egec = grand'mère paternelle (mère du père)
egec =^ — maternelle (mère de la mère)
egev = oncle paternel (frère du père)
egêv = — maternel
egef = tante paternelle
egef = — maternelle
De sorte que Ton pourra distinguer 4 espèces de cousins (jermains
au moyen des 4 mots : egevi, egëvi, egefi, egefi, ce qui permet de
définir en 5 lettres une relation de parenté précise du 4" degré'.
Cest assurément très ingénieux; mais on voit à quel prix est
achetée cette apparente simplicité : c'est à la condition de repré-
senter la même idée (père, fils, etc.) par deux lettres, une voyelle et
une consonne, qui n'ontqu'une correspondance conventionnelle
et arbitraire, de sorte qu'elles masquent l'identité de l'idée, au
lieu de la manifester.
Cet inconvénient, que nous venons d'expliquer dans un cas
spécial, est absolument général; il entache môme la grammaire,
car on a pu voir que les mêmes lettres grammaticales ont des
sens tout différents comme désinences casuelles, comme dési-
nences personnelles, comme indices des genres, des voix, des
modes, des temps, comme affixes de dérivation, etc. L'auteur
peut donc se vanter que, dans sa langue, chaque mot renferme
autant de radicaux que de lettres, mais à la condition d'ajouter
que chacune de ces lettres ne signilîe rien par elle-même, car
(Ile a dans chaque mot un sens différent. 11 donne de la parole
une définition qui caractérise à merveille sa conception du lan-
gage : « la parole, cette algèbre de la pensée » (t. Il, p. m). Mais
sa langue ne répond que très imparfaitement à cet idéal, car la
première condition d'un symbolisme est Yuniformilé du sens de
chaque symbole. 11 est certes permis d'admirer la somme de
science, de réflexion, d'érudition et de patience que représente
comme les voyelles douces et fortes, sauf ceux de niai-i et d'épouse, ce ([ui
est une irrégularité.
1. En général, le nombre des lettres sera supérieur d'une unité au degré.
d8 section 1, CHAPITRE IX
ce grand et consciencieux ouvrage ; mais on est obligé de recon-
naître que les idées directrices en étaient absolument chiméri-
ques, et que tout ce travail a été dépensé en pure perte '.
1. On peut ajouter que, s'il était vrai que la Méthode du mol lliéorique.
qrammalical permît, comme le promet son titre, d' « apprendre en quel(|ues
mois une langue morte ou vivante, avec ou sans le secours d'un maître,
sans être astreint aux exercices des thèmes, des versions et des legons de
mémoire », la lanc-ue universelle deviendrait inutile.
CHAPITRE X
SOTOS OGHANDO
L'idée mère de cette langue philosophique est, selon l'auteur
lui-même, d' « établir une parfaite correspondance entre l'ordre
naturel et logique des choses signifiées et l'ordre alphabétique
des mots employés pour les exprimer ». Ce fut là pour lui 1' « ins-
piration subite » qui lui suggéra tout son projet, et le décida, à
un âge avancé, à élaborer une langue universelle à laquelle il
n'avait jamais encore songé. Par « langue universelle », il n'en-
tend nullement une langue destinée à devenir commune à tous
les peuples (qu'il croit actuellement impossible^ mais seulement
une langue scientifique internationale ^ destinée beaucoup plus à
l'usage écrit qu'à l'usage oral. Aussi va-t-il jusqu'à la qualifier
de « langue morte > ou « presque morte » ^.
Grammaire.
L'alphabet se compose de 20 lettres : 5 voyelles : a, e, i, o, u;
et i'S consonnes : b, c, d, f, g, j, 1, m, n, p, r, s, t, y, z. 11 faut y
ajouter l'h et l'e muet, lettres auxiliaires facultatives et purement
1. Projet d'une Langue universelle, par Tabbé Bonifacio Sotos Ochando,
docteur on théologie, traduit de rcspagnol par l'abbé Touzé (Paris, LecolTre,
1833). L'original espagnol avait paru à Madrid en 1832. Comme nous
l'apprend une note jointe au titre de ce volume, •< l'auteur a été supérieur
du grand séminaire de Murcie, député au.\ Cortès de 1822, maître d'espa-
gnol des enfants de Louis-Philippe, membre du Conseil d'instruction
publique en Espagne, professeur de son Université centrale, directeur du
Collège polytechni(iue de Madrid, etc., etc. » L'invention du projet remon-
tait à 1843 (voir le lleraldo de juillet 1845).
2. Section II, chap. vu : Universalité de celle langue pour toutes les per-
sonnes d'une médiocre instruction.
3. SS 60 et 62.
60 SECTION I, CHAPITRE X
euphoniques. Chacune de ces lettres se prononcera comme en
français, « dans les cas ordinaires », sauf la voyelle u qui se
prononcera ou. Cette indication est un peu vague, notanuneni
pour c et g : doit-on prononcer ca, ce, ci, co, eu comme en
français {ka, se, si, ko, kou), ou doit-on donner au c un son uni-
forme, et lequel des deux? L'auteur ne le dit pas; il se borne à
édicter que chaque lettre se prononcera toujours et partout de
la même manière, comme si elle était isolée.
L'auteur propose pour les vingt lettres de nouvelles figures
plus simples et plus géométriques (des barres avec crochets
diversement orientées comme des L); mais il reconnaît que cela
rendrait la langue plus difficile à apprendre et à adopter, et se
résigne prudemment à « conserver, pour le moment, les carac-
tères actuels ».
Vaccent devra porter sur l'avant-dernière syllabe dans les mots
terminés par une voyelle (c'est-à-dire dans les substantifs), et sur
la dernière dans tous les autres. L'auteur hésite toutefois entre
cette règle et une autre plus simple, qui ferait porter l'accent
toujours sur l'avant-dernière syllabe.
Il attache une grande importance à la ponctuation, ((u'il vou-
drait réformer, enrichir et compléter.
Les différentes espèces de mots (parties du discours) sont dis-
tinguées par leur lettre finale.
L'auteur admet l'article défini pour éviter les équivoques du latin
(ex. -.filius régis). Il en admet môme quatre, dont les rôles sont dif-
férents : al, el, il, ol. Ces articles précèdent le substantif, mais
ils peuvent être remplacés par les voyelles a, e, i, o ajoutées à la
lin du substantif.
Les substantifs sont des polysyllabes finissant par une voyelle.
La déclinaison se fait au moyen des cinq syllabes :
la le li lo lu
qui correspondent respectivement aux cas suivants :
Nominatif, Accusatif, Datif Génitif, Vocatif
et qui se mettent, soit avant le substantif, séparées, soit après, en
suffixes. Par exemple, le radical ibaca (homme) se décline ainsi :
ibacala, ibacale, ibacali,.... ou : la ibaca, le ibaca, L'homme se
dit : il ibacala ou ibacalai.
Les adjectifs se terminent tous par un n. Ils se déclinent au
moyen des terminaisons na, ne, ni, no, nu, ou bien au moyen des
particules la, le, li, lo, lu qui les précèdent.
SOTOS OGHANDO 61
Le pluriel dos substantifs et des adjectifs se forme en ajoutant
un s final au singulier, après la désinence du cas.
Le genre des substantifs s'exprime parles trois syllabes :
an en in
pour le Masculin Féminin Neutre
mises devant le substantif.
Pour transformer un adjectif en substantif, on le fait précéder
de la syllabe un, ou encore on ajoute un u avant l'n final. Ex. :
acuban, beau; un acuban ou acubaun (le beau], « Dans une langue
I)hilosophique », le genre doit être naturel, c'est-à-dire corres-
l)ondre au sexe '.
Les verbes sont des polysyllabes qui se terminent en vr. A cette
forme radicale on ajoute successivement,
pour indiquer les voix :
active, réciproque, neutre, impersonnelle, passive,
les voyelles : a, e, 1, o, u;
pour indiquer les modes :
indicatif, conditionnel, subjonctif, volitif, infinitif gérondif,
les consonnes : b, c, d, f, g, j;
pour indiquer les temps :
passé, présent, Jutur,
l(>s voyelles : a, e, i;
et pour indiquer les perso/mes :
l""" sing., 20 s., 30 s., l-^e pL, 2e pL, 3« pi.,
les consonnes : néant, 1, n, r, s, t.
Par exemple, soit ucerar le radical du verbe aimer; on traduira
par exemple :
; aimai
par
ucerarba
j'aime
—
ucerarbe
tu aimes
—
ucerarbel
il aime
—
ucerarben
f aimerai
—
ucerarbi
f aimerais
—
ucerarce
que j'aime
—
ucerarde
en aimant
—
ucerarje
etc.
elc. 2
Les temps indirects s'expriment en ajoutant à la voyelle qui
i. Pour les noms de nombre et les pronoms, voir le Vocabulaire.
2. Dans ce paradigme n'apparaît pas la lettre caractéristique de la voix.
62 SECTION I, CHAPITRE X
indique le temps absolu celle qui indique le temps relalif: ainsi
l'on traduira :
le passé antérieur : j'avais aimé par ucerarbaa
l'imparfait : j'aimais — ucerarbea
le futur antérieur : j'aurai aimé — ucerarbia
et ainsi de suite *.
Certains modes demandent quelques explications. Le volilij se
subdivise en cinq autres modes :
le volilif en général : aime, ucerarfal :
Vimpératif: — ucerarfel :
]e supplicatif : — ucerarfil;
Vexcitatif: — ucerarfol:
\c permissif : — ucerarful.
Ll finale indique la 2" personne du singulier; et la voyelle
précédente indique ici le mode spécial, et non plus le temps, (li-
volitif est toujours prése/iO.
L'infinitif, ou mieux Vimpersonnel, est le substantif du verbe. 11
est susceptible de temps; le gérondif également.
Le participe est l'adjectif du verbe. Il se forme par suite en
ajoutant un -n à l'infinitif. Ex. :
avoir aimé : ucerarga, qui a aimé : ucerargan :
aimer: ucerarge, aimant: ucerargen;
devoir aimer : ucerargi. qui aimera : ucerargin.
L'infinitif sert également à former les noms verbaux, au moyen
de divers suffixes : -ma désigne l'agent (l'auteur de l'action
exprimée parle verbe); -me, l'action (exercée); -min, la qualité
active; -na, la chose faite (résultat de l'action); -ne, l'action
reçue ou subie; -ni, la capacité d'agir; -no, la facilité à agir; -nu,
le mérite (comme le suffixe -able dans les mots : aimable, admi-
rable); enfin -pa désigne le lieu de l'action; -pe, le temps de
l'action; -pi, l'objet où se passe l'action; et -po, l'instrument de
l'action.
Tous les adverbes (monosyllabes ou polysyllabes) se terminent
par c.
L'auteur institue en outre une série de modificatlfs de la forme
1. Dans l'Appendice I (Théorie philosophique des verbes), l'auteur juxtapose
les voyelles pour exprimer la jonction des temps correspondants : « -bea
exprimera le présent aveclé passé; -bel, le présent avec le futur », et -béai,
les trois temps réunis (ce qu'on pourrait appeler Yéternel), comme dans cet
exemple : « Dieu est bon ».
SOTOS OCHANDO 63
cvn : les comparatifs en plus, qui sont : ban. un peu plus; ben. j)lus;
bin, beaucoup plus ; bon, beaucoup beaucoup plus ; les comparatifs en
moins (de la forme : cvn), qui correspondent aux mômes degrés;
les comparatifs d'égalité (dvn) et de proj)ortion (Wn) ; les superlatifs
en plus (gvn) et les augmentatifs (jvn) ; les superlatifs en moins
(Ivn) et les diminulifs (mvn); enfin les négatifs (nvn) et les gra-
duels (pvn), qui indiquent le commencement, la répétition ou
l'achèvement d'une action.
Les prépositions sont des monosyllabes de la forme cv ou ccv.
Elles sont formées suivant une classification logique : colles qui
expriment des rapports de proximité ont l'initiale b; l'initiale c
correspond aux rapports de position; d, aux rapports de présence;
i, aux rapports de cause, d'influence et d'exclusion; g, aux rapports
de ressemblance et aux rapports généraux'.
Les conjonctions sont des monosyllabes de la forme cvl. Les
conjonctions copulatives et disjonctives commencent par b; les
cxtensives, par c; les argumentatives, par d; les ampliatives, par f;
]es adversatives, par g; les comparatives, par j; les causales, pari;
les finales (indiquant la 'finalité), par m; les conditionnelles, par
n: les temporelles, par p, etc.
Les interjections mêmes sont soumises à une forme régulière :
(>lles se terminent toutes par f.
L'auteur invente encore des particules de la forme cvr pour
annoncer les mots techniques; cvs pour annoncer les expres-
sions métaphoriques; et des diphtongues-préfixes vv pour
annoncer les mots étrangers à la langue, qu'on ne peut ou ne
veut pas traduire (noms propres, géographiques, de mesures,
de monnaies, etc.)^.
Voici les principales règles de la syntaxe :
Les substantifs en apposition s'accordent en cas. sinon en
nombre.
L'adjectif s' accorde avec son substantif en nombre et en cas. Il
n'a pas de genre.
Le relatif (adjectif ou pronom) s'accorde avec son antécédent
(Ml nombre, mais non en cas.
Enfin le verbe s'accorde en nombre et en personne avec son
sujet.
1. Aux prépositions so rattachent les particules grammaticales, qui ont In
môme forme (cv), par exemple les particules de déclinaison (à initiale 1).
2. Cf. les « mots cadres » de la Langue Bleue.
64 ' SECTION I, CHAPITRE X
Les règles concernant les régimes sont les suivantes :
Le régime direct du verbe se met à Vaccusalif. En général, le
régime principal ou unique du verbe se met à raccusatif autant
que possible, à moins d'équivoque '.
Le régime indirect du verbe se met au datif, lors même qu'il a
en latin un autre cas.
Le régime des substantifs se met au (jênitif quand il exprime
un rapport de possession. Dans les autres cas, on emploie la
préposition convenable.
Le régime des prépositions ne se décline pas 2.
Les verbes ne régissent pas d'autres verbes (comme en latin ) :
chaque verbe prend le temps et le mode qui convient au sens de
la proposition. On n'emploiera la proposition infinifive que
lorsque le sujet de cette proposition est le même que celui de la
proposition principale; on dira, comme en français : Je veux
aller.... et : Je veux qu'il aille....
Enfin, pour les cas de régime qui ne rentrent dans aucun des
précédents, l'auteur réserve cinq prépositions : na, ne, ni, no, nu.
En général, du reste, il réserve dans sa morphologie des places
et formes vacantes pour les cas imprévus.
Pour la construction, il ne donne aucune régie, parce que la
syntaxe permet toutes les inversions, comme en latin. Il recom-
mande seulement de ne pas abuser de cette faculté, et de suivre
autant que possible l'ordre logique. En général, il admet beau-
coup de licences grammaticales, pour donner au style plus de
souplesse et de liberté, mais il conseille den user discrètement,
surtout dans le langage courant.
Pour la /ormafion des mots, l'auteur donne peu d'indications. Il
pose en règle générale que les radicaux ne devront jamais être
altérés par la dérivation et la composition.
On a déjà vu les suffixes -n, -c, qui servent à former les adjec-
tifs et les adverbes, et d'autres suffixes qui servent à former les
noms dérivés des verbes. L'auteur classe un certain nombre de
syllabes finales servant à la dérivation : de la forme Icv pour les
substantifs dérivés de substantifs (-Iba désigne le fabricant de,
-Ica, \e propriétaire de, -Ida, la science de, -Ifa, la collection de, etc.);
de la forme Icvn pour les adjectifs dérivés de substantifs
1. Cf. VEsperanto.
2. Cela veut-il dire que les prépositions ne régissent aucun cas, ou
qu'elles régissent le nominatif?
SOTOS OCHANDO 65
(Ibvn pour les dérivés par ressemblance; Icvn pour les dérivés
connue cause, etc.); et do la forme Icvr pour les verbes dérivés
des substantifs et adjectifs (Ibvr i)Our la matière employée, Icvr
l)Our l'emploi ou usage qu'on en fait, etc.). On remarquera
que les premières lettres le ne correspondent nullement au
même sens dans ces trois séries.
Vocabulaire.
Le vocabulaire ne comprend que les radicaux (en général des
substantifs) dont on sait dériver les adjectifs, les verbes et les
adverbes.
Le principe de ce vocabulaire étant le « rapport constant entre
Tordre ali)habétique des mots et Tordre naturel et logique des
choses signifiées », le lexique a pour base une classification
logique de toutes les idées.
La première lettre d'un radical indiquera la classe la plus
générale à laquelle il appartient ; la 2« lettre indiquera la classe
du 2" ordre, la .3" celle du 3" ordre, et ainsi de suite jusqu'à la fin
du radical, qui résume ainsi la définition logique de l'idée cor-
respondante. Des exemples feront mieux comprendre ce système.
L'initiale A désigne les choses matérielles inorganiques (classe du
l*"" ordre). Les lettres Ab désignent les objets matériels (classe du
2" ordre). Les classes du 3' ordre sont caractérisées par les
lettres suivantes :
Aba Corps simples ou éléments.
Abe Matière, corps en qénéral.
Abi Dimensions.
Abo Forme dn corps.
Abu Figure du corps.
Les autres classes du 2<^ ordre (dans la classe A) sont les sui-
vantes :
Ac Propriétés absolues des corps.
Ad Propriétés relatives des corps.
Af Circonstances des corps.
{Aie Adverbes de lieu
Afi Mesures)
Ag Actions relatives au mouvement.
Aj Actions modificatrices des corps.
CouruHAT ot IjEau. — Lanoruc univ. 5
C6 SECTION I, CHAPITRE X
Al Actions des corps sur d'aulrcs corps.
Am Astronomie.
An Géographie physique.
Ap Géographie civile.
Ar-Az Règne minéral.
L'initiale E caractérise la classe des Corps vivants, qui com
prend les classes du second ordre suivantes :
Eb Me en général.
Ec-El Règne végétal.
(Ef Nomenclature botanique)
Em-Ez Règne animal.
(Er, Es Nomenclature zoologique;
Ez Chimie organique)
L'initiale I caractérise les idées relatives à l'iioninie corporel.
L'initiale 0 caractérise les idées relatives aux facultés inleîl;'
tuelles de l'homme.
L'initiale U caractérise les idées relatives aux facultés actives
de l'homme (à la volonté, à la moralité).
Les classes précédentes contiennent l'ensein!»!»' des vives on
.substances; les classes suivantes comprennent ce que l'h^coh*
appelle les accidents '.
L'initiale B caractérise la classe des Arls liUrninx, cjui se
divise en cinq classes du 2*^ ordre :
Ba Enseignement.
Be Imprimerie.
Bi Librairie.
Bo Beaux-arts.
Bu Musique.
L'initiale C désigne les Arls mécaniques: D, la Sor lé té politique ;
T, la Justice et lesFma/ices; G, ÏArt militaire; J, la Marine et le Com-
merce; L, les Rapports sociaux; M, les Divertissements et Jeux; N, la
Religion; P, le Culle. Enfin les initiales R, S, T désignent des idées
très générales (R, des idées d'objets, de qualités et d'actions:
T, des idées de rapports). L'initiale S contient des subdivisions
particulièrement intéressantes : Sa caractérise les pronoms (saia
=je, sabe = lu, sabi = il, etc.). Se caractérise les idées de quaii-
iité; Si, les idées de nombre; So, les idées de temps.
Nous allons donner quelques exemples détaillés de ce vocaliu
1. Cf. la classification de Dalgarno.
SOTOS OCHANDO 67
laire. |)our montrer comniont la nonionclaturc y est cal(|uée sur
la classilifalion logique des idres.
Le premier sera emj)runlé à la nomenclature botanique,
caractérisée par les j)remières lettres Ef. Efa désignera l'ordre
des llialamijhres. Dans cet ordre. Efaba désignera la l'amille des
renonciilacées. Dans cette famille, Efababe désignera la renoncule,
Efabade Vanénwne, etc. De même. Efage désignera la famille des
crtivifères; et dans cette famille, Efageca désignera le radis,
Efageco la moutarde, Efagedi le chou, etc. Veut-on enfin distinguer
les diverses espèces ou variétés de chou? Il suffit d'ajouter une
nouvelle syllabe : Efagedica désignera le chou cabus, Efagedico le
chou de Lombardie, Efagedimo le brocoli, et ainsi de suite.
Voici un autre exenq)le de nomenclature, qui dérive d'un
autre genre de classification : c'est la nomenclature des vents. An
('tant la caractéristique de la Géographie physique, Anca sera
le type des noms des points cardinaux : Anba = nord: Anca =
(\s7: Anda = sud; Anfa = ouest. Les points intermédiaires se
nommeront en variant la voyelle finale : anbe = nord-nord- est;
anbi = nord-est: anbo =^ est-nord-est. Enfin les « quarts » seront
désignés en ajoutant une voyelle (u) aux noms précédents :
anbau = nord-quarl-esl; anbeu = nord-est-quart- nord, anbiu =
iiord-est-quart-est; anbou ^1= est-quart-nord. Les trois autres qua-
diants de la rose des vents portent des noms analogues, qu'on
obtient en remplaçant dans les précédents la consonne b par c.
d ou f.
Une nomenclature particulièrement intéressante est celle des
nondn'es (initiales : Si) :
Siba = i Sibra = 6
Sibe = 2 Sibre = 7
Sibi = 3 Sibri = 8
Sibo = 4 Sibro = 9
Sibu — ;■) Sibru = 10
Sica=lO' Sicra = 60
Sice = 20 Sicre = 70
Sida = 100 Sidra = 600
Side = 200 Sidre = 700
1. Ou romaniuora ([iio 10, lOJ, 1000, .... ont deux noms.
08 SECTION I, CHAPITRE X
Sifa== 1.000 Sifra =6.000
Siga = 10.000 Sigra = 60.000
Sija = 100.000
Sila = 1 million
Sile = 1 billion
Sili = 1 trillion
Pour énoncer un nombre compost', on nomme successivement
ses éléments, en supprimant le préfixe Si-, sauf pour le premier.
Ex. : Sifadicibo = 1 334, Silajidecibo = 1 300 234.
Des noms de nombre on dérive les adjectifs et adverbes ordinaux
au moyen des suffi.xes -n et -c, suivant la règle générale; les
multiples (double, triple....) au moyen du suffi.xe -ma; les parties
aliquotes {moitié, tiers, quart...), au moyen du suffixe -me; les
adjectifs distributifs [L. bini, terni...) par le suffixe -mins; les
adverbes qui indiquent le nombre de fois (L. bis, ter...), par le
suffixe -moc, et ceux qui indiquent le nombre d'espèces ou de
manières (L. dupliciler, tripliciter...) par le suffixe -mue.
La nomenclature chimique est un échantillon typique du
système de l'auteur. Tous les corps simples étant rangés suivant
une classification naturelle, on formera leurs noms en ajoutant
à Aba (caractéristique des corps simples) une syllabe variable ;
on obtient ainsi :
Ababa = oxygène Abaca r= tellure
Ababe = hydrogène Abace = chlore
Ababi = azote Abaci = brome
Ababo = soufre Abaco = iode
Ababu = sélénium Abacu = fluor
et ainsi de suite, jusqu'à :
Abata = ruthénium Abate = osmium •
Pour nommer les composés, on énoncera leur formule de
composition en ajoutant à la syllabe caractéristique de chaque
1. La nomenclature indiquée dans l'Appendice 11 est un peu différente.
SOTOS OCHANDO 69
élément la syllabe caractéristique du nombre qui lui sert d'expo-
sant. Soit, par exemple, à nommer le corps Pb*Sb'^ :
Pb (plomb) = abase Sb (antimoine) = abamu
8 = sibri 2 =^ sibe
Pb^Sb^ = Se (bri) mu (be).
Ainsi le nom d'un corps est la traduction exacte et complète
de sa formule chimique. L'auteur propose pour la Chimie orga-
nique un autre système de nomenclature, qui consiste aussi à
traduire la formule, mais plus simplement, en supj)rimant les
noms des 4 éléments (toujours les mômes), et en convenant que
la l^" syllabe après le préfixe commun ez indiquera la proportion
d'oxygène; la 2", celle d'hydrogène; la 3"= celle de carbone, et la 4^,
celle d'azote.
Enfin, un dernier exemple achèvera de caractériser l'esprit du
système. L'auteur prétend qu'on peut « apprendre en moins
dune heure la signification de plus de 6 millions de noms », par
exemple les noms de toris les soldats d'une. nation *. Pour cela,
il établit une liste de 100 syllabes de 2 lettres correspondant aux
100 premiers nombres. On i)eut en former un million de noms
de 3 syllabes : la 1'^'^ syllabe indiquera l'une des 100 classes du
\cv ordre; la 2^ syllabe indiquera l'une des lOOclasses du 2« ordre
que contient chaque classe du 1"; et la 3° indiquera l'une des
100 classes du 3« ordre que contient chaque classe du i°. On a
ainsi nommé un million de subdivisions. Supposons que chacune
d'elles contienne fi individus, on les désignera en ajoutant une
des voyelles a, e, i, o, u. Ainsi avec des mots de 7 lettres on peut
nommer 6 millions d'individus ou d'objets classés.
Critique.
Cette dernière indication révèle à plein l'erreur ou l'illusion de
l'auteur (et de tout auteur de langue philosophique) : il fournit
bien le moyen de former 6 millions de noms, ou plutôt de
luiméros; mais il ne fournit pas, et ne peut pas fournir, le moyen
d'apprendre et de retenir leur signification, c'est-à-dire la corres-
pondance établie entre eux et les idées qu'ils doivent exprimer.
Il faudrait une mémoire prodigieuse pour se rappeler exacte-
1. Appendice 111.
70 SECTION I, CHAPITRE X
mont ot à point nommé le nom do chaque idée, c esl-à-dirc son
numéro d'ordre; car cela suppose qu'on a constamment présent
à l'esprit l'ensemble de la classification avec ses innombrable^
subdivisions, et dans leur ordre. Cette i'emar((ue suffit à montrer
que la langue de SoTOS Ociiando serait al)solument impratical)le.
Elle donne lieu, il'ailleurs, aux mêmes critiques que toutes les
langues philosophiques, parmi lesquelles elle se distingue pour-
tant, il faut le reconnaître, par sa sinq>licilé relative et sa régu-
larité logique.
CHAPITRE XI
LA SOCIliTK DE LINGUISTIQUE; M. RENOUVIKR
Il n'est pas sans intérêt de savoir que la question de la langue
universelle a fait l'objet, en France, vers 1855, d'une étude cri-
tique impartiale destinée à choisir et à faire prévaloir le meilleur
système. Lhonnour de cette initiative revient à la Société inter-
nationale de Linguistique, qui, « dès sa fondation, a déclaré vou-
loir s'occuper de toutes les matières qui se rattachent à la
philologie et à la linguistique considérées dans leur plus grande
extension, et surtout au point de vue pratique ». Aussi se pro-
posait-elle, « tout en procédant à une réforme plus ou moins
radicale de l'orthographe de la langue française, de répandre
dans les esprits l'idée dune langue universelle, dont le besoin
commence à se faire généralement sentir, de chercher les bases
de cette langue, d'en définir les conditions, d'en grouper les
éléments, et de préparer les voies à son établissement' ». Elle
nomma à cette fin un Comité de 23 membres, dont les travaux
furent résumés dans deux rapports par M. Casimir Henricv,
secrétaire général de la Société. Celui-ci les publia dans la Tri-
bune des Linguistes, dont il était le directeur^.
Il avait fondé cette revue surtout dans l'intention de vulgariser
l'idée de la langue universelle. L'Introduction est consacrée à
exposer la nécessité d'une telle langue; l'auteur y invoque déjà
des arguments qui ont été bien souvent répétés depuis lors, et
qui n'ont rien perdu de leur force, bien au contraire'.
1. Premier rapport du Comité de la Lançjue universelle, lu à la Société de
Linguistique le 3 juillet 1856.
2. Première année, 1858, p. 17-39, 65-105, 129-161).
3. Citons-on quelques-uns : P. 8 : « On a rapproché les corps; on n'a
rien fait pour rnpproclier les esprits ». P. 14 : « Nul ne peut contester que
72 SECTION I, CHAPITRE XI
Le Comité commença par formuler les conditions théoriques
de la langue universelle : il « reconnut unanimement... quelle
devait avoir un caractère scientifique. Il reconnut également
qu'elle devait être tout à la fois claire, simple, facile, rationnelle,
logique, philosophique, riche, harmonieuse, et en outre élas-
tique, afin de se prêter à tous les progrès futurs. Or il est évident
qu'aucune des langues anciennes et modernes n'a ce caractère
et ne remplit ces conditions. En conséquence, elles furent
repoussées les unes et les autres à l'unanimité. »
« On examina ensuite s'il ne serait pas possible d'adopter l'une
des langues vivantes les plus répandues des peuples civilisés,
après lavoir améliorée, enrichie, complétée, et lui avoir fait
subir de grandes modifications. Ce système eut quelques parti-
sans; mais le Comité se convainquit bientôt qu'il ne valait rien »,
parce qu'une langue ainsi perfectionnée serait « méconnaissable »,
et « n'en continuerait pas moins à être irrationnelle, illogique
arbitraire, difficile. »
« Il ne restait donc plus en présence que deux systèmes de
langues : celui d'une langue a posteriori, c'est-à-dire faite de
pièces et de morceaux, avec des radicaux, des onomato{)ées, des
mots pris dans toutes les langues mortes et vivantes, da|)rès les
idées des étymologistes tels que Volney, Burnouf, Ampère, etc. :
et celui d'une langue a priori, c'est-à-dire entièrement neuve. »
« On n'eut pas de peine à reconnaître que fous les systèmes »
(a posteriori) « qui s'appuient sur les radicaux sont mauvais »,
parce que les langues naturelles correspondent, non à l'état
actuel des sciences, mais à un état de civilisation primitif et
rudimentaire. Le Comité rejeta donc « toutes les langues
anciennes et modernes, mortes ou vivantes, ainsi que tous les
systèmes bâtis à le'ur imitation ou fondés sur les mômes prin-
cipes ' », et se prononça « pour la création d'une langue apriori » ;
le besoin d'une langue universelle ne se fasse vivement sentir aujourd'hui...
C'est le complément nécessaire, fatal, des chemins de fer, des télégraphes
électriques, des grandes expositions, de toutes les découvertes scientifiques,
de toutes les créations industrielles de notre époque. » Et l'auteur compa-
rait les sceptiques à « ce célèbre ingénieur français qui, à l'aide de raisons
puisées dans les mathématiques en général et dans la statique et la dyna-
mique en particulier, démontra fort savamment que les locomotives ne
pourraient pas marcher ». Les mômes idées et presque les mêmes phrases
se retrouvent dans la brochure Pour la Langue internationale de M. Cou-
TURAT, qui ne connaissait pas encore la Trilmne des Linguistes.
1. Tribune des Linguistes, p. lOn.
LA SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE! M. RENOUVIER 73
à son avis, « uno langue, au point do vue rationnel, ne doit Hre
qu'une nomenclature correspondant à une classification univer-
selle. » En un mot, il concevait la langue universelle idéale
comme une langue philosophique. Par suite, il considérait que sa
première lAclie était d'établir « une classification générale des
choses », et il adopta un tableau dressé par un de ses membres,
le D"" Chouippe, sous le titre : Origine et lien des connaissances
humaines '.
D'autre part, il se mit en devoir de faire une revue critique de
tous les projets antérieurs ou contemporains, qu'il jugea, natu-
rellement, d'après son idéal de langue philosophique et analytique.
Le second rapport rappelle les idées théoriques émises à ce sujet
par Bacon, Descartes, Leibniz, Voltaire 2, le président De Brosses»,
Court de Gébelin*, lord Munboddo-', Condillac surtoutfi, qui « a
l'ait ressortir... les avantages d'une langue bien faite, d'une langue
philosophique et analytique »; Condorcet, qui assimilait la
langue à une algèbre; Destutt de Tracv, qui déclarait la langue
universelle impossible," parce qu'elle devrait être parfaite '';
VoLNEvs et Charles Nodier*. D'autre part, il expose et discute les
projets de Dalgarno et de Wilkins, le « ridicule projet » de VEn-
cyçlopédie*^, qui n'est « qu'un travestissement grotesque de la
langue française » ; puis le « premier projet sérieux » et « pra-
tique », celui de Delormel, dont « la marche était bonne », car il
était « fondé sur les principes qui doivent servir de base à la
langue universelle »; la Pasigraphie de Maimieux (1797) et la Po/y-
graphie de Hourwitz (1801); le projet théorique de Le Mesl, pré-
sident du Tribunal de commerce de Saint-Pol-de-Léon", « la
1. Cette classification, inspirée du sensualisme condillacien, est résumée
dans la Tribune des Linguistes, p. 33-34. •
2. Qui disait de la diversité des langues : « C'est un des plus grands
fléaux de la vie. •>
3. Traité de ta formation mécanique des langues et principes physiques
de Vétymologie.
4. Histoire naturelle de la parole, ou grammaire unioerselle (1776).
,"). Essai sur l'origine et les progrès du langage (Edinburgh, 1774).
(). L'Art de penf:er\ La Langue des Calculs.
7. Cette critique est péremptoire, mais elle ne porte que sur les langues
philosopliiques.
. 8. Discoui's sur Vétude philosophique des langues (1819).
0. Notions élémentaires de Linguistique (1834).
10. V. Section III, cli. i : Faiguet.
11. Considérations philosophiques sur la langue française, suivies de
l'Esquisse d'une langue bien faite (1834).
74 SECTION I, CHAPITRE XI
moillcure Ihéoric ûc la langue univorsollc <|\ii ait «Hé publi<'<-
jusqua ce jour >, et dont les principes et les idées « sont abso-
lument ceux du Comité »; la Génigraphie de Matraya (Lucques,
1831); deux projets anonymes (1837, 1838) de langues a pos<mon.
à base de latin, que le rapport considère comme « grotesques »
et « ridicules », et traite de « mauvaise plaisanterie » et de t latin
de cuisine » ' ; enfin, la Langue universelle de Vidal (1844), qui « n'est
qu'un audacieux plagiat » de la Pasigraphie de Maimieux, sauf
pour son système de numération, dont on lait l'éloge.
Le premier rapport rend compte de quelques projets ou pro-
positions émanés de membres du Comité, et qui n'ont pas trouvé
grâce à ses yeux : il condamne également Letellier (dAmiens),
qui croyait que la langue primitive est le celte, et qui prétendait
retrouver le sens d'un mot en le décomposant en ses lettres 2;
Vaillant (de Bucharestj, qui soutenait « que la langue universell(>
existe, et qu'il n'y a qu'à en réunir les éléments épars >, et dont
le système « reposait exclusivement sur les racines, les ononiti-
topécs, les étymologies et les syndjoles, c'est-à-dire sur tout ce
que le Comité avait rejeté », et Gagne, dont la Monopanglotte,
qualifiée de « grotesque idiome », était « composée de mots pris
dans toutes les langues mortes ou vivantes, proportionnellement
à l'importance des peuples qui les ont parlées ou qui les parlent,
afin de ne pas froisser leur susceptibilité et de les faire tous
concourir d'une manière équitable à l'édifice universel. » Tous
les noms devaient se décliner sur dominus ou rosa, tous les adjec-
tifs sur prudens, et tous les verbes se conjuguer sur amare^.
Enfin le rapport étudie « deux projets sérieux et complets dr
langue universelle a priori, projets conformes aux idées du
comité », à savoir ceux de Letellier (de Caen) et de Sotos
OcriANOo. Il critique le premier comme trop artificiel et trop
compliqué, quoique excellent en théorie*; et il manifeste sa
1. Par exemple, l'auteur du second de ces projets proposait les néolo-
gismes pi/roballum (obusier) et aeronauta, que le rapport trouve pourtant
préférables aux périphrases : tormenlum belliann majus, et per ae.'a père-
qrinalor folle suspensus. L'auteur conservait d'ailleurs ■< les déclinaisons,
les conjugaisons avec leurs désinences, ainsi que les règles grammaticales ».
2. Par exemple, rat = animal taré et rongeur; chat = animal charmant
et attachant.
3. Exemples de mots : femmea\ hommeua, arbreus, templumus\ gran-
dens; aimerare. Cf. les projets de latin simplifié de MM. Isly et Frôhlich
(Chapitre final).
4. Citons cette remarque judicieuse : « On dirait que la Langue universelle
LA SOCIETE DE LINGUISTIQUE; M. RENOUVIER Tl)
préférence pour le second, « qui pourrait presque être considéré
comme la réalisation de la savante et judicieuse théorie de
M. Le Mesl » ', et qui est « conforme aux idées du Comité > 2. Il
conclut que, sans être parfait, le projet de Sotos Ochando est
supérieur à tous les autres, et que, en attendant mieux, le
Comité doit travailler « à Taméliorer, à le vulgariser et à le
faire adopter ».
Nous n'entreprendrons pas de critiquer à notre tour les vues
théoriques du Comité et ses conclusions : il suffit d'avoir montré
qu'il est systématiquement hostile à tout projet de langue a poste-
riori, et que son idéal est une langue philosophique et analytique
telle que. comme le disait Sotos Ochando 3, « tous ceux qui
l'apprendraient apprendraient en même temps les connaissances
analysées ». Nous exposerons plus loin (dans la Critique géné-
rale) les raisons pour lesquelles cet idéal nous paraît chimérique
et illusoire. Ce qui explique et excuse l'erreur du Comité de la
Société de Linguistique, c'est qu'à l'époque où il faisait son
enquête il n'existait guère que des j)rojets a priori, et que l'idée
d'une langue philosophique, si en faveur au xvni'' siècle, avait
conservé encore tout son prestige.
Toutefois, il est intéressant de constater qu'à cette même
époque, un penseur qui devait exercer une influence durable
et profonde sur la philosophie française, M. Charles Renou-
viER *, émettait sur le pro])lème de la langue universelle des
vues plus justes et plus profondes, que l'avenir devait vérifier et
réaliser'. Partisan de la langue universelle pour des raisons
philosophiques «, et ne connaissant que des projets de langues
de M. Letcllier n'a pas été faite pour Hrc parlée, mais seulement pour
analyser les langues connues, mortes et vivantes, d'une manière plus com-
plète qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour, et permettre de saisir leurs moindres
différences. » Tribune, p. 140.
1. Remarquons à ce propos, avec le rapport, que ni Letellier ni Sotos
Octiando ne connaissaient aucun de leurs prédécesseurs.
2. Cette rencontre involontaire et imprévue des idées de Le Mesl, de Sotos
Ochando et du Comité parait à celui-ci une marque de vérité.
3. Dans le journal El Heraldo (1843); cité ap. La Tribune, p. l.")8.
4. Aujourd'hui membre de l'Académie des sciences morales et politiques.
5. De la question de la langue universelle au XIX* siècle, ap. La Revue,
t. II, p. 50-83 (août 1853).
6. « Le signe est l'instrument nécessaire des développements de la raison....
De là cette conséquence, (|ue 4a raison en pleine possession d'elle-même
peut instituer un langage réfléchi pour exprimer des idées correctes et posi-
tives, au lieu de se contenter des symboles imparfaits et variables, souvent
76 SECTION I, CHAPITRE XI
philosophiques (ou prétendues telles), il dénonçait avec clair-
voyance leur caractère factice, superficiel et précaire, et leur
opposait un autre programme, qu'il formulait ainsi : La langue
universelle doit être « philosophique par sa grammaire, empi-
rique par son vocabulaire »; c'est-à-dire que la grammaire devait
être fondée sur l'analyse logique de la pensée, et le vocabulaire
emprunté aux langues vivantes (par exemple, composé de racines
romanes). Cette langue serait constituée définitivement quant à sa
forme, qui est la grammaire, attendu que celle-ci répond aux
formes invariables de la pensée; et provisoirement quant à sa
matière, qui est le vocabulaire, attendu que l'esprit humain
forme sans cesse des idées nouvelles et crée des objets nouveaux.
Ainsi la langue serait indéfiniment perfectible, et ouverte à tous
les progrès. M. Renouvier traçait même le plan du manuel de
cette langue; il devait comprendre : 1° une syntaxe générale
(analyse de la parole); 2° une explication des signes catégoriques *
des rapports grammaticaux, suivie de l'emploi de ces signes
pour composer les mots dérivés de chaque famille et construire
régulièrement la phrase ; 3° un vocabulaire de racines usuelles.
Dans ces quelques lignes, passées inaperçues et depuis long
temps oubliées, M. Renouvier avait, avec sa pénétration de phi-
losophe logicien, dressé d'avance le plan des langues a posteriori,
qu'il ne connaissait pas, et dont il n'existait à cette époque que
des projets informes; d'autres sont venues depuis illustrer et
justifier ce programme prophétique.
faux, et toujours puérils, qui formeront le fond des langues primitives, et
qui bientôt affaiblis, altérés, mêlés, effacés, n'ont laissé après eux que
désordre et arbitraire dans nos idiomes les plus vantés. »
1. C'est-à-dire : qui expriment les catégories ou formes générales de la
pensée.
CHAPITRE XII
BYER : LISGUALUMINA^
Le Lingualumina prétend être à la fois une langue philoso-
phique et une langue internationale. Son nom {langue de la
lumière) veut dire qu'elle sera une langue instructive par elle-
même, un véhicule des connaissances scientifiques et philoso-
phiques, parce quelle est « fondée sur les éléments logiques de
la pensée humaine ». En fait, voici comment l'auteur trace le
programme de son œuvre :
1° Classification logique-scientifique de tous les objets (con-
crets et abstraits) de l'esprit humain ;
2° Classification systématique de tous les sons (voyelles et
consonnes), et formation de toutes les combinaisons monosyl-
labiques prononçables;
3" Application des syllabes aux idées, les idées semblables
étant représentées par des syllabes semblables ;
4° Représentation des idées complexes par des combinaisons
de monosyllabes (représentant des idées simples).
Ainsi les monosyllabes représenteront les idées générales et
principales, et le nombre de leurs lettres (2 à 5) sera propor-
tionnel à la complexité des idées correspondantes. Inutile
d'ajouter que cette langue sera absolument différente et indé-
pendante de toutes les langues connues, ce qui, selon lauteur,
garantit sa neutralUé. .
1. The Linqualumina, or language of lifjht. a philosopliical language for
inlernalional communicalion. A now vcliiclc of sciontidc and pliilosopliical
pxpression, îind of intoicommunicatioii l)et\vecii ail tlio nations and varied
peoplos of tiio cartli. Foundod on tiie Logical Elcmonls of Ihiinan Tlioiight,
by Frodorick William Dyeu. Part. I : Goneral and Inlroduclory. 27 p. in-8"
(London, 1889). Gonféionco donnée le 9 juillet 1887; mais la 1" édition do
de co projet date de 1875.
78 SECTION I, CIIAPITUE XII
Nous n'entrerons pas dans le détail de la classilication, inijé
nieuse mais compliquée, que l'auteur donne des idées et de-
mots correspondants. Qu'il suffise de savoir quil attribue aux
16 consonnes les significations suivantes:
M:
quantité;
L:
espace;
S:
existence;
B:
état :
Z:
personnalité;
K:
relation;
V:
espèce ou classe;
J :
c interchange » ;
Pf:
qualité;
D:
variation;
Th
ordre ;
G:
aspect ;
P:
association;
W:
objet de désir;
R:
action;
Y:
objet de conimissance
On forme les radicaux en adjoignant à ces consonnes diverses
voyelles, soit avant, soit après. En particulier, les mots obtenus
en intervertissant l'ordre de la consonne et de la voyelle dési-
gnent des idées contraires. (N. B. Les lettres n et a sont pure-
ment euphoniques, et ne comptent pas i)()ur la signification du
mot.) Exemides :
li =z espace;
lee =; ligne;
lai := angle;
lah z^aire;
loh ^ volume;
eil = limite;
cela = point;
alla =^cdlé;
ahla ^= contour;
ohla = surface ;
loo = sur/ace (comme ohla).
Il y a trois manières de combiner les radicaux pour former
des dérivés et des composés :
i° l^' agglutination. Exemples : Etant donnés les pronoms per-
sonnels : inza = je, anza = tu, onza := il; eeza ^= nous, arza =:
vous, orza = ils, on forme : izanza = moi et toi ; izarza := moi et vous ;
et ainsi de suite.
2° La coalescence. Ex. : delta =: mou.'ement {parce que d = varia-
tion, 1 = espace, t = temps).
3" L'inflexion, au moyen de suffixes. Ainsi, man signifiant beau-
coup, et min peu, de ri ^ pouvoir on forme rimang = fort, et
rirain = faible.
Los verbes se composent de 3 lettres significatives : la 1™ indique
si le sujet est une personne ou une chose (rappelons que z =
personnalité); la 2° indique la personne (les brèves i, a, o, pour le
singulier, les longues ee, ah, au pour le pluriel); la 3® indique le
temps : b, le passé; d, le présent; g, le futur. Ainsi le verbe être
DYEll : LLNGUALUMINA 79
se conjugue au i)résont : zinda, zanda.zonda: zeeda. zahda, zauda :
je suis, tu es, etc. Au passé : zimba. zamba. zomba, elc. Au liilur :
zinga. zanga, zonga. elc. Il y a en outre un parfait, ol)lenu en
(liircissant la consonne du temps: zimpa. zampa, zompa; zeepa,
zarpa. zorpa.
L'auteur complique encore cette conjugaison par d'autres
« subtilités ». Comme on le voit, ce système soi-disant logique
est le comble de l'arbitraire, de la fantaisie et de Tirrégularilé.
11 a en outre un défaut qui tient à la nationalité de l'auteur :
jamais un Anglais ne pourra concevoir une phonétique coi-rectc
et internationale, à cause de la détestable prononciation à
laquelle sa langue l'habitue. Quoi de plus absurde que de pro-
noncer une lettre simple i comme 2 voyelles (aï), et de rendi-e un
son sinn)le i par 2 lettres {ea, ee)1
CHAPITRE XIII
REIMANN : LANGUEINTERNATIONALE ÉTYMOLOGIQUE '
Valphabet de ce projet comi)rend 20 consonnes, 12 voyelles
simples, 6 voyelles longues, 4 voyelles nasales et 44 diphtongues.
Les consonnes seront figurées par des lignes droites, les voyelles
l)ar des lignes courbes ^.
Au moyen de ces lettre^, on formera des radicaux vi-aiiiient
étymologiques, c'est-à-dire qui exprimeront l'idée par la seule
construction du mot.
Le radical est toujours le substantif. On en tire l'adjectif, le
verbe et l'adverbe. Le verbe, en particulier, dérive du substantif
par l'adjonction d'une des voyelles a (pour le présent), i (passé),
0 (futur).
Les substantifs seront classés par ordre logique : tous les
quadrupèdes, tous les oiseaux, etc., seront caractérisés res-
pectivement par la même initiale. Le dictionnaire constituera
ainsi une véritable encyclopédie.
Le système de numération, entièrement a priori, rappelle celui
de Leibniz. Les neuf chiffres sont représentés par des con-
sonnes :
1234 5 6789
d V 1 m k r t n j
et les ordres d'unités décimales par des voyelles :
1 10 100 1.000 10.000 100.000
i é a 0 ou u
Un nombre s'énonce donc comme il suit :
74.f538.2oO = bémi, rulouno vaké.
1. Larousse, Grand Dicllonnaire universel, 1" supplément, t. XVI, r. 1035
(Paris, 1877).
2. Cf. le Chabé ahan de M.\ldant.
REIMANN : LANGUE INTERNATIONALE ETYMOLOGIQUE 81
Los voyelles numériques servent aussi à exprimer les divers
déférés d'une idée; par exemple, les différentes nuances de bleu
s'appelleront :
bliou : bleu le plus foncé.
blio : bleu très foncé.
blia : bleu plus foncé.
blié : bleu foncé.
blii : bleu moyen.
blien : bleu clair.
blian : bleu plus clair.
blion : bleu très clair.
blioun: bleu le plus clair '.
Ce projet, simple esquisse théorique, a tous les caractères et
tous les défauts des langues philosophiques. Il se distingue par
son ali)habet, le plus compliqué que nous connaissions,
I. Cf. la règle de la marguerite de M. Boli.ack.
f'oLTUBAT et Leau. — Languc univ.
CHAPITRE XIV
MALDANT : LA LASGUE NATURELLE '
L'auteur de ce projet a commencé par comparer entre elles les
langues vivantes pour en extraire une langue simple et régulière :
« procédant d'abord par analyse, il essayait laborieusement de
supprimer dans ces langues tous les illogismcs et les irrégula-
rités. Mais il s'apercevait bientôt qu'en supprimant ainsi,... il ne
lui restait plus rien du tout*! » Il arriva ainsi à cette con-
clusion, t que la L. I. ne pourrait être, logiquement, qu'une
langue rationnelle, absolument neuve et faisant résolument table
rase du passé ». C'est dire que la Langue naturelle est entièrement
a priori, et n'a de « naturel » que le titre.
Grammaire.
Valphabel se compose de 21 lettres : 5 voyelles : a, e, i, o, u (ou),
et 16 consonnes : b, c (c/i), d, f, g, j, k, 1, m, n, p, r, s, t, v, z.
L'auteur, constatant qu'il y a « presque autant d'écritures que
de langages », a cru qu' « il fallait logiquement résister à l'en-
traînement d'adopter les caractères latins ». 11 a été ainsi con-
duit à inventer un alphabet, où les voyelles sont représentées
par des lignes courbes O et C , et les consonnes par des lignes
droites : I, -\ et L, différemment orientées '. Nous nous abstien-
drons (et pour cause) d'employer cet alphabet.
1. La langue naturelle (Cliabé Aban), langue internationale. Grammaire
avec exercices et vocabulaires, par Eugène Maldant, ingénieur civil. 130 p.
in-8". 9" éd., Paris, 1887.
2. P. 3. On verra que le D' Zamenhof a procédé de même pour construire
VËsperanto. Si deux auteurs partant du même principe ont abouti à des
résultats si différents, c'est apparemment que l'un d'eux s'est trompé.
3. Cf. SoTos OcHANDO et Reimann.
MALDANT : LA LANGUE NATURELLE 83
L'auteur ajoute à ses lettres une demi-douzaine de signes dia-
critiques (points, accents) pour modifier le son des voyelles.
Deux de ces signes sont les symboles, l'un de la répétition,
l'autre du contraire : de sorte que, par exemple, imi = bu, iomi
:= rebu, el youmi = (délju) vomi.
L'arlicle sert à déterminer le genre, le nombre et le cas des
substantifs. 11 a par suite 12 formes :
Masculin Féminin
Sing. Plur. Sing. Plur.
Nom. : a as e es
Gén. : ad ads ed eds
Dat. : af afs ef efs
L'accusatif est semblable au nominatif. Le génitif sert d'article
partitif, ce qui est un gallicisme illogique. L'article n'est pas
plus défini qu'indéfini, car il doit accompagner tous les sul)-
stantifs.
Les«66'/a/j/i/est invariable en genre, en nombre et en cas ; il est
toujours précédé de l'article. Tous les substantifs sont masculins,
excepté les noms de femmes et de femelles.
Les adjectifs sont simples ou dérivés.
Les adjectifs dérivés sont les qualificatifs; ils sont invariables.
Leurs degrés sindiiiuent au moyen de ai ^plus, ia = moins, et
de a ai = le plus, a ia= le moins • ; o = très.
Les adjectifs simples sont les adjectifs-pronoms; ils varient en
genre et en nombre, comme les articles (en remplaçant a i)ar e
au féminin, et en prenant s au i)luriel). Ils sont de la forme vc.
Exemples : a.c = le même; ag = ce, celte; aj ^ ceci, cela; am =
celui ci, celui-là; an = tel; ap = quel; ar = aucun; av = tout; az =
chaque; iv = qui; iz =^ que, quoi ^.
Les noms de nombre cardinaux sont : u = zéro ; ô = 1 ; ob = 2
oc = ;î ; od = 4 ; of = 5 ; og = 6 ; oj = 7 ; ok — 8 ; ol = 9 ; oa = 10
oao = M; oab = 12: oag = 13;... obarr:20; oga = 30,... oe =100
obe = 200; oge = 300;... oi = 1.000; obi = 2.000;... oai = 10.000
obai = 20.000;... oei = 100.000; obei= 200 000;... ou = 1 million
oau = 10 millions; oeu = 100 millions; oub = 1 billion, etc.
Pour montrer la concision de ce système de numération, l'au-
\. Encore un gallicisme illogique.
2. Le nu'^me mot iz est employé pour Uaduiro la conjonclion que et le ç«e
(Hii suit un comparatif. C'est le comble du gallicisme!
84 SECTION I, CHAPITRE XIV
teur donne l'exemple suivant : 469 882 544 = odegalukekabefedad.
Les pronoms personnels sont :
Masculin Féminin
■ Sing. Plur. Sing. Plur.
1« pers. ab abs eb ebs
2« pers. ak aks ek eks
3« pers. al als el els
Le seul verbe conjugué est le verbe être, qui sert à conjuguer
tous les autres verbes en se joignant à leurs participes présents
et passés, actifs et passifs '. Il est invariable en nombre et en
personne. Voici ses différents temps et modes :
Indicatif présent : ib
— imparfait : ic
— passé : id
— plus-que-parfait : if
— futur : ig
— futur antérieur : ij
Impératif : ik
Conditionnel présent : il
— passé : im
Infinitif présent : i
— passé : in
— futur : ip
— futur passé : ir
Participe présent : is
— passé : it.
Il n'y a pas de subjonctif.
Les adverbes simples ont la forme w : aa = aujourd'hui ; ee =
maintenant; ii = lot; uu = lard; ae = hier; ea ^= demain; ao =
beaucoup; oa ^ peu.
Les prépositions ont la forme v ou w (voyelles accentuées) :
â = à;ê=:de;i= par, etc.
Les conjonctions ont la forme vc : om = et; on = ou; op = oui;
or = non ; ot = car ; oz = mais ; ub = donc, etc.
Môme les interjections sont fixées a priori : a ! signifie la joie, e !
1. Sic. Mais en fait, l'auteur n'admet que deux participes : lepi'ésent actif
et le passé passif (comme en français). 11 dit textuellement : « Les participes
sont actifs ou passifs; mais ils sont en môme temps (?) prescrits ou past'és. »
MALDANT : LA LANGUE NATURELLE 8b
la douleur; i! la colère ou le mépris; o! l'admiration; u! le désir
ou la crainte.
Syntaxe. Le substantif est précédé de l'article et des- adjectifs
déterminatifs, et suivi des adjectifs (|ualificatifs.
Le sujet précède le verbe, excepté dans le cas de l'interroga-
lioii, où il le suit.
Voici quelques exemples de construction : Je ne crois pas qu'il
vienne =^je ne suis pas croyant qu'il sera venant. Celui qui dirige l'État
doit savoir se diriger soi-même = celui qui est dirigeant VÉtat est
devant sachant dirigeant lui-même K
Vocabulaire.
Le vocabulaire delà Langue naturelle est constitué par Tensemble
des combinaisons prononçables de 2, 3, 4 et 5 lettres (au nombre
de plus de 200 000). Tous les substantifs commencent par une
consonne, tous les autres mots par une voyelle. Au reste, voici
la règle générale de la formation des mots : étant donné un
radical substantif,
le préfixe a- forme l'adjectif qualificatif;
— e- — le participe présent;
— i- — le participe passé;
— 0- — l'adverbe (dérivé de l'adjectif);
— u- — l'adjectif négatif.
Exemj)le : di = intelligence ; adi = intelligent ; edi := comprenant ; idi
=^ compris ; odi = intelligemment ; udi = inintelligent.
Les 80 radicaux de 2 lettres (forme cv) de ba à zu, servent,
selon l'auteur, de racines; cbacun engendre (par l'adjonction
dune des consonnes) 16 radicaux dérivés de 3 lettres (forme cve)
et peut engendrer 80 radicaux (substantifs) de 4 lettres (forme
cvcv).
L'auteur forme ainsi un lexique de 3700 substantifs, dont
chacun peut engendrer, comme on l'a vu, '6 dérivés.
Nous n'entrerons pas dans le détail de la classification de ces
mots, qui est purement empirique : ba= dieu, be = religion, bi =
temps, bo = homme, bu ^famille, etc., jusqu'à : za = arbres, ze =
fleurs, zi =^ fruits, zo = légumes, zu = plantes diverses.
1. L'auteur parait ne pas distinguer le participe actif du participe passif,
ni l'auxiliaire aooir de rau.\iliaire élre : ainsi il traduit littéralement : Je
serais venu (au lieu do : J'aurais été venant).
86 SECTION I, CHAPITRE XIV
Critique.
Il est à peine utile de critiquer ce projet : il suffit d'en
exposer les principes pour mettre en évidence le vice fonda-
mental dun tel système. Nous avons relevé en passant quelques
idiotismes qui prouvent chez fauteur une méconnaissance com-
plète de la logique et de la grammaire. Le manque de logiipie
se trahit à chaque pas dans le vocabulaire : daboi'd dans
la classification des idées, ensuite dans ce fait que le sens des
prétendues racines ne se retrouve nullement dans les radicaux
qui en dérivent par l'adjonction dune ou deux lettres '. Celte
classification n'a guère plus de valeur qu'un numérotage arbi-
traire des mots du dictionnaire. Nous n'avons cité ce système
que pour montrer où peut aboutir, sous prétexte de logique et
de neutralité, la prétention de construire une langue entière-
ment a priori sur des combinaisons matiiématiques soi-disaid
régulières et simples ^.
1. La preuve en est fournie par le nom mémo de la langue : cabe aban
= langue nattirelle, car cabe = Inngnf/e, ot ban = nature. Or on Pécrit
partout : Chabé abané, ce qui n'a pas de sens, car bane = exaucementl
2. Depuis la mort de l'auteur, M. Bourgoint-Lagninge s'est occupé de la
propagation et du perfectionnement de cette langue; il s'est notamment
efforcé d'en bannir les voyelles accentuées. On relève dans sa brochure de
propagande Le C/jaie'( 1894) deux assertions inconciliables : après avoir dit
que la L. I. ■< ne doit emprunter ni ses règles, ni ses mois, ni ses lettres
à aucune langue, morte ou vivante », il affirme (|ue « quelques heures
d'étude, à peine, suffisent pour apprendre a rédiger dans cette langue »,
alors qu'elles ne suffiraient même pas à en apprendre l'alphabet! Notons,
à titre de curiosité, que le Petit Journal du 22 sept. 188.") consacrait (sous la
signature Th. Grimm) un article très élogieux à la Langue naturelle, en
invitant ses lecteurs <> à y réclamer une participaticm patriotique » (! ?). Mal-
dant a eu pour collaborateur, dans la confection du dictionnaire, M. Chan-
CEREL, qui a lui-même élaboré un projet de L. I. nommé VOïdapa (1889).
Nous ne connaissons pas celui-ci, mais, d'après l'analyse qu'en donne
M. DoRMOv {Le lialla), il paraît tout à fait analogue au Chabé.
CHAPITRE XV
D' NICOLAS : SPOKIL '
Lo D'" Nicolas a commencé par tMre un atlopfo et mémo un
dignitaire du Volapûk : il était vice-président du Comité central
de V Association française pour la propagation du ]olapûk. Mais
dès i889 il avait conçu lui projet indépendant ^, que depuis lors
t il a remanié de fond en comble, jusqu'à 34 fois », tout en res-
tant fidèle à son principe, qu'il formule lui-même comme suit :
« Combiner l'euphonie, la mnémotechnie, l'analogie, l'étymo-
logie, l'idéographie, sur le principe de V invariabilité du mot, au
moyen d'expressions synthétiques, plutôt simplement catégori-
sées qu'explicitement significatives, susceptibles (.Vévolution et
indéfiniment perfectibles sans que la clarté du langage en soit
compromise. »
Il reconnaît l'impossibilité de construire une langue philoso-
phique fondée sur une classification logique des idées; mais il
croit pouvoir créer des vocables en combinant des éléments
(voyelles et consonnes) qui ont chacun un sens symbolique, et
qui déterminent le sens du mot composé moins par une défini-
tion formelle que par des associations d'idées. La grammaire
repose sur le même système que le lexique, c'est-à-dire sur l'ag-
glutination d'éléments invariables.
i. Spokil, langue systématique pour les usaf/es inlernalionaux, par le
D' Ad. Nicolas, médecin do 1'" classe de la marine, en retraite, lauréat de
rinstitiit, etc. Extrait des Mémoires de la Société nationale d'Agriculturp,
Sciences et Arts d'Angers, janv. 11)00, 48 p. in-8" (Angers, Laclièse, 1900).
Nous ajoutons à cet opuscule quelques circulaires envoyées par l'auteur.
2. Rapport sur un projet de langue scientifique interna lionale, ap. Bul-
letin de la Société de Médecine pratique de Paris (février 1889).
SECTION I, CHAPITRE XV
Grammaire.
L'alphabel comprend 21 lettres : 5 voyelles : a. e. i. o, u (ou); et
16 consonnes, douces : b. d. g (dur), v. z, r, m, j ; fortes : p, t, k,
f, s (dur), 1, n, h (c/i). Leur prononciation est invariable.
Vaccent tonique est facultatif; mais on conseille de le placer sur
la dernière syllabe des mots terminés en 1 et sur l'avant-dernière
des autres mots.
Les principales parties du discours sont distinguées par des
voyelles suffixes, qui sont : a pour les substantifs: e poui- les
verbes (à l'infinitif);! pour les prépositions et conjonctions déri-
vées; 0 pour les adjectifs; u pour les adverbes K
Il y a trois articles : défini : le; indéfini : ne ; partitif : me.
Les substantifs ne se déclinent pas : le génitif et le datif sont
remplacés par les prépositions di (de) et da (à).
La marque du pluriel est un s final qu'on peut appliffuer, soit
au substantif, soit (de préférence) à l'article ou à ladjoctif pos-
sessif ou démonstratif qui le précède. Ex. : di les moda = des
maisons; da les grula = aux livres.
Les adjectifs qualificatifs sont invariables.
Les noms de nombre sont formés systématiquement : ba, 1 : ge, 2;
di, 3; vo, 4; mu, ">: fa, 6; te, 7; kl, 8: po, 9: nu, 0.
Pour énoncer un nombre de plusieurs chilîres, on énonce suc-
cessivement tous ses chiffres, de gauche à droite, en intercalant
un 1 euphonique à la place du point ou de la virgule qui sépare
les tranches de trois chiffres. Ex. : 1.345.796 = bal divomul tepofal.
Les unités décimales successives s'appellent : ha, 10; he, 100;
hi. 1.000; ho, 10.000; hu, 100.000. Puis viennent baal = million;
geai = billion; dial = trillion, etc.
L'auteur indique certaines variantes destinées à éviter la répé-
tition monotone d'une même syllabe.
Pour former les nombres multiplicatifs, fractionnaires, etc., l'au-
teur incorpore simplement les racines qui traduisent les signes
d'opérations : im = plus, in = moins, irm = multiplié par, iks =
divisé par. Ex. : gilirmo = double; diliksa = le tiers.
Les pronoms personnels sont : mi = je; ti = tu; el = il; ella =^
elle; ni = nous; vi — vous; li = ils; ellas = elles.
1. Cf. VEsperanlo.
D" NICOLAS : SPOKIL 89
Le pronom réfléchi est si = soi.
Les adjectifs possessifs dérivent des pronoms personnels : mio,
tio. sio: nio, vio, lio.
Lof^ pronoms possessifs sont : le mio, le tio, etc.
Le pronom relatif est : koe.
Vacljectif démonstratif est : lu (3 genres).
Les pronoms démonstratifs sont : el on lo = celui, ella on la
= celle, los ou ellos = ceux, las ou ellas = celles; lo do = celui-ci,
lo fo = celui-là, etc.
Le verbe est invariable en personne et en nombre; il varie
suivant le temps, le mode et la voix.
Les temps principaux se distinguent par les suffixes -ai (présent),
-ei (passé), -oi (futur) et -ui (conditionnel) soit ajoutés au radical
verbal, soit mis à la suite de Tinfinitif et précédés de 1-; dans ce
dernier cas, ils forment une sorte de verbe auxiliaire. Exemple :
arbe ^= travailler.
Indicatif présent : mi àrbai ou arbe lai.
— passé : mi arbei ou arbe lei.
— futur : mi arboi ou arbe loi.
Conditionnel présent : mi arbui ou arbe lui.
Les temps secondaires se forment au moyen du suffixe -iz (du
l)articipe passé actif) précédant le suffixe temporel :
Imparfait : mi arbizai ou arbe lizai.
Plus-que-parfait : mi arbizei ou arbe lizei.
Futur antérieur: mi arbizoi ou arbe lizoi.
Conditionnel passé: mi arbizui ou arbe lizui.
On peut aussi les former au moyen de l'auxiliaire de (avoir)
aux temps principaux, suivi du participe passé (arbiz).
L'impératif ne ûii'îî^ve de l'indicatif qu'en ce que le pronom se
place après le verbe, excepté à la 2'' personne sing. où on le
supprime : arbai = travaille: arbai vi = travaille:.
Le subjonctif ne difière de l'indicatif que par la conjonction ko
(que) qui le précède.
Le participe présent se forme au moyen du suHixe -az : arbaz =
travaillant: il devient adjectif quand on y ajoute un -o: adverbe
quand on ajoute un -u : arbazu := en travaillant.
La voix passive diffère de l'active par le suffixe -en intercalé
entre le radical verbal et les suffi.xes tem})orels. Ex. : move
= aimer, movene ^ être aimé; mi movenai = je suis aimé; mi
movenizoi = j'aurai été aimé. Le participe passif qs[ moveno = aimé.
90 SECTION I, CHAPITRE XV
On peut aussi former le passif en suhslitnant ce participe
passif à rinfinitif de l'actif : mi moveno lai, mi moveno lizoi.
On peut enfin former le passif au moyen du verbe auxiliaire
ve (être) suivi du participe passif : mi vai moveno. mi vizoi moveno.
V interrogation se marque en plaç:anl le pionom npirs le verJje,
et surtout par le ton.
Pour la syntaxe, il n'y a pas de. règle absolue : l'adjectif peut
se placer avant ou après le substantif, ladverbe avant ou après
le verbe. Il y a seulement un ordre normal recommandable :
sujet, verbe, régime direct, régimes indirects.
V0C.\DUL.V1RE.
Le vocabulaire est construit presque entièrement a priori.
« Les mots du Spokil ne sont pas formés en vue de synthétiser
une définition de l'objet..., mais simplement... d'en rappeler la
nature, en en faisant ressortir telle ou telle propriété saillante,
et en choisissant des traductions qui. autant que possible, ne
conviennent qu'à Vobjet... que rappelle le mot » (p. 11).
Tout le vocabulaire est fondé sur la « valeur conventionnelle
attribuée aux consonnes ou doubles consonnes, et précisée par
la voyelle ou double voyelle ».
Si l'on met à part la consonne 1 et la voyelle i qui ont surtout
un rôle euphonique, et les consonnes m et n, qui désignent les
contraires (le positif et le négatif], toutes les autres voyelles et
consonnes ont un sens symbolique plus ou moins vague, con-
signé dans deux tableaux. Citons-en seulement quelques-unes,
comme exemples.
La lettre r, seule, correspond aux idées suivantes : occlusion,
cacher, retendent, peau, couverture, autour; la lettre s, aux idées
suivantes : notion, science, encéphale, raison, pensée, donc; la lettre k,
aux idées suivantes : division, outil, main, pouvoir, mécanique, avant.
Parmi les consonnes doubles ou triples, on remarque rb, qui
correspond à l'idée de travail; rg, à l'idée d'énergie; rk, à l'idée
de cercle; gn, à l'idée de feu; dr, à l'idée d'eau; br, à l'idée d'ali-
ment; gr, aux idées de gravure et d'imprimerie; pn, à l'idée d'air;
kl, à l'idée d'éclatement; kr, à l'idée de guerre; ktr, à l'idée d'élec-
tricité; tr, à l'idée de richesse; fr, à l'idée de fruit; sp, à l'idée
de parole; skr, à l'idée d'écriture; str, à l'idée de voyage.
D"» NICOLAS : SPOKIL 91
Les voyelles, soit simples, soit associées h d'autres voyelles ou
h (les consonnes, expriment ù leur tour des nuances de pensée
très générales.
Cela posé, voici comment on forme les mots. Les racines s'ob-
tiennent en juxtaposant une voyelle (simple ou double) et une
consonne (sim})le ou double). Ex. : ikr exprime Tidée d'arme
parce que kr = guerre, et que i indique le moyen; de même ikl
signifie explosif: iktr, aimant; istr, véhicule, etc.
Les mots primitifs s'obtiennent en préposant à une racine une
consonne (simple ou double). Ainsi ov signifiant affection, inclina-
tion, mov signifiera Vamour, et nov la haine.
Ces mots se complètent par les suffixes grammaticaux : ikra =
arme; ikro = armé: mova = amour, move =: aimer. De ab = fiant
on forme : aba = le haut; abe = hausser: abi = en haut; abo = haut
(adj.); abu = hautement.
Les mots dérivés se forment à l'aide de suffixes lexicologiques,
dont les principaux sont :
-al, qui désigne la généralité ou collectivité:
-el, — l'auteur de l'action : arhel =^ travailleur:
-il, — rinstrumentde l'action : kahe^ lever. kahil^^ levier;
-pi, — la condition de l'action, les corps (en chimie),
les arbres ;
-ul, — le résultat de l'action, les pi-oduils, les fruits :
grul = livre.
-ella sert à former les féminins, et -inna les diminutifs : felisella =
chatte, lupusinna = louveteau.
Il n'y a pas de différence entre les mots dérivés et les mots
composés, puiscpie chaque élément de mot a sa significalion
propre et indépendante. Par exemple, si l'on combine str (idée
de voyage) avec igd (idée d'enduit), on forme le mot strigda =
nsplialte. De même, en combinant ga (sol) avec stab {niveau liant)
on obtient galstaba = plateau (avec un 1 euphonique).
Enfin le Spokil s'incorpore les mois étrangers, quand ils sont
internationaux, ou les mots latins qui appartiennent à la nomen-
clature scientifique (comme felis, lupus). Mais pour les distin-
guer des mots propres au Spokil, on leur réserve les suffixes
exotiques : is, es, os. us, ais, eis. Les mots ainsi incorporés
engendreront régulièrement leurs dérivés. Ainsi de l'ilalieny/au/o
on fait le mot flautis =^ fïùte, d'où flautise = jouer de la Jhite;
flautisel = fldliste.
92 SECTION I, CHAPITRE XV
Pour donner une idée de la physionomie du Spokil, il suffit
den citer une phrase : Meona val le tsael di le veol = l'homme est
le roi de la nalure.
Critique.
Le Spokil est, comme on le voit, une langue a priori, mais non
une langue philosophique. C'est, suivant l'expression même de
l'auteur, « une langue absolument artificielle, c'est-à-dire qui,
faisant table rase de tous les vocabulaires actuels, cn'^e de toutes
pièces ses racines et ses dérivés ». Il a par suite le défaut capital
de toutes les langues a priori, qui est, dun seul mot, Varbilraire.
La grammaire est arbitraire, et n'a même pas le bénéfice de la
simplicité et de la régularité absolues : témoin la place faculta-
tive de la marque du pluriel, et les formes doubles ou triples
dans la conjugaison.
Le vocabulaire aussi est arbitraire, tant dans ses éléments que
dans sa composition. En vain alléguerait-on que les sens choisis
pour les consonnes sont plus ou moins suggérés par elles, soit
par une association d'idées naturelle*, soit par l'évocation de
racines naturelles où elles figurent (nous avons cité précisément
celles de ces consonnes pour lesquelles cette suggestion est la
plus manifeste). Dans les langues aryennes, tout au moins,
jamais une idée n'est associée à une consonne ou combinaison
de consonnes, mais toujours à une syllabe complète. L'idée
d'écrire n'est pas attachée à la combinaison (imprononçable
séparément) skr, mais à la syllabe skrib. La voyelle a beau
changer et quelques-unes des consonnes aussi, la syllabe
demeure l'élément fixe et irréductible du mot. 11 en est de même
des affîxes de dérivation : ce ne sont jamais de simples lettres
(v^oyelles ou consonnes), mais des syllabes; l'instrument pour
écrire ne se dira pas iskr, mais écritoire ou Schreibzeug (D.).
Ainsi le Spokil a le même vice rédhibitoire que les langues
philosophiques : ses racines sont composées de lettres dont
chacune a un sens propre; m^is pratiquement, elles se présentent
1. Dans la recherche de ces significations, l'auteur ne craint pas de faire
appel à des considérations de symbolisme ou d'occultisme fort peu scienti-
fiques, comme pour z, qui évoque par sa forme l'idée de sinuosité, de zigzag.
On remarquera qu'il est fâcheux de choisir deux lettres aussi aisées à con-
fondre que m et n pour désigner et distinguer les contraires.
D" NICOLAS : SPOKIL 93
comme des combinaisons arbitraires dont le sens purement
convenlionnel est imposé i> la mémoire. En veut-on un exemple?
Soit le mot primitif jeb : j signilie privation, vide, lacune, absence,
sans; e indique le sens fondamental du symbole suivant;
b exprime les idées de priorité, volonté, tête, causalité, en haut,
(Vabord. Qu'on essaie, d'après cela, de construire le sens du mot
jeb... 11 signifie hésiterl
L'auteur prétend que son système offre des ressources mné-
motechniques parti(udières et possède une grande facilité d'assi-
milation. C'est là une étrange illusion, que nous avons déjà
signalée pour les langues philosophiques. Nous allons en faire
le lecteur juge par quelques exemples. Pne = respirer; pna =
soupir; pni = haleine; pno == souffle; pnu -= branchie (pourquoi pas
poumon"!). Stre ^= parcourir; stra = voie; stri = charrette; stro =
pavage; stru = gare (stra signi(ie-t-il donc chemin de fert). Eilj
= cube; eimj = prisme, einj = pyramide; eilz ^= cercle, eimz =
cylindre, einz = cône; eilp = carré. Le lecteur est-il bien sûr de
ne jamais confondre le cylindre avec le cône, ou le cube avec le
carré, ou même de ne pas confondre ces figures géométriques
avec les vers (eilb), les pierres brillantes (eild), les arômes (eilf) ou
le sucre (eilv)? Nous le laissons répondre à cette question de
l'auteur : « Ne pensez-vous pas que la série de ces mots du
Spoldl s'assimilera plus facilement et se fixera mieux dans la
mémoire... que les mots correspondants de n'importe quel
Sabir ' ? »
Enfin l'auteur revendique pour son système le privilège de
donner à tous les éléments du mot un sens propre et indépen-
dant : son principal avantage, dit-il, est que toutes ses racines
peuvent servir d'afflxcs. Nous croyons pouvoir affirmer qu'il se
trompe sur cette question de l'ait. Nous n'avons pas à discuter
ici les critiques qu'il adresse aux langues a posteriori, qualifiées
dédaigneusement de Sabirs; mais il les méconnaît, quand il
avance que les « Sabirs n'ont pas de racines et n'incorporent
que des mots »-. Il oublie que VEsperanto (qu'il parait viser par-
ticulièrement) emploie précisément comme affixes des racines
<pii possèdent un sens individuel et qui peuvent devenir des mots.
Oue si l'auteur veut dire que dans les mots de sa langue chaque
1. Circulaire intiUiK'O : Sabir or nol sihir (1901).
2. Circulaire de novembre 1901 {Le mot et la chose).
94 SECTION I, CHAPITRE XV
lettre a un sens, c'est là un caractère commun à toutes les
langues philosophiques (voir notamment Letellier et Sotos
OCH.VNDOj.
Nous ne nions pas l'ingéniosité de ce système, ni la science do
son auteur : ses théories sur le sens naturel primitif des lettres,
sur la correspondance symbolique des mots et des idées sont
séduisantes et curieuses; elles rappellent certaines spéculations
de Platon et de Leibniz; elles peuvent être intéressantes pour la
philosophie du langage, pour son histoire ou plutôt sa paléon-
tologie; mais elles ne peuvent servir de base à une langue inter-
nationale pratique.
CHAPITRE XVI
HILBE : ZAHLENSPRACHE^
Le projet de M. Hilbe est (loul)le. Il comprend, d'abord, une
langue a priori l'ondée sur une traduction des concepts en
nombres; ensuite, une langue a posteriori, succédané provisoire
et transitoire de l'autre. Ces deux langues auraient la même
grammaire, et ne différeraient que par le vocabulaire.
L'idée directrice de làuteur a été de fonder la langue univer-
selle sur une base scientifique inébranlable. Or, dans tout le
domaine des sciences, « nous ne trouvons rien qui reste éternel-
lemenl invariable, en dehors du nombre ». Pour construire une
langue universelle définitive et immuable, il faut donc lui donner
pour base le système des nombres.
I
La première idée de l'auteur était de former, par la combi-
naison systématique des voyelles et des consonnes, des noms ûo
nombre internationaux, comme le sont déjà les nombres écrits
en cliitTres. Les 10 chiffres sont traduits par des voyelles :
012345678 9
èaeiouàôô à
Prononcez : aï a é i 6 ou è eu o bref aom
Ces voyelles représenteront le chiffre des unités.
1. Die Zahlensprache. Neue Weltsprache aitf Griind des Zahlens'jstems,
mil einem unabhûmjiqen Worlschatze von Millionen unverdnderlicher
th'undwôrfer, |)ar Ferdinand Hilbe. 32 p. in-8" (Fcidkirih, 1901). Voici la tra
duction du tilro: Summerlingve, nnuidlinçive neod sull base enummersisteme
lioll v'irôrike tindepandrintpd laverem-lu fundamùnlvurben linvariabled
multe mHlidne. L'auteur est •< Kaiscrlicher kônigliclier Kanilei-Direktor ».
96 * SECTION I, CHAPITRE XVI
Le chiffre des dizaines sera représenté par une des consonnes :
10 20 30 40 50 60 70 80 90
bd fgkmnpv
Ainsi l'on dira : 10, bè; 11, ba; 12, be; 13, bi; 20, de; 21, da;
.... 30, fè; ... 40, gè; 90, vè; ... 99, va.
Les centaines seront représentées par les syllabes :
100 200 300 400 oOO 600 700 800 900
la le li lo lu là lô lô là
de sorte qu'on dira : 101, laa; 102, lae; 110, labè; 999,
làvà.
Le chiffre des mille sera représenté par les syllabes :
sa, se, si, so, su, sa, sa, sô, sa.
Par exemi)le : sala = 1.100; salabè = 1.110; saline = 1.372;
salôno = 1.874.
Les nombres de mille se représenteront comme les nomlircs
d'unités, en y ajoutant la lettre s. Ainsi : bès = 10.000; das =
21.000; fes = 32.000; las =: 100.000; laas = 101.000; laasa =:
101.001; lakusdi = lao.023; lapislage = 183.142. De môme :
les =: 200.000; lis = 300.000; los =400.000, etc., jusqu'à : làvàs
làvà = 999.999.
Après cela, rar = 1 million; rear = 2 millions; riar ^ 3 mil-
lions, etc. A partir de 10 millions, les nombres de millions
s'expriment comme les nombres d'unités, en y ajoutant -rar :
laspirare = 100.083.000.002.
rer = 1 billion '. On compte les billions comme les millions,
de 1 à 999.909.
rir := 1 trillion ou le cube d'un million (l.OOO.OOO^j ; et ainsi de
suite : le nombre encadré entre les deux r désigne \a puissance du
million. On va ainsi jusqu'à la millionième puissance du million,
qu'on désigne par qar. Ce nombre serait représenté par 1 suivi
de 6 millions de zéros; c'est-à-dire qu'une personne qui écrirait
un chiffre à la seconde sans s'arrêter mettrait 107 jours à écrire
ce nombre dans le système décimal.
L'auteur invente un nom, xar, pour la qar'"'-« puissance de qar;
un autre pour la xar'""^ puissance de xar, et ainsi de suite. Cette
nomenclalurc des nombres est pratiquement illimitée.
Cette nomenclature fournit en même temps un répertoire indé-
1. C'est-à-dire, comme l'entendent (fort logiquement d'ailleurs) les Alle-
mands : 1 million de millions, ou 1.000.000 2.
HILBE : ZAHLENSPRACHE 97
fini de vocables. Au lieu de traduire les concepts par des « mots
sans contenu » comme les langues naturelles, voici comment la
langue des nombres les traduira : on fera correspondre par exemple
les oO premiers nombres aux idées fondamentales ou catégories
(Urbegriffe). Ceux de 51 à 100 correspondront aux mêmes idées
(dans le même ordre) ; ils sont réservés pour combler les lacunes
de la première nomenclature. Pour les autres concepts, on déter-
minera leur degré d'affinité (Verwandtschaftsgrad) par rapport à
rune des catégories. On rangera ceux qui dépendent d'une même
catégorie en série linéaire, suivant leur degré d'affinité, et on
les numérotera. Soit U le numéro de la catégorie, g le numéro
du concept (mesurant son degré d'affinité avec la catégorie);
son expression numérique sera déterminée par la formule :
U + 101 g
et du même coup sera trouvée son expression verbale, grâce à
la traduction des nombres en mots. Soit, par exemple, un concept
qui ait le degré d'afAïiité 13 avec la catégorie 47 (gô), son nom
sera :
47 + 15 X 101 = 1562 = salume.
Grâce à cette formule, deux concepts différents ne peuvent pas
avoir le même nombre, parce que U est toujours inférieur à 101.
Et réciproquement, un nom, c'est-à-dire un nombre donné, ne
peut appartenir qu'à une seule catégorie, par rapport à laquelle
il représente un degré d'affinité déterminé.
On obtiendrait ainsi le répertoire des radicaux, dont la valeur
numérique serait toujours inférieure à qar. Pour former les
mots dérivés, on aurait besoin d'une centaine d'affixes de 3
lettres, quon clioisirait parmi les noms de nombres supérieurs
à qar. Bien entendu, dans le choix de toutes ces racines, tant
principales qu'accessoires, on ne tiendrait aucun compte des
sens qu'elles peuvent avoir dans telle langue naturelle. La langue
des nombres peut et doit être bien plus parfaite que les langues
naturelles, et son vocalnilaire sera construit entièrement a priori.
Pour l'instituer, l'auteur appelle de ses vœux une « commis-
sion internationale > de savants compétents de toutes les spé-
cialités, qui auraient : l»» à dresser la liste des 50 ou 100 catégo-
ries; 2° à déterminer le degré d'affinité de tous les concepts par
rapport à leurs catégories respectives; 3° à choisir et à définir
une centaine d'affixes.
CouTURAT et Leau. — Langue univ. <
98 SECTION I, CHAPITRE XVI
Pour apprendre la langue des nombres, il suffirait do connaître
ces trois séries de données, .... et de savoir additionner et mul-
tiplier les nombres. Un dictionnaire serait inutile à qui possé-
derait la science du calcul linguistiqite (die sprachlicho Rechnimgs-
wissenschaft), qui s'enseignerait dans les écoles comme aujour-
d'hui la grammaire.
II
En attendant que cette science soit constituée, l'auteur pro-
pose une langue a posteriori dont voici les principes. Dans le
vocabulaire immense formé par tous les noms de nombre
(jusqu'à qar) on choisira les radicaux qui rossemblont à dos
mots des langues naturelles, ot ou leur attribuera le sens qu'ils
ont déjà dans ces langues. On adoptera : 1° les radicaux inter-
nationaux (communs à toutes les langues européennes); 2° les
radicaux communs à 2 ou 3 langues européennes; 3° les radicaux
latins; 4° les radicaux qui rappellent des mots romans ou ger-
maniques, do préférence les plus courts et les i)his harmonieux.
Ce choix naura naturellement aucun égard à la valeur numé--
rique des radicaux. Seulement, tous ces radicaux seront soumis
à certaines conditions de forme, parce que tout mot doit corres-
pondre à un nombre entier. Par suite, tous les radicaux (substantifs)
commenceront par une consonne ' ; aucun no sera terminé par
une consonne des dizaines (b — v) et aux autres on ajoutera un e,
de manière que tous les radicaux finissent par une voyelle. On
emploiera les voyelles comme préfixes et les consonnes comme
suffixes grammaticaux; en sorte que tout mot qui commence par
une voyelle ou finit par une consonne est un mot modifié.
Valphabet comprend les 10 voyelles que nous connaissons, et
22 consonnes, qui sont : b, d, f, g (dur), k, m, n. p, v; 1, y (j alle-
mand), s (2), ss, sz, szs2. j (français), c (dj) ^. t ; r, q (kv), h (ch alle-
mand), x; plus deux lettres, u et z (ts), qui n'entrent pas dans les
radicaux et ne servent qu'à la grammaire.
1. Aux radicaux naturels qui commencent par une voyelle, on ajoute un
I initial. Ex. : linvàntoro, lindepândànted.
2. Nous n'entrons pas dans le détail de la prononciation de ces trois s,
parce que leur son, d'ailleurs peu différent, dépend de leur position ou de
leur voisinage.
3. Le double ce se prononce tch, ce qui viole la règle de l'uniformité du
son des lettres.
HILBE : ZAHLENSPRACHE 99
Nous ne reproduirons pas les règles d'accent, qui sont trop
compliquées.
Les substanlifs (radicaux) se terminent par une voyelle qui est
(Ml général -e. Pour indiquer le genre (naturel), on la change en
-0 (masc.) ou on -a (féminin). Les mômes lettres servent aussi «à
distinguer le fruit (-0) de l'arbre (-a)'. Ex. : filyie, enfant; filyio.
fils; iilyia, fille ; sinyoro, monsieur; sinyora, madame; porno, pomme:
poma. pommier.
L'article défini est lo, la, le; Varlicle indéfini est luno, luna.
lune.
La déclinaison s'effectue au moyen des préfixes e- (génitif), i-
(datif), 0- (accusatif), attachés soit au substantif, soit à l'article
ou au pronom qui le précède.
Ex. : pane (pain), epane, ipane. opane; la pane, ela pane, ila pane,
ola pane.
Le pluriel est indiqué par le suffixe -n ajouté, soit au
substantif, soit à l'article. Ex. : lan filyie = les filles.
Du substantif on déinve l'adjectif, le verbe, l'adverbe et la
préposition au moyen des suffixes respectifs -d, -m, -k, -p. Ex. :
lamore, amour; lamored. cher; lamorem, aimer; lamorek, avec
ainour; lamorep, pour l'amour de.
L'adjectif est donc terminé par -d. 11 est invariable, et se place
après le substantif.
Le comparatif se forme en répétant la dernière syllabe (-ed
devient -eded), et le superlatif en la remplaçant par -essed. On peut
aussi employer les préfixes plu et most : boned, bon, plu boned.
most boned.
Nous connaissons déjà les noms de nombre. Les nombres ordinaux
eu dérivent par l'adjonction de -d (-tid, -zûd); les adverbes ordinaux
par ladjonction de -k(-iik, -ztik);les nombres de fois, par l'adjonc-
tion de -f (-ùf, -zûf); les nombres multiplicatifs, par l'adjonction de
-g (ùg, -ztig); les nombres d'espèces, par l'adjonction de -m (ùm.
-ziim); les /rac/ions, par l'adjonction de -n; les nombres distributifs.
par l'adjonction de -p; les verbes multiplicatifs (ex. : décupler) par
le suffixe -iimirem; et les substantifs numéraux (ex. : dizaine) par le
suffixe -umare.
Les pronoms personnels sont : mi, ti, hi ou luy ; noy, voy. soy. Le
pronom de politesse (vous) est vu (sing.) et vuy (plur.). Le pronom
1. Comme dans le Mundolingue de Julius Lott.
100 SECTION I, CHAPITRE XVI
de la s*' pers. sing. est, au féminin (elle) hia ou lua; au neutre,
hie ou lue.
Les pronoms personnels se déclinent comme les substantifs,
au moyen des préfixes e-, i-, o-.
Les pronoms possessifs sont : mo, to, so (soa, soe) ; nos, vos, lor
(lora, lore).
Les pronoms démonstratifs sont : qàsto, celui-ci; qàllo, celui-là;
stesso, même {L. ipse); medesmo, le même (L. idem) ', etc.
Les pronoms relatifs, interrogatifs et corrélatifs sont formés systé-
matiquement, ainsi que les adverbes analogues. Les pronoms
relatifs commencent en général par k-; les pronoms interrogatifs
en dérivent au moyen du préfixe (interrogatif) li ^, et les pro-
noms corrélatifs au moyen du préfixe so-. Ex. :
soki, celui; ki, qui; liki, qui?
soqale ^ tel; kale, quel; li qale, quel?
sokome, ainsi; kome, comme; li kome, comment?
Citons quelques autres adverbes relatifs : kur, pourquoi; dove,
où; dadove, d'où; didove, vers où; qande, quand; dall qande, depuis
quand; bis qande, jHsgM'à quand.
Les verbes, dont le radical se termine toujours par m, et forme
l'infinitif, sont invariables en personne et en nombre. Les temps
se forment au moyen de préfixes, et les modes au moyen de
suffixes. Le présent de l'indicatif est semblable à l'infinitif. L'im-
parfait est marqué par le préfixe a-; le parfait, par e-; le plus-que-
parfait, par i-; \e futur, par o-; le futur antérieur, par u-*. Ex. : noy
lamorem, nous aimons; mi àlamorem, jVumais; ti elamorem, tu as
aimé; hi ilamorem, il avait aimé; hia elamorem, elle aimera; vu
ulamorem, vous aurez aimé.
Les mômes préfixes servent à former les temps des autres
modes, qui sont caractérisés :
Le subjonctif, par le suffixe -la ;
Le conditionnel, — -le;
U" impératif, — -lo ;
Le participe, — -lu.
L'impératif a une autre forme : lamorez (sing.), lamorezet
1. Empruntés à l'italien.
2. Emprunté au Volapuk.
3. Ou : taie.
4. A peu près comme en Volapuk.
HILBE : ZAHLENSPRACHE 101
(plui-.). Le participe a une autre forme : lamoranto (subst.), lamo-
ranted (adj.), lamorantek (adverbe).
l.c passif SQ foFine avec le verbe auxiliaire sumum (être), suivi
iimnédiatenient de l'infinitif auquel on a retranché la finale -m :
mi sumum lamore, je suis aimé.
L'infinitif passif (présent) est : zalamorem.
Les participes passifs (présent, passé, futur) sont : zalamoro.
zelamoro, zolamoro (substantif); zolamored, etc. (adjectif); zala-
morek (adverbe).
\/ interrogation est marquée par li, la négation par no placé
d(>vant le verbe.
Les adverbes sont, soit primitifs (bâne. bien), soit dérivés de
radicaux sul)stantifs au moyen de -k (bonek, avec bonté). Leur
comparatif se forme en redoublant la finale -ek (bonekek).
Les prépositions sont, soit primitives, soit dérivées de substan-
tifs au moyen de -p. Les primitives sont en général empruntées
au latin, à l'italien ou au français : per, prope, pr opter; sotto,
sopre; par, parmi, durante.
Les conjonctions sont empruntées aux mêmes langues : qia
(parce que); ma, pero; lorske, e (et), u (ou), si, lossi (aussi).
De même la plui)art des formules de politesse sont empruntées
au français: mosyo (monsieur), madame; màsyô, madame: monami.
bonami, etc.
La syntaxe se borne à prescrire l'ordre naturel de la proposi-
tion : sujet, verbe, régimes direct et indirect. Quand le régime
direct est un pronom, il ne se met après le verbe que s'il est
seul; autrement, on le met avant, et les régimes indirects après.
Cela dispense de décliner les pronoms. Ex. : mi luy donem ti, je
te le donne ; mi ti donem luy, je te donne à lui. On peut même se
dispenser de décliner les substantifs, quand leur place détermine
suffisamment leur rôle : mi edonem luy pane, je lui ai donné du
pain. Les prépositions régissent toujours le nominatif.
La formation des mois dérivés se fait à l'aide de préfixes et suf-
fixes. Nous connaissons déjà les suffi.xes -d, -k, -m, -p et leur rôle.
Le suffi.xe -b indique le possesseur; -i, le temps; -g. le lieu.
Les voyelles servent de préfixes adverbiaux et marquent une
graduation. Ainsi serek = le soir; aserek, ce soir (aujourd'hui);
àserek, hier soir; eserek, avant-hier soir; iserek, avant-avant-hier
soir; oserek, demain soir; userek, après-demain soir.
L'auteur admet une foule d'autres i)réfixes et suffixes servant à
102 SECTION I, CHAPITRE XVI
la composition; par exemple :1e préfixe no- indique le contrairo ',
noiamore, haine. Le suffixe -ie caractérise les noms de pays; on
le remplace par -o, -a pour désigner les habifcints (masculins,
féminins), et par -e pour désigner la langue. Ex. : Gàrmanie,
V Allemagne; gàrmano, gàrmana, allemand, allemande; gârmane, l'alle-
mand (la langue). Le suffixe -ya désigne la femme de ... Le suffixe
ta (-ità) marque la qualité (substantif dérivé dadjectif) : bonità;
le suffixe -ô, ïagent : battô, batteur; le suffi.xe -bli, la possibilité :
deklinablid, déclinable; les suffixes -ose, -tive, la tendance active;
le suffixe -fikarer, l'action de rendre (tel ou tel): làrifikarer. action
de dorer; et -fikare, le résultat de cette action : làrifikare, dorure.
Enfin les suffixes -ete et -one sont respectivement diminutif et
augmentatif ^.
Parmi les mots cités par l'auteur, on remarque des formations
systématiques bizarres: les quatre points cardinaux sont appelés
norde (N), nurde(E), nàrde (S),nôrde (0); et minuit est traduit par
nordef (par opposition sans doute à midi, qui se dit pourtant :
midi). Mais, en général, les mots sont empruntés au latin ou au
français et plus ou moins déformés. Voici, à titre d'échantillon
de cette langue, les premières phrases de l'opuscule de M. Hiliœ.
< Nummerlingve sum produkte leffektuirep lideye, tu kreirem
lossi luna nominare lintârnassiônaled par kômbinassiône natured e
regulared elàttern pro nummersinyen ca lexistànted. Resultate
emônstrarem, ko vàrben multed zenated talek sum simled u lidàn-
ted koll vàrben enaturlingven ; dunqe lideye âsum vicinek, tu lusem
qàsta vàrbrike lenormed pro luna nummerlingve. »
• Critique.
Comme le projet, la critique doit être double.
I
La langue a priori de M. Hilbe prétend échapper aux inconvé-
nients des langues philosophiques; mais elle en a d'autres équi-
valents. D'abord, l'auteur croit pouvoir se dispenser de l'analyse
logique des concepts, en se bornant à leur assigner un ordre
1. Tandis qu'isolé il indique simplement la négation.
2. Comme chez Julius Lott.
HILBE : ZAHLENSPRACHE 103
logifjue; mais celui-ci suppose celle-là. Ensuite, comment éta-
blir cet ordre logique, entre les catégories d'une part, et entre
les concepts dérivés de chaque catégorie, d'autre part"? Kntre ces
catégories, qui sont i»ar hypothèse les idées primitives et irré-
ductibles, il n'y a pas de degré hiérarchique ni d'ordre généalo-
giciue. Entre les concepts dérivés d'une même catégorie, il est
en général inq)0ssil)le de trouver un ordre linéaire naturel ;
quel que soit le principe d'une classification logique (que ce soit
la relation de genre à espèce, ou celle de tout à partie, ou celle
de supérieur à inférieur, etc.), chaque idée a presque toujours
plusieurs idées subordonnées, qui sont coordonnées entre elles, et
dont par suite l'ordre ne peut être qu'arbitraire. Par exemple,
soit la catégorie de corps (vivant); énumère-t-on les espèces :
homme, singe,... ou les parties : tête, bras, jambe, main, pied,... 1
Dans l'un et l'autre cas, quelle espèce ou quelle partie sera la
1'", la 2",... si ce n'est par une pure convention? En outre, où est,
dans ces séries, le degré d'affinitél Peut-on dire que, dans la
gamme des couleurs, le rouge a plus d'affinité que le violet avec
le genre couleurl cela n'a pas de sens. Et puis, même dans les
classes comme celles-là, où l'on peut du moins reconnaître un
ordre linéaire, les notions classées forment le plus souvent une
série continue, de sorte qu'on ne peut pas dire quelle est la pre-
mière après une autre, et qu'entre deux quelconques on peut
toujours en intercaler une troisième. Il est donc impossible de
leur assigner un ordre numérique qui ne soit pas arbitraire.
Enfin, lors même que la classification des idées serait natu-
relle et logiquement irréprochable, les mots correspondants
n'exprimeraient nullement leurs rapports de déjjendance, ce qui
constitue un désavantage de la Zahlemprache j)ar l'apport aux
langues philosophiques (où le nom du genre sert de radical aux
noms de ses espèces). Par exemple, il n'y a aucun rapport sen-
sible (de forme) entre la catégorie gô et son dérivé salume. Cela
vient de ce que les nombres qui correspondent aux dérivés d'une
même catégorie forment une progression arithmétique de
raison 101. Exemi)le : fo (34), lafu (135), lefà (236), lifô (337)....
Eauteur aurait pu diminuer cette disparate en prenant 100 i)our
I aison de la progression (pour coefficient de g), ou mieux encore
on adoptant la formule: iOOU + <7; mais il ne l'a pas voulu, dit-il,
pour éviter la monotonie; comme si les mots correspondant à
des concepts voisins se trouvaient toujours rapprochés dans le
104 SECTION I, CHAPITRE XVI
discours! Ainsi la relation entre les concepts est purement
arithmétique, et pour la découvrir il faut faire un calcul mental.
On dira peut-être qu'il suffit de retenir de mémoire le résultat
du calcul fait une fois pour toutes (comme dans la table de
Pythagore). Mais alors ce n'est plus qu'une série de mots con-
ventionnels à apprendre mécaniquement. En résumé, ou bien il
faut savoir par cœur toute la classification logique des idées et
efi"ectuer des opérations de calcul mental, ou bien il faut savoir
par cœur tout un dictionnaire de mots dont le sens est absolu-
ment arbitraire (en apparence du moins). Mieux vaut évidem-
ment une langue a posteriori.
II
C'est ce qu'a bien compris l'auteur, et c'est pourquoi il a
inventé sa Nummerlingve, comme succédané provisoire et inter-
médiaire. Seulement cette langue a posteriori a, par rapport aux
autres, l'inconvénient d'être soumise à des conditions restric-
tives, qui dérivent de cette règle arbitraire : Tout mot doit être
un nombre. De là vient que l'on est obligé de déformer les radi-
caux empruntés aux langues naturelles, notamment en leur pré-
fixant des consonnes. En outre, les flexions grammaticales et les
affixes de dérivation sont en général arbitrairement choisis, ce
qui achève de défigurer les mots naturels. L'alphabet est trop
compliqué, et cela vient en partie de ce que l'auteur a dû
adopter 10 voyelles pour les besoins de sa numération : plusieurs
d'entre elles sont difficiles à distinguer : â, ô, e; o, ô; il en est de
même des quatre s; il y a des diphtongues : à, è, qui prêtent à
confusion. L'auteur semble hésiter entre le synthétisme et l'ana-
lytisme : après avoir permis de décliner à volonté l'article ou le
substantif, il essaie de remplacer les cas par la position des
mots. D'ailleurs, l'emploi des voyelles-préfixes pour la décli-
naison et la conjugaison est malencontreux; non seulement il
choque les habitudes de la plupart des langues européennes,
mais il rend le radical méconnaissable, ou tout au moins plus
difficile à trouver dans un dictionnaire.
En général, l'auteur oscille entre la méthode a priori et la
méthode aposferiort (par exemple dans la formation du participe).
Bien que son vocabulaire soit en principe a posteriori, il cons-
truit a priori, non seulement les noms de nombre (c'est la base
HILBE : ZAHLENSPRACHE 105
de son système), mais les pronoms et adverbes interrogatifs, et
môme certains noms (comme ceux des points cardinaux). En
somme, la physionomie et la structure de cette langue sont trop
éloignées de celles des langues naturelles pour offrir la facilité
qu'on est en droit d'attendre d'une langue a posteriori. Retenons
seulement ce fait, que l'auteur, voulant choisir les radicaux les
plus inler nationaux, a adopté presque exclusivement des radicaux
latins. C'est en ce sens seulement qu'on peut souscrire à sa
devise : « NuUa kulture sine nummerlingve. »
CHAPITRE XVII
DIETRICH : VÔLKERVERKEHRSSPRACHE
Tandis que d'autres reprochent au Volapûk de trop s'éloigner
des langues nationales et de leurs usages grammaticaux,
M. DiETRicH lui reproche au contraire d'avoir gardé quelques
restes des grammaires et des vocabulaires naturels 2. A plus forte
raison il juge sévèrement les langues a posteriori : elles se bor-
nent à copier servilement les langues naturelles, et n'en sont
que des imitations ou des contrefaçons. Selon lui, la rivalité
des peuples et leur amour-propre linguistique n'admettront
jamais une « langue de compromis » ; chacun voudra avoir la
part du lion ^ La langue internationale ne doit pas être une com
pilation faite de pièces et de morceaux, mais un « organisme »
logique homogène et indépendant. La langue commerciale * des
peuples doit être neutre, et pour cela, elle ne doit pas être inter-
nationale, mais « extérieure à toutes les nations » ; elle « exclura
tous les éléments nationaux ». En s'affranchissant de l'imitation
des langues naturelles, elle pourra être bien plus logique et plus
parfaite qu'elles. Elle doit avoir pour base, non l'usage, qui
varie d'un peuple à l'autre, mais la logique. Les concepts seuls
1. Grundlagen der Vôlkerverkehrssprache. Entwùrfe fur den Auf- und
Ausbau einer denkrichtigen, neutralen Kunstsprache als zukiinftige
Schriftsprache, eventuell auch Sprechsprache fur den international en
Verkehr, von Cari Dietrich. 70 p. 8'' (Dresden, G. Kùhtmann, 1002).
2. La grammaire du Volapûk « ne se sépare pas assez nettement des
grammaires des langues naturelles » (p. 3).
3. Endresultate meiner Volapùkstudien, ap. Volapilkagased valemik, 1895
(Jvniele, Allmendingen, Wûrttemberg).
4. Il faut entendre le mot commerce (D. Verkehr) dans son sens le plus
général de communication.
DIETRICH : VOLKERVERKEHIISSPRACHE 107
sont internationaux, et non les mots et les formes grammati-
cales. Les mots divisent les peuples; seul le bon sens les unit.
Il faut donc fonder la L. I. sur l'analyse logique des langues et
sur la classification des idées; on revêtira ensuite celles-ci de
formes verbales obtenues par la combinaison systématique des
voyelles et des consonnes. Cette langue purement artificielle
(surtout destinée à l'usage écrit) sera une libre construction de
l'esprit humain, un « chef-d'œuvre par la multiplicité de ses
parties, l'unité do ses éléments, l'unité et la finalité de ses fonc-
tions ». Elle ne peut être l'œuvre d'un seul homme; elle exige la
collaboration d'une » corporation de logiciens ». Il faudra
d'abord définir et classer les principaux concepts, établir la
grammaire, puis les règles de dérivation, et enfin le lexique. La
formation du vocabulaire doit être entièrement subordonnée à
la grammaire, car c'est celle-ci qui réglera la forme des mots.
Une telle langue répondra non seulement aux besoins pratiques
du commerce, mais encore à toutes les exigences des sciences.
Elle ne remplacera d'ailleurs jamais les langues naturelles,
parce qu'elle ne sera pas une langue maternelle.
Grammaire.
Voici la classification « scientifique » des lettres (7 voyelles,
22 consonnes) :
1° Voyelles : i, e, a, o, u(o«), e (eu), h;
2° Consonnes (par paires) : b, p; d, t; g (toujours dur), k;
z. s; j (français), c {ch);j(j allemand), q (ch allemand) ; v, f ; deux
m; deux n; deux r; deux 1. Chaque lettre a toujours le même
son. Pour que les prononciations nationales ne risquent pas
d'altérer les sons, on inventera des lettres nouvelles.
Avec ces lettres on formera tous les mots par des combinai-
sons systématiques, dont l'auteur dresse le tableau. On obtient
ainsi facilement 50 000 radicaux monosyllabiques des formes
V, vc, cv et cvc. Cette dernière forme (syllabe fermée) est le
type des radicaux substantifs, d'où dérivent les autres espèces
de mots.
Les substantifs se déclinent : le nominatif singulier se réduit
au radical: le nominatif pluriel se forme en y ajoutant un-s. Les
autres cas (génitif, datif, accusatif) se forment en ajoutant res-
108 SECTION I, CHAPITRE XVII
pectivement -a, -e, -i au nominatif (singulier ou pluriel) *. Il n'y a
pas d'articles, ni défini, ni indéfini, l'auteur les jugeant inutiles.
Les adjectifs dérivent des radicaux substantifs au moyen du
suffixe -0. Employés comme épithètes, ils sont invariables; isolés,
ils se déclinent comme les substantifs : ils prennent au singulier
les désinences -oa, -oe, -oi; au pluriel les désinences -osa, -ose, -osi.
Les degrés de comparaison se forment en remplaçant la dési-
nence-o par -zo (comparatif) ou par -je (superlatif). Ils se déclinent
comme les adjectifs au positif.
Les adverbes dérivent des substantifs au moyen du suffixe -yo,
et les prépositions au moyen du suffixe -u.
Les noms de nombre se composent au moyen des noms des dix
chiffres :
tiz, 1 ; tez, 2 ; taz, 3 ; toz, 4 ; tuz, 5 ;
tij, 6; tej, 7; taj, 8; toj, 9; tuj, 0;
chacun étant suivi du nom des unités décimales qu'il repré-
sente :
mi, 10; me, 100; ma, 1000; mo, 1 million; mu, 1 billion^.
Par exemple, 1897 s'écrira et s'énoncera :
tiz ma taj me toj mi tej.
Les adjectifs ordinaux dérivent des noms de nombre par l'ad-
jonction du suffixe -to, et, quand ils sont employés substantive-
ment, du suffixe -tem.
Les adverbes ordinaux se forment de même au moyen du suffixe
-tyo (tiztyo, premièrement).
Les pronoms personnels sont : im, je; em, tu ; am, il; om, on; um,
soi. Ils prennent le pluriel; les 3 premiers donnent : ims, nous,
ems, vous; ams, ils^.
Ils se déclinent comme les substantifs : ima, ime, imi ; imsa,
imse, imsi.
Ils prennent tous un genre au moyen des préfixes i- (masc.) et
e-(fém.). Ex. iam, il; eam, elle.
Les adjectifs-pronoms possessifs dérivent des pronoms personnels
au moyen du suffixe -o : imo, mon ; emo, ton ; amo, son (en général) ;
iamo, son (à lui); eamo, son (à elle), etc.
1. C'est la déclinaison du Volapïik, a cela près que l's du pluriel est
interverti.
2. C'est-à-dire 1 million de millions.
3. Comme en Vclapiik.
DIETRICH : VOLKERVERKEHRSSPRACHE J09
Ils se dc'clinont comme les adjectifs quand ils sont pronoms.
Les autres pronoms sont aussi de la forme vc, et se déclinent
de môme.
Tous ces pronoms engendrent des adverbes dérivés au moyen
du suffixe -yo : imyo, à ma manière, etc.
Les verbes se conjuguent sans aucun auxiliaire; ils ne varient
ni en nombre, ni en personne, ces indications étant fournies par
les pronoms.
Les temps sont marqués par des préfixes, les modes par des
suffixes.
La gamme des cinq voyelles sert à marquer les temps : i-, le
plus-que-parfait; e-, le parfait; a-, le présent; o-, le futur simple; u-,
le second futur (futur antérieur). A ces temps on peut ajouter
Vimparjait, marqué par ae- ou ea-; et le duratif (passé, présent,
futur), marqué par la répétition des voyelles respectives : ee-,
aa-, 00-.
Dans la forme active simple, le radical verbal (de la forme cvc)
ne prend aucun suffixe. Les autres formes du verbe signifient :
i° L'existence (du sujet) dans l'état (exprimé par le verbe) : Je
suis malade. Suffixe : -i;
2" Le passage à l'état : je deviens malade. Suffixe : -e;
3® L'action qui cause l'état : je rends malade. Suffixe : -a;
4° Le fait de subir l'action exprimée par le verbe : je suis battu
{on me bat). Suffixe : -u;
5° Le fait de subir l'état exprimé par le verbe : je suis rendu tel
ou tel. Suffixe : -au.
Ces deux dernières formes correspondent au passif.
Les modes proprement dits sont :
l" V infinitif, qui dérive des formes précédentes par l'adjonction
de -9z;
2° Voptalif, qui se forme de même par l'adjonction de-ze. C'est
un impératif poli : Veuillez écrire, s'il vous plaît;
:\'^ IS impératif , qui se forme de même par l'adjonction de -se;
4" Le conditionnel, qui se forme de même par l'adjonction de
ca;
5» Le potentiel (mode de la possibilité), qui se forme de même
par l'adjonction de -jo.
Comme on le voit, la lettre e est caractéristique des modes.
Enfin le verbe est susceptible de degrés de comparaison : le i" est
marqué par la lettre z, le 2° par la lettre j intercalée entre le
110 SECTION I, CHAPITRE XVII
radical et les autres suffixes. Ex. : soit R le radical qui signifie
bon; R-iaz = être bon; R-ziaz = être meilleur: R-jiz = être le meilleur,
être très bon. De même à n'importe quels temps et mode : e-R-za =
(il) a rendu meilleur; o-R-je = (il) deviendra très bon.
L'infinitif étant le substantif du verbe, \c participe en dérive par
l'adjonction du suffixe -o, caractéristique de l'adjectif. Il a donc
la forme : R-azo.
Les prépositions ont la forme cv. L'auteur les classe et les cons-
truit comme suit :
I. Prépositions indiquant des rapports spatiaux :
A. La direction : forme zv. Les deux voyelles i, e indiquent res-
pectivement le lieu où Ton va et celui d'où l'on vient.
B. Le lieu et la direction : forme b v. Ex. : bi, sur (en repos) ; bii,
(aller) sur; bie, (venir) de dessus; bri, sous (en repos); brii, (aller)
sous; brie, (venir) de dessous.
II. Prépositions indiquant des rapports non spatiaux. Ex. : gi,
avec; gri, sans '.
III. Prépositions dérivées. Nous savons déjà qu'elles se forment
au moyen du suffixe -u. Elles traduisent les locutions : au lieu
de, au moyen de, sur l'ordre de, pour Vamour de, au nord de, etc.
Les prépositions ne régissent aucun cas et se mettent toujours
devant le substantif régi.
Les prépositions non dérivées peuvent servir en môme temps
de préfixes en composition.
Les conjonctions sont aussi de la forme cv; mais elles diffèrent
des prépositions par la consonne.
Vocabulaire.
Par le môme procédé combinatoire, l'auteur construit les
radicaux (de la forme cvc) et les suffixes de dérivation (de la
forme vc). Pour commencer par ceux-ci, -il indique un diminutif,
-el un augmentatif; -ib exprime le mérite (honorabilité), -ab la ressem-
blance, -ub l'opposition ;-im désigne les personnes de qualité; -em
les hommes et les femmes (avec les voyelles génériques!, e) ; -am le
fabricant de...; -om les animaux, et -um les plantes; -iv désigne les
sciences, -ev les arts, -av les métiers, -ovle commerce, -uvle trans-
1. La consonne r parait marquer l'opposition, comme chez Dalgarno.
DIETRICH : VOLKERVERKEHRSSPRACHE lH
port; -in désigne les éléments chimiques; -en les solides; -an les
liquides; -on, les gaz ; -un, les tluides hypothétiques (électricité,
magnétisme).
Suffixes (le lieu : -ig, lieu en général; -eg, i)artiesde la terre; -ag,
états, provinces; og, villes et villages; -ug, lieu avec direction
(régions du ciel).
Suffixes (le temps : -ir, temps en général ;- er, année ;- ar, mois ; -or,
jour ;-ur, heure ; -iur, minute; -eur, seconde. Exemple : le 3 mai 189^,
(1 k heures du soir = 1894-er, 5-ar, 3-or, Ifi-ur (voir les noms de
nombre).
Entîn certains suffixes servent à former les substantifs dérivés
de verbes : -id indique l'état ; -ed le devenir ; -ad, l'action, le « faire » ;
-od, l'action abstraite; -ud, la chose concrète, résultat de l'action.
Quant à la formation des radicaux, elle présuppose la classifi-
cation complète des concepts, en vertu de ce principe : A des
gi'oupes de concepts logiquement voisins doivent correspondre
des groupes de mots phonétiquement voisins; autrement dit.
l'affinité des sons doit exprimer l'affinité des sens. Voici, à titre
d'exemple, la classification et la nomenclature des couleurs.
Supposons que la racine vit désigne le blanc. Les radicaux vitil,
vital, vitol. vitul... désigneront les diverses espèces de blanc
(substantifs ; les adjectifs prennent -o). On aura de même : vet = le
rouge, vieto =: rose; vaeto = vermillon; voeto = ultra-violet: vueto
= rouge sombre. Puis : vat = le jaune ; viato = blond ; veato = orange ;
voato = vert: vuato = brun. Ensuite : vot = le bleu; vioto = azur:
veoto = violet (plus bleu que voeto) ; vaoto = vert (plus bleu que
voato) ; vuoto = indigo. Enfin : vut =; le noir ; vuito ou viuto =; gris ;
veuto =noir rouge; vauto = noir jaune ; vouto = noir bleu.
Critique.
Cette langue mérite les mêmes critiques que les langues philo-
sophiques proprement dites : son défaut capital consiste dans la
formation arbitraire des radicaux, des préfixes et des suffixes.
Selon l'auteur, « la langue artificielle ne doit employer aucun
mot naturel pour ce quelle peut exprimer elle-même plus facile-
ment, plus simplement et plus logiquement ». Mais si la corres-
pondance des mots aux idées est arbitraire dans nos langues, en
quoi sera-t-elle plus logique et moins arbitraire, si à des syllabes
112 SECTION I, CHAPITRE XVII
mécaniquement formées en vertu d'un ordre obsohiment conven-
tionnel assigné aux lettres, on l'ait correspondre des idées classées
dans un ordre plus ou moins naturel et logique? Quant à la
facilité d'une telle nomenclature, l'exemple des noms de nombre
et celui des noms de couleurs permettent d'en juger. Ils montrent
bien plutôt la difficulté énorme, pour ne pas dire l'impossibilité,
qu'il y aurait à retenir le sens de ces combinaisons phonétiques
si semblables; et la seule facilité qu'elles offrent est la facilité de
les confondre entre elles.
La grammaire est entachée du même défaut. D'abord, elle est
trop synthétique, surtout dans la conjugaison, où chaque lettre
a une signification propre (temps, mode, voix, degré), ce qui
exige une analyse logique impossible à la simple audition. En
outre, toutes les flexions se ressemblent, et se réduisent aux
5 voyelles ; il faudrait une mémoire exceptionnelle pour se rap-
peler les sens que la même voyelle reçoit ; 1" dans la déclinaison ;
2° comme préfixe verbal; 3° comme suffixe verbal; et cette mulli-
plicité de sens ne paraît guère conforme à la logique *. D'ailleurs,
pour rester fidèle à la logique, il n'est pas indispensable de
prendre le contre-pied des langues naturelles, et d'indiquer les
temps par des préfixes, plutôt que par des terminaisons. On ne
voit pas non plus pourquoi la logique exigerait la perpétuelle
succession des mômes lettres, et imposerait aux mots une clas-
sification alphabétique. Enfin l'alphabet lui-môme est trop com-
pliqué et trop peu international : combien de peuples, combien
de personnes môme seraient capables de distinguer dans la pro-
nonciation et à l'audition deux m, deux n, deux 1 et deux r? Ren-
dons du moins cette justice à l'auteur, qu'il ne prétend pas créer
à lui seul la L. 1., et se borne à proposer un projet ou plutôt un
plana une « corporation de logiciens ».
1. De même, les voyelles e, 1, qui marquent le genre dans les noms,
marquent la direction dans les prépositions.
CRITIQUE GENERALE
Les langues a priori ont poui" défaut capital d'être... a priori^
t est-à-dire de ne tenir aucun compte des langues vivantes, ni
dans leur matière, ni dans leur forme. Dans leur matière,
attendu quelles adoptent des radicaux entièrement nouveaux et
forgés de toutes pièces, qui ne rappellent, môme de loin, aucun
mot connu: dans leur forme, car elles adoptent pour leur gram-
maire des flexions tout à fait arbitraires etsystématiques, qui ne
ressemblent nullement aux flexions des langues indo-européennes,
même pas parleur place. Il en résulte que chacun de ces projets
soffre comme une langue absolument nouvelle, et par conséquent
très difficile à apprendre, aussi difficile, pour le moins, qu'une
langue étrangère quelconque, car si elle a sur celle-ci (en général)
lavantage énorme de la régularité (sinon toujours de la simpli-
cité), elle a en revanche le désavantage, aussi considérable, de
dérouter toutes nos habitudes de langage et môme d'esprit. Ces
langues sont donc condamnées d'avance par leur principe
même, au point de vue pratique, car pour réussir à se faire
nilopter, la L. I. doit être notablement plus facile que les lan-
gues naturelles (européennes).
Peut-être toutefois serait-on tenté de passer sur ce grave
inconvénient, si l'une de ces langues présentait un avantage théo-
rique immense et incontestable, si elle pouvait fournir l'expres-
sion parfaite de nos idées et devenir un auxiliaire de l'esprit, une
« algèbre de la pensée » (Letellier). Mais il n'en est rien; et c'est
<e qu'il importe de montrer, moins pour réfuter des systèmes
«[ui n'ont aucune chance de succès que pour décourager les
futurs inventeurs qui seraient tentés d'en élaborer de sembla-
bles.
Les langues philosophiques reposent toutes sur une classifica-
CoCTfBAT et Leau. — Langue univ. o
1 1 4 SECTION I
tion logique de nos idées, sur une analyse complèfe do nos con-
naissances; elles présupposent donc une connaissance parfaite
du monde physique et moral, ou, comme disaient Descartes et
Leibniz, elles dépendent de la vraie philosophie '. Or il est clair
que les sciences et la philosophie no seront jamais achevées; il
est même douteux qu'elles soient jamais assises sur des prin-
cipes fixes et inébranlables, car les progrès qu'elles font amèneiil
une revision et une réforme de ces principes. Mémo les math(''-
matiques, que les profanes considèrent comme la science certaine
et immuable, ont subi une refonte complète dei)uis un demi-
siècle, et commencent seulement à découvrir leurs propres prin-
cipes logiques, qu'on ne peut encore considérer comme définiti-
vement formulés. S'il en est ainsi des sciences t exactes », que
dire des sciences expérimentales, où des découvertes nouvelles
peuvent bouleverser les cadres anciens, amener à identifier ce
qui était distinct, à distinguer ce qui paraissait identique, ouvrir
des domaines inconnus et créer des sciences nouvelles? Une
classification logique serait à la merci de tous ces progrès; et il
ne suffirait pas, pour l'y adapter, de réserver, comme quelques
auteurs prudents, mais naïfs, des cases vides pour les concepts
nouveaux; il faudrait la remanier de fond on comble, et avec elle
la nomenclature qui en dépendrait. Pour montrer combien il est
téméraire de prétendre fixer une nomenclature logique, il suffit
d'un exemple bien simple. Les auteurs de la nomenclature
chimique créée à la fin du xviii° siècle croyaient énoncer des pro-
priétés essentielles et incontestables de l'oxygène et do Vazote on
attribuant ces deux noms aux principaux gaz de l'atmosphère.
Or ces noms sont devenus des contresens on moins d'un siècle :
pour la chimie moderne, c'est l'hydrogène qui devrait s'appeler
oxygène, car c'est lui qui caractérise les acides ; et quant à l'azote,
on lui donnerait un nom tout contraire, car c'est l'élément le plus
essentiel des êtres vivants. Tel est le danger dos nomenclatures
idéologiques, qui essaient d'incorporer la définition de l'objet
dans le nom qu'on lui donne.
Ce genre de nomenclature a un autre inconvénient : c'est la
longueur et la complication des mots qu'on est amené à former
pour désigner les notions tant soit peu complexes. Ici encore,
1. Il convient de rappeler que pour ces auteurs la philosophie représentait
l'ensemble des sciences.
CRITIQUE GENERALE 1 1 ^
la nomenclature chimique nous fournit un exemple et un argu-
ment; on sait que celte nomenclature, justement parce qu'elle
pr<''tend traduire la composition d'un corps par son nom, aboutit
à former des mots d'une longueur fantastique, qui, difficiles à
retenir, impossibles à énoncer, rebutent les savants eux-mêmes
et condamnent à leurs yeux ce système de nomenclature, qui ne
date pas de vingt ans.
Ce que nous venons de dire ne s'applique qu'aux langues
l)hilosophiques, c'est-à-dire fondées sur une classification
logique. Mais cette critique vaut, à plus forte raison, pour les
langues a priori non philosophiques (Solrésol, Chabé, etc.), car
elles reposent sur une classification empirique et arbitraire des
idées; elles n'ont donc même pas l'excuse de la recherche
logique et de l'apparence scientifique^
Si nous voulons préciser un peu, nous trouvons que la plupart
des langues philosophiques (en tout cas, les plus complètes :
Letellier, Sotos Ociiaxdo) reposent sur une classification par
(jenres et par espèces. Or c'est une erreur de croire que toutes nos
idées puissent être classées de cette manière; et il faut bien
dénoncer cette erreur, puisque, malgré ou à cause de son anti-
quité (elle remonte à Aristote), elle règne encore dans les cours
dé philosoi)hie. En effet, il y a bien d'autres principes de classi-
fication que la relation de l'espèce au genre ; citons, par exemple,
la classification qui procède du tout aux parties, la classification
généalogique, la classification hiérarchique, etc. '. La relation
du corps humain à ses parties n'est pas celle du genre humain
aux diverses races humaines qui en sont les c espèces » logiques;
elle n'est pas non plus celle de l'a'ieul à ses descendants, ni celle
du colonel aux commandants et aux capitaines qui sont sous ses
ordres. En réalité, les classifications soi-disant logiques font
intervenir tour à tour ces diverses relations; mais elles admet-
tent ainsi une hétérogénéité qui ruine leur uniformité et leur
symétrie apparentes '^.
Sans doute, certains projets {Lingualumina, SpoJdl) semblent
i. Cf. Durand (de Gros) : Aperçus de taxinomie générale (Paris, Alcan,
18!)<.)).
2. On pourrait sans doute imaginer des caractéristiques grammaticales
qui permettent de distinguer ces divers principes de classification; mais
t'ii fait aucun auteur ne s'en est avisé jusqu'ici, et cela compliquerait encore
la formation des mots.
1 i 6 SECTION I
éviter cet écueil, en composant leurs mots d'éléments caracté-
ristiques (lettres ou combinaisons de lettres) qui correspon
dent à des idées simples. Mais (outre qu'aucun de ces projets
ne comporte une classification complète des idées suivant ce
principe), ils supposent que toutes nos idées se forment par
des combinaisons homogènes d'idées simples, ce qui est faux.
Lorsque Dver, par exemple, forme le mot delta = mouvement
au moyen des éléments d = variation, 1 = espace et t = temps, il
suppose cette définition du mouvement : « variation dans l'espace
et dans le temps »; or si, dans cette formule, on supprime les
mots en italiques, on la rend inintelligible, parce qu'on sujjprime
la relation spéciale qui unit les trois éléments; et cette relation
n'est pas symétrique, car si l'on permute ces trois termes, la
formule devient un non-sens. Par conséquent, combiner des
idées par simple juxtaposition, comme si elles étaient homo-
gènes, c'est négliger la diversité des relations qui les unissent,
c'est-à-dire l'élément le plus important de l'idée composée, car
c'est lui qui détermine le sens de celle-ci. Ainsi ces systèmes
méconnaissent, comme les systèmes à classification logique,
l'hétérogénéité réelle des relations qui existent entre nos idées'.
Nous venons de discuter les principes logico-philosophiqnes
des langues a priori. Mais lors même que ces principes seraient
excellents, ces langues seraient encore sujettes à critique par la
manière dont elles les appliquent, c'est-à-dire par leur morpho-
logie. En efïet, comment les langues a priori traduisent-elles en
mots leurs classifications, bonnes ou mauvaises? C'est toujours
par des combinaisons systématiques de lettres qui équivalent.
1. Ces relations sont exprimées, dans nos langues, d'une part, par Ifs
particules (prépositions, conjonctions, adverbes simples), d'autre part, par
la dérivation et la composition. On remanjucra que ce défaut des langues
a priori concorde avec le peu d'importance que leurs auteurs attachent aux
particules, à la dérivation et à la composition. On peut, il est vrai, concevoir
un système de signes propres à représenter les différentes relations des idées
qui entrent dans la composition d'une idée complexe. On trouve [)ar exemple
un tel symbolisme, appliqué aux mathémaliiiues, dans le Formulaire de
Matliémutigws de M. Peano. Mais cet exemple même montre à quelle com-
plication atteindrait une telle pnsigraphie, étendue à tous les ordres d'idées,
puisque, pour les idées rnathémati(iues seulement, on est obligé d'emi)loyer
une centaine de symboles différents. En outre, s'il est vrai qu'on peut,
théoriquement, inventer une traduction phonétique de ce symbolisme pour
transformer celte pasigraphie enune langue universelle, on voit que celle-ci
serait bien peu pratique, car il faudrait probablement des milliers de pho-
nèmes différents, correspondant à autant d'idées élémentaires.
CRITIQUE GÉNÉRALE H7
au fond, à des numéros d'ordre : dans tous ces systèmes, les
lettres sont des nombres, et l'ordre alphabétique correspond à
tordre numérique (Vidal). Il y a une grande analogie entre ces
langues et les pasigraphies : les unes et les autres numérotent les
idées préalablement classées; seulement les numéros des unes
sont prononçables, tandis que ceux des autres ne le sont pas'.
Mais le principe est le môme : c'est la formation du vocabulaire
au moyen de combinaisons mathématiques.
Or ce princii)e a des conséquences très fâcheuses. Chaque
lettre n'étant, au fond, qu'un chiffre, n'a pas de sens par elle-
même : elle n'en a que par la place qu'elle occupe dans le mot,
et par les lettres qui l'y précèdent. Deux mots peuvent avoir en
commun une syllabe, et môme être semblables à l'initiale près,
et avoir des sens tout différents, sans aucun rapport et sans
aucune analogie. Cela est contraire à l'esprit de nos langues,
et môme, semble-t-il, de toute langue. En effet, le langage repose
sur l'association, conventionnelle et plus ou moins arbitraire,
sans doute, mais constante et habituelle, d'une idée à un son (et
})ar son il ne faut pas entendre une simple lettre, ni surtout une
consonne ou combinaison de consonnes, mais une syllabe, car
c'est là le véritable élément phonétique). Apprendre une langue
(par l'usage surtout), c'est principalement acquérir les associa-
tions qui donnent à ses radicaux leur sens, de telle sorte qu'un
radical, vu ou entendu, évoque automatiquement l'idée qu'il
exprime. Or cette correspondance uniforme et fixe du sens au
son n'existe pas dans les langues philosophiques, et cela seul
permet d'affirmer que de telles langues seraient extrêmement
difficiles, sinon impossibles à apprendre. Leur constitution
méconnaît donc les lois fondamentales de la linguistique et de
la psychologie.
Elles les méconnaissent encore par un autre de leurs principes,
qui est celui-ci. Des idées voisines doivent être représentées par
des mots voisins; plus les idées sont analogues, plus les sons
doivent l'être 2, Or l'on peut soutenir, sans aucun paradoxe, le
|)rincipe contraire : plus deux idées sont semblables, plus les
1. C'est ce que montre bien le projet de Grosselin.
2. Remarquons en passant que la réciproque n'est pas vraie; comme nous
venons do le dire, deux mots qui ne diffèrent que par leur initiale peuvent
navoir rien de commun pour le sens. Cela enlève toute valeur pratique
au principe en question.
118 SECTION I
mots qui les expriment doivent cHre différents. En effet, plus le
sens de deux mots est voisin, plus on est porté à les confondre;
et, au contraire, il y a moins de danger à avoir deux mots sem-
blables pour désigner deux idées très différentes i. Si, comme
dans les langues philosophiques, on désigne les idées d'un
même genre par des mots qui ne diffèrent que par une lettre,
cela les rend d'autant plus dilTiciles à ajjprendre, et dautant
plus faciles à confondre. Sans doute on retiendra aisément leurs
formes; mais on se rappellera avec peine leurs sens. Pour se
retrouver, par exemple, dans la nomenclature des corps simples
d'après Sotos Ochando, il ne suffit pas de savoir la série de
vocables : Âbaba, ababe, ababi.... mais il faut savoir par cœur la
suite des noms correspondants : oxygène, hydrogène, azote,... sans
en omettre ni intervertir un seul. Si Ion en oublie un, on est
perdu; le nom de chacun dépendant de son rang, on se trom-
pera fatalement sur tous les suivants. Il y a donc fort peu de
chances pour qu'on arrive au bout sans erreur, et il y en a
beaucoup pour que l'on confonde le ruthénium et Vosmium; d'au-
tant plus que l'ordre assigné aux idées d'une même classe est
toujours plus ou moins arbitraire ^. D'ailleurs, l'ordre assigné
aux lettres de l'alphabet est également arbitraire, et, dans cer-
tains systèmes, diffère de l'ordre alphabétique, de sorte qu'il
prête, lui aussi, à des erreurs de mémoire. Et c'est en juxtapo-
sant, par une correspondance arbitraire, deux ordres dont
chacun est déjà par lui-même arbitraire, que l'on prétend cons-
tituer un vocabulaire logique et naturel !
Aussi, quand les auteurs de ces langues prétendent que leur
vocabulaire n'est pas plus long ni plus difficile à apprendre que
la numération, ils se trompent lourdement : apprendre un tel
vocabulaire, cest sans doute apprendre d'abord un système de
numération; mais c'est ensuite apprendre le sens de milliers de
nombres, c'est-à-dire les idées qui leur sont associées en vertu
d'une correspondance doublement arbitraire.
En résumé, les langues a priori supposent, comme fondement
1. C'est ce qui permet, dans nos langues, de distinguer les homonymes
et les paronymes d'après le contexte, c'est-ù-dire par le sens général de la
phrase; cela diminue tout au moins les risques d'équivoque et de confusion.
2. C'est ici qu'on voit combien l'analogie des nombres est trompeuse; le
sens de chaque nombre est exactement déterminé par son rang même dans
la suite, ce qui n'est pas vrai pour toutes les autres séries.
CRITIQUE GÉNÉRALE 119
logique, un ('tat d'achèvement ou tout au moins d'avancement
des sciences qui est et sera longtemps encore chimérique; et
dans l'application de la classification des idées (fût-ello parfaite)
à la rorniation des mots, elles procèdent par un arbitraire com-
plet, que cache mal l'emploi systématique et monotone de corn-
l)inaisons mathématiques. Ainsi, dune part, elles reposent sur
un i)rincipe tout subjectif, essentiellement précaire et caduc;
et d'autre part elles offrent un vocabulaire entièrement conven-
tionnel, et par suite extrêmement difficile à apprendre. Elles
n'ont donc ni valeur scientifique, ni utilité pratique.
SECTION II
SYSTÈMES MIXTES
CHAPITRE I
LE PUOGRAMME DE J. von GRIMM
Les systèmes mixtes comprennent principalement le Volapiik
(>t ses dérivés. Toutefois, bien avant l'apparition du Volapiik, l'il-
lustre philologue Jacob von Grimm avait publié, non pas un
projet, mais le plan d'élaboration d'une langue universelle que
nous croyons devoir classer dans cette section, car, comme on
va le voir, si par beaucoup de points la langue idéale qu'il
conçoit est a posteriori, par quelques-uns elle se rapproche des
systèmes a priori. Comme ce document est très intéressant et
assez court, nous le traduisons in extenso^.
Programme pour la formation d'une langue universelle
A l'égard du grand public, il sera utile d'exposer :
1° Les avantages extraordinaires qui résulteraient pour tout le
genre humain de la formation et de l'adoption d'une langue
universelle ;
2« Les raisons pour lesquelles aucune des langues connues
jusqu'ici ne peut être employée à cette fin;
1. EiCHHORN, Die Weltsprache, p. 8-15 (Bamberg, 1887); Hans Moser,
Grundtiss einer Geschichle der Weltsprache, p. 20-24 (Berlin-Neuwied, 1888).
122 SECTION II, CHAPITRE I
3° Les causes pour lesquelles tous les essais faits jusqu'ici
dans ce sens ont nécessairement échoué;
4" Les difficultés attachées à l'exécution de ce projet.
A regard des penseurs, ce serait prendre leur temps et perdi<'
son temps, et comme le présent écrit leur est exclusivement des-
tiné, je commence sans autre préambule l'exposé de mon plan.
Le programme devrait poser à peu prés les principes sui-
vants :
Quelles propriétés doit posséder la langue universelle?
I. Elle doit être rigoureusement logique, c'est-à-dire :
A. Chaque mot doit désigner précisément et sans équivoque le
concept correspondant (quand la langue universelle n'aurait pas
d'autre avantage que de remédier aux confusions d'idées qui
naissent, dans toutes les langues, de la signification vague de
tant de mots, la peine qu'on y aurait dépensée serait ample-
ment payée).
B. La formation des mots, la dérivation et la composition
doivent avoir lieu d'après des règles déterminées, aussi simples
que possible, de sorte qu'aucun doute ne puisse s'élever sur la
signification des mots dérivés ou composés.
II. Elle doit être d'une richesse illimitée.
A. La richesse du vocabulaire résulte déjà naturellement de la
condition précédente. Car ce serait une superfluité fâcheuse que
d'avoir plusieurs mots pour le môme concept; mais si chaque
mot doit désigner exactement le concept correspondant, il va de
soi que chaque nuance du môme concept doit être désignée par
un autre mot, ou par une syllabe de dérivation, ou par une
épithète.
B. La variété de l'ordre des mots est indispensable pour
l'expression juste de la pensée. L'ordre des mots de' la langue
universelle doit être également éloigné de la dispersion arbi-
traire des mots en latin et des règles restrictives de beaucoup
de langues vivantes. 11 doit permettre toutes les inversions; mais
chacune de ces inversions doit avoir un sens et une intention.
C. Une conséquence nécessaire de la richesse est la grande
flexibilité et maniabilité.
III. Elle doit être harmonieuse, et également appropriée à la
poésie et au chant.
La langue italienne est généralement reconnue comme la plus
LE PROGRAMME DE J. VON GRIMM 123
harmonieuse, et si nous cherchons la cause de cette qualité,
nous la trouvons lians cotte propri«''té, que la plupart dos syllabes
se composent seulement d'une consonne suivie dune voyelle, et
que presque tous les mots se terminent par une voyelle.
Nous trouvons aussi la promiôro propriété dans lo hongrois et
dans le turc, qui pourraient être rangés après l'italien à l'égard
de l'harmonie. Mais beaucoup de finales de ces deux langues se
terminent i)ar une consonne. Cela peut donner à la langue un
caractère plus roijuste et plus mâle; cela parait aussi désirable
pour la variété des rimes. Mais en hongrois, par exemple, la
dernière lettre est très fréquemment un k, lettre dont la répéti-
tion est dure à l'oreille. 11 sera facile de choisir un juste milieu
et de réunir ainsi tous les avantages.
IV. Elle doit être extrêmement facile à apprendre, à parler et
à écrire.
A. Pour qu'elle soit facile à apprendre, il faut que non seule-
mont les flexions, dérivations et compositions se fassent suivant
dos règles déterminées, mais encore que l'arbitraire soit exclu
autant que possible de la formation dés racines; et là mémo où
cet arbitraire est inévitable, il faut qu'on puisse au moins donner
la raison pour laquelle on choisit telle expression et non une
autre.
Par exemple, chaque lettre devra posséder un certain carac-
tère, ou plut(M certains caractères. En dehors dos lettres qui pei-
gnent les sons, je ne connais que deux lettres qui me paraissent
avoir un certain caractère : R pour ce qui est rond, et L pour ce
qui est fluide, ce qui coule. On devra donc assigner arbitraire-
ment un caractère aux lettres. Mais cela pourrait et devrait se
faire toujours d'après certaines lois; par exemple, de la manière
suivante.
Le latin paraît être la langue la plus propre à servir de fil con-
ducteur dans la formation des racines primordiales. Elle a
l'avantage :
1° D'être une langue morte ;
2° D'être étroitement apparentée à toutes les familles de langues
indo-européennes ;
3^ D'être connue au moins des savants de toutes les nations.
Si maintenant je choisis le mot latin spatium pour en former
le mot de la langue universelle qui doit exprimer l'idée d'espace,
j'en formerai sapai, que je justifierai comme suit. J'emploie dans
124 SECTION II, CHAPITRE I
ce mot une voyelle qui représente l'idée d'étendue. J'emploie de
plus trois consonnes, dont la première représente l'idée de lon-
gueur, la seconde celle de largeur, et la troisième celle de hau-
teur. Quiconque aura entendu cela une fois ne l'oubliera jamais
de sa vie. La circonstance que s l'orme le contraire de t devra être
érigée en règle pour tous les autres cas où l'on attribuera à s un
autre caractère. La formation des mots sera extraordinairement
simplifiée et facilitée par le fait que chaque lettre aura son
opposée '.
Si par exemple je veux former d'après le mot tempiis le mot qui
doit représenter l'idée de temps dans la langue universelle, je
choisirai ternes. Ici la lettrée reçoit le caractère de la succession:
t celui du passé, m celui du présent, et s celui de l'avenir; par où
s forme encore l'opposé de t.
On ne disconvient pas que l'exécution conséquente d'un tel
système est extraordinairement difficile, peut-être même impos-
sible ; mais il ne s'agit pas d'exprimer les idées par des formules
algébriques; il s'agit seulement de se rapprocher de certte expres-
sion autant que possible, et autant que l'euphonie le comporte,
pour régler la formation des racines et en faciliter l'apprentis-
sage.
B. Pour qu'elle soit facile à parler, elle doit exclure tous les
sons difficiles à prononcer pour telle ou telle nation, par
exemple les nasales, ch ^, mn, sm, etc. J'excepterais sch ^, bien
que les Grecs ne le prononcent pas; parce que : 1° ce son est très
caractéristique ; 2° il apporte beaucoup de variété dans le son de
la parole; 3° il est indispensable pour beaucoup de mots qui pei-
gnent le son; et 4° il est si facile à prononcer, que les gens en
apprendront aisément la prononciation, avec un peu de bonne
volonté.
C. Pour qu'elle soit facile à écrire, il suffit que chaque lettre
ait sa prononciation invariable, et que chaque mot s'écrive
exactement comme il se prononce.
Les travaux devraient probablement être entrepris dans l'ordre
suivant :
1. Cette idée de lettres opposées (par convention) se trouve déjà chez
WlLKINS.
2. Le ch allemand (aspiration gutturale).
3. Le ch français (chuintante).
LE PROGRAMME DE J. VON GRIMM 125
1" Fixation des parties du discours et de leurs domaines. Par
<'xemplc, il faudra bien ('tudicr les questions suivantes : L'article
doit-il tHre oiuployé, quand et comment? Doit-on enq)loyer des
prépositions ou des suffixes, ou, si l'on a les deux, dans quels
cas? Le gérondif est-il nécessaire? A-t-on besoin de verbes
auxiliaires, et desquels?
2" Fixation des flexions et variations que doit subir chaque
partie du discours.
Ici on devra procéder d'une manière critique, par exemple,
comparer le verbe anglais au verbe latin et arabe, peser les
avantages et inconvénients de chacun, etc.
'^" Fixation des règles suivant lesquelles on devra former une
partie du discours en partant d'une autre.
Par exemple, le nom doit-il toujours être formé du verbe, ou
inversement? Ou bien : La racine doit-elle être toujours formée
du concept primitif, ou peut-être du concept abstrait?
C'est la partie du travail que je regarde comme la plus difficile.
Elaborer un tel système xl'une manière indépendante et d'un seul
jet ne peut être que l'œuvre d'un seul, et surpasse les forces
humaines. Par suite il ne restera plus qu'un moyen : rechercher
la marche que l'esprit humain a suivie dans le développement
des langues. Mais dans le développement de toutes les langues
civilisées, les influences extérieures accidentelles et l'arbitraire
injustifié ont eu tant de pouvoir, qu'une telle étude peut tout au
plus servir à montrer les écueils qu'il faut éviter. De toutes les
langues que je connais, le hongrois est celle qui a le mieux con-
servé son originalité. Aussi l'élude de ses dérivations (qui sont
l>resque toujours remarquablement logiques), ainsi que l'histoire
de la transformation qu'elle a subie dans les années 1820-1840,
seront ici de grande utilité.
i" Fixation des règles suivant lesquelles les racines devront
être formées.
;i" Formation de ces racines.
Ce qui reste alors à faire ne me paraît qu'un jeu d'enfant en
comparaison avec ce qui précède; et si ces cinq questions sont
résolues à la satisfaction générale, il ne reste à mon avis aucun
<loute sur le succès complet de cette grande œuvre.
Fera, le 10 janvier 1860.
J. VON Grimm.
126 SECTION II, CHAPITRE I
Critique.
Presque toutes les conditions que Grimm impose à la langue
universelle idéale nous paraissent fort judicieuses et fort pra-
tiques, et les langues a posteriori n'ont guère fait que réaliser ce
programme, dans la mesure même de leur degré de perfection.
11 ny a qu'une seule prescription qui soit regrettable, parce que
son application détruirait tous les avantages qui seraient la con-
séquence des autres : c'est celle qui tend à constituer les racines
en « assignant arbitrairement un caractère » à chaque lettre. Sans
doute, on ne peut nier qu'à l'origine des langues indo-euro-
péennes il n'y ait eu une correspondance naturelle, plus ou moins
latente, entre les sons et les objets; que, par exemple, r seml)le
exprimer le mouvement, la rapidité, le roulement,! (ou plutôt fl)
la fluidité, st le repos, l'arrêt, etc. *. Mais ces analogies sont si
lointaines et si flottantes que l'on n'est même pas d'accord sur la
signification de telle lettre (nous en donnons un exemple pourr,
que nous interprétons, avec Platon, autrement que Grimm). Et
les idées ainsi associées aux lettres sont si vagues et si confuses
qu'on ne peut espérer constituer avec elles ce que Leibniz appelait
Y Alphabet des pensées humaines. Comment veut-on qu'avec 25 ou
30 idées très générales on compose toutes les idées particulières
que l'esprit le plus vulgaire emploie journellement? Grimm lui-
même entrevoit que ce système est d'une exécution impossible
D'ailleurs, il avoue que cela introduirait l'arbitraire dans la
formation des racines, alors qu'il veut l'en exclure autant que
possible, et obligerait à assigner plusieurs sens à chaque lettre.
Les exemples mêmes qu'il donne confirment cette critique. Les
3 consonnes du mot sapât représenteront respectivement les
trois dimensions de l'espace, dit-il. Mais, d'autre part, deux
d'entre elles figurent dans le mot ternes -, où elles représentent
le passé et l'avenir. En outre, ces consonnes ont des sens opposés
dans un cas, mais non dans l'autre : est-ce que la longueur
est l'opposé de la profondeur? D'ailleurs, ce n'est que par des
conventions arbitraires que l'on peut ainsi accoupler les con-
1. Cf. Opuscules et fragments inédits de Leibniz, éd. Couturat, p. 151 ;
Leibniz, Nouveaux Essais, III, ii, § 1, et le Cratyle de Pl.\ton.
2. Pourquoi temes plutôt que temp ou tempor? *
LE PROGRAMME DE J. VON GRIMM 127
sonnes en antithèses. De même pour les voyelles : lorsqu'on na
(jue ') ou 6 voyelles à sa disposition, peut-on en consacrer une à
signifier l'étendue, et une autre à signifier la successioni Évideni-
luent non. Il en résulte que chaque lettre changera de sens d'un
mot à l'autre, de sorte que son sens sera, pratiquement, déter-
miné par le sens de la racine où elle figure, et non celui de la
racine par celui des lettres qui la constituent •. Concluons donc
que les véritables véhicules des idées ne sont pas les lettres,
mais les syllabes et les racines. Dés loi-s, si l'on veut « exclure
lout arbitraire » du choix des racines, on n'a qu'à les emprunter
aux langues naturelles, au latin, si l'on veut. Avec cette correc-
tion caiiitale et indispensable, on peut dire que le programme
(le Grimm est parlait. Mais en même temps on le purge de tout
principe a priori, et il devient le programme d'une langue a pos-
teriori. On verra qu'il existe de telles langues qui se rapprochent
en etïot l)eaucoup de l'idéal de Grimm, et qui remplissent toutes
les conditions de son programme, excepté celle que nous venons
(le critiquer.
1. On rouuiniucra ([uo co systcnio de formation des racines a été adopté
par le Spokil. Aussi la crili(|ue (|IK' nous en faisons porle-t-elle contre le
SpoJcil et contre lout système analojrue.
CHAPITRE II
SGH LEVER : VOLAPUK '
L'auteur du Volapûk est Monseigneur Schleyer, né le 18 juil-
let 1831 à Obcrlauda (Bade), curé de Litzelsteltcn, près Cons-
tance, et prélat romain ^ Ses admirateurs lui attribuent la con-
naissance de plus de oO langues ^ Ils vantent aussi ses talents de
poète et de musicien. L'invention du Volapûk serait, à ce qu'on
raconte, le fruit d'une inspiration soudaine et presque miracu-
leuse, survenue dans une nuit d'insomnie, le 31 mars 1879.
Mgr SciiLEYER a été inspiré par les mobiles philanthropiques les
plus élevés : il s'est proposé de contribuer à l'union et à la fra-
ternité des hommes; il considère son invention comme une
« grande œuvre de paix », comme « un des meilleurs moyens do
réaliser l'union des peuples », et il la destine à « tous les habi-
tants cultivés de la terre ». La devise du Volapûk : Menade bal
puki bal : A une humanité une langue! a été souvent mal comprise;
on a cru à tort qu'elle visait l'unité de langue dans l'humanité.
L'auteur déclare expressément, dans la Préjace de la f® édition
de sa Grammatik, qu'on peut fort bien concilier l'amour de sa
patrie et l'amour de l'humanité. Il avait d'abord inventé un
1. Grammatik der Universahprache fur aile Erdbewohner, vom Erflnder
dorsclben, Johann Martin Schleyer, 5" éd., Konstanz, 1883 (contient un
lexique double). La 3° éd. (1883) est la plus complète. Wôrlerhucli der
Universalsprache, etc. — Aug. Iverckhoffs : Cours complet de Volapù/c
(1883). Grammaire abrégée de Volapûk (1886). DiAionnaire Volapiik-
Français et Français-Volapûk, précédé d'une grammaire complète de la
langue (1887). Paris, Le Soudier.
2. Depuis la fondation AnBureau central du Volapûk (l88o), Mgr Schleyer
habile Constance, où il vit toujours, bien que les journaux aient annoncé
trois fois sa mort. 11 a reçu en 1894 le titre de camérier secret du pape.
3. Ce nombre s'élève maintenant à 83. d'après des prospectus que nous
avons reçus récemment du Bureau central du Volapûk à Constance.
SCHLEYER .' VOLAPÛK 129
alphabet universel pour la correspondance internationale et la
transcription des noms étrangers (1878), et c'est ainsi qu'il fut
amené à concevoir et à réaliser une langue universelle, pour dis-
penser les hommes de science, les voyageurs et les commerçants
de l'éludi^ longue et difficile des langues étrangères. Le dévelop-
pement des moyens de communication, l'union postale univer-
selle, etc., lui paraissaient entraîner nécessairement l'adoption
d'une écriture, d'une langue et d'une grammaire universelles.
Toutes les langues nationales ont do graves défauts et des diffi-
cultés sans nombre *. Il faut au contraire que la langue univer-
selle ait une grammaire absolument régulière et rationnelle.
Quant à la source à laquelle ses éléments ont été puisés, elle est
indiquée expressément dans le premier paragraphe des Généra-
lités de la Grammaire (§ 38, 5° éd.) : « La langue universelle a pour
l)ase la langue anglaise populaire, parce que celle-ci est la plus
répandue de toutes les langues des peuples civilisés (abstraction
faite de son orthographe trop embrouillée). »
Grammaire.
L'alphabet du Volapûk comprend 28 lettres, 8 voyelles : a, e, i,
0, u (ou), à (è), ô (eu), ù (u français); et 20 consonnes : b, c (tch),
d. f, g (toujours dur), h (c/i allemand), j (c/i français), k. l, m, n,
p. r, s. t. V, X (toujours ks),y (comme dansyeua;), z (ts); auxquelles
il faut ajouter Yesprit rude ' (G. ; h aspirée) 2.
Chaque lettre a toujours un seul et même son; les voyelles
sont toujours longues. Il n'y a pas de diphtongues. Pour régler
l'orthographe et la prononciation, l'auteur prévoit linstitution
d'une Académie internationale de langue universelle '.
L'accent porte toujours sur la dernière syllabe de chaque mol.
Il y a un article défini el, et un article indéfini un, mais on ne doit
les employer qu'en cas d'absolue nécessité, ou dans une traduc-
tion littérale. Ex. : no vilob eli buki. sod uni buki =je ne veux pas
1. Dans sa Grammaire, Mgr Sohleyer énumère les principaux défauts des
anguos naturelles (vivantes ou mortes), et les avantages de sa langue
artilloielle.
2. Cet alphabet fait partie de V Alphabet universel, qui comprend 10 lettres
de plus (soit 38 en tout), et qui devait servir à la transcription phonétique
des noms propres de toutes les langues (Voir le Vocabulaire).
3. Voir VHistorique.
CouTCRAT et Leau. — Langue univ. J
130 SECTION II, CHAPITRE II
le livre, mais un livre. Les articles se déclinent comme les sub-
stantifs. Dans la pratique, ces deux articles sont inusités; Varticle
indéfini se traduit en cas de nécessité par sembal (quelqu'un).
Les substanlifs se déclinent au moyen des voyelles-suffixes -a
(génitif) ', -e (datif), -i (accusatif). Ils prennent en outre -s au plu-
riel. Exemple : dom, la maison.
Sir
igiilier.
Pluriel.
N.
dom
doms
G.
doma
domas
D.
dôme
dômes
A.
domi
domis
Le vocatij est indiqué par un o mis devant le nom.
Les substantifs ont le genre naturel. Le genre ne s'indique que
par dérivation. Le substantif pur et simple a le sens du masculin.
Le féminin se forme au moyen du préfixe ji- (E. she), et le neutre
au moyen du suffixe -os. Ex. son^= fils, ji-son z= fille; blod = frère,
ji-blod =: sœur; ji-dog = chienne ; ji-gok = poule.
Il y a un autre préfixe féminin, le pronom of (elle).
Les adjectifs ont tous la terminaison caractéristique -ik : gudik
= bon (gud = bonté), gletik == grand (glet =: grandeur).
Le comparatif se forme au moyen du suffixe -um, et le superlatif
(relatif) au moyen du suffixe -tin ^ : gudikum, meilleur; gudikun, le
meilleur. Le que qui suit un comparatif se traduit par ka.
Le superlatif absolu est marqué par l'adverbe vemo := très.
Ex. : vemo gletik, très grand.
Les degrés de comparaison peuvent s'appliquer au besoin aux
substantifs ^. Ex.: fam, ^Zoire ; famum, une plus grande gloire;
famùn, la plus grande gloire.
Les noms de nombre cardinaux sont : bal, i ; tel, 2 ; kil, 3 ; fol,
4; lui, o; mal, 6; vel, 7; jôl, 8 ; zùl, 9. Les dizaines se forment en
ajoutant un -s aux unités : bals, 10; tels, 20; kils, 30;... Les
nombres intermédiaires sont : balsebal, H ; balsetel, 12; balsekil,
13;... Puis : tum = 100; mil = 1.000 ;balion = 1.000.000\
1. Comme en russe.
2. Ces suffixes peuvent s'employer séparément comme adverbes {plus et
le plus).
3. Comme en magyar.
4. Pour substantifler les nombres cardinaux, on leur ajoute le suffixe -el
(D. -er) : balel, unité; balsel, dizaine.
SCHLEYER : VOLAPUK 131
Les 9 premiers noms clc nombre varient en genre, en nombre
et en cas.
Les adjeclifs ordinaux se forment en ajoutant aux nombres car-
dinaux le suffixe -id : balid, premier; telid, second.
Les adverbes ordinaux dérivent de ces adjectifs i)ar l'adjonction
<ie-o (suffixe adverbial) : balido, premièrement.
Les nombres multiplicatifs se forment en ajoutant aux nombres
cardinaux le suffixe -ik : balik, simple ; telik, double.
Lcii nombres J'ractionnaires se forment au moyen du suffixe dil
(D. -tel) : kildiL tiers; foldil, quart.
Les nombres répétitifs se forment au moyen du suffixe -na :
kilna, ^ fois; telsna (ou telsena), 20 fois '.
Les nombres distributifs se forment en mettant devant le nombre
cardinal un a (comme en F.) : a tel, à deux: a tels, à vingt; a
folid, chaque quatrième.
Enfin les verbes multiplicatifs ont simplement pour radical le
nombre cardinal correspondant : balôn, unir: telon, doubler;
kilôn, tripler.
Les pronoms personnels sont, au singulier : oh, Je; ol. tu: om. il:
of. elle; os, il (neutre); et au pluriel : obs, nous: ois. vous: oms,
ils; ofs. elles.
On y ajoute le pronom réfléchi ok (pi. oks), se, soi; et le pronom
indéfini on (pi. ons), on. 0ns sert aussi de 2» i)ersonne de politesse
{vous V.,Sie D.).
Ils se déclinent comme les substantifs : oba, obe, obi: obas,
obes, obis (ou obsa, obse, obsi).
Les adjectifs possessifs dérivent des pronoms personnels par
fadjonction du suffixe -ik : obik, mon ; olik, ton : omik, son (à lui) ;
ofik. son (à elle); osik, son (à une chose); de même : obsik, olsik,
omsik. ofsik: okik, onik, onsik.
Ces adjectifs varient en nombre et en cas, comme les sub-
stantifs.
Ils sont souvent remplacés (pour l'euphonie) par le génitif des
pronoms personnels (oba. ola. oma. ofa; obas....).
Les pronoms possessifs dérivent des adjectifs possessifs par
ladjonction de -el au radical : obikel, le mien; obsikel. les noires.
lisse déclinent et forment leur pluriel comme les substantifs *.
1. De ces nombres dérivent des adjectifs en -nalik (=: -malig D.).
2. Ln dislinclion des adjectifs el des pronoms possessifs est une innova-
lion de la 5' édition (1883).
132 SECTION II, CHAPITRE II
Les pronoms démonstratifs sont : at, celui-ci; et, celui-là; it. même
(L. ipse); ot, le même (L. idem ); ut, celui (qui); som, tel^; votik.
autre. D'où : balimik..., votimik.... l'un.... Vautre...; balim votimi ou
balvotik. l'un Vautre.
Les pronoms interrogatifs sont :
Masc. Fëni. Neutre.
kim, ji-kim (of-kim, kif), kis, qui, quoH
kiom. kiof, kios, quel, quelle"*.
kimik, quelle espèce de...'*.
Les pronoms relatifs sont :
kel, ji-keL kelos, qui.
Les principaux pronoms indéfinis sont : sembal, u/i (quelconque) ;
ek, quelqu'un; nek, personne; alik, chaque; alim, chacun; nonik.
aucun; valik, tout (tous); bos, quelque chose; nos, rien.
Les verbes ont une conjugaison unique et absolument régu
lière. La voix (active ou passive) et le temps sont indiqués par des
préfixes; la personne par le pronom personnel suffixe, et le mode
par un suffixe placé à la fin, même après le pronom. Voici d'abord
Vindicatif présent du verbe lôfôn, aimer (radical lof) :
lofob,
j'aime.
lôfobs,
nous aimons.
lôfol,
tu aimes.
lûfols,
vous aimez.
lofom,
il aime.
lôfoms.
ils aiment.
lofof,
elle aime.
lôfofs.
elles aiment.
lôfos,
il (cela) aime.
lôfon.
on aime.
Les autres temps de Vindicatif se forment en préfixant au pré-
sent : à- (imparfait), e- (parfait), i- (plus-que-parfait) , o- (futur) et u-
(futur antérieur). Ainsi l'on a :
àlôfob, j'aimais. olofob, j'aimerai.
elofob, j'ai aimé. ulofob, f aurai aimé.
ilôfob; j'avais aimé.
Les autres modes se forment en ajoutant à toutes les formes de
l'indicatif les suffixes : -la ^ (subjonctif)^, -os (optatif), -6d (impératif)
-àz (jussif) *, -on (infinitif) et- ôl (participe) : elôfom-la, qu'il ait aimé.
1. Ces six pronoms ont des formes différentes quand on veut insister ou
préciser (comme en 1). par eien) : àt, eit, iet, ôt, ùt, sôm. Ils varient en
genre.
2. Le suffixe -la garde son tiret, pour marquer qu'il ne prend pas l'accent.
3. L'imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif remplacent les condi-
tionnels présent et passé (comme en D.).
4. Impératif plus ... impérieux.
SCHLEYER : VOLAPÛK 133
Ainsi chaque mode a (ou peut avoir) autant de temps que
l'indicatif. Exemple : lôfom-la, im'il aime; àlofob-la, j'aimerais;
ilôfobs-la, nous aurions aimé; lofomos, qu'il aime '! lofolsod, aimez!
lôfolôz, aime (impérieusement); lôfôn, aimer; elôfôn, avoir aimé;
lofôl, aimant ; elofol, ayant aimé ; olofôl, devant aimer *.
Les temps et modes du passif se forment en préfixant aux
formes de l'actif la lettre p- (ou, au présent, la syllabe pa-) '.
Exemple : palôfon, être aimé; pâlôfol, tu étais aimé: palôfôl, aimé
(|)résentement) ; pelôfôl, qui a été aimé; polofôl, qui sera aimé;
pulofol, ([ui aura été aimé *.
Chacun des temps et modes énumérés peut se mettre au
duralifiqni exprime la durée ou la continuité de l'action); pour
cela, on intercale un i api'ès le préfixe qui marque le temps :
ailôfob = faime (continuellement) ; peilôfof = elle a (toujours)
été aimée.
Les verbes réfléchis se forment en suffixant à toutes les per-
sonnes le pronom réfléchi -ok : lôfobok, je m'aime: lôfobsok ou
lôfoboks, nous nous aimons '■'.
Les verbes réciproques se forment avec le pronom rélléchi ok
séparé, à l'accusatif: lôfobs okis = nous nous aimons (l'un l'autre).
Les verbes impersonnels se conjuguent avec le pronom neutre
-os : nifos, il neige; lômibos, il pleut.
L'interrogation est marquée par le préfixe ou suffi.xe li (avec un
trait d'union) : li-lôfom ou lôfom-li, aime-t-il1 Quand -li se trouve
réuni au suffi.xe -la (du subjonctif), il le précède. La négation
s'exprime par no placé devant le verbe. Ex. : no elôfons-li-la, ou :
no-li elôfons-la, est-ce que vous n'auriez pas aimé?
Les adverbes dérivés d'adjectifs se terminent en -ik, comme les
adjectifs (auxquels ils sont identiques) et ont les mêmes degrés;
ils prennent en outre la désinence -o quand ils sont séparés du
verbe, ou que la clarté l'exige : gudiko, bien; gudikumo, mieux;
1. Volapùk lifomôs = vive le Volaptikl (Ui = vie).
2. Linlinitif cl le pnrlicipe peuvent prendre des désinences personnelles;
rinlinilif peut se dérliner.
3. Mgr ScHLEYER traduit par le passif (3° pers. neutre -os) les verbes actiTs
dont le sujet est on : pafopos, on raconte; pofutelos, on ira à pied. C'est
un idiotisme latin et allemand.
4. Il y a en outre vin gérondif formé du participe et du préll.xe pô- :
pôlôfôI, aimable (r/ui doit être aimé ; L. amandus).
5. Le pronom ok peut s'intercaler entre le radical et le pronom personnel :
lôfokom, il s'aime; lôfônok ou lôfokôn, s'aiiner.
134 SECTION II, CHAPITRE II
gudikùno, au mieux. Les adverbes dérivés de substantifs prennent
-0 : neito, de nuit (neit, nuit).
Les principaux adverbes primilifs sont : si, ou/; no, non; te, seu-
lement; ti, presque; za, à peu près; nu, maintenant; is, ici; us, là; ya,
déjà;oten, souvent; nerelo, jamais; suno. tôt; nesuno, tard; kiôp, oir>
kiûp, quandi kikod. pourquoi (kod = cause)1 liko, comment 1 lio,
comi>ie/i?
Les adverbes de lieu prennent F-i de l'accusatif quand ils mar-
quent le mouvement vers le lieu : golob usi, j'y vais. Ils prennent
1 -a du génitif quand ils marquent Téloignement du lieu : komob
usa, je viens de là.
Les principales prépositions sont : aL à, vers (et pour devant un
infinitif) ; de, de : in, dans ; se, hors de ; su, sur : dis, sous ; bifù, devant ;
po, derrière ; pos, après ; ko, avec; nen, sans; ta, contre; fa, i>ar: pic,
/'our *, etc.
Dix-huit prépositions de lieu régissent l'accusatif, quand elles
marquent mouvement vers, ou bien le prennent elles-mêmes : golob
al zifi ou ali zif, je vais à la ville. Dans les autres cas, elles
régissent le nominatif, ainsi que les autres : in zif, dans la ville.
Les prépositions dérivées prennent le suffixe -u : bûdù, sur l'ordre
de (bùd, ordre); nemû, au nom de (nem, nom).
Les principales conjonctions sont : e,et; i, aussi ; u, ou ^ ; ni, ni ; ab,
mais;das (D.), que;da.t{E.), afin que ; do, quoique ;bi, puisque ;it{E.),
si; ven {D.), lorsque; ibo, car; kludo, donc.
Syntaxe. L'adjectif reste invariable quand il suit immédiate-
ment le nom qu'il qualifie, ce qui est sa place normale; dans
les autres cas, il s'accorde avec lui. Il en est de même des pro-
noms et des noms de nombre ^
En principe, la construction est libre. Mais l'ordre normal est :
sujet (suivi de pronom, nom de nombre et qualificatif) ; verbe
(suivi d'adverbe) ; complément direct, compléments indirects.
Le subjonctif est très fréquemment employé dans les proposi-
tions subordonnées, et notamment dans le style indirect (comme
1. En composition, ko et plo deviennent ke et pie.
2. Les conjonctions e, i, u prennent un -d euphonique devant une
voyelle : ed (I.), id, ud.
3. Cette règle se comprend pour les adjectifs et pronoms isolés. Elle se
justifie pour les adjectifs et pronoms qui précèdent le substantif, parce que,
selon Mgr Schleyer, on ne saurait pas alors s'ils se rapportent au substantif
qui précède ou à celui qui suit.
SCHLEYER : VOLAPUK
135
en allemand et en latin) ; aussi Mgr Schleyer conseille-t-il de
préférer le style direct.
Vocabulaire.
« Le Lexique du Volapùk a pour base, en première ligne, la
langue anglaise, parce qu'elle est parlée par 100 millions
d'hommes environ.... Après l'anglais, on tient compte particu-
lièrement de l'allemand et du français, et aussi de l'espagnol et
de l'italien '. »
Toutefois, comme l'auteur l'indique aussitôt, « beaucoup de
mots doivent être Iransfonnés, notamment ceux qui finissent par
des sifflantes ». En effet, aucun mot déclinable ne peut se terminer
par une dos sifflantes (ou chuintantes) c, j, s, x, z, afin de pouvoir
prendre l'sdu pluriel. De plus,» les radicaux des substantifs doi-
vent être autant que possible monosyllabiques >, afin de ne pas
engendrer des mots dérivés (surtout des verbes) trop longs.
En outre, Mgr Schleyer impose aux radicaux certaines règles
de structure : il en exclut les lettres ', h, et presque entièrement la
lettre r (en considération des Chinois, ainsi que des vieillards et
des enfants). 11 ne doit pas y avoir plus de deux consonnes ni de
deux voyelles de suite. Et même, autant que possible, l'auteur fait
alterner les voyelles et les consonnes. Enfin, tous les radicaux
doivent commencer et finir par une consonne.
11 en résulte que les radicaux empruntés aux langues vivantes
subissent des déformations et des mutilations souvent considé-
rables, qui ont pour effet de les réduire à leur syllabe centrale.
Exemples :
Latin :
bunda
n,
abondance.
dol
(dolor),
douleur.
mag
(imago),
image.
nim,
animal.
rig,
origine.
sap
(sapieniia),
sagesse.
tal
(terra),
terre.
Allemand ;
: fel
ifeld).
champ.
lit
(licht).
lumière.
vun
(wunde),
blessure.
1. Grammalik, 5° édition, § 71.
136
Anglais
Français
SECTION
II, CHAPITRÏ
î II
beg,
prière.
bim
(beam^),
arbre.
lif
[life),
vie.
mun
(rnoon),
lune.
nol
(knoivledge)
, science.
pûk
(speak),
langage.
tim
(time),
temps.
vol
(world),
monde.
: fikul,
difficulté.
kadem,
académie.
makab.
(chose)
remarquable.
plim.
compliment.
pak,
propagation.
« Comme l'orthographe du Volapùk est essentiellement phoné-
tique, les mots d'origine anglaise y sont quelquefois méconnais-
sables 2 » :
cem
(chamber), chambre.
cif
(chief), chef.
flen
ifriend), ami.
sel
(sale), vente.
tut
(tooth), dent.
La lettre r est remplacée tantôt par un 1 :
bel
(berg D.), mont.
fil
(fire E.), feu.
klon
(krone D.), couronne.
led
{red E.), rouge.
loi,
rose.
pal.
paire.
plogam
, programme
tlup,
troupe.
yel
[year E.), année.
tantôt par une autre consonne :
nuf
(roofE.), toit.
zigad,
cigare.
ou bien elle est supprimée :
fem, fermentation.
fot, forêt.
fom, forme.
fum, fourmi.
1. N. B. : bea7n veut dire arbre de couche (mécanique).
2. Kerckhoffs, Dictionnaire, p. 34.
SCHLEYER .* VOLAPL'K 137
mab, marbre. telegaf, léléyraphe.
pat, parlicularilé. fotogaf, photographie.
Enfin, pour obtenir des monosyllabes fermés, les radicaux qui
commencent par une voyelle prennent un 1 initial :
lab, avoir; 111 {ear E.), oreille.
lan, âme; lof, offre.
lek, écho; lop, opéra.
lep (ape E.), singe; log (auge D.), œil.
Ils subissent encore d'autres modifications, notamment en vue
de l's du pluriel :
xol (ochs D.), bœuf; pot, poste.
Les noms propres doivent être transcrits phonétiquement au
moyen de l'alphabet universel, suivant la prononciation de leur
langue nationale (les prénoms après le nom). Ainsi l'auteur du
Volapùk signe : Jleyer Yo'ann Martin, et traduit James Johnson par
Consn Cems.
Les noms géographiques sont transformés systématiquement au
moyen de suffixes caractéristiques (voir plus bas).
Mots dérivés. Nous connaissons déjà les principales dérivations
grammaticales : formation du féminin et du neutre; formation
des noms de nombre dérivés; formation de l'adjectif, du verbe
et de l'adverbe. En règle générale, les radicaux sont des substan-
tifs 1.
Parmi les flexions grammaticales, les préfixes de temps entrent
dans la composition des mots qui indiquent une idée de temps :
adelo, aujourd'hui {del= jour); àdelo, /u'er; edelo, avant-hier; odelo.
demain; udelo, après-demain; ayel, cette année, etc.
Les autres dérivations se font au moyen d'affixes, les uns à sens
déterminé, les autres à sens indéterminé. Voici d'abord les prin-
cipaux suffixes à sens déterminé :
-il marque le diminutif: bod =pain, bodil^^ petit pain; kat = chat,
katil = petit chat.
av indique une science : stel = étoile, stelav = astronomie ; lit
= lumière, litav = optique; God = Dieu, godav =: théologie.
l. Mgr ScHLEYER remarque que les désinences cnractérisent en quelque
mesure les parties du discours : les voyelles a, e, i distinguent les sub-
stantifs; les voyelles u et ù appartiennent aux adjectifs; et les voyelles o et
ô raractérisent les verbes et les adverbes (Grammatik, § 73). Les verbes
dérivés de noms d'organes indiquent Faction de percevoir par ces organes :
în = voir; lilôn = entendre.
I
138 SECTION II, CHAPITRE II
-âl indique un « concept spirituel ou abstrait » : kap =■ tète, kapàl
= intelligence ; lad = cœur, ladâl = cordialité ; men = homme, menai
= humanité (sentiment) ; jôn = beauté, jônàl = beauté d'esprit (?) ;
tik = pensée, tikàl = esprit.
-el indique les habitants de — ou les personnes qui s'occupent
de — : Pârisel {sic) ^ Parisien ; mit = viande, mitel = boucher. Il sert
aussi (avec un radical verbal) à désigner l'acteur ou agent.
-al indique la même idée, avec une nuance de supériorité : san
signifiant à la fois le salut physique et moral, sanel = médecin, et
Sanal = le Sauveur (sanàl = sainteté); datuvel = inventeur, mais
Mgr Soulever a le titre de Datuval.
-an forme des noms de personnes, sans impliquer une idée
d'activité * : flutan, flûtiste ; gelam, organiste {qél=^ orgue F., orgel D).
-am indique l'action : fom ^ forme, fomam = formation; finam
= achèvement. Les suffixes ed, -od ont le même sens.
-an (lân = pays) désigne les noms (propres et communs) de
pays : reg = roi, regàn = royaume; limep = empereur, limepàn =
empire ; fat = père, fatàn = patrie.
-en indique le métier ou l'industrie : bil = bière, bilen = brasserie ;
glàt = verre, glàten = verrerie.
-6p indique le lieu de — : bilop = brasserie ; kafôp = ca/é (établis-
sement).
-ef indique une réunion de personnes : musig = musique,
musigef = orchestre (musigel =: musicien).
-em indique une collection de choses : pàk = paquet, pàkem =
bagage; flol = fleur, flolem = bouquet; kàn = canon, kânem = artil-
lerie.
-ôf indique une qualité abstraite : dun = acte, dunôf = activité ;
giv = don, givôf = générosité.
-ai sert à former les noms d'animaux : spul =: tissu, spulaf =
araignée ; jal = carapace, jalaf = crustacé.
-it est le suffixe spécial des noms d'oiseaux : gai = veillée, galit
= rossignol.
-in sert à former les noms d'éléments matériels : vat = eau,
vatin = hydrogène ; ziid = acide, zûdin = oxygène.
-ip sert à former les noms de maladies : vatip = hydropisie ;
ladip :^ maladie de cœur.
Enfin, les deux suffixes -lik et -nik servent à former des adjectifs
1. Sic : Kerckhoffs, Dictionnaire, p. 37.
SCHLEYER : VOLAPLK 139
qui expriment la nature ou la ressemblance : led = rouge, ledlik
=: rougeâtre; leûl = huile, leûlnik = oléagineux.
A ces suffixes il faut joindre 17 snflixes sans signification
déterminée : ab, ad, ap, at, àt, ed, et, ib, im, it, od, ub, ùb, ud,
uf, ug, iig. Ex. : menad = humanité (ensemi)le des hommes).
Les principaux pr<''/îa"<'s sont :
be- (D.), qui renforce Tidée du radical (verbal), ou transforme
un verbe neutre en verbe actif : givôn = donner, begivôn =: doter;
lifôn =: vivre, belifôn = animer.
da- étend ou complète l'idée du radical (verbal) : tuvën =
trouver, datuvôn = inventer; lilôn = écouter, dalilôn = exaucer.
ge- indique l'action en retour (D. zuriick) : gegivôn = rendre.
gi- indique la répétition de l'action (D. wieder) : mekàn= faire,
gimekôn = refaire.
le- indique la supériorité, c'est un augmentatif: ledom = pa/ais ;
bijop = évéque, lebijop = archevêque.
lu- indique l'infériorité, c'est un péjoratif : ludom ^= cabane;
lugod = idole ; luvat = urine.
ne- indique soit la négation, soit le contraire : pùkôn ^ por/er,
nepiikôn = se taire; flen = ami, neflen = ennemi.
D'autres préfixes sont des radicaux plus ou moins modifiés :
gle- ajoute l'idée de grandeur iglet) : zif := ville, glezlf ^ capitale.
sma- implique l'idée de petitesse (smal) : bel = montagne, smabel
= colline * .
Le pronom of sert à former les noms féminins qui marquent
une situation indépendante, par opposition au préfixe ji- qui
marque le féminin natupel (ji-kat = chatte; ji-jeval = jument) :
ainsi of-lidel = institutrice, tandis que ji-tldel = femme d'institu-
teur: ji-blod = sœur, mais of-blod = sœur (religieuse).
On emploie encore comme préfixes : l'adverbe beno = bien :
smel = odeur, benosmel = parfum ; — et les prépositions :
bevù = entre : net = nation, bevûnetik = international;
bi = devant : nem = nom, binem = prénom;
disa = sous : penôn = écrire, disapenôn =: souscrire ;
denu = de nouveau : denupûkôn, reparler;
du = à travers : dugolcn. /reverser;
love = trans- : polôn = porter, lovepolôn = traduire:
nin ou ni = dans : sedôn = envoyer, ninsedon = importer ;
1. Smakap devrait alors signifier petite télé, cl non microcéphale.
140 SECTION II, CHAPITRE II
zi = autour : logam = vue, zilogam = circonspection;
mo, de et se indiquent éloignenient ou sortie : flumôn = couler,
defluin6n= découler; mopolôn, emporter; segolôn z= sortir;
ko indique réunion : komôn = venir, kokomôn = s'assembler;
ta indique action contraire, opposition : tapûkôn = contredire.
Il y a d'autres préfixes qui n'ont pas de sens déterminé,
comme fô, fe, là, len.
Tous les mots cités jusqu'ici sont formés par l'adjonction
d'un affixe à un radical ayant déjà un sens déterminé par lui-
même. Mais le Volapùk emploie les mêmes affixes, et d'autres
encore, comme affixes caractéristiques de certaines classes d'idées;
ils font alors partie intégrante du radical, qui sans eux n'aurait
pas de sens. Nous allons en citer quelques exemples pour chaque
suffixe :
-el (personnes): Apostél = apôtre ; zuafel — zouave,
-af (animaux) : leaf = léopard; moaf — taupe.
-ip (maladies) : kolerip = choléra; snôfip = rhume.
-eî (réunions) : kongef = congrès.
an (pays) : Lusàn =: Russie; Nugàn = //o/igfrte; Rilàn
= Irlande; Nidàn = Inde^.
-in (éléments) : lômin = élément; diamin = diamant; gasin =
gaz; golin = or; kupin = cuivre; svefin = soufre.
-op est la désinence caractéristique des 5 parties du monde :
Yulop = Europe, Silop = Asie, Fikop = Afrique, Melop = Amérique,
Talop = Australie^.
-ùd est la désinence caractéristique des 4 points cardinaux :
nolud = nord, suliid = sud, vesûd =: ouest, lefûd = est.
Les mots composés se forment en général au moyen du génitif
singulier du mot déterminant, qui se met le premier, de sorte
que les radicaux composants se trouvent unis par la voyelle a.
Ex. : volapùk = langue de l'univers (vol = monde, pùk = langage) ;
filabel = volcan; Ledamel = Mer Rouge.
Ce n'est que pour éviter des équivoques que l'on forme les
mots composés au moyen du génitif pluriel (-as) ou au moyen
des désinences de l'accusatif (-1) ou de l'adverbe (-o). Ex. : netas-
fetan = union des peuples (net =: nation; fetan = union); vôdasbuk
1. Exceptions : Fient = France; Nelij = Angleterre; Deut = Allemagne;
Tàl = Italie; Jveiz = Suisse; Lôstakin = Autriche (kin = empire); Nor-
veg, Sved.
2. M. Kerckhoffs y a ajouté : Seanop = Océanie,
SCHLEYER : VOLAPCK 141
= dictionnaire (vôd = mot, buk = livre); vôdiplad = place des mots.
Certains mots composés font exception ù cette règle, notam-
ment les noms des jours et des mois, formés avec les noms de
nombre et les terminaisons ùdel ot -ul (del =jour; mul = mois) :
balûdel = dimanche, balul =: janvier,
teludel = lundi, telul =: février,
kilûdel = mardi, kilul = mars,
balsul = octobre,
babul ou balsebalul = noyembre,
balsetelul := décembre''.
Comme exemples de mots composés, citons encore les noms
des saisons : flolatim = printemps (flol = fleur); 'itatim = été
('it = chaleur) ; flukatim = automne (fluk = fruit) ; nifatim = hiver
(nif = neige).
Mgr SciiLEYER admet des mots composés de trois racines,
comme : Volapûkatidel = professeur de Volapiik; tedatidastid =
école de commerce (ted ^^ commerce, tid = enseignement, stid = insti-
tution); klonalitakip := lustre (klon ^ couronne, lit = lumière, kip
= garde-, porte-) - ; nobastonacan, joai//erie (can = marchandise, ston
= pierre, nob = noblesse); Fotazifalak = lac des it Cantons (Wald-
stildtersee D.).
Voici, à titre de spécimen, la traduction du Pater en Volapiik^ :
0 Fat obas, kel binol in suis, paisaludomôz nem ola! Kômomôd
monargàn ola! Jenomôz vil olik, as in sûl, i su tal! Bodi obsik
vâdeliki givolos obes adelo! £ pardolos obes debis obsik, as id obs
aipardobs debeles obas. £ no obis nindukolôs in tentadi; sod aida-
livolôs obis de bad. Jenosod!
Historique.
Le Volapiik parut à la fin de 1880; il se répandit d'abord dans
l'Allemagne du Sud, puis en France, vers 1885, et de là dans
1. Mgr ScHLEYER avait aussi admis d'abord les noms suivants : pour les
jours : soldel, mundel, tusdel, vesdel, dôdel, flidel, zâdel; et pour les
mois : yanul. febul, mâzul, apul, mayul, yunul. yulul. gustul, setul,
otul, novul, dekul.
2. Ce mot est d'ailleurs mal formé : il signifie chandelier de couronne,
et non pas couronne de chandeliers (Germanisme : Kronleuchter).
■\. On remarquera que cette traduction est calquée mot pour mot sur le
le.\le latin.
142 SECTION ir, CHAPITRE II
tous les pays civilisés des deux continents. Son principal i)ro-
pagateur en France fut le D' Auguste Kerckhoffs, professeur
de langues vivantes à l'École des hautes éludes commerciales
de Paris, qui publia en français les manuels de Volapùk (cités
plus haut), et fonda V Association française pour la propagation du
Volapiik (autorisée par arrêté du 8 avril 1886). Le Comité central
de cette Association comprenait des notabilités des lettres et des
sciences, du commerce et de l'industrie, de la politique et du
journalisme, comme MM. Lourdelet et Iliélard, les D""» Nicolas
et AUaire, les ingénieurs Dormoy et Max de Nansouty, le
député Raoul Duval, les libraires Le Soudier et Pedone-Lauricl,
MM. Kœchlin-Schwartz, Kastler et Bcurdeley, et jusqu'à Fran-
cisque Sarcey, l'incarnation populaire du bon sens national.
VAssocialion faisait à Paris simultanément 14 cours publics et
gratuits, suivis par « des officiers supérieurs de l'armée et des
inspecteurs d'académie ». Un cours spécial organisé par les
Grands Magasins du Printemps comptait à lui seul 121 audi-
teurs. En un mot, le Volapiik fit chez nous des progrès rapides
et eut un succès inou'i. Il en était de même dans les autres pays :
toutes les grandes villes d'Europe et d'Amérique avaient leurs
cours de Volapiik. Le ministre de l'instruction publique en Italie
autorisait des cours libres aux Instituts techniques de Turin et
de Reggio d'Emilie. L'année 1888 marqua l'apogée de ce mouve-
ment. On comptait, en 1889, 283 sociétés ou clubs volapïikistes,
répartis sur tout le globe, jusqu'au Cap, à Melbourne, à Sydney
et à San Francisco. Le nombre des diplômés dépassait 1600 *
(dont 950 par Mgr Schleyer et 650 par VAssociation française). On
évaluait à 1 million le nombre total des Volapïikistes. Le nombre
des ouvrages publiés pour l'étude du Volapiik était de 316 (dont
182 parus dans la seule année 1888); ils étaient écrits dans
25 langues (85 en allemand et 60 en Volapiik). Enfin on comptait
25 journaux consacrés au Volapiik (dont 7 entièrement rédigés en
Volapiik)^. C'est en 1889 que se tint à Paris le troisième et le plus
important des Congrès volapûkistes, où l'on parla exclusivement
1. Voirie Ye tabule pedipedelas (Annuaire dos diplômés) de 1889, Paris, Le
Soudier, 1880.
2. 1 à Paris, 1 à Anvers, 1 à Londres, 1 à Arniicm, 1 à Haarlem, 1 à
Copenhague, 1 à Stockholm, 1 à Berlin, 1 à Hambourg, 1 à Breslau, 2 à
Munich, 1 à Constance (Schleyer), 1 à Saint-Gall, 2 à Vienne, 1 à Milan, 1
à Turin, 1 à Naples, 1 à Girgenti, 1 à Guadalajara, 1 à New York, 1 à
Boston, et 2 à Amoy (Chine).
SCHLEYER : volapCk 143
en Volapi'ik, et qui semblait ronsacrer le triomphe universel et
(iénnitif de la langue. Mais la mOme année vit commencer son
déclin, qui fut plus rapide encore que son progrès. Pour expli-
(jner ce phénomène étrange, il faut entrer dans l'histoire inté-
rieure de la langue elle-même
Mgr SCHLEVER avait voulu doter sa langue de toutes les res-
sources que pont offrir une langue vivante quelconque; il pré-
tendait la rendre capable de traduire les nuances les plus
complexes et les plus subtiles de la pensée. M. Kerckhofks, au
contraire, la considérait surtout comme une « langue commer-
ciale », et, en fait, c'est à ce titre qu'elle fut surtout pratiquée.
Or, pour cet usage, les Volapùkistes de France et des autres
pays (sauf l'Allemagne) trouvaient la langue trop compliquée et
trop difficile. Et lorsque M. Karl Lentze, le i«'" volapûkatidel du
monde, vantait les 503.440 formes différentes que peut prendre
un verbe en Volopûk, M. Kerckhoffs répondait que cette richesse
prétendue était un défaut, et qu'elle « conduirait infailliblement
le Volapiik à sa perte > ^ En un mot, Mgr Schlever avait voulu
créer la langue la plus riche et la plus parfaite (littérairement) ;
M. Kerckiioffs et la plupart des Volapùkistes réclamaient la
langue la plus simple et la plus pratique. De cette divergence
de conceptions devait naître un conflit inévitable 2.
Tout d'abord, M. Kerckuoffs s'efforça d'introduire dans ses
manuels de roiapiïA: quelques tsimplifical ions; adoptant et respec-
tant les principes du Volapiik, il se borna à supprimer les formes
grammaticales qu'il jugeait superflues, et à régulariser le voca-
bulaire ^ Nous allons énumérer les principales des corrections
introduites ou des réformes proposées par M. Kekckiioffs.
Dans Valphabet, suppression de l'esprit rude ', remplacé par h,
et par suite remplacement de h par k : ' it devient hit (chaleur);
hem devient kiemav {chimie).
Suppression de la transcription des noms propres au moyen do
l'alphabet universel (d'ailleurs insuffisant). Chaque nom propre
devra s'écrire et se prononcer comme dans sa langue d'origine.
1. Revue mensuelle Le Volapiik, p. 48 (août 1886).
2. Certains Volapùkistes raillaient, non sans raison, les Irais sl;/les dont
le Volapilkabled Zenodik {n" 95) donnait des modèles : le style vulgaire ou
chinois, le style commercial et le style classique [Le Volapiik, p. 200).
3. • 11 n'y a rien à changer au Volapiik : pour le rendre parfait, il suffit
d'en retrancher le superllu. » Le Volapiik, n" 9 (mai-juin 1887).
d44 SECTION II, CHAPITRE II
Il ne devra pas se décliner; le génitif et le datif seront marqués
par les prépositions de et al : on dira de Schleyer, al Schleyer, au
lieu de Jleyera, Jleyere.
La question se pose de savoir si l'on ne devra pas appliquer,
par analogie, cette déclinaison analytique aux noms communs,
ou tout au moins l'admettre à côté de la déclinaison synthétique
de Schleyer.
Suppression des articles el et un; l'article indéfini (et partitif)
serait, au pluriel comme au singulier, sembal placé après le sub-
stantif.
Suppression de la déclinaison des noms de nombre. Unifor-
mité de la déclinaison des pronoms personnels : obas, obes. obis
(et non obsa. obse. obsl).
Suppression du pronom de politesse ons (pluriel de on), emploi
du pronom singulier ol quand on s'adresse à une seule personne.
Suppression de la déclinaison des infinitifs, et des désinences
personnelles des infinitifs et des participes : lôfobôn, moi aimer;
Ipfobol, moi aimant. M. Kerckhoffs proteste contre des formes
comme celle-ci : olôfonsofsën = le fuhir aimer de vous autres
femmes.
Suppression de quatre des six temps du conditionnel; on con-
serverait seulement : àlàiohÔY = j'aimerais, et ilàiohoY =f aurais
aimé^.
Suppression du jussif(-àz) et de Voptatif{-ox).
Restriction de l'usage du subjonctif, qui devra être distingué
du conditionnel ^.
Remplacement du pronom réfléchi ok par le pronom personnel
à l'accusatif : vatûkob obi, je me lave, au lieu de : vatiikokob.
Suppression de la déclinaison des adverbes de lieu et des pré-
positions; suppression de l'accusatif* de mouvement >, la direc-
tion devant être indiquée par des prépositions différentes ; golob
al jul = je vais à l'école; golob in jul =je marche dans l'école.
Suppression de la double orthographe de certaines préposi-
tions et conjonctions (ko, ke; plo, pie; e, ed; i, id).
1. Pourquoi assimiler le conditionnel présent a un imparfait, et le condi-
tionnel passé à un plus-que-par faitl L'exemple des langues vivantes, qu'in-
voque M. Kerckhoffs, ne suffit pas ù justifier cette infraction à la logique.
2. M. Kebckhoffs veut réserver le subjonctif pour les propositions com-
mençant par un si, c'est-à-dire là où le conditionnel semble s'imposer plus
que jamais.
SCHLEVER : VOLAPCK 145
Enfin et surtout, adoption de la construction normale, au
moins dans le style commercial, pour éviter les phrases confuses
<'t parfois même inintelligibles des Volapûkistes allemands. On
mettra l'adjectif toujours après le substantif, de sorte cpi'il res-
tera toujours invariable. L'adverbe aura toujours la désinence -o, '
pour se distinguer de l'adjectif.
Quant au vocabulaire, M. Kerckiiokfs l'accepte tel quel, sauf
quelques corrections en vue de l'uniformité et de l'analogie'.
Mais il critique vivement l'abus (germanique) des mots com-
posés, la formation irrégulière et illogique de certains mots.
Sur le premier point, il réprouve des mots comme klonalitakip,
et n'admet pas de mots composés de plus de deux radicaux*. Il
ivniplace tedatidastid par tedastid ou tedajul (école de commerce) :
Lemotofazàl [)nr Kritazàl [Noël) et Lesustanazàl par Lezàl [Pâques).
Sur le second point, il fait ressortir l'inconséquence de mots
composés comme vôdasbuk ((liclionnnire) comparé à bukakonlet
{bibliothèque), bukatedam (librairie), bukatanel (relieur). Pounpioi
luetlre le signe du pluriel à vôd dans le premier plutôt qu'à buk
dans les autres 3? .M. Kerckiioffs rappelait la devise du Volapuli :
Volapûk binom ptik nen sesums = Le Volapiik est une langue sans
exceptions. 11 relevait dans les dérivés d'innombrables illogismes,
parfois même de véritables contre-sens, comme tikàlin = esprit-
de-vin (tikà.l=- esprit... qui pense!) et il employait ce mot malencon-
treux pour désigner tous les coqs-à-l'âne ou quiproquos commis
par ScuLEVER et ses disciples en traduisant littéralement les idio-
tismes des langues vivantes ^ Par exemple (comme pour com-
1. Par oxeniple. pour les noms de pays, (lu'il aiïecto tous de la dcsinonco
<'arni t(>ristii|ii(> -an : Flentân. Nelijân, Deutân, Tâlân, Jveizân. Lôstàn.
Svedàn. Novegàn.
2. Un .Maisi'illais facétieux parodia ce procédé de composition illimitée
en s'inlitulant :
klonalitakipafablùdacifalôpasekretan
(•"cst-à-dirc : secrétaire de lu direction d'une fabrique de lustres (Le Volapii/f,
p. 200 et 340). Le Cogabled (journal amusant) de Munich avait déjà
l>roposé à ses lecteurs ce logogriphe : lôpikalarevidasekretel = secréluire
en chef de la cour des comptes, que 2 Volapûkistes seulement purent
déohilTrer (Le Volapûk, p. 59 et 95).
3. Celte inconséciuence est un simple germanisme : elle vient de ce que
l'auteur a calqué les mots Worterhuch d'une pari, et Buchbinder, Btich-
luindler, d'autre part.
4. Article |)ul)lié dans Le Volapûk (p. 186), sous le pseudonyme de Glû-
(jai/ad, ([ui est lui-même un échantillon ironique de Tikàlin (Glùg = église,
jad =: cour : traduction littérale de Kerckhoffs).
CoLTUBAT et Leau. — LaDguo univ, 10
146 SECTION II, CHAPITRE II
penser l'illogisme précédent), spit = spiritueux et spitim = spiri-
tisme. De même : filabel = volcan, filabelôn = vulcaniser(\o caout-
chouc); badôn = être méchant (bad), mais gudôn = dédommager (et
non : être bon, gud) ; deutôn = parler allemand, mais flentôn =:
singer les Français, et nehion^ cour tauder (mi cheval) [D. englisiren]\
La plupart de ces illogismes viennent de ce que Mgr Sciilever
a tout bonnement traduit mot à mot les expressions allemandes,
sans en analyser le sens. Par exemple : star = étourneou. starip
= cataracte {staar en D. a ces deux sens); jafan = condurteur,
D. Schajjner (de jaf = créer, D. schaffen '); sebalvoto := séparément
(se = hors de; bal = un; vot = autre) est la transcrijUion pure et
simple du mot D. auseinander. De môme : posbalvoto = à la suite
(D. nacheinander). M. Kerckhoffs critiquait aussi vifafut = vélo-
cipède, et ditavat = eau-forte (traduction littérale de Scheide-
ivasser, D.)- L'auteur faisait correspondre ses préfixes et suffixes,
non à des idées déterminées, mais aux préfixes et suffixes de
l'allemand, dont le sens est souvent vague ou équivoque, ce qui
transporte en Volapûk toutes les inconséquences de la dérivation
allemande ^ Ainsi le préfixe len- traduit le préfixe D. an- (L. ad-) ^ ;
fe- et fô- traduisent le préfixe D. ver- (L. per-, F. par-), d'où : fetan
== liaison, D. Verbindung (tan = lien, D. band] ; feleigam = compa-
raison, D. Vergleichung (leig = égal, D. gleich) ; fegivôn = par-
donner (givôn = donner); fegolôn = périr, L. perire (golôn =
aller, L. ire), etc.
Les corrections proposées par M. Kerckhoffs étaient en général
adoptées par la majorité des Volapïikistes*; certains d'entre eux
allaient même plus loin, et réclamaient notamment la suppres-
sion des voyelles infléchies (à, ô, ii) ■'. Mais ces projets de réformes
se heurtaient à l'opposition de Mgr Scfilever et de la plupart des
V^olapïikistes allemands. C'est en partie pour juger ces questions
et mettre fin aux différends que furent convoqués trois Congrès
successifs.
1. Cf. : itasûk = amour-propre, D. Selbstsucht (ita = sell/st, sûk =
suchetil).
2. M. Kerckhoffs remarque que chacun des préfixes len-, là-, fe-, sa- a
une dizaine de sens au moins (Le Volapûk, p. loi et 238).
3. Le Volapûk, p. 151.
4. Id., p. 153.
0. Propositions de l'Association des Volapiikistes espagnols (présidée par
M. Iparraguirre) et de M. Ferretti, membre italien de l'Académie du Vola-
pûk (Le Volapûk, p. 153 et 237).
SCHLEYER : VOLAPOK 147
Le premier, convoqué par Mgr Schleyer, avait eu lieu à
Friotlriclishafen (sur le lac de Constance) les 25-28 août 1884.
Il ne comprenait guère (et pour cause) que des Allemands, et les
désaccords auxquels nous venons de faire allusion ne s'étaient
pas encore produits. Il élut un comité chargé de préparer un
second Congrès, plus international. Celui-ci se tint à Munich,
les 6-9 août 1887, sous la présidence de M. Kirchhoff, professeur
de géologie à l'Université de Halle : il réunit plus de 200 Vola-
pûkistes de diverses nations. 11 fonda le Vohipiikakhib valemik
(Association universelle des Volapûkistes), et institua une Aca-
démie internationale de Volapiik « chargée de veiller au développe-
mont régulier de la langue, à la conservation de son unité, et à
l'élaboration du dictionnaire ». L'Académie devait comprendre
des Kademals (membres du grand conseil), des Eademels (simples
académiciens) et des Kademans (membres correspondants). Le
Congrès élut 17 Kademals représentant 13 pays*. Mgr Schleyer
devait être grand-maître (CifaI) ta vie; M. Kerckiioffs fut élu à
Tunanimité directeur (Dilekel). Quant aux réformes à introduire
dans la langue, le Congrès ne les étudia pas en détail, et s'en
remit à l'Académie'^. Celle-ci n'avait que des statuts provisoires;
elle devait élaborer ses statuts définitifs et les soumettre au
Congrès suivant.
M. Kerckiioffs proposa à l'Académie le programme de travail
suivant :
« I. Alphabet : !<> Sons; 2'^ Lettres.
« II. Formation des mots: 1° radicaux; 2° dérivés; .3° composés.
« 111. Place des mots (syntaxe).
« IV. Grammaire : 1° déclinaison; 2° conjugaison; 3'^ usage et
signification des particules.
« V. Examen des mots défectueux du vocabulaire.
t VI. Admission de mots nouveaux. »
Mgr Schleyer parait avoir reconnu en principe l'autorité de
l'Académie, puisqu'il fut le premier à lui poser plusieurs ques-
tions, dont voici les principales :
1. lisse complétèrent ensuite par cooptation, ce qui porta leur nombre à
20 (Le Volapiik, p. 178).
2. Toutefois, le Congrès de Munich décida de substituer partout le préfixe
féminin ji- à of-, et Mjjr Schleyer introduisit celte réforme dans l'édition de
1888 de son Dictionnaire. M. Rehckhoffs était, au contraire, d'avis de rem-
placer partout ji- par of-.
14 8 SECTION II, CHAPITRE II
« Que doit-on le plus rechercher dans la formation des mots
nouveaux, la brièveté ou la clarté?
La lettre initiale des radicaux peut-elle être une voyelle?
Peut-on et doit-on établir une règle fixe pour l'emploi du
conditionnel et du subjonctif? »
Par les deux premières questions, il remettait en discussion
deux des principes essentiels de son vocabulaire, et par la troi-
sième il avouait un des vices de sa grammaire.
M. Kerckhoffs posa à son tour diverses questions à l'Aca-
démie, et la première (conformément au programme) fut celle-ci :
« Doit-on admettre les sons à, ô, u; h, r, x, z; dl, tl? » Comme
on le voit, il ne s'agissait pas là de corrections de détail; car,
ainsi que M, Kerckhoffs lui-même l'avait fait observer*, l'exclu-
sion des voyelles infléchies devait entraîner un « remaniement
complet » de la grammaire et du vocabulaire*. M. Kerckhoffs
hésitait à les bannir; mais il était d'avis d'exclure entièrement
le son h {ch allemand), les doubles consonnes dl, tl, et de rem-
placer X et z par ks, ts. L'Académie décida (à la majorité) de
conserver à, ô, ù, mais d'en éviter l'emploi à l'avenir; de con-
server r et z; et de rejeter h, x, dl, tl.
M. Kerckhoffs posa ensuite une série de questions sur le choix
des radicaux et la formation des dérivés. L'Académie répondit
par les décisions suivantes : « Il est permis d'adopter des radi-
caux quelconques, mais, quand il est possible, on doit préférer
les radicaux courts existant déjà dans des langues nationales, »
« 11 n'est pas indispensable de conserver la forme originaire des
radicaux. Mais la meilleure forme est celle qui ressemble le
plus à la forme originaire (Ex. : baromet, telegraf)^. » En outre,
« on doit éviter des radicaux trisyllabiques; tous les radicaux
qui appartiennent aux principales classes de mots doivent
prendre les désinences caractéristiques » de ces classes (par
exemple les noms de pays en -an) ; enfin, « les radicaux polysylla-
biques ne doivent pas avoir des terminaisons qui sont employées
comme suffixes. »
1. Le Volapùk, p. 154, 197.
2. Mgr ScHLEYER fit ses réserves sur des modiflcations aussi fondamen-
tales, en rappelant que M. Iverckhoffs avait déclaré qu'il n'y avait rien à
changer du fond de la langue (voir p. 143, note 3).
3. On remarquera que, par ces deux décisions capitales, l'Académie rom-
pait implicitement avec les principes essentiels du Volapûk, pour adopter
une méthode a posteriori.
SCHLEYER : VOLAPÛK 149
En même temps, M. Kerkcfioffs faisait adopter par ses col-
lègues un règlement qui conférait à Mgr Schleyer triple voix dans
les votes, mais lui refusait tout droit de veto. Naturellement,
Mgr Schleyer protesta et menaça de destituer M. Kerckiioffs,
comme si celui-ci eût tenu ses pouvoirs de l'Inventeur. Il considé-
rait le Volapiik comme sa propriété, parce qu'il en était le père ;
mais on lui répondait que le Volapiik appartenait au public,
tout au moins au public volapïikiste, et qu'étant fait pour son
usage, il devait subir les améliorations jugées nécessaires pour
l'emploi et la dilïusion de la langue.
L'Académie n'en continua pas moins à approuver la plupart
des réformes proposées par M. Kerckhoffs. Elle adopta pour la
construction la règle fondamentale suivante : « Le mot ou la
proposition déterminante suit le mot ou la proposition déter-
minée », et toutes les règles spéciales qui en découlent. Elle
prépara en outre le Congrès de 1889, et, pour lui assurer un
caractère international et neutre, elle décida que chaque pays
y serait représenté par un nombre de délégués proportionnel
à sa population, et que ces délégués seraient choisis à raison de 3
par chaque académicien.
Le Congrès devait avoir une double tâche : 1" ratifier les sta-
tuts définitifs de l'Académie ; 2° promulguer les règles de la
grammaire. M. Kerckiioffs se proposait de lui soumettre un
Projet de Grammaire normale résumant ses propositions, dont la
plupart avaient déjà été adoptées par l'Académie. Le Congrès
eut lieu à Paris les 19-2i août 1889. Il réunit des Volapûkistes de
13 pays ditïérents (y compris la Turquie et la Chine), et élut
pour président M. Kerckiioffs. La langue officielle du Congrès
fut le Volapiik. On n'eut pas le temps d'étudier en détail les
questions de grammaire; le Congrès se borna à décider que
l'Académie rédigerait « une grammaire normale simple, d'où
l'on bannirait toute règle inutile ». Son œuvre principale fut la
discussion et l'adoption des statuts définitifs de l'Académie (en
21 paragraphes) ; le Congrès approuva en outre la composition
de lAcadémie et tous ses actes antérieurs. Voici les principaux
statuts de l'Académie :
« 1 . L'Académie s'occupe uniquement de compléter et de perfec-
tionner la grammaire et le vocabulaire de l'Inventeur.
» 2. L'Académie est l'autorité unique dans les questions lin-
guistiques.
laO SECTION II, CHAPITRE II
» 3. Les académiciens sont choisis parmi les Volapûkistes'
les plus distingués des différents pays de la terre
» 7. L'élection des académiciens a lieu sur la proposition du
directeur, et à la majorité des volants.
> 8. Le directeur de l'Académie doit proposer comme académi-
ciens les personnes qui lui sont proposées par les cercles [Vola-
pïikistes] des pays respectifs
» 11. L'Académie est administrée par un bureau qui comprend :
1*^ l'Inventeur; 2'* le directeur; 3" le sous-directeur; 4" deux
secrétaires.
» 12. Le directeur et le sous-directeur sont élus pour cinq ans
par les académiciens; ils sont rééligibles
» 15. Les décisions de l'Académie doivent être aussitôt sou-
mises à l'Inventeur. Si l'Inventeur n'a pas protesté avant trente
jours contre les décisions, celles-ci sont valables. Les décisions
que l'Inventeur n'aura pas approuvées sont soumises de nouveau
à l'Académie, et ne deviennent valables qu'après avoir été
adoptées à la majorité des deux tiers
» 21. Ces statuts ne peuvent être modifiés que par un Congrès
internalionaP. »
Mgr ScHLEVER fit ses réserves sur les articles qui le concer-
naient, et prétendit s'attribuer un droit de veto absolu (et non
pas seulement suspensif).
Le Congrès remit à l'Académie le soin de convoquer le pro-
chain Congrès, et de décider où et quand il se réunirait. Il ny a
pas eu d'autre Congrès jusqu'ici.
Après le Congrès de Paris, le directeur de l'Académie, au lieu
de poser à ses collègues une série de questions détaillées sur les
différents points du programme, leur proposa en bloc un projet
complet de grammaire. De leur côté, divers académiciens '^ pro-
posèrent d'autres projets de grammaire, de sorte qu'on ne put
s'entendre. M. Kerckhoffs donna sa démission de directeur le
20 juillet 1891, et l'Académie chargea un Comité de trois mem-
1. Le mot Volapùk donne lieu en Volapûk à une perpétuelle équivoque :
on ne sait pas s'il désigne la Langue universelle en général ou le Volapûk
en particulier.
2. Le texte original de ces statuts (en Volapùk) est signé de M. Champ-
Rigot, Volapukiste français.
3. MM. Dayet Holden, Guigues, Heyligers, Knuth, Kriiger, Lederer et von
Rylski, Plum, Rosenberger.
SCHLEYER : VOLAPCk 151
bres * de préparer l'élection d'un nouveau directeur. Ce Comité
fît paraître une Grammaire normale (Glamat nomik) conforme aux
décisions déjà prises par l'Académie. Celle-ci élut directeur
M. RosENBERGER, de Saint-Pétershourg (15 mai 189:}).
A partir de ce jour, les travaux de l'Académie entrèrent dans
une phase nouvelle; on fît table rase du Volapûk, et l'on aboutit à
la constitution d'une langue toute différente, Vidiom neulral, que
nous étudierons plus loin.
On comprend que ces dissensions entre les Volapïikistes, et
notamment le conflit, d'abord latent, puis déclaré, entre l'Inven-
teur et l'Académie aient été funestes à la langue. Dès 1889, la
[iropagande se ralentissait, bientôt elle s'arrêtait complète-
ment, et dès lors le Volapûk perdait rapidement ses adeptes.
D'autre part, de nombreux professeurs et propagateurs du
Volapiik, ayant conscience de ses défauts et n'ayant pu faire
accepter leurs projets de réformes, soit par Mgr Sciii.eyer, soit
par le Congi'ès et l'Académie, se mirent à élaborer des langues
nouvelles, ce qui acheva de diviser le monde volapïikiste et de
ruiner le Volapiik. Nous retrouverons ces projets dans la suite
de cet ouvrage.
Aujourd'hui, le Volapiik est à peu près mort. Il ne conserve
plus qu'un petit nombre de fidèles -. Il subsiste encore 4 clubs
volapiikistes : 2 en Autriche, 1 en Allemagne et 1 aux Pays-Ras.
Le principal est le Volapûkaklub zenodik plo Stirân de Graz
{Clnb volapûkisle central pour la Slyrie), présidé par le Prof. Karl
Zetter. Celui-ci continue à publier le Volapùkabled lezenodik
{Journal central du Volapûk, 22« année, 1902), organe officiel de
-Mgr ScnLEYER, qui est le seul journal volapiikiste survivant.
M. Zetter est le président de l'Académie fondée en 1893 par
-Mgr SciiLEYER quand il rompit avec l'Académie instituée par les
Congrès; et il prétend représenter « le monde volapQkiste », en
lout cas bien réduit.
En résumé, l'histoire du Volapûk, de ses progrès rapides et de
sa prompte décadence, est extrêmement instructive. 11 a dû son
succès prodigieux à ce fait que, confondant le principe et l'ap-
plication, tous les partisans d'une langue internationale se sont
\. M.M. CIiamp-Rigot, Guiguos et Hoylijrors.
2. La Liste des correspondants (Lised spodelas) pour tOOl contonnit
159 noms.
^'6i SECTION II, CHAPITRE II
ralliés à lui dans l'espoir qu'il incarnerait et ferait triompher
leur idéal. Puis la difficulté et les défauts de lidiome sont
apparus peu à peu, à la pratique; la désillusion est venue; toutes
les propositions de réformes et d'amendements se sont heurtées
à l'intransigeance obstinée de Mgr Sciileyer, et alors chacun
reprit sa liberté : ce fut la discorde, l'anarchie et la dissolution
finale. Ainsi le Volapûk a réussi, parce qu'il paraissait répondre
à un besoin très vivement ressenti, surtout dans le monde com-
mercial ; et il a échoué à cause de ses vices intrinsèques, du
.dogmatisme inflexible de son inventeur, et de la désunion de ses
adhérents.
Critique.
Il semble au premier abord qu'on ne puisse pas faire du
Volapûk une critique plus complète et plus sévère que celle qu'en
ont faite M. Kerckhoffs et bien d'autres Volapûkistes. Mais c'est
là une illusion. En réalité, ils ne critiquaient que des détails
d'application, et restaient fidèles aux principes de la langue.
Quand ils blâmaient les inconséquences et les idiotismes de
l'auteur, ils lui reprochaient de violer ses propres règles, et
quand ils s'efforçaient de réformer et de corriger le Volapûk,
c'était en en conservant le plan et les caractères essentiels. Ce
sont ces caractères que nous avons maintenant à dégager
pour découvrir les vices fondamentaux du système, vices qui
se seraient fatalement retrouvés même dans le Volapûk simplifié
et amendé de M. Kerckhoffs. Ils se ramènent à deux : la gram-
maire est trop synthétique; le vocabulaire mancfue d'interna-
tionalité.
La grammaire est trop synthétique : M. Kerckhoffs l'avait
bien senti, puisqu'il essayait de substituer à la déclinaison par
flexions une déclinaison analytique (par prépositions). Mais
c'est surtout la conjugaison qui offrait ce défaut à un degré
exorbitant. Lors môme qu'on eût supprimé une bonne moitié
des modes et des temps inventés par Mgr Schleyer, ce vice irré-
médiable eût subsisté. M. Kerckhoffs a beau dire que cette con-
jugaison t est essentiellement grecque » ; il répugne à l'esprit
analytique des langues modernes d'accoler au radical verbal
comme suffi.xe le pronom personnel (qui fait d'ailleurs double
emploi avec le sujet), et comme préfixe la caractéristique des
sdHLEYEU : volapCk 153
temps (imitée de raugment grec).Peu importe que ce soit là * le
procédé de toutes les langues primitives de lEurope et de
l'Inde »; la L. I. na pas besoin d'ôtre une langue primitive, et
une stiueture savante et archaïque ne peut que lui nuire. On
aijontit. par raccumulalion des préfixes et des suffixes, à des
l'ornies tellement longues et compliquées, que le radical verbal
y devient méconnaissable, au point que l'Inventeur lui-même
avait pris l'habitude de l'imprimer en italiques '. En outre, le p
initial du passif ne suffit pas à le caractériser, d'autant plus
qu'il y a des mots commençant par p suivi d'une voyelle qui ne
sont nullement des verbes au passif (Ex. : pen = p/Hme et ses
nomiireux dérivés).
On peut ajouter que toutes les flexions grammaticales sont
entièrement arl)itraires *; elles sont empruntées le plus souvent
à l'ordre alphabétique des voyelles, et n'ont aucune ressemblance
ni même aucune analogie avec les flexions des langues natu-
rellc^s 3. C'est un mécanisme monotone et tout a priori qui
déroute la mémoire au lieu de l'aider.
Cet arbitraire règne également dans le choix des radicaux et
dans la formation des mots. Aux restrictions imposées par la
grammaire, l'auteur en ajoutait d'autres par les règles de struc-
ture et par son alphabet. Tandis qu'il admettait les sons à, ô, û,
difficiles à prononcer pour beaucoup de peuples européens, il
excluait presque entièrement la consonne r, en considération des
Chinois; mais bientôt il apprenait du D' Fever.vbend que les
Japonais possèdent au contraire l'ret manquent de 1, et dans sa
Kur:e cliinesisch-wellsprachliche Grammatik (1885), il reconnaissait
que les Chinois ont un r. C'était bien la peine de défigurer une
multitude de radicaux européens, et même de noms propres
comme Bodiigân = Portugal ^!
1. E.xcniplcs tirés d'une lettre de Mgr Scur.EVER dans Le Y^olapâk (p. 239) :
paleiis»»a)ms, papeHomsôd, pabe/onom, peda/iAôls, padcjafôn, pane/wrôn,
past7^/^/,oiiiôv, por/eôoinôd M. Kerckhoffs cite (ibicL, p. 2G'2) les formes :
âlovepolob-la, li-àlovepolob-ôv, qu'il essaie de rendre plus claires par des
traits d'unions.
2. Kx. : les sufd.xes de comparaison -um et -un, trop semblables d'ailleurs.
3. Les temps du verbe se nomment eux-mêmes par ce procédé : patûp,
présent ;-p'àtÛTp, imparfait; petûp, parfait; TpitÛTp, plus-qne-par fait; potùp,
futur: putûp. futur antérieur. De même les cas s'appellent (ù l'imitation de
rnllomnnd) : kimfal, nominatif; kimafal, génitif; kimefal, datif; kimifal,
accusatif. Ces mots sont trop aisés à confondre.
4. Tout en conservant l'r, par une incoaséquence singulière, dans un
134 SECTION II, CHAPITRE II
Mais ce qui contribuait le plus à rendre les racines nationales
méconnaissables, c'est la tendance au monosyllabisme, qui limi-
tait à l'excès le nombre des combinaisons. Aussi certaines de
ces racines ont-elles subi une série de déformations invraisem-
blables. Par exemple, jim (ciseaux) vient de Schere(D.) qui, trans-
crit phonétiquement, donne jer, donc jel, par substitution de 1 à
r. Mais jel signifie protection; on change la voyelle, et l'on obtient
jil. Mais jil exprime déjà l'idée de femelle; on change alors la
consonne, et l'on trouve enfin jim. De même, lel provient de
fer : en effet, cette racine romane devient d'abord fel, mais fel
signifie champ; fil, fol, fui ont également des sens déterminés. On
remplace alors la consonne initiale parcelles qui la suivent dans
l'alphabet : on trouve ainsi gel (orgue), hel (cheveu), jel (que nous
venons de voir), kel iqni), et enfin lel, qui n'a pas encore de sens.
Et voilà pourquoi lel =fer ' !
On comprend, après cela, que la plupart des radicaux du
Volapûk, quelle que soit leur origine naturelle, soient pratique-
ment méconnaissables, et paraissent être uniquement le produit
du caprice et de la fantaisie. Pourquoi, dans le mot latin centum,
garder précisément la terminaison tum, qui est commune à des
centaines de mots latins? D'où vient que pet signifie parole;
ped, presse; pel, paiement, etc.? D'ailleurs, les noms de nombre,
les pronoms personnels et démonstratifs, sont construits entière-
ment a priori, et sur un type uniforme qui les rend encore plus
difficiles à retenir et à distinguer. On peut aisément confondre
entre eux les pronoms at, et, it, ot, ut, ou les nombres mal,
vel, jôl-. Là encore l'auteur n"a pas eu d'autre princijjc que
l'ordre conventionnel des voyelles dans l'alphabet.
Cette tendance au monosyllabisme était d'ailleurs approuvée
certain nombre de noms de pays comme Rilân, Ràbàn, Ramàn, Rumàn,
Algerân et ... Berberàn!
1. Ces deux exemples sont empruntés à M. Julius Lott (op. 1), qui fut
professeur et propagateur de Volapûk en Autriche.
2. Pourquoi terminer tous les noms de nombre par un 1, alors que celte
lettre n'est nullement caractéristique des nombres? Ex. : val (choix), mel
(mer), IaI (terre), til (chardon), kôl (couleur); nouvelle source de confusions!
En outre, Tidée de représenter les dizaines en ajoutant l's du pluriel aux
unités est tout à fait malencontreuse (bien qu'elle se retrouve dans la plu-
part des projets issus du Volapûk) : bals devrait signifier des uns, plusieurs
uns, et non pas dix. Cela prête d'ailleurs à confusion : il est difficile de
distinguer à l'audition : maks tel segivôn et maks tels segivon (payer
deux ou vinç/t marks), et l'on voit que l'erreur est considérable.
SÔHLEYER : VOLAPCK 155
et partagée par M. Kerckhoffs; il la justifiait en disant qu'il fallait
adopter des racines très courtes, afin de ne pas avoir des mots
(surtout des verbes) trop lon^s, et il proposait de rein placer literat
par lirat, balomet par lomet, lotogaf par togaf, filosop pnr fisop.
ce qui eût rendu ces mots tout à lait méconnaissables '. N'eùt-il
pas mieux valu sacrifier le synthétisme de la grammaire à l'intel-
ligibilité des radicaux? On a vu que l'Académie recherchait aussi
la brièveté des radicaux : mais elle ne lui sacrifiait pas aussi
complètement l'internationalité, puisqu'elle préférait baromet à
balomet. et telegraf à telegaf. On verra plus tard qu'elle a fini
par faire triompher le principe de l'internationalité dans Vldiom
neiitral.
Au contraire, Mgr Sciilever ne s'est jamais incjuiété de l'interna
tionalité des radicaux 2; il les choisissait au hasard, surtout dans
les langues germaniques, quitte à les déformer ensuite de manière
à les rendre inintelligibles même au peuple auquel il les empi'un-
lait. Les exemples sont innombrables : fire (E.) devient fil, qui
rappelle aux peuples romans les idées de yîf, de fils ou défile;
mais fir existe, et il signifie sapin. Bel évoque chez les j)eu-
ples romans l'idée de beauté, sans rappeler berg aux peuples ger-
maniques. Glob signifiera grossièreté (D.grob), tandis que globe se
traduira parglop. Kanad signifiera ca««i, tandis que kanal signifiera
grand artiste. Logik signifiera visible, et la Zof/igue s'appellera tikav.
Quel nom est plus universellement connu que celui des Alpes?
En vertu de règles de structure inexorables, il devient lap. Le
mot exclusivement allemand Degen (épée) devient den. Qui recon-
naîtrait les mots ochs (D.) dans xol {bœuf), graf (D.) dans gab
{comte), ink (E.) dans nig (encre), roof (E.) dans nuf (toit), travel (E.)
dans tâv {voyage), trinken (D.) dans dlinôn (botre) ? Qui devinerait
le sens des mots dip {diplomatie), pat {particularité), pal (parent),
fat (père), mat (mariage), mot (mère), blod (frère), net (nation), plin
(prince)l A quoi bon emprunter des radicaux à l'anglais, si on
les rend méconnaissables aux Anglais eux-mômes?
A cette erreur s'en ajoute une autre qui l'aggrave : c'estde pré-
férer le phonétisme au graphisme, alors que celui-ci est plus
1. Ln mpillouro preuve en est que togaf représente ailleurs pour lui le
nidt fotogaf (voir Le Volapiik, p. 170 et 243.)
2. -M. Kerckhoffs non plus : « Quanta conserver plus ou moins fidèlement
la fornic du radical, telle qu'elle est fournie par la langue naturelle, nous
no devons y attacher aucune importance ». (Le Volapiik, p. 243).
136 SECTION II, CHAPITRE II
international que celui-là, et d'adopter le plionétisme anglais,
qui est, comme on sait, absolument national. C'est ainsi que le
mot international slation devient stajen ou stejen, qui n'est plus
, reconnaissable que pour les Anglais. Un exemple plus typique
encore est le suivant : il y a une racine internationale pour l'idée
de chambre, c'est kanier (L. caméra, D.Kammer, etc.) Mgr Soulever
la prend, déjà déformée, dans l'anglais (chamber) et la déforme
encore en cem. On voit quel est l'inconvénient d'emprunter des
racines à l'anglais : ces racines, qu'elles soient d'origine romane
ou germanique, sont généralement déformées par l'écriture, et
bien plus encore par la i)rononciation ; de sorte que des racines
internationales en elles-mêmes y perdent leur internationalité*.
D'ailleurs, si monosyllabiques que soient les racines, cela
n'empêche pas d'avoir des radicaux composés, donc polysyllabi-
ques, notamment dans les verbes. Ex. : lovepolôn = traduire (love
= trans, polôn = porter). On ne peut donc éviter de former de
longs mots, à moins de renoncera la conjugaison synthétique.
Enfin l'on fait valoir la concision du Volapak, qui permet de
dire en 6 mots ce que les langues naturelles disent en 12 ou
15 mots et le latin en 9. Ex. : Itisevam eibinom stabin gudikùn
tugas valik. = La connaissance de soi-même a toujours été le meilleur
fondement de toutes les vertus. Mais à quoi bon, si chacun de ces
mots complexes exige une analyse qui se présente toute faite
dans les langues analytiques'] On allègue que cette concision est
très économique pour les télégrammes; sans doute, mais ce
n'est ni une économie de pensée, ni une économie de temps, et
cette considération doit l'emporter sur la précédente, étant d'une
application beaucoup plus générale.
Les Volapïikistes essaient aujourd'hui de justifier leur vocabu-
laire en disant que son auteur n'a pas recherché V internationalité ^
qui est selon eux une chimère, mais bien Vanationalité, la neutra-
lité absolue. Que l'internationalité des radicaux ne soit nullement
une chimère, c'est ce que prouvent tous les projets de langues
1. Disons, à ce propos, que certains Anglais, voulant faire de leur idiome
la langue internationale, et constatant que le principal obstacle est le désac-
cord complet entre le graphisme et le plionétisme, ont proposé, non pas de
réformer la prononciation anglaise, mais au contraire de rendre l'ortho-
graphe anglaise phonétique. Ils ne réussiraient ainsi qu'à rendre l'anglais
illisible pour les étrangers, et à enlever à beaucoup de mots anglais leur
internationalité, qui réside uniquement dans le graphisme. Voir Melville
Bell, World-English, the universal language (London, Trubner, 1888).
SCHLEYER : VOLAPCK 157
a poslcriori, et notamment Vldioni neutral, élaboré par d'anciens
Vola[)ïikislos. Quant à la prét(Muluo neutralité du Volnptik, elle
est démentie par l'assertion formelle et répétée de Mgr Schleyer,
qu'il a emprunté ses racines en première ligne à l'anglais. Au
fond, lavorsion dos Volapiikistes pour les radicaux internatio-
naux (dont la plupart sont d'origine latine) parait venir du pré-
jugé germanique contre les « mots étrangers ».
En tout cas, cette aversion semble avoir guidé l'auteur dans
le choix de ses racines, et plus encore dans la formation de
ses mots composés. Au lieu d'adopter les termes techniques et
scientifiques internationaux (composés de racines grecques ou
latines), il a tenu à former ses mots composés d'une manière
autonome (à l'imitation de l'allemand), en traduisant séparément
les racines composantes. C'est ainsi que thermomètre se dit vama-
mafel (vam = chaleur, mafel = mesureur) ; presbyte = fagalogamik
(fag= loin, logam = vue) ; tramway = klautavab (klaut= mil, vab
r= voiture) ; lelod = chemin de fer (lel =fer, od = chemin), ivrujon =
lelodavab; automobile = itomufik (it =^ même, mui ^ mouvement) ;
photographie = litamag (lit ■= lumière, mag = image); anonyme =
nenemôf, etc. 11 est vrai que l'auteur capitule quelquefois avec
les mois grecs : il admet fotogaf comme synonyme de litamag, et
balomet à côté de vamamafel, ce qui est une inconséquence.
Il commet bien d'autres illogismesdans la formation des mots
dérivés. Et d'abord, il admet de nombreuses isoménVs, c'est-à-dire
des mots qui peuvent se décomposer de diverses manières et
avoir par suite des sens tout différents. Exemples :
le-dom ^^ palais;
le-lod = forte charge ;
le-mel = océan;
le-nad = grande aiguille;
ko-nam = collaboration ;
mi-ten = gauchissement;
gle-tip = pointe principale ;
bi-nom = règle préliminaire;
ti-del = presque jour ;
Sans doute, les deux sens sont si hétérogènes que le contexte
suffit en général à déterminer le vrai sens; mais il n'est pas
moins fAchcux qu'on puisse hésiter, mémo un instant, entre deux
1. D'après Bauer et Ste.mpfl.
led-om
= il rougit.
lel-od
=- chemin de fer.
lem-el
= acheteur.
len-ad
= apprentissage.
kon-am
=: récit.
mit-en
= boucherie.
glet-ip
= folie des grandeurs.
bin-om
= il est.
tid-el
= professeur ^ .
158 SECTION II, CHAPITRE II
sens, et qu'on soit obligé de choisir. De plus, il est dangereux de
s'en remettre toujours au contexte, car si le contexte est obscur
ou mal compris, le sens i)eut dépendre précisément du mot dou-
teux. C'est commettre un cercle vicieux que de prétendre que les
mots s'expliquent et s'éclairent les uns par les autres. Il est
assurément préférable qu'ils aient chacun par soi un sens bien
déterminé.
Un inconvénient plus grave encore que les isoméries est la
multitude des dérivations apparentes qui peuvent donner lieu à
des contresens. Ainsi balip = barbe semble signifier : maladie
(manie) de l'unité; plepalôn =pr<'parer ne vient ni de pie ni de pal:
fibaf {amphibie) ne vient pas de fib (faiblesse), ni fetan {liaison) d(> fet
(fertilité). Beaucoup de radicaux commencent par de- sans contenir
le préfixe de- ni en avoir le sens (depad, demad, desid, etc.). De
même pôtet = pomme de terre, et pôtit = appétit ont l'air de
dériver de pot = occasion (cf. pôtek = pharmacie, et pôtut = faim) '.
Souvent même on ne sait pas comment analyser un mot com-
posé où l'on croit reconnaître tel radical connu. Ainsi kobotonôn
se décompose en kobo^ ensemble, ton = accord (s'accorder). Pedi-
pedel semble contenir deux fois le radical ped : or il a pour
radical diped [diplôme) et signifie diplômé ^.
"D'ailleurs, beaucoup de mots dérivés sont formés contraire-
ment à la logique et môme au bon sens. Sans revenir sur les
nombreux cas de Tikûlin cités par M. Kerckhoffs, pourquoi
employer le suffixe -el dans des mots comme fatel = grand-père
paternel, motel = grand-père maternels Si mùf signifie locomobile,
comment son augmentatif lemuf signific-t-il locomotive'? Pourquoi
la mouche s'appelle-t-elle flitaf (litt. : animal qui vole), comme s'il
n'y avait pas d'autres animaux ailés et volants? , Pourquoi la
guêpe s'appelle-t-elle lubiea, péjoratif de bien = abeillel Luvat,
péjoratif de vat = eau, pourrait à la rigueur désigner les eaux
sales; il signifie... urine \ De pab = papillon dérive lupab = che-
nille; est-ce de la même manière que lugil =: vautour dérive de gil
= aigle, ou que luspog ■= champignon dérive de spog = éponge'!
De telles dénominations sont aussi peu scientifiques que la locu-
1. Autres exemples : kat = chai, katad = capital, katan = capitaine;
din = chose, dinit = dignité.
2. D'une manière générale, il est fâcheux d'employer les préfixes du
passif dans des mots qui ne sont ni verbes ni même participes. Ex. : Pe-
baltats = Etals- Unis.
SCHLEYER : VOLAPLK loO
lion mauvaise herbe, ou que la classification des insectes en
utiles et nuisibles. Comment de lom = pays natal (E. home) peut-on
déduire lomon = s'établir en pays étranger, et de mag = image tirer
lumag = faste •? D'autres dérivations sont vagues ou, comme on
dit. tirées par les cheveux : lusôlel = tyran (litt. : mauvais maître);
lulisàlel = sophiste (Usai = raison; lisàlel = raisonneur). Dufaston
{pierre dure) désiijne le granité, comme s'il n'y avait pas d'autres
pierres dures; bigovaet (suc épais) sigmUc gélatine ; flumapop. yjopier
buvard (litt. : papier de fleuve, cf. : flumabed = lit de fleuve), etc.
D'autres sont des périplirases inexactes ou équivoques : smabed=:
nid (litt. : petit lit; pourquoi pas : berceaul)^; silavat = pluie (eau
du ciel); vatalubel = flot (petite montagne deau); lustelavel ::= astro-
lùijne (litt. : mauvais astronome : stoi^ étoile , stelav = astronomie)^ ;
logamagil =: pupille (litt. : petite image de VœU; D. Augenstern).
Ces défauts viennent de ce que le Volapûk est une langue trop
syiiiliélique et trop a priori; sans être une langue philosophique,
il prétend analyser les notions et les reconstituer suivant la
méthode philosophique-; de sorte qu'il a les défauts pratiques
d'une f(>lle langue sans en avoir les avantages logiques. Celle ten-
dance se manifeste surtout par l'emploi des affixes caractéristiques
pour certaines classes d'idées. Autant il est naturel et nécessaire
d'enq)loyer des affixes de dérivation d'un sens déterminé pour
former les mots dont le sens dérive réellement de celui d'un
mot primitif, autant il est inutile et incommode d'imposer à
Ions les mots d'une même catégorie logique la même termi-
naison, connue un faux-nez qui ne sert qu'à les rendre mécon-
naissables et à les faire confondre *. Pourquoi appeler le choléra
kolerip, les vacances vakanûp, Vargent silin, etc.? Ou bien on con-
naît le sens de ces radicaux (que le suffixe ne fait que défigurer),
et alors on sait quelle espèce d'objets ils désignent; ou bien on
ne les connaît pas, et alors il est inutile de savoir qu'il s'agit
1. Nous no parlons j)ns de ccrlninos dérivations ohlonuos par In simple
inllexion de la voyelle du radical (transformation de verbes neutres en
actifs, comme en allemand), que M. Kehckhoffs a critiquées d'autant plus
justement, ([u'il existait déjà des couples de radicaux (|ui ne dilTéraient que
par rintlexion d'une voyelle, et (|ui n'étaient nullement dérivés l'iui de
l'autre (Le Volapûk, p. 171-172).
2. Pourquoi, bov signifiant plal, smabov signilic-t-il assiette, et bovil
tasse '?
3. Cf. : lu-se-vestig-el = espion.
4. Cf. Stempfl, Myrana, p. 111-120.
160 SECTION H, CHAPITRE II
d'une maladie, d'une notion de temps ou d'un élément chimique.
Mais, qui pis est, ces terminaisons ne sont même pas caractéristiques
des classes d'idées auxquelles on les a attribuées : -af est la désinence
caractéristique des animaux; or, à côté du tigre, qui s'appelle tiaf.
on a le lion (lein), le chien (dog), le cheval (jeval), le bwnf (xol), le porc
(svin), le serpent (snek), le ver (vum), l'éléphant (nelfan). etc., et,
d'autre part : bagaf [paragraphe), lemaf (barque), lotogaf, etc. '. Et
comment expliquer que de nim = animal dérive nimaf = mani-
mifèrel De même, bien que -it soit le suffixe caractéristique des
oiseaux (pourquoi un suffixe spécial aux oiseaux? ne sont-ce pas
des animaux?), on a : laud = alouette, sval := hirondelle, spàr =
moineau; et en revanche : neit = nuit, negit = tort, pulit ^= poulie,
visit = visite, vindit = vengeance. In est le suffixe des éléments
chimiques; mais l'auteur admet silef à côté de silin (argent), golud
à côté de golin (or), plum à côté de plumin (plomb) ; et en revanche :
fein =: finesse, lein = lion, pein = pin, pejin = pigeon, fogin = pays
étranger, lastin = élasticité, latin = latin, lapin = rapine, butin
= tire-bottes (but = botte), spatin = canne (spat = promenade) ^.
Ip caractérise les maladies; mais komip = combat. Av désigne
toutes les sciences; mais géométrie ^= geomet, algèbre = lageb, et
physique = fùsud (natav = histoire naturelle). Etc., etc.
M. Kerckhoffs reconnaissait sans doute cet abus du principe
des langues philosophiques : « Il sera bien difficile... de donner
à tous les radicaux des terminaisons caractéristiques; il faudrait
établir, au préalable, une classification systématique de toutes
les connaissances humaines, chose impossible dans l'état actuel
de la science. » Il avouait que « M. Schleyer a un peu prodigué
ses premiers suffixes », en affectant par exemple une désinence
spéciale aux cinq parties du monde, alors qu'il avait déjà le
suffixe -an pour les noms de pays ^. Mais il n'en restait pas moins
fidèle au principe, el voulait surtout en régulariser l'application *.
C'est ainsi qu'il proposait une nomenclature des corps simples
de la chimie, en leur donnant à tous des noms de deux syllabes
contenant leurs lettres symboliques et finissant par -in, ce qui
1. Critique empruntée à M. Dormoy.
2. Citons encore les radicaux : begin, deklin, desin, disin, medin,'
plovin, satin, violin, tous étrangers à la chimie.
3. Le Volapûlc, p. 243.
4. Un savant danois, M. Aaen, renchérissant sur l'Inventeur, proposait les
désinences caractéristiques -eb pour les phanérogames et -ep pour les cryp-
togames (l.e Volapiik, p. 183).
SCHLEYER : VOLAPÛK 161
n'allait pas sans de graves altérations de leurs noms tradition-
nels : agin = argent, cabin = carbone, colin = chlore, félin = fer,
hûdin = hydrogène, htigin = mercure (llg), oxin = oxygène, natin =
sodium (Na), nogin = azote (N), etc *.
Par une singulière inconséquence, tandis que Mgr Schleyer
poussait à l'extrême l'emploi de la dérivation et de la composi-
tion, il ne les employait pas toujours là où le sens parait l'exiger:
il n'établissait aucune relation entre k\oi:= habit et teladel ^= tail-
leur; entre deil = la mort, nelifik = le mort (litt. : non vivant) et
funôn = tuer (litt. : rendre cadavre).
Enfin, bien que l'harmonie ne soit qu'une qualité secondaire
d'une langue internationale, le Volapiik en est vraiment trop
dépourvu. Ce n'est pas, certes, qu'il soit difficile à prononcer,
au contraire : mais l'alternance trop régulière des voyelles et
des consonnes, et le retour trop fréquent des mêmes lettres
lui donnent un caractère monotone qui n'est pas seulement
ennuyeux, mais qui rend les mots indistincts. Des mots comme
kobotonomod (qu'il s'accorde), nomamafiko (régulièrement), Lefudà-
natàv (voyage en Orient), balidomotôf (primogéniture) , potananam
(remboursement par la poste), ne disent rien à l'esprit ni à l'oreille.
Qu'on ajoute à cela la fréquence des voyelles infléchies, disgra-
cieuses et difficiles à prononcer : tàvâl, zônùl, sùlo, sâslupôn,
pôligu, ptikôlùn, sàlàd, Tàlàn, Tûkàn, Paris (!), surtout de 6 (pii a
été prodigué dans la conjugaison : penecodàtôl. pematibometôl ;
la fréquence du k' : ninkikik = inclusif; la fréquence du I sub
stitué k T, même dans les combinaisons pénibles dl, tl : lululik
(de mai); dlànùb, dledàl, dlinôn, tlàtôn, etc. Tout cela, et surtout
l'absence de r, donne au Volapùk le caractère d'un balbutiement
enfantin : taif (tarif), bagaf (paragraphe), telesop (/é/escope ), plogam
(programme), banoam (panorama).
Mais ce défaut d'harmonie n'est rien au prix de l'aspect
étrange et rébarbatif d'une page de Volapiik où tout déconcerte
l'œil et l'esprit, où rien ne rappelle les langues européennes et
ne vient au secours de la mémoire. On croit avoir affaire à une
langue barbare, analogue au malgache ou an mexicain. Cet
aspect ne fait que traduire le manque d'internationalité des
éléments constitutifs de la langue. On se demande à quoi a pu
1. Dictionnaire, p. 10-11. Cf. un projet de Nomenclature chimique ap. Le
Volapiik, p. 51 s(iq.
2. M. Baueh n compto en moyenne 116 k dans 100 mots volapiik.
CouTUBAT ot Lbau. — Langue uaiv. 1 1
162 SECTION II, CHAPITRE II
servir à l'auteur son polygloltisnie tant vanté (et invraisem-
blable, s'il n'était nécessairement superficiel), puisqu'il ne lui a
même pas permis d'éviter les nombreux germanismes qu'il a
introduits dans la grammaire et la formation des mots *. M. Kerck-
iiOFFS semble avoir touché juste quand il disait : t M. Schleyer
est un polyglotte distingué, il est môme un poète de talent, mais il
n'est pas assez linguiste, et surtout il n'est pas homme pratique-. »
On peut ajouter qu'il n'est pas non plus logicien ^
Le défaut capital du Volapilk est de n'avoir pas de principes
fixes et consistants*. Ce n'est pas une langue a posteriori, puis-
qu'elle ne se soucie nullement de linlernationalité de ses élé-
ments; et ce n'est pas une langue a priori, puisqu'elle les
emprunte au hasard aux langues vivantes. Elle a tous les incon-
vénients des langues philosophiques, sans en avoir les avantages.
D'une part, en visant l'humanité tout entière, elle a dépassé le
but pratique et immédiat d'une langue auxiliaire, et s'est privée
de l'internationalité européenne dans l'intérêt (problématique) des
Chinois, qui seraient trop heureux déjà de n'avoir à apprendre
qu'une seule langue européenne, même avec un r; c'est le cas de
dire que « Qui trop embrasse, mal étreint ». Et d'autre part,
elle n'a même pas le bénéfice de la neutralité, car elle repose, en
fait, sur une base presque exclusivement germanique, avec cette
circonstance atténuante, qu'elle a rendu les racines germaniques
méconnaissables.
Au point de vue historique, le Volapûk a eu le mérite de fournir
la première preuve expérimentale de la possibilité pratique d'une
langue artificielle écrite et parlée; mais, d'un autre côté, son
échec final a engendré dans l'opinion publique un préjugé (abso-
lument injuste) contre tout projet de langue internationale. Son
nom a eu l'honneur de devenir le nom commun et générique de
toutes les langues artificielles; on dit : « un nouveau Volapûk ».
1. Exemple : flan =pnge (D. Seite = F. flanc, calé); filedapûn = foyer
(en physique), litt. ; point d'incendie (D. Brennpunkt). L'auteur était dupe
des idiotismes germaniques au point de calquer : deutiko-volapûkik
vôdasbuk sur : deutsch-franzosisches Wôrterbiic/t, c'est-à-dire de prendre
l'adjectif deulsch pour un adverbe! (Le Volapûk, p. 151.)
2. Le Volapûk, p. 248.
3. M. Kerckhoffs lui reprocliait d'ailleurs sans cesse de violer la " logique
grammaticale ».
4. M. Eugen Lauda a pu dire, sans trop de sévérité, que le seul principe
du Volapûk était de n'avoir pas de principe; qu'il était une œuvre de fan-
taisie, de caprice et d'arbitraire (Kosmos, 1888).
SCHLEYER : VOLAPL'K 163
Mais il a aussi rinconvénient de servir d'injure, et d'impliquer
un jugement défavorable, sinon une condamnation. En somme,
on ne peut pas encore savoir si le Volapûk a plus servi à la cause
de la langue internationale qu'il ne lui a nui.
En tout cas, on peut tirer de son histoire une double conclu-
sion. En premier lieu, elle fournit aux partisans d'une langue
artificielle un puissant argument a fortiori. Si le Volapûk, malgré
ses difficultés et ses graves défauts, a pu être pratiqué avec
succès, voire avec enthousiasme , par des milliers de personnes
de toutes les nations, c'est une preuve de fait irréfutable qu'une
langue artificielle plus simple, plus facile, et surtout plus inter-
nationale, peut être universellement adoptée. En second lieu,
elle prouve que, quel que soit le zèle de ses propagateurs et
l'engouement de ses adeptes, une langue internationale ne sera
sûre du triomphe final et définitif que lorsqu'elle aura reçu une
sanction officielle par une entente internationale. Jusque-là,
elle est à la merci des hérésies et des schismes, et peut tou-
jours craindre la concurrence d'une rivale plus parfaite, ou même
moins parfaite. En deux mots, dans l'histoire du Volapûk, les
partisans d'une langue artificielle peuvent puiser à la fois des
motifs de confiance et des motifs de modestie.
CHAPITRE III
VERHEGGEN : NAL B/A'O'
U alphabet du Nal Bino comprend 24 consonnes et 24 voyelles :
chaque voyelle est en effet brève ou longue, et la brève est
figurée par le caractère de la longue renversée.
Tous les radicaux sont des monosyllabes terminés par une
consonne.
Les substantifs forment leur pluriel en -e.
Les pronoms personnels sont, au nominatif:
1" p.
■2'P.
3« p. m.
3» p. f.
Sing. ma
pa
sa
va
Plur. ne
re
te
we
et à l'accusatif :
Sing. mia
pia
sia
via
Plur. nie
rie
tie
wie
Les pronoms possessifs sont :
Sing. mo
po
so
vo
Plur. no
ro
to
wo
Ils forment leur pluriel en changeant o en i : mi, pi, si,...
Le verbe a pour terminaisons : -av à l'infinitif, -a au présent,
-la au passé, -ava au futur, -ave au conditionnel, -la au participe
présent, -ya au participe passé.
Il y a deux verbes auxiliaires : bov (avoir) pour les verbes
actifs, neutres et impersonnels; fov (être) pour les verbes pas-
sifs et réfléchis 2.
1. Nal Bino. Projet d'une langue universelle simple, facile et harmonieuse.
Grammaire, par Séb. Verhkggen. 42 p. in-S" (Liège, 1886).
2. Gallicisme illogique : je me suis lavé = fai lavé moi; on devrait donc
dire (comme les enfants) : Je m'ai lavé.
VERHEGGEN : NAL BINO 16K
Nous n'aurions pas parlé de ce projet informe, si son auteur
n'avait pas écrit les lignes suivantes, qui sont ce qu'il y a de
plus raisonnable dans son opuscule :
« Si les Gouvernements veulent bien prendre l'initiative,
l'Union linguistique suivra de près, en notre époque, l'Union
postale et l'Union télégraphique; il suffirait que les Gouverne-
ments s'entendissent pour élaborer un programme et pour orga-
niser un concours international. Un Congrès, composé de délé-
gués des principaux pays civilisés, choisirait le meilleur projet
qu'on adoptera, soit intégralement, soit en y faisant les amélio-
rations que l'autorité compétente jugera nécessaires. A peine le
jury se sera-t-il prononcé que dans toutes les localités policées
du monde on apprendra avec confiance le nouvel idiome...
A défaut de l'initiative des Gouvernements, les partisans d'une
langue universelle pourraient organiser eux-mômes un concours
international. »
En considération de ce vœu désintéressé, on pardonnera à
l'auteur de ne pas nous avoir donné la * langue simple, facile et
harmonieuse » qu'il a rêvée.
i
CHAPITRE IV
CH. MENET : LANGUE UNIVERSELLE^
Ce projet est une imitation du Volapiik. Nous l'analyserons
brièvement. Varlicle défini est zi (the El). Le pluriel des siibslan-
tifs se forme au moyen de la terminaison -is, et le féminin au
moyen du préfixe é- : dom = homme, édom = femme.
Les adjectifs se forment au moyen du suffixe -il : dag = mon-
tagne, dagil = montagneux. Leurs degrés se forment comme suit ^ :
sapil =: sage.
sapila = moins sage.
sapile = aussi sage.
sapilo =plus sage.
sapilio = le plus sage.
sapilu = très sage.
sapily ^ =^ trop sage.
Vadverbe se forme en ajoutant -é à l'adjectif.
Les 9 premiers nombres sont : bo, be, bu, do, de, du, fo, fe, fu;
les dizaines sont : bos, bes, bus, etc. ; les centaines : bost, best,
bust, etc.
Les pronoms personnels sont, au singulier : 1^° p. o, 2" p. e,
polie : y; 3« p. m. : i, f. : a, n. : é. Au pluriel, on ajoute -s. On =
u (pi. us).
Les adjectifs possessifs sont : om, em, ym... pour les personnes
du singulier, on, en, yn... pour celles du pluriel.
Les verbes ont l'infinitif présent terminé en -ar : men = langage,
1. Grammaire élémen/aire de la langue universelle, par Charles Menet,
15 p. in-S" (Paris, Bonhoure, 1886).
2. Cf. la Règle de la Marguerite de M. Bollack.
3. u se prononce m; y se prononce ou.
cil. MENET : LANGUE UNIVERSELLE
107
menar = parler. Invariables on nombre et en personne, ils
forment tous leurs temps et modes au moyen de suffixes voyelles :
Indicatif.
Sul)jonctif.
Conditionnel.
Présent :
mena
menya
menua
Imparfait :
meni
menyi
Passé défini :
Passé indéfini :
mené
mené
^ menye
menue
Passé antérieur .
meno
Plus-que-parfait :
menu
menyu
Futur :
menia
Futur antérieur :
menie
Participes présent : menas, passé : menas, futur : menias. liifi
nitif passé : mener.
Les temps et modes du passif se forment en ajoutant -t à
«•eux de l'actif.
Les radicaux sont tous des monosyllabes composés de 3 ou
4 lettres, depuis bab = porte jusqu'à : zib = villa pour la belle
saison. Exemples : brod = gué, cas =^ mariage, fel = cheval, gar =
sortie, mat = meurtre, pal = certitude, rig= épingle, teg = lélé-
ijraphc, Tos = Dieu, vot = mot, zem = terre. Comme on le voit,
le vocabulaire est presque entièrement arbitraire, ainsi que la
irrammairc.
CHAPITRE V
ST. DE MAX : BOPAL^
Le Bopal est encore une imitation du Volapûk, que nous résu-
merons en quelques mots. Voici le paradigme delà déclinaison
(pad = père) avec Varticle défini :
Singulier. Pluriel.
Nom. el pad el pads
Voc. 0 pad 0 pad's
Gén. del pada del padas
Dat. lel pade lel pades
Ace. el padi el padis
Abl. le padè le padès
Font exception à la déclinaison les noms terminés en -a, -e, -f,
-V, -1, -m, -n, -r. Le féminin s'indique par un des 4 affixes : fa-, -of,
-if, -iv ; le neutre par -os.
Tous les adjectifs se terminent en -ik. Ils changent le k final
en gu au comparatif, et en x au superlatif.
Les 9 premiers nombres sont : en, de, te, fe, ve, ge, ce^, pe, ne;
les dizaines sont : o, deo, teo, etc.
Les pronoms personnels sont :
1" p.
2« p.
3* p. m.
3« p. f.
Sing. ma
ta
la
fa
Plur. nas
vas
las
fas
Les adjectifs possessifs sont :
Sing. mi
ti
li
fi
Plur. ni
vi
las
fas
Les verbes varient suivant les personnes. Voici, par exemple,
1. Le Bopal, langue univei'selle. Grammaire, textes et vocabulaire, par
St. de Max (Streiff), 54 p. in-24 (Paris, Val et Baudry, 1887).
2. c se prononce ch.
ST. DE MAX : BOPAL 169
l'indicatif présent du verbe hVn = aimer : filo. filol, filom; filomas,
filovas, filolas. La 1" pcrs. des autres temps est :
Imparfait : èfilo.
Parfait : efilo.
Plus-que-parfait : ifilo.
Futur : ofilo.
Futur antérieur : ufilo.
Subjonctif présent : filema.
Conditionnel présent : filœma.
Impératif : filoma.
Participe présent : filon.
Les autres temps du subjonctif, du conditionnel, de l'infinitil
et du participe se forment au moyen des voyelle préfixes è-, e-,
i-, 0-, U-. Il y a en outre un optatif et un participe conditionnel.
Les temps correspondants du passif se forment au moyen des
préfixes pa-, pè-, pe-, pi-, po-, pu-.
Il y a 18 verbes auxiliaires de la forme co, qui s'emploient
comme suffixes.
Le vocabulaire se compose de radicaux monosyllabiques, qui
(Migondrent des dérivés au moyen d'affixes. Exemple: ha.T = ville,
baril = faubourg ; cab := perfeciion ; cob = cheval, ricob = jument • ;
, dom = maison ; gai = terre, galop = continent, galopar = habitant
de la terre, galav = géographie, galavist = géographe; mat = expé-
rience; max = industrie; nil = assemblée; pab = prière; pet = men-
songe; rab = attention; sal =: mer, salop = île; tad = réaction;
van = viande, vanop = boucherie, vanor = boucher; xol = animal;
sudor = ouest, xudor = est.
Voici un écliantillon de cette langue : t In nitlid'n e domi keri-
pol el pèmi ke toinopen ogibol in dis'n les... ■», ce qui veut dire :
c En entrant dans une maison vous pouvez saluer les gens que vous y
rencontrerez en leur disant... »
Il est évident qu'on peut fabriquer de telles langues à la dou-
zaine, du moment que le choix des radicaux, des affixes et des
flexions dépend de l'arbitraire et de la fantaisie individuelle. Ces
systèmes se donnent pour des perfectionnements du Volapûk,
et en fait ils reposent sur les mêmes principes. 11 faut avouer que
si leurs auteurs ont eu lintention de déconsidérer le Volapûk, ils
y ont parfaitement réussi.
1. Le préfixe ri- est donc à ajouter aux 4 afflxes du féminin.
CHAPITRE VI
BAUER : SPELIN'
Le projet de M. Bauer est fondé sur une « Combinatoire lin-
guistique » dont nous n'exj)oserons pas les principes : le lecteur
la comprendra et la jugera suffisamment d'ajjrès ses applica-
tions *. Il se présente comme un perfectionnement du Volapiik,
dont il adopte les principes. Les deux idées qui lui assurent, selon
Tauteur, un avantage sur le Volapiik sont les suivantes : 1° étendre
la loi de corrélation à toutes les formes grammaticales et à la
formation des mots '; 2' rapprocher la langue des trois langues
modernes les plus répandues : l'allemand, l'anglais et le français;
et cela, tant dans la grammaire que dans le vocabulaire. Celui-ci
sera emprunté en première ligne à l'anglais (comme dans le
Volapiik), parce qu'il est le plus répandu, et qu'il unit les élé-
ments romans et germaniques; ensuite à l'allemand et au fran-
çais, et enfin aux autres langues indo-européennes. Selon l'au-
teur, la grammaire doit avoir le pas sur le vocabulaire, parce
qu'elle détermine d'avance les formes que doivent posséder les
racines, les flexions et les affixes. C'est une des raisons pour les-
(juclles Bauer n'admet pas de racines internationales (ou du moins
ne les recherche pas systématiquement) ; car il faudrait le plus sou--
1. Georg Bauer, professeur de mathématiques à Técole réale supérieure
d'Agram : L Sprachwissenschaflliche Kombinatorik, xii -f- 36 p. (Agram,
1886). H. Volapiik und meine sprachw. Kombinatorik (Agram, 1887). III.
Spelin, eine Allsprache auf allgemeinen Griindlagen der sprac/ur. Kom-
binatorik, VII -f 72 p. 8° (Agram, 1888). IV. Spelin-Wôrterbuch; wider die
internationalen Wôrter und die Môglichkeit eine Weltsprache aus soge-
nannten internationalen Wôrtern zu klauben (Agram, 1892). L'auteur a été
|)endant trois ans professeur de Volapiik.
2. L'auteur dit même : « Le Spelin se présente comme une partie de la
Combinatoire mathématique » (IV, 49).
3. A l'exemple du croato-serbe, qui est la langue maternelle de l'auteur.
BAUER : SPELIN i'ii
vent les défoniKM' jusqu'à les rendre iuéconnaissal)les pour les faire
entrer dans les types exigés par la grammaire; si on les adoptait
telles quelles, elles bouleverseraient toute la Combinatoirc lin-
guistique. En particulier, les racines doivent être autant (|ue pos-
sible monosyllabiques, et avoir la forme d'une syllabe fermée
(cvc, ccvc, cvcc, ccvcc, cvvc, ccwc, cvvcc, ccvvcc),
tandis que les pai'licules et les affîxes auront les formes : cv, ve.
La Combinatoire nous apprend qu'on peut former 180 racines de
2 lettres, 368i de 3 lettres, 20980 de 4 lettres, etc.; qu'avec
20 racines, 20 préfixes et 20 suffixes on peut former 8380 mots, et
qu'avec 100 racines, l'>0 préfixes et 50 suffixes, on peut en former
dix fois plus que n'en contient aucune langue. L'idéal de l'au-
teur est en conséquence d'employer le plus petit nombre d'élé-
ments, et de « pousser la combinatoire le plus loin possible » en
l'appliquant à la fois à la grammaire, à la formation des idées
et à la formation parallèle des mots.
Grammaire.
L'alphabet comprend 6 voyelles, rangées dans l'ordre « scienti-
fique » (acoustique et physiologique) suivant : i, e, a, o, u (ou),
œ {eu); et lo consonnes : b. c, d, f, g, k. L m, n, p, s, t, v, y, z.
(L'auteur réserve h et r pour l'avenir, sans doute pour de nou-
velles combinaisons.) c se prononce c/i; get s sont toujours durs.
L'auteur met à part 2 voyelles euphoniques : e et œ, et 2 con-
sonnes euphoniques : y et z, destinées à éviter les rencontres de
voyelles et de consonnes, et exclues par suite de la formation des
racines.
Vaccent suit la règle de l'espagnol : il est sur la dernière syllabe
des mots terminés par une consonne, et sur l'avant-dernière des
mots terminés par une voyelle.
La série scientifique des o voyelles i, e, a, o, u est la base de toute
la grammaire. Elle fournit d'abord les pronoms personnels : i,je; e,
tu; a, il; o, elle; u, il (neutre); auxquels s'ajoute œ = on (voyelle
mixte et terne, symbole de l'indifférence et de l'indétermination).
Les pronoms du pluriel sont les pluriels de ceux du singulier
(comme en Volapûk) : is, nous; es, vous; as, ils; os, elles; ns. Us
(neutre).
Le pronom réfléchi est zœ.
172 SECTION II, CHAPITRE VI
Les pronoms relatifsinterrogatifs sont : ka (m. f.), gui; ku (n.), que ;
yœka = quiconque.
Les principaux pronoms indéfinis sont : da (n. du), quelqu'un
{quelque chose) ; ga (n. gu), n'importe qui (quoi) ; nega (negu), personne
(rien) ; ma, Vautre; gama, un autre; la, le même; pa (pu), chacun.
Les pronoms possessifs dérivent des personnels par l'adjonction
d'un 1 (signe de l'adjectif) : il, el, al, ol, ul; œl; isel, esel, asel,
osel, usel ; zœl. — Kel {de qui), del {de quelqu'un), gel (de n'importe qui),
negel [de personne), mel (de l'autre), gamel (d'un autre), lel (du même),
pel (de chacun), etc.
Les adjectifs démonstratifs sont formés de même au moyen de la
finale -f : if, celui-ci; el, celui-là; af, cet autre; zœf, même; kef, quel;
yœkef, quelconque; def, un certain; gef, n'importe quel; negef, aucun;
met, l'autre; gamef, un autre; lef, le même; pef, chaque.
Les adverbes correspondants dérivent des pronoms précédents
par l'addition de -e (caractéristique des adverbes) : kefe, comment;
lefe, de la même manière; gamefe, autrement; negefe, d'aucune
manière, etc.
En ajoutant de môme aux adverbes précédents un 1, on forme
des adjectifs-pronoms indiquant la manière ou l'espèce : kefel,
quel {de quelle espèce) ; ifel, tel (que celui-ci) ; efel, tel (que celui-là) ;
pefel, de chaque espèce; gamefel, d'une autre espèce ; negefel, d'aucune
espèce, etc.
On forme d'une manière analogue les adverbes de temps, au
moyen de la consonne caractéristique t et du suffixe adverbial :
kete, quandHte, maintenant ; pete, en tout temps ; negete, jamais, etc. ;
les adverbes de lieu, au moyen de la consonne caractéristique v :
keve, où ? ive, ici ; eve, ave, là ; peve, en tout lieu ; negeve, nulle part ;
gameve, ailleurs, etc. ; d'où l'on déduit au moyen du suffixe -1 des
adjectifs de temps et de lieu : itel, de maintenant; ivel, d'ici.
On forme encore de la môme manière les adverbes indiquant
la direction : kevle, où (allez-vous)"? le chemin : kelve, par quel
chemin? les pronoms de nombre : kem, combien? et de grandeur : kec
combien grand? d'où dérivent les adverbes correspondants : keme,
combien (L. quot)1 kece, combien{L. quantum)^
Les noms de nombre sont construits systématiquement par la
combinaison de 3 voyelles et de 3 consonnes :
ik, 1 ; ek, 2 ; ak,, 3 ;
in, 4; en, 5; an, 6;
ip, 7; ep, 8; ap, 9.
BAUER : SPELIN 173
Les dizaines se forment en ajoutant un s (comme en Volapûk) :
iks, 10; eks, 20; aks, 30; etc., iksik= 11, et ainsi de suite.
Puis viennent: uc, 100»; ekuc, 200, etc.; ok, 1.000»; ekok,
2.000;.... iksok, 10.000; eksok. 20.000;.... ucok, 100.000; ekucok,
200.000;.... lion, 1 iniUion; kelion, 1 milliard (10»); elion, 1 billion
(10'2); alion, 1 Ir illion (W^), etc. Zéro se dit nik.
Les adverbes ordinaux dérivent des nombres cardinaux par
l'adjonction de -e : ike, premièrement; et les adjectifs ordinaux
par l'adjonction de -el : ikel, premier.
Les adjectifs multiplicatifs se forment au moyen du suffixe -œl :
ikœl, simple ; ekœl, double.
Les nombres défais se forment au moyen du suffixe -(e)te : ikte,
une fois; eksete, 20 fois. On en dérive, au moyen du suffixe -1, les
adjectifs : iktel, ektel.
Les nombres despèces se forment au moyen du suffixe -tœl :
iktœl, d'une seule espèce.
Enfin les nombres distributifs sont indiqués par la particule pef :
pef ek, deux à deux; d'où les adjectifs ordinaux : pef ekel, chaque
deuxième.
La gamme des 5 voyelles sert encore à la conjugaison des
verbes. Il suffit de les ajouter au radical verbal pour avoir les
5 temps de Vinfinilif. Exemple :
Présent : mili, aimer.
Passé : mile, avoir aimé.
Plus-que-parfait : mila.
Futur : milo.
Futur antérieur : milu.
Pour former les temps de Vindicatif, il suffit de mettre devant
l'infinitif correspondant les pronoms personnels : i, e, a, o, u,... :
i mili, j'aime; is mili, nous aimons;
e mili. tu aimes; es mili, vous aimez, etc.
Il n'y a pas de subjonctif. Le conditionnel est marqué par le suffixe
-ui au présent, -ua au passé : i milui, j'aimerais ; a milua, il aurait
aimé.
L'impératif est marqué par la particule let (E.) ou l'auxiliaire
zi; l'optatif par l'auxiliaire me (E. may).
Le participe présent est marqué par -in : milin. aimant. Il n'est
pas question d'autres temps du participe.
1. Le lexique (IV) donne oc = 100, el uk = 1.000.
474 SECTION II, CHAPITRE VI
Le passif se forme au moyen de lauxiliaire bi (E. be) et du
participe passé (passif) terminé par -ed : i bi miled, je suis aimé.
Les verbes réfléchis se forment au moyen du i)ronom réfléchi
zœ; les verbes réciproques, au moyen du pronom pâma (l'un l'autre).
V interrogation est marquée par la particule koe mise au com-
mencement de la proposition. Cette particule sert aussi à rem-
placer tous les relatifs, en tôte des propositions relatives.
Nous arrivons au substantif. Il n'y a pas d'article : l'article
indéfini est remplacé par le pronom ga (quelque), l'article défini
par un pronom démonstratif.
Le pluriel des substantifs est marqué par le suffixe -œs : mik,
ami; mikœs (rappelons que toute racine étant une syllabe fermée,
tous les substantifs finissent par une consonne).
La déclinaison s'efTectue au moyen des particules (prépositions)
dœ (F.) pour le génitif, et tu (E.) pour le datif. Vaccusatif est sem-
blable au nominatif, et ne s'en distingue que par la position.
Ex. : mik ka mili = Vami qui aime; mik ka a mili, Vami qu'il aime;
ka mili. qui aime? ka a mili, qui aime-t-il? ka mili ya, qui l'aime?
Le genre (naturel) est indiqué par les préfixes ya (masc), yo
(fém.), yoB (neutre). Le préfixe yu marque le jeune :
yabif taureau, yaz homme (L. vir).
yobif vache. yoz femme.
yœbif bœuf. yœz homme (L. homo).
yubif l'eau. yuz enfant.
L'auteur se félicite particulièrement de l'invention de ces
préfixes; il distingue par exemple yuyaz =jeu/ie homme de yayuz
= garçon, et yuyoz ^= jeune fille de yoyuz = (petite) fille.
Les adjectifs sont invariables, et suivent toujours le substantif.
Les degrés de comparaison se forment : 1" d'une manière synthé-
tique, en variant la voyelle du suffixe : gudik, bon; gudek, meil-
leur; gudak, le meilleur; 2" d'une manière analytique, au moyen
d<?s particules meo, mao : meo gudik, mao gudik. Le superlatif
absolu est marqué par la particule mio ou par l'adverbe plavio
{vraiment, E. very).
Les adverbes dérivés d'adjectifs finissent en -io, qui se change
en -eo, -ao aux degrés de comparaison.
Les prépositions ont la forme cv (ccv, cvv) pour pouvoir servir
de préfixes (terminés en e ou œ).
Les conjonctions finissent au contraire par une consonne, elles
ont donc les formes vc, Vvc, ou evc (dans ce dernier cas,
BAUER : SPELIN 17o
V est e ou 08, car les autres voyelles sont réservées aux racines
(le substantifs).
La syntaxe se réduit à cette ri'gle unique : adopter l'ordre le
plus clair, qui est en général le suivant : sujet, verbe, com-
l)létnents.
Vocabulaire.
« Le vocabulaire doit se rapprocher autant que possible de la
langue anglaise, et ensuite des autres langues aryennes. » Tou-
tefois, « on choisira d'abord dans le vocabulaire anglais les
racines qui ont un caractère international (aryen). > Par exem|)le.
on préférera la racine pat (dans pnternily) à la racine fat (falher.
E. ; vater, D.), la racine nud (dans imdily) h la racine bar. la racine
lun (dans hinar) à la racine mon ou mun (moon, E. ; mond, D.), la
racine nom (E. nominal, nomenclature) à la racine nem (D. E. name),
la racine vol (E. volition, volunlary) à la racine vil (D. wille), et
ainsi de suite. Préférer (comme le Volap(ik) les secondes racines
aux premières, c'est, selon l'auteur, « vouloir germani.ser inuti-
lement les racines internationales ». « Ce n'est que lorsqu'il
n'y a aucune ressemblance entre les racines romanes et les
anglaises, que celles-ci ont la préférence. » Ainsi l'auteur cherche
à enrichir son vocabulaire de racines internationales.
Mais, d'autre part, ces racines sont soumises à des condi-
tions restrictives qui viennent de la Combinatoire. Par exem-
ple, la lettre s est, non seulement le signe du pluriel, mais le
symbole de la totalité : c'est ainsi que le « pluriel » du verbe
(formé par l'addition de s) signifie le duratif, si le verbe
exprime un état, ou le fréquentatif, s'il exprime une action.
Ex. : me spelin vivis = vive le Spelin (qu'il dure!)'. De même,
étant donné qiu^ pe = chaque, spe veut dire tout; et comme lin =
langue, spelin signifie : la langue de tous (D. Allsprache). De môme
encore, spaz désigne le monde (des hommes), spuz Vunivers (des
choses) ; spuv, Veapace (speve = partout) ; sput. Véternilé (spete =
toujours), etc., etc.
Cela étant, on conçoit que la lettre s ne puisse pas être l'ini-
tiale d'une racine, comme svin (D. schwein); on est donc obligé
. 1. L'auteur se flatte d'économiser ainsi des racines : iuki, voir; lukis.
ref/arder.
176 SECTION II, CHAPITRE VI
de la remplacer par may (I. majale)^. Ainsi cette seule règle
exclut toute une série de racines internationales.
Inversement, stim signifiant honneur, tim signifie simplement
estime (l'honneur étant 1' « intégrale » de l'estime). On en tire les
préfixes honorifiques te- et ste- : teyaz = monsieur; steyaz = sire 2.
Mais ce n'est là qu'une des moindres applications de la Combi-
natoire à la lexicologie. La série des voyelles fournit une infinité
de gammes variées, partout où il y a place pour des degrés ou
des nuances diverses.
De même que les voyelles servent à marquer le temps dans
les verbes, elles servent à former les adverbes qui indiquent les
relations de temps. Ainsi, dez = jour, lez. := mois, yez = an;
par suite :
ide = aujourd'hui; ile = ce mois-ci; iye = celte année-ci.
ede^hier; ele eye
ade = avant-hier ; aie aye
ode = demain ; oie oye
ude = après-demain ; nie uye
Si à ces mots on ajoute -z ou -1, on forme le substantif ou l'ad-
jectif correspondant; et si on leur préfixe la lettre s-, on indique
l'intégralité : sidez = tout ce jour; seyez = toute l'année dernière;
solez = tout le mois prochain. On peut même former des intégrales
doubles : i labo sodese = je travaillerai continuellement toute la
journée de demain.
D'une manière analogue, les noms de nombre servent à
nommer les jours de la semaine et les mois ^ :
duik = lundi. luik ^= janvier.
duek = mardi. luek = février.
duin = jeudi. luin = avril.
duip =^ dimanche. luip = juillet.
lusik = octobre.
1. III, 41. Dans le lexique (IV) on trouve la racine exclusivement anglaise
pig (et non la racine romane porc).
2. De même : stat = état, donc : tat = province; til = partie, donc :
stil = totalité.
3. L'auteur fait honneur de cette idée à M. C. Sprague (de New York).
Elle était déjà appliquée dans le Volapuk.
BAUER : SPELIN 177
lusek = novembre.
lusak = décembre.
On forme de môme les mots :
kuik. kuek, kuak, kuin,... = voiture à 1 cheval, à2,3, ^... chevaux;
et mrme les ji^radcs militaires :
muit, soiis-lieutenanl; muet, lieutenant; muât, capitaine; muist,
major; muest, lieutenant-colonel; muast, colonel K
La Combiiiatoirc s'étend jusqu'aux noms propres de pays.
Perfectionnant le système du Volapùk, l'auteur donne à tous les
pays d'Europe le suffixe -im, à ceux d'Amérique le suffixe -em, à
VAsie, -am, à V Afrique, -om et à V Australie ^ -um. Les cinq parties
du monde ont elles-mêmes les noms (formés avec Vintégrale s) :
sim, sera, sam, som, sum. Ainsi : Indem = Indes occidentales, Indim
-- Indes orientales ; Rusim =: Russie d'Europe, Rusam = Russie d'Asie ;
Rusiam = la Russie entière. Enfin pim = continent; et spim =
la terre entière. Pour former l'adjectif d'un pays, il suffit de
changer l'm final en c; et pour désigner les habitants (mAles ou
femelles) de ce pays, il suffit de préfixer ya- ou yo- : yazinlic =
un Anglais; yoflansic = une Française.
L'auteur établit beaucoup d'autres affi.xes de dérivation :
€ Plus il y a de préfixes et de sutfixes, mieux cela vaut ». Il admet
un certain nombre de préfixes destinés à modifier le sens des
substantifs : be- exprime l'idée de beau; gre-, celle de grand; le-,
celle de rapidité; me-, celle d'intensité (renforcement de sens');
muo-, celle d'excès (muo = troj)) ; ne- celle de négation ; ko- celle
d'infériorité ([)éjoratif); skô- celle de mépris; glô- celle d'(animal)
sauvage; blô- celle de noir (blôdez = nuit =jour noir). Les préfixes
ya-, yo-, yu-, appliqués à une racine verbale, indiquent Vhomme,
\ix femme ou la chose qui fait l'action exprimée par cette racine.
Le préfixe ye- indique un castrat. Citons encore les préfixes de-
(marquant éloignement), fô- (signifiant devant), pô- (signifiant
autour), vœ- (signifiant avec), rei- (indiquant la répétition).
Les principaux suffixes qui servent à former des substantifs
sont : -et, diminutif; -ab désigne un art; -ip désigne une science;
-ay désigne un métier; -ak désigne la machine, -ef, l'instrument à
1. Dnns III, les grades étaient indiqués comme suit : tuik, tuek, tuak;
tuin. tuen, tuan; ... ensuivant exactement la série des nombres. Dans IV,
ces mots désignent les intervalles musicau.x {prime, seconde, tierce, ...).
2. Pourquoi pas à l'Océanie tout entière?
3. D'où sme-, qui signiRe capital, principal, primordial.
.. ^ «■
178 SECTION II, CHAPITRE VI
faire la chose indiquée par la racine; -un (D. -ung) désigne
Vaction exprimée parla racine; -ud, le résultat de l'action; -uv, le
lieu, et -ut, le temps de l'action; -uf, la qualité abstraite. Cer-
tains de ces suffixes sont parfois de simples caractéristiques
logiques, comme -ip (nous connaissons déjà les suffixes -im.
-em,... caractéristiques des noms de pays). Tels sont aussi : -an,
qui désigne les choses spirituelles; et -eg, qui désigne les ani-
maux, excepté les plus familiers, comme dog = chien, kat = chat,
kav = cheval, etc. ; mais on « spélinise » les noms suivants :
kengeg = kangourou, krokeg = crocodile, salmeg = salamandre. On
en forme d'autres avec des racines abstraites : mileg = colombe
(de mil = amour); kobeg = araignée (de kob ^ filer). L'auteur
préfère les racines abstraites au point de proposer d'appeler fie
la pêche (action de pécher), et ficeg \& poisson. Ici encore, la varia-
tion des voyelles sert à exprimer divers degrés : ainsi de nat =
nature on forme d'abord natip = histoire naturelle, puis natep =
physique, et enfin natap = métaphysique.
Les principaux suffixes qui servent à former les adjectifs sont • :
-1 (il, -el) que nous avons vu appliquer aux pronoms et aux
noms de nombre; -ik, -ir; -if, qui signifie plein de (E. -fui); -lik,
qui signifie semblable à (D. -lich) ; -nik, qui signifie privé de (E. less) ;
-iv, qui indique la capacité d'agir (E. -ive, F, -if); -œbil, qui
exprime la possibilité ou la dignité (E. F. -able, -ible).
Les verbes se forment souvent en ajoutant simplement à une
racine substantive la voyelle caractéristique des temps (-i au
présent). Quand la racine désigne un animal, le verbe dérivé
indique le cri de cet animal : dogi, aboyer; kati, miauler, etc.
Si l'animal ne rend aucun son, le verbe dérivé indique une action
ou une propriété caractéristique. De même le verbe dérivé du
nom d'un organe indique sa fonction : luk =: œil, luki = voir.
Les verbes qui signifient /atre ou rendre tel ou tel se forment
au moyen du suffixe -ig : ex. : dol, douleur, doligi, faire mal; lum,
lumière, lumigi, éclairer. Mais cet emploi n'est pas général;
ex. : klin, propreté, klini, nettoyer; nud, nudité, nudi, dénuder, etc.
Les mots composés se forment en juxtaposant les racines,
séparées, s'il y a lieu, par la voyelle -o. Ex. : vapobad, bain de
vapeur; vaponav, bateau à vapeur; vapovag, voiture à vapeur;
1. Comme en Volapùk, la racine est toujours le substantif : klin, pro-
preté, klinir, propre; nud, nudité', nudir, nu.
BAUER : SPELIN 179
natosap, science de la nature ; lumolog, fenêtre {trou à lumière) ; spa-
zolin, langue universelle.
Certains mots dégénèrent on préfixes : ainsi slak =^ électricité
ilovicnt en composition sle- : slegaf, télégraphe; slefon, léléptione
(cf. fonogaf = phonographe).
Enfin rauteur semble indiquer certains contraires en retour
nant la syllabe-racine : gub = froid, bug = chaud (d'où : bugo-
yumiz = thermomètre) : lin = langue (d'où Uni = parler), nil =
oreille (d"où nili^ entendre).
Voici, à titre d'échantillon, le Pater traduit en Spelin :
Pat isel. ka bi ni sielœs ! Nom el zi bi santed ! Klol el zi komi ! Vol
el zi bi faked, kefe ni siel. efe su sium! Givi ide bod isel desel is.
Fegivi dobœs isel. kefe tet is fegivis ta yadobœs isel; et nen duki
is ni tantœ. bœt libi is de mal.
L'auteur fait ressortir la brièveté de sa langue par rapport aux
langues vivantes et même au Volapûk : il constate que là où le
\'olapnlc emploie 100 lettres, le Spelin n'en emploie que 80: que
le Spelin a oO pour 100 de mots monosyllabes, tandis que le
]olapûk n'en a que 24 pour 100; et qu'en Spelin 62 pour 100 des
mots se terminent par une voyelle, tandis qu'en Volapillt on n'en
trouve que 40 pour 100 au plivs, ce qui rend le premier plus
harmonieux que le second. Enfin il a établi certaines règles de
formation des mots pour éviter les nombreuses isoméries du
l'olapiik. 11 conclut à la supériorité du Spelin sur le Volapiik.
Critique.
Comme nous l'avons dit, nous laissons au lecteur le soin de
juger la « Combinatoire linguistique » d'après ses résultats.
<lont nous avons cité de nombreux exemples. Nous nous borne-
rons à remarquer l'incompatibilité qui existe entre les deux
principes adoptés à la fois par l'auteur : d'une part, le principe
<j priori de la Combinatoire et de la corrélation, c'est-à-dire de
la construction logique des mots; d'autre part, le principe a
posteriori de la conformité aux langues vivantes, et de l'adoption
<les racines internationales. Le conflit perpétuel de ces deux
principes aboutit à une incohérence parfaite dans le vocabu-
laire et tlans la grammaire ; en définitive, c'est le principe a
posteriori qui est sacrifié au principe a priori. Par exemple, le
180 SECTION II, CHAPITRE VI
fait de réserver 2 voyelles et 2 consonnes à la formation des
affixes et à l'euphonie oblige à les exclure des racines, et par-
tant à dénaturer les racines qui les contiennent. Le retour
incessant de la gamme des voyelles, employée pour toutes les
flexions grammaticales, rend celles-ci entièrement artificielles
et arbitraires, et, de plus, difficiles à distinguer, car il faut un
effort de mémoire pour se rappeler ce que chaque voyelle
signifie dans tant de circonstances diverses '. Dans le vocabu-
laire, ce ne sont pas seulement les pronoms, les particules, les
noms de nombre qui sont formés a priori de toutes pièces ^ ; ce
sont encore la plupart des noms et des verbes, composés sui-
vant des règles logiques qui rappellent les langues philoso-
phiques. L'usage des affixes caractéristiques exerce sur les
racines naturelles plus do ravages encore qu'en Volapiik notam-
ment dans les noms de pays). L'exemple le plus curieux de cet
abus est l'emploi de la lettre s comme « signe d'intégration ».
qui devrait aboutir logiquement à l'exclure de toutes les racines.
L'auteur n'a pas consenti à ce sacrifice héroïque, de sorte qu'à
côté de mots comme spaz, side, sif, ou de préfixes comme 8me-,sko-,
où s a le sens défini, on a des mots comme siel (ciel), sian (océan),
sig (cigare), et des préfixes comme sle-, où s n'a pas du tout ce
sens. Enfin l'auteur aime mieux former des mots composés ori-
ginaux que d'adopter les mots internationaux les plus connus ;
et sa Combinatoire est si riche qu'elle lui fournit tous les syno-
nymes suivants : spesapuv. gresapuv. mesapuv, gresapokul, gre
nocuv, grenocokul, stekul, stesapuv, speticuv, spelernuv, etc.,
pour désigner ce que dans tous les pays civilisés on appelle...
Université.
1. Quelle corrélation y a-t-il, par exemple, entre Je, tu, il, et aujourd'hui,
hier, avant-hier?
2. Peu importe que ni signifie dans en japonais, et que ik signifie un
en ... tchérémisse (!); ce sont là des rencontres fortuites qui n'empêchent
pas ces mots d'être construits a priori.
CHAPITRE Vil
FIEWEGER : DIL
Le DU se présente manifestement comme un perfectionnement
du Volapûk. Il repose sur les mômes principes, et nous permettra
d'en mieux apprécier la valeur.
• Grammaire.
L'alphabet se compose des H voyelles :
a, e, i, 0, u (ou)
et dos 17 consonnes :
b, p; d, t; g, k: v. f; z, s; c, j; y, 1, m, n, r,
qui se prononcent comme en français, à part : g toujours dur;
s toujours dur ; c = dch; j = ch (comme en Volapûk).
Vaccent csl sur la dernière syllabe (comme en Volapûk).
Il n'y a pas d'article, ni défini ni indéfini.
Les substantifs se déclinent comme il suit :
Nom. om Vhomme
Gén. orna de l'homme
Dat. omo à l'homme
Ace. omi l'homme
ornez les hommes
omaz des hommes
omoz aux hommes
omiz les hommes
Les genres sont toujours naturels. Ils se distinguent par les
désinences -ec (masc.) et -ev (fém.).
Los adjectifs sont invariables en genre et en nombre. Le com-
1. Internationale Verkehrssprache Dil oder besles Vei'stàndigungstnitlel
zwischen den Nationen nach dem System des Dr. Gûl in Bagdad : Gram-
înalik, par Fieweger (1893). — Slammwôrterbuch des Dil und stammàhn-
liche Wôrfer, par Fiewec.er (1894; Brcslau, Adcrholz). Il y a une traduc-
tion de la Grammaire en Volapilk, et une autre en Dil, dont voici le titre :
Dil 0 med gutun kaipeni fra nepez ze gloz doka Gûl en Bagdad.
182 SECTION II, CHAPITRE VU
paratifet le superlatif se forment au moyeu des suffixes -ur ef
-un. Ex. : gut, bon; gutur, meilleur: gutun. le meilleur.
Les noms de nombre sont :
un, 1; tun. 2; zan, 3; fir, 4; bej, 5; siz, 6; sib, 7; sek. 8; nov, 0.
Les dizaines se forment en ajoutant aux unités le suffixe du
pluriel -ez (comme en Volapiik) : unez, 10; tunez, 20; zanez, 30;
tunezzan, 23; zad = 100; mil = 1.000; unon = 1 million; tunon =
1 billion, etc.
Les nombres ordinaux dérivent des précédents au moyen du
suffixe -un (comme le superlatif).
Les pronoms personnels sont :
Sing. Plur.
l'« personne eb, je, ebz, nous.
2* — el, tu, elz, vous.
3« — em, il, emz, ils.
Ils se déclinent comme les substantifs. Les pronoms de la
3'' personne prennent les désinences du genre.
Les pronoms possessifs dérivent des pronoms personnels par
l'adjonction d'un -e : ebe, ele, eme; ebze, elze, emze. Ils sont sou-
vent remplacés (comme en Volapiik) par le génitif du pronom
personnel ; eba, ela, ema, etc.
Les pronoms démonstratifs sont : id, ceci; ed, cela; kid, tel; did, le
même; ded, celui (qui).
Les pronoms relatifs-interrogatifs sont : ki (masc. fém.) et kt
(neutre) ; les mêmes à l'accusatif qu'au nominatif (comme en
français). Ils servent aussi d'adjectifs interrogatifs : quel?
Tous ces pronoms prennent les désinences masculine et fémi-
nine.
Les pronoms indéfinis sont : ik, quelqu'un; ek, personne; an,
aucun; kik, chacun; ez, quelque chose; nez, rien; iz, tout; jak, peu;
jok, beaucoup '.
Les verbes n'ont qu'une seule conjugaison. Soit le radical lob
(louer, D.). L'indicatif présent se forme en lui ajoutant les pro-
noms personnels :
lobeb, lobel, lobem ^ ; lobebz, lobelz, lobemz.
1. On remarquera l'opposition de sens entre ek et ik, jak et jok (voir le
Vocohulaire).
2. Les 3°' personnes (sing. et plur.) peuvent prendre au besoin les dési-
nences de genre.
FIEVVEGER t DIL 183
Le parfait (défini et indéfini), le plus-que-parfait, le futur et le
futur antérieur se forment en remplaçant respectivement e par
a, i, 0, u dans la terminaison de l'indicatif. Ainsi : lobab, j'ai
loué; lohib, j avais loué; lobob. Je louerai; lobub, /aurfli loué.
Vinfinitifsc forme en ajoutant au radical les terminaisons -en
(présent) et -an (passé) : loben, louer; loban, avoir loué.
Les participes se forment en ajoutant au radical les terminai-
sons ed (présent) et -ad (passé) : lobed, louant; lobad, ayant loué.
Le subjonctif se forme en ajoutant les désinences personnelles
à linfinitif présent : lobeneb, que je loue; lobenab, que j'aie loué;
lobenib, que j'eusse loué.
Le conditionnel (présent, passé) coïncide avec le subjonctif
(imparfait, plus-que-parfait) comme en allemand.
L'mipt'ra/i/ s'indique en ajoutant la désinence -ed ' à l'indicatif :
lobeled, louez ; lobebzed, louons.
L'optatif (impératif poli) remplace cette désinence -ed par la
désinence -ez.
Le passif se forme eh intercalant i immédiatement après le
radical à tous les modes et temps de l'actif: lobien, être loué;
lobian, avoir été loué; lobied, loué (qu'on loue); lobiad, loué (qu'on
a loué).
Le passif sert à suppléer l'absence du pronom on. On traduit
on loue par lobiem, est loué (comme en latin).
La forme réfléchie est indiquée par un i placé après la dési-
nence : lobebi, je me loue.
La forme réciproque est indiquée par un a placé après la dési-
nence : lobemzu, ils se louent l'un l'autre.
Enfin on traduit certains auxiliaires (allemands) en intercalant
après le radical les syllabes suivantes :
aj pouvoir (moralement); D. dûrjen.
ej devoir; D. sollen.
ij vouloir.
oj pouvoir (physiquement); D. kônnen.
uj devoir, falloir; D. mùssen.
La syntaxe est très simple : les verbes régissent tous l'accusatif
pour leur l'"' complément (régime direct) et le datif pour les
autres (régime indirect). Les prépositions régissent toutes le
nominatif.
1. La même que pour le participe présent.
184 SECTION II, CHAPITRE VII
La construction régulière est la suivante : sujet, verbe, régime
direct, régime indirect. L'adjectif, le nom de nombre, le génitif
se mettent après le substantif, et la préposition avant lui ; l'adverbe
se met après le verbe ou le mot qu'il détermine (y compris la
négation ne). L'interrogation se traduit par la particule 11 en tête
de la proposition (comme en Volapiik).
Vocabulaire.
Le DU n'a que des racines monosyllabiques, qui paraissent
construites par combinaison; les unes ont le sens des racines
naturelles (surtout allemandes) qu'elles rappellent plus ou moins
vaguement; les autres ont des sens arbitrairement choisis. Le
monosyllabisme n'épargne même pas les noms propres de pays :
rop, Europe; sic, Asie; frik, Afrique; rik, Amérique; rus, Bussie;
sman, Turquie (Osmanlis); doit, Allemagne (D. Deulschland) ; dien,
Inde (D. Indien); tien, Argentine; ciar, Hongrie (magyar); cik, Bel-
gique; cip, Egypte; sem, Luxembourg; yer, Bavière; veir, Wiirttem-
berg; nal, Anhalt; enfin : meuk, Mecklembourg ; meak, Mecklembourg-
Schwerin, et meok, Mecklembourg-Strelitz.
De même, les noms des éléments chimiques sont réduits à
une syllabe, qui rappelle plus ou moins leur notation abrégée :
ag, argent; al, aluminium; ok, oxygène; col, chlore; cor, chrome;
civ, mercure.
Les racines empruntées aux langues anciennes sont traitées de
môme : blem, problème; blik, république; dak, rédaction; mem,
mémoire; mik, fourmi (L. formica): plom, diplôme; nés, fenêtre
(L. fenestra), etc.
Certaines racines sont empruntées textuellement (phonétique-
ment) au français, comme : blag, ble, brid, briz, dot, drol, foar,
fuet, flej, goj, jat (achat, et non chat), jik, joz, kaj, kloj, koz, ku,
kud, kut (coût), kuv (couverture), let [lettre), moan, mok, muj (niou-
cher, non mouche), nec (neige), nos, pak (Pâques), pej (pèche, fruit),
pus {pouce), roj, sac (sage), sir (cire), suj (souche), taj [tache), trus,
truv (trouver), zit (visite).
D'autres à l'anglais, comme : beg (prière), bon (os), bim (rayon),
bren (cerveau), dir (cher), diuk (duc), dor (porte), jep (forme), jev
(raser), nait (chevalier), rul (règle), sev (sauver), spun (cuiller), ti (</ié),
vik (semaine), vit (blanc), vod (eau).
FIEWEGER : DIL 185
D'autres enfin ont une origine obscure ou incertaine, et
paraissent choisies arbitrairement, comme : dil, langage; din,
religion; fil ", éléphant; gur, mont; mab, temple; nan, été; nib, voiture;
nim-, ichneumon; ran, orient; sag, sanlé; sed, coutume; siv, cœur;
toj, encre; tul, longueur; ved, 6ots; yir, crainte; ZOT, force. C'est le
cas d'une bonne moitié des racines du lexique.
Les procédés de dérivation ne sont pas moins arbitraires. Le
suffixe -er indique les personnes en général ; -ec indique les per-
sonnes masculines, et -ev les féminines. Les mômes suffixes pré-
cédés de i (signe du passif) marquent les personnes qui subissent
une action. Les mômes, précédés de u, marquent les personnes
dégénérées (ex. : omuec, eunuque).
Le suffixe -ir marque les animaux, en général ; -ic les animaux
mules, et -iv les femelles. Les mômes, précédés de u, marquent
les animaux chAtrés. Ex. : galuic, chapon.
Le suffixe -ar marque les plantes (-ac les plantes mâles; -av, les
plantes femelles).
Le suffixe -id marque les jeunes. Ex. : loj, cheval; loiid, poulain.
Le suffi.xo -ef marque les collectivités; -if marque les emplois,
fonctions, dignités; -of marque le commerce; -on, le lieu, etc.
Les adjectifs se forment au moyen des suffixes -aie, qui marque
la forme; -oie, la ressemblance; -ile, la manière; -oce, la dignité
(qui mérite de...); -ioje, la possibilité; -uoje, la facilité; -iuje, la
nécessité, etc.
Les verbes dérivés d'adjectifs se forment au moyen des suffixes
-en = être (guten, être bon); et -eten = rendre (guteten, rendre bon).
Nous avons vu les suffixes qui remplacent les auxiliaires.
D'autres expriment : -ap, le commencement de l'action ; -ep, la fin
de l'action; -ip, l'achèvement de l'action; -iep la continuation
de l'action; -iap, l'apprentissage. Ex. : yazen, écrire; yazapen,
commencer à écrire;... yaziapen, apprendre à écrire.
Il y a aussi de nombreux préfixes, dont la plupart sont des
particules (prépositions ou conjonctions). Certaines de ces parti-
cules sont empruntées au latin ou aux langues vivantes : e, et:
0, ou; ne, ni; si, si; ma, mais; fra, entre; gre, malgré; d'autres sont
comi)osécs a priori, et toujours monosyllabiques : fu, à côté de; lu,
le long de; bu, nonobstant, etc.
1. Qui signifie feu en Volapilk.
2. Qui signifie animal en Volapilk.
186 SECTION II, CHAPITRE VII
Il y a encore d'autres procédés de dérivation, spéciaux au DU,
qui consistent, soit à ajouter une voyelle à l'intérieur du radical,
soit à remplacer la voyelle radicale par une voyelle contraire
(pour marquer les opposés). Les voyelles contraires sont : a et e;
e et i; a et o; a et u.
Ce procédé de dérivation s'applique aux particules : ex. : en =
dans, in = hors de; u ^= près, a = loin; su = sur, sa =: sous; le =
avant, la = après; spe = tard, spi = tôt; ik = quelque part, ek r=
nulle part ; ta = hier, te = aujourd'hui, to = demain (cf. : ti = thé,
tu =/rop); etc. (Voir aussi les pronoms indéfinis cités plus haut).
11 s'applique aussi aux grands mots. Voici les exemples cités
par l'auteur : geb := donner, geib = prendre; vig = berceau, vieg
= tombe ; Ion = source, foan = embouchure ; tul = longueur, tuai =
brièveté. Ajoutons-en quelques autres non moins caractéristiques :
ne = non, nei := oui: nor = nord, noar = sud; goj =: gauche, gaj =
droite ; soaf = soif, sof = faim ; stad = ville, staed = campagne ; laf
= rire, laef = pleurer; rij = richesse, riej = pauvreté; ren = pro-
preté, rein = malpropreté; poem := poésie, poim = prose; slaf =
sommeil, slaef = veille; stel = étoile, steol = étoile fixe, steal =
planète ; top = canon, toip = obus ; lek = électricité, lik = magné-
tisme: vit = blanc, viet =: «o/r; ver = vers, vier = strophe (vir =
tourbillon); vin = i»i/i, vien = vinaigre (ven = veine); vor = pn/i-
temps, voar = automne: nan = e'/é, naen = /lirer (non = none°>.):
enfin : kriv = catholicisme, et kriev = protestantisme. Citons aussi :
glev = glaive, glav = sabre, gliv = ^pe'e.
Critique,
Le DU a les mêmes défauts que le Volapûk, notamment l'arbi-
traire du vocabulaire et de la grammaire. Comme lui, il déforme
systématiquement les racines naturelles pour se conformer à
certaines règles a priori, et surtout à l'exigence excessive de la
brièveté et du monosyllabisme. Comme lui, il compose les
flexions grammaticales et les affîxes de dérivation par des com-
binaisons arbitraires de lettres (notamment de voyelles). Il a
pourtant sur lui quelques avantages : son alphabet est plus
complet; sa conjugaison est plus rationnelle (quoique tout aussi
arbitraire), les temps étant indiqués, non plus par des préfixes
qui défigurent le radical verbal, mais par des suffixes (comme
FIEWEGER : DIL 187
dans les principales langues européennes). Mais ce qui est le plus
intéressant et le plus instructif dans le DU, c'est son vocabulaire,
parce qu'il montre à quelles incohérences et à quelles fantaisies
on peut al)outir par l'application simultanée de principes a prtort
et de principes a posteriori. Les nombreux exemples que nous
avons cités nous dispensent de toute critique sur ce point, et
montrent que le choix des racines ne tient aucun compte de leur
internationalité : c'est ainsi que sak, le plus international des
radicaux, ne signifie pas sac, mais cuissel En somme, le DU est à
certains égards un perfectionnement du Volapiik; mais, à d'autres
égards, il en est la caricature.
CHAPITRE VIII
DORMOY : BALTA *
Le Balta est un perfectionnement du Volapûk, dont l'auteur sest
efforcé de simplifier et de régulariser la grammaire.
Grammaire.
Valphabet comprend 5 voyelles :
a, e, i, 0, u (ou)
et 14 consonnes :
b, d, f, g, j, k, 1, m, n, p, s, t, v, y.
g et s sont toujours durs; j se prononce ch. L'auteur rejette les
voyelles infléchies du Volapûk; il exclut les consonnes c, q, h, r,
X, z, comme inutiles ou malaisées à prononcer. Toutes les syllabes
devront être à peu près également accentuées ; la dernière pourra
l'être un peu plus.
11 n'y a pas d'article, ni défini, ni indéfini.
Les substantifs ont leur radical commençant et finissant par
une consonne. Ils n'ont pas de genre propre; le féminin sera
marqué par un préfixe (ej-)- Us ne se déclinent pas, et prennent
simplement un -s au pluriel.
Les adjectifs se terminent tous en -a. Ils ne se déclinent pas
plus que les substantifs, et ne prennent le -s du pluriel que
lorsqu'il est nécessaire pour le sens.
1. Le Balta, langacje international conventionnel, par Emile Dormoy,
ingénieur en chef des mines (Tours, impr. Arrault, 189.3). M. Dormoy a fait
partie du Comité central de l'Association française pour la propagation du
Volapûk. Son ouvrage contient une revue historique des projets antérieurs.
Ce projet avait paru en 1887 dans Le Moniteur de l'Exposition.
DORMOY : BALTA 189
Los degrés de comparaison seront indiquf^s analytiqucment par
(les particules spéciales (comme plus, très en français).
Les noms de nombre sont construits a priori par des combinai-
sons de voyelles et de consonnes :
ba, 1 ; be, 2 ; bi 3 ; bo, 4 ; bu, 5 ;
ja, 6; je, 7; ji, 8; jo, 9; ju, 0 '.
Les dizaines sont indiquées par les mômes syllabes suivies de -s :
bas, 10; bes, 20; bis, 30, etc. Puis : fol = 100; mil = 1.000; mion
=: 1 million; mimion = 1 milliard. Par exemple :
Mijifoljisejo = 1889.
Les nombres ordinaux dérivent des nombres cardinaux au moyen
(lu suffixe -a (des adjectifs) : bala, premier; bêla, second, etc. ;
basa, dixième; besa, vingtième, etc.
Les adjectifs multiplicatifs se forment au moyen du suffixe -ta :
balta, simple; belta, double, etc.
Ainsi s'explique le nom du Balta..., grâce à une métaphore.
Les adverbes numéraux se forment (comme tous les adverbes
dérivés d'adjectifs) en .changeant -a en -i : bali, premièrement;
balti, simplement.
Les nombres partitifs (dénominateurs de fractions) se forment
au moyen du suffixe -dil : beldil = demi, moitié; bildil = tiers;
boldils bi = trois quarts.
Les nombres de fois se forment au moyen du suffixe -kemi : bel
kemi == deux fois.
Ia'9, pronoms personnels sont également formés a pnori. L'auteur
préfère (à l'inverse du Volapûk) faire varier la voyelle et garder
la même consonne : al == je; el = tu; il = il, elle; ol = on; ul =
ce {cela).
Les pronoms du pluriel se forment au moyen de la consonne s :
as = nous; es = vous; is = ils, elles. Même (L. ipse) se traduit par
la répétition du pronom : al-al, moi-même.
Les adjectifs-pronoms possessifs dérivent des pronoms personnels
par l'adjonction du suffixe -a : ala, mon; ela, ton; ila. son: ola; ula;
asa, /io/r<?; esa, votre; isa, leur.
Les pronoms-adjectifs démonstratifs sont de la forme vca :
apa, ce, ce... -ci, celui-ci.
epa, un certain.
ata. quelque, quelqu'un.
1. La place assignée au zéro étonne, de la part d'un mathématicien.
190 SECTION II, CHAPITRE VIII
eta, chaque, chacun.
ita, l'autre, un autre.
ota, aucun, personne.
uta, le même.
De même, les pronoms relatifs :
oka, qui; okea, que,
qui deviennent interrogatifs à l'aide du préfixe li :
li-oka, qui? quel? li-okea, que? quoi?
apaka = celui qui; apakea = celui que.
ulka ^ ce qui; ulkea :=cequeK
La conjugaison des verbes est réduite au minimum. L'auteur a
été d'abord tenté de suivre l'exemple du Volapûk, en soudant le
pronom au radical verbal (par exemple : logal, je vois ; logel, tu
vois; logil, il voit, etc.). Mais il a préféré une conjugaison [)lus
analytique, où le pronom (ou le sujet) précède le verbe, inva-
riable en personne et en nombre.
Il n'admet que trois temps, marqués respectivement par les
préfixes a- (présent), e- (passé), i- (futur). Ainsi :
al alog = je vois.
el elog = tu as vu.
il ilog = il verra.
11 ne prévoit pas de temps secondaires, ni de modes, sauf l'in-
finitif, marqué par le suffixe -e : loge, voir. Le participe passé
passif se forme en ajoutant -a à l'infinitif : logea, vu. Le passif
se forme au moyen du préfixe oj- : al oj-alog, je suis vu.
Les verbes impersonnels se conjuguent de même. Exemple :
nife = neiger; ul nif =: il neige.
Les verbes te (être) et fe (avoir) se conjuguent régulièrement :
al at, je suis; al et, je fus; alit, Je serai; al ai, j'ai; al et, j'eus; alif,
j'aurai.
La négation et V interrogation s'expriment respectivement par les
préfixes ni et li- : al ni alog = je ne vois pas ; el li-alog = vois-tu ?
el ni li-alog ^ ne vois-tu pas?
Les adverbes (primitifs), les prépositions et les conjonctions sont
de la forme vcv, et se terminent respectivement en -i, -o, -u.
Ainsi : efi == auparavant; efo = avant; efu = avant que. Ces trois
1. II semble que dans ulka, apaka, le changement de -a en -ea traduise
l'accusatif, tandis que dans oka il traduit le neutre.
DORMOY : BALTA 191
formes peuvent s eniployer l'une i)Our l'autre, quand il n'y a pas
lieu à équivo(iue.
La principale règle de syntaxe consiste (comme en Volapuk) à
placer le déterminant après le déterminé : buk penea gudi = un
livre bien écrit (buk = livre ; pen = plume ; gud = bonté).
La construction régulière est la suivante : sujet, verbe, régimes
direct et indirect. Seulement cet ordre peut être interverti pour
rattacher les propositions subordonnées (relatives) à la prin-
cipale.
Vocabulaire.
L'auteur a donné un lexique français-balta contenant 2200 mots
usuels. Il a conservé autant que possible les radicaux du Volapiik,
excepté quand son alphabet ou les règles relatives à la forme
des mots l'obligent ù les changer.
Les radicaux sont tous des substantifs; en leur ajoutant le suf-
fixe-a, on forme des adjectifs; -e, des verbes; -i, des adverbes.
Ainsi toutes les parties du discours se distinguent par leur
forme : « Tous les mots qui finissent par une consonne autre
que s sont des substantifs, s'ils commencent également par une
consonne; et des verbes conjugués, s'ils commencent par une
voyelle », qui est a, e, i suivant le temps. « Tous les mots qui
finissent en -a sont des adjectifs s'ils commencent par une con-
sonne, et des pronoms s'ils commencent par une voyelle. Tous
les mots qui finissent en -ea sont des adjectifs verbaux; tous les
mots qui finissent en -e sont des verbes à l'infinitif; en -i. des
adverbes; en -o, des prépositions; en -u, des conjonctions. »
Les dérivés se forment au moyen des suffixes :
-am qui indique l'action,
•en — l'industrie, et
-el — celui qui exerce l'industrie :
bir :== bière, biren = brasserie, birel = brasseur.
-il qui indique un diminutif;
dom = maison, domil = petite maison.
-av qni indique la science :
God = Dieu, godav = théologie.
et des préfixes :
aj- qui indique le mâle : aj-gok ^cog.
ej- — la femelle : ej-gok =pou/«.
192 SECTION II, CHAPITRE VIII
ij- qui indique le jeune : ij-gok =pou/e/.
le- — la grandeur : ledom= pa/ais.
lu- — l'humilité :
heg^ prière, lubeg = mendicité.
ko- qui indique l'idée d'avec, en commun
vob = travail; kovob = collaboration.
disa- qui signifie sous.
de- qui indique éloignement, séparation.
ge- — la répétition.
ta- — le contraire.
ne- — la négation.
Tous ces affixes sont empruntés au Volapûk. Quant aux mots
composés, ils se forment, comme en Volapûk, en unissant les
deux radicaux au moyen de la voyelle -a- (l'idée déterminante la
première). Exemple : ted = commerce; tedadom = maison de
commerce.
Pour donner une idée de la méthode de composition de l'au-
teur, citons les mots qu'il compose au moyen des noms de nom-
bres. D'abord les heures : jaltok= six heures; beldila dup = une
demi-heure; basbedel = midi (douze-jour); basbeneit = minuit
{douze-nuit). Puis les jours de la semaine : baldel = dimanche;
beldel =: lundi, etc. Ensuite les mois : balmul = janvier; belmul =
février;... basbemul =: décembre. Enfin les saisons : balsod = prin-
temps;.... bolsod = hiver. L'auteur applique encore ce système de
numérotage aux sept couleurs de l'arc-en-ciel : balkol = violet
(kol = couleur); helkol = indigo;.... jalkol = orangé; jelkol = ro«gfe;
et même aux cinq parties du monde : Lebalen =: Europe;
Lebelen = Asie; Lebilen =: Afrique; Lebolen = Amérique; Lebulen
= Océanie.
Critique.
Par rapport au Volapûk, auquel il convient de le comparer, le
Balta marque un progrès : sa grammaire est beaucoup plus
simple ; elle est aussi plus analytique, et par là plus conforme à
l'esprit des langues modernes. Mais elle est trop simple, ou tout
au moins incomplète (le Balta n'est d'ailleurs qu'un projet de
langue, et non une langue toute faite). De plus elle emploie des
flexions absolument arbitraires, fondées uniquement sur la suc-
cession conventionnelle des voyelles. De même les pronoms, les
DORMOY : BALTA 193
noms de nombre et les particules sont construits entièrement a
priori, ce qui les rend fort (lifficiles à retenir et j\ distinguer.
Itnfin le vocabulaire, étant celui du Volapûk, a tous les défauts
(jue nous avons déjà signalés; il est même encore plus factice,
par suite de l'introduction des nombres dans la formation de
certaines séries de mots, qui rappelle les pasigraphics les j)lus
artificielles.
CouTURAT et I^EAU. — I^angue univ.
13
CHAPITRE IX
GUARDIOLA : ORBA *
Valphabelde cette langue comprend 21 lettres, 5 voyelles : a, e,
i, 0, u (ou), et 16 consonnes : b, d, f, g, h (Icli), k, 1, m, n, p, r, s,
t, V, X (c/i), y (i consonne). Il n'y a pas de diphtongues.
L'accent porte en général sur la voyelle qui précède la dernière
consonne du mot, excepté quand elle est une désinence gramma-
ticale ; dans les autres cas, il est marqué dans l'écriture et l'im-
pression. La déclinaison ne porte que sur les articles et les pro-
noms.
Varticle défini est i, l'article indéfini u. Ils se déclinent comme
suit :
Sing.
Plur.
Sing.
Plur.
Nom.
i
is
U
US
Gén.
iti
isti
uti
usti
Dat.
ita
ista
uta
usta
L'accusatif et l'ablatif sont semblables au nominatif.
Les substantifs ont 3 genres (naturels) : le masculin caractérisé
par -0, le féminin par -a; le neutre n'a pas de désinence propre,
mais le genre indéterminé (m. et f. à la fois) a pour désinence
-ie.
Le pluriel se forme en ajoutant un -s.
Les adjectifs sont invariables, excepté quand on les trans-
forme en substantifs, en leur ajoutant -io pour le masculin, -la
pour le féminin et -ie pour le genre indéterminé ^.
L Kosmal Idioma. Gramàlika uti nove praia kiamso Orba. — Universal-
Sprache. Grammalik einer neuen Sprache, Orba genannt, von José Guar-
DioLA. 96 p. in-S" (Paris, Paul Schmidt, 1893).
2. Le neutre est identique au radical : V8k= une vieille chose \ vekio =
(un) vieux; vekia = (une) vieille; vekies = (les) vieux.
del
dol
dels
dois
elol
olol
elols
olols
GUARDIOLA : ORBA 195
Les degrés s'indiquent par les surfîxes -al (comparatif) et alto
(superlatif) •.
Les pronoms personnels sont, au nominatif :
1" p. 2« p. 2' p. polio. 3« p. m. 3* p. f. 3' p. n.
Sing. in at ul il el ol
Plur. ins ats uls ils els ois
Ils forment leur génitif et leur datif comme les articles (-ti,-ta),
et leur accusatif en préfixant 1-. Ils prennent dans certains cas
une forme abrégée.
Les adjectijs possessifs sont, au nominatif :
Sing. din dat dul dil
Plur. dins dats duls dils
et \es pronoms possessifs :
Sing. inol atol ulol ilol
PI tu*. inols atols ulols ilols
Les uns et les autres se déclinent comme Jes articles.
Les pronoms démonslratifs sont, au nominatif singulier :
den, celui-ci; len, celui-là.
Les pronoms relatifs sont ki (m. et f.), ke (n.), et kial (iki= celai
qui).
Tous ces pronoms forment leur pluriel et se déclinent comme
les articles.
Les nombres cardinaux sont :
u, du, tre, kat, hin, sei, set, ot, neu, sen; puis : usen, dusen
neusen; vin = 20; tren = 30; katten = 40; hinten = 50;.... senti
= 100; du senti = 200;.... mil = 1.000. Les unités précèdent tou-
jours les dizaines 2 ; 87 = setotten.
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant aux cardinaux le
suffixe -lo.
Les noms de nombre servent à former les noms des jours et
des mois.
Les verbes n'ont qu'une conjugaison, qui est régulière. Bien
qu'ils soient facultativement précédés des pronoms, ils varient
suivant la personne. Les 6 personnes du singulier sont caracté-
risées respectivement par les voyelles : 0, a, ia, i. e. ie. et les
6 personnes du pluriel par les mêmes voyelles suivies de -s.
1. Cependant, on trouve parmi les adverbes : bene = bien, et esior =
très bien.
2. Suivant l'usage illogique de ralletnand (qui énonce les mille, les cen-
taines, puis les unités et eniln les dizaines).
196 SECTION II, CHAPITRE IX
Les temps principaux sont caractérisés par diverses consonnes
qui précèdent la désinence personnelle; savoir :
b pour l'indicatif présent ;
d — imparfait;
f — parfait;
1 — futur ;
k — le subjonctif présent;
m — passé ;
n — le conditionnel;
t — l'impératif;
s — l'infinitif et les participes :
[ -se désigne l'infinitif présent;
< -sa — le participe présent;
( -80 — — passé (passif).
Exemple : lem = amour; lemse = aimer, lemsA = aimant, lemso =
aimé.
Il y a deux auxiliaires : ase = avoir, ese^ être. Le premier sert
à former les temps indirects de l'actif; le second, tous les temps
du passif. Ils peuvent perdre leur radical (a, e) et se réduire à
leur terminaison qui s'accole au participe (avant pour avoir, après
pour être). Exemple : in abo lemso ou in bolemso, j'ai aimé; in ebo
lemso ou in lemsobo, je sais aimé. Les temps indirects du passif
emploient les deux auxiliaires : j'ai été aimé = in abo eso lemso.
Le verbe e/re, employé comme copule, peut aussi se réduire à un
suffixe : belbe = elle est belle ; belfe = elle fat belle.
Les verbes réfléchis se forment en ajoutant simplement un -1 à
toutes les formes de l'actif : lemsel := s'aimer.
Les verbes réciproques ont la forme réfléchie suivie de uta
(pi. utas) = l'un l'autre {les uns les autres).
L'interrogation se marque par l'inversion du sujet.
La syntaxe se borne à quelques conseils généraux d'ordre et de
clarté, attendu que ce sont les grands écrivains qui forment le
style.
. Pour le vocabulaire, l'auteur n'admet pas l'utilité de racines inter-
nationales pour les termes usuels ; il cite un exemple (chemin) où
les mots équivalents dans les principales langues sont presque
tous différents; il constate qu'aucun de ces mots ne dit rien à un
étranger, remarque que la correspondance des mots aux idées
est absolument arbitraire, et en conclut qu'il n'y a pas intérêt
à emprunter les radicaux usuels aux langues vivantes. Aussi le
GUARDIOLA : ORBA 197
choix de ces radicaux paralt-il, en fait, presque toujours arbi-
traire : lan = chant; ser = pensée; bah =^ misère ; bo = bon, nat =
mauvais; nim = grand ; kin =: riche, meb =: pauvre; kiel = rapide;
yol ^= danse; nix = trompeur (F. niche?): xik =joli (F. chici).
En revanche, l'auteur reconnaît (par une heureuse inconsé-
quence) que les termes scientifiques et techniques sont t cosmo-
polites » (ex. : harmonie, philosophie, énergie, organisme, etc.) et
doivent par suite être admis dans sa langue avec des désinences
appropriées.
Il indique en passant certains affixesde dérivation, par exemple :
-el (elka au féni.) pour désigner l'acteur : lanel := chanteur,
lanelka := chanteuse ' .
-loi pour former les diminutifs, et -iont pour former les aug-
mentatifs, auxquels on ajoute -oh pour leur donner un sens
péjoratif.
-il pour indiquer la qualité : boil = bonté.
-Ile pour former l'adjectif dérivé d'un substantif : seda = soie,
sedile = soyeux.
-ti pour former l'adjectif qui indique la matière : aryenti loxka
:= cuiller d'argent.
-ix pour former l'adjectif de pays : frankix ^= français.
-ay pour former l'adjectif de ville : Parisay = parisien.
-su pour former l'adjectif qui signifie plein de — : met = peur,
meiavL = peureux*.
-nu pour former l'adjectif qui signifie privé de — : val = courage,
valnu = sans courage, lâche.
En somme, VOrba est une langue aussi artificielle que le Volapûk;
il a les mêmes défauts essentiels. Les radicaux sont choisis
aussi arbitrairement que ses flexions grammaticales (sauf pour
la numération). La grammaire est inutilement compliquée, et les
formes n'ont rien qui rappelle les langues européennes. La
langue n'est pas pour cela plus logique, et nous avons relevé en
passant plusieurs fortes inconséquences. C'est un projet pure-
ment fantaisiste, et qui n'a rien de pratique ni de séduisant.
1. Suivant cette règle, lemel devrait signifier Vamant; il signifie Vaimé.
2. Mais lab = bord, et labsu = plein Jusqu'au bord.
CHAPITRE X
W. VON ARNIM : VELTPARfJ
Le Veltparl procède du Volapûk, de l'aveu même de son auteur,
qui déclare emprunter à celui-ci des mots et des formes gram-
maticales (comme on pourra en juger bientôt) pour rendre aux
Volapfikistes la transition plus facile. Comme le Volapûk, il
rejette les mots dits étrangers, t devenus presque internatio-
naux », et prétend qu'on ne peut pas construire avec ces mots
une langue internationale : i° parce qu'ils n'y suffisent pas;
2<^ parce qu'ils sont polysyllabiques; 3'^ parce qu'ils sont pro-
noncés et même compris différemment par les diverses nations.
L'auteur déclare s'être inspiré des projets et des critiques de
MM. Beermann, Lederer et von Rvlski^. 11 prévoit l'institution
d'une Académie chargée de conserver, de développer et de per-
fectionner sa langue,... au cas où elle serait adoptée.
Grammaire.
L'alphabet se compose de 24 lettres, 6 voyelles :
a, e (é), i, o, u (ou), y (u français)
et 18 consonnes :
b, c (ich), d, f, g (toujours dur), h (dj), j (J allemand), k, 1, m, n, p,
r, s (2), s (s dur, ss), t, v, z {ts). Il faut y ajouter la combinaison de
consonnes sh, qui se prononce comme ch F., sh E. ou sch D h
1. Entwurf einer internationalen Verkehrs-Sprache, genannt « Velt-
parl », enthaltend 1" die Grammatik, 2° einen Teil des Verzeichnisses der
Wurzelwôrter mit den wichtigsten Ableitungen, par Wilhelm von Arnim,
36 p. in-8» (Oppeln [Silésie], Maske, 1896).
2. Voir Section III, chap. xxii et xxiii.
3. L'auteur édicté touchant la quantité (longueur ou brièveté) des syllabes
Anales des règles assez compliquées, qu'il est inutile de rapporter ici.
I
W. VON ARNIM : VELTPARL 199
L'accent, dans les mots polysyllabiques, porte sur l'avanl-der-
ni^re syllabe.
11 y a un article défini el et un article indéfini an.
Les substantifs prennent au pluriel -y. Ils ne se déclinent pas;
ce sont les articles, les pronoms et les noms de nombre qui se
déclinent, en prenant -a au génitif, -e au datif et -i à laccusatif ;
ils ont la môme forme au pluriel qu'au singulier. Exemple :
Sing. Plur.
N. el dog, le chien el dogy
G. ela dog, du chien ela dogy
I). ele dog, au chien ele dogy
A. eli dog, le chien eli dogy
L'adjectif [nxec lequel l'auteur confond Vadverbe^) est caractérisé
par la désinence -o, qui sert ù former les adjectifs et adverbes
dérivés. Ex. : gret = grandeur, greto = grand et grandement.
Les degrés de comparaison se forment au moyen des i)rérixes
plur, plir ; min, mir : gleig ^égalité) : minpresto ka = moins rapide que.
Les nombres cardinaux sont :
zer, 0; prim, 1; tven, 2; tril, 3; kar, 4; fiv, :>; seks, 0; sev, 7;
tam, 8; nov, 9. Les dizaines se forment en ajoutant -og aux
unités : primog, 10: tvenog. 20: trilog, 30... Puis viennent : zent,
100; mil, 1.000; mion, 1 million. Les puissances successives du
million se nomment : primion, tvenion, trilion...
Les nombres ordinaux dérivent des nombres cardinaux au
moyen du suffixe -id : primid, 1"; tvenid, 2'^; trilid, 3'=.
Les nombres multiplicatifs dérivent des mêmes au moyen du
suffixe -ik : primik, simple; tvenik, double; trilik. triple:... On leur
ajoute le préfixe dif (différence) pour former les nombres d'espèces :
diffivik, de cinq espèces.
Les nombres fractionnaires se forment au moyen du sufli.xe -iv :
tril kariv = trois quarts.
Les nombres de fois s'indiquent i)ar le suffixe -nal : novnal = neuf
Jbis; al primid nal = pour la première fois.
On forme les adverbes numéraux en ajoutant -o aux adjectifs
précédents : primido := premièrement; kariko = quadruplement ;
difseviko, de sept manières.
I. C'est un germanisme. L'auteur croit que l'adjectif allril)ut est un
adverbe, parce qu'il est invarial)le en allemand ; et il en conclut que la
distinction de l'adjectif et de l'adverbe est un idiotisme national.
200 SECTION II, CHAPITRE X
Les pronoms personnels sont :
og =je ogy = nous
ov = tu ovy = vous
om = il (m.) omy = ils (m.)
ol = elle (f.) oly = elles (f.)
od := il (n.) ody = ils (n.)
auxquels on peut ajouter on = on (pi. ony = tout le monde), self
= même (pi. selfy), qui sert de pronom réfléchi.
Les substantifs n'ont pas de genre par eux-mêmes. Quand on
veut indiquer leur genre, on leur ajoute en suffixes les pronoms
-om et -ol. Ex. : shvalom = étalon; shvalol ^= jument.
En parlant des animaux, on emploie toujours le pronom
neutre od.
Les pronoms possessifs dérivent des pronoms personnels au
moyen du suffixe -un.
Les principaux pronoms démonstratifs sont :
at = celui-là.
ir = celui-ci.
id = celui {qui).
soj = tel.
Les pronoms interrogatifs-relatifs sont :
kel = qui? kak = quelle espèce de?
Les principaux pronoms indéfinis sont :
manj = maint ; mult = beaucoup ; nul = aucun ; val = tout
(L. omnis); tôt = tout entier (L. totus).
Les verbes se conjuguent suivant les principes du Volapûk. Les
temps sont indiqués par les préfixes : a- (présent), e- (passé), o-
(futur) 1 ; les modes par les suffixes : -al (indicatif), -aj (subjonctif-
conditionnel), -af (impératif), -at (optatif), -ar (infinitif), -an (par-
ticipe), -and (participe de nécessité [gérondif]). Le passij est
indiqué simplement par un i intercalé entre le radical et la dési-
nence du mode. Exemple :
filar = aimer. filiar = être aimé.
og afilal =faime. og afilial :=je suis aimé.
og ofilal z=zf aimerai. og efilial =j'ai été aimé.
ov filaf ^=aime! og aliliaj = je serais atm^.
filan =: aimant. filian == qui est aimé.
filand = qui doit aimer, filiand = qui doit être aimé.
i. L'on n'emploie ces préfixes que pour marquer un temps bien déterminé.
W. VON ARNIM : VELTPARL 201
Les verbes réfléchis prennent pour régime le pronom self à
toutes les personnes : og filai selfi =je m'aime.
Les verbes impersonnels ne prennent aucun pronom : apluval =
il pleut.
L'interrogation, même indirecte, est marquée par la particule li,
à moins qu'il n'y ait un mot interrogatif dans la proposition.
La négation est marquée par la particule no. Ces deux parti-
cules se placent entre le sujet et le verbe.
On remarquera qu'il n'y a pas de temps secondaires. La relation
du temps de la proposition subordonnée au temps de la propo-
sition i)rincipale est suffisamment marquée par la conjonction
qui les relie {pendant que, avant que, après que, etc.). Exemple :
og oslipal, na ov edesviagal = je dormirai quand tu seras parti
(litt. : après que ta es parti).
Les adverbes dérivés se confondent, on l'a vu, avec les adjectifs.
Les principaux adverbes primitifs sont : ci = ici; da = /à; ha =
déjà; im = toujours; ka = comme; ra = très; ur = seulement;
fre = presque.
Les adverbes de temps prennent les préfixes verbaux a, e, o :
adelo = aujourd'hui, edelo = hier, odelo = demain. De même :
osmeno = la semaine prochaine; ejaro = l'an passé.
Les prépositions dérivent des autres espèces de mots au moyen
de la désinence -u : danku = grâce à ; favu = en faveur de ; manda
= par l'ordre de ; stimu = en l'honneur de.
Les principales prépositions ont deux formes, une longue ter-
minée en -u (2 syllabes, 4 ou 5 lettres), et une courte (1 syllabe,
2 ou 3 lettres). Nous ne citerons que celle-ci : en = sans, fo =
avant, in =: dans, ko = avec, ni = près, su = sous, up =^ sur, ut
:= hors de.
Les principales conjonctions sont : et = et, ud ^ ou, ab = mais,
erg = donc, uz := aussi, ib = car. eh = que, if = si, bi = parce que.
Certaines conjonctions sont composées d'une préposition
suivie de eh (que) : en-eh = sans que. fo-eh = avant que, etc.
Les interjections dérivées se terminent par oe.
Syntaxe. Un substantif est précédé des prépositions, pronoms
et noms de nombre, suivi des adjectifs, participes et appositions.
Un verbe est précédé dos adverbes monosyllabiques, suivi des
adverbes polysyllabiques et des autres compléments.
L'ordre normal de la phrase est : sujet, verbe, régime direct,
régime indirect.
202 SB.TION II, CHAPITRE X
La proposition auDordonnée doit suivre en général la propo-
sition principale. On doit éviter d'emboîter les propositions
les unes dans les autres, et d'employer les tournures indirectes.
Vocabulaire.
Le vocabulaire comprend environ 3730 radicaux. Les radi-
caux et les affixes sont tous monosyllabiques; les radicaux des
noms et verbes ont la forme de syllabe fermée (evc) ; les radi-
caux des particules et les affixes ont les formes vv, vc ou vcc,
cv ou cvv.
Les radicaux sont empruntés : !<> aux langues des principaux
peuples civilisés; 2° aux autres langues nationales; 3° au latin et
au grec ; 4° au Volapiik.
Les mots dérivés se forment au moyen de 46 suffixes (de la
forme vc qui correspondent à des classes d'idées; i)ar exemple:
-ed désigne les métiers;
-eg — les choses;
-ep — les plantes;
-up — les arbres ;
-or — les fleurs ;
-uk ■ — les fruits;
-op — les matériaux;
-in — les corps chimiques;
-ir — les mammifères;
-if — les oiseaux;
-ib — les amphibies et reptiles;
-ish — les poissons;
-iz — les insectes;
-it — les maladies;
-od — les parties du corps ;
-on — les pierres;
-op — les lieux;
-im — les temps;
-ot — les aliments préparés;
-oz — les sciences, etc.
Ces suffixes caractéristiques servent à former même les noms
non dérivés des classes correspondantes; ils sont séparés
alors du radical par une apostrophe : cela signifie que leur
W. VON ARNIM : VELTPARL 203
emploi est facultatif, et qu'ils ne passent pas dans les mots
cl«^rivés et composés. Ils servent aussi à préciser le sens d'un
radical et à en exprimer les diverses nuances. Ex. : slad = salade
(en général) ; sladep = salade (comme plante) ; sladot = salade
comme mets). Suif = soufre (vulgaire); sulfin = soufre (élément
chimique).
A ces suffixes il faut ajouter les suffixes -om et -ol, caractéris-
tiques du genre; et les suffixes -ad, -ak et -am, qui servent à former
des substantifs verbaux : -am indique l'action exprimée par le
radical verbal : benetar = bénir, benetam = bénédiction; -ak
désigne le résultat de l'action : piktar = peindre, piktak= (une)
peinture, (un) tableau; -ad signifie la causation de l'état exi)rimé
par le radical : gaud =joie, gaudad = action de causer la joie; d'où
les verbes : gaudar = se réjouir; gaudadar, réjouir (act.).
Le suffixe -io (i ])assif, o adjectif) sert à dériver des verbes les
adjectifs exprimant la possibilité passive de l'action. Ex. : sanad
= guérison, sanadio = curable; nontruvio = introuvable.
Le suffixe -eo forme les adjectifs indiquant la matière : un glob
silveo = un globe d'argent (silv),
11 n'y a pas de préfixes proprement dits. Mais il y a une tren
taine de radicaux monosyllabiques qui en tiennent lieu, et appor-
tent leur sens dans les mots où ils entrent en composition. Ex. :
des (idée de séparation), kon (union), mal (mal), non (négation), nin
{intérieur), nir (proximité), etc. La plujjart de ces radicaux servent
aussi à former des prépositions. Ex. : for (devant), neb(à côté), snb
[sous), trans (au delà) '.
Enfin les mots composés se forment par simple juxtaposition des
radicaux : jungshval =pou/am. Mais, « pour éviter des formations
monstrueuses », il est préférable de mettre le radical déterminant
(complémentaire) sous forme d'adjectif (comme en polonais), et
de dire par e.Kcmple : cem nebo au lieu de nebcem (c/in»i6re à côté).
Nous n'avons pas d'autre écliantillon du ]eltparl que le titre
même de l'ouvrage de M. von Arnim :
Jekt una zovparl bevnazo namian < Veltparl », ninan 1. eli greb;
IL uni kvot ela liât rizebo ko destvigamy plirvijdo.
1. En somme, ces prélLxos conslituont une 3* forme des prépositions,
celle sous Inquelle elles entrent en composition.
204 SECTION II, CHAPITRE X
Critique.
Le Veltparl est un Volapûk plus régulier et plus logique; mais
il a les mêmes défauts fondamentaux : l'abus de l'arbitraire et de
Va priori. L'arbitraire se manifeste déjà dans la composition de
l'alphabet, notamment dans le son assigné aux lettres c, h, y ;
dans la déclinaison (empruntée au Volapûk) et la formation du
pluriel; dans la conjugaison, trop synthétique; dans la forma-
tion des noms de nombre, dans le choix des pronoms, des parti-
cules et des flexions. Il faut toutefois reconnaître qu'il sévit un
peu moins que dans le Volapûk, d'abord parce que la grammaire
est plus simple, ensuite parce que le Veltparl a une tendance
(partielle et intermittente) à emprunter ses formes aux langues
naturelles, par exemple la plupart des noms de nombre, et les
désinences de l'infinitif (-ar), du participe (-an) et du gérondif
(-and). De même, le Vei/paH s'efforce de constituer un vocabulaire
a posteriori, mais il n'y réussit pas pour deux raisons, dont une
seule suffirait : 1° le monosyllabisme imposé aux racines; 2° la
méconnaissance du principe de l'internationalité. C'est ainsi que
ven signifie événement, tandis que veine se dit vein; roue se traduit
par vil, richesse par vils, qui rappellent (de loin) les mots anglais
ivheel elwealth; au lieu de district {D. E. F.) on dira vier(D. revier)
qui n'évoque pour un Français que l'idée de rivière. Villa devient
vial; vision, vios; voisinage, voas; vanille, vail; histoire, stior. Le
mot français avouer devient vaur. Le latin vallis donne vais, et non
val, qui conserve le sens que le Volapûk lui avait arbitrairement
assigné; de même vob = travail, simplement en vertu d'un caprice
de Mgr Schleyer. On emprunte des mots au hasard, au danois :
vejr = temps qu'il fait (D. wetter); au polonais: vilk = loup
CD. wolj). On en emprunte même aux langues non-aryennes : non
seulement des mots devenus internationaux comme algèbre, gong,
islam, pacha, caravane, et même à la rigueur bakchich (pourboire),
mais des mots magyars comme kert (jardin) et tys (feu), des
mots hindoustani comme seb (pomme), chinois comme tael
(D. thaler), japonais comme tok (horloge), annamites comme tam
(huit). De telles fantaisies dénotent une indifférence absolue à
l'égard de l'internationalité.
De même, le dédain des mots internationaux aboutit (comme
W. VON ARNIM : VELTPARL 205
on Volapiik) h traduire los tonnes scicnlifiqnos connus par les
composés « autochtones » les plus bizarres; exemple : vavshi-
fram = calcul des fluxions*. Pourquoi? Parce que ray ^ Jluclualion
(E. tuave = ondulalion) ; shifr = chiffre, et -am est le suffixe «pii
marque l'action. Celui (jui voudrait comprendre ce mot par sa seule
étymologie (or à quoi servirait l'étymologie, si ce n'est à révéler
le sens des mots?) arriverait à cette traduction : action de chiffrer
des ondulations. Cela est apparemment plus clair et plus sinq)le
que la locution internationale : Calcul différentiel.
Enfin le Veltparl a, autant et plus que le Volapiik, la prétention,
proi)re aux systèmes a priori, de distinguer les principales classes
d'idées par la forme des mots, par des suffixes caractéristiques;
et si sa classification logique est plus complète et plus systéma-
tique, le principe n'en est pas autre ni meilleur. A côté de suf-
fixes de dérivation proprement dits (comme -em pour les noms
collectifs, -ilpourles diminutifs), on trouve des suffixes purement
logiques, comme -us pour les termes musicaux, -ev pour les termes
\)oétiques, -eb pour les termes grammaticaux; de sorte que, par
exemple, les noms de toutes les parties du discours riment en -eb:
Kapeb. ladeb, numeb, vizeb, releb. lazeb. klameb (excepté verb et
adverb). Bien i)lus : il y a un suffixe spécial pour les bouquets :
-eup (roseup = bouquet de roses) et un autre pour les mois (-er). Il
ne manque plus que les désinences caractéristiques des cinq
parties du monde et des quatre j)oints cardinaux.
Ce système, joint au monosyllabisme des radicaux, oblige à
défigurer la plupart des mots : à côté de vamp'ir {vampire) et de
vasl'in {vaseline) (pii jiar un heureux hasard peuvent garder leur
désinence, on trouve vult'if pour vautour e[ vandl'ep pour lavande.
En résumé, le Veltparl est un Volapûk perfectionné à certains
égards, et aggravé à d'autres : il est plus a posteriori par cer-
tains côtés, mais par d'autres il est plus a priori. Comme le
Volapûk, c'est un système bAtard : ni philosophique, ni interna-
tional.
1. Calcul des variations, on calcul différentiel, ou calcul infinitésimal in
général ?
CHAPITRE XI
MARCHAND : DILPOK^
Valphabet du Dilpok comprend 28 lettres, notamment les
3 voyelles infléchies à, ô, û, la diphtongue y (et), et la consonne û
(gn); c = s, ç = ch, et z =: th anglais doux.
Il n'y a pas d'article défini; Varticle indéfini est an, invariable.
Les substantifs forment leur pluriel en -s.
Les adjectifs se forment au moyen du suffixe -id.
La numération est la partie la plus originale du système. Les
9 premiers nombres sont : ja, dà, ze, fi, lu, su, pô, to, ny; les
dizaines sont : jar, dàr, zer,... les centaines : jak, dàk, zek,... et
les mille : jam, dam, zem... Ainsi : 1898 = jamtok nyro. Cet
exemple montre la concision de ce procédé de numération 2.
Les adjectifs ordinaux se forment en ajoutant aux cardinaux -d
ou -id. Les adverbes ordinaux en dérivent par l'adjonction d'un -e.
Les nombres fractionnaires se forment en ajoutant -t aux cardi-
naux; ils prennent -s au pluriel. Ex. : 2/3 = dâ zets; 3/4 =ze fits.
Les noms des jours et des mois sont formés au moyen des
nombres.
Les pronoms personnels sont, au nominatif :
i"p.
2« p. 2* p. polie.
3" p. m.
3« p. f.
3« p. n.
Sing.
mi
ti vi
si
ri
it
Plur.
nis
vis
Us
ris
1. Dilpok, manuel de conversation l'enfermant sous forme de phrases
usuelles les radicaux de 25.000 mots, par l'abbé Marchand (Besançon, Jac-
quin, 1898).
2. L'auteur fait remarquer que le nombre 1898 prend 35 lettres en D., 34
en E., 29 en F., 21 en Volapûk, 17 en Espéranto, et 10 en Dilpok, ... d'où
il conclut à la supériorité de celui-ci.
MARCHAND :
DILPOK
à l'accusatif
Sing.
me
te ve
se
re
Plur.
nés
ves
les
res
et au datif :
Sing.
mei
tel vei
sei
rei
Plur.
neis
yeis
leis
reis
207
it
eit
Les pronoms possessifs sont :
min tin vin sin rin din
Le verbe est invariable en personne et en nombre. Voici le
paradigme de la conjugaison (verbe avoir = avi) :
Indicatif présent : ave(e mi-muet).
— passé : ava.
— futur : avo.
parfait : avu.
— plus-(iuo-parfait : ava aved.
— futur antérieur : avo aved.
Subjonctif présent : avie.
— passé : avia.
Conditionnel présent : avio.
— passé : aviu.
Impératif : ave, avem, avet.
Infinitif présent :
avi.
— passé :
avai.
— futur :
avoi.
Participe présent :
avend.
— passé :
avand.
— futur :
avond.
Gérondif {en ayant) :
avende
Participe passif:
aved.
Le passif se forme avec l'auxiliaire eri (être) et le participe
passif : mi ère loved =Je suis aimé.
Le verbe (copule) être est esi : mi ese glad =Je suis content.
L'auteur ne donne aucune indication sur la méthode par
laquelle il a construit son vocabulaire, et il est difficile de s'en
faire une idée, vu la forme de manuel de convei*sation qu'il a
donnée à son ouvrage. Ce manuel renferme environ îiOO radicaux,
presque tous monosyllabiques, qui semblent empruntés surtout
au latin et à l'anglais. Ex. : Al nam of Got = au nom de Dieu.
En revanche, l'auteur donne une longue liste d'affixes de déri-
vation. Nous n'en citerons que quelques-uns :
208 SECTION II, CHAPITRE XI
Le suffixe -in indique la femme de — .
— -e (accompagné d'une inflexion du radical) indique le
— féminin : sar = monsieur, sàre = madame ; bul rz= taureau,
— bùle = vache.
— -an indique l'origine, l'appartenance : urban, ruran.
— -ar — le métier.
— -el — rinstrunient '.
— -er — l'agent : paner ^ boulanger.
— -ery — le métier : panery = boulangerie.
— -et et -il forment les diminutifs.
— -ard forme les adjectifs péjoratifs.
— -ul indique un lieu clos, un étui : monetul := porte-
— monnaie.
— -ili forme les verbes fréquentatifs : mordili =: mordiller.
— -iri — lesverbessignifiantdeuenir(pd/ir,5frandtr,etc.).
— -uri — les verbes signifiant un besoin : edi=: mangier,
eduri = avoir faim (L. esurire).
— -ivi — les verbes signifiant faire — : activi =^ faire
agir.
Le préfixe en- — les verbes inchoatifs : enslipi = s'endormir.
— re- ou red- indique la répétition ou le retour;
— ro- signifie en arrière (L. rétro).
— mes-, mis- sont des péjoratifs de nuance diverse .
mesuti = mésuser; misuti = abuser.
— ne- est négatif*.
Citons encore les préfixes ad-, bi-, co-, de-, dis-, e-, in-, ob-, per-,
por-, pro-, sur-, tra-, qui ont le même sens que dans les langues
romanes. Ex. : bifut = bipède.
Dans les mots composés, le radical déterminant précède le
déterminé.
La nomenclature chimique est une ingénieuse application de la
numération : le nom de chaque corps simple indique son poids
atomique, grâce à la valeur numérique assignée aux voyelles.
En jésumé, le Dilpok est un Volapûk simplifié et perfectionné.
Les flexions grammaticales et les affixes de dérivation se rap-
1. Seulement, si arel = charrue (instrument à labourer), vapel ne peut
signifier machine à vapeur, mais ... vaporisateur.
2. L'auteur admet des formations irrégulières : voit = vouloir, noli = ne
pas vouloir; keni := connaître, neni = ne pas connaître; cali = savoir
(un art), nali = ne pas savoir.
MARCHAND : DILPOK 209
prochent des langues naturelles; mais le vocabulaire est aussi
arbitraire, et manifeste la mc^mc tendance au monosyllabisme.
L'ali)hab('t est trop com[>li<iué et trop peu international {th
anglais!). C'est un projet ingénieux et à prétentions scientifiques
(numération et nomenclature chimique), mais par h\ même fort
peu pratique.
CouTURAT ot Leau. — Langue univ.
14
CHAPITRE XII
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE^
La Langue bleue ^ ou Bolak est l'œuvre de M. Léon Bollack,
commerçant, de Paris. Elle est destinée surtout aux relations
commerciales et usuelles. Elle décline toute prétention littéraire,
et vise à être un moyen de communication facile, simple et pra-
tique'. Elle s'adresse uniquement aux peuples de civilisation
européenne, et surtout aux peuples germaniques et latins. Les
qualités que l'auteur a cherché à lui donner sont : la concision,
la précision, la clarté et la rigidité, d'où doit résulter la facilité
d'acquisition de cette langue. Pour y parvenir, il a posé quatre
règles-bases résumées dans la Loi des huit 1 :
1 lettre, 1 son : d'où concision.
1 mot, 1 sens : d'où précision.
1 classe (de mots), 1 aspect : d'où clarté.
1 phrase, 1 construction : d'où rigidité.
C'est sur ces quatre règles que reposent la grammaire et le
vocabulaire de la Langue bleue: le vocabulaire est d'ailleurs
1. Lib. 1 : La Langue bleue (Bolak), Langue internationale pratique, 480 p.
(1899). — Lib. 2 : Grammaire abrégée de la Langue bleue, 64 p. (1899). —
Lib. 4 : Méthode et Vocabulaire de la Langue bleue, 304 p. (1900). — Lib. 7 :
Résumé théorique de la Langue bleue, 124 p. (1899). — Lib. 3 : Premier voca-
bulaire de la Langue bleue, 90 p. (1902). — Lib. 8 : Textes français traduits
dans la Langue bleue, 90 p. (1902). Tous ces ouvrages se trouvent cbez
l'auteur (147, avenue Malakofî, Paris, 10'). Le lib. 2 est aussi publié en
allemand, en anglais, en italien et en espagnol. Un manuel de Langue
bleue a été publié en tchèque par M. Gustav Pergl, de Pilsen : Modra rec,
28 p. (1902).
2. La Langue bleue est ainsi nommée de la couleur du ciel, « sur l'azur
duquel il n'est pas de frontières », symbole de l'unité et de la fraternité des
hommes, que la L. I. doit réaliser ou promouvoir; sa devise est : « dovem
pro tle », la deuxième pour tous.
3. « La Langue bleue est un idiome terre à terre. » (Lib. 1, p. il.)
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 211
entièrement subordonné à la grammaire, et celle-ci à une théorie
du langage.
Grammaire.
L'alphabet ne comprend que 19 lettres, ii voyelles : a. e, i, o, u
{ou): et 14 consonnes : b, q {tch R.'), d, f, g (toujours dur), k, 1,
m, n, p, r. s (toujours dur), t. v. 11 n'y a pas de diphtongues :
deux voyelles consécutives se prononcent séparément. 11 n'y a
aucun signe orthographique (accents, cédille, apostrophe, trait
d'union).
11 n'y a pas d'accent tonique : toutes les syllabes doivent être
émises avec une égale intensité, « martelées ». Une petite pause
marquera la séparation des mots; une plus grande, celle des
phrases.
La classification des parties du discours repose sur une théorie
du langage qui est propre à l'auteur, et qu'il expose sous la forme
d'un apologue : le réveil d'Adam. Dépouillée de toute parure
mythique, cette théorie se réduit aux propositions suivantes :
Il y a lieu de distinguer deux catégories d'idées, les idées vagues
(idées subjectives et de relation) et les idées précises (idées objec-
tives, complètes et significatives par elles-mêmes). Conformé-
ment à l'usage général des langues européennes, les premières
seront représentées par des Motules (mots courts), les secondes
par des Granmots (mots longs).
Chacune de ces deux catégories comprend quatre classes de
mots, qui sont, par ordre de précision et d'objectivité croissante :
i" Les Interjections, simi)le expression des sentiments:
2" Les Mots-cadres, qui expriment les modalités de la pensée :
affirmation, négation, interrogation, et les idées générales de
relation : ressemblance, contrariété, supériorité, etc. ;
3" Les Connectifs, qui expriment la connexion entre les idées et
les jugements (prépositions et conjonctions):
4" Les Désignatifs. qui indi<pient déjà des objets, mais par leur
relation à la personne qui parle (pronoms et adjectifs relatifs,
interrogatifs, exclamatifs, indéfinis, démonstratifs, possessifs,
personnels). Les pronoms pei*sonnels forment la transition logi-
([ue des idées vagues aux idées précises, des Motules aux Granmots;
1 . Prononciation : dch, dj, ou simplement ch.
212 SECTION II, CHAPITRE XII
5° Les Noms et Nombres, représentant des idées objectives et
précises, soit de classes d'objets, soit de multitude;
G" Les Verbes, qui expriment l'action des objets;
7° Les Attributifs, qui expriment les qualités des objets (adjectifs
qualificatifs, participes);
8° Les Modificalifs, qui expriment la manière d'être des ol)jets
(adverbes qualificatifs, gérondifs).
En vertu de la 3" règle-base, chacune de ces classes de mots
se distinguera par son aspect (à l'œil et à l'oreille), c'est-à-dire
par sa longueur et par sa forme. Et d'abord, les Motules ont
3 lettres au plus, et s'ils ont 3 lettres, ils sont terminés par une
voyelle: les Granmots ont 3 lettres au moins, et s'ils ont 3 lettres,
ils sont terminés par une consonne.
Les Interjections se composent d'une seule voyelle, simple ou
répétée.
Les Mots-cadres sont formés, soit de 2 voyelles dissemblables
( vv), soit de 2 ou 3 lettres dont la dernière, seule voyelle, est u
(eu, ccu).
Les Connectifs sont caractérisés par la présence des voyelles i et o.
Les Désignatifs, par la présence des voyelles a et e.
Les Noms et Nombres (en général d'une syllabe, rarement de
deux) commencent et finissent par une consonne, la finale
n'étant ni d ni q (cvc, ccvc, cvcc, ecvcc). Les noms servent de
radicaux aux mots des classes suivantes.
Les Verbes sont formés par l'adjonction d'une voyelle (a, e, i, o)
à un radical (nom). Ils ont donc deux syllabes (4 lettres) au moins,
et se terminent par une voyelle.
Les Attributifs sont formés par l'adjonction de -d à une forme
verbale. Ils ont donc deux syllabes (5 lettres) au moins, et se ter-
minent par un -d.
Les Modificatifs sont formés par l'adjonction de q à une forme
verbale. Ils ont donc deux syllabes (o lettres) au moins, et se ter-
minent par un q*.
De ces règles de structure dérivent des règles permettant de
reconnaître à première vue (ou à première audition) la classe de
chaque mot.
Elles ont pour conséquence nécessaire ce principe, que les
1. On remarquera que les Motules sont distingués par la sonorité, et les
Granmots par la terminaison.
nOLLACK : LA LANGUE BLEUE 213
classes do mots sont « inconiniulablcs » : un mot de l'une ne peut
jamais remplacer un mot dune autre.
Les aspects définis ci-dessus sont ceux des mots « à l'état
naturel »: nous allons voir ce qu'ils deviennent t à l'élat loiiuel »,
c'est-à-dire par suite des diverses variations grammaticales
(flexions). Mais auparavant, il faut savoir que M. Bollack a eu
l'idée ' de réserver une lettre, la voyelle u, comme outil gramma-
tical, et par suite de lexclure de la formation des radicaux^. Les
quatre autres voyelles servent aussi aux flexions, mais sans être
exclues des radicaux.
L'article indéfini est an (E.), pluriel : ane. Il n'y a pas d'article
défini; il est remplacé par les pronoms démonstratifs, ou par le
mot-cadre lu, quand il s'agit d'une désignation précise.
L'ai'ticle se décline, et ses cas indirects ont à la fois le sens
défini et le sens indéfini :
Sing.
Plur.
Génitif :
ad, du. d'un;
ade, des, de.
Datif :
■ ail, au, à un;
aie, aux, à des.
L'accusatif ne se distingue pas du nominatif.
Les substantifs ne se déclinent pas. Leurs cas sont marqués par
l'article qui les précède. Ex. : feg ad reks. la fille du {(run) roi: et
givo al pobr, donne au (à un) pauvre.
Le pluriel est marqué par la finale -u : fegu ade reksu. les filles
(tes (de) rois.
Le genre tles substantifs est naturel, l.o féminin se forme en
préfixant u- : kvaL cheval, nkval, jument; bov, bœuf ubov. vache:
au pluriel : ubovu, vaches.
Toutefois, il y a une trentaine de noms quiontdes formes dis-
tinctes pour les deux genres :
per, père, mer, mère.
les, fils, feg, fille.
TBT. frère, sar. sœur.
sir, sor, monsieur, mam, dam, madame =>.
Les noms de nombre cardinaux sont (forme cvc) : nol. 0 ; ven, 1 :
1. Idéo moins originale ([uo no le croit rniitour, car oUo so trouve déjà
dans d'autres projets, notanunenl dans la langue de Letellier, qui réser-
vait toute une série de lettres grammaticales.
2. Excepté de 4") mots-cadres, où elle est la finale (ou. ccu).
3. Voir Lib. 2, p. 45. Voir aux mots dérivés le féminin de silualion.
214 SECTION II, CHAPITRE XII
dov, 2 ; ter. .*i; far, 4; kel, o; gab, 0; qep, 7: lok, 8; nif, 0; dis, 10;
diven, 11 ; didov, 12;.... dovis, 20; teris, 30: nifis, 90; (ven) son, 100;
dovson, 200;... mel, 1.000; mlon, un million; mlar, un milliard (mille
millions).
Les nombres cardinaux prennent le signe du pluriel (-u) :
1» quand ils sont pris comme substantifs; 2« pour indiquer
l'heure : teru dis, 3 heures 10.
Les nombres ordinaux dérivent des cardinaux au moyen du
suffixe -em : dovem, deuxième.
Leur pluriel se forme en -u ; venemu, les premiers.
Les nombres multiplicatifs se forment de môme au moyen du
suffixe -ip : terip, triple.
Les nombres fractionnaires se forment au moyen du suffixe -om :
farom, [le) quart.
Les nombres de fois, au moyen du suffixe -oit : nifolt, neuf fois.
Les nombres d'espèces, au moyen du suffixe -erl : qeperl, de sept
sortes.
Les nombres substantifs (collectifs) au moyen du suffixe -am :
lokam, huitaine.
Les pronoms personnels sont au nombre de 12 (6 personnes dis-
tinctes), caractérisés par autant de consonnes. différentes :
1" pers. 2* pers. 2' pers. 3* pcrs. 3" pers. 3' pors.
familière respectueuse inasc. fém. neutre
Sing. me te ve se le qe
Plur. ne pe ge be fe de
Tel est du moins leur nominatif, car ils se déclinent. Ils
deviennent à Vaccusatif :
ma, ta, va, sa, la,
au datif :
ama, ata, ava, asa,
au génitif-ablatif :
ema, eta, eva, esa,
au vocatif :
em, et, ev, es,
Les pronoms emphatiques (moi-même, etc.) sont : eme, ete, eve,
ese,.... Ils se déclinent au moyen des particules ad et al.
Les pronoms possessifs correspondants sont, au singulier :
mea, tea, vea, sea, lea,
et au pluriel :
mae, tae, vae, sae, lae,
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 215
Les pronoms relatifs sont caractérisés par la consonne r : ra
sing. : re pliir.
Les pronoms mlerrofjalijs-exclamalifs sont caractérisés par la
consonne k : ka sing. ; ke plur.
Les uns <it les autres se déclinent comme les pronoms person-
nels (excepté que l'accusatif est semblable au nominatif).
Les pronoms démonslralifs sont : aq, ce, celui; ag, celui-ci, at, celui-
là; nu pluriel : aqe, âge, afe.
Comme les précédents, ils ne varient pas en genre. Ils se décli-
nent au moyen des particules ad et al (au sing.), ade, aie (au plur.).
Pour une désignation précise (d'un objet individuel), on
emploie le mot-cadre lu : qo lu man, voilà l'homme (en question).
Les principaux proAio/ns indéfinis ( formes vc ou <*cv) sont : ab, tel;
am, /<• màne; ap, quelconque; as. certain; at, tout; av, autre; sta, on;
spa. chaque, chacun; ske, plusieurs; kla, quelqu'un; mra, personne; tle,
tous: pna, rien. Les premiers forment leur pluriel en ajoutant un
-e; les seconds, en changeant -a en -e.
11 y a deux désignatifs généraux ou indéterminés : ea sing. ;
ae, plur.
Les verbes sont invariables en personne : la personne est indi-
quée par le nom ou le pronom sujet qui précède.
Ils ont quatre temps : l'éternel, \e présent, \o passé et \o futur, carac-
térisés respectivement par les quatre voyelles i, o, e, a, qui, ajou-
tées au radical verbal (nom), forment les infinitifs correspondants.
Ex. : lov {amour) engendre les quatre infinitifs du verbe aimer :
lovi, aimer (toujours).
lovo, aimer (présentement),
love, avoir aimé.
lova, devoir aimer.
De l'infinitif dérivent les autres modes, sans altération de la
forme verbale :
L'indicatif est l'infinitif précédé d'un pronom personnel au
nominatif (^ou du nom sujet).
L'exclamatif (comprenant Vimpératif) est Vinfinitif précédé d'un
pronom personnel au vocatif : et lovo, aime!
Le subjonctif es\ l'indicatif précédé du mot-cadre de subordi-
nation (conjonction) ku.
Il n'y a pas de condilionnel ; il est remplacé par l'indicatif pré-
sent ou futur.
216 SECTION II, CHAPITRE XII
Les quatre temps principaux donnent naissance à des temps
secondaires (antérieurs) au moyen du préfixe u- : cela donne au
total 8 temps, qui sont, pour l'indicatif :
Éternel : me lovi, faime (toujours).
Imparfait : me ulovi, j'aimais.
Présent : me lovo, j'aime (à présent).
Parfait : me ulovo, j'ai aimé.
Passé défini : me love, j'aimai.
Plus-que-parfait: me ulove, j'avais aimé.
Futur : me lova, j'aimerai.
Futur antérieur : me ulova. j'aurai aimé.
La voix passive dérive de la voix active par l'intercalation de la
voyelle-outil u entre le radical verbal et la voyelle finale :/
me lovui, je suis aimé (toujours). ■
me lovuo, je suis aimé (à présent).
La voix réjléchie se forme au moyen du mot-cadre su (pronom
réfléchi de toutes personnes) placé entre le sujet (pronom) et le
verbe : me su lovo, je m'aime ; te su lovo, tu t'aimes, etc.
V interrogation est marquée par le mot-cadre du (E. do) placé
devant le verbe (sans changer l'ordre invariable des mots) : te
du lovo? aimes-tu?
La négation est marquée par le mot-cadre nu placé devant le
verbe : te nu lovo, tu n'aimes pas.
Ce mot se combine avec les particules ku, su, du pour former
les particules knu, snu, tnu. Ex. :
knu te lovo, que tu n'aimes pas.
me snu lovo, je ne m'aime pas.
te tnu lovo? n'aimes- tu pas?
me du snu lovo ? est-ce que je ne m'aime pas ?
Les verbes impersonnels se forment avec le pronom de la 3® pers.
sing. neutre : qeplovo, il pleut; qe belto, il fait beau; qe malto, il fait
laid.
11 convient de rattacher à la conjugaison 8 mots-cadres qui ser-
vent d'auxiliaires et expriment les idées de modalité suivantes :
oa commencer de.
eo finir de.
ia vouloir.
BOLLACK
: LA LANGUE BLEUE
ai
désirer, aimer (à).
oe
devoir.
ei
pouvoir.
le
fréquemment.
ao
rarement.
217
Les Attributifs comprennent les adjectifs qualificatifs et les par-
ticipes. Les premiers ont tous la terminaison caractéristique -éd.
Ex. : boned = bon (bon signifiant bonté);yiked = méchant.
Les seconds ont les terminaisons ad, ed, id, od, qui signifient
respectivement :
-id, le participe éternel actif,
-od, le participe présent actif.
-ed, le participe présent passif,
-ad, le participe futur passif (avec idée de possibilité ou de dignité).
Ex. : lovod, aimant (à présent); lovid, aimant (habituellement :
un enfant aimant) ; loved, aimé ; lovad, aimable.
Les Attributifs ne subissent pas d'autre variation que les degrés
de comparaison (voir plus bas).
Les Modificatifs ne diffèrent des Attributifs que i)ar le change-
ment du -d en -q. Ceux qui dérivent des adjectifs ont le sens
d'adverbes de qualité ou de manière .boneq, avec bonté. Ceux qui
dérivent dos participes ont le sens du gérondif : loviq, lovoq, en
aimant; loveq, avec amour; lovaq, aimablement.
Quelques Modificatifs dérivent directement d'un substantif.
Ex. : releq. par chemin de fer {do rel).
Enfui certains Modificatifs ne sont pas dérivés : ce sont les
adverbes primitifs ou simples (monosyllabes de 4 lettres au
plus), comme ' : geq (D. gestern), hier; daq (E. day), aujourd'hui;
morq (D. morgen), demain; toq, tôt; tarq, tard; steq (D. stets), tou-
jours: moq, surtout; maq, beaucoup (E. much); pliq, p/us; leq, moins
(E. less). Oui se dit si; non, no.
Les degrés de comparaison des Attributifs et des Modificatifs se
forment par la Règle de la Marguerite, qui consiste à employer les
voyelles a, e, i, o, comme préfixes indiquant le degré. Ex. :
aloved = le moins aimé.
oloved = moins aimé.
eloved = plus aimé.
iloved =: le plus aimé.
1. Lib. I, p. 449-452. Lib. 4, p. 190-1.
218 SECTION II, CHAPITRE XII
La voyelle u s'emploie de la même manière pour indiquer
régalité : uloved = aussi aimé.
La « margueritation » s'applique aussi, facultativement, aux
substantifs et aux verbes (exprimant une idée abstraite). Elle a
alors un sens un peu différent. Ex. :
alov = indifférence {manque d'amour),
olov ^penchant (un peu — ).
elov = passion (beaucoup — ).
ilov = idolâtrie (excès — ) ' .
Ces voyelles servent aussi comme interjections pour exprimer
respectivement :
a l'indifférence, le découragement.
0 le doute, l'avertissement.
e l'exubérance, l'approbation,
i le paroxysme, la joie.
u le consentement.
Répétées, ces 5 voyelles ont encore un autre sens comme inter-
jections *.
Les prépositions ont la forme des connectifs : elles gouvernent
toujours le nominatif. Chacune d'elles a un sens unique et
précis, de sorte que plusieurs correspondent à la même préposi-
tion française (ou nationale). Ex. :
di = de (composition) : vaks di lor, montre d'or.
of = de (provenance morale) : meg of verkor, hommage de l'auteur.
om =: de (provenance physique) : venki om sit, venir de la ville.
in = à (dans) : stiri in Paris, être à Paris.
to = à (vers) : govi to sit, aller à la ville.
id = à (fixation) : id ventag, à lundi.
Dans les cas de doute ou d'embarras, on peut employer la
préposition générale (mot-cadre) io.
Les prépositions de lieu (forme vc) prennent respectivement
un -i ou un -o final pour marquer Véloignement ou la direction
vers. Ex. :
ib = sur, ibi = de dessus, ibo = dessus (avec mouvement vers).
ot = dehors, oti = de dehors, oto = au dehors (sortir).
ol = auprès, oli = d'auprès, olo = (aller) auprès.
1. Lorsqu'un degré de comparaison s'applique à un mot déjà « margue-
rite », on est obligé d'employer un adverbe. Ex. : pliq iloved, plus ido-
lâtré (Lib. 7, p. 28, note 4).
2. Lib. 1, p. 32.3.
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 219
Ij's prrpositions s'onipIoÙMit «'gaiement comme adverbes : ib
signifie sur et dessus; in, dans et dedans, etc.
Les mots si = oui et no = non (ordinairement classés comme
adverbes) ont la forme des connectifs.
Les conjonctions sont t'galement des connectifs, et donnent
lieu aux m(^mes remarques que les prépositions. Les principales
sont : it, et; or, ou; ni, ni; if, si; bo, mais; gi, donc; ko, que; ob,
car; qo, parce que; po, pour que; so, de même que; fi, quoique; fo,
lorsque. En cas d'incertitude, on peut employer la conjonction
générale (mot-cadre) oi. La conjonction ko est seulement coor-
dinative : me sago ko qe sero, je dis que cela est. La conjonction
subordinative se traduit par le mot-cadre ku : me vilo ku qe
sero, je veux que cela soit, qui remplace ainsi le subjonctif.
Les connectifs (prépositions et conjonctions) n'entrent jamais
dans la composition des autres mots.
Telles sont les règles synthétiques de la grammaire Bolak.
Llles engendrent naturellement les règles analytiques, qui ser-
vent à décomposer les luots à l'état formel et à reconnaître leur
rôle grammatical. Celles-ci peuvent servir à résumer toute la
morphologie du Bolak ^.
Laissant de côté les Motules, qui se trouvent tous dans le dic-
tionnaire, un Granmot peut présenter les formes suivantes :
10 S'il commence et finit par une consonne autre que d et q,
c'est un substantif singulier masculin ou neutre;
2° S'il commence par une voyelle autre que u, c'est un mot
marguerite ;
3° S'il commence par u, c'est un substantif féminin, ou un
temps secondaire de verbe, ou un attributif ou modificatif au
degré d'égalité ;
4" S'il finit par la consonne d ou q, c'est un attributif ou modi-
licatif:
o" S'il finit par une voyelle autre que u, c'est un verbe;
6° S'il finit par u, c'est un substantif au pluriel *.
Syntaxe. Ln vertu de la 4« règle-base, la syntaxe impose aux
mots de la phrase un ordre rigide et invariable : sujet, verbe,
régime direct, compléments. Le désignatif se met avant le nom:
l'attributif se met après le nom; le modificatif se met après le
1. Voir losTabfenux récapitulatifs généraux de l'aspoct do la Langue hleue
et les Tfibloau.x-gaufriors complots (Lib. 1. p. 2G3-263, 62-64; lib. 7, p. 34-36).
2. Voir lo tabloau de l'outil U (lib. 1, p. 202; lib. 2, p. 3; lib. 7, p. 32).
220 SECTION II, CHAPITRE XII
verbe et avant l'adjectif ou l'adverbe qu'il modifie. Enfin la pro-
position subordonnée vient après la proposition principale.
Seuls, l'ordre des régimes indirects et la place du gérondif sont
facultatifs.
M. BoLLACK illustre ces règles par un exemple amusant.
M. Jourdain n'eût pas été embarrassé dans la Langue bleue pour
savoir dans quel ordre ranger les mots de cette phrase : « Belle
marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour * ». Il n'au-
rait pu dire que ceci : Marquise belle, vos yeux beaux font mourir
moi par amour : Markesin beled, vae logu beled mortigo ma fri lov -.
Vocabulaire.
Le vocabulaire du Bolak a été construit entièrement a priori,
conformément aux règles de structure des diverses classes de
mots, auxquelles il faut joindre les suivantes :
1° Dans aucun mot ne se trouvent 3 consonnes ou 3 voyelles
consécutives, ni 2 consonnes consécutives semblables;
2" Dans aucun Granmot ne se trouvent la voyelle uni 2 voyelles
consécutives ;
3° Aucun Motule n'a la forme wc ou vce.
Enfin l'auteur a dressé la liste des 31 consonnes doubles ini-
tiales et des 59 consonnes doubles finales phonétiquement
admissibles ^.
Cela posé, le nombre des mots théoriquement possibles
de 1 lettre est
5
2 lettres
151
3 —
1051
4 —
12420
5 —
130512
soit un nombre total de 144139
formes obtenues par la combinaison de 5 lettres au plus, et que
1. Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène vi.
2. Lib. 7, p. 98; lib. 4, p. 60.
3. Lib. 1, p. 299, 301-2. L'autour pose les règles suivantes, pour éviter de
former des mots qui, ne différant que par une consonne dure ou douce,
pourraient se confondre dans une mauvaise prononciation : « Dans toute
consonne double initiale, la première sera dure; dans toute consonne double
finale, la seconde sera douce » (Lib. 1, p. 298).
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 221
l'aiiUnir pr^fôro ji toutes Ifs autres, dans rintértft de la conci-
sion '. t ToiU le dictionnaire de la Langue bleue a été constitué
sans que l'auteur ait connu un seul des sens que ces formes...
allaient avoir par la suite *. »
Pour les Molules, l'auteur a ainsi obtenu 475 formes différentes,
cl conime le nombre des Molules est de 400 environ, « les signifi-
cations données à cette catégorie de mots ont été attribuées
arbitrairement », sauf de rares exceptions '.
Pour les Granmots, c'est-à-dire pour les Noms-souches, l'auteur
« lut à haute voix ces phonèmes inertes » et leur assigna le
sens que lui suggérait leur ressemblance phonétique plus ou
moins éloignée avec les mots des diverses langues européennes.
Ainsi « ce sont les vocables des langues vivantes qui viennent se
mouler dans les formes du dictionnaire », non sans subir parfois
de notables déformations, à cause de la brièveté monosyllabique
(le ces formes : ex. : bolv = boulevard; tlaf = télégraphe; stit :=
constitution; flist = félicitalion . Faute de mieux, l'auteur fait
appel à l'argot : pif =,nez; paf =: ivrognerie ^. Enfin cette res-
source fait assez souvent défaut, et alors, « en dernier lieu
seulement, l'arbitraire est intervenu dans les attributions de
sens'* ». Cet arbitraire est d'ailleurs guidé par des associa-
tions d'idées souvent spirituelles, que nous laissons au lec-
teur le plaisir de deviner dans les exemples suivants : plin,
histoire naturelle; lalm, université; vivl, chauvinisme. C'est ainsi
encore que le dernier mot du dictionnaire, vovs, signifie : achè-
vement, clôture, fin.
Les noms propres sont « hors la langue » ; toutefois, l'auteur
propose certaines traductions pour les noms géographiques, en
1. Lil». 1. p. 263-267.
2. Article do M. Lt'onBoLLACK dans la Revue internationale de Socioloyie,
dt'c. 1900 (p. 86.~)). Cf. Lib. 4, p. 61.
3. Lil). 1, p. 420.
4. Lib. 1, p. 429. Pour obtenir dos « syllabes closes », le Bolak ajoute
parfois un 1 initial au.x mots des langues vivantes (comme le Volapiik) : lor,
or; lart, art.
T). Lib. 2, p. 54. L'auteur avoue • que les règles orthopraphii|ues de la
Langue bleue, ainsi que l'aspect syllabe close que doivent forcément pos-
séder les noms ... lui imposent de très grandes déformations dans la con-
texture de vocables existant dans certaines langues • ; mais il allègue, pour
se justiller, «lue « ces déformations sont de même nature que celles des
mots des langues vivantes », au cours d'une évolution séculaire (Lib. 1,
p. 429). Ainsi bisp signifiera évéque (L. episcopus, D. bischof, E. bishop)
comme en danois.
222 SECTION II, CHAPITRE XII
se conformant autant que possible au phonétisme du pays d'ori-
gine, et pour les prénoms '.
Les noms des jours et des mois sont composés avec dos noms
de nombre (comme en Volapûk) :
ventag, hindi. y enmes, janvier.
dovtag, mardi. dovmes, février.
tertag, mercredi. termes, mars.
etc. etc.
Mots dérivés. — II y a d'abord un mode grammatical de dériva-
tion : c'est celui qui sert à tirer des noms-souches les verbes, les
adjectifs et les adverbes.
On sait que chaque substantif peut former un verbe par la simple
adjonction d'une des voyelles a, e, i, o caractéristiques des temps.
Le sens de ce verbe dérivé est fixé par les règles suivantes :
1° 11 signifie être à l'état de — ou avoir — . Ex. : fami, avoir faim;
lovi, aimer;
2° A défaut de ce premier sens, il signifie : accomplir Vaction
indiquée par le radical. Ex. : bet = pari, beti = parier:
3'^ A défaut des deux premiers sens, il signifie -.faire usage de — .
Ex. : bilb ^= bilboquet, bilbi = jouer au bilboquet-.
Par exception, le verbe dérivé d'un nom d'animal signifie le
cri de cet animal : dogi = aboyer: kati = miauler ^ ; kvali = hennir
(et non pas : monter à cheval, chevaucher, suivant la 3° règle).
En vertu de ces règles, on peut employer un verbe simple pour
dire : être — (tel ou tel). Ex. : bono, être bon: benso, être bien por-
tant; malso, être mal portant: lalgo, être malade (lalg = maladie).
Cela permet de traduire simplement certains idiotismes :
Ve du sano, vous portez-vous bien? (litt. : Êtes-vous sain?) Ve du lago
kaq, quel âge avez-vous? (litt. : Vous êtes âgé combien?)
Les autres dérivations s'effectuent au moyen des terminaisons
absolues et secondaires.
Les 23 terminaisons absolues sont celles qu'on doit employer
obligatoirement en vertu des règles de grammaire. Ce sont : les
désinences du pluriel et des temps actifs et passifs: les 6 termi-
naisons des noms de nombre dérivés; les terminaisons régu-
lières des attributifs (-ad, -ed, -id, -od) et des modificatifs (-aq, -eq,
-iq, oq); enfin, les deux suffixes suivants, applicables aux noms :
1. Lib. 4, p. 274-3.
2. Lib. 4, p. 47.
3. Cf. le Spelin.
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 223
-an, qui indique Vhabilont de — : Parian =^ Parisien (car, pho-
nétiquenuMil. Paris = Pari).
-in, qui indique Vépoase de — : reks = roi, reksin = reine *. Ce
fi'^minin de situation sociale ne doit pas être confondu avec le
réniiiiin naturel maniué par u- (uParian = Parisienne). Ainsi
umedsor = femme-médecin, et medsorin = femme de médecin.
Les 33 terminaisons secondaires sont des suffixes qu'on peut
employer facultativement pour former des mots dérivés, en
l'absence de mots primitifs ayant le môme sens. Ces suffixes ne
sont pas des mots indépendants, et n'ont aucun sens par eux-
mêmes'^. Voici les principaux de ces suffixes :
-as. augmentatif : mesr = couteau, mesras == coutelas.
-et, diminutif: mesret, petit couteau; kvalet, poulain (de même
tous les petits d'animaux),
-ist, désigne l'ouvrier : panist, boulanger.
-ost. le patron : panost. patron boulanger.
-erk, le commerce : birerk, commerce de bière.
-ik, la fabrique, la science ou larl : birik. brasserie (fabrique ou
art); montik, orograplUe; gerik, stratégie.
-ort, le lieu ou l'on fait ou vend quelque chose : birort, brasserie
(débit),
-or, l'acteur ou agent : tansor, danseur; geror, belligérant.
-il, l'outil ou l'instrument : banil, baignoire ; tintil, encrier.
-ef, le résultat de l'action : dogef. aboiement.
-ig, l'action de faire ou rendre (tel ou tel) : krantigi, agrandir.
-ir, l'action de devenir (tel ou tel) : krantiri, grandir.
-enk, le commencement de l'action : dormenki, s'endormir.
-art, un morceau de — (part = partie) : panart, morceau de pain.
-alg, une maladie (lalg =: maladie) : kopvalg, mal de tête (kopv =
tète, D.).
-olb, un coup de — (kolb = coup) : fotolb, coup de pied.
-olm, l'arbre qui porte — (bolm =: arbre) : rosolm, rosier.
-olv, le lieu planté de — : rosolv, l'oseraie.
-osm, une collection matérielle : libosm, bibliothèque.
-ism, un système d'idées : librism, libéralisme.
1. Mais une reine régnante s'appelle kvin (E. queen).
2. Néanmoins, l'autour les associe (au moins comme moyen mnémo-
technique) il certains noms-souches dont ils ne diffèrent que par la suppres-
sion de la consonne initiale (Lib. 1, p. 109; lib. 4, p. 194; lib. 2, p. 52; lib.
T, p. 108).
224 SECTION II, CHAPITRE XII
A ces suffixes il faut ajouter certains mots-cadres qui servent
de préfixes pour exprimer :
stu, le mâle : stu kval, étalon; stu bov, taureau.
pu, la supériorité hiérarchique : pu bisp, archevêque.
qu, l'infériorité hiérarchique : qu mest, sous-maître.
plu, la pluralité : plu gon, polygone.
tu, la totalité : tu slavism, panslavisme.
fku, le contraire, l'opposition : fku lov, haine; fku virt, viceK
ru, la répétition;
sru, le retour en arrière ;
pru, la suppléance ;
sku, la ressemblance;
pnu, la dissemblance, etc.
Le Bolak a même des mots-cadres pour exprimer sommairement
certains sentiments ou jugements :
gu, qui indique un goût physique;
kvu, — un goût moral;
pfu, — un dégoût physique ;
mu, — un dégoût moral.
Ainsi, pour indiquer qu'une femme vous plaît, vous n'avez
qu'à dire : gu fem*.
Les mots composés se forment par la juxtaposition de deux
radicaux (le principal étant le dernier) réunis par l'outil u :
dormukar = wagon-lit ; vintumilv, moulin à vent.
Voici, à titre d'exemple, la traduction du Pater en Langue bleue :
Nea per, ev ra seri in silu, vea nom eq santigui; vea regn eq
komi ; vea vil eq makui ib gev so in sil ; ev givo daq nea pan taged
ana, it ev solvi nae fansu ana so ne solvo aqe re ufanso na ; it ev nu
lefti na to temt, bo ev bevri na om mal ^.
Voici encore un autre échantillon :
Aq ra poni an fren al tsorm ade vevu,
Se savi soq stopi plotu ade vikoru *.
1. Lib. 1, p. 138.
2. Lib. I, p. 139.
3. Lib. 8, p. 76. L'auteur fait remarquer la concision de sa langue, qui
emploie 58 mots et 177 lettres là où le français emploie 63 mots et 289 lettres.
4. Traduction de ces vers de Racine (Athalie, acte I, scène i) :
Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
(Lib. 2, p. 58; lib. 7, p. 113.)
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 225
Critique.
On no peut refuser de souscrire à l'éloge que lauleur de la
Langue bleue décerne à son œuvre par cette étymologie fantai-
siste : bol = ingéniosité, -ak = fait avec: donc : bolak = Jait avec
ingéniosiléK Mais cette ingéniosité parfois excessive aboutit trop
souvent à des règles compliquées ou à des formations aussi
ailiilraires que celle que nous venons de citer. On peut recon-
naître que sa théorie du langage a une grande part de vérité; mais
elle n'a pas pour résultat pratique de simplifier la grammaire,
tout au contraii'e.
In premier défaut de cette grammaire est l'absence d'article
défini. S'il y a un article dont on puisse se passer, c'est l'article
indéliui, et non l'arlicle défini. L'auteur l'a si bien senti qu'il a
rélal)li celui-ci, confondu avec l'article indéfini, aux cas indi-
rects'; ce qui est une inconséquence logique.
Un autre défaut grave est la pluralité des déclinaisons. Les noms
ont une déclinaison analytique et un pluriel en -u: les pronoms
personnels ont une déclinaison synthétique: les pronoms rela-
tifs, interrogatifs, etc., ont une autre déclinaison synthétique, et
l'article une autre encore. De plus, certains pronoms (et l'article)
lorment leur pluriel en ajoutant -e au singulier; d'autres, en
changeant l'-a du singulier en -e: d'autres encore, en changeant
ea en ae ^. Ce sont là des complications inutiles, faites pour
embrouiller et dérouter le novice. Ajoutons que le nominatif
et l'accusatif se confondent dans les pronoms relatifs, c'est-à-
dire là où justement il est le plus utile de les distinguer.
La conjugaison n'est pas non plus îi l'abri de toute critique.
La formation des temps secondaires au moyen du préfixe u, et
surtout celle du passif au moyen du suffixe u est arbitraire, et
ne les distingue i)as suffisamment, soit à l'oeil, soit à l'oreille.
En général, du reste, l'idée de faire de la voyelle u un outil gram-
matical est malencontreuse : cet outil-omnibus a des rôles très
divers suivant qu'il est au commencement, à la fin ou au milieu
1. Lil). 4, p. 165.
2. Lih. 4. p. 27.
3. Os deux dornièros llcvions violent le principe de l'invariabilité des
radicaux, adopté par l'auteur.
CouTURAT et Leau. — Langue univ. lO
226 SECTION II, CHAPITRE XII
des mots, et, môme au commencement d'un mot, il a un sens tout
différent suivant la nature de ce mot. De même, les autres
voyelles (a, e, i, o) ont un rôle grammatical différent comme
suffixes et comme préfixes. Or il est très difficile de savoir, à
l'audition, si une voyelle est l'initiale d'un mot ou la finale du
mot précédent.
Sans doute, l'auteur édicté pour la prononciation des règles
très sévères; mais elles sont inapplicables dans la pratique.
€ Marteler » les syllabes, séparer tous les mots par des pauses,
c'est bon pour des novices qui épellent et ânonnent; mais pour
peu qu'on soit familiarisé avec une langue, on est irrésistible-
ment entraîné à lier les mots entre eux. Seul, l'accent peut mar-
quer et conserver l'individualité des mots, et par suite les dis-
tinguer dans la prononciation courante. Aussi est-il chimérique
de vouloir le supprimer : on ne peut pas parler, et penser ce
qu'on parle, sans accentuer involontairement les mots princi-
paux du discours '. Une telle suppression n'aurait qu'un résultat :
c'est que chaque peuple placerait inconsciemment l'accent sui-
vant ses habitudes nationales, ce qui aboutirait à une confusion
complète.
Quanta la règle de la Marguerite, outre qu'elle est sans exemple
dans nos langues ^, elle est très équivoque dans son application :
les 4 voyelles signifient tantôt un degré de comparaison (plus, le
plus, moins, le moins), tantôt un degré absolu (beaucoup, très, peu, pas
du tout) 5, tantôt enfin un sentiment plus ou moins quantitatif.
C'est là une cause d'équivoque et d'obscurité.
La formation des participes contient une grave inconséquence.
Alors que les 4 voyelles (a, e, i, o) servent à former les temps de
l'actif, les terminaisons correspondantes (ad, ed, id, od) ont,
deux le sens actif, deux le sens passif: et chacune des deux voix
est ainsi privée des participes de certains temps, contrairement
à l'analogie et à la symétrie *.
1. M. BoLLACK veut même supprimer l'intonation spéciale des phrases
interrogatives et exclamatives.
2. Quoi qu'en dise M. Bollack : le préfixe a- (anormal, acéphale) est l'a
privatif grec; et le préfixe e- (dans échauffer, élever-) est la préposition
latine e ou ex.
3. M. Bollack pourrait citer à son appui l'exemple du latin, qui emploie
le comparatif et le superlatif dans les deux sens, relatif et absolu. Mais si le
latin est équivoque, ce n'est pas une raison suffisante pour que la L. I.
le soit.
4. Ajoutons que la terminaison -ad confond deux idées bien différentes,
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 227
D'autre part, le Bolak a, comme le VolapCik, le tort de former
tous ses adjectifs au moyeu d'un suffixe de dérivation uniforme;
comme lui aussi, il n'admet comme racines que les sulisfanlifs.
Cela est contraire à l'ordre naturel des idées : bonlé, beauté déri-
vent de bon et beau, et non pas bon et beau de bonlé et beauté. Un
autre inconvénient est l'incommutabilité des parties du discours
(par exemple, l'interdiction de dire : le boire et le manger, les bons
et les méchants), alors que toutes les langues naturelles l'admet-
tent, et cela d'autant plus qu'elles sont plus riches et plus
souples.
Mais l'erreur la plus grave consiste à subordonner le vocabu-
laire à la grammaire, et à édicter a priori des règles de structure
restrictives pour chaque classe de mots. Rien ne montre mieux
à quels résultats détestables peut conduire un principe excellent,
quand l'application en est arbitraire. L'idée de distinguer les
parties du discours par la forme (idée qui n'appartient pas en
propre au Bolak, comme on l'a vu et le verra dans cet ouvrage)
est assurément louable : mais il y a bien des moyens de réaliser
cette distinction, et l'auteur a choisi les plus mauvais. D'abord
la longueur : si l'on peut compter à l'œil les lettres d'un mot.
peut-on distinguera l'audition un mot de 3 lettres et un mot de 4.
et a-t-on le temps de remarquer si le mot de 3 lettres se termine
par une voyelle ou i)ar une consonne 1 Ensuite la sonorité : assi-
gner aux mots-cadres la voyelle a, aux connectifs les voyelles i et o.
et aux (lésignalifs les voyelles a et e, c'est faire tout ce qu'on peut
pour confondre tous les mots-cadres entre eux, tous les connec-
tifs entre eux et tous les désignatifs entre eux, d'autant qu'ils ne
se distinguent plus entre eux que par une ou deux consonnes.
Le lecteur le plus attentif s(> rappelle-t-il vn ce monuMit les sens
de stu. sku, fku, ou ceux de ib, to, sti, flo, ou ceux de spa, ste.
kla. ske? Il est vrai qu'il a la ressource d'employer, dans l'em-
barras, les connectifs généraux io, oi. et les désignatifs généraux
ae, ea: heureux encore s'il se souvient exactement de leurs rcMes
respectifs!
Il est inutile d'insister sur l'arbitraire qui a présidé au choix
des motules : l'auteur le reconnaît lui-même: mais il importe de
montrer qu'il ne règne guère moins dans le choix des gran-
In possiliilitc et In dipnilé : spegad := respectable veut dire : qu'on doil...,
H non : qu'on peut resperler. Antre inconséquonco : speged = respecté
(sens passif): ot spegeq = respectueusement (sens actif).
228 SECTION II, CHAPITRE XII
mots. Ici encore, les règles de structure et l'exclusion de la
voyelle u l'ont empêché d'adopter la plupart des radicaux inter-
nationaux comme théâtre, université, etc. L'idéal de la syllabe close
constitue un lit de Procuste d'où les mots les plus connus sortent
mutilés et défigurés, comme stit cfui provient de constitution (pour-
quoi pas d'institut, institution, instituteur, etc. * ?). L'auteur allègue, il
est vrai, que les prétendus mots internationaux ne le sont pas
autant qu'on le croit, du moins par la prononciation : ainsi le
mot théâtre, que les Anglais prononcent à peu près zîteuh ^.
Mais en quoi cela rend-il le mot tatr préférable à teatr? Celui-ci
se rapproche davantage du mot international tliéâtre, au moins
par le graphisme.
Cela nous amène à signaler une autre erreur de M. Bollack :
dans le choix des sens de ses mots fabriqués d'avance, il a tenu
compte uniquement du phonétisme, et nullement du graphisme ;
il a érigé cette préférence arbitraire en principe ^ Or c'est là
tourner le dos à l'internationalité, car le graphisme est bien plus
international cjue le phonétisme *.
Aussi l'auteur fait-il bon marché du « vocabulaire soi-disant
international » ; il prétend en revanche à la neutralité absolue.
Son vocabulaire n'est pas inter-national, mais bien extra-national,
et par là il croit supprimer toute question d'amour-propre
national. Et en effet, « le dictionnaire de la Langue bleue a pu être
construit tout entier sans connaître aucun des sens attribués
aux fantômes de mots hypothétiquement créés " » : et c'est, l'au-
teur s'en flatte, t la plus grande originalité » de ce vocabulaire,
et probablement de la langue elle-même. Fâcheuse originalité,
si elle interdit à l'auteur d'emprunter ses vocables aux langues
existantes, et le force à former arbitrairement des mots, })our
leur imposer ensuite, non moins arbitrairement, un sens. Ce pro-
cédé est d'ailleurs moins original cjue ne le croit l'auteur : car
toutes les langues a priori construisent, elles aussi, leurs mots par
des combinaisons régulières de lettres; et parla, le Bolak se
1. Pourquoi philosophie devient-il flof, et non flosf, qui signifie voleur?
2. Lib. 4, p. 07.
3. Un psychologue conclurait de ce fait que M. Bollack est un auditif et
non un viiuel : c'est en lisant à haute voix ses fantômes de mots qu'il
essayait d'évoquer leur sens.
4. L'auteur reconnaît lui-même que « le mot théâtre s'écrit à peu près de
la même manière dans toutes les langues de l'Europe ».
5. Lib. 4, p. CL
BOLLACK : LA LANGUE BLEL'E 229
rapproche de ce genre de langues, et se sépare radicalement des
langues n posleriori, l)ien qu'il semble emprunter, comme elles,
ses matériaux aux langues vivantes '.
Quoi qu'il en soit, cette neutralité même dont il se vante, ou
dont il se contente, n'est nullement assurée par sa méthode
a priori, qui consiste à couler des sens dans des moules préparés
à l'avance; car le sens choisi dépend des langues que l'auteur
connaît. Il ignore, dit-il, le russe: qui répond que beaucoup de
mots russes ne seraient pas venus se couler dans certains moules
qu'il a remplis arl)itrairement ou avec des mots d'autres langues?
S'il n'avait su que le français, il aurait simplement rempli ses
moules avec des mots français plus ou moins dénaturés: sa
langue non serait ni plus ni moins neutre.
1. "auteur se soucie si peu de rinternalionalité de ses radicaux,
qu'il emprunte parfois leur sens à l'argot, qui est essentielle-
ment national, et. qui pis est, incom])réliensil>le pour les autres
nations. (Juel autre qu'un Français devinerait jamais (pu* bigr
signifie admirah'oa, ïiik,- mouchard, et trim, faux-semblant -1
Mais souvent on n'a nuhne pas cette rossourre, car la plupart
des mots ont des sens aussi arbitraires que leur forme, et ne
rappellent, même de loin, aucun vocable d'une langue connue.
Pour le prouver, il suffira de citer une vingtaine de mots pris à
la suite au commencement du dictionnaire Français-Bolak :
Abaissement (moral) snarp
Abaisser (action d') basp
Abandon left
Abandonner (action de s') mlasp
Abal-jour kosn
Abattement (moral) knir
Abattre (action d') fkarf
1 . L'nutour titMit à distinguer sa métliode lo.xicologiquc de celle du Vohtpûk
qu'il (|unlill(' iVarbitraire (Lib. I, p. 430); cl. en olTot, Mjrr Schueveb com-
nuMicail par emprunter ses mots aux Innjrues vivantes, (juilte à les estropier
ensuite; tandis <jue M. Boll.\ck commence par créer (J^s mots sans savoir
s'ils existent dans une langue quelcon<|ue, et leur donne ensuite un sens
d'après leur analogie plus ou moins lointaine avec des mots existants, ce
qui déllgure bien davantage ceux-ci. .\insi sa méthode est encore plus arbi-
traire et a priori (|ue celle du Volapiik. En revanche, elle ressemble éton-
namment à la • Combinatoire » em|)loyée lunr n.vCER. (Cf. le Spelin de
celui-ci. p. 37 : Mathe>nalische Komhinatorik.)
2. Voir, dans Lib. 4, le sens des mots gob, gog. gos, gaf, gag, gars, kavl,
pegr, begn, tof. bavr.
230 SECTION II, CHAPITRE XII
Abcès
flimt
Abdication
pnabs
Abeille
bepv
Abîme
pfos
Abîmer (action d')
dorp
Abjuration
smads
Ablatif
plavs
Ablation
krelv
Ablution
slalv
Abnégation
nirl
Abois (être aux)
spamt
Abolition
pivs
Abominable (état)
mnabl
Abondance
dab
Abonder (action d')
mrolm
Abonnement
bomt
M. BoLLAÇK croit excuser le choix arbitraire du sens de la i)lu-
part de ses racines en déclarant avec désinvolture que « les
mots sont indifférents par eux-mêmes, parce qu'ils sont les
signes conventionnels de nos pensées », et il va jusqu'à dire
qu'après tout, si les Français convenaient d'appeler désormais
les fenêtres des portes et les portes des fenêtres, ils s'enten-
draient tout aussi bien qu'avant*. Pour réfuter ce paradoxe, il
suffît de le pousser à l'extrême : on pourrait numéroter tous les
mots du dictionnaire français : 1" en commençant par le com-
mencement (A), 2^ en commençant par la fin (Z), et convenir de
donner désormais à chaque mot le sens du mot qui aurait le
môme numéro dans l'ordre inverse (au !'='■ le sens du dernier, au
2« le sens de l'avant-dernier, etc.). Croit-on que les Français
arriveraient aisément à s'entendre dans cette nouvelle langue?
C'est que, quand même il serait vrai (en gros et dans l'état
actuel des langues) que le sens des mots est conventionnel, il
est devenu naturel en vertu d'une association invétérée. En outre,
l'auteur oublie tout bonnement qu'il n'a pas à créer « une langue
nouvelle » de toutes pièces, sans tenir compte des langues exis-
tantes, mais une langue internationale auxiliaire, qui a intérêt à
«e rapprocher autant que possible des langues vivantes, et par
suite à leur emprunter le plus grand nombre possible de ses élé-
1. Lib. 4, p. 61.
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 231
nuMits. Enfin M. Hollack dit, pour justifier son dédain dos mots
iiitornationaux : (^n'inipoile que tel mot soit commun à plu-
sieurs nations? Pour quelqu'un qui ne sait que sa langue natio-
nale, il est indifférent que ce mot se trouve dans une ou plu-
sieurs langues étrangères, puisqu'il les ignore. Sans doute,
répondra-t-on; mais il ne lui est pas indifférent qu'il se trouve
ou non dans la sienne; or, plus la langue internationale con-
tiendra de mots internationaux, moins elle présentera à chaque
nation de mots étrangers et inconnus à apprendre. Il y a donc une
nécessité, non seulement logique, mais pratique, à ce que la
langue internationale soit fondée sur le vocabulaire in/er/ja/io/ia/, et
non sur un lexique arbitraire et fantaisiste comme celui du Bolak.
Dans la formation des termes scientifiques, l'auteur ne tient
naturellement aucun compte de l'étymologie : krob = microbe;
gelg ^ gêolo(jie: gekv =: géographie: gemv = géométrie. Mais il ne
cherche pas davantage, on le voit, à composer des mots analogues,
c'est-à-dire ayant une étymologie semblable dans sa langue.
En général, l'auteur affiche un souverain mépris, non seule-
ment de l'étymologie, mais de l'affinité ou de la (iliation logique
des idées. Sans doute, il est bon de distinguer les sens d'un mot
<(nand ils sont si difTérents qu'ils constituent une sorte de calem-
l)our (Ex. : action, charme, équipage, mousse, etc.). Mais il est
<>xcessif de représenter par des mots absolument différents des
s(>ns voisins ou dérivais les uns des autres {accent, accord) ou
mémo diverses espèces d'un même genre : lor = or (métal): golt
=:or (monnaie): chapeau, chemise (d'homme, de femme, de nuit):
fcrt/(pid)li('. masqué): bois(h brûler, tle construction»: ba'ii/( animal,
viande : bov, bif): cochon (animal, viande : pig, pork). Bien plus :
l'auteur ne cherche nullement à dériver les uns des autres, ou à
rajtprocher par la forme, des mois qui expriment des idées
connexes ou dérivées. Ainsi : paks = paix, skalm =^ apaisement;
klerk =: clergé, frar = étal ecclésiastique, frok = cléricalisme ; rar =
frère, frat =: fraternité (frer = compagnon, fradr ^= solidarité): vern
=r hiver, snemv = hivernage: lart = art. tist = artiste^, etc. De
même pour les mots composés : kart = carte à jouer: kert =
carte de visite: psarl = carte postale (alors que tout Européen com-
prendrait : post-kart).
1. Cotlo dornièro singularitt"' est d'autant plus t'ionnanto <|ut> lo Bolak pos-
sède k' sufll.xo -ist. Cola fait donc deux racines à apprendre au lieu d'une.
232 SECTION II, CHAPITRE XII
Toutefois, l'auteur permet de former un mot composé ou
dérivé, quand le mot simple manque ou est oublié. Par exemple,
on pourra dire kotil au lieu de mesr (couteau) et kotilet au lieu de
knif {canif y. Mais si cela dispense de connaître le mot simple
quand on veut s'en servir soi-même, cela ne dispense pas de le
connaître quand on l'entend ou le lit; et par conséquent cela fait
deux mots à apprendre, au lieu d'un. Toutes les critiques que
l'auteur adresse aux langues agglutinantes, auxquelles il reproche
« d'imposer à l'esprit le travail incessant de décomposition et de
recomposition de toutes les notions », retombent ainsi sur le
Bolak lui-même, d'autant plus que son dictionnaire ne donne
que les racines simples, et non les dérivés et les composés que
chacun peut en former facultativement. Il vaudrait mieux que ces
dérivés et composés fussent formés une fois pour toutes et
inscrits dans le dictionnaire, où iraient les chercher ceux qui
n'auraient pas l'esprit assez inventif pour les former d'eux-
mêmes.
Enfin, bien que l'harmonie ne soit qu'une qualité accessoire
d'une L. I., et bien que le Bolak décline toute prétention litté-
raire, il faut avouer qu'il manque par trop d'euphonie; on a pu
en juger par tous les exemples que nous avons cités. Cela vient
de la forme de syllabe close que l'auteur donne systématiquement
à ses radicaux; ce sont des monosyllabes durs et rocailleux qui
s'entrechoquent par leurs consonnes*. Sans doute, l'auteur
allègue que les voyelles qui servent de flexions jouent le rôle
de tampons entre ces monosyllabes; mais ces flexions ne sont
pas assez fréquentes pour adoucir la prononciation (seuls les
substantifs au pluriel et les verbes se terminent par une voyelle^).
La rigidité de la construction est une gêne et une pauvreté ;
vme gêne, parce qu'elle empêcherait toute traduction exacte
d'une phrase tant soit peu compliquée ; une pauvreté, parce qu'elle
empêcherait de former une telle phrase, c'est-à-dire d'exprimer
des pensées un peu complexes et délicates. Aussi l'auteur recom-
1. De même, coup de pied se dit kik et fotolb, etc.
2. Le dictionnaire Bolak contient 103 mots commentant par fk (fkab,
fkabs, fkaf,...), 164 par fn, 122 par ft, 133 par ml, 144 par mr, 184 par
tl, etc. Un grand nombre de mots se terminent aussi par des consonnes
doubles aussi peu agréables à prononcer ; -pv, -tv, etc.
3. « Si quelques consonnes doubles initiales... semblent trop dures à
émettre, on peut, sans inconvénient, les faire précéder d'un e ». (Lib. 4,
p. 9). L'auteur oublie que parla même les mots seront « marguerites ».
BOLLACK : LA LANGUE BLEUE 233
maiulc-t-il pruclemmcnt de faire des phrases courtes. Mais en
imposant h sa langue toutes ces entraves, il l'exclut de l'usage
scientifique et la confine dans les usages les plus modestes et
les plus vulgaires.
En résumé, l'auteur de la Langue bleue a voulu créer une
langue, non pas philosophique ni scientifique, mais pratique; en
fait, il a créé une langue aussi arbitraire et aussi difficile qu'une
langue pliilosoi)hique, et aussi peu pratique que possilile. 11 n'a
pas voulu faire appel à l'intelligence des adeptes, mais seulement
à leur mémoire; mais il leur demande un tel travail de mémoire
que i»ersonne ne pourrait jamais apprendre son vocabulaire.
En subordonnant le vocabulaire à la grammaire, et en soumet-
tant celle-ci à une foule de règles arbitraires et restrictives, il
s'est privé comme à plaisir de tous les éléments qui peuvent
rendre une L. I. facile à acquérir et agréable à parler; il s'est
condamné à exclure ou à défigurer les radicaux internationaux.
11 a tout sacrifié à la concision, sous prétexte d'obéir à la loi du
moindre effort: il a ainsi- obtenu des séries de monosyllabes rébar-
batifs et indiscernables bien plus difficiles à retenir et à pro-
noncer que les mots internationaux, et qui imposeraient à la
fois à la mémoire et à l'intelligence de ses adeptes des efforts
surhumains. Tous ces vices constitutionnels et rédhibiloires du
Bolak viennent d'une seule cause : une méthode trop a priori.
CRITIQUE GENERALE
Il semble, au premier abord, que les langues que nous avons
réunies dans la classe des systèmes mixtes n'aient entre elles
rien de commun, si ce n'est ce double caractère négatif, de n'être
ni des langues a priori, ni des langues a posteriori. Mais, à un
examen plus attentif, on constate qu'elles ont toutes une ana-
logie réelle, et forment une famille naturelle. Elles ont à la fois
certains caractères des langues a priori et certains des langues
a posteriori, et par là elles méritent l'épithète de mixtes. Comme
les systèmes a priori, elles emploient la méthode combinatoire
pour former les mots dérivés ou composés; mais elles ne fondent
pas comme elles leur vocabulaire sur une classification logique
de toutes les idées. Comme les langues a posteriori, elles emprun-
tent leurs racines aux langues naturelles; mais elles les déna-
turent pour les soumettre à certaines règles systématiques, et
ne se soucient nullement de leur degré d'internationalité. Dans
la grammaire aussi règne la Combinatoire : les flexions sont en
général constituées par la gamme des voyelles, dont le retour
monotone et incessant engendre l'uniformité et la confusion.
En conséquence, ces langues n'ont ni l'avantage théorique (pro-
blématique) des langues philosophiques, qui sont (ou prétendent
être) un calque fidèle de la pensée et l'expression des relations
logiques des idées; ni l'avantage pratique (réel et immense) des
langues a posteriori, dont les mots sont déjà connus, au moins
en partie, de tout Européen un peu instruit, et qui, par suite,
n'offrent pas la difficulté d'une langue toute nouvelle. En effet,
ces systèmes ne visent en aucune façon à V internationalité; plu-
sieurs d'entre eux visent à la neutralité absolue, mais, pour ne
favoriser aucun peuple, ils se montrent également difficiles
et rébarbatifs pour tous. Aussi sont-ils plutôt extra-nationaux
qu'internationaux, et certains d'entre eux s'en vantent. Nous
CRITIQUE GÉNÉRALE 23S
aurons h discuter plus loin les oljjdctions cju il> lont aux sys-
tiMiies vrainuMit inlernaUonaux. Hornous-nous ici à remarquer,
qu'ils parlent des « mots internationaux » comme le renard de
la fable parle des raisins : « ils sont trop verts », c'est-à-din.'
qu'ils ne peuvent pas entrer dans les € moules » rigides et uni-
formes qu'ils construisent n priori et dans lesquels ils prétendent
« couler » tous les mots. Cela vient de ce que la plupart de ces
projets subordonnent le vocabulaire à la grammaire: comme ils
composent celle-ci de décrets arl)itraires, ils se lient les mains
«l'avance, et soumettent leur vocabulaire à une foule de condi-
tions gênantes et de restrictions gratuites : et ils s'en prennent
;ui\ mots internationaux de ce qu'ils refusent d'entrer dans les
"•adros imposés par leurs caprices tyranniques'.
Le mot qui caractérise le mieux ces systèmes bâtards et incon-
séquents, et qui résume tous leurs défauts, est celui qui revient
sans cesse dans toutes nos critiques : c'est ïarbilraire : arbitraire
dans le clioix des racines, arbitraire dans la formation des mots,
arluliaire dans les règles grammaticales, arbitraire dans le
choix des flexions et des affixes de dérivation. Leurs auteurs se
sont imaginés qu'ils pouvaient et devaient forger une langue de
toutes pièces, sans consulter autre chose que leur goût ou leur
fantaisie, et sans s'astreindre à d'autres règles que celle d'une
symétrie superficielle et puérile. Ils se sont flattés que le monde
(Miropéen s'enq)resserait d'adopter une langue dont le vocabu-
laire et la grammaire lui seraient également éiraïujers. Mais,
< omme chacun de ces projets était le produit d'une création
individuelle et arbitraire, leur multiplicité même et leur diversité
ont n'])nté le pul)lic. Kt, en elïet, ils ne i)résentent -h aucun degré
la convergence et le progrès que nous aurons à constater parmi
les langues a posteriori.
Enlin. il y aurait bien des réserves à faire sur les prétentions
« scientifiques » de la plui')art de ces systèmes. Ils se vantent
d'être des langues très savantes et très modernes, conformes
aux données de la philologie, à l'évolution des langues, etc. Ils
--r flattent aussi d'une richesse et d'une variété inépuisables, parce.
qu'ils peuvent former une infinité de mots par la juxtaposition
1. Qu'on puisso, notnmniont, établir une dislinrtion formelle entre les
parties du «liseours nutrennuil (ju^cn leur inii)Osant des conditions de lon-
gueur ou do forme qui dollpurent les racines, c'est ce que prouve re.\emple
de VEsperanto.
236 SECTION II
de racines monosyllabiques. On peut réduire ces prétentions et
ces avantages à leur juste valeur, mieux que par de longues et
savantes dissertations, en comparant simplement ces projets à
certaines langues barbares. Par exemple, il paraît que les Iro-
quois, qui ne connaissaient pas le vin avant la venue des Euro-
péens, le nommèrent d'un mot qui signifie : boisson faite avec le
jus du raisin, et qui contient 27 lettres et M syllabes ^ C'est le pro-
totype des mots composés ai</o/iomes du Volapûk. Un exemple plus
frappant est fourni pav le pidgin-english. On sait (et il convient
de rappeler ici ces faits) qu'il s'est formé spontanément des
langues auxiliaires, artificielles et composites, dans certains
pays (surtout maritimes) où plusieurs langues se trouvent en
concurrence; la nécessité de s'entendre, entre gens de langues
maternelles différentes, adonné naissance à ces jargons mélangés
d'éléments empruntés à divers idiomes : le plus connu est le
sabir ou la lingua franca, parlée depuis plusieurs siècles dans les
ports de la Méditerranée orientale. Mais ce n'est pas le seul; on
cite encore le pidgin-english, qui est parlé dans les ports des mers
de Chine ; le chinook, qui est employé sur la côte américaine du
Pacifique; le benguela, qui sert au Congo d'intermédiaire entre
une foule de tribus de langues différentes, etc. ^ Le pidgin-english
est une langue qui emprunte la plupart de ses éléments à l'an-
glais, mais qui les combine, semble-t-il, suivant le procédé des
langues monosyllabiques comme le chinois. C'est ainsi que les
bateaux à vapeur, suivant cju'ils sont à roues ou à hélice, sont
appelés respectivement : « avance par l'extérieur on peut voir »
(outside-ivalkee-can-see) et « avance par l'intérieur on ne peut pas
voir » {inside-walkee-no-can-see) ^. Ce procédé de composition est
tout à fait semblable (à la naïveté près) à celui qu'emploient le
Volapûk et ses congénères ; et l'on voit que, loin d'être le privi-
1. Joseph DE Maimieux, Pasigraphie, p. 41, note 1 (1797).
2. Peut-être faudrait-il y joindre le taal, déformation du hollandais, qui
est parlé dans l'Afrique du Sud, môme par les Anglais, quand ils veulent
se faire comprendre des indigènes.
3. Article du Daily Telegraph du 6 novembre 1900. Naturellement, le
rédacteur anglais tire de là cette conclusion, que c'est l'anglais qui est la
langue prépondérante en Exlrôme-Orient. Il nous semble que l'existence du
pidgin-english (comme celle du taal) est plutôt une preuve de la non-uni-
versalité de la langue anglaise, attendu que ce jargon n'est même pas de
l'anglais corrompu, et n'a que les éléments de commun avec la langue de
Shakespeare (et encore pas tous : il contient aussi de nombreux éléments
portugais et chinois, d'après le môme article).
CRITIQUE GÉiNÉRALE 237
lègo (les langues les plus savantes et les plus civilisées, il est
caracténsli<iue d'un état desprit plutôt barbare ou enfantin. En
tout cas, il est tout ce qu'il y a de moins pratique, car il produit
des expressions extrêmement longues et compli(iu(''es, surfout
par opposition aux vocal)les concis et presque monosyllabiques
des langues européennes, et notamment de l'anglais. Cette simple
comparaison suffit à montrer que les langues artificielles qui
prétendent construire tous leurs mots par composition autonome
ne sont pas progressives, mais réellement rétrogrades. Elle
(ondamne le système de formation des mots du Volapûk cl des
projets analogues '.
I. tl faut reinaniuer quo,sur ce point, fa Langue bleue se sépare des autres
[H'ojols, el inèine s'y oppose. "
SECTION III
SYSTÈMES « A POSTERIORI »
CHAPITRE I
FAIGUET-: LANGUE NOUVELLE*
La première idée d'une langue a posteriori se trouve dans la
fameuse Encyclopédie du xviii* siècle. Ce projet n'est guère qu'une
esquisse de graniniairo régulière et simplifiée. L'autour dit lui-
même : « Mon dessein n'est pas au reste de former un langage
universel à l'usage de plusieurs nations. Cette entreprise ne peut
convenir qu'aux académies savantes que nous avons en Europe,
supposé encore qu'elles travaillassent de concert et sous les
auspices des puissances. »
Il n'y a pas iVarlicle, ni aucune distinction de genre. Les adjec-
tifs seront invariai dos : ce sont des « espèces d'adverbes »,
Les substantifs formeront leur pluriel en -s. Leure cas sont
remplacés par des prépositions. Les substantifs dérivés des
verbes se forment au moyen du suffixe -ou idonou = dona-
tion) ; les augmentatifs au moyen de -lé, les diminutifs au moyen
de -li.
Les pronoms personnel sont : jo, to, lo : no, vo, zo.
Les verbes sont invariables en personne et en nombre. Leurs
temps et modes sont caractérisés par les terminaisons suivantes :
1. Encyclopédie de Diderot et u'Alcmbert, t. IX, article : Langue nou-
velle, par M. Faiouet, trésorier de France (1765),
240
SECTION III, CHAPITRE
I
Infinitif présent :
-as.
— passé :
-is.
— futur :
-os.
Participe présent :
-ont
Indicatif présent :
-a.
— imparfait :
-é.
— parfait :
-i.
— plus-que-parfait :
-0.
— futur :
-u.
Le subjonctif ne forme en ajoutant -r à l'indicatif. L'imparfait
et le plus-que-parfait du subjonctif servent de conditionnels
présent et passé.
L'impéra^i/ emprunte sa 2« personne singulier à l'indicatif pré-
sent (sans pronom) ; les autres personnes au subjonctif présent
(avec pronom).
Le passif se forme au moyen du vei'be être (sas), suivi de l'indi-
catif présent.
L'interrogation s'indique en plaçant le sujet après le verbe.
La numération est prescjue entièrement a priori. Les 10 premiers
nombres sont : ba, co, de, ga, ji, lu, ma, ni, pa, vu; puis : vuba,
vuco : covu = 20; sinta = 100: mila = 1000.
Nous n'avons cité ce projet ancien que parce qu'il contient
quelques indications intéressantes sur ce que peut et doit être
une grammaire réduite au maximum de simplicité, et que cer-
tains détails se retrouvent chez des auteurs modernes qui ne
connaissaient probablement pas ce précurseur '.
1. Les terminaisons verbales -as, -is, -os, -ont se retrouvent en Espé-
ranto.
CHAPITRE II
J. SCHIFFER : COMMUNICATIONSSPRACHE '
Lo pivinior projet complot de langue a posteriori est, à notre
<«)nnaissanco, celui de Sciiipfer. L'auteur lui a donné pour base
le vocabulaire français, * parce que la langue Irangaise est la
plus connue, la plus répandue de tous côtés, et la |)lus usitée
Miissi bien comme langue de cour que comme langue de conver-
■-ation dans la vie de la haute bourgeoisie », au point qu'il la
regarde comme étant « déjà dans une certaine mesure luu^ langue
universelle ». Mais alors, sobje(;te-t-il, pourquoi « estrojiier les
mots de la belle langue française »? Pour la rendre plus facile à
iipprtMidre, et plus régulière dans sa grammaire, dans son
orlliograplicet dans sa prononciation. Pour apprendre sa langue
artificielle, il n'est nullement nécessaire de savoir le français:
tout au plus est-il utile d'en connaître les éléments. L'auteur
proteste éuergiquement contre l'intention de remi)laeer les lan-
Lîues e.xistanles par sa t langue universelle » : celle idée serait
d'un fou. Il veut seulement foiu'uir aux difTérents jteuples un
moyen de communication, ((ui sera i)articulièrement utile main-
lenant que « la nouvelle manière de voyager » (chemins de fer
l't bateaux à vapeur) amène à parcourir en peu de leiups des
pays de langues dilTérentes. Cette langue facilitera en outre
l'échange des idées et la diffusion des sciences, et mettra l'esprit
luuuain tout entier à la portée d'un chacun: enfin elle suppri-
mera les l)arrières que la diversité des langues élève eutre les
peuples, et fera d'eux, en quelque nu^sure, une seide nation.
I. Versuch ehier Grammatik filr eine allgemeine Communiculions-oder
Wellsprtiche. xix -f lOô p. 12". (Wicsbadon, 1839). L'niitour, mntlrp d'écolo
a Niedrrwnlliif (sur le Rhin), a ooncu co projet ayant près de 80 ans. Il
aiinonco la publication d'un Dictionnaire et d'une Clireslonuilliio.
CouTURAT et Leau. — I^nguo univ. 10
242 SECTION III, CHAPITRE II
L"auteur présente d'ailleurs son projet sous les formes les plus
modestes; ce n'est qu'un « embryon ». mais toutes les inventions
ont commencé par un état rudimentaire, y compris celle de
Gutenberg. Aussi invitc-t-il les savants de tous les pays à
adopter son projet, à le développer et à le perfectionner.
Tous les mots delà langue sont empruntés au français, excepté
les pronoms et les noms de nombre.
L'auteur commence par énoncer de nombreuses et minutieuses
règles pour écrire phonétique ment les mots français. Voici quel-
ques échantillons de son orttiographe : iasilman, facilement: rena,
reine: geanra, genre: penja, peigne: galita, qualité: roa, roi: batailja.
bataille: ua, août: bôtea, beauté: masona, nm(;on: sesi, ceci: filosofia;
cretiena. Il adopte l'alphabet français, non compris k, et y compris
rv (u se prononce ou). Il y ajoute les voyelles infléchies à, ô, u de
l'allemand : pàa, paix; cùriô, curieux.
II n'y a pas d'article, défini, ni indéfini. Un ne se traduit que
quand il signifie le nombre un.
Les substantifs se terminent tous par -a au nominatif-vocatif. On
les décline en remplaçant cet -a par -e (génitif), -i (datif), -o (accu-
satif), et -u (ablatif) '. Le pluriel se forme en ajoutant un -s à la
désinence de chaque cas.
Les adjectifs (transcrits du français suivant les règles générales)
sont invariables en genre, en nombre et en cas. Les degrés de
comparaison se forment, pour ceux terminés par une consonne,
au moyen des suffixes -ior (comparatif) et -iost (superlatif): pour
ceux terminés par une voyelle, au moyen des mots mor (plus) et
most [le plus) placés devant. Ce dernier système prévaut toutes
les fois que le premier viole l'euphonie -.
Les noms de nombre se terminent tous par -a, comme les sub-
stantifs, et sont invariables : Una, dua, tria, quatra, quina, sesta,
setta, otta. nona. dia: undia. duadia, tredia, quaterdia,...; venti:
venti una,... tranti : tranti una,...: quaranti, quinti, sesti, setti,
octi, nonti, senti: duasenti,.... nonasenti: mille: diamille,...
Les nombres ordinaux dérivent des précédents au moyen du
suffixe -nia. Ils se déclinent comme les substantifs.
Les adverbes ordinaux se forment en ajoutant aux noms de
1. C'est presque la déclinaison du Volapûk.
2. Certaines lettres du radical reparaissent au comparatif et au superlatif.
Ex. : gran, (jrand; grandior, grandiost.
J. SCHIFFER : COMMUNICATIONSSPRACHE 243
nombre le suffixe -ly (caractéristique des adverbes) : unaly, pr^-
inièremeiii : dualy. (IctiTihnement, etc.
i.es adjectifs midi iplira tifs sont : sempel, dubel, tripel, quatru-
pel. etc. Ils dérivent des noms de nombre en changeant -a en-npel.
Les nomtn'es de fois s'expriinenf en ajoutant aux noms de
nombre le sullixe -foa : unafoa, duafoa, etr.
Les nombres collectifs se forment en ajoutant aux noms de
nouibre le suffixe -na : diana. une dizaine : duadiana, une douzaine, etc.
Les pronoms }>ersonnels sont formés a priori des trois voyelles
a. e. i. correspondant aux trois personnes (au nominatif); ils se
déclinent comme les substantifs (ae. ai. ao.au. etc.) ', et forment
leur pluriel comme eux : as. nous; es, vous: is, ils. Le pronom de
la 3« personne a un féminin : la, elle: ias, elles, qui se décline de
même : la, iae, lai,...; ias. iaes. lais.... 11 a aussi un neutre : IL
dont les autres cas sont ceux du pronom réfléclii se : see. sei,
seo. seu: sees. sais. seos. seus. Ils servent également à décliner
on (comme en franc^ais).
Les adjectifs possessifs sont : ma. ta, sa; no. vo. lora. Ils sont
invariables, mais peuvent prendre un -s eupboniijue.
Les pronoms possessifs en dérivent par l'adjonction de -la : maia
ou masia.... (le mien). Us se déclinent comnu' les substantifs, y
( nmpris le pluri«'l.
Les adjectifs démonstratij's sont : tis. ce... ci: tos, ce... M*. Ils sont
invariables.
Les pronoms démonstratifs en dérivent par l'adjonetion de -la :
tisia. celui-ci: tosia. celui-là. Ils se déclinent comme les substan-
tifs.
\ / adjccti r interrogatif csl wa ou was. invnriabli»; le pronom inter-
mijatifosl waia ou wasia. qui se décline comme un substantif.
Le pronom relatif csl wia. invariable en genre, mais déclinable
comme un substantif.
Lnlin \os pronoms indéfuds seuls sont empnnités au français, par
( xtMuple : quelq, chac, quelcuna, chacuna, ocun. nul. plûsiôr, tu,
tel. tis mem(/c mème\ etc.
L<'s vcrl)cs se ttM'iuinent tous à lïnfinitif par -er : parler, finer,
recever. render. Us n'ont qu'une seule conjugaison, qui s'elTectue
\. Toutefois, comme réjrime direct des verbes réfléchi», on emploie me,
te. se (nu sinjrulior soulomonl).
2. Kiunrunlés à l'anglais : This ol Tfiose (\A. de Thaï).
244 SECTION III, CHAPITRE II
entièrement au moyen des 5 voyelles. Les persomies sont indiquées
par les syllabes terminales a, e, i (sing.), as, es, is (plur.) '.
U indicatif présent se forme en substituant ces 6 désinences à la
terminaison -er de l'infinitif;
L' imparfait se forme en intercalant un e;
Le parfait — i ;
Le plus-que-parjait — o;
Le futur — u,
entre le radical et les désinences personnelles.
Les temps du subjonctif se forment en intercalant un i avant la
désinence personnelle dans les temps correspondants de l'indicatif.
U infinitif passé se forme en changeant -er en -i dans l'infinitif
présent.
Les participes présent, passé, futur (actif) se forment en chan-
geant la terminaison -er de l'infinitif respectivement en -ang.
-ing, -ung. Ex. : àmang, qui aime; âming, qui a aimé; àmung, qui
aimera ^.
h' infinilij présent passif se forme en ajoutant un -i à linfinitif
actif : àmeri, être aimé.
Les temps de l'indicatif passif se forment en ajoutant à l'infi-
nitif actif les désinences -a (présent), -ea (imparfait), -la (parfait),
-oa (plus-que-parfait), -ua (futur).
Les temps du subjonctif passif dérivent de ceux de l'indicatif
suivant la même règle qu'à l'actif.
Les. participes présent, passé, futur (passif) se forment en ajou-
tant à linfinitif actif respectivement les terminaisons -ang. -ing,
-ung. Ex. : àmerang, qui est aimé; âmering, qui a été aimé: àmerung,
qui sera aimé (ou qui doit être aimé).
Les participes sont invariables, comme les adjectifs.
La négation s'exprime par non, mis avant le verbe; Vinterroga-
tion s'exprime par an en tête de la phrase, ou par ne enclitique
après le premier mot de la phrase ^
Les adverbes primitifs (et locutions adverbiales) sont empruntés
littéralement au français.
Les adverbes dérivés se forment en ajoutant le suffixe -ly (E.) à
l'adjectif : hôrôly, heureusement.
i. Par suite, le pronom sujet'n'est jamais énoncé (comme en latin).
2. Cela ressemble beaucoup aux participes de V Espéranto,
■i. Comme en latin. De même, Tintcrrogation négative s'e.xprime par
annon ou nonne.
J. SCHIFFER : COMMUNICATIONSSPRACHE 245
Leur comparalif et leur su|»(M'lalir se foiMuciit <mi rijoiitanf -ly
au coniparalif ol au suporlalif de ladjcctir : profundiorly, profun-
diostly; mor agreabely, most agreabely.
Les prépositions et conjonctions sont empruntéos littéralement au
IVanc^ais.
Pour la Syntaxe, l'autour laisse toute liberté aux diverses
nalious do suivre leurs règles et leurs usages. Toutefois, il pro-
l)()se (pi<>l<pies règles, dont voici les i)rincipales.
Le nom du lieu où l'on va se mettra à raccusatif, celui du lieu
où l'on est ou d'où l'on vient, à l'ablatif. Ex. : veni Pragu e alli
Yienno, il vient de Prague et va à Vienne.
L'auteur montre par des e;cemplesla commodité des participes
passé, présent et futur de l'actif et du passif, (jui peuvent rem-
placer les propositions relatives et qui jouent le rôle de lablalif
absolu du latin.
Il propose divers suffixes pour la formation des mots dérivés.
Ainsi le suffixe -la sert à former le féminin des substantifs :amia.
ami : amiaia, amie.
Le suffixe -er sert à former les verbes dérivés de substantifs et
d'adjectifs. Mais fauteur ne donne aucune règle pour le sens de
ces verbes; ainsi : viner = boire du vin; egliser = aller à l'église:
màsoner = rester à la maison: jardiner = travailler au jardin (V. jar-
diner). De même, grander = grandir (devenir grand): mais àser
= rendre aisé.
L'auteur imagine encore pour les verbes un suffixe augmen-
tatif -oner ivineroner = boire beaucoup de vin), un suffixe diminutif
-iner, et un suffixe péjoratif -riser. De plus, il applique aux
verbes les degrés de comparaison: morviner, />oirf p/»s devin;
mostviner, boire le plus possible de vin ; menviner, boire moins de vin
Enlin il admet le {)réfixe négatif ou privatif a- pour tous les
verbes : aviner, ne pas boire de vin '.
D'ailleurs, l'auteur se défend de vouloir prescrire des règles
déllnitives, et de se poser en « dictateur », Il fait appel à la col-
laboration des [)hilologues et grammairiens.
Son ouvrage se termine par divers textes (contes, lettres)
écrits dans la « langue de communication », et traduits en alle-
mand et en français. Nous en extrayons le Pater :
No Fera, wia ete Cielu, ta Noma sanctiferii; ta Royoma Âis
1. Cf. la M argneri talion de M. Bollack.
246 SECTION III, CHAPITRE II
arrivii; ta volonta fàrerii com Cielu ànsi Terru. Donne Ais noa
Pàno quotidien; pardonne Ais noa offansos, com pardonnas Aos
offanding; non permette que succombias tantationi; ma délivre
Aos malu.
L'auteur constate que le Pater contient 237 lettres dans sa
langue, tandis qu'il en contient 271 en anglais, 288 en latin,
331 en allemand, 333 en italien et 334 en français; ce qui prouve
la concision de sa langue.
D'autre part, il donne diverses traductions des premières
phrases du Télémaque, pour montrer la flexibilité de sa langue et
la variété des inversions qu'elle permet.
Nous ne nous attarderons pas à critiquer ce projet curieux.
Son principal défaut est de prendre pour base une seule langue
nationale, et de lui emprunter tous ses mots : il les dénature
assez pour rendre sa langue déplaisante aux Français, pas assez
pour la rendre régulière et simple. On remarquera que Schiffer
emploie comme flexions grammaticales et môme comme pro-
noms la série des voyelles : c'est un procédé qui rappelle les
langues a priori et mixtes, et qui, pour les pronoms surtout,
produit une disparate choquante dans une langue a posteriori.
CHAPITRE III
L. DE RUDELLE : PANTOS-DIMOU-G LOSSA^
L'aulcur, (jui l'ut professeur de langues vivantes dans plusieurs
lycées de France et à TÉcole polytechnique de Londres, ne
propose nullement une langue universelle, c'est-à-dire unique
|)Our tous les peuples, qu'il considère comme « le riHe du plus
insensé des utopistes », mais simplement une langue cosmopo-
lite, commerciale, « destinée à faciliter les relations internatio-
nales ». II la imaginée en combinant les dix langues (ju'il
connaissait de manière à en former un idiome simple, logique
et absolument régulier. Il a pris spécial(Mnent pour base de son
vocabulaire le grec, le latin et les langues néo-latines; mais
dans sa grammaire il s'est aussi inspiré de l'anglais, de l'alle-
maïul et du russe. 11 se promettait, si la grammaire trouvait bon
accueil, de publier un Dictionnaire, qui n'a jamais paru.
GR.4MM.MRE.
L'alphabet comprend 23 lettres simples, 6 voyelles : a. e. i, o. y
iou), œ (en): et 17 consonnes : b. c (s), d, f, g (dur), h, j. k, 1. m. n.
p. r, s, t, V, z: plus ;> lettres complexes : sh (ch), ch [iclD. gh i(/ tbir
<levant e. il: Ih [Il mouillées): û (S., comme gn F.K
I. Grammaire primidve d'une langue commune à tous les peuples (l'anlos-
(limou-glossa) destint'e à faciliter les relations internationales dan.^ les cinq
parties du monde, por Llcien de Rldelle, 08 p. in-S" (Bordeaux, iliez l'au-
teur, rue (les Trois-Couiis. i3; Paris, Delalain, 1858). L'auteur, «'tant profes-
seur de langues vivantes nu collège Louis-le-Grand,n Paris, avait inventé en
1830 un système d'orllio-phonographie pour représenter In prononciation si
difficile de l'anglais, et publié divers ouvrages scolaires : Instructeur théo-
rique et pratique de la prononciation anglaise (1831, 1850); Grammaire
de'monstratiee de la langue anglaise (liH).
248 SECTION III, CHAPITRE III
L'auteur a exclu lu français. La lettre h n'a pas de son propre,
et ne sert qu'à composer les lettres complexes. Toutes l(>s autres
lettres ont partout et toujours le même son : le c n'est employé
que devant e et i: le g doux est remplacé par j devant e et i.
L'acceiil porte sur la dernière syllabe du mot, s'il finit par une
consonne: sur l'avant-dernicre, s'il finit par une voyelle. On ne
le marque que dans les verbes.
Certaines parties du discours se distinguent par leurs finales :
les adverbes se terminent en o, les prépositions en i, les conjonc-
tions en y, les interjections en ce. Les adjectifs sont caractérisés
par la finale z.
Les trois genres se distinguent par trois voyelles caractéris-
tiques : e (masc), a (fém.), o (neutre).
Le pluriel est marqué par la finale i, et Vaccusatif est caractérisé
par la lettre m.
Les autres cas de la déclinaison sont indiqués par des préposi-
tions : di (génitif), zi (datif), fi (ablatif).
Il y a trois articles : définitif, indéfinitif, partitif. Voici la
déclinaison de Varticle définitif :
Masc.
Fém.
Neutre.
Sing.
Nom.
el
al
Ol
Ace.
lem
lam
lom
Gén.
del
dal
dol
Dat.
zel
zal
zol
Abl.
fel
fal
fol
Plur.
Nom.
eli
ali
oli
Ace.
lemi
lami
lomi
Gén.
deli
dali
doli
Dat.
zeli
zali
zoli
Abl.
feli
fali
foli
L'article indéfinitif est (au nom. sing.) : en, an, on. 11 se décline
comme le précédent (remplacer partout I par n).
L'article partitif n'o. que les formes suivantes : Gén. sing. neutre :
dol, du, de la, un peu de: Gén. plur. : deli (m.), dali (f.), doli (n.),
des, quelques.
Les substantifs se terminent tous par une des voyelles géné-
riques e, a, 0. Leur genre est toujours naturel. Pour les noms
d'animaux, le neutre indique l'espèce en général : el eke, le cheval:
al eka, la jument: ol eko, le cheval, la race chevaline (L. equus).
L. DE nUDELLE : PANTOS-DIMOU-GLOSSA 249
\.o pluriel des siibstanlifs se forme en ajoutant -ci au sinij^nlier :
eli ekeci, les chevaux.
Les substantifs ne se déclinent pas. Leur cas est indiqué par
l'article, par le pronom ou par la préposition qui les accompagne.
lis sont susceptibles tlo degrés marqués par les suffixes suivants :
-mô, augmentatif mélioratif;
-nô, augmentatif i)éjoratif ;
-tô, diminutif mélioratif;
-dô, diminutif péjoratif.
Exemples: oma-mô, (j r amie el belle femme ;
ome-dô. vilain petit homme ;
oma-tô. jolie petite femme.
L'adjectif se termine toujours au singulier par un z. précédé
i\o la voyelle généri(iue (e. a. o). 11 prend un -i au pluriel. 11 s'ac-
rorde en genre et en nombre avec le substantif.
Les degrés sont :
Le comparatif de supériorité, marqué par -pô (plus);
— dinfériorité, — -mnô {moins);
— d'égalité, — -tô (autant);
— d'inégalité, — -nô-tô:
Le superlatif de supériorité, — -gô;
— d'infériorité, — -mnô;
— absolu. — gô-.
Le que ({ui suit un comparatif se traduit par ky. Kx. : pry-
dentez-pô ky = plus prudent que: rikez-mnô ky = moins riche que:
allez tô ky = aussi haut que; grandez-nô tô ky = pas si grand que-
el rikez-gô = le plus riche: gô-belez = très beau.
Les noms de nombres cardinaux sont invariables et terminés
en 0 : ono. I: dyo. 2; tro, 3: tetro. 4: pento. "i: ekso. ('>: epto. 7:
okto. S: nono. 0: deko. 10: ondeko. Il: dodeko. 1-2: trodeko. 13:...
venteko. 20: ventekono. 21 : ventekdyo. 22:... trenteko. 30: tetrenko.
40:penteko. îiO;... ekato. 100: dyekato. 200: trekato, 300:... kilo.
1.000; myro, 10.000: ekatokilo. 100.000: ekato myro. / million.
Les nombres ordinaux sont des adjectifs formés en remplaçant
lo fmal des nombres cardinaux par les désinences -ez. -az. -oz
(suivant le genre) : onez (-az. -oz), premier; dyez. deuxième, etc.
Les adverbes numéraux ordinaux se forment en ajoutant -ô aux
250 SECTION III, CHAPITRE III
nombres ordinaux neutres : onozô. premièrement: dyozô. deuxiè-
mement, etc.
Les nombres mulliplicatifs ont la désinence -plez (plaz, -ploz) :
simplez. dyplez. triplez, kadryplez. kintyplez, sestyplez, oktyplez.
nonyplez. dekyplez.... centyplez*...
Les nombres répélitijs se forment en mettant un accent grave
sur l'o final des nombres cardinaux : onô, une fois; dyô, deux
fois, etc.
Les nombres fractionnaires sont les substantifs : medio ou mezo.
moitié: terzo. tiers; karto, quart; kinto. sesto, septimo. oktavo.
nono, decimo, ondeclmo,... centimo... milezimo... On peut les rem-
placer par ladjectif ordinal au neutre suivi de parto {partie) .
01 ekatoz parto, la centième partie.
Enlin les nombres dL^^tributifs se forment au moyen de la prépo-
sition zi (à) : dyo zi dyo = deux à deux.
Les pronoms persoiuiels n'ont que le masculin et le féminin aux
2 premières personnes. Ils ont deux cas : \e nominatif et Vaccusatif.
Nominatif
f.
Accusatif
f.
1'" pers. smg. (je) :
— plur. (nous)
2' pers. sing. (iu) :
— plur. (vous)
3e pers. sing. :
— plur. :
e
eci
te
teci
Ihe
Iheci
a
>
em
am
>
aci
»
emci
amci
»
ta
»
tem
tam
»
taci
>
temci
tamci
»
Iha
Iho
Ihem
Iham
Ihom
Ihaci
Ihoci
Ihemci
Ihamci
Ihomci
11 y a en outre un pronom réfléchi et indéfini à la fois
Sing. (on) :
Plur. (certains) :
dzo; dzem, dzam, dzom.
dzoci; dzemci, dzamci, dzomci.
Les cas indirects de ces pronoms se forment au moyen de
Taccusatif et des prépositions.
Pour donner aux pro/ioms personnels un sens emphatique, on leur
ajoute (au radical) -dze, -dza, -dzo (suivant le genre) : edze, moi-
même; Ihadza, elle-même.
Les adjectifs-pronoms possessifs sont les mômes pour les per-
sonnes du pluriel que pour celles du singulier. Ils varient
comme des adjectifs :
1. On remarquera qu'ils ne dérivent pas régulièrement des nombres car-
dinaux.
L. DE RUDELLE : PANTOS-DIMOU-GLOSSA 251
Singulier Pluriel
m. f. II. m. {. n.
l"pors. : emez. emaz. emoz. emezi, emazi, emozi.
2" pors. : tez. taz. toz. tezi, tazi. tozi.
3<^ pcrs. : Ihez, Ihaz, Ihoz. Ihezi. Ihazi, Ihozi.
Au pronom ivfléclii correspond le pronom possessif :
dzoz (son) dzozi (ses)
Les adjeclifs-pronoms déinonstralifs sont :
dez. daz, doz {celui-ci) ; dezi, dazi. dozi.
stez, staz, stoz {celui-là); stezi, stazi, stozi.
ktez, ktaz, ktoz {celui [qui]); ktezi, ktazi, ktozi.
Le pronom relalif est :
Nom. : ke, ka, ko; keci, kaci, koci.
Aoc. : kem, kam, kom: kecimi, kacimi. kocimi.
Los pronoms inlerroyalifs sonl au nombre de trois. L(> prcinicr
sert uniquement de pronom (qui) :
Nom. : ke ly. ka-ly. ko-ly: keci-ly. kaci-ly, koci-ly.
Ace. : kem-ly, kam-ly, kom-ly; kecimi-ly, kacimi-ly, kocimi-ly.
Le second sert uniquement d'adjectif (que/) :
kez, kaz, koz; kezi, kazi, kozi.
Le troisième peut s'employer avec ou sans substantif:
kedez, kadaz. kodoz: kedezi, kadazi. kodozi.
Le pronom exclnmnlif (quel!) est :
ketez, kataz, kotoz; ketezi, katazi, kotozi.
Les principaux pro/ioms indéfinis sont: alikez (quelque): nylez
(«»/); nenez {aucun, personne); niloz (nV/i);tote2 (loui); omnez (toul,
chaque); talez (tel), etc.
Les l'erbes ont une conjugaison absolument uniforme. Ils sont
invariables en nombre et en personne (étant précédés du pronom).
Leur infinitif {qui se termine en -ar, -er ou -ir) constitue le radical
verbal. A ce radical on ajoute les terminaisons suivantes :
-a pour Vindicatif présent;
-e — — imparfait;
-i — — passé défini;
-0 — — futur;
-iy - — le conditionnel présent ;
-y — le subjonctif présent ;
\. On peut remarquer cpren français son est le pronom possessif corres-
pondant au pronom indéfini on.
2. Auparavant Vu français.
252 SECTION III, CHAPITRE III
-œ pour le subjonctif imparfait ;
-vê pour former les temps secondaires passés;
-se — les temps et modes du passif;
-nô pour marquer la négation;
-ly — l'interrogation;
-sô — lix fréquence ;
-rô — la répétition;
-tô — la restriction (« seulement »);
-do pour former le gérondif (substantif verbal) ;
-dez, -daz, -doz — le participe présent;
-tez, -taz, -toz — passé;
-nez, -naz, noz — futur.
L'impératif se forme en suffixant à l'infinitif le pronom per-
sonnel. Exemjile :
amar, aimer. amardo, en aimant.
amara, j'aime. amara-ve, fai aimé.
amare, f aimais. amare-ve, /ayais aimé.
amari, f aimai. amari-ve, feus aimé.
amaro. f aimerai. amaro-ve, f aurai aimé.
amariy, f aimerais. amariy-ve, /aurais aimé.
amary, que f aime. amary-ve, que f aie aimé.
amaroe. que f aimasse. amarce-ve, que f eusse aimé.
amara-se, je suis aimé. amara-se-ve, j'ai été aimé.
amara-nô, je n'aime pas.
amara-ly, est-ce que j'aime?
amara-nô-ly, est-ce que je n'aime pas?
amardez (-az, -oz), aimant; amartez, aimé * ; amarnez, qui aimera;
amarnez-vê, qui a dû aimer ; amarnez-sê, qui sera aimé;
amarnez-sê-vê, qui a dû être aimé.
Les verbes impersonnels se conjuguent sans pronom : plyera =
il pleut.
Les verbes réfléchis se forment à toutes les personnes au moyen
de l'accusatif du pronom réfléchi : -dzem, -dzam, -dzom; dzemci,
dzamci, dzomci.
Les verbes réciproques se forment au moyen des suffixes : en-
-nem, -an-nam, -on-nom, l'un l'autre (suivant le genre) ; au plur. :
-eni-nemci, -ani-namci, -oni-nomci, les uns les autres.
1. Remarquer cette inconséquence.
L. DE RUDELLE : PANTOS-DIMOU-GLOSSA 2?) 3
Tous les adverbes, primitils ou dérivas, finissent en -ô. Citons
en quelques-uns : ito, oui; no, non; ko, on; kyndo, quand; kanto.
combien; komodô, conimenl; kyro. pourquoi; orô, maintenant; nynkà,
jamais; solô. seulement; satizo, assez; nimio, trop; spo. souvent; ià,
dedans; eksô, dehors; syprô, dessus; sybo, dessous.
Toutes les prépositions se terminent en -i. Voici les principales
(outre di, zi et fi) : ji, dans; eksi. hors de; sypri. sur; sybi, sous;
anti, avant; posti, après; ki, avec; sini, sans; pi, par: pri, pour;
obi, à cause de; fri, de la part de; lokdi, au lieu de.
Toutes les conjonctions se terminent en -y. Voici les j)rinci-
pales : y, et; vely, ou; ny, ni; sedy, mais; atky, or; ergy, (/o/ic; kipy.
car, parce que; ejy, si (conditionnel); ejazy, si (dubitatif); ky, que.
pour que; yty, afin de; nyky, de peur que; kiy, pourquoi.
La synta.re est réduite au minimum. L'adjectif se place après le
substantif, quand il exprime une qualité naturelle et perma-
nente; avant, quand il exprime une qualité passagère ou contes-
table, ou quand il est pris au figuré [un homme grand, un grand
homme).
Les prépositions régissent toutes l'accusatif.
Le subjonctif est réservé aux cas où la pensée implique le
doute ou l'incertitude.
L'ordre des mots, dans la phrase, est entièrement facultatif,
comme en latin, la grammaire permettant toutes les inver-
sions.
Pour éviter les hiatus, on peut ajouter un d eu|)honique h la
lin des mots finissant par une voyelle. Cette addition est (»bliga-
toire avec les monosyllabes, et avec les polysyllabes dont la finale
est semblable h l'initiale du mot suivant.
VOCABL'LAIRE.
Le vocabulaire (autant qu'on en peut juger par le glossaire
de 4 pages que contient la Grammaire) est emprunté au latin, au
grec et aux langues romanes. Ex. : substantifs : ako =:eau: doloro
= douleur; eksito = sortie; kalitato = qualité; lakrimo = larme;
maro = mer; naturo = nature: palpebro = paupière; rejo = roi;
verano = printemps; adjectifs : bonez := bon: eternez = éternel;
iioritez ^= Jleuri: infortynatez = malheureu.T: pylchrez ■= beau:
verl)es : ser = cire; aver = avoir; dicer = dire; facer = Jnire:
254 SECTION III, CHAPITRE III
evanecer = disparaître; irigar = arroser; mirar ^= regarder; oder
=^ oser: poter = pouvoir; seghir =: suivre; trovar =: trouver;
verter = tourner; vider = voir.
Pour la dérivation, l'auteur donne de brèves indications. Pour
dériver un substantif d'un verbe, on ajoute au radical (infinitif)
le suffixe -de. -da, -do (suivant le genre). Ex. : parlarde = par-
leur.
Pour dériver un adjectif d'un substantif, on emploie les suf-
fixes -dez (daz. -doz) et -pez (paz. -poz> suivant la relation à
exprimer. Ex : marmorodez = de marbre ; vaporopez = à vapeur.
Pour dériver un verbe d'un substantif, on emploie les suffixes
-facer {changer en), -fikar {faire), -zir {entrer), -star [être), -fyjir
{sortir, s'éloigner). Ex. : niàitacer. foire son nid de...; nidifikar, cons-
truire un nid; nidizir, entrer ou nid: nidistar. se tenir dans le nid;
nidifyjir, sor//r (/« nid.
De tout adjectif neutre on peut former un adverbe en y ajou-
tant la désinence -ô.
Voici, comme échantillon de la Pantos-dîmou-glossn, la traduc-
tion de la première phrase du Télémoque :
Potére-nô konsolar-dzam Kalipsoa dol eksito did Ylise.
Critique.
Il nous a paru intéressant d'exposer avec quelque détail ce
projet ancien et peu connu, parce qu'il est vraiment remar-
quable, eu égard à sa date, et quil peut soutenir la comparaison
avec bon nombre de projets postérieurs, où l'on retrouve souvent
les mêmes idées et parfois les mômes formes. Les principes théo-
riques en sont presque irréprochables, la grammaire est
presque entièrement régulière (sauf dans la numération) ; mais
elle est plus compliquée qu'il n'est nécessaire : par exemple, on
pourrait supprimer sans inconvénient la distinction formelle
des genres. C'est surtout dans l'application qu'elle pèche : en
particulier, le choix des flexions grammaticales est trop arbi-
traire, ce qui donne à la langue un aspect un peu baroque. Mais
la conjugaison, quoique synthétique, n'est pas plus artificielle
que celle du Volapiik, qui n'a guère fait que changer en i)réfixes
les voyelles qui servent de suffixes temporels. (Le fait de n'em-
ployer dans la conjugaison que des suffixes, et pas de préfixes.
L. DE HUDELLE : PANTOS-DIMOU-GLOSSA 255
ost m(^mo un avantage au point do vue do la clarté.) En
lovancho, lo d ouphonique et la faculté d'inversion presque
illimiléc nuisent beaucoup à la clarté. En somme, ce projet,
ôvidiMuiuont dorectnoux. est certainoinonf moins imparfait, plus
simple et plus prati(iue que la plupart de ceux qui lui ont
succédé, et c'est là un mérite singulier pour son inventeur. Il
a ou lo |)romior corlainos idôi^s qui ont été appliquées avec plus
do rigueur et de bonheur dans d'autres systèmes : telles sont
l'idée de distinguer les parties du discours par leurs désinences;
l'idée do remplacer tous los cas, sauf l'accusatif, par dos prépo-
sitions; celle de supprimer dans los verbes toute distinction do
l>ersonnes: enfin l'idée de former régulièrement des dérivés
avec des suffixes do sons dot<M'miuo. Tout cela fait honneur à
l'ingéniosité et au jugement do l'auteur, et mérite que son nom
r\ son système soient sauvés de l'oubli.
CHAPITRE IV
PIR^O : UNIVERSAL-SPRACHE^
Dans une courte Préface, l'auteur expose d'abord la nécessité
croissante d'une langue auxiliaire pour les relations internatio-
nales (surtout commerciales), et l'impossibilité d'adopter pour
cela une langue nationale. « Nous n'adoptons donc aucune des
langues connues, ou plutôt nous les adoptons toutes : car nous
choisissons dans chaque langue les mots les plus connus et
ceux dont la prononciation donne le moins de difficulté » : par
suite, « le latin fournit la plus grande partie de ces mots ». Telle
est la base du vocabulaire. Quant à la grammaire, elle n'offrira
aucune des difficultés propres aux langues nationales : « elle
aura peu de règles, une seule conjugaison très simple », lal-
phabet « se composera de sons communs à toutes les langues ».
L'auteur avoue môme que sa langue serait encore plus simple et
plus régulière (par exemple dans la dérivation) s'il n'avait pas
voulu tenir compte des langues naturelles. Les langues qu'il vise
sont les cinq langues dans lesquelles son vocabulaire est traduit,
et dans lesquelles il se proposait de publier son ouvrage, à
savoir : le français, l'allemand, l'anglais, l'italien et l'espagnol.
Grammaire.
Valphabet (en lettres latines) comprend 6 voyelles : a, e, i. o. u
(ou), ù («); et 20 consonnes : b, c (ts), d, f, g (dur), h, j (y), k, 1, m,
n, p, q, r, s, t, v, x, z [Is), plus la lettre grecque a (ch).
Toutes les lettres se prononcent séparément.
1. Universal-Sprache, \on Pirro. 124 + 200 p. in-S- (Paris, Retniix, 1808).
Il existe des traductions de cet ouvrn.ire en français et en anglais.
PIRRO : UNIVERSAL-SPRACHE 257
\. 'article défini est el (sing.), li (plur.) sans distinction de genres.
L' article indéfini est un (sing. seulement).
Le substantif ost invariable ; le nombre est indiqué par l'article *.
Los cas sont indiqués par des prépositions : de, ad, ex.
\.c féminin (naturel) est indiqué par le suffixe -in : rex = roi,
rexin = reine: kavalin = jument.
L"a</;Vc/(/' est également invariable en nombre, en genre et en
cas. Ses deyrés sont indiqués, soit par les suffixes -er et -est, soit
par les particules mer et mest. Ex. : riker ou mer rik, plus
rirlw : el rikest ou el mest rik, le plus riche.
L»>s nombres cardinaïur sont :
un, du, tri, quat, quint, sex, sept, okt, nov, dec ; undec. 1 1 : dudec,
12:... duta, 20: duta un, 21 :... trita, 30;... cent, 100;... mil, 1.000;
milion: miliar. mille millions.
Los adjectifs ordinaux se forment (sauf le premier) au moyen du
suffixe (des adjectifs) -li : prim. 1": duli, 2»: trili, :)'".
Les adverbes ordinaux dérivent des précédents par Taddilion
d nii -t (suffi.xe des adverbes) : primlit, 1°: dulit, 2°.
I.ts nombres ordinaux servent aussi de nombres fractionnaires :
du trili = 2/3.
Les nombres de fois s'expriment avec le mot volt =: fois. On
substantifio les noms de nombre au moyen du suffixe -in : septin,
semaine.
Les pronoms personnels ont chacun deux formes, l'une pour le
nominatif, laulre pour l'accusatif et les autres cas. Ce sont :
1" p. s.
2« p. s.
3" p. s.
1" p. 1-1.
■i' p. pi.
.T p. pi.
Nom.
I
tu
li
nos
vos
ili
Ace,
etc. me
te
eil
enos
evos
eili
11 n'y a pas de distinction de genre, même à la 3« personne.
Le ])rononi réfléchi est se (ace).
Les adjectifs possessifs sont :
1« p. s.
•2"- p. s.
y p. s.
1" p. pi.
•2' p. pi.
3' p. pi.
Siiig.
men
ten
sen
nor
vor
lot
Plur.
ment
teni
seni
nori
vori
lori
On voit qu'ils varient en nombre, mais non en cas.
1. Le pluriel indéfini est marqué par l'absence d'article : I habe un
kaval, y'flj un cheval; I habe kaval.y'rt/ des chevaux.
CouTCRAT et Leav. — I.Anguo univ. ' '
258 SECTION III, CHAPITRE IV
Les pronoms possessifs sont les adjectifs possessifs précédés de
l'article défini (el, 11).
Les adjectifs-pronoms démonstratifs sont invariables en genre :
Sin^. dit, celui-ci; dat, celui-là.
Plur. diti, dati.
Le pronom relatif interrogatif unique est : ke (sing.), kei (plur.)
invariable en cas.
Les principaux pronoms indéfinis sont : on, on: jed, chaque: un,
quelque : nul, aucun: tôt, tout; tal, tel; alter, autre: self, même. Ils
prennent un -i au pluriel (sauf les 2 premiers).
Les verbes ont tous la même conjugaison. Ils sont invariables
en personne et en nombre. On ajoute au radical verbal -en pour
former l'infinitif, -ant pour le participe présent, -ed pour le parti-
cipe passé ; -e pour l'indicatif présent, -ed pour le passé, -rai
pour le futur, et -rais pour le conditionnel présent. Les temps
secondaires se forment au moyen de l'auxiliaire haben (avoir)
et du participe passé. L'impératif se réduit au radical verbal.
Exemple : lob (idée de louange).
loben := louer, lobant = louant, lobed = loué.
Indicatif présent : lobe.
— passé : lobed.
— futur : lobrai.
— futur antérieur : habrai lobed.
Conditionnel présent : lobrais.
— passé : habrais lobed.
Impératif: lob.
Le passif se forme au moyen de l'auxiliaire esen {être) et du
participe passé :
Infinitif : esen lobed
Indicatif présent : ese lobed
— passé : esed lobed
— futur : esrai lobed
— futur antérieur : esrai esed lobed
Conditionnel présent : esrais lobed
— passé : esrais esed lobed
Impératif : es lobed
Les verbes réfléchis se forment à l'aide du pronom réfiéchi se à
la 3'= personne, et des pronoms personnels à l'accusatif aux
autres personnes : se loben, se louer; I lobe me, Je me loue.
Les adverbes dérivés d'adjectifs se forment par l'addition d'un
PIRRO : UNIVERSAL-SPRACHE 259
-t : totlit, totalement: gradlit. (jraduellemenl: nuovlit. récemment;
naturlit, naturellement : unlit, seulement.
Les adverbes primitifs n'ont pas de forme spéciale. Los princi-
paux sont : jes. oui: non, non: di, ici: da, là: nun. maintenant:
mai. jamais: semper, toujours: oft, souvent: jam, déjà: bald, bientôt:
tant, autant: quant, combien: molt, beaucoup, très: sat. assez: trop.
trop: vo, 0»?
\j's préi)ositions sont empruntées la |)lupart au latin : ad, de,
ex, in, per, pre, post, pro, sub, inter: kon, avec: sin, sans: kontra.
'•onire: tra, à travers: tlL jusqu'à: um, autour: up, sur: uper,
au-dessus de.
I..CS conjonctions sont formées de môme : e, et: o, ou: ed, aussi:
ma, (drus: den (D.), car: ferner (D.), en outre: si. si: quan, quand:
ke, (ytu': perke, y^arce ryue: exke, depuis que: postke, ajirh (jue:
tilke, jusqu'à ce que.
La Syntaxe est extrêmement simple : l'auteur ne donne [tas de
règles de construction, et se borne à recommander de suivre
l'ordre naturel et d'éviter les inversions. Dans les exemples qu'il
donne. le réirinio direct suit toujours le verbe : El man de ke vos
habe vided el sonin = L'Iiomme de qui vous avez vu la jille '.
VOC.VBULAIRE.
L'ouvrage de Pirro contient un Lexique allemand- universel de
<S7 pages (à 3 colonnes), et un « Verb-bibel » universel rrant:ais-
allemand-anglais-italien-espagnol de 23t") pages, contenant au
moins 7000 mots: plus un Lexique géographique, où les noms
géographiques sont adoptés avec l'orthographe nationale. Les
radicaux send)lent empruntés un peu au hasard aux langues
vivantes et surtout au latin. Les radicaux germaniques sont assez
rares : on remarque : hand ^ main : hund = chien ; haus = maison ;
held — - héros: help = aide: hirn =r. cerveau: varm = chaud: vald =
l'orcl: vang = joue :vaser^ eau: vork = ouvrage: vund = blessure:
vil = volonté: vild = sauvage: vind = vent. Les noms des saisons
sont mi-germanrques, mi-latins : printemp. somer. vintemp,
vinter. Les noms des mois sont germano-latins : Januar. Februar,
I. Constriiclion française; tandis que rallemand dit : l>er Mann dessen
Tocfiter ihr geseUen habet.
260 SECTION III, CHAPITRE IV
Mars, April, Mai. Juni, Juli, August, September, Oktober, November,
December: ceux des jours de la semaine sont plutôt latins :
Lundai, Mardai, Erdai, Jovdai, Vendai, Samdai, Diodai. A côté de
pater (père), mater (mère), on a : son (fils) et sonin (fille): man
(homme) et manin (femme) *.
La dérivation s'eflectue régulièrement par l'adjonction de suf-
fixes aux radicaux. Outre le suffixe du féminin -in, et le suffixe
verbal -en, il y a un suffixe -iet pour former les diminutifs: un
suffixe -nes(D., E.)pour former les substantifs (abstraits) dérivés
d'adjectifs; des suffixes -er pour désigner l'agent, -stan le lieu, et
-toi rinstrument de l'action: plus des suffixes indéterminés
empruntés au latin : -al, -el, -ur, -tat, -ion ou -sion. Pour former
les adjectifs, on a les suffixes -li pour les qualités passives
{•ly E., -lich D.): -iv ou-ant pour les qualités actives: -fol (E. -fui,
D. -voll) ou -rik pour désigner la plénitude ou l'abondance:
le préfixe an- (G.) pour désigner le manqu(> ou l'absence:
enfin les suffixes indéterminés -al et -ik. Exemples : viv = vie,
viven = vivre, vivli = vif, vivlines = vivacilé: visen n= savoir,
visnes = science, visli = scientifique : maniet = garçon, manietin =
fille, manli = viril, maninli = féminin: kost = prix, kosten =
coûter, kostli = précieux: anfidli = infidèle: anfirm = infirme,
anfirmnes = infirmité, anfirmstan = infirmerie: observatnes =
observation, observatstan = observatoire : anfinited = infini, anfi-
nitiv= infinitif: monak, monakal : lir, lirik: spiritfol ^= spirituel, etc.
Les mots composés se forment en juxtaposant les radicaux :
lobkant =: hymne: vapornav = bateau à vapeur: Unedstat = États-
Unis.
Voici un échantillon de VUniversal Sprache : « Men senior, I
sende evos un gramatik e un verb-bibel de un nuov glot nomed uni-
versal glot. In futur I scriptrai evos semper in dit glot. I pregate
evos responden ad me in dit self glot. »
Critique.
PiRRO a eu le mérite de formuler le premier avec netteté les
l)rincipes d'une langue a posteriori vraiment internationale et
neutre. Sa grammaire est régulière et simple, trop simple peut-
1. L'auteur n'a pas évité les homonymes : post = api^ès et poste.
PIRRO : UNIVERSAL-SPRACHË 261
ôtre (par exemple (piami il supprime le pluriel des substantifs
pour le IranslV'rer aux artieles ou pronoms ('oncf)niitants). Les
formes de la conjugaison sont heureusement choisies; on n'en
peut pas dire autant des flexions qui les traduisent : comme elles
sont empruntées trop servilement aux lanf^ues vivantes, leur liélé-
rogénéilé ressoi't d'une façon chociuanle i-en 1)., -ant F., -ed K. :
-rai, -rais F.). De plus, elles ofl"reut un autre inconvénient : c'est
(pie les peuples aux<piels elles sont empruntées seraient leidés
irrésistiblement de les prononcera la manière nationale t-ant
nasal; -rai, -rais comme ré, rè: -en D. non accentué, etc.). L'em-
ploi de l'auxiliaire être pour le verbe être lui-même est une
inconséquence (et un germanisme).
Le vocabulaire pèche aussi par l'hétérogénéité, non pas que
nous blAmions l'introduction de racines germaniques, mais
parce qu'elles ne sont pas suffisamment fondues avec les racines
latines. C'est surtout dans les dérivations que cette hétérogé-
néité apparaît, et donne lieu h des doublets : ainsi à côté de
observâmes, on a observatsion: de violnes. violatsion: de trans-
formnes. transformatsion: de ratsionli, ratsionaL etc. En outre, les
suffixes de tiérivation n'ont pas un sens assez i)récis et spécia-
lisé : -nés exprime à la fois l'état ou la qualité, l'action, le résultat
d(> l'action : vedovnes = veuvage, vildnes = sauvfKjerie et déserL
viatnes ^=: voynije, kennes -- connaissance, manifestnes = manifesta-
tion, haines =: hachis. Cela vient de ce que l'auteur fait corres-
[tondre ses suffixes aux suffixes des langues naturelles, et non à
une idée bien iléter minée •. Ainsi, dans veines = voilure, piknes
= piqiire, sodnes = soudure, le môme suffixe -are répond à des
idées bien dilïérentes.
Malgré ces imperfections, le projet de PiRRO a plus de qualités
et moins de défauts que la plupart des projets postérieurs, et,
vu l'époque où il a paru, il fait grand honneur à son inventeur.
1 . Nous avons déjà remarqué ce défaut dans le Volapttk.
CHAPITRE V
VOLK ET FUCHS : WELTSPRACHE »
Les autours de cette langue sont très sobres d'explications sur
leur système. Ils ont pris pour base le vocabulaire latin, « parce
que non seulement il est connu do tous les gens cultivés, mais
encore parce qu'il est le fondement des langues romanes ».
Grammaire
IJalphabel comprend 7 voyelles, 5 pures : a, e, i, o, u, et 2
inlléchios : à, ô *: et 14 consonnes : b, c, d, f, g, j, 1, m, n,
p. r, s. t, V. Les voyelles u, à, ô, se prononcent comme en alle-
mand: c se prononce toujours k: g est toujours dur: j se pro-
nonce y (comme en D.).
L'accentuation est soumise à des règles assez compliquées qui
tondent à faire coïncider l'accent avec l'accent latin, malgré
l'altération (abréviation) des radicaux et des désinences.
11 y a un article défini le (plur. les) et un article indéfini un (sing.
seulement) qui sont invariables en genre et se déclinent comme
suit :
Sing. Plur. Art. ind.
Nom. le les un
Gén. lis lum unis
Dat. li lib uni
Ace. la las una
1. Die Weltsprache, entvorfen auf Grundlage des Laleinischen, zum
Selbstunterricht, von A. Volk und R. Fuchs, 105 p. 8° (Berlin, Kiihl, 1883).
La préface est datée de janvier 1882.
2. Qui correspondent aux ae, oe du latin.
VOLK ET FUGHS : WELTSPRACHE 263
Los substantifs n'ont pas de genre non plus. La difTérence de
genre est in(li(|iu''(', soit par des mots différents : pater. mater:
frater, soror: leon=^ lion, leàn = lionne: soit par le sul'lixo féminin
-in : fil ^=Jlls, filin = fille: lup = loup, lupin = louve.
Ils ont deux déclinaisons, une « organique » (synthétique) et
une « mécanique » (analytique).
Les substantifs dont le radical se termine par une consonne
(c'est la grande majorité) suivent la déclinaison synthétique,
marquée par les désinences suivantes (— représente le radical) ' :
Singulier Pluriel
Nom. — — es
Gén. — is — um
Dat. — i — ib
Ace. — a —as
Les substantifs dont le radical se termine par une voyelle (mots
étrangers) sont invariables; seul l'article se décline (comme avec
les autres substantifs, d'ailleurs).
Knlin les noms propres, n'ayant i)as d'article, sont simplement
précédés dos [)articules de au génitif et a au datif.
Les adjectifs sont invariables, soit comme épithètes, soit comme
attributs (prédicats). Ils ne varient que lorsqu'ils sont employés
substantivement (avec l'article). Ils prennent alors les suffixes -a
au féminin ^ et -ot au neutre.
l.e^deyrés de comparaison s'indiipient, soit d'une manière synthé-
tique, soit d'une manière analytique, comme le montre l'exemple
suivant :
grand: grandio. plus grand: grandisse, le plus grand^:
ou : mage grand. — magisse grand, —
Les noms de nombre sont :
un, du. très, cvart. cvint, secs, sept, oct. nov, dec: undec. 11 :
dudec. 12, tresdec. 13:... vigin. 20: unvigin. 21:... tresgin, 30:
cvargin, 40 ; cvingin, 50 : secgin. («O : sepgin. 70 : ocgin. so : nogin. '.•0 :
cent. 100: cent un. 101:... ducent. 200. etc. (comme les dizaines);
mil. 1.000: du mil, 2.000. etc. : million.
1. Los désinonccs is, i. es, um. ib rappellent la 3" déclinaison latine; les
désinences a et as rappellent la 3" déclinaison grecque.
2. On reniar(|uera (juc ce sufllxe n'est pas le même que le suffixe des
substantifs féminins (-in).
3. Les adjectifs (assez nombreu.x) en -iv perdent cette terminaison aux
degrés de comparaison : diligentiv. diligentio, diligentisso.
264 SECTION III, CHAPITRE V
Ils sont tous invariables, sauf un, qui se décline et peut s'em-
ployer substantivement.
Les adjectifs ordinaux dérivent des nombres cardinaux au moyen
du suffixe -iv, sauf les deux premiers : primiv, secundiv, tresiv,
cvartiv, etc. ; centiv, cent primiv, etc.
Les adverbes ordinaux dérivent des nombres ordinaux i)ar le
changement de -iv en -o : primo, secundo, treso, cvarto....
Les nombres multiplicatifs sont : simplo, duplo.... decplo...
Les nombres de fois (répétitifs) sont : semel, dumel...
Les fractions s'énoncent comme suit : un dupart. 1/2; du
trespart, 2/3.
Enfin les noms de nombre se substantifîent au moyen du
suffi.xe -ad : tresad, la triade: tresunad, la Trinité.
Les pronoms personnels sont, au nominatif et au singulier :
1" p. 2' p. 3" p. m. 3" p. f. 3'' p. n.
em at il el it
Ils se déclinent comme les substantifs, seulement le r-adicaldes
2 premiers se réduit aux cas obliques à m, t : mis, mi, ma : mum,
mib, mas. Ainsi les pronoms du pluriel sont, au nominatif :
ems, nous; ets, vous; ils, ils ; els, elles; ils, ils (neutre).
Il y a en outre un pronom de politesse : vos [vous) qui se décline
comme un substantif et fait par suite au nom. pluriel : voses; un
pronom réfléchi ^ se (sis, si, sa; ses,...) et un pronom indéfini on
(onis, oni, ona; ons...).
Les adjectifs possessifs sont, pour les personnes du singulier :
mon, ton, von, son (m.), san (f.), son (n.).
et pour les personnes du pluriel :
not, vot, vosot, lot (m.), lat (f.), lot (n.).
Ils se transforment en pronoms possessifs quand ils sont pré-
cédés de l'article le. Ils sont invariables comme les adjectifs. Ils
peuvent se remplacer par le génitif du pronom personnel corres-
pondant (comme en Volapûk); cela est même obligatoire pour
celui de la 3<= personne, quand il n'est pas réfléchi.
Les pronoms démonstratifs sont :
die (m.), dac (f.), doc (n.), celui-ci, celle-ci, ceci;
lie (m.), lac (f.), loc (n.), celui-là, celle-là, cela;
1. Le pronom réfléchi s'emploie pour désigner le sujet de la proposition
(ou de la proposition principale, lorsqu'il se trouve dans une proposition
subordonnée).
VOLK ET FLCHS : WELTSPRACHE 265
dicil, dicel, dicot, celui {qui) ;
lemet, lemat, lemot, le même.
Ils se décliiioiit comme des substantifs.
Le pronom relatif osl :
vel (m. f.), vet(n.), qui, que.
Le pronom interrogalif esl :
vil (m. 1'.), vit (n.), qui? que?
Les principaux pro/ioms indéfinis sont :
onal (m. f.), onot (n.), maint.
alon — alot — quelque.
nalon — nalot — aucun.
tal — talot — tel.
alvel — alvelot — chaque.
velon — velot — tout.
Les verbes ont tous linlinitif actif terminé en -an. Us ont deu.v
conjugaisons, suivant qu'ils sont monosyllabiques ou poly-
syllabiques. Les deux conjugaisons se distinguent par ce que
les premiers prennent comme préfixes et les seconds comme
suffixes les caractéristiques des temps, qui sont :
pour le présent : néant.
— V imparfait : a.
— le parfait : e.
— le plus-que-parfail : i.
— \e futur : o.
— le futur antérieur : u'.
Les modes sont indiqués par les suffixes a [indicatif) et à {sub-
jonctij, optatif et conditionnel). Les temps tlu su6/o/jc///' correspon-
dent au présent et au parfait; ceux de Voptatif, à l'inqiarfait et au
plus-que-parfait; et ceux du conditionnel, aux deux futurs de l'in-
<licalif.
La voix passive ne diiTère de la voix active que par le change-
ment des voyelles des modes a et à en o et ô.
La conjugaison des modes personnels s'elTectuc au moyen des
désinences personnelles suivantes * :
!• p. s. 2' p. s. 3' p. s. 1' p. pi. 2* p. pi. 3» p. pi.
-m -s -t -mi -si -ti
1. Quand ces voyelles sont suf(l.xes, elles sont suivies d'un s qui les
sépare du suffl.\e caracléristiiiue des modes (voir plus bas).
2. Empruntées aux langues anciennes, surtout au grec.
266 SECTION III, CHAPITRE V
Voici par exemple l'indicatif présent du verbe diligan, aimer :
em diligam. j'aime.
at diligas, tu aimes.
il diligat, il aime.
ems diligami, nous aimons.
ats diligasi, vous aimez.
ils diligati, ils aiment.
Il faudrait conjuguer de môme tous les temps, dont voici le
tableau complet :
ACTIF
SUBJONCTIF
em diligam.
em diligesàm.
INDICATIF
Présent : em diligam
Parfait : em diligesàm
Imparfait : em diligasam
Plus-que-parfait : em diligisam
OPTATIF
em diligasam.
em diligisam.
CONDITIONNEL
em diligosàm.
em diligusâm.
Futur : em diligosàm
Futur antérieur : em diligusâm
I.MPÉRAT1F (présent) :
2*^ pers. sing. : diliga plur. : diligate.
INFINITIF PARTICIPE
Présent : diligan. diligant.
Passé : diligesan. diligesant.
Futur : diligosan. diligosant.
Pour obtenir les temps correspondants du passif, il suffit de
remplacer partout dans la dernière syllabe a et a respective-
ment par 0 et ô.
Le verbe san, être, étant monosyllabique, a les formes sui-
vantes (correspondantes) :
em sam
em sàm
em esam
em esam
em asam
em asam
em isam
em isâm
em osam
em osàm
em usam
em usâm
sa
sate
san
sant
esan
esant
osan
osant
VOLK ET FUCHS : WELTSPIIACHE 267
On conjuf^iio de même le verbe son, devenir; il suffit tlo rom-
placor partout a ot a par o rt ô. Lo vorbe avoir se dit lan.
Les verbes impersonnels se mettent h la 3* pers. sing. avec le
sujet it (neutre) : it oportat, il faut: it decat, il convient.
Les auteurs vont jus(prà conserver les faux inipcrsoniwl.'i du
lalin avec leur construction bizarre : it ponitat ta ton negligentitis
= ta te repens de ta négligence (L. te pœnitet tux néglige nliœ).
I.a négation s'exprime par non devant le verbe.
L'interrogation s'exprime en plaçant après le verbe, soit son
sujet, soit l'enclitique -ne (L.).
I,(>s adrerht's (It'rirês se tei'mincnt généralement en -e: bon.
bone: diligentiv, diligente'. Leurs degrés de comi)araison se
loiment comme ceux des adjectifs : bone, bonie, bonisse. Ceux
des adrerbes i)rimilifs se forment analytiquement (au moyen
de mage, magisse).
Ces derniers sont empruntés en général au latin. Mais les
adverbes démonstratifs, relatifs-interrogalifs et indéfinis sont
construits a priori, en coi'rélation entre eux et avec les [)ronoms
analogues. Ainsi aux adverbes relatifs-interrogatifs suivants :
vo vinde cvo van cvote vam
OH d'où où ([uand combien comment
correspondent les adverbes indéfinis :
alvo alvinde alcvo alvan alcvote alvam
n'importe où
el les adverbes démonstratifs :
le Une lo nunc tote tam
ici d'ici vers ici maintenant autant de fois aatant
Les prépositions et les conjonctions sont presque toutes emprun-
li'(>s au latin.
La Syntaxe est particulièrement soignée et détaillée, et illustrée
de nondireux exemples. Toutes les prépositions régissent le
nominatif (la distinction du lieu où l'on va est marquée par la
variation de la préposition : in. ini>. Le genre (dans les |)ronoms
notamment) est toujours naturel. Le complément essentiel d'un
adjectif (son objet) se met à l'accusatif (comme parfois en latin
et en grec) : le vent sat util la notera, le vent est utile au navigateur:
le sim sat simil la gomona. le singe est semblable à l'homme.
De lut'ine. \o comi)lément direct (ou unique) du verbe se met
\. Ici oncore la terminaison -iv disparaît.
268 SECTION III, CHAPITRE V
toujours à l'accusatif : le frig nocat las arboras, le froid nuit aux
arbres : le puer ludat la mendica, l'enfant se moque du mendiant.
Le complcnient indirect se met au génitif ou au datif, suivant
le sens : em gloram ma lis amicis, je me vante de mon ami; em
gloram ma 11 amici. je me vante à mon ami.
Pour la corresi)ondance des temps et modes des propositions
principales et subordonnées, les auteurs adoptent les règles
compliquées du latin. Le subjonctif s'emploie dans tous les cas
d'incertitude, d'interrogation, d'intention, de discours indi-
rect, etc. *. On admet même la proposition infinitive avec le sujet
à l'accusatif : at scias, ma diligan ta = tu sais que je Vaime.
D'autre part, rinfiiiitif s'emploie à l'actif ou au passif suivant
le sens : il sat terribil specton, il est terrible à uoir(litt. : àêtrevu). Le
participe, avec ses trois temps, peut souvent remplacer toute
une proposition relative. Ex. : la vira, timanta nalota in le mund,
non terrosat le mort, la mort n'effraiera pas l'homme qui ne craint
rien au monde.
Le conditionnel est employé (fort logiquement) dans la proposi-
tion conditionnelle aussi bien que dans la principale : si em
olàmtempa, scribosâmunaepistola, si j'avais (litt. -.j'aurais) le temps,
j'écrirais une lettre.
Pour la construction, l'adjectif-épithète, le nombre et le pronom
se mettent en général devant le substantif; le génitif se met
après. Le sujet se met avant le verbe; l'adverbe et les complé-
ments après. Mais cet ordre normal peut être interverti sans
inconvénient, grâce aux cas (à l'accusatif surtout), comme le
montre l'exemple cité plus haut (la vira timanta...).
Vocabulaire.
Le vocabulaire csl emprunté en grande partie au latin. Les mots
latins doivent subir quelques altérations, d'abord à cause de
l'absence de certaines lettres : au se change en o, eu en e, y en i,
k, ch et sch en c, qu en cv, zen s, x en es, th en t, ph en f, et /i en g :
ensuite, parce que, pour se soumettre à la déclinaison unique,
1. Les auteurs sont surtout guidés par l'usage allemand. Ex. : it sat bon,
ce at venas, il est bon que tu viennes (D. : dass du kommst, indic); em
credasam, ce il sciasât ita, je croyais qu'il le savait (dass er es icusste,
subj.).
VOLK ET FUCHS : WELTSPRACHE 269
les substantifs doivent avoir le radical terminé par une consonne.
Los désinences -a et -us sont supprimées: les noms de la
3'^ déclinaison sont réduits à leur radical (obtenu en supprimant
la désinence -is du génitif). Ex. : fin, pan, mar, flor, milit, lact,
pac. bov. greg. nub. mont. cord. itiner. carn icxceplion temp. d(;
leminis). l.cs mots eu -o prciiiicid un n : carbon, virgon, ordon,
gomon {homme). Les noms de la 5° déclinaison prennent aussi
un n au lieu de s final : spen = espoir (spes), din = jour (dies),
facin =:face (Jhcies).
Certains mots sont plus altérés : fil = fils (fllias): vict = vic-
toire (Victoria): avac = eau [aqua): igen =feu (ignis): tant = enfant.
Les adjectifs sont modifiés suivant les mêmes règles: ils
prennent souvent la désinence -iv.
Les verbes prennent à l'infinitif la désinence -an. qu'on sub-
stitue à V-o final du présent latin (à -or dans les déponents) : dan.
donner: ridan, rire: locvan. parler.
Outre les mots latins, la langue adopte tous les € mois étran-
gers » iidernationaux : dogma; rapport: telescop; cemi (chimie);
basar: pot: gans:firma: tallor (/oi7/eijr): etablan le/ab/jr). Quelques
mots allemands sont (Muployés pour éviter l'équivoque des
racines latines : glas = verre (à boire); bue = livre: monat =
mois (mens ^= table) ^. Pour la même raison, quelques racines
latines sont légèrement alt<''r<'es : judec = jutic <Jiiflir-i!<\: judic
= jugement (judicianv. '
L(>s auteurs forgent même des mots à racines latines, comme
antores. prédécesseurs, ancêtres, et postures, successeurs, postérité.
Les auteurs admettent, outre les désinences caractéristiques
([ue l'on connaît déjà (-iv pour les adjectifs, -e pour les adverbes)
quelques suffixes de dérivation : -in i)our les êtres féminins:
-or pour les êtres masculins; -ol pour les diminutifs : filol =
filiolus (L.): -on pour les fruits et diverses autres choses : malon
= pomme : ovon = œuf^.
\ oici. à titre d'échantillon de cette langue, la traduction
(lu Ptiler :
Not pater, val sas in les côles, ton nomen sanctôt, ton regnon
venàt, ton voluntat sot vam in le col, tam in le ter. Not diniv pana
da mib godie. Condona mib not culpa. vam ems condonami not
I
I. Cr. VEsperanto.
2. Cet -on correspond à la désinence neutre -tim (L.) ou -on (G.).
270 SECTION III, CHAPITRE V
debitorib. Non duca mas in tentation, sed libéra mas lis malot
(ou : ab le malot).
Critique.
Ce projet est intéressant et bien étudié. Mais sa grannnaire
est encore trop compliquée. D'une part, la déclinaison de l'ar-
ticle fait double emploi avec celle du substantif: dautre part, la
variation du verbe suivant les personnes fait double emploi avec
les pronoms. La déclinaison et la conjugaison font un effort
louable pour se rapprocher des langues connues, du latin sur-
tout: mais les désinences des cas sont peu harmonieuses et
manquent d'homogénéité, tandis que les désinences person-
nelles ont troj) de symétrie et d'uniformité. Malgré la tendance
a posteriori de l'ensemble du projet, la méthode a priori y a une
part excessive, d'abord dans les caractéristiques des temps
(3, e, i, 0, u), ensuite dans la construction des pronoms et
adverbes démonstratifs et autres. La synta.xe est également trop
compliquée, et inutilement, comme le montrent les exemples où
le même verbe est à l'indicatif en français et au subjonctif en
allemand, ou inversement. En revanche, elle offre certains avan-
tages de souplesse et de brièveté (grâce à l'accusatif et aux trois
temps du participe).
Dans le vocabulaire, les mots latins sont trop souvent déformés
par suite du manque de lettres, ou par certaines tendances
a priori assez peu conformes à l'esprit du système. Ex. : libiv :=
libre (cf. libéral, liberan, liberalitât, libertât); patrut := patrie (cf.
patriv = de la patrie, adjectif).
D'autre part, malgré le petit nombre des suffixes caractéris-
tiques, les auteurs admettent beaucoup de radicaux qui se ter-
minent comme ces suffixes, ce cjui est fait pour induire en
erreur; notamment, il y a beaucoup de noms terminés en -an et
-on, comme des infinitifs : vétéran, gortulan (jardinier), guman
(hiimain): gomon, coron {couronne), curon {soin), laton {côté), turbon
{tourbillon), girundon {hirondelle), imagon, altitudon (et tous les
mots latins en -itudo), materion, latron, brigand (cf. latran, aboyer).
De même, il y a une foule de mots qui ont l'air de dérivés, et \
qui n'en sont pas. Ex. : indig= indigne, indigan=: avoir besoin de; l
ir =: colère, iran = aller: jur = droit, juran = jurer: juv ^=^ jeune
(juven = jeune homme), juvan = aider: leg = loi, legan = lire: nub
VOLK ET FUCHS : WELTSPRACHE 271
= miaye, nuban = se marier: vest = ouest, vestan ^= l'clir ivestit
= vêtement, \.. reslis).
Kn revanche, il y a des mots qui ne dérivent pas (régulière-
ment) (le ceux dont ils devraient dériver : gomon = homme,
guman = humain: niv = neige, ningan = neiger; div = dieu, dean
= déesse; matelot, notor et nofrag ne dérivent pas de nav =
navire. De pir = poirier d('*rive piron = poire: mais malon =
pomme ne dérive pas de mal, et si vin signifie la vigne, vinon ne
désigne pas le raisin (son fruit), mais le vin. Cette même finale
-on sert encore ù distinguer (assez ingénieusement d'ailleurs) des
mots dont les radicaux se confondraient : sal = sel et salon: ov
= brebis (L. ovis) et ovon = u'u/(L. ovum); or = bouche (L. oris),
oron =^or (L. aurum), orel = oreille (L. auris)K Knfin les auteurs
admettent des homonymes qui ne se distinguent que par la
quantité, couime les pronoms possessifs son et san (brefs) et les
verbes son et san (longs). Kt il ari'ive qu'un même mol ait plu-
sieurs sens, comme gumanitat = humanité.
I. Heure (hora) so dit gor, "d'où gorlog = horlof/e.
CHAPITRE VI
GOUIITONNE : LANGUE INTERNATION ALE NÊO-LATJN E^
Depuis 1867, mais surtout de 1875 à 1881 , l'auteur avait conçu le
projet d'une langue internationale ayant pour base le latin. Il se
proposait de réduire au minimum le nombre des radicaux, et de
remplacer les autres par des mots dérivés et composés réguliè-
rement formés*. Mais, au commencement de 1881, il fut frappé
du grand nombre des radicaux communs aux langue^ romanes,
et dès lors il résolut de les employer comme matériaux d'une
« langue auxiliaire néo-latine », qui pût servir d'intermédiaire entre
les peuples de langue romane. Par là, il sortait du domaine du
latin classique, où il s'était primitivement confiné, et tendait à
l'enrichir d'éléments plus modernes empruntés aux langues
romanes, aux « langues-sœurs » (français, anglais, italien, espa-
gnol, portugais).
La matière de la langue étant ainsi déterminée, l'auteur en
soumit la forme aux règles suivantes : l^ Monosyllabisme absoludes
éléments lexicologiques : 2° Uniformité de sens des radicaux et
des ai'fixes ; 3° Uniformité de son des lettres, d'où orthographe
phonétique.
1. E. CouRTONNE, Lançiue internationale néo-latine, ou lancfage auxiliaire
simplifié destiné à rendre possibles et faciles les relations directes entre tous
les peuples civilisés d'origine latine (48 p. in-8"). Extrait du Bulletin de la
Société niçoise des sciences naturelles, historiques et géographiques (Nice,
Visconti, 1885). — Manuel populaire et abrégé de la langue néo-latine
usuelle, etc. 48 p. 8° (Nice, 1885). C'est, à notre connaissance, Courtonne
qui a le premier employé l'épithète auxiliaire pour caractériser une langue
internationale.
2. C'a été justement l'idée directrice du D' Zamenhof dans l'élaboration
de YEsperanto.
COURTONNE : LANGUE NÉO-LATINE 273
Grammaire.
L'«/p/in6e/ comprend 2;i Iclli-cs : i) voyelles : a. e. i, o. u ton), a
(eu)\ et 10 consonnes : b, c (ch), d, f, g (toujours diu). h ou il
(.'/"^. Ç U lVan(:ais), j [y), 1, m,n, p. q (A),r. s. t, v, w (u» anjflais), a.
Vaccenl porte sur ravanl-dernière syllabe du mot entier.
L'article défini est le, invariable en genre et en nombre: Varlicle
indéfini est un ;ui sing. et una au |)luriel (sens de quelques).
Les substantifs se terminent tous en -o ou en -a. Ces deux dési-
nences correspondent, quand il y a lieu, au genre natund : o au
masculin, a au IVMuinin : padro. père: matra, mère: fijo. fils: fija.
fille. Le pluriel se forme par l'adjonction de -s au singulier.
Les adjectifs se terminent tous en e; ils sont invariables (sauf
eu degré; voirie Vocabulaire).
Les nombres cardinaux simples sont : jun, I : du. -: ré. .{ : qat. i:
cin, a: sis, 6: pê, 7: to, 8; non, 0; zer, 0.
Les nombres cardinaux composés île plusieurs chifl'res s'énon-
cent par tranches île trois chilTres : on nomme les 3 cbilTres suc-
cessifs, et on les fait suivre du nom de l'ordre d'unités corres-
pomlanL (pii est un pour les unités, il pour les mille, on pour les
millions, don pour les billions , rôn pour les trillions. el ainsi
de suite. Ainsi 1 s'énoncera : zer-zer-jun un.
Les nombres ordinaii.r (adjectifs) se forment île la preniiérr h-llie
des nond)res cardinaux el du sufli.xe -ema. Ce sont : jema. dama,
rama. qema. cerna
Les niiiithres mnltiidirnlifs se forment de même avec le suffixe
-upla . jupla. dupla. rupla, qupla. cupla....
Les nombres fractionnaires ou par/i/j/s (substantifs) se forment de
même avec le suffixe -iza : jiza. diza, riza, qiza. ciza,...
Kntiu \cs substanlijs numéraux (la paire, la di:aine) se forment en
ajoutant a ou -ita aux nombres cardinaux: juna. dua. rêa... ou :
j uni ta. duita. rèita
Les pronoms personnels sont :
1" p. 0' p. 3* p. m. f. n.
Sing. : mi. ti. li ou lo. la. lu:
Plur. : mis, tis. lis ou los, las, lus.
ï
Le pronom réfléchi csl si.
CouTURAT ot Leau. — Langue nniv. 18
274 SECTION III, CHAPITRE VI
Les pronoms possessifs ont les 3 désinences -o, -a, -u suivant les
genres et prennent -s au pluriel. Ils sont au masculin sing.
l'"<' p. s. : miô ou mô; l'<^ p. pi. : misô ou msô;
2« p. s. : tio ou tô; 2' p. pi. tisô ou tsô;
3" p. s. : lio ou lô; 3^ p. pi. : lisô ou Isô.
Le pronom possessif correspondant au pronom réfléchi est :
siô ou sô.
Les adjectifs possessifs diffèrent des pronoms possessifs en ce
qu'ils sont invariables, et ont pour désinence 9 : mia, tia, lia.
misa, tisa, Usa, sia; ou : ma, ta, la, msa, tsa, Isa, sa.
Le pronom relatif {qui) est : qi ou qeli, qui prend les désinences
des 3 genres au singulier et au pluriel.
V adjectif relatif (quel) est : qel, pluriel : qela.
Les adjectifs démonstratifs sont : ste, celui-ci: sle, celui-là. Ils
prennent a au pluriel.
Les pronoms démonstratifs correspondants sont :
Sing. : sti, sto, sta, stu: sli, slo, sla, slu;
Plur. : stis, stos, stas, stus: slis, slos, slas. slus.
De môme, les pronoms indéfinis se distinguent des adjectifs indé-
finis correspondants par la variabilité de leur désinence; ceux-ci
ne varient qu'en nombre (pluriel en -a). Citons-en quelques-uns :
tal ^= tel: qeq = chaque: qelq = ciuelque: ned = aucun: omn =
tout: âl = autre, etc.
Les verbes se terminent tous en -ar à l'inlinitif, et se conjuguent
tous comme le verbe ar {être), de sorte qu'il suffit d'ajouter
celui-ci au radical d'un autre verbe pour conjuguer celui-ci.
Les personnes sont indiquées par les désinences m, s, t: mo, te,
no. Ainsi Tindicatif présent du verbe aimer se conjugue ainsi :
amam, amas, amat; amamo, amate, amano.
Les autres temps et modes se conjuguant de même, nous n'en
donnerons que la f" pers. sing.
Indicatif imparfait : amem.
— futur : amom.
Conditionnel présent : amum.
Subjonctif présent : (qe) amam.
— imparfait : (qe) amim.
Tels sont les temps principaux ou simples; à chacun d'eux cor-
respondent deux temps composés (antérieurs) indiquant deux
degrés dans le passé :
COURTONNE : LANGUE NEO-LATINE 275
amavam, j'ai aimé; amevam, j'ai eu aimé,
amayem. j'avais aimé; ameyem, j'avais en aima.
amavom. j'aurai aimô; amevom. j'aurai en aimr.
amavum. j'nurais aimé; ameynm, j'aurais eu aimé.
L'imp<îra/i/"est semblable au subjonctif présent (à partial" pers.
sing.) : amas, amat: amamo. amate, amano.
Les injinilij's sont :
présent : amar ; passé : amavar:
futur: amor; futur aulérieur : amavor.
U y a des participes correspondant }\ tous les temps, et même au
conditionnel* et à l'impératif :
présent: amante: parfait: amavante;
imparfait : amenta; plus-que-parfait : amaventa;
futur: amonta: futur antérieur : amavonta;
1,0 passif se forme en intercala ul un w (ou) avant la désinence
verbale (formée par le verl)e être) : amwar = être aimé. De même,
la forme donblemenl active s'obtient en intercalant à la même place
un j : amjar = faire aimer.
Les participes passifs sont aussi nombreux que les participes
actifs et leur correspondent. Ce sont, par exemple :
présent : amàta: parfait : amavàta:
imparfait : améta: plus-cpie-parfait : amavéta:
futur: amôta: futur antérieur : amavôta:
Les adverbes, les prépositions et les conjonctions sont
empruntés pour la plupart au latin. Il y a une corrélation entre
certains mots appartenant ù ces trois classes. Les adverbes sont
caracléiisés par la terminaison -i.
II n'y a pas de syntaxe : l'auteur prescrit de traduire mot à mot
les textes des langues nationales.
VOCABILAIRE.
Les radicaux simples sont empruntés aux 5 langues-sœurs (E.,
F., L, P., S.); ils sont tous communs à plusieui"s d'entre elles: et 8
ou 9 sur 10 sont conunuus à toutes les cinq. Mais la plupart
sont déformés ou contractés povu* obéir à la rèifle du mono-
syllabisme : fmilla = famille: nfanto ^ enfant: svrano = souve-
276 SECTION III, CHAPITRE VI
rain; marvla = merveille; psienta = patienl; qtenta =r content-,
ndiffrd = indifférent: rjoza = curieux: rpetwa = perpétuel: qvernar
= gouverner: qmandar = commander: qtinwar = continuer.
Dans les substantifs, les désinences -o et -a ne désignent pas
seulement le genre; dans les idées qui n'ont pas de genre, -o
indique un être physique ou déterminé (concret) ; -a un être idéal
ou collectif (abstrait).
Les mots dérivés se forment en ajoutant aux radicaux une des
terminaisons significatives, dont voici les principales :
-anza désigne une manière d'être;
-aça, -jona, -asjona, l'action ;
-uro, -ura, le résultat de l'action;
-aro, -atoro, l'opérateur ou l'agent.
Les suffixes suivants servent à former des adjectifs :
-oza signifie rempli de — ;
-imla — qui est en apparence — (qui ressemble à — );
-essa — qui est en réalité — ;
-iqa — de la nature de — ;
-isqa — qui devient — ;
-abla, -ebla, -ibla, -ubla, -abla : qui peut, pouvait, pourra, pourrait,
ou doit être — (on reconnaît le rôle des voyelles dans la conju-
gaison). D'autres suffixes servent à former les degrés des adjec-
tifs, et plus généralement les diminutifs et augmentatifs. 11 y en a
deux séries, suivant qu'il s'agit de désigner un degré quantitatif
ou un degré qualitatif {qui change la nature de l'objet). Ce sont :
Superlatif d'infériorité :
Comparatif —
— de supériorité
Superlatif —
Exemple : lago = lac; lagulo = étang; lagulmo = mare; lagoro
= mer; lagormo = océan. Tandis que : lagino = petit lac; laginno
très petit lac; lagîmo ^= grand lac; lagîmmo = très grand lac.
On emploie comme préfixes les consonnes privatives s, n, et sn,
pour indiquer l'idée contraire à celle qu'exprime le radical.
Ex. : propa = proche, spropa = éloigné; sepi := souvent, nsepi =
rarement; amo = ami, snamo = ennemi: islo = île, snislo = conti-
nent ; qom = avec, sqom = sans.
Qualitatifs
Quantitati
-ulmo
-înno
-ulo
-îno
-oro
-îmo
-orme
-îmmo
COURTONNE : LANGUE NÉO-LATINE 277
Oïl emploie le préfixe no- pour (U'sigiier la simple néj?nlion :
noqtenta = mécontent.
Kniiii on emploie des voyelles inlercultiires ((jui siusèreiit entre
le radical et la désinence) pour exprimer certaines nuances ou
modifications d'idée. Ainsi :
e in(li(]ue un sens figuré (azno ^^dne; azneo = «/«e au sens figuré
i['i(jnorani}.
u indique une spécialité;
ê — une chose morale;
û — une chose religieuse. Ainsi :
bea = bien-être, beéa = bonheur, beùa = béatitude : lega = loi
(civile), leéa = loi morale, leûa = loi religieuse : virta = force,
virtéa = courage, virtùa = vertu.
Les prépositions entrent en composition comme préfixes, par
exemple avec le verbe itar (aller) pour former les verbes sui-
vants : àbitar = partir: ibitar = venir; initar = entrer, exitar =
sortir : qomitar = se réunir, disitar = se disperser, seitar = s'isoler
(se ^= à j)arl); sumitar = monter, jumitar = descendre: preitar =
précéder: traitât = traverser: transitar = passer, etc.
Tous les éléments lexicologi<[ues peuvent servir de radicaux,
et engendrer des dérivés. Ainsi les mêmes prépositions peuvent
servir de racines à des verbes, comme : âbar = ôter, âdar =
mettre: inar = introduire, exar = extraire: qomar = réunir, disar
= disperser: prôar = remplacer (pro = à /o place de), etc.
Même les .d<^sinences peuvent deveniràdes radicaux : aa= être,
snaa = néant: oa = matière, snoa = esprit: ea = métaphore: ua =
spécialité: essa = réalité, imla ^ apparence.
Les mots composés se forment en juxtaposant des syllabes signi-
ficatives, le déterminant précédant toujours le déterminé, sui-
vant l'exemple de l'allemand et de l'anglais, .\insi : Pacijic mail
steam ship Company se traduira mot à mot : pax-mar-mall vap nav-
compna. C'est là, selon l'auteur, le modèle des mots composés.
Il emploie ce système de composition pour désigner les rela-
tions de i)arenté. Par exemple : mifratfijuxa = ma nièce par
alliance (litt. : la femme du fils du frère de moi).
278 SECTION III, CHAPITRE VI
Historique,
La langue néo-latine fut présentée par son auteur à la Société
niçoise des sciences le 7 mai 1883; la commission nommée pour l'étu-
dier fil son rapport le 7 juin i883; la Société décida d'envoyer ce
rapport à toutes les Sociétés savantes des pays de langues
romanes, en les priant d'examiner et d'apprécier le projet de
M. CouRTONNE et ses chances de succès. Elle reçut des réponses
de la Société des Sciences de Pau, de la Société d'archéologie de Sens
et de VAcadémie de Nimes. En présence de ce maigre résultat, la
commission proposa de convoquer un Congrès international néo-
latin pour adopter et propager dans les pays de langue romane
la « langue auxiliaire néo-latine ». Ce projet ne paraît pas avoir
eu de suite.
Critique.
Le plus grave défaut du projet de Courtonne est son interna-
tionalité trop restreinte. 11 ne vise que les peuples néo-latins, et
il prend pour base les cinq langues romanes, ce qui est une
base trop étroite, même quand on y comprend l'anglais. La
langue internationale doit viser le monde européen (c'est-à-dire :
de civilisation européenne) tout entier, et l'on ne peut en exclure
les peuples germaniques et slaves. Cette réserve faite, on peut
reconnaître que la base adoptée est celle qui offre le plus d'in-
ternationalité relative, en ce sens qu'un mot ou radical commun
aux cinq « langues-sœurs » (y compris l'anglais) sera toujours
plus international que le mot germanique ou slave correspon-
dant; de sorte qu'une grande partie du vocabulaire de Cour-
tonne conserve sa valeur.
Malheureusement, l'auteur a associé à ce principe excellent de
l'internationalité (au moins néo-latine) un principe tout diffé-
rent, celui du monosyllabisme des radicaux, qui est adopté par
la plupart des systèmes a priori ou mixtes, et qui est inconci-
liable avec le précédent. Il s'est vu ainsi obligé de mutiler les
radicaux latins les plus connus au point de les rendre mécon-
naissables et imprononçables. Pour la même raison, il a été
amené à admettre des mots dérivés ou composés dont le sens
COL'RTONNE : LANGUE NEO-LATINE 279
ne s'(>xi)li(|iif luillciiifiit |»ar celui des (éléments : ab-pell-ar.
npix'lrr : ab prend ar. iift/m'iidn': qom-prend ar, roniprcinlrr: qon-
qluz-jona. rniiclnsiinr. qon vers-asjona, n>iii',Ts<ilii>ir. eq speqt ar.
iillt'tulri': cirqin-speqs-jona, circonspeclion.
Ajoiiloiis à fclii (pK', coininc lo mollirent {1»'')îi li-s cxcniplcs
piTcédents, lo mauvais choix des lellres de l'alphabet l'oblige à
tltHigurer les mots d'origine latine et à leur donner nn aspect
barbare (Ex. : qonçunqsjona = conjonction). D'autie part, si le
choix des sul'lixes de dérivation est assez heureux, et conloi-me
à l'esprit de nos langues, l'emploi des consonnes privatives (dont
le sens est mal défini) et surtout des voyelles intercalaires est
une invention ingénieuse, mais malencontreuse, car elle est
tout à fait contraire à ce même esprit, et tend encore à dénaturer
les radicaux internationaux et à les rendre iiuntelligibles.
Ouant à la granuuaire, elle est assez raisonnable, mais elle
iiuuupic de simplicité : elle pèche par une abondance inutile de
formes : telles sont, par exemple, les formes différentes adoptées
pour les pronoms et adjectifs possessifs, démonstratifs, relatifs
cl indéfinis, et la diversité des genres: les deux séries de temps
.iidérieurs, alors qu'une seule suffirait largement (la seconde est
iimsitée dans la pratique), et la multii)licité des infinitifs et des
|tartiei|)es.
Malgré tous ces défauts, le projet de Courtonnl es! iidéres-
-^ant, vu sa date, parce qu'il contient beaucoup d'indications
judicieuses que nous retrouverons dans les systèmes ultérieurs.
CHAPITRE VU
STEINER : PASILIXGUA^
La Pasilinguo, inventée en 1885 par Paul Steiner, professeur de
gymnase à ZaJjern (Saverne), se présente comme l'antipode du
Volapiik et le représentant de la méthode a posteriori. L'auteur
veut, autant que possible, ne rien inventer (arbitrairement),
mais tout emprunter aux langues naturelles, la grammaire
comme le vocabulaire. Il se propose d'imiter ces langues artifi-
cielles de formation spontanée, la lingua franca, le pidgin-english
et le chinook, qui sont nées naturellement du besoin de mutuelle
compréhension. 11 ne vise pas ambitieusement toute l'humanité,
comme le Volapiik: il prend pour base les langues européennes,
plus spécialement les idiomes germaniques et romans, et parmi
ceux-ci les trois principaux : anglais, allemand et français, qu'il
considère comme les représentants de tous les autres (en y
joignant subsidiairement le latin). Le vocabulaire devra se com-
poser des radicaux communs à plusieurs langues, au moins à
deux des trois langues fondamentales. En cas de divergence
complète entre les trois langues, on aura recours au latin. Pour
déterminer la forme internationale des radicaux adoptés, on
1. Elementargrammatik nebst Uebungstiicken ztir Gemein- oder Welt-
spraclie (Pasilingua), von P. Steiner. 80 p. in-10 (Neu%vicd, Heuser, 1885).
— liîirzf/efasstes Deutsch-Pasilinqua-Worterbuch mit Regeln der Wovtbil-
dung und Wortbiegung, von P. Steiner. 88 p. in-lC (ibid., 1887). -^ Ei?ie
Gemein- oder Weltsprache, Vortrag gehalten von P. Steiner (ibid., 1883).
— Drei Wellsprache-Systeme : Pasilingua, Volapiik, La lingvo inteniacia,
von P. Steiner. 30 p. 8'^ [ibid., 1889). — Pasilingua contra Volapiik, von
einem Frounde der Pasilingua : Dr. Félix Lenz. 15 p. 8° [ibid., 1887). — Zur
Universnl-Sprache, krilische Studie iiber Volapiik und Pasilingua, von
Hans MosER. 32 p. 8° {ibid., 1887). — Grundriss einer Geschichte der WeZ/-
sprache, von Hans Moser. 70 p. 8° (ibid., 1888). — Die Weltsprache, von
H. MosER, ap. Sammlung gemeinnïdziger Vortriige, n" 130 (Prag, 1888).
STEINER : PASILIXGL'A 281
suivra le grapliisino et non pas le phoii«''lismo: la pronoiirialiori
sera confornic à rorlhographe, Los radicaux seront absolument
invariables. On y accolera des flexions grammaticales et des
allixes de di^rivation qui seront, eux aussi, enipruntt'-s aux lanpues
aryennes (vivantes ou mortes), et non arbitraires. Ainsi la Pasi-
liiujiin sera constituée presque entièrement d'éléments connus,
v[ sera par suite plus facile qu'aucune langue nalui-elle. Kn par-
ticulier, quiconciue saura l'une des trois langues londamentales
connaîtra d'avance les deux tiers environ des mots'; on pourra
ainsi se servir de cette langue même avec les étrangers qui ne la
connaîtront pas.
Pour mettre en relief cette dernière propriété, l'auteur pr<>
pose d'applicpier sa grammaire neutre* aux radicaux de clia<pie
laMi,Mi(\ et montre qu'il suffirait alors de chercher ces radicaux
dans !<> dictionnaire de la langue employée pour pouvoir com-
prendre ou composer un texte. Celte projjosition, émise à titre
d'essai, a induit en erreur certains critiques : ils ont cru que la
Pasiliiujun consistait uniquement dans une grammaire univer-
selle qu'on devrait appliquer à toutes les langues nationales'.
Mais ce n'était \h tout au plus qu'un expédient provisoire, en
attendant l'élaboration du lexique propre à la Pasilingua. Tout au
contraire, l'auteur déclare que le vocabulaire est de beaucoup
la partie la plus importante d'une langue, atfentlu qu'on peut à
la rigueur se passer de grammaire, mais non pas de mots. Seu-
lement, le vocabulaire ne sera pas artificiel et arbitraire comme
celui du Volaptik : puisé dans les principales langues européennes,
il sera vivant comme elles; il s'enrichira de tous les néologismes,
déjà internationaux, du reste, rendus nécessaires par le progrés
des sciences et de la civilisation. La langue sera donc suscep-
tible d'un développement et d'une évolution indéfinie: un comité
iiitenialional sera chargé de sanctionner les innovations et de
conserver à la langue son unité et sa régularité, en éditant pério-
diquement la grammaire et le vocabulaire.
1. Voir l'explication do ce fait au Vocabulaire (p. 287).
2. C'est-ù-diro rensomblo des fl«>xions, des particules et des nfflxes.
3. Ils n'ont pu qu'ôtre conlirniés dans cette erreur par le projet de Pasi-
lingua hebraica exposé par Félix Lenz dans sa brochure : l'asiliugua
contra Volapiik.
282 SECTION III, CHAPITRE VII
Grammaire'.
L'alphabet comprend 31 lettres, 10 voyelles : a, à (è), è, e {é),
i, y (i), 0, ô {eu), u (ou), ù (» français); et 21 consonnes : b, c, ç {ss),
d, f, g, h, j, k, 1, m, n, p, q, r, s, t, v, w, x, z: plus 2 combinai-
sons de consonnes : ch et sch. Pour la prononciation, l'auteur
donne cette seule indication, qu'elle doit être « conforme au
système phonétique simple et naturel de l'allemand ».
Toutes les syllabes doivent être également accentuées (du
moins en prose).
L'article défini est : to (m.), te (f.),' ta (n.); et l'article indéfini :
uno (m.), une (f.), una (n.), qu'on peut abréger en : no, ne, na -.
Ces deux articles forment leur pluriel et se déclinent comme
les substantifs.
Les substantifs ont le genre naturel. Les masculins se terminent
en -0, les féminins en -e, les neutres concrets en -a, et les neutres
abstraits en -u. Ex. : to homino, l'homme: te femine, la femme: ta
cita, la ville; ta modestiu, la modestie.
Les substantifs prennent au pluriel la désinence -s. Chacune
des deux formes (sing. et plur.) se décline en prenant comme
suffixes les prépositions -de (génitif;, -by (datif), -an (accusatif)'.
Cette dernière se réduit à -n après une voyelle. Ex. :
Singulier
Nom. to kingo, le roi.
Gén. tode kingode, du roi.
Dat. toby kingoby, au roi.
Ace. ton kingon, le roi.
Pluriel
tos kingos.
tosde kingosde.
tosby kingosby.
tosan kingosan ou tos kingos ^
A côté de cette déclinaison synthétique, l'auteur admet une
déclinaison analytique dans laquelle les prépositions précèdent
l'article et le substantif : de to kingo, by to kingo, an to kingo.
1. Il y a quelques différences entre les règles grammaticales formulées
dans les deux ouvrages principaux de l'auteur. Dans les cas de divergence,
nous suivons le second (le Worterbitch de 1887).
2. Le l"' est emprunté au grec, le 2' au latin.
3. Ces prépositions marquent à l'origine des directions ; de vient du latin ;
by de l'anglais; an de l'allemand. L'n de l'accusatif est aussi imité du grec.
4. Dans la Grammaire de 1883, l'accusatif pluriel était toujours identique
au nominatif.
STEINER : PASILINGUA 283
Celle déclinaison analyliqne esl m(>me ohligaloire pour les
subslanfifs tonninés par une consoniu', c'est-iVdire formés au
moyen des suflixes péjoratifs -il, -el. -al fsuivard lo j^enre).
K\. : kingil = roitelet; to kingil, de to kingil. by to kingil. ton
kingil, etc.
Les«r(/V(/(/*sprcnnenl les désinences caractérisliques des genres :
grande, grande, granda [grand, grande). Ils formenl leur pluriel
el se déclinenl cotume les suhslanlifs, avec lesquels ilss'accordenl.
On Iransforme un adjectif en substantif en le faisant précéder
de l'arlicle.
Les degrés de comparaison sont indicpiés respectivement par les
suflixes -ir et -ist intercalés entre le radical et la désinence du
genre : ainsi bono, bone, bona [tion) devient au comparatif :
boniro, bonire, bonira [meilleur), el au superlatif : bonisto.boniste.
bonista (le meilleur). Les comparatifs et superlatifs se déclinent
comme les adjectifs simples.
Les noms de nombre cardinaux (empruntés au lalin) se termintut
tous en -a (sauf nuUo = zéro) el sont invariables :
una. i: dua. 2: tria. '.\: quadra. 4: quinqua. ■">: sexa. G: septa. ~:
octa, 8: nova. '.): deka. I():dekuna. i I : deka dua, 1*2: deka tria. 13:...
bideka, -20: trideka, :{0:... centa. 100:... milla, 1000:... una milliona.
/ million: una milliarda, 1000 millions.
Les nombres ordinaux dérivent des cardinaux en changeant la
désinence -a en -io, -le, -la (suivant le genre), sauf les premiers :
primo, secundo, tertio: quadrio, quinquio. ... dekio: deka unio
(11'), etc.
Les nombres multiplicatifs dérivent des cardinaux, en remplaçant
-a par -is désinence des adverbes) : unis, une fois; dais ou bis,
2 fois; tris, 3 fois, etc.
Les adjectifs multiplicatifs se forment en ajoutant aux précédents
la désinence générique -o, -e, -a (des adjectifs) : duiso, double:
triso, triple.
Les nombres fractionnaires se forment en ajoutant aux cardinaux
le suffixe -tal (plur. tais) : una triatal, un tiers: dua dekatals. deux
dixièmes.
Les adjectifs distributifs dérivent des cardinaux en remplaçant -a
par 1(» suffixe générique -eno, -ene, -ena : singuleno. un à un:
duenos, deux à deux: trienos, trois à trois, etc.
Les pronoms personnels (empruntés au latin) sont, au singulier :
mi. je: tti. tu: il, il; el. elle; al, il (neutre^: et au pluriel : mis.
4
284 SECTION III, CHAPITRE VII
nous; tus, vous; ils, ils; els, elles; als, ils (n.). Ils se déclinent
comme les substantifs : mide, miby, min; misde, misby, mis(an).
Lorsqu'ils ne sont pas suivis du verbe, ils prennent une autre
forme : mice, tùce, misce, tiisce;lo, le, la; los. les, las *.
Le pronom réfléchi est se. On se dit on.
Les pronoms possessifs se forment en ajoutant les désinences
génériques des adjectifs -o, -e, -a, aux pronoms personnels des
2 premières personnes et à l'article défini pour la 3® personne.
Ils sont donc au masculin smgulier :
mio, tùo, too, teo, tao;
miso, tùso. toso, teso, taso.
Ils forment leur pluriel et se déclinent comme les substantifs.
Le pronom possessif suo correspond au i>ronom réfléchi se.
Les pronoms démonstratifs sont :
illo, elle, alla : celui-là, celle-là, cela;
isto, iste, ista : celui-ci, celle-ci, ceci;
toce, tece, tace : (môme sens) ;
ipso, ipse. ipsa : {lui, elle) -même.
Le pronom relatif e^^ï : quo, que, qua : qui.
Les pronoms interrogatifs sont :
quiso, quise, quisa : qui, quoi?
quo. que. qua : quel, quelle?
qualiso, qualise, qualisa : quel (de quelle espèce)?
quanto, quante, quanta : combien grand?
quota? combien (nombre)?
Les pronoms indéfinis sont :
uUo, uUe, ulla : quelque;
nullo, nulle, nulla : aucun;
alio, alie, alla : un autre;
quocumque, quecumque, quacumque : quiconque;
eodem, eedem, eadem, le {la) même;
omno, omne, omna : chaque (plur. tous);
nihila, rien; aliquota, un certain nombre.
Tous ces pronoms se déclinent comme les substantifs.
La conjugaison comprend quatre formes ou voix, qui corres-
pondent aux quatre verbes auxiliaires :
er, être; ir, aller; har, avoir; hor, être tenu.
l. Ces deux formes des pronoms personnels de la 3" personne sont des
abréviations différentes du pronom démonstratif : illo, elle, alla (voir plus bas).
STEINER : PASILINGUA 285
Ces quatre verbes s'appliquent comme suffixes (en supprimant
l'h (les deux derniers) à un radical pf)ur fr)rnior quatre verbes
dilTérenls. Kx. :
grander grandir grandar grandor
être grand grandir agrandir être agrandi
(devenir grand) (rendre grand) (tMre rendu grand).
Les deux premières voix sont neutres, la 3" est active et la
4" passive.
Les temps de Vindicatif se forment en faisant précéder d'un
pronom (ou sujet) les temps de l'infinitif: le présent est identique
à la forme précédente; les autres temps sont :
Prétérit.
efer ifir hafar hofor
(je) /us (}} allai Q') eus i}e) fus tenu
grandefer grandifir grandafar grandofor
(io) Jus grand (}c) grandis [y ) agrandis Hc) Jus agrandi
Futur.
erer irir harar horor
(je) serai (j') irai (j') aurai (je) serai tenu
granderer grandirir grandarar grandoror
(je) serai grand (je) grandirai (jj agrandirai (je) serai agrandi.
Temps composés.
Parfait.
eter itir hatar hotor
(J! ni été (je) suis allé (j") ni eu (j*) ai été tenu.
grandeter granditir grandatar grandotor
(j) ai été grand (j) ai grandi (j) ai agrandi (j*) ai été agrandi.
(Plus-que-parfait,
etefer itifir hatafar hotofor
m avais été {j' étais allé (}') avais eu ']' omis rlé tenu
grandetefer granditifir grandatafar grandotofor
( j) avais été grand (j) avais grwidi (j*) avais agrandi ij) avais été
agrandi.
286 SECTION III, CHAPITRE VII
Futur antérieur.
eterer itirir hatarar hotoror
(j') aurai été de) serai allé (j') aurai eu (j') aurai été tenu
grandeterer granditirir grandatarar grandotoror
{]) aurai été grand {]) aurai grandi (y } aurai agrandi {y)aurai été
agrandi^.
La forme verbale est invariable en personne, mais elle varie
en nombre : elle prend un -s au pluriel : mis ers, mis hars, etc.
Les temps du subjonctij se forment en ajoutant simplement un
-e aux temps correspondants de l'indicatif : mi ère, que je
sois, etc.
Vimpératifesl identique au subjonctif à la 2° personne (sing.
et plur.): aux autres personnes, il prend les pronoms comme
suffixes :
2« p. s. grandir e grandis.
3« p. s. grandireto (e, -a) qu'il (elle) grandisse.
l""® p. pi. grandiremis grandissons.
2" p. pi. grandires grandissez.
3'' p. pi. grandiretos (es, -as) qu'ils {elles) grandissent,
hes participes présent eipassé se forment en ajoutant au radical :
1° la voyelle caractéristique de la voix: 2" respectivement la con-
sonne n ou t : 3" la voyelle caractéristique du genre. Ex. :
grandeno (e, -a) grandino grandano grandono
qui est grand qui grandit qui agrandit qu'on agrandit
grandeto (e, -a) grandito grandato grandoto
qui a été grand qui a grandi agrandi^ qu'on a agrandi^.
Les temns composés peuvent être considérés comme formés
du participe passé et du temps primitif de Tauxiliaire corres-
pondant.
Les adverbes primitifs sont empruntés au latin. Les adverbes
dérivés (et certains adverbes primitifs) sont formés au moyen
i. En résumé, f caractérise le passé, r le futur, et t les temps composés;
la voyelle caractéristique de chaque voix se trouve répétée dans chaque
syllabe.
2. On remarquera que le sens de ce participe passé est passif, alors que
celui du participe prosent correspondant est actif'. H devrait signifier : qui
a ar/randi. Celte erreur vient de l'exemple des langues naturelles.
3. La Grammaire de 1883 contient en outre un participe passé qu'on no
retrouve pas dans le Vocabulaire de 1887 :
grandeteno, granditeno, grandatano {qui a agrandi), grandoteno.
STEINER : PASILINCUA 287
(In snl'lixt' -is : kindis = pui'rilfiiiciil : herzis - cordinlcmcut : jamis =
(U'-jn: tandemis - enfin: hodiis -- ittijmtrd'hui: crasis =- ilcmain '.
I^es prépositions n'ont pas do désinence caraclérislique: elles
sont iiivai'inltlcs cf ivfjrissont tonlcs Iv noiiiiiiiitif. I]llcs s«»nl
|)r('S(|U(' toiitos (Mnpniiilrcs nn lalin : ab, ad, ante, apud, cum, de,
ex. in, inter. per, post. pro, sub... excepté : parmi, sûr, sous iF.)
cl since ^^ depuis, by = n (K.h Ko Vocabidaire contient nn trran<l
nonihio tlo prépositions alloniandos ((nidonhlcnt les pircrdcntcs,
notanimonl comme préfixes.
Il on ost oxactomont de mémo ponr los conjumlinns. dont 1rs
princiitalos sont : et, aut (ou), ni, sed, tamen, ergo, nam, car,
quando, ubi, dum, si, ut. La particnle intorrogativo an s'emploie
au coninionoomont dos propositions intorrogativos qni no oon-
litMinont pas tlo mot h sens intorrogatif. Il n'y a pas besoin ilo
-^\ nlax(v selon l'antonr : elle est contenue dans les formes gram-
iiiaticalos des nu>ts.
Vocabulaire '.
« Ko vocabulaire anglais forme la base » du vocabulaire de la
Pnsdingun : d'abord, parce (jne l'anglais est la langue la plus
répandue; ensuite, parce que, étant mélangé d'éléments romans
et germaniques, il constitue la transition et le trait d'union
entre le lVan(;ais et l'allemand. V.n oITot, les radicaux de la Pasi-
limpia, devant être connnuns à doux dos trois langues l'ondamon-
lalos, seront ou bien communs à l'anglais et au français (radi-
cauv romans) <ui bien communs à l'anglais et à l'allemand
(radicaux gernmnitiuos), ou l>ien connnuns au français et à l'al-
lemand; mais la plupart de ceux-ci se trouvent aussi en anglais,
di" sorte qu'un Anglais connaît déjà pres(pu> tous los radicaux de
la Pnsdintjnn ^. Par exemple, le mot brod. connnun à D. et à E., sera
adopté pourpai/i; le mot incendie, commun à E. et i\ F. est préfé-
1. L'ault'urprosifrit d'cmiiloycr l'adverbe (cl noii l'atijcctif) comme nUribiit
après le vcrhe t'ire : mi er grandis = je suis grand. (.IVst un exemple
rcinaninahle de rinlluonfe d'un idiolisme germanique : de ce «|ue l'adjectif
nUriliut est invariable en allemand, il ne s'ensuit pas qu'il ait le sons et le
rôle d'un adverbe.
2. Le Vocabulaire Allemand-Pasilingua comprend plus de 5000 mots.
3. L'auteur va jusqu'à dire : • La Pasilitif/ua esl pour ainsi dire une
langue anglaise a\oi' une prononciation romane ou germonique, et des
désinemes propres à la l'asilingua • (Drei Wellsprachc-Syiteme, p. 10).
288 SECTION III, CHAPITRE VII
rable à brand (D.). Pour l'idée cVenfant,\es 3 langues ont des mots
différents : Kind, child: on adoptera donc le radical latin infant *.
Il y a même des cas où le radical latin est préférable au radical
germanique commun à D. et à E. ; notamment quand ces deux
langues possèdent déjà des dérivés du radical latin. Ex. : le
radical pair (père) comparé à vater (D.) ^ father (E.). Le vocabu-
laire comprend en outre tous les mots scientifiques ou techniques
communs aux trois langues, et par suite internationaux, comme
esthétique, allégorie, etc.
Les radicaux ainsi choisis prendront les désinences caracté-
ristiques des substantifs, des adjectifs, des verbes et des adverbes,
et les terminaisons de la déclinaison et de la conjugaison.
Ensuite, ils serviront à former une foule de mots dérivés réguliers
avec les affîxes propres à la Pasilingiia. Citons les principaux :
Dans les substantifs, -ara désigne le lieu : bibliothekara =
bibliothèque: -menta, le moyen ou l'instrument : nurrimenta =
aliment; -mentu, la manière ou méthode : nurrimentu =^ (dimen-
tation: -osia, -esia, -asia, la collectivité : montasia == chaîne de
montagnes : stellasia = constellation.
Les participes deviennent des substantifs par la simple adjonc-
tion de l'article. De môme, les infinitifs deviennent substantifs
au moyen de l'article et des désinences -o, -e, -a, -u. Ainsi la
terminaison -ero désigne un état, -iro un devenir, -aro une action
(une profession) : militero = militaire (en général); militiro = »u7i-
taire (de passage : celui qui fait son service); militaro = militaire
(de profession : officier); militeriu = l'état militaire: bibliothekaro
= bibliothécaire.
Les suffixes -enissu et -inissu désignent respectivement une
qualité passive ou active : maladenissu = état de maladie ; toleri-
nissu = tolérance. Le suffixe -fero signifie qui porte; il sert à former
les noms d'arbres dérivés des noms de leurs fruits. Ex. : pirafera
(arbora) = pojr/er 2.
Les substantifs et les adjectifs ont en commun les suffixes
augmentatif -oso et diminutif -illo, ainsi que les suffixes péjoratifs
-il, -el, -al, que nous connaissons déjà.
1. De même spirit (L.) pour geist (1).), ç/host (E.), esprit (F.); cved (L.)
pour glauben (D.), believe{)L), croire (F.).
2. Dans lo Vocabulaire, on remarque que certains noms d'arbres ne dif-
fèrent que par la désinence féminine (-e) des noms de fleurs ou de fruits,
qui ont la désinence neutre (-a). Ex. : nuca = noix, nuçe =: noyer.
STEIN R : PASILINGUA 289
Les adjectifs dérivés se forment au moyen des suffixes -io (-«, -a) :
-ivo (e. -a): -alio (-e. -a). I.o suffixo -iso marqnr Ux n'sscinhlanco :
heroiso — lirroïque : -isso, le iviilbrcenuMit : timidisso - r.rirème-
ment timide^: -loso (D.), l'absence ou privation de : doloraloso =
.s7//i,s- (loiilciir: -ardo, lexcrs hlAinnhle : trinkardo — iwinine: -iblo,
-ablo. -oblo, la possibilit»' active ou passive : cantablo, qui peut
chanter: cantoblo, qu'on peut chanter. Enfin on forme des a«ljectifs
au moy(Mi dos (b'siniMiros du génitif et du datif : -deo = uni vient
de: -bio = qui appartient à.
On forme aussi des adverbes par ce même procédé : citadeis =
de la ville : citabyis == à (dans) la ville ; citanis = à (vers) la ville.
(Juant aux prolixes, l'autour les emprunte indilTôroniniont au
latin et à l'allemand (ad = an, con = mit, de — ab, ex = ans, in
= ein. post — nach. par = durcb, etc.).
\'<)ici un («xomplf des dt-i'ivos que peut engendrer un seul mol :
mortu = la mort : mortir = mourir : morter = être mort ; mortar =
tuer: moftor - rire lue: morteno = le mort: mortino = le mourant:
mortano nu mortaro — le- meurtrier: mortio = mortel [i\v la mort):
mortablo = mortel ^qui peut tuer): mortiblo = mortel (qui peut
mourir): mortiso = semblable à la mort: mortis, mortellement.
Knlin, voici )«> Pater traduit on PasUintjua :
Patro mise, que er in cœla, nama tua sanctore, kingdoma tua
kommire, tua willu fairore sur erda ut in cœla. Donnare misbi
misan brodan taglian ; pardonnare missas deltas uti mis pardonnars
misosbi debitorosbi...
ol iiii antre spccimoii de cotfo langue :
Ta Pasilingua ère una idiomu per tos populos ipsos findita, una
lingua, qua autoris de to spirito divino, informano tos hominos zu
partir, er creita, et qua ideo facilis et nearistis sine explicatius
omnosby nationosby ère intelligobla et una banda amiciude pro tos
Anglios, Francios et Germanos suos parentos.
La Pasilinyua n"a pas d'histoire, et ne paraît pas avoir ou
d'adeptes, au point de vue pratique, mais seulement des appro-
bateurs tlHW)ri(pios. comme Ilans MosER et Félix I.enz. 1/auteur
essaya i\v lancer en 18S0 nn journal mensuel, Ta Pasifolia, sans
succès, semble-t-il.
1 . C'est en somme le superlatif absolu.
CouTCHAT et Leal. — langue univ.
19
290 SECTION III, CHAPITRE VII
Critique.
La Pasilingua a le mérite d'être le premier système qu'on ait
fondé expressément sur le principe de l'internationalité « euro-
péenne ». Mais, dans l'application, l'auteur a restreint à l'excès
la base de son vocabulaire en excluant d'avance les langues
slaves, d'une part ', et les langues italienne et espagnole, d'autre
part, ce qui a pour effet de diminuer la part légitime du latin :
car le français est seul à représenter les langues romanes en face
de l'anglais et de l'allemand, et d'un autre côté les mots com-
muns aux langues slaves et aux autres langues européennes sont
pour la plupart d'origine latine ou grecque. De plus, c'est une
erreur linguistique que de prendre pour base le vocabulaire
anglais, attendu qu'il n'est pas primitif, et que les racines y sont
plus ou moins déformées; il vaut mieux prendre les racines
romanes sous leur forme latine, et les racines germaniques sous
leur forme allemande. Ainsi, le fait môme que l'anglais est une
langue mixte (romano-germanique), loin de lui donner la préé-
minence que Tauteur lui attribue, doit le faire écarter comme
source de radicaux 2. Ce n'est là d'ailleurs qu'une question de
mesure et de proportion: il reste vrai que la L. I. doit, pour être
vraiment internationale, être un idiome romano-germanique.
Malheureusement, l'auteur n'a pas su choisir, d'après des
règles générales et fixes, entre les deux familles de radicaux qui
s'offraient à lui, et il s'est trop souvent contenté d'adopter à la
fois les deux radicaux, germanique et roman, ce qui détruit
l'unité de la langue. Les exemples de ces doublets sont innom-
brables: bornons-nous à citer les plus caractéristiques :
bono = guto Deo = Gotto
malo =ûbelo tomba =graba
anima =- seela cola = himila {ciel)
1. Pour des raisons politiques de « slavophobie » qu'on ne saurait
approuver, et qui en tout cas sont contraires à la neutralité essentielle de
la L. I.
2. Nous en dirions autant du français, considéré comme représentant des
langues romanes; les racines latines sont plus pures en italien ou en espa-
gnol. Nous ne voulons pas dire que la L. I. ne doit pas contenir beaucouj)
de radicaux anglais, mais «[u'elle doit employer ces radicaux sous leur
forme originale, et par là même la plus internationale.
STEINER :
PASILINGUA
lingua
spracha
eglisa -
kirchara
vocabola
worta
rego —
kingo
contrea
landa
lumina :=
: lichta
mensu
monatu
carbona
kohla
malado
sicko
petite
littlo
caro
theuro
nudo
naketo
àmir
liebir
esperir
hoffir
abordir
landir
vivir
lebir
neminu
niemannu
arrivir
kommir
Ci'Ito duplicité
est i)n'S(|Mr 1
a rôgle dans
les conj(
dum
= wàhrend
cur =
= warum
quando
— wann
quia —
; weil
nam
— denn
tamen =
::doch
dans les pirposil
ions :
super
= auf
ex =
-au8
sine
= ohne
pro -
= fùr
et dans l«'s advor
bcs :
jam
=::shoq
vix =
- kaum
olim
— einstis
fera =
fastis
matinu
— morgenu
saepe =
- oftis.
291
L'auteur n'a même pas pu se décider pour une particule d'af-
firmation : il admet à la fois : ja, jes cl oui. On ne peut pas être
plus éclectique.
D'ailleurs, les radicaux germaniques prennent un aspect
barofjue ou méconnaissable avec les désinences lalines dont on
les alïuble : einstweilis (— interdum . zeitis — tempis, perhapsi8 =
vielleichtis ^ fortassis : gernis. genugis. gesternis. alreadis. heutis,
vormalis, wiedermalis, niemalis. ingleichenis. otherweisis, etc.
On reniar(|iiera que lauteur n'a pas suriisaninuMit pensé à la
prononciation, en calquant l'orthojifraphe nationale des mots';
que deviendront, pour des oreilles allemandes ou anglaises, les
mots (jue nous venons de citer, si on les prononce tels qu'ils
sont écrits? De nuMne les mots allemands : fleisha {viande), eidu
{serment), breito (large), leuchtir [éclairer), feura /eu\ freundo
(ami): aussi bien que les mots français : tailliro, écailla, bouteilla.
perroqueto. Kn général, l'alphabet est inutilemenl conq»li(|ué:
ceilaines lettres font double emploi (à, è: i. y: k. q . et cerinins
I. Bien qu'il formule ceUe rt'ple judicieuse, qu'on devra préférer la forme
|i»<ur laquelle l'orthoprnphe et la prononciation sont les plus voisines.
292 SECTION III, CHAPITRE VII
sons Simples y sont traduits par des combinaisons de lettres, de
sorte que la prononciation ne peut pas être conforme à l'ortho-
graphe. L"auteur a emprunté aux langues naturelles des combi-
naisons de lettres qui devraient être bannies d'une langue inter-
nationale, comme la diphtongue française ou, les diphtongues
allemandes ei, eu, ie (i long), ee {e long : seea, meera), et les con-
sonnes : qu, ck, ch, sh, sch, th, ph.
En revanche, il a dénature certains autres mots pour leur
donner une orthographe phonétique (plus ou moins exacte),
comme : curroa {courroie), shûrir (jurer), shanshir (changer), ashiu
{âge) , anrashir (enrager) , shoayu (joie) , annuiu (ennui) , shuir,
shuissir (jouir).
Malgré la dualité d'origine des radicaux, on en trouve quel-
ques-uns qui ont deux sens. Ex. : weiso = sage (D. weise) et hlanc
(D. weiss); griso = gris et vieillard (D. greis).
La formation des dérivés manque de régularité : ainsi brauiru
(brasserie) ne vient pas de biera (bière), ni akracûltiru (agriculture)
de akera (champ). De même, musiçiro (musicien) ne vient de musicu
(musiciue), et vocabàlaria (vocabulaire) de vocabola (mot) que par
une altération du radical. Certains composés sont bizarres :
currirtrànu = train express (D. eilzug) ; ou barbares : unaufalteris
== l'un sur l'autre. Là comme ailleurs, l'auteur hésite entre les
deux familles de radicaux; il admet à la fois suspensaponta et
hangbrucka (pont suspendu).
Eu outre, il abuse des désinences péjoratives : adulteriul,
coquinil, poltronil, assassinai, fraudiul, egoismul, bankerotul,
hypocrisil, etc. Elles sont inutiles dans tous ces mots, dont le
sens est déjà suffisamment appréciatif; on ne doit logiquement
employer ces désinences que pour rendre péjoratif un mot cjui
ne l'est pas par lui-même *. A plus forte raison est-il inutile de
les accoler à des noms d'animaux ou de choses qui n'en peuvent
mais : crapodil, cabinetal, bossai, decombral, dornal (épine), gràssal
(graisse), syringal (seringue), ou qui ne méritent pas le mépris que
l'auteur croit devoir leur témoigner : boutiqual, biivardial, habre-
sacal, pennyal (penny), droshkal (fiacre), vaporal. Enfin il n'est pas
permis de donner à des mots indifférents un sens péjoratif qui
n'exprime qu'une opinion personnelle : ambitiosil, celibateril.
En somme, l'auteur n'a pas su trouver une méthode régulière
I. Exemple : devotardo ou bigoto = bigot; mais bigotil est superflu.
STEINEit : PASILINGUA 293
et oulonome pour la formation des mots : c'est pourquoi il lu
arrive d'arcoler des nfMxes germaniques à des radicaux latms,
eoninie dans verlocar et erlocar (donner, prendre en location), ou
<l'einpninter aux langues vivantes des dérivés tout faits, comme
ancurashar {enrotirmjer).
Si le v<Kal)ulaire <>f l'alphabet pèchent par trop de servilité à
l'égard des langues nationales, la grammaire en revanche
s'éloigne trop des granunaires modernes, notamment par le syn-
tliétisme de la déclinaison et de la conjugaison. I/auteur aurait
(lA adopter parfont la déclinaisoii analytique (piil adiiuM srnle-
nuMit par exception (de to kingo est plus simple ipie tode kingode).
Quant à la conjugaison, il n'aurait drt admettre que les deux
v()ix classiques (active et passive), et remplacer les aidres (là où
il y a lieu) par des verbes dérivés'. L'actif et le passif eux-mêmes
ne sont pas suffisamment distingués par un simple changement
de voyelle, et il est |)lus conforme à l'esprit drs langues mo<|ernes
de i'oriiU'v analylùjuemenl le passif (au moyen d'un verbe auxiliaire).
Ijiliii la grammaire présente quelques complications inutiles,
comme la distinction formelle des genres (et surtout celle du
neutre concret et du neutre abstrait), la déclinaison de l'article
(d'ailleurs mal choisi, et qu'il vaudrait mieux emprunter au latin
qu'au grec): le manque de régularité dans la formation (h-s noms
de nombre, des pronoms persoinjels et possessifs: la niarqjte du
pluriel dans les verbes, etc.
Tout cela fait de la Pasilàujua une ébauche assez, inroniie, bien
inférieure aux projets île HrDEi.i.E et de PniRO. Klle n'en a pas
moins eu le mérite de représenter, en face du Volopûk triom-
phant, le principe des langues a posteriori, et de rouvrir la bonne
voie, où d'autres projets allaient bientôt la dépasser.
I. Pnr «woiiipU'. le vorlio dt-rivr (lircrleinonl dt' grand sipniflornil être
ifraiid, cl l'on ixiiurail rorinor pnr i'.\omp!e los derivj's : grandeskar ^
devenir grand, grandifikar = rendre grand, comme dons VIdiom neulral.
CHAPITRE VIII
EICHHORN : WELTSPRACHE i.
Bien que ce projet n'ait paru qu'après le Volapûk, l'idée-mère
en remontait au 9 septembre 1861. L'auteur a eu ensuite connais-
sance du programme de Grimm et s'en est inspiré. Convaincu,
d'une part, de la nécessité d'une langue universelle, et, d'autre
part, de l'impossibilité d'adopter comme telle une langue vivante
ou morte, il croit, comme Max MOller, qu'il cite, qu'.une langue '
artificielle peut être bien plus parfaite, plus régulière et plus
facile à apprendre. Par « langue universelle » il n'entend pas,
d'ailleurs, une langue qui deviendrait la langue unique de l'hu-
manité, ce qui serait « une folie », mais simplement un moyen
de communication international ; il lui refuse même l'aptitude à
la poésie et à l'expression sentimentale, que Grimm ambition-
nait pour elle. Cette langue ne peut être l'œuvre d'un seul: tout
au plus peut-il en dresser le plan ; l'exécution devra être confiée
à une « Académie de langue universelle », qui veillera ensuite à
la conservation de la langue et à son développement régulier.
Une condition essentielle de la langue universelle est de s'im-
primer aisément dans la mémoire. Pour cette raison, le vocabu-
laire ne peut pas être construit arbitrairement; il doit prendre
pour base une langue existante et bien connue ; cette langue
sera le latin, comme Grimm le proposait. Seulement l'auteur se
réserve le droit d'altérer « en toute liberté » les racines emprun-
tées au latin, pour les faire cadrer avec les règles qu'il impose
a priori à la formation des mots. Il part de ce principe, que
1. Die Wellsprache. Ein neuer Versuch, eine Universal-Sprache mit Zu-
grundelecjung des laleinischen Wort-Stammes zu bilden. 177 p. 12° (Bam-
berg, Schmidt, 1887). Ce projet anonyme, dû au curé Eichhorn, est sou-
vent cité sous le nom de « projet de Bamberg ».
F.ICHIIOHN : WELTSPIIACHE 296
cltminf partie du ilisrours di)il être reconnaissahle à sa forme, tant h
la Ircturo (luù landilion. Kn consrquonce, il «klicto pour les
diverses parties du discours les règles de structure suivantes:
Les snbslnnlifs auront en gént-ral 2 syllabes:
Les adjectifs auront en g<''n(''ral :j syllabes ;
Les pronoms auront eu général 1 syllabe: — ces trois espèces
de mots commenceront par une consonne «*| finiront \^nr une
voyelle.
Les verbes auront en général une racine (un infinitif) tlune
syllabe commençant et (inissant par une consonne.
Les adverbes et \os prépositions auront 2 syllabes; les conjonctions
une seule. Les adverbes et les conjonctions commencent par
une voyelle et linissent par une consonne: les prépositions com-
mencent et finissent par une voyelle.
Les interjections auront 3 syllabes.
Vocabulaire.
l.'nlphabet com[)rend 8 voyelles simples :
a. e. i. 0. u. à, ô. û
prononcées comme en alleniand: et II consonnes :
b. d. V (/), k, 1, m, n, r, s, sh (ch), w (y).
Le petit nouibre de ces consonnes s'explique parce fait que
l'auteur n"a pas cru devoir admettre ù la fois les douces et les
forl(»s correspondantes, parce qu'on ne les distingue pas dans
r.Mlemagne du Sud et dans... les dialectes polynésiens. Dans
chaque couple, il a choisi la lettre qui ne descend pas au-dessous
de la ligne (pour la netteté de l'écriture^. Par suite, il écrit b à la
place de p. d è la place de t et th, v à la place de/ et p/i. k à la
place de r/: kw ù la place de qu: sh au lieu du j français, ks au
lieu de .r. et ds au lieu de r. Il supprime les lettres ambigués c et
fl, et les sons difficiles h, ch allemands: mais il conserve r. en
dépit des Chinois, et sh en dépit des Grecs.
Il admet un certain nombre «le voyelles doubles, qu'il consi-
d«M-e comme monosyllabiques, bien qu'elles doivent se prononcer
séparément: et des consonnes doubles ou même triples •.
11 applique ce matériel phonétique à la transcription des racines
1. Consonnos triples (initiales) : bvr, sdr, ski, skr. skw.
296 SECTION m, CHAPITRE VIII
latines, en suivant les règles énoncées. L'adjectif dérive constam-
ment du substantif, et le substantif du verbe (comme le mon-
trent déjà leurs nombres de syllabes). La racine, autant que pos-
sible monosyllabique, constitue donc d'abord l'infinitif verbal.
Ex. : dok^= enseigner (L. docere). Si elle commence par une voyelle,
on lui prépose un n : nam = aimer (L. amare). Si la racine a plu-
sieurs syllabes, on lui en retranche : bed = obéir (L. obedire). Si au
contraire elle est trop courte, on lui laisse un rudiment de ter-
minaison : dar = donner (L. dare) ; vler = pleurer (L. Jlere). Enfin,
si plusieurs racines latines, dépouillées de terminaisons, devien-
nent semblables, on les distingue en altérant la voyelle : muor =
mourir (L. mori); môr = demeurer (L. morari); mor = mœurs
(L. mores). Ce dernier exemple montre que la racine verbale
peut être tirée de n'importe quelle partie du discours.
Les substantifs se forment en ajoutant à la racine les suffixes
suivants :
1° -0 pour les êtres mâles, -a pour les femelles : wiro = homme
(L. vir): wira ^ femme:
2" -io pour les objets terrestres et matériels : nakrio = champ
(L. ager); nordio = jardin (L. hortus):
3° -eo pour les éléments, pierres, métaux ; vereo =fer ; naureo
^or:
4'^ -ea pour les plantes et leurs parties (sauf les fruits) : Mande a
= plante ; vlôrea ^^ fleur;
5° à pour les fruits : birà = poire (birea = poirier) ;
6° -u pour les fluides : nakwù =: eau (L. aqua); birû = bière;
kasii = gaz : naerti = air ;
1° -e pour les objets fabriqués par l'homme : mense = table
(L. mensa): kase = cabane (L. casa);
8" -ô pour les parties du corps et les produits animaux : kasô =
fromage (L. caseus).
9° -au pour les idées collectives : nurbau = ville (L. urbs);
krekau = troupeau (L. grex).
10° -uo pour les réunions d'hommes : miliduo = armée ; nunuo
■= union;
11° -ai pour les concepts concrets é/evés (religieux, astronomi-
ques).: adonai ^=Dieu (hébreu); sdelai== étoile: blanedai = pZa/ièie ;
12° -oi pour les fonctions sociales : kuwernoi = gouvernement:
shuroi = yusiice (cf. shuri = droit: shusdi = justice (vertu); shurai
= justice divine) ;
EICHHORN : VVELTSPRACHE 297
130 .a pour l«>s iiif'milifs sul»stnnlili«'s : le skribu l'nritnre;
14° -ua pour l'action iiidiciitrc par la raciiit- vcrhal)* : bardaa =
division (l'action de partager) : cf. barde = division (partie);
1")» -ia pour les ld«''es demi-abstraites et les idées d'états : knria
= soin (L. cura); wokia = voix (L. vox); 8ana= faim (de sur =
esurire; la racine vam = fama signifie renommée);
10» -i pour les purs abstraits : nami, amour: lokwi = langage
(linkwô = langue): naudi = ouïe tnaurô =^ oreille) ; et les idées de
It'uips : dembi = temps: nani = année: nori := heure:
170 -ei pour les idées d'espace : sbadsei — espace (L. spatium);
18» -ui pour les choses répugnantes : shelui = crime (L. scelus);
dekui — déshonneur (deki = honneur, L. decus) ;
III' -iu pour les maladies : vebriu = fièvre: vdisiu = phtisie;
dsàkiu = cécité.
Les noms propres de personnes prennent la désinence -o ou
-a, suivant le sexe : Shubidro = Jupiter. Les autres noms |)ropro.s
sont transcrits phonéticpieinent.
Les adjectifs se forment en ajoutant le suflixe -le au substantif
ou -ile ù la racine. Ex. : bulkri = beauté, bulkrile = beau: bonile
= bon, malile := mauvais : mankile =: grand {magnus), nalbile = blanc
{nlbus), nikrile ^^ noir: vadsile = facile.
La voyelle linale du substantif subsiste avec son sens. Ainsi
wiro = homme engendre wirole = viril, tandis que wiri = force
«Mitrcndre wirile — fort. Autres exemples : badrole = paternel,
madrale = mati-rnet; mikole := amical: vereole = de fer.
Inversement, l'adjectif devient substantif en perdant sa termi-
naison -le ot «Ml prenant les désinences -o, -a. Ex. : bulkro = un 6*/
homme, bulkra = une belle (femme): l'idée abstraite (neutre) est
caractérisée par la désinence -ia : bulkria = le beau.
^uand l'adjectif dérive d'un verbe avec l'idée du passif, il se
forme au moyen du suflixe -ère (r étant la caractéristique du
l)assif) : vakere = faisable; lekere = lisible: namere = aimable.
Les adverbes dérivés d'adjectifs se forment en changeant la
finale -e en le : vadsilie =: facilement.
L'auteur distingue avec soin les vrais dérivés, dont le sens
est réellement composé du sens du mot simple, et les faux dérivés,
dont le sens ne peut pas se reconstituer à l'aide du sens des
cléments simples (Ex. : untergehen = périr (litt. : aller sous): de
même qu'en latin perire signifie traverser). Naturellement, les
vrais dérivés seuls seront traduits par des dérivés analogues.
298 SECTION III, CITAPITRE VIII
Quant aux mots composés, l'auteur ne les admet pas, parce qu'ils
sont difficiles à comprendre. Il préfère chemin deferkEisenbahn (D.),
en vertu de ce principe général de syntaxe, que le déterminé
doit précéder le déterminant (contrairement à l'usage allemand).
Quand on entend Weltspracheblatl, on ne sait pas de quoi il s'agit
avant la fin du mot ; l'ordre naturel est au contraire Blatt (feuille)
der Sprache (relative à la langue) der Welt (universelle). L'idée
principale vient d'abord, elle se complète et se précise par les
additions successives.
Grammaire.
L'auteur admet un article défini^ qui est :
lo (masc.) la (fém.) le (neutre) au singulier;
lô — là — 11 — au pluriel.
L'article indéfini est nu, un; il est invariable. Employé comme
pronom, il est précédé de l'article défini : lo nii, la nu, l'un, Vune.
L'article défini marque le genre et le nombre du substantif,
tandis que le cas est indiqué par les particules : dé (génitif), a
(datif), da (accusatif) mises avant l'article. Ex. : lo badro {le père),
de lo badro, a lo badro, da lo badro. Le pluriel du substantif est
marqué par un -s final : 16 badros, de lô badros, a 16 badros, da 16
badros. La particule de l'accusatif ne sera employée que si elle
est nécessaire pour éviter une équivoque. Les prépositions ne
régissent aucun cas ; c'est-à-dire que les autres cas se forment au
moyen des diverses prépositions.
Vadjectif est invariable en genre, en nombre et en cas. Il se
place toujours après le substantif, en vertu de la règle générale
de syntaxe.
Les degrés de comparaison se forment au moyen des particules
bluet blusd placées devant l'adjectif. Le superlatif (relatif) prend
l'article devant blusd.
Les noms de nombre sont construits a priori, et caractérisés par
la consonne k (sauf nuli =: 0). Ce sont :
ak, 1 ; ek, 2 ; ik, 3 ; ok, 4; uk, 5 ; ôk, 6 ; uk, 7 ; auk, 8 ; aik, 9.
Les suivants sont composés en énonçant le chiffre des dizaines,
puis celui des unités : akuli, 10; aka, 11; ake, 12; aki, 13;
ekuli, 20; ikuli, 30; Puis viennent : dsend, 100: mil, 1000 :
milion, 1 000 000. Ainsi 1887 s'énonce : mil auk dsend aukû.
Les nombres ordinaux se forment au moven du suffixe -dû.
EICIIHORN : WELTSPRACHE 299
Les nombres de fuis s'cxpriinciil nu moy<Mi «lu suffixe -es «m -les.
Lo'!^ adjectifs multiplicatifs se fonuciil au uioy«Mi du suClixi' -ble.
LcH pronoms personnels sont : mo, do, ro: noi, voi, rô. Celui de
la 3" pcrsoniH' varie eu genre aux deux nombres : ro, ra, re:
rd, rà, ri.
Les pronoms du singulier ont un accusatif : mi, di, rao (mar
rue). Ceux du pluriel «tuf leur accusatif marqué par la parti-
cule da. On se traduif par meno.
Le pronom réfléchi est si (sing. et plur.).
Les pronoms possessifs sont dérivés des prouftnis personnels par
ladjoncfion de -le (suffixe des adjectifs) : mole, dole, rôle raie,
rele): noile, voile, rôle iràle, rile). Ils sont invariables.
Les />/'o/io;»is démonstratifs sont : sdo, celui-ci; klo, celui-là: lo sdo,
le métne: lo klo, celai qui.
Le pronom relatif ol interrogatif cal : kwo. Tous ces pronoms
varient en genre et en nombre, et se iléclinenl comme les sub-
sfaiififs.
Les pronoms indéfinis sont : bse, même: lin, autre: dale, tel:
maie, maint: kwokwo. quiconque: nû-kwo, quelque: dudo. tout:
non-nû. aucun : nemo, personne.
Le verbe ne varie pas suivant la personne. L'iiulicatif présent
est l'iidinilif présent, c'est-à-dire le radical verbal : mo éok, /en-
seigne. Les autres temps soid manpiés par les suffixes suivants
(imités du latin ou du grec) :
imparfait : -aba : mo dokaba.
Parfait: -idi : mo dokidi.
Plus-que-parfait : -udu : mo dokudu.
Futur : -oso : mo dokoso.
Futur antérieur : osho : mo dokosho.
\.o subjonctif {i\on[ l'usage sera l'éduit au siriol nécessaire) sera
marqué par la particule invariable Ikon ajoutée aux fenqw d«»
l'indicatif.
Les conditionnels dérivent des futurs par linstM-lion de i avant
la fernunaisoM : mo dokioso. j'e/ise'jji/it'rflis : mo dokiosho. j'flnrrtjs
enseigné.
l.'opintif s(v\prime par le verbe auxiliaire maid [Uiighl E.\ ou
par daib quaml il y a idée d'obligation.
Chose curieuse, le verbe varie en nombre : le pluriel est
marqué i)ar la désinence -n ou -en ajoutée aux formes précé-
dentes, qui sont réservées au singulier.
300 SECTION III, CHAPITRE VIII
\J impératif se, forme en ajoutant le pronom personnel à l'infî-
nitif, et en intercalant un ù ou uni, suivant que le sens est plus
ou moins impérieux: dokudo, enseigne-, dokuro, qu'il enseigne ^
dokûnoi, enseignons, etc.
L'auteur croit indispensable de faire précéder l'infinitif de la
particule du {zu D., to E.) : du dok, enseigner. L'infinitif passé est
marqué par le suffixe -isen : du dokisen, avoir enseigné. Il n'y a
pas d'infinitif futur.
L'actif n'a que les participes présent et passé, marqués respec-
tivement par les suffixes -and et ind.
Le passif se forme en ajoutant -r (ou -er) aux temps de l'actif (à
l'imitation du latin). Ex. : doker, dokabar, dokidir. dokudur dokosor,
dokoshor: infinitif passé : dokiser. Ce suffixe se place après le
suffixe de temps et avant la marque du pluriel: ex. : dokiosoren.
Le passif n'a que le participe passé terminé on -ard : dokard,
instruit. 11 a aussi un gérondif en -urd : dokurd, qui doit être
instruit [docendus L.).
Comme adjectifs, les participes sont invariables : ils devien-
nent substantifs par l'adjonction des suffixes -o, -a, etc. :dokardo,
un savant; et adverbes par l'adjonction du suffixe -ie : dokardie,
savamment.
Les verbes réfléchis (supprimés autant que possible) se conju-
guent à l'aide des pronoms : mi, di, si; ni, vi, si.
L'auteur prévoit plusieurs verbes auxiliaires caractérisés par la
diphtongue ai :
baid, pouvoir (physiquement), kônnen (D.).
laid, pouvoir (moralement), diirfen (D.).
maid, might{E.), auxiliaire de Voptatif.
laik, môgen (D.), like{E.).
wail, vouloir.
daib, devoir.
dais, être obligé de, mûssen (D.).
dsais, être forcé de, mûssen (D.).
Les verbes être (ser) et avoir (lam) ne sont pas auxiliaires, et
se conjuguent régulièrement, ainsi que les précédents.
Nous savons déjà comment se forment les adverbes dérivés
d'adjectifs. Quant aux adverbes primitifs, ils sont empruntés au
latin, mais déformés pour être coulés dans le moule uniforme
(v — e). Exemples : oras = dehors {foras); okul = loin (procul);
onen = derrière (pone); oben = près (prope); eman = de bonne
EICHUORN : WELTSPRACHE 301
heure [inane); oser =:: lard (sero): imul =^ en même temps (sinml);
ember = toujours {semper): ever =^ presipie (fere); orsan = peut-être
{forsan): imis = trop {nimis), etc.
Oui ri non se disent imin (imo) et enon. Xe... pas so traduit par
non, (jui se place devant le verbe, et qui entre aussi en composi-
tion comme préfixe.
Les prépositions, devant avoir une forme déterminée, sont
construites en parti*' n priori, sur le type : vcv: dans celles qui
doivent entrer en composition, les deux voyelles sont pareilles,
afin qu'on puisse supprimer la première (ana devient na-}.
Les prépositions qui indiquent le mouvement vers un lieu
sont caractérisées par la consonne n : ana, vers: ene, dans;
ini. sur: unu, sous: ono. autour. (N. B. Les voyelles i et u ont res-
pectivement le sens d'en haut, cVen bas: la voyelle o, circulaire, a
le sens iVautour.)
Les prépositions qui indiquent le repos en un lieu sont carac-
térisées par la consonne m : ama, auprès de: eme, dans: imi. sur;
umu, sous: omo, autour.
Les prépositions <|ui indiquent le mouvement qui s éloigne
d'un lieu sont caractérisées par la consonne s : asa. de: ose,
hors de, etc.
Les prépositions de temps ont en général p«)ur seconde
voyelle i : eli, depuis; o\i, pendant; ivi, avant; iswi, après lOVO. oswo
signifient avant et après dans l'espace 'i.
Les autres prépositions sont empruntées au latin, modifiées
au besoin pour rentrer dans le type générique : indra. dedans;
eksdra. dehors: ubra, dessus supra): invra. dessous: Indre, entre, etc.
i*our traduire avec, l'auteur emprunte ko au latin: mais il faut
lui donner la forme vcv. Or oko est un nom de nombre: il faut
donc adopter oiko. De même, pro lievienl obro: sine sans, isne:
contra, ondra: coram (on présence de), ora adverbe : oran). De
môme encore : ansa veut dire à cause de; alkre. malgré.
Les conjonctions sont empruntées au latin suivant le même sys-
tème (type : vo. Ed = e/: and = ou [aut): ad = mais at): is = si:
iak = parce que (quia) : ask = comme si [quasi) : eam = aussi (etiam) ;
im =: car (enim^: erk = donc [ergo): nm = quand (cum): and. pen-
dant que [dum): osd. après que (poslquam), etc.
I. I/aulcur fait remarquer ici ingénument que le choix de ces mots n'esl
nulloiiuMit nrMlrnire. Et, on effet, il juslKle iswi. oswo. on disant qu'il
prend pour signiller après les deux dernières coiistumos de rnlphabel!
302 SECTION m, CHAPITRE VIII
L'auteur n'a indiqué qu'une fois une corrélation de forme
entre les particules d'interrogation et de réponse : ikur, pour-
quoi? {cur); akur, pour cela (cf. : ivarum, darum D.).
Enfin il a cru devoir inventer des interjections nouvelles (de la
forme vcvcv) pour les divers sentiments : joie, ailla : douleur,
owàwô, etc.
Pour la syntaxe, il promulgue le principe que nous connais-
sons déjà; il remarque que le verbe placé à la fin de la phrase
(comme il l'est souvent en grec, en latin et en allemand) rend la
compréhension difficile. 11 prescrit donc l'ordre français : sujet
et ses compléments, verbe et adverbe, régime direct, régime
indirect, autres compléments.
Critique.
Le projet de l'abbé Eigjiiiorn repose sur des principes fort
raisonnables; tel est notamment celui qui tend à distinguer les
parties du discours par leur forme. Malheureusement, les règles
par lesquelles il prétend appliquer ce principe apportent des
restrictions arbitraires et fort gênantes; elles combattent et
détruisent l'effet d'un autre principe, également excellent, qui
consiste à emprunter les racines au latin et à d'autres langues,
pour soulager la mémoire. Mais le vice capital de ce système est
dans l'alphabet, dans la confusion graphique des consonnes
douces et fortes. Lors môme que certains peuples (peu nom-
breux, en somme) ne pourraient pas distinguer ces deux sortes
de consonnes, il suffisait, pour tenir compte de cette... infirmité,
d'éviter de former des mots qui ne diffèrent que par une de ces
consonnes (comme pompe et bombe); mais il n'était nullement
nécessaire de supprimer une consonne sur deux, ce qui rend les
mots graphiquement méconnaissables'. Ces deux causes réunies
ont concouru à dénaturer la plupart des racines et des parti-
cules adoptées par l'auteur. Sans doute, il déclare que la liberté
qu'il prend de réformer les mots ne doit pas les rendre inintel-
ligibles, et « que la racine latine doit toujours être encore
1. Pour juger de la nécessité ou de Tutilité de cette réforme, il suffit de
se demander si les Allemands consentiraient à l'appliquer à leur propre
langue, pour la rendre plus facile (?) à une partie d'entre eux ((jui est une
minorité).
EICHHORN : VVELTSPRACIIR 303
Inconnaissable ». Los nombreux exemples que nous avons cités
pcrinollont au lecteur de juger s'il a tenu parole'.
IVautrc part, il n'est pas rest«^ jusqu'au bout lidèle au principe
dos langues n posteriori. Si sa conjugaison syntb»'li(|ue est assez
iuMireuseuient inspirée du latin (à part le signe du pluriel, bien
inutile), et si sa déclinaison analytique est conforme au génie
des langues modernes, ses noms de noud)re et une partie de ses
prépositions sont formés a priori, suivant des idées théoriques
ingénieuses, mais dont l'application pratique est, quoi qu'il en
(lise, absolument arbitraire. De mémo, les nombreux suffures
cnractérislitpu's qu'il invente pour les substantifs, outre qu'ils sont
pour la plupart arbitraires, appartiennent aux systèmes a priori,
et conlribuent encore i\ défigurer les radicaux empruntés aux
langues naturelles ■•*. En résumé, l'auteur n'a pas eu assez d'es-
prit de suite et n'a pas su développer son système d^une manière
couséquenfe et cohérente. Son exemple prouve que l'application
uudadroito de principes excellents peut conduire à un résultat
pratiquement inadmissible.
1. Voir In iiK'^me critique cliez J. Stempfl. Myrana, p. 117 (cet auteur est
justement un .\lloninnd du Sud comme Eichiiorn).
2. Voir notre crilitjue du Volapûk.
CHAPITRE IX
D' ZAMENHOF : LA LINGVO INTERNACIA
DE DOKTORO ESPERANTO^
L'auteur de la langue connue sous le nom d'Espéranto est un
médecin russe, le D"" Louis-Lazare Zamemiof^, né en 1859 à Bie-
lostok (gouvernement de Grodno). lia raconté lui-même la genèse
de sa langue dans une admirable lettre que nous allons résumer
brièvement^ Quand l'idée de la langue internationale lui est-elle
1. D" Espéranto : Langue internationale, Préface et manuel complet, en
russe (Varsovie, Gebethner et WoHT, 1887). — Die Weltsprache ■< Espé-
ranto », vollstândiges Lehrbuch nebst zwei W or ter bûcher n, nacli der russ.
Ausgabe von Dr. L. Samenhof, lirsg. von W. H. Trompeter (Niirnberg,
1891). — Tlie international Language « Espéranto », complète Instruction-
Book with two Vocabularies, translatée! after thc Russian of Dr. L. Za-
menhof bv R. H. Geoghegan (Uppsala, 1898). — Langue internationale
« Espéranto », Manuel complet avec double dictionnaire, traduit sur Tou-
vrage russe du Dr Zaïnenhof par L. de Beaufront, 4'' éd. (Paris, Le Sou-
dier, 1899). — Universalx Vortaro de la lingvu internacia « Espéranto »
(en 0 langues), par L. Zamenhof, 3" éd. (Varsovie, 1900). — Ekzercaro
(recueil d'exercices, en 3 langues), par L. Zamenhof, 2" éd. (Varsovie, 1898).
— Depuis 1901, la librairie Hachette a le monopole (pour tous les pays) de
la Kolekto Esperanta aprobita de D° Zamenhof, qui comprend : 1° Gram-
maire et Exercices de la L. i. Espéranto, par L. de Beaufront (contient
VEkzei'cai'o), 1902 ; 2" Dictionnaire Espéranto-Français, par L. de Beaufront,
2'' éd. 1902; .3° Dictionnaire Français-Espéranto (en préparation); 4" Vocabu-
laire Français -Espéranto et Espéranto - Français , par Cart, Mergkens et
Berthelot (1903); 3° Commentaire sur la Grammaire Espéranto, par L. de
Beaufront, 2" éd. (1902); G° L'Espéranto en dix leçons (Cours du Touring-
Club de France), par Cart et Pagnier (1902); 7° Premières leçons d'Espé-
ranto, par Cart. — Voir aussi h'Espérantiste, journal mensuel fondé en 1898
par M. DE Beaufront (Epernay, Marne). — Enfin viennent de paraître :
Lehrbuch derint. Hilfssprache « Espéranto » mit Wôrterbuch, par A.-H. Fried
(Berlin, 1903), et Espéranto, The StudenVs Complète Texl-book, par J.-C.
0' CoNNOR (London, 1903).
2. Prononcer Z à la française ; les Allemands écrivent : Samenhof.
3. Adressée à M. Borovko ; traduite en Espéranto et publiée dans La
Lingvo internacia, 1890, puis dans le Jarlibro Esperantista de 1897 et dans
les Esperantaj Prosajoj (Hachette, 1902).
d' zamenhop : espéranto SOS
venue? Il ne saurait le dire : si loin que rfuionlenl ses souvenirs,
il a vécu avec elle et pour elle. Les conditions où s'est passée son
«Mifance en ont favorisé et hAlé l'éclosion. Sa ville natale est
divisée outre <|ualro races de langues dilTérentes (Husses,
Polonais, Allemands et Israélites) qui se haïssent et se maltraitent
mutuellement. Le contraste de ces discordes, dues au moins en
partie à la diversité do langues, avec une éducation t idéa-
liste » qui lui onsoignait que tous les hommes sont frères, lui
suggéra la pensée de remédier à ce mal par la création d'une
langue neutre, priso on dehors des langues nationales vivantes.
11 pensa d'ahortl à ressusciter l'usage d'une des langues mortes
de l'antiquité classique: mais il renonça bientôt à ce rtive d'éco-
lier, et en vint à concevoir uno langue artificielle. Kn avançant
dans ses études littéraires ^au gymnase de ^'arsoviej, il se con-
\;iinquitque la complexité des grammaires naturelles était une
richosso vaine et encombrante, et se mit îi élaborer une gram-
maire sinipliliée. Hestait ù construire le vocabulaire : l'énormité
de la tùche l'effrayait, jusqu'à ce qu'il eût remarqué que l'emploi
des affixes de tlérivation permet de former beaucoup de mots
avec un seul, et dispense par suite d'un travail de mémoire
énorme. Seulement, il fallait que cette formation fût absolument
régulière: il se mit donc à cataloguer les diverses relations de
sens qui existent entre les mots, et à chercher pour chacune
d'elles un suffixe spécial et unique. Il réduisait ainsi de beau-
roup le nombre des mots primitifs ou des radicaux.
Ouant à la constitution de ces radicaux, le D"" Zamenhof avait
d'abord songé à les fabricpier de toutes pièces par des combi-
naisons arbitraires de lettres, afin d'obéir à la « loi d'économie »,
ot sous prétexte que le sens des racines est absolument conven-
lic^mol. Mais il y renonça bientôt, s'apercevant que ces racines
artifitielles étaient trop difficiles à apprendre et à retenir. Il
remar(|ua qu'il y a dans les langues modernes un grand nombi*e
de mots déjà internationaux: il les adopta, et constitua ainsi un
vocabulaire romano-germanique.
Il avait ainsi élaboré, dès l'année 1878, une « lingwe univer-
sala » qu'il se mit à pratiquer avec ses camarades (il était encore
au gymnase). Mais ceux-ci, une fois séparés, oublièrent bientôt
la langue et leurs promesses de propagande. Le D' Zamenhof
soumit son projet à une nouvelle incubation, pendant sesf» années
(i études à ri'niversité. sans en parlera personne: il s'exerçait en
CovTUR.vT et Leav. — I^ngac univ. "0
306 SECTION III, CHAPITRE IX
secret à traduire, à composer et à penser dans sa langue ; il la
perfectionnait et l'enrichissait peu à peu, l'assouplissait et lui don-
nait un « esprit » autonome, une physionomie propre. Enfin, il
découvrait le moyen de la rendre utile même à ceux qui ne la
connaîtraient pas, en construisant les mots avec des éléments
indépendants et invariables, de manière que la grammaire ren-
trât dans le vocabulaire, et qu'on pût déchiffrer un texte à l'aide
du lexique seul. Enfin, après avoir cherché en vain un éditeur
pendant deux ans, il se décida à publier en juillet 1887 sa pre-
mière brochure sous le pseudonyme de Doktoro Espéranto, qui est
devenu le nom courant de la langue; risquant dans cette aven-
ture, avec le sort de son projet, son avenir de médecin et celui
de sa famille.
Comme on vient de le voir par ce résumé, le projet du
D"" Zamenhof, inspiré par les mobiles humanitaires les plus
nobles, a traversé, en raccourci, les mêmes phases que l'idée
même de la langue universelle : restauration du latin, puis langue
a priori et purement combinatoire, enfin langue a posteriori. 11 est
fondé sur deux principes essentiels : le principe du maximum d'in-
ternationalité acquise pour les racines ; et le principe de l'invariabi-
lité des éléments lexicologiques, chacun d'eux étant une racine
indépendante et ayant un sens propre. Il réunit ainsi et fond
ensemble les propriétés et les avantages des langues agglutina-
tives et des langues à flexions.
Grammaire.
Valphabetse compose de 27 lettres, 5 voyelles : a, e,i, o, u (oh):
et 22 consonnes : b, c {ts), c (tch), d, f, g (toujours dur), g [dj), h
(aspirée), h {ch allemand dur), j (y de yeux), ] (j français), k, 1, m, n-
p, r, s (toujours dur), s (ch), t, v, z. Il faut ajouter la demi-con-
sonne ù {ou bref), qui ne figure que dans les diphtongues au, eu.
Il n'y a pas d'autres diphtongues : toutes les voyelles se pronon-
cent séparément et forment autant de syllabes : trairi, soifo, trouzi.
D'ailleurs, toutes les lettrés se prononcent toujours de même,
quelle que soit leur place (notamment le c, qui a partout le son
Is, comme en polonais).
Vaccent porte toujours sur l'avant-dernière syllabe de chaque
mot (une diphtongue compte pour une syllabe).
D*" ZAMENHOP : ESPERANTO 307
Los prinripalos parties du discours sont dislinj^iécs par la
voyelle liiiale : le subslantiC par -o, radjcctil par -a, l'adverbe
dérivé par -e, le verbe (à rinfinitif) par -i'. Beaucoup de prépo-
sitions et d'adverbes primifil's se terminent en -au.
L'nrticle défini est la, invariable en genre el en nf>nd)re -. 11 n'y
a pas d'article indéfini, ni d'article partitif.
Le subslnnlifosi terminé par -o an nominalirsingulier. On forme
le nominatif pluriel <'n ajoutant j. On fornu> l'accusatif {sing. ou
plur.) en ajoutant nu -n au nominatif correspondant. Tous les
autres cas sont remplacés par des |»réposifions.
l.'adjeclif es[ terminé en -a au nominatif singulier. Il est inva-
riable en genre. Son pluriel et son accusatif se forment comme
ceux du substantif, avec lequel il s'accorde toujours. La décli-
naison du substantif et tle l'adjectif se résume donc dans le
paradigme suivant :
Plur.
la bona) patroj, les bons pères.
Sing.
Nom. la bona patro, le bon père.
Arc. la bonan patron. .
la bonajn patrojn.
Les degrés se forment analyliquemont au moyen d'adverbes
Le comparatif d'égalilé, au
moyen
de Uel
. lùél, autant.
..que.
Le comparatif de supériorilé.
—
pli
. ol. plus
. que.
— d'infériorité.
—
malpli .
. ol. moins ..
. que.
Le superlatif de supériorité,
—
plej
.. el. le plus .
.de.
— dinfériorité.
—
malplej .
.. el. témoins .
..de.
Le superlatif alisolu.
—
tre.
très
Les noms de nombre cardinaux sont invariables : unu, 1 : du, i :
tri, 3: kvar. 4: kvin, 5; ses, C; sep, 7: ok, 8: naû. U; dek, 10: cent,
100: mil, 1000.
Un nombre exact de dizaines, centaines.... (inférieur à iO)
s'exprime en faisant suivre le nom de ce nombre du mot dix^
cent.... : dudek. 20: tridek, .W:... ducent, 200;...
Tout autre nondire s'exprime en énon(;anl successivement le
nombre de ses unités des différents ordres (quand il n'est pas
n\\\). en comnien(:ant par le plus élevé : 1 1 -^ dek unu: 12 = dek
du: 21 = dudek unu:.... 24r)7 = dumil kvarcent kvindek sep.
1. Commo cps carnrtéristiqups s'ajoutent au radical, elles n'ont leur sens
(|ut> dans les polysyll.ibes. Coin n'empèctie pas d'avoir les prépositions
luonosyllnhiquos : da, de, pri, pro.
2. L'article la peut s'élider on 1' après une préposition flnissant par une
vovello.
308 SECTION III, CHAPITRE IX
Les adjectijs ordinaux se forment en ajoutant aux nombres car-
dinaux le suffixe -a (des adjectifs) : unua, 1"; dua, 2«.
Les adverbes ordinaux se forment de môme au moyen du suffixe
-e (des adverbes) : unue, premièrement; due, deuxièmement.
Pour substantifier les noms de nombre cardinaux, il suffît de
leur ajouter le suffixe -o (des substantifs) : unuo, unité; duo, couple,
paire; deko, dizaine.
Les nombres multiplicatifs se forment en ajoutant aux cardinaux
le suffixe -obi, plus la caractéristique -o, -a ou -e suivant qu'il
s'agit d'un substantif, d'un adjectif ou d'un adverbe : duobla,
double; la trioblo, le triple: kvaroble, quadruplement.
Les nombres fractionnaires se forment de même au moyen du
suffixe -on : duona, demi- ; la kvarono, le quart ; duone, à demi.
Les nombres collectifs se forment de môme au moyen du suffixe
-op : duopa atako, attaque àdeux; kvinope, à cinq.
Les nombres de fois se forment de môme au moyen du suffixe
foi(e) : unufoje, une fois; dufoje, deux fois.
Les nombres distributifs s'expriment en faisant précéder le
nombre cardinal de la préposition po : po du, à deux {deux par
deux, deux par tête, par pièce, etc.).
Les pronoms personnels sont : mi, je; vi, tu et vous ' ; li, il; si, elle^;
gi, il (neutre); ni, nous; ili, ils, elles (3 genres).
On doit y ajouter le pronom réfléchi si et le pronom indéfini oni
= on.
Tous ces pronoms prennent -n à l'accusatif. Ils ne varient pas
autrement.
Les pronoms-adjectifs possessifs sont formés par l'addition de -a
(suffixe des adjectifs) aux pronoms personnels correspondants :
mia, via, lia, sia, gia: nia, ilia: sia. Ils forment leur pluriel et
leur accusatif comme les adjectifs. Ils s'accordent avec le sub-
stantif, exprimé ou sous-entendu ^.
Les pronoms démonstratifs, relatifs et indéfinis présentent une
corrélation élégante et commode, qui s'étend aux adverbes de
lieu, de temps, de cause, de manière et de quantité, et que figure
le tableau suivant.
1. Le pronom ci = lu est pratiquement inusité (comme en anglais).
2. Anglais : she.
3. En d'autres termes, il n'y a aucune différence entre les adjectifs pos-
sessifs et les pronoms possessifs.
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310 SECTION III, CHAPITRE IX
Les adjectifs et pronoms des 3 premières colonnes prennent la
marque du pluriel et celle de l'accusatif; tous les autres mots
sont invariables.
Les mots de la 3" ligne sont tantôt les antécédents des mots
de la 2", quand ceux-ci sont relatifs, et tantôt leurs répondants,
quand ils sont interrogatifs. On leur ajoute ci quand on veut
désigner un objet rapproché : tiu-ci, celui-ci; tio-ci, ceci; ci, tie-ci,
ici. Pour donner aux relatifs le sens indéterminé, il suffit de leur
ajouter ajn : kiu ajn, qui que ce soit; kia ajn, quel que soit; kie ajn,
n'importe où ; kiam ajn, n'importe quand.
Les principaux pronoms indéfinis sont :
alia, autre; cetera], les autres; kelka, quelque; multa, nombreux
(multe, beaucoup); tuta, tout entier; sama, te même (L. idem). Même
(L. ipse) se traduit par mem (adverbe invariable).
Le verbe est invariable en personne et en nombre. 11 a une con.
jugaison absolument uniforme, qui s'effectue tout entière au
moyen de six terminaisons : -as pour le présent, -is pour le passé,
os pour le futur, -us pour le conditionnel, -u pour V impératif-sub-
jonctif, et -i pour Vinfinitif. On doit y ajouter six autres terminai-
sons pour les participes actifs et passiTs :
Actif.
Passif.
Présent :
-ant
-at
Passé :
-int
-it
Futur :
-ont
-ot
Comme on le voit, les voyelles a, i, o caractérisent respective-
ment les trois temps principaux, de sorte que les 12 terminaisons
verbales se réduisent en définitive à 9 éléments :
a, i, o; s, nt, t; us, u, i.
La conjugaison n'emploie qu'un seul auxiliaire, le verbe esti
= être, qui sert à la fois à former les temps secondaires de
l'actif (avec les participes actifs) et tous les temps du passif (avec
les participes passifs), sans jamais être répété ou accompagné
d'un autre auxiliaire '.
1. Comme cela arrive dans toutes les langues vivantes : ic/i wûrde geliebt
worden sein (D.) z=f aurais été aimé (F.) Le verbe esti se conjugue comme
les autres, c'est-à-dire avec lui-même pour auxiliaire; mais ses formes com-
posées ne servent pas d'auxiliaires aux autres verbes.
d' zamenhof : espéranto 111
V<»i4-i lo paradigme do la conjugaisou :
Voix active.
Infinitif présent : ami. aimer.
— passé : esti aminta. (woir aimé.
— futur : esti amonta. devoir aimer.
Participe présent : amanta. aimant.
— passé : aminta. ayant aimé.
— futur : amonta, qui aimera '.
Indicatif.
Présent : amas. Parfait : estas aminta.
Passé : amis. Plus-que-parfail . estis aminta.
Futur : amos. Futur antérieur : estos aminta.
Conditionnel.
Présent : anras. Passé : estns aminta.
Impératif-subjonctif.
Présent : amu. Passé : estu aminta.
Voix passive.
Infinitif présent : esti amata. être aimé.
— passé : esti amita. avoir été aimé.
— futur : esti amota. devoir être aimé.
Participe présont : amata. qu'on aime.
— passé : amita, qu'on a aimé.
— futur : amota, qu'on aimera.
Indicatif.
Présont : estas amata. Parfait : estas amita.
Passé : estis amata. Pius-que-parfail : estis amita.
Futur : estos amata. Futur antérieur . estos amita.
Conditionnel.
Présent : estus amata. Pass<'> : estus amita.
Impératif-Subjonctif.
Présent : estu amata. liasse : estu amita.
I. Los participes, considérés comme adjoolifs, se terminent en ••; mois
on peut les transformer en suhstantirs ou en adverbes (gérondifs) en chan-
geant cette désinence en -o ou en -••
312 SECTION III, CHAPITRE IX
On remarquera que la combinaison du verbe être avec les
divers participes permet d'exprimer bien d'autres nuances de
temps ou de mode, notamment les aoristes anglais (lam going =
mi estas iranta; / was luriting = mi estis skribanta) et certains
temps que le français ne peut rendre que par des périphrases.
Ex. : vi estis punota = vous deviez être puni (sens de futur, et non
d'obligation) : c'est un passé-futur, comme vi estos punita est un
futur-passé, et vi estis punita, un passé-passé.
Quant au passé rapproché et au futur rapproché, ils s'expriment
au moyen des adverbes îus {justement, à Vinstant) et tuj [tout de
suite) -.je viens de lire = mi jus legis: je vais écrire = mi tuj skribos.
Les verbes réfléchis se construisent avec les pronoms person-
nels, aux !'■'= et 2*^ personnes, et avec le pronom réfléchi à la 3'=:
tous ces pronoms sont mis à l'accusatif. Ex. : mi lavas min, je me
lave: vi lavas vin, tu te laves; li lavas sin, il se lave: si lavas sin,
elle se lave (li lavas lin et si lavas sin signifieraient : il le lave, elle
la lave).
Les verbes réciproques se construisent soit en ajoutant au verbe
l'éfléchi l'adverbe reciproke, soit en ajoutant au verbe actif : unu
la alian [Vun l'autre). Us se battent = i\i bâtas sin reciproke, ou :
ili bâtas unu la alian.
Les verbes impersonnels n'ont pas de sujet : pluvas, il pleut.
L'interrogation, directe ou indirecte, se marque par la particule
eu mise au commencement de la phrase (sans entraîner aucune
inversion), à moins que celle-ci ne contienne un mot interrogatif.
Les adverbes dérivés se forment en ajoutant la désinence carac-
téristique -e au radical, quel qu'il soit : bone, bien: nokte, de nuit;
kolere, avec colère: cetere, du reste; sekve, par conséquent; alie,
autrement. Leurs degrés de signification s'indiquent comme ceux
des adjectifs.
Les principaux adverbes primitifs sont : jes, oui: ne, non, ne...
pas; nun, maintenant; nur, seulement ;ankan, aussi :ankoraù, encore;
ec, même: jam. déjà : baldaii, bientôt: kvazaii, quasi: hieraù, hier:
morgaù, demain; preskaù, presque; tro, trop ; ju pli... des pli, plus...
plus...
Les principales prépositions sont : al, à, vers; de, de (origine,
possession) '; en, dans; el, hors de; ekster, en dehors de; sur, sur;
\. Cette proposition traduit logiquement par après un verbe passif,
comme de en français : Il est aimé de tous.
d' zamenhof : bspehanto 313
super, au-dessas de: sub, sous: antaû, avant: post. aprh: apud.
auprh de: ce. chez: cirkaû. autour de: anstataû. nu lieu de: dam.
pendant: gis. jn.v*/uV»: inter. entre: kontraù. ronire: kun. avec: sen,
sans: per, au moyen de: pri, au sujet de; pro, à cause de: por. pour
{afin de): laù. selon; malgraû, malgré.
Knliii. dans les cns où l'on h('*site entre plusieurs prépositions,
ou lorsqu'nucunc no parait convonablo, on emploie la pn^posi-
tion indélermim'-e je. qni p(Mjf tenir lieu de tonte antre. Kx. :
plein de sable — plena je sablo : la dernière fois = je la lasta fojo '.
F.es principales conjonctions sont : kaj (<!.). et: au. oh; nek. ni:
sed. mais: ja. à la vérité: jen, voici: jeu... jen. tantôt,... tantôt: do,
rfo/ic:tamen. cependant: se, si: ke, que; kiam, lorsque: kvankam
(L.), quoique: car. car. parce que: eu, est-ce que? si (interrogalif):
eu... eu, soj7 que... soit que.
(Jnelquos-unes sont aussi des prépositions : dum. pendant que;
§is. J/j.sv/hYj ce que: anstataû. nu lieu que.
Danfi-es sont couipos«'es avec des prépositions ou des
adverbes : por ke, pour que, afin que: antaû ol *, avant que: se nur,
pourvu que: nur se. à moins que: éc se. (juand même.
Daillenrs lin ynpas detlislindion tranchée entre lesadverbes,
les préposilions^ et les conjonctions; chacune de ces particules
l)ent jouer les trois rAles. Toutefois, elles prennent en général -e
comme adveibes : dume. cependant: antaûe. nntérieurcmcnl: kon-
traùe, au contraire : plie, de plus, en outre.
I.es pai'ticides sont en général invariables. Miiis les adverbes
<Mi e pi'enntMil In de l'acrusatif dans certains cas détinis par la
syntaxe.
Parmi les inlcrjcctions. citons : adiaû. ndieu: ve (D.. !-.\ malheur.
Syntaxe.
l^'article défini s'emploie devant un nom générique pour mar-
quer, soit qu'il d»''siLrne la lofalitf' de <e«i f»bjef«i. soit qu'il
1. Un pliilolofrue do nos collègues nous disait que Pinvention do je e»l
un trait do pônio iinpuistiquo. En ctTot. peu importe, lo plus souvent, le
sons do in proposition, pourvu qu'il y on nil uno. qui marque le lion de
deux mots. La nature do oo lion est détormiuoo par lo svns de ce» mots.
2. Nous no voyons pas do raison sufllsanto pour faire suivre antaû de
cl. alors qu'on emploie anstataû comme eonjonrtion.
314 SECTION III, CHAPITRE IX
désigne un objet déterminé ^ Ex. : la homo estas mortema =
l'homme est mortel : la homo kiu veuis = Vhomme qui est venu.
On ne l'emploie pas devant les noms propres ou singuliers
{dont l'objet est unique) puisqu'ils sont entièrement déterminés
par eux-mêmes. Ex. : Doktoro Zamenhof, papo Pio IX», rego
Henriko IV^ 2.
L'accasa/i/ s'emploie :
i" Pour indiquer le régime direct du verbe. 11 importe de
remarquer que l'E'spéra/iio considère, fort logiquement, tout régime
unique comme un régime direct ^. Ex. : obéi la patron, obéir au
père: kion vi bezonas, de quoi avez-vous besoin?
2" Pour remplacer la préposition indéterminée je lorsqu'elle
est inutile, notamment avec les compléments indiquant la date,
la durée, la mesure et le prix : la lastan fojon, la dernière fois;
alla kvin metrojn, haut de cinq mètres: mi restes tri tagoin,je res-
terai trois jours: tiu ci libro kostas ses frankojn, ce livre coûte six
francs '*.
30 Pour indiquer le but d'un mouvement (matériel ou idéal),
quand la préposition ne suffit pas à exprimer qu'il y a mouvement : Mi
iras Parizon, je vais à Paris ■'. La kato saltas sur la tablon, le chat
saute sur la table (il s'y rend; sur la tablo signifierait qu'il y est).
On met à l'accusatif même les adverbes de lieu : Kien vi iras, oh
allez-vous 1 Réponses : domen, à la maison: hejmen, chez moi. Li falis
teren, il tomba à terre: antaûen, en avant!
En dehors des cas précédents, les prépositions gouvernent le
nominatif. Par suite les prépositions al et gis le gouvernent tou-
jours.
1. Le D' Zamenhof lui-mômc dit de l'article : « Gi estas uzata tiam,
kiam ni parolas pri objektoj konataj. >• Il est vrai qu'il ajoute, pour les
Slaves qui ne comprennent pas l'usage de l'article : « Se iu ne kornprenas
bone la uzon de la artikulo, li povas tute gin ne uzi, car gi estas oportuna
sed ne necesa. » Dua Libro, p. 17; cf. Ekzercaro, § 27.
2. Lire : Pio naùa, Henriko kvara. Remarciuons en passant que VEspe-
ranto ne remplace jamais le nombre ordinal par le nombre cardinal,
comme cela a lieu fré(juemment en français.
3. Quoi de plus absurde que nos verbes soi-disant neutres avec un régime
indirect? Les verbes nuire, jouir ne sont-ils pas actifs? Pourquoi dire : nuire
à quelqu'un, jouir de quelque chose, alors qu'on dit : léser, offenser qttel-
qiCun ; goûter, savourer quelque chose'?
4. Cart et Pagnier : V Espéranto en dix leçons, § 18.
T). Ce cas pourrait rentrer dans le T', car le verbe aller est réellement un
verbe actif dont le régime direct est le lieu où l'on va. Ne dit-on pas : Caesar
pelivit Galliam = César gagna la Gaule?
d' zamenhof : espéranto 3i:i
L'nocnsatif s<'rt onoorc ù ('"vilcr (•crlaiiicst'qnivoquos râcli(>tis4*t>
tk's luiigiirs iijilioiialcs. Vav <'x<'iiii)li', crlle phrase : t Je l'écoute
mieux qïïevons » pi'ul signifier doux choses : € Je l'écoute mieux
(pu» je ne vous écoute », cl : t Je lécoute mieux que vous ne
l'écoutez », de sorte qu'on est obligé d'enqiloyer l'une ou l'autre
de ces périphrases si Ton veut éviter l'amphibologie. En Espe-
ranlo. on dira, dans le i" cas : < Mi aûskultas lin pli bone ol
vin > ac-cusatit'i, et dans le second : « ... pli bone ol vi > mouli-
nât il') «.
.Mais il y a encore d'autres causes d é(piivoque : un adjectif
peut jouer le rôle d'épithète ou celui iVnttribul. Connue épithèl»'.
il (pialilie ou détermine le nom qu'il accompagne, il l'ait partie
de sa signification, ou la complète; connue attribut, il s'ajoute à
sa sigiiilicalion. Kn français, on distingue quelquefois ces deux
sens par la place tle l'adjectif : J'ai trouvé le bon vin, ou : J'ai trom<é
le vin bon. Mais cet e.\pé«lient peu logique et subtil est insuffisant
en français et ne peut convenir à une langue internationale*.
{.'Espéranto trouve dans l'accusatif un remède utnversel et infail-
lible à toutes ces équivotpu's : il met l'adjectif épilhète à l'accu-
satif (comme son substantif), et l'adjectif attribut au nominatif.
Exemple : « J'ai trouvé la bouteille cassée. » S'agit-il d'une bouteille
cassée qno vous clierchie/. et (pje vous avez trouvée? Dites : « Mi
trovis la botelon rompitan. » S'agit-il au contraire d'une bouteille
<pie vous avez trouvée cassée? Dites : « Mi trovis la botelon rom-
pita ». Le sens sera clair, quel que soit l'ordre tles mots '.
Le pronom réfléchi si et son possessif sia s'emploient unique-
nuMd «piaïul ils se rapportent au sujet de la proposition où ils se
trouvent^ (on l'a déjà vu à propos des verbes réfléchis). Ex. : la
patro estas kun sia filo kaj siaj amikoj (les amis du père) : mais
on dira : liaj amikoj. s'il s'agit des amis du fils. On voit qu'ici
encore VEsperanto réussit à éliuler une équivoque fréquente
dans nos langues: car on dit en français dans les deux cas : « Le
père est avec son fils et ses amis. » Au surplus, VEsperanio est bien
t. C'est p.xnttcmont cp «jui a lion en latin, du moins toutes les fois que
l'acrusalir dilItTo du noinirintif.
2. Non plus (|uc les (listinotions di'li«*at(*s : brave homtne et homme brare,
galant homme et /lomme galant, etc.
3. On remnrquern qu'ici la syntnxo do YEaperanto so distingue (avec
avnntnpo) do la synln.X(> latino, où l'adjectif, épitlièto ou attribut, s'accorde
toujours avec le substantif.
4. Comme se et suua on latin.
316 SECTION III, CHAPITRE IX
armé contre les équivoques de son, sa, ses, puisqu'il a trois (et
même quatre, avec sia) pronoms possessifs de la 3" pers. sing.
correspondant aux 3 genres, lesquels sont naturels *.
L'emploi des temps et des modes n'est pas déterminé, comme
dans nos langues, par des règles d'accord arbitraires et capri-
cieuses, ni par les conjonctions, mais toujours et uniquement
par le sens du verbe. Le choix du temps ne donne donc lieu à
aucune difficulté : on dit, conformément à la logique : « S'il
viendra, je serai content ».
Dans les propositions subordonnées, on emploie le présent,
le passé ou le futur, suivant que le fait exprimé par le verbe est
présent, passé ou futur par rapport à celui qu'exprime le verbe
de la proposition principale. Ex. : Je crains qu'il ne perde son
procès, mi timas ke 11 perdos (futur) sian proceson; je n espère pas
qu'il vienne, mi ne espéras ke li venos ; je croyais que vous étiez
médecin, mi kredis ke vi estas kuracisto.
Pour l'emploi des modes le D"" Zamenhof n'a énoncé aucune
règle, ce qui ne laisse pas d'être embarrassant pour les novices,
car cet emploi est très variable suivant les langues, et donne
lieu à une foule d'idiotismes. M. de Bevufront s'est efforcé de
régulariser cet emploi en formulant les préceptes suivants^. L'in-
dicatif est le « mode de la certitude »; on doit l'appliquer à tout
fait positif ou présenté comme tel. Ex. : Je crois qu'il pleut, mi
kredas ke pluvas; je ne crois pas qu'il pleuve (maintenant), mine
kredas ke pluvas; je ne crois pas qu'il pleuve (plus tard), mi ne
kredas ke pluvos. Comme on le voit, la présence de la négation
dans la proposition principale ne change pas le mode du verbe
subordonné.
L'interrogation, soit directe, soit indirecte, n'influe pas davan-
tage sur le mode : Croyez-vous qu'il pleuve, eu vi kredas ke pluvos?
Je doute qu'il vienne, mi dubas eu li venos ; je ne doute pas qu'il ne
vienne^, mi ne dubas ke li venos.
Le conditionnel est le mode de la condition et de la supposition :
1. En allemand, où la même distinction existe, les pronoms du masculin
et du neutre sont identiques; et comme le genre n'est pas naturel (le mot
Weib = femme est du neutre!), on ne sait jamais si sein se rapporte à une
personne ou à une chose. Ajoutons que ihr peut signifier à la fois : son (à
une femme), voItc et leurl
2. Cotnmentaire sur la Grammaire Espéranto, p. 84-99.
3. On ne saurait trop admirer l'illogisme de ce subjonctif, aggravé d'une
négation, pour exprimer un fait positif considéré comme certain.
I) /AMKMIOI- : KSI'KilAMO 317
il s'applique donc aux faits ou assertions prohliMualiqucs. Ex. : Si
vous vouliez, vous seriez heureux, se vi volus, vi estus felica. Par suite,
il s'tMupIoio p<»ur attiMiucr une affirniittioii on un ordre (pie l'in-
(liciilif riMulrait trop tranciianls : Jv vomirais iiiic..., mi volus ke...
].' impératif-subjonctif csi le mode du désir et de la volont<S plus
f,M''n«''ialenient, (te la finalit('' (du but ù atteindre). Il s'emploie
donc, non seulement danft les propositions principales imp(!'ra-
lives {Répondez, commençons, qu'il vienne, etc.), mais encore dans
les propositions suhordonntVs qui d('pendent d'un imp('ratir ou
d'un verhe exprimant vol(jnt(', (l(''sir, m'cessité, besoin, conve-
nance ou mt^rite, ou qui commencent par la conjonction por ke
[afin que). Ex. : Je veux que vous écriviez , mi volas ke vi skribu;
nous souliailons que vous réussissiez, ni deziras ke vi sukcesu : // piTmel
qu'on s'en aille, li permesas ke oni foriru; j'at besoin qu il vienne, mi
bezonas ke li venu; il convient que vous lui rendiez visilr. konvenas
ke vi lin vizitu; vous mérilez qu'on vous pende, vi méritas ke oni
pendigu vin; je ferai tout pour que vous soyez conlenl. mi faros cion
por ke vi estu kontenta. MIendez qu'il vienne, atendu ke li venu;
prenez <jardc de tomber, atentu ke vi ne falu.
Dans beaucoup de cas où le français emploie l'intinitif, \'Hs-
peranto emploie fort logiquement, soit un mode personnel, soit
un participe : Vous avez bien fait de venir, vi bone faris. ke vi venis;
dites-lui de venir, diru al li. ke li venu; jV i(ti entendue ctianter (une
chanteuse', mi aùdis sin kantantan; Je l'ai entendu rlmnifr ('une
chanson), mi aùdis §in kantatan'.
D'ailleurs les participes sont d'une grande ressource en Esite-
ranio, notamment le participe-adverbe qui remplace i\ la fois le
irérondif et le participe absolu du latin : // passe son temps à lire,
li pasigas sian tempon legante en lisant); vous faites Itien de tra-
vailler, vi bone faras laborante; à les voir ten les voyant), ilin
vidante: il est arrivé sans m'avertir, li alvenis ne avertinte min
ne mayant pas averti).
La construction est libre, en principe ; aussi ne trouve-t-on dans
les manuels aucune règle à ce sujet '. Toutefois. VEsperanlo
\. On remnr(|ue qwo c'est là un moven d'éviter les etiuiv(Mjiie> Im-ii iirefe-
rnlde aux rf'gles dos participes français, t|ui no sufllsont intime pas tou-
jours: car on dit : fai entendu chanter ta Patli, comme : fai entendu
chanter la Marseillaise.
2. Voir De Bbaifront, Commentaire .sur la Grammaire, p. il7-l2l, cl
L'ordre des mots en Espéranto, ap. VEspéranliste, n" 47, 49, 50 et 33.
318 SECTION III, CHAPITRE IX
n'admet ni les inversions capricieuses du latin, ni les inversions
obligatoires de l'allemand. En général, il groupe ensemble tous
les mots d'une proposition (au lieu d'emboîter ou d'enchevêtrer
les propositions les unes dans les autres), et sépare toutes les
propositions par des virgules (y compris les propositions rela-
tives, à l'exemple de l'allemand). De plus, dans chaque proposi-
tion, il groupe autour de chaque terme essentiel (sujet, verbe,
régime direct, régimes indirects) tous les mots qui le déterminent
ou en dépendent, en un mot tous ses compléments. En particulier :
Vadjedif épithète se met soit avant, soit après le substantif
qu'il qualifie ; le pronom se met en général avant les deux : mia
kara amiko, et ïarticle avant tous les trois : la du bravaj soldatoj.
Le participe qui forme un temps composé suit immédiatement
l'auxiliaire être (comme dans la conjugaison), puisque tous deux
réunis ne forment en réalité qu'un seul mot : le verbe.
L'adverbe se place avant ou après le mot qu'il détermine (le
plus souvent après le verbe, et avant l'adjectif). Mais les adverbes
ne, pli, plej, tre et autres (de quantité ou de comparaison) pré-
cèdent toujours le mot qu'ils déterminent.
La préposition précède toujours le substantif et tous ses com-
pléments : kun miaj tri plej bonaj amikoj, avec mes trois meil-
leurs amis.
Le complément d'un substantif, d'un adjectif ou d'un participe
le suit toujours immédiatement, comme l'exigent la logique et
la clarté. Ex. : la hauteur de cette montagne, la alteco de tiu monto ;
un vase plein d'eau, vazo plena je akvo.
La conjonction vient toujours en tôte de la proposition qu'elle
domine'.
Les mots interrogatifs ou exclamatifs commencent toujours la
proposition (principale ou subordonnée).
Chacun des termes essentiels étant ainsi accompagné de tous
ses compléments, leur ordre dans la proposition est facultatif,
grâce à l'accusatif qui désigne le régime direct, et aux préposi-
tions qui précèdent les régimes indirects. L'ordre habituel est :
sujet, verbe, régime direct, régimes indirects. Mais il n'a rien
d'obligatoire, et l'on peut le modifier dès qu'il y a pour le faire
1. Ou remarquera que la plupart de ces règles sont des limites à la
liberté absolue de construction qui règne en latin, et qu'elles ne sont pas
observées dans certaines langues vivantes, au détriment de la clarté.
d' zamenhof : espéranto 319
une raison de clarl»^ d'ordre logique ou sim{)lement d'eu-
phonie. I*!x. : J'ni renroidrê Pierre près de l'i-ijlUe.
Mi renkontis Petron apad la pregejo.
Petron mi renkontis apud la pregejo.
Apud la pregejo mi renkontis Petron.
€ D'ordre lofçique », avons-nous dit : il ne faut pas croire en
t'ITot (fue l'onln* logique soit toujours l'ordre grammatical :
siijft. verbe, attribut. Il y a bien des cas où le sujet logique de la
proposition n'est pas du tout le $ajel grammnlicaU . Le sujet
logi<Iue. c'est le terme d'où part la pensée et sur lequel porte la
proposition : dans la proposition précédente, ce sera suivant les
cas, moi; Pierre ou tèglise. Il est donc naturel de le mettre le pre-
mier, et, en général, de ranger les idées dans l'ordre où elles se
présentent t\ IVsprit. M. de Beaufront cite comme exemple cette
phrase de VEkzercnro (§ 29) : c El la dirita regulo sekvas, ke se ni
pri ia verbo ne scias, eu §1 postulas post si la akuzativon... ni povas
ciam uzi la akuzativon. » i.a pensée part « de ia régie préc»--
tltiilo ». pour en tirer une conséquence. Dans la proposition
subordonnée, il s'agit du verbe : aussi met-on d'abonl * pri ia
verbo ». Cet ordre permet en outre de rattacher immédiatenient
à chaque verbe la proposition subordonnée qui en dépend :
< sekvas, ke... », « ne scias, eu... ». La phrase n'aurait plus la même
éli'gMnce ni la même clarté logique si l'on avait suivi la cons-
truction normale et rigide : « Sekvas el la dirita regulo. ke se ni
ne scias pri ia verbo. eu ^ postulas, etc. »
Kn résumé, la construction en Espéranto est également éloignée
(le la liberté absolue du latin, qui engendre souvent l'obscurité
ou rét|uivoque, el de la rigidité du français el de l'allemand,
((ui est souvent nuisible, non seulement à l'élégance et à la
variété, mais à la logique et à la clarté.
VOCABUL.\IRE.
Le D"" Z.VMENHOF s'est efforcé de réduire le vocabulaire à un
petit nombre de radicaux, grAce h une méthode régulière de
formation des mots. Ll ces radicaux ont été choisis en vertu du
1. Cf. HoFFinNc La hase psychologique des jugements logiques^ ap. Retue
philosophifjue, l'JOI, t. H.
320 SECTION III, CHAPITRE IX
principe de rinternationalité, afin de réduire au minimum le nombre
de ceux que chaque peuple ignorerait et aurait par suite à
apprendre. IJUniversala Vortaro contient 2 642 radicaux traduits
en D., E., F., Pol., R., de sorte qu'on aperçoit aussitôt le degré
d'internationalité de chacun d'eux par rapport à ces cinq
langues *. On peut les diviser en trois catégories.
Il y a d'abord les radicaux tout à fait internationaux (dans les
langues européennes); V Espéranto les adopte en leur imposant
une orthographe phonétique aussi conforme que possible à
l'étymologie ^ Kx. : atom, aksiom, bark, danc, form, flut, fosfor,
panter, paraliz, post, teatr, tabak, tualet, vagon.
Cette catégorie de mots comprend la plupart des termes scien-
tifiques (tirés du grec ou du latin), que VUniversala Vortaro ne
contient même pas, comme : filologio, filosofio, fiziko, poezio,
poeto, profesoro, doktoro, komedio, literaturo, tragédie, telegrafo,
lokomotivo, etc.
Une seconde catégorie comprend les radicaux partiellement
internationaux; pour chaque idée, le D"" Zamenhof a choisi le
radical le plus international, c'est-à-dire celui qui est commun au
plus grand nombre de langues européennes. En voici des exem-
ples, avec l'indication de leur internationalité : flam, mars, mast
(D., E., F., I., R., S.) ; ankr (D., E., F., I., R.), benk (D.. E., F., I., S.),
marmor(D.,F.,I.,R.,S.):flor(E.,F.,I., S.),jun,artisok, fason(D.,E.,
F., R.), anonc (D., E., F., I.), mus (D., E., I., R.): fam (E., I., S.), flag,
stal (D., E., R.), emajl, mebl, trotuar (D., F., R.); man (F., I., S.);
mon (E., F.), bind, blind, dank fajr, fis, fingr, glas, help, jar, land,
melk, rajt, ring, send sip, su, sun, trink, varm, verk, vort (D., E.).
La troisième catégorie comprend les mots qui ne sont nulle-
ment internationaux. Pour ceux-là, le D"" Zamenhof a emprunté
les radicaux aux principales langues nationales, ou bien au
latin, suivant que l'un ou l'autre de ces radicaux nationaux a
plus de chance d'être connu des hommes instruits. Il en a aussi
profité pour augmenter la part faite aux racines germaniques et
slaves, car les racines latines sont prépondérantes dans les deux
catégories précédentes, en vertu de leur internationalité supé-
rieure. Par exemple, il a emprunté ajii latin un certain nombre
de particules (sed, tamen, apud, dum) et des radicaux comme
1. Auxquelles il conviendrait d'ajouter l'italien et l'espagnol.
2. En particulier, on remplace toutes les lettres doubles par des lettres
simples. Ex. : adres = adresse (D., F.) = address (E.).
D' ZAMENHOF : ESPEHANTU 321
aùd, brak. dors, dekstr, felic. proksim: nux langues geriiiani<|uoK
les ra(li<';ui\ bedaùr. bird. fraûl. flug. flik. knab. kugl, sajn.
silk, sirm. sink. sraub. sut, taùg. vip: aux langues slaves les
i-adicauv bulk. brov. prav, âelk, svat, vost. Il a ainsi lArlié de
favoriser ini|>aitialen»enl lout<'s les langues européennes, et de
les faire concourir toutes s"» la constitution de son vf»cal)ulaire,
afin de rendre sa langue vraiment internationale, et aussi facile
(|ue possible pour chaque peuple de civilisation européenne.
In tel vocabulaire, dit M. de Heaufront, n'est pas l'ceuvre arbi-
traire d'un individu, mais en quelque sorte l'œuvre collective
dos peuples européens, qui ont inconsciemment contribué à le
l'ormer en conférant à tel ou tel mot l'internationalité dont il
jouit, et doid VEsperanh ne fait «pie profiter.
Ln fonnalion des mots s'elïcctue par la juxtaposition d'éléments
lexicologicpies a/>so/u/»fH< invariables, comme les radicaux. Les mots
se f<»rment, soit au moyen des terminaisons grannnaticales imo/s
simples), soit au moyen d'aftixes proprement dits {mois dérivés).
On connaît les termioaisons grammaticales: il suffit de mon-
ti-ei" par un exemple conunent elles servent à la dérivafiorj :
parol-i, /)f»r/<T: parol-O. pnrule: parol-a. ornl\ parol-e, verbalemenl :
parol-ant-o, orateur*.
Les principaux nj^ixes de dérivation sont - :
mal-, (pii inditpie le contraire de- : amiko = ami, malamiko =
ennemi; forta = fort, malforta = faible; fermi := fermer, mal
îermi = ouvrir; frue = lot, malfrue =: tard.
-in. qui indique le Jéminin ^ : viro ■-= homme, virino = femme:
patro = père, patrino = mère, bovo = bœuf bovino = vache *.
1. Cet excmplo montre t'ii iiu^nic Icmps combien celle mélhodo de Torma-
tion soninjrc In mémoire. |>iiis(|ii"olle permet tlo former méonni<|iiFmen( avec
un seul radical des mots dont les éciuivaients nationau.x appartiennent sou-
vent à des radicaux dilTérenls.
2. Bien (|ue la |>lupart de ces nTAxes servent ù la fois (comme on le verra
par les exemples) à former des substantifs, des adjectifs et des verbes., nous
iiiumérerons successivement ceux «jui servent à former principalemenl
1° des substantifs: 2" des adjectifs; 3' des verbes. — Les nfllxes ne sont pas
plus clioisis ou créés arbitrairement (|ue les radicaux; ils sont presque tous
cniprunlés à quebjue langue vivante ou morte (voir Commentaire, p. 172-
ITG). Par exemple, le prellxe mal- est emprunté nu français {malatlroit.
"Hiltionnete, mal/teureti.r, etc.)
3. Les sufllxesse metlenl immédiatement apri's le radical, el avant la ter-
luinnison frrammaticale.
4. Quand on veut désigner oxpressémenl le mdle d'une espèce animale.
on ajoute à son nom : -viro.
CocTCRAT et LcAV. — I.Anguc univ. 21
322 SECTION III, CHAPITRE IX
ge-, qui indique la réunion du masculin et du féminin : gepa-
troj, père et mère, parents ; gefratoj. frère et sœur, ou Jrères et sœurs.
-edz indique le conjoint de- : -edzo = mari de, -edzino = femme de ;
doktoredzino = femme de docteur, doktorinedzo = mari de doctoresse.
bo- indique la parenté résultant du mariage : bopatro, beau-père;
bofilo, gendre.
-id indique Yenfant, le petit ou le descendant de — : bovido, veau
Napoleonidoj, descendants de Xapoîéon.
-et indique le diminutif : monto = montagne, monteto ^ colline;
varma = chaud, varmeta = tiède ; ridl = rire, rideti = sourire.
-eg indique ïaugmentatif : pordo = porte, pordego = porche, por-
tail; varmega = brûlant; peti = prier, petegi = supplier K
-ad indique la durée ou la répétition de l'action : pafo = coup
de fusil, pafado = fusillade ; parolado = discours ^.
-an indique une personne qui appartient à (un pays, une
société, un parti) : Parizano = Parisien; kristano = chrétien.
-ar indique une réunion ou collection : arbo = arbre, arbaro
= forêt; vorto ^= mot, voTtaro = dictionnaire ; vagonaro = train;
(de chemin de fer).
-ej indique le lieu affecté à — : prego = prière, pregejo = église;
kuiri =: faire cuire, kuirejo = cuisine.
-uj indique ce qui porte ou renferme — (par extension, l'arbre
et le pays) : mono =: monnaie, monujo = porte-monnaie ; porno =
pomme, pomujo = pommier; Franco = (un) Français, Francujo =
la France.
-ing indique l'objet où Von met (la chose exprimée par le
radical) : plumo = plume, plumingo = porte-plume.
-ist indique celui qui s'occupe de — : boto = botte, botisto =
cordonnier: maro = mer, maristo = marin; pentri = peindre, pen-
tristo = peintre.
-il indique l'outil ou l'instrument : kudri = coudre, kudrilo =
aiguille; pafilo = /«si/.
1. On fait remarquer que les suflixes -eg et -et ne l'ont nullement double
emploi avec les degrés de comparaison : ils les dépassent, au point de
changer qualitativement la notion. Par exemple, soit rivero = rivière,
cours d'eau; malgranda rivero = petite rivière, rivereto = ruisseau;
granda rivero = grande rivière, riverego =j)rand fleuve (comme l'Ama-
zone). De même, varmega dit plus que tre varma: grandega = énorme,
grandegulo := géant; malgrandega = minuscule, malgrandegulo = nain.
2. Dans certains cas, ce suffixe parait désigner simplement l'action :
fabrikado = fabrication.
d' zamenhop : espéranto 323
-ec iii(li(|uc la qualitr* nhsirnitc : jnna = Jeune, Jnneco = feU'
iirssr: infano = enfant, infaneco = enfance.
-a] iii(lii|iic ati coiilrairr la chose concrète qui possède telle
«|nijlil<'* : infanajo ~ enfnntUUnjr; pentrajo = peinture (tableau):
malnoya — m/kiVh, malnovajo ^ (une antitjuilè).
ul imli(jue la iKM-soniie caiacti^riséc par (telle qualit(^) : jnnnlo
jfinif homme: timo ^= crainte, timulo = poltron.
-er indiiiuc l'unité (Mémcnlairc (d'une chose collective ; monero
= pièce de monnaie : sablero = grain de sable.
-estr in(li(|nol(M'hr fou maître: 8ipo:=i'njss/'au.8ipe8tro=:crt//i/fli/i«'.
-em indique le ponrhant à — : timema = timidr . kredi = croire.
kredema = crédule •.
ebl signilie (/n'o/j pcul -- : kredebla = croyable: legi = lire,
legebla = lisible ^legeble = lisiblement).
-ind signifie digne de —, qui mérite — : kredinda = digne de foi:
bedaùri = regretter, bedaùrinda = regrettable (bedaûrinde —
regrettablement, mnlheureusement) .
dis- indique séparation, dispersion : semi := semer, dissemi = dis-
inincr: iri =: aller, ditfiri =: se séparer (aller chacun de son ctM«'\
ek- indi«|ue le conunencenienl de l'action : vidi =^ voir, ekvidi
= apercei'oir: dormi := dormir, ekdormi = s'endormir *,
re- indique lo retour ou la répétition : reiri = retourner: revidi
= revoir ^.
-ig signifie rendre, faire — : para = propre, pnrigi = nettoyer:
scii — savoir, sciigi == faire savoir, sciigo = nouvelle.
-ig signifie devenir, se faire — : pala =: pâle, pali0i = pâlir:
levi = lever. IeTi§i = se lever. levi§o = (le) lever '.
1. l'nr exception, le substnntir de qualité se Tormc en -emo (nu lieu de
-emeco) : timemo = timidité: kredemo = crédulité.
2. Cl' prcllxr sort donc i\ foriiu>r les verbes dits inchoalifs.
:\. il nous seniikle «lu'il y niiiail inU'r<^l » distinguer ces deux sens, bien
(lilTorents, du prclixe Intin re-. que l'nlieniand distingue pnrraitement
{zurûck, wieder). Le !)' Znnienliof essaie de justilier ce doulde sens en
disant que, dans les deux cas. re- signifie retour à IVlat initial {ttrammaire
et Exercices, p. 109-1 fU). Cela est inexact. Revenir signifie tantôt venir ««n
retour d'où l\)n est allé, et tantiM venir de nouveau. De Miônie. reprendre c'est
prendre en reli>ur. et non prendre une seconde fois; mais re/"fl»Ve c'est recom-
mencer, et non faire en sens inverse, qui est défaire. Il faudrait deux
prolixes distincts comme re- {reiro) et ru- (rursus-, bien que rursus présente
in mémo équivoque en latin : on trouve dans Cicéron : • rursus relro ».
•M dans Plante : • rursus denuo •. I/nd verbe non équivoque est Herum.)
i. (le suffixe sert n former beaucoup de verbes réfléchis ou moyens (coname
eu grec).
324 SECTION III, CHAPITRE IX
Enfin il y a un suffixe indéterminé -um, qui joue un rôle ana-
logue à celui de je parmi les prépositions. Il sert à former cer-
tains dérivés auxquels ne conviendrait aucun des auti^es suffixes ;
le sens de ces dérivés est fixé dans le dictionnaire et doit être
appris comme celui des radicaux. Ex. : kolumo = col: manumo
=: manchette: plenumi = remplir (au fig.j, accomplir (un devoir);
ventumi = éventer.
Les suffixes peuvent se superposer, le principal, c'est-à-dire
celui qui détermine le sens du mot, étant le dernier (comme on
l'a vu dans doktoredzino et doktorinedzo). Ex. : arbareto = petite
forêt, bosquet; arbetaro = groupe de petits arbres, buisson: pafilego =
canon: mangilaro = couvert (ensemble des instruments pour
manger); ventumilo ^ éventail; lavistinedzo = mari de blanchis-
seuse: maljunulo = vieillard; belulino = (une) belle; remalsanigo
= rechute (de maladie) : action de devenir (ig) de nouveau (re)
malade (malsana).
Les mots composés se forment en juxtaposant les radicaux
(séparés au besoin par un -o- pour l'euphonie), le principal étant
toujours le dernier; c'est celui-là seul qui prend la terminaison
grammaticale. Ex. : fervojo = chemin de fer; vaporsipo = bateau
à vapeur: skribtablo ou skribotablo = table à écrire; tagmezo
= midi ' .
Les particules entrent aussi en composition : antaùiri = pré-
céder ; eniri = entrer ; eliri = sortir - ; alporti := apporter : kontraû-
diri = contredire ; tralegi = lire d'un bout à Vautre : senfina = infini
(sans fin).
La négation ne-, notamment, sert de préfixe pour indiquer la
contradiction pure et simple. Ex. : neutila^= inutile (cf. malutila =
nuisible). La préposition sen- a à peu près le même rôle : elle
indique surtout la privation : senvestigi = dévêtir; sénmaskigi =
démasquer: senkapigi = dc'capi/er.
Au fond, il n'y a pas de différence entre les mots dérivés et les
mots composés, non plus qu'entre les affixes et les particules:
les uns et les autres sont des éléments indépendants et inva-
riables, à sens constant et bien déterminé, de sorte qu'ils peuvent
1. Ordre logique: milieu du jour, contraire à celui derallemnnd : Mitlag.
2. La préposition el nous semble mal choisie : elle risque trop de se con-
fondre, pour l'oreille, avec ses contraires al et en, surtout en composition.
11 vaudrait mieux employer la préposition ek(G. L.),et remplacer le préfixe
inchoatif ek- par le suffixe -esk (G. L.).
d' zamenhof : espéranto :i2:,
eux-in<*ines servir de radicaux à des mois simples ou composés.
Ainsi : edzo — mari, edzino = épouse: geedzoj = (les) ^poux, (un)
conph'-. edzigi ^ marier, edzi^ = se mnrier. edzi§0 = mariage
(lUKM's). De iiiriiH' : eco — iiualilc; indo = mérite, inda ^= ditjne de;
ano = habitant ou partisan ; ebla = possible, eble = peut-être {* pos-
sihloment »): igi = faire (suivi d'un infinilifj; i§i = devenir:
kune = ensemble: ree = en retour ou derechef. Exemplos de mois
composés : ali§i = adhérer: kunigi := réunir: disigi = désunir:
senigi = dépouiller: reigi =^ rétablir, etc.
Celte possibilité de décomposer tous les mots en éléments
iuvnrial)les, de les désarticuler, concourt à rendre lEsperanto
oxlréinenient facile à comprendre et à manier. Elle fait qu'on
peut tiaduire un texte Espéranto sans savoir un mot de la lan^Mie,
iini<|iuMnont à l'aide du dictionnaire, ce «pii n'est possible dans
aucune langue vivante •. Il suffit de séparer typographiquement.
pour les commençants, les divers éléments de chaque mot: ils
noiif (\n'h les clierclior séparément dans un lexique pour recons-
tituer infailliblement le sens du texte. Par là, la granunaire
rentre en quelque sorte dans le dictionnaii*e, et l'Espéranto peut
s(M'vir inuuédiafement. même auprès de ceux qui l'ignorent.
Pour avoir une idée de la puissance de prolitication des radi-
caux de VEsperanto, il faut lire dans VEkzercaro (§ 42 et dernier) la
^nilo des «lérivés de la racine san = santé. Contentons-nous ici
(iéiinmérer (luelques-uns de ceux de la racine mort : morti =
mourir: morto = (la) mort: mortanto = (le) mourant: mortinto = (le
;n();7; morta = mortel, de mort pi\leur mortelle': mortado - mor
lalilé (statistique): morteco = mortalité (condition : mortema
= mortel (sujet à la mort); mortigi = tuer (faire mourir): mortigo
meurtre: mortiga — mortel, mortift-re (coup morleli: mortiganto =■
meurtrier: senmorta = immortel, senmorteco — ; immorinlité: mem-
mortigo = suicide, etc.
Enlin. pour faire connaître la physionomie de la langue nous
citerons le Pater, traduit par le I)"" Zamenhof-; on remanpiera
t|n'il suit mot à mot le texte latin :
1. Le D' Zamenhof- en donne comme exemple cette plirnse nllemnnde si
simple : Icfi iieiss nicht, mo ich den Stock gelassen habe: hahen Sie ihn
nicht ;/est'/»en'} (Commentaire, p. I.")2-I.'i."l.) On remar<|iiera «lu'il a ainsi ren-
list> les conditions prévues par DEscAHres pour qu'on puisse comprendre
une lanjruo nu moyen du dictionnaire seul.
2. De Beaikroxt, Preyareto por Kalotikoj, p. Il (approuvé par rnutorilè
ecclésiastique).
326 SECTION III, CHAPITRE IX
Patro nia, kiu estas en la cielo, sankta estu via nomo: venu
regecovia; estu volo via, kiel en la cielo, tiel ankaù sur la tero.
Panon nian ciutagan donu al ni hodiaù ; kaj pardonu al ni suldojn
niajn, kiel ni ankaù pardonas al niaj suldantoj ; kaj ne konduku nin
en tenton, sed liberigu nin de la malbono.
Si Ton veut un spécimen plus profane et plus pratique, on
peut lire les lignes suivantes :
Estimata Sinjoro. — Per tiu ci libreto mi havas la honoron pre-
zenti al vi la lingv(?^internacian Espéranto... Espéranto tute ne
havas la intencon malfortigi la lingvon naturan de ia popolo. Gi devas
nur servi por la rilatoj internaciaj kaj por tiuj verkoj au produktoj,
kiuj interesas égale la tutan mondon'...
Historique.
Bien que le D"" Zameniiof eût éprouvé lui-même sa langue par
une pratique de plusieurs années, il décida de la soumettre pen-
dant un an au jugement du monde savant. « 11 ne voulait pas
être le créateur, mais seulement Vinitiateur » de la L. I.; il recon-
naissait volontiers que l'œuvre d"un seul homme ne peut pas
être parfaite, il ne prétendait donc apporter que le germe de la
future langue internationale, et il laissait au public et à l'usage
le soin de la développer ^. Il décida donc de ne rien changer à
sa langue pendant toute l'année ^888, au cours de laquelle il
appelait sur elle les critiques; il se proposait de les publier, de
les discuter, puis de corriger sa langue en conséquence, et de la
fixer définitivement. Il offrait môme de confier ce travail à telle
Académie qui voudrait s'en charger, et de s'efTacer complète-
ment devant ses arrêts. Il proposait aussi une sorte de plébiscite
universel touchant le choix de la L. L, qui devait être clos le
jour où il aurait reçu 10 millions de votes ^
Plus tard encore, en 1896, le D'' Zameniiof proposait un
« Congrès par opinions écrites pour traiter et décider la question
1. Extrait dos Textes Espéranto insérés dans le Manuel complet (p. 15) et
dans ia Grammaire (p. H).
2. On ne peut s'cinpèclier de remarquer que cette attitude contraste vive-
ment avec celle de Mgr Schleyeh, qui prétendait rester seul maître du
Volapuk.
3. Dua libro de V lingvo inlernacia (Varsovie, 1888).
1»' /AMhMiOK ; i■,^l•KI«A.^l() 327
li iiii<> liingiK' iiitcMiinlionalo* >. Il constatait (]uo la solution du
probl(''nie ne faisait pas de progrès, parce que les partisans
d'un»' Innirin' inU'rrialionalo ^'laiiMil divisés sur la qurstion de
savoir iainn'll»' adojiU'r; il demandait (ju'au Ii«'U de se cond)attre
ils s unissent pour choisir une seule langue et pour la propager
d'un aceord unanime. Pour cela, il proposait d'abord une
riupuMe où rliacuu indiquerait le projet de son choix en expo-
sant les raisons de sa préférence; l'ensemble des opinions ainsi
recueillies serait publié et distribué aux participants, qui. après
en avoir pris connaissance, voteraient délinilivem«'nt ; et le
h"" ZvMKMioF se déclarait prêt s'i s'incliner devant la décision de
la majorité. Mais tous ces projets, si modestes et si désinté-
ressés, send)lent avoir échoué devant le scepticisme ef linerlic
du public.
La » langue du D"" Espenmto » se propagea lentement, d iil»oitl
en lUissie, où la Société Espero fut fondée h Saint-Péterslxujrg
• 11 1892; puis en Allemagne. grAce à Léopold Einstein, cpii en
devint un ap«Mre fervent*, et qui y convertit le club volapfikiste
de NOrnberg, fondé en 1885. Celui-ci publia un manuel allemand
iV Espéranto^, le premier journal, espérantiste (Ln Espenntlishi.
!"■ sept. 1889). et devint le foyer de VEsperanlo dans les pays
allemands. Puis des manuels et brochures de propagande furent
pultliés en anglais par M. Henry Piiii.i.ips, secrétaire de V .\meric(tn
l'hilosophical Society^ et par M. H. Geogheg.vn, consul britannique
I Tacoma (Wash., L'. S. A.)'. D'aul l'es adeptes publiaient des
niannels en d'antres langues (suédois, polonais, letle. danois.
Iflièquc, l)ulgare, italien, espagnol, portugais, hébreu) et
publiaient des traductions d'œuvres classiques en Espéranto
Hamlel, par Zameniiof; Vilinde, le Cnïn de HyroN. et le Manmjt' de
l'iijaro, par A. Kof.man: Boris Godunov, de Pouchkine, par Devia-
tnine; Le Convwe de pierre, du même, par Borovko; la Tempête de
!• I^. Za.mb.nhof, Choix d'une Luni/tie internationale, 7 p. in-8" OS'.Hi).
2. La Linr/vo inlernacia als teste Lôsiing des internalionnien Wetlsprache'
iioblems : Vovu-ort, Grammatik und Styl nebst Slammiturter-verzeicftnisa
NiirnlK'rp, Stein. IS8vS); Weltsprachlivtte Zeil- und Sti-eitfrngen : Votnpûtt
inid Lingvo internacia (Nurnherp. Stein. IM80).
•i. La Lingvo internacia. Vollstândiger Lehrgang der internationaleu
Sf)rac/te nef/st WOrterfmch zum iietrauctie fur Deutsche.
4. .1/1 Altempt toivards an International Language. I»y Dr. Espéranto
(IS»0). Voir le chapitre X. relatif à V American l'hUosoptiicat Society.
5. Voir paye 304, noie I .
328 SECTION III, CHAPITRE IX
neige, du môme, par A. Grabowski; la Princesse Mary, de Ler-
montov, par E. DE Wahl, etc., etc.). On fit aussi des traductions
en vers {La Liro de la esperantistoj, par Grabowski) et l'on com-
posa même des œuvres originales en prose et en vers (comme
l'hymne Espero, du D'' Zamenhof, qui se trouve dans tous les
manuels).
La propagation de YEsperanto fut longtemps retardée par le
manque de capitaux. La Esperantisto ne put durer que grâce au
dévouement financier de Trompeter (1892-95), à qui est due
aussi rédition du premier manuel français (1892). Dès 1890, le
D"' Zamenhof avait entrepris de former une Ligue esperantisto.
Cette ligue ne servit qu'à susciter des projets de réformes plus
ou moins bien inspirés, qui faillirent amener la dissolution et la
ruine de la langue. Mais les Espérantistes orthodoxes main-
tinrent la langue sous sa forme primitive, et la ligue fut dis-
soute (1894).
En 1895, La Esperantisto, ayant été interdit par la censure russe
pour avoir publié un article de Tolstoï, disparut, et fut remplacé
par La Lingvo internacia, éditée par le club espérantiste d'Upsala *.
En 1896, YEsperanto commença à se répandre en France, grâce
à L'Étranger, revue internationale-, et à M. Gaston MocH, rédac-
teur de V Indépendance belge^. Mais le propagateur le plus actif et
le plus dévoué fut et est M. Louis de Beaufront. Son adhésion
constitue un fait probablement unique dans l'histoire de la
langue universelle, et elle lui fait trop d'honneur, ainsi qu'à
YEsperanto, pour que nous n'en rapportions pas les circon-
stances. Ce philologue distingué travaillait depuis douze ans à
construire une Lingvo internaciona, nommée YAdjuvanto, qui se
trouvait avoir une ressemblance étonnante avec YEsperanto: cette
langue était achevée, et il avait, prêt à paraître, un lexique con
tenant la traduction de tous les mots du Dictionnaire Gazier.
1. Depuis le 1*'' janvier 1902, le rédacteur en chef de ce journal mensuel
(entièrement en Espéranto) est M. Paul Fruictier, h Paris (27, boulevard
Arago).
2. Aujourd'hui : Concordia, organe de lu Société d'études et de corres-
pondance internationales, directeur-fondateur : feu Emile Lombard, profes-
seur au Lycée Montaigne.
.3. La fjuestion delaLanrjue internationale et sa solution par V Espéranto,
.')3 p. in-S", extrait de la Revue internationale de Sociologie (Paris, Giard
et Brière, 1897). Cf. le Rapport sur la question de la langue internationale
présenlé par M. G. Mocii au Vlll" Congrès universel de la Paix, 18 p. in-8°
(Hamburg, août 1897).
d' zamen'iiof : espéranto 329
Mais quand il eut connnissance tic VEspernnlo, il reconnut que
son projet lui était inférieur sur quelques points ', et il renonça
à le publier pour se consacrer dès lors entièrement, avec un
admirable désintéressement, ù la propaj^ation de \'Esi>erniitu*. 11
fonda en 18l»8 (à Épernay) le journal mensuel L' Espémnlhie et la
Société pour la propagation de l'Espéranto, et pul)lia en fran<;ais tles
brochures de propaj^ande el les manuels que nous avons cités.
Malgré son zèle, le fait qu(; le chef du mouvement espérantiste
en France n'habitait pas Paris et n'avait pas d'attaches offi-
cielles n'était guère favorable à l'expansion de la langue. Kn
juin l'.iOO fut fondé le groupe espérantiste de Paris; la même
année na(|uil celui de Dijon, grAce au prosélytisme ardent de
M, Charles Méray, professeur de mathématiques à l'Université,
corn'spondant de l'Institut. D'autres se sont fondés à Amiens,
Annecy, Beaune, Besan(;on, Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, Chau-
mont, Grenoble, Le Havre. Lille, Lyon, Marseille, Montpellier.
Nancy, Nice. Heims, Houbaix. Saint-Claude, Sainl-Omer,
Tournon. Pendant l'hiver iy02-iy03, 10 cours tVEspernnto ont été
professés simultanément à Paris.
Au Cnnnda. un groupe espérantiste s'est formé à Montréal;
il a fondé l.'Es]>éi'anliste Canadien, bientôt transformé en La lAimo.
Un groupe espérantiste s'est récemment fondé en Autriche (son
siège est à Briinn^. 11 y a des Kspérantistes dans la plupart des
pays cl'Kurope. et ils appartiennent à toutes les classes de la
société. Il est remarquable que les pays latins soient précisé-
ment ceux où s'est le moins répandue jusqu'ici cette langue, à
qui ou reproche d'être trop néo-latine. Le mouvement de tliffu-
sion, lent aux débuts, parait s'accélérer de plus en plus < t m
semble pas près de s'arrêter.
•\. l'heure qu'il est, il existe des manuels d'Espéranto en
1. Ces points riaiciU : 1' la place do l'aiTt-nt ; 2" l'nhscnce d'accusatif;
3" lo plurit'l par substitution do i a In Itnalo (o, a) du singulier.
2. Pour pcrniottro do juger de la rcssombinnco de VAdJuvanlo avec
VEsperanto. ot rendre hommage à ce projet, qui eût môrito sans doute une
l)ln(e lionornblo dans celle Histoire, si son auteur ne l'avait pas g^m*-
rousomont socrillé. nous citerons la traduction du Pater dans celle langue
(i|iio M. i\c BeauTront a bien voulu nous communiquer à notre prière^ :
Patro nua. kvu estas in el cjelo. estez honorata tua nomo: venet
regno tua; estez volo tua kome in el cjelo, laie anke sur el lero; pano
nua caskajorna donez al nu hodje; ed pardonei al nu debi nua. kome nu
pardonas al nua debauti : ed ne konduktez nu en tento, ma liberifei nu
di el malbono.
330 SECTION III, CHAPITRE IX
22 langues. Le nombre des ouvrages publiés en Espéranto s'élève
à 150. Outre les journaux que nous avons déjà cités (La Lingvo
ùilernacia, L'Espérantiste, La Luino), il s'est fondé récemment plu-
sieurs revues rédigées entièrement ou partiellement en Espé-
ranto : YEspérantiste tchèque, à Bystrice-Hostyn (Moravie) : la Belga
Sonorilo, à Bruges; le Holanda pioniro, à Hilversum (Pays-Bas); le
Rondiranto, à Philipople (Bulgarie); le Svisa Espero, à Genève;
l'Esperantista, à Turin. Des sociétés de propagande espérantiste
viennent de se fonder en Angleterre, en Italie, en Espagne
et en Suisse: un groupe espérantiste vient de se former à
Londres (janvier 1903). Quant au nombre des Espérantistes, il
est difficile à évaluer : il y en avait 6 578 inscrits au commence-
ment de 1902. Mais on fait remarquer que beaucoup d'adeptes,
même pratiquants, négligent de se faire inscrire, d'autant plus
que cette formalité leur impose l'obligation morale de répondre
à toute lettre d'un confrère en Espéranto. On évalue à 50 000 au
moins le nombre des Espérantistes pratiquants dans tous les
pays. L'Espéranto a recueilli l'approbation et le patronage de
plusieurs personnages illustres, notamment du comte Léo
Tolstoï et du philologue Max Muller, qui, après avoir approuvé
et encouragé d'autres projets, lui attribua « la première place
parmi ses concurrents ».
Critique.
Ce n'est pas seulement parmi les savants impartiaux que VEs-
peranto a trouvé des admirateurs ; il en a trouvé même parmi les
auteurs de projets rivaux, et ces suffrages sont sans doute les
plus précieux. Nous n'en citerons qu'un, celui de M. Henderson,
l'auteur de Winglo-Franca, du Lingua et du Latinesce, qui a essayé
de ressusciter le latin comme L. L, et qui reste partisan d'une
langue néo-latine : « De tous les projets de langues artificielles,
VEsperanto est décidément le meilleur, et je suis convaincu que
s'il avait paru avant le Volapûk,... il aurait gagné l'adhésion non
seulement de ceux qui adoptèrent le Volapûk, mais de milliers
d'autres * ».
Tant d'éloges, si autorisés, rendent notre tâche de critiques
1. Brochure : A New AiH; The conslniclion of an international Lan-
guage, 1902.
d" zamenhuf : espéranto 331
pnriiculièrement dtMicale, Pour nous en acquitter en conscience,
nous lapporltM'ons simplement l<«s principales olijections qui ont
été adressées à In langue du !)■■ Zameniiof, et les réponses que
leur ont faites les Kspérantistes. Le lecteur verra ainsi le pour
et le contre, et pourra juger en connaissance de cause. ^
C'est Valphabel qui donne lieu aux [tlus fréquentes critiques. A
quoi bon, dit-on, ces lettres surmontées d'accents, qui choquent
I'omI, déroutoni le lecteur, constituent des sons nouveaux à
apprendre et qui olïrent des difficultés spéciales pour l'écriture
et l'impression? Il y en a une surtout qui déplaît aux Français :
c'est la lettre h. dont la prononciation est pour eux liés diflirile,
et même impossible avant ou après r ' : ex. : monarho, hronologio.
Elle viole évidemment le principe d'après lequel la L. I. ne doit
contenir que des sons faciles à prononcer pour tous les peuples
européens. Aussi les Kspérantistes français la sacrilieraient-ils
aisément, et la remplaceraient par k ^
Restent les 4 chuintantes : c, §. j. S. Kt d'abord, il faut bien,
disent les Espérantistes, avoir une ou deux chuintantes, comme
la plupart des langues européennes. Admettons-en deux : la forte
(cfi français) et la douce (j français') ^. Pour représenter celle-ci.
puisque j représente l'i consonne, il faut bien un nouveau carac-
tère ; le plus commode est d'adopter la même lettre j, mais dis-
tinguée par un accent. (Juant à l'autre chuintante, qui est repré-
sentée dans les langues occidentales par des cond)inaisons de
2 ou 3 lettres (sh E., srh D., sci I.), elle constitue réellement un son
simple et par suite doit être ligurée par une seule lettre icomnie
en russe), d'autant plus que si on la représentait par une combi-
naison de lettres {ch, sh, etc.) ayant déjà un son propre, on vio-
lerait le principe de l'uniformité absolue du son de chaque lettre.
On n'a donc d'autre ressource que d'employer une lettre déjà
connue, en la distinguant par un accent. On a choisi s, parce
que c'est l'initiale des condjinaisons anglaise, allemande et ita-
lienne, et parce que c doit avoir un autre son.
t. Les Frnn(;nis ont déjii bien assez de peine ù prononrer la simple h
aspirée. On sait que Vh dite aspirée dvi rrani;nis est aussi muette que
l'autre, et se traduit uniquement par le manque de liaison. ^
2. On a remarque que les Espérantistes slaves, pour prononcer le h a
ciMé de r, le remplacent inconsciemment, soit par k, soit par ch, ce qui
. prouve que cette lettre est impossible à prononcer en respectant le principe
de l'invariabilité du son.
3. Le Vol(^>Uk conrundait ces deux lettres en ).
332 SECTION III, CHAPITUE IX
Maintenant, pourquoi adopter encore deux autres chuintantes,
et complexes celles-ci, car elles sont précédées d'une dentale"?
Pourquoi ne pas représenter les sons composés ô, g par ts et dj"?
De même, pourquoi attribuer au c le son complexe /s? On
répond, d'abord, que ces sons composés existent dans plusieurs
langues, et y correspondent même souvent à des lettres simples.
C'est ce qui a lieu non seulement en russe et dans les autres lan-
gues slaves, mais en anglais (le g de gin, le j dejoke, le ch de
chiirch), en italien (le c de cena, les combinaisons de lettres cci,ggi)^
en espagnol [ch], en roumain, etc. Il est donc utile de posséder de
telles lettres, quand ce ne serait que pour pouvoir transcrire les
noms propres et les noms géographiques de ces langues, et
aussi pour altérer le moins possible les mots qu'on leur emprun-
tera. Or, puisque en fait la plupart des langues européennes don-
nent aux lettres c et ^ deux sons différents (au moins), il importe
de conserver à ces lettres ces deux sons, mais en les distinguant
par l'écriture, pour respecter le principe essentiel de l'unifor-
mité du son de chaque lettre. La lettre c, notamment, est le scan-
dale de la phonétique romane '. Seuls, les Slaves qui emploient
l'alphabet latin la prononcent toujours de môme (<s) devant toutes
les voyelles ; c'est pourquoi Y Espéranto lui assigne ce son (qui est
aussi celui du c allemand devant e, i, celui du z allemand, du z
italien, etc.). De même, non seulement les sons c et g existent
dans. plusieurs langues européennes, mais ils y sont représentés
par ces mêmes lettres. D'ailleurs, les sons s et c sont figurés pré-
cisément par les lettres s et c dans la transcription tchèque des
noms slaves : or cette transcription est employée par les Alle-
mands, et par suite connue dans toute l'Europe *. On trouve que
ces lettres accentuées sont incommodes et retardent l'écriture :
mais elles sont toujours plus faciles à écrire que les combinai-
1. Cf. Ch. Joret : Du C dans les langues romanes (Paris, Franck, 1874).
Ce philologue représente les deux chuintantes simples {ch et/) par s et z
accentuées (comme en tchèque) ; et il adopte les lettres c et g accentuées
pour représenter les chuintantes complexes {(ch et dj), précisément comme
VEsperanto. 11 justifie ces deux dernières lettres en constatant que ces sons
« se rencontrent dans presque toutes les langues indo-européennes ». 1)
ajoute une remarque intéressante : ces sons composés sont d'origine rela-
tivement récente : ils tiennent le plus souvent la place de sons primitivement
simples (le c et le g' durs du latin); et c'est pourquoi ils sont représentés
dans les langues romanes par des lettres simples (p. 13 et 14). Ainsi ces
lottressontamplement justifiées par l'histoire des langues et par la pliilologie.
2. Voir par exemple Minerva et les atlas allemands. Voici un tableau des
D' /AMENHOF : ESPERANTO 333
sonsdedeux ou trois lettres qui les traduiscnton d'autres langu(>s.
ou que «les lellres d'une forme nouvelle, «^trangi'Tes h l'alphabet
latin, qui dt'routcraienl l'œil et la main '. Ainsi ces lettres
accentuées sont nécessaires, et elles ne sont nullement arbi-
traires, ni par leur forme, ni par leur son, comme sont tentés
de le croire les Fran<;ais peu polyglottes *.
Elles se justifient encore par une autre raison, qui va nous
faire pénétrer dans la constilulion du vocabulaire. Les lettres c.
c et s servent à concilier le « pbonélisme » et le € graphisme »
dans l'orthographe des mots internationaux. Certains projets
s'attachent exclusivement A reproduire le graphisme, c'est-à-dire
l'orthographe des mots internationaux, au risque d'en altérer la
prononciation; d'autres ne s'inquiètent que de reproduire la
prononciation, au risque de défigurer l'aspect des mots '. L'Es-
pcninto a visé, et, la plupart du temps, a réussi à concilier ces
deux tendances contraires, en apparence incompatibles. (Quel-
ques exemples feront comprendre l'ingénieuse méthode <|u"il a
employée p(»ur cela. S«it le mot gardeno ^=jardUi (l). yarlen: E.
ijarden; I. giardino). Si le § n'existait pas, on serait obligé d'écrire
gardeno. qui ne serait compris que des Anglais et des Allemands.
ou bien jardino (on djardino). qui ne serait compris que des peu-
consonnes spéciales nux Inngues de l'Europe orienUili' i|iii emploient l'n!-
phnbct Inlin, avec leur équivalence phonétiiiue on Espéranto :
Tchèque: c =c, é = C, f = rS, S =S, z=J
Polonais: c =c, cz = C, rz = rS, sz = §, z = î
Slaves du sud : c =c, c =0, S =S, z=J
Mtujyar : cz = c, es = C, sz= s, s = S, zs=J
fioumain : c (devant a, o, u) = k, c (devant e, i) = t*.
- ^' — =g,g — =-~
On remnnuiern (luc dans les langues slaves le son j (J fran«;ais; est repn'-
senté i)nr : nofentué (et par ; dans azuré E.). .\insi 1(' fait de représenter ce
s(in par un J est une roncession faite par VEsperanto au français, .\joutons
ipio VEsperanlo permel de transcrire exactement tous les mots russes, y
compris In lettre (|ue les Polonais représentent par szcs (dans Leszczinsk;/}
et les Allemands par schtsc/i (7 lettres!)
1. Préférerait-on emprunter des lettres au grec, comme Pirro, ou ou
russe, connue .M. Boulack'.*
2. On peut ajouter (|ue les signes diacritiques (accent», etc.) sont bien
moins fréfjucnts en Espéranto que dans les langues slaves, et ne le sont
pas plus (jifen français (â, d. é, i\ ^, /, ô, «J, é', ï, ù) ou en allemand ((7, n, ii).
3. Telle était, on l'a vu. la tendance du Ko/zipH A-., aggravée par le fait
qu'elle prenait pour modèle la prononciation anglaise, la moins internatio-
nale et la moins conforme à l'orthograptie.
334 SECTION III, CHAPITRE IX
pies latins. Grâce au son du g, gardeno atteint à la fois les pre-
miers, par le graphisme, et les seconds, par le phonétisme ; ce
qui donne à ce mot le maximum d'internationalité. Il en est de
même pour casta = chaste : si l'on écrivait casta, on dénaturerait
la prononciation; si l'on écrivait kasta, on défigurerait le mot;
tandis que casta atteint par le graphisme les personnes qui
savent le latin, l'italien ou l'espagnol, et par le phonétisme celles
qui savent le français ou l'anglais '.
Mais si ces considérations justifient des lettres à son complexe
comme c, c, g, il n'y a plus de raison pour exclure de l'alphabet
la lettre x, qui est bien aussi internationale, et pour la remplacer
(comme font les Slaves) par ks. En tout cas, il ne faudrait pas la
remplacer par kz (comme dans ekzerco. ekzemplo), combinaison
impossible à prononcer, et contraire aux lois de la phonétique.
La lettre x a dans nos langues tantôt le son ks, tantôt le son g:.
Il faudrait l'adopter dans la L. I., soit avec un son uniforme {ks),
soit en admettant facultativement le son gz, ce qui ne prêterait à
aucune équivoque.
Malgré l'harmonie qu'on lui reconnaît unanimement, et qui est
un de ses avantages les plus sensibles, l'Espéranto admet des com-
binaisons de consonnes difficiles à prononcer, et qui ne seront
jamais bien prononcées par certains peuples. Telles sont les
combinaisons se [sts] et kc {kts), dans scienco. sukceso, sekcio, etc.,
à plus forte raison dans eksciti, funkcio. On aura beau édictcr
des règles sévères et précises : les Français auront une tendance
irrésistible à prononcer : sienco, seksio, funksio. Ils prononceront
régulièrement « à l'école », en s'appliquant; mais dans la conver-
sation le naturel repi'endra fatalement le dessus, en vertu de
la loi du moindre effort. Il serait prudent, pour préserver la L. I.
de toute déformation future, de tenir compte de cette loi et de
« faire la part du feu ». On peut pour cela adopter deux mé-
thodes : ou bien sacrifier le graphisme et suivre le phonétisme
français en écrivant : aksepti, aksento, funksio ^; ou bien, ce qui
1. L. DE Beaufront, Commentaire sur la Grammaire Espéranto, p. 171-172.
Autre exemple : le mot ëokolado est complètement international (D. Cho-
kolade; E. chocolaté; F. chocolat; 1. cioccolata; S. chocolaté). On ne pou-
vait pas récrire cokolado sans altérer le phonétisme, sokolado sans altérer
le grapiiisme, encore moins kokolado, qui altère les deux: on ne pouvait
l'écrire que cokolado, ce qui est d'ailleurs conforme à la prononciation
en E., I., S.
2. C'est ce que fait, par exemple, Vldiom neutral.
d' zamenhof : espéranto 335
parnll prt'ftîrnble, conservera peu près le graphisme en sinipli-
liant lo phoïK'fismo, et «^criro : acepti, acento. funcio. On oh(it>ii
(Irait ainsi dos mots rgahMiU'nt u^'n'-ahlcs à IH-il et à rorrillc.
it souvent, qui plus est, conformes aux mots espagnols ou ita-
liens, c'eslA-ilire îi l'évolution nntarelle «pie les mots Intins ont
subie dans les langues où l'orthograplic est lu plus plion«'ti)pie
(Exemple : l. fun:ione, S. funcion). (Juc\ inconvénient y aurait-il.
par exemple, à écrire et à prononcer cienco comme en espa-
1,'nol? Les adversaires des langues * artilicielles » ne pourraient
pas taxer d'arbitraire de telles formes, puisqu'elles se trouvent
dans une langue naturelle •.
On trouve aussi que le j revient li'op souvent et produit un
l'Iïel peu harmonieux, (lertes. il convient de reconnaître que celle
(lomi-consonne est f«>rl heureusement choisie comme signe du
pluriel, car seule elle peut se marier avec l'n de Vaccusntif*. Mais
elle litrui-e aussi dans certains mots d'un usage très fréf|uenf,
eomine kaj ^ et plej, de sorte (pi'on rencoidn* des membres de
phrase comme celui-ci : kaj la plej bonaj patroj. De même, tous
ceii.r (jni i]<tU se dire : ciuj tiuj kiuj on UM'-me. suivant les cas :
ciujn tiujn kiujn, ce «pii nest pas élégant ni même commotle à
prononcer. De même encore les pronoms accompagnés dajn ;
on p«Md avoir à dire : kiuj ajn. et ménie kiajn ajn.
On a criticpié la distinction formelle dos parties du discours,
(pi 'on juge inutile. Il nous semble, au contraire, que c'est là un
avaidage capital; il ne faut pas oublier, on effet, que la !.. I. sera
pour tous une langue t'irangère, et (pr«'lle ne peut offrir trop de
clarté et de commodité. La distinction des parties du discours
l)ar la finale permet de reconnaître, f» première vue ou à pre-
niièi"»' audition, l'espèce d'un mot. par suite son r<Me dans la
phrase, et de saisir immédiatement la construction d'une ma-
1. Pour 1rs iM)'>ines misons, il vnudrnit mieux écrire punto (comme en
1.. S.) <|iio punkto. trop «linicile à bien pn>noncer. Snns doulp. les peuples
-t'rmani(|ues et slaves sr»nt liahilués à ces nccuiiuilntions de consonnes;
mnis elles sont absentes des lanjrnes méridionales, et c'est n cela ipie tient
leur supériorité jutur Peuplionie, reconnue par les peuples du Nord eux-
Miénies. Bien entendu, il ne faudrait pas pousser l'assimilation à Texlréme.
lonune l'italien tpii dit esalto pour emcl.
2. Elle a aussi l'avantage d'ùtre indilTérentc et neutre, el do ne choijuer
ainsi aucune habitude et aucune tradition (voir la Conclusion et le clinpiln*
du Linifuisl).
'^. Olle conjonction est empruntée au grec; mais en grec elle se pronon-
( ail ki\ l't non kaj (pronom j.iticin i r.i^inii-nni'K
336 SECTION III, CHAPITRE IX
nière infaillible, presque inconsciente et automatique. Rien
n'embarrasse plus les novices, dans une langue étrangère, que
la construction, rendue souvent obscure et ambiguë par la simi-
litude de forme de mots d'espèces très différentes '. Cette dis-
tinction a un autije avantage, encore plus important peut-être :
elle permet de former régulièrement, mécaniquement, les mots
dont on a besoin, par exemple, l'adverbe d'un adjectif, ou le sub-
stantif d'un verbe. Combien de fois est-on gêné et arrêté court,
dans une langue naturelle, par l'absence d'un mot do telle
espèce, correspondant à une idée dont on a la racine, de sorte
qu'on est obligé souvent de changer la construction, au risque
de lui donner une tournure compliquée et forcée. Mais cet avan-
tage concerne plutôt le vocabulaire, et nous y reviendrons.
Certains lettrés trouvent malencontreux l'emploi des finales -o
et -a pour caractériser respectivement le substantif et l'adjectif,
alors que dans les langues romanes elles caractérisent le mas-
culin et le féminin du substantif; ils sont choqués par des juxta-
positions de mots comme : labona patro, mia kara amiko: et plus
encore par des noms propres féminins comme Berto, Heleno. On
leur répond par l'exemple du latin, où beaucoup de substantifs
masculins se terminent en -a, et beaucoup de substantifs féminins
(notamment les noms d'arbres) se termine;it en -us (qui est devenu
-0 dans les langues romanes) ^. Ces délicats sont bien malheu-
reux; car ils doivent souffrir toutes les fois qu'ils lisent : egregius
poeta, parva domus oufagiis sylvatica (nom du hêtre en botanique).
Mais il y a plus : on trouve dans l'antiquité classique une foule
de noms féminins en -o (Clio, Erato, Hero, Sappho), et on en trouve
également dans les langues romanes (l'héroïne de Mistral s'appelle
Hliréio en provençal). Ainsi les scrupules des lettrés n'ont môme
pas de fondement philologique. En revanche, le suffixe du féminin,
en Espéranto, est international (L. regina; D. kônigin; F. héroïne)
surtout dans les noms propres {Pauline, Vidorine, Joséphine).
Mieux vaut, sans doute, employer un suffixe spécial pour les
noms féminins (relativement rares) qui sont de véritables dérivés,
que d'y consacrer une voyelle finale, et d'immobiliser ainsi deux
caractéristiques (-0, -a) pour les substantifs seulement.
1. Cela a lieu surtout en latin, avec les particules à terminaisons de noms
(en -us, en -0, etc.) a ce point qu'on les distinguait autrefois par des accents.
2. Ainsi ces désinences latines n'ont même pas l'avantage de nianfuer le
genre du substantif : planeta est du masculin, atomits est du féminin!
d' zamenhof : espéranto 337
L'article défini paraît superflu à certaines personnes, surtout
aux SInvos (|ui, ne l'ayant pas dans leurs langues, n'en com-
prennent pas l'nlilité el n'en «•prouvenl pas le besoin. Il est pour-
tant indispensable à la clarté, et si le latin est si équivoque, c'est
souvent faute de l'artiele dtMini : ainsi pa/a/tum reijis peut signifier
inditlV'i'einnient : le ijnhiis du roi, un palais du roi, le palais (Fun roi
et un palais de roi. C'est par le contexte qu'on sait (pas toujours!)
lecjnel de ees sens est le vrai; autrement dit, on est obligé de le
(h'viner. Or une L. I. ne doit rien laisser à deviner; elle doit tra-
duire explieitement tous les éléments de la pensée, et n'en laisser
aucmi sous-entendu. D'ailletirs, toutes les langues de l'Europe
occidentale et centrale possèdent l'article délini, et cette raison
de fait doit suffire, en vertu du principe de l'internationalité.
Non seulement les langues romanes ont l'article, bien cpie le
latin leur père n'en eût pas, mais le latin du moyen a^ge avait
déjà un article; et le latin classique était obligé (dans les
ouvrages île philosophie notamment) d'emprunter l'article... au
grec! Tout cela prouve l'utilité, la nécessité même de cette
particule.
La déclinaison, on l'a vu. est réduite au minimum, conformé-
ment à la remarque de Leibniz, que les prépositions remplacent
les cas, el même avec avantage, car elles sont plus nombreuses
et de sens plus précis. .Vussi na-t-on conservé que l'accusatif, le
^eul cas qu'on ne puisse suppléer par une préposition*. Certains
critiques trouvent <pie ce cas est encore de trop, el contestent
l'utilité de laccusalif. Ils allèguent «jue les langues modernes
tendent à la suppression des cas; que la plupart d'entre elles
n'ont pins de déclinaison, et que dans celles mêmes qui en ont
un(>. l'alleniand par exemple. l'accusatif est souvent identique au
nominal if. Ils en concluent que l'admission d'un accusatif est
inie complication inutile, qui va à reboui's de l'évolution des
langues.
Nous avouons que les arguments soi-disant scientifiques tirés
de considérations générales sur l'évfdution des langues nous
touchent peu. Toute la (luestion est de savoir si l'accusatif est
utile ou non. Les Espéranlistes soutiennent qu'il est utile; et
poiu" répondre aux arguments de fait, ils montrent <pte si les
1. Il est vrai que l'espngnol déîiijfne ce cas par la pn^posilion a, mais
une telle construction serait peu conforme à nos liahitudos de langage.
CoiTURAT et Lbac. — Langue uiùv 22
338 SECTION III, CHAPITRE IX
langues modernes ont rejeté l'accusatif dans les noms, elles ont
eu soin de le conserver dans les pronoms. Or il faut que la règle
soit générale et unique; et les adversaires de l'accusatif le sup-
priment même dans les pronoms. Il s'ensuit qu'ils ne peuvent
plus distinguer le sujet du régime direct que par la place : ils
assujettissent la phrase à une construction rigide. C'en est fait de
la souplesse de la phrase, si utile pourtant, ne serait-ce que
dans les traductions. On peut donc poser ce dilemme : ou bien
la L. I. aura un accusatif, ou bien elle n'aura pas de lil^erté de
construction. Reste à savoir laquelle des deux alternatives offre
le plus d'inconvénients. Nous croyons que c'est la seconde, car
nous savons ce que le français perd en souplesse et parfois
même en clarté par sa construction uniforme et soi-disant
logique, c{ui l'empêche de mettre en vedette le mot le plus impor-
tant d'une phrase, autrement que par la construction lourde et
encombrante, et parfois même équivoque : Cest... qui (que)...
Mais il y a un cas au moins où la construction uniforme doit
céder : c'est le cas des propositions relatives*. Quel que soit le
« cas » du pronom relatif, il faut qu'il relie la proposition rela-
tive à la proposition principale, et par suite qu'il vienne en tête
de la première. Et alors on est exposé à des amphibologies
comme dans la phrase suivante, que nous n'avons pas inventée,
mais extraite de nos lectures pendant que nous écrivions cet
ouvrage : « On remarquera c|uelles habitudes de construction
sérieuse imposent aux habitants du Mzab le creusement de puits
aussi profonds que les leurs, et dont la partie supérieure est en
général muraillée sur une hauteur de plusieurs mètres, ainsi
que l'établissement des deux montants de maçonnerie sur les-
quels doit reposer la poutre qui porte les poulies. » Si l'on veut,
pour éviter l'amphibologie, rejeter le verbe à la fin, on rendra
ces phrases inintelligibles, comme cela arrive fréquemment en
allemand 2.
Enfin l'accusatif permet d'éviter d'autres équivoques qu'aucun
arrangement des mots ne pourrait supprimer, comme dans les
1. Dans les propositions interrogalives, on peut à la rigueur se dispenser
de mettre en tête le mot interrogatif, ou sur lequel porte l'interrogation.
2. Car il faut bien reconnaître que la construction allemande, soumise à
des règles tyranniques d'inversion, est encore plus gênante et plus obscure
que la construction soi-disant logique du français. Cf. sur la question de
l'accusatif notre critique de Yldioin neulral.
O' ZAMENHOF : ESPERANTO 339
phrases : * Je l'écoute mieux que vous »; c J'ai trouvé la houtoillo
<assée ». Il ponnct nicon' de ilislinjjrncr le lieu où l'on vn du lien
où l'on est, et' (ju'on ne pourrait autrement obtenir (jnen faisani
\ aricr la préposition, ce qui serait plus onéreux pour la mémoire,
'l'ous ees avantages plaident en faveur «le l'aernsalif. On penl
dire que. sans laeeusatil', la L. 1. ne pourra posséder les qualités
«le souplesse, de finesse et de précision qui lui permettront de
rendre li«l«'l<MntMil tontes les nuances d«' la pensée. Or il ne faut
pas «Md>ii«M- «pi'iin des principaux usages de la L. 1., le plus
important peut-être au début, sera la traduction des ouvrages
s(ienlili«|ues. Ceux rpii réduisent l'emploi de la L. 1. à la ronv«'r-
salion il'alTaii'es el à la eorrespontlance ronuner«'iale pi'uvent
l'aire bon marché de la souplesse et préférer la rigidité; mais
poiu* lra«liiire lult'h'ment des œuvres écrites en toutes sortes de
langues, la L I. «loit au «'ontrairc posst'der le plus de tlexibilité
p«)ssible sans rien perdre de la clarté. A cet égard, ÏEsperanlo a
lait ses preuves par ses nombreuses traductions d'œuvres lillé-
rair«'S. qui sont calquées siu* le texte original, mèm«» lors(pi«>
< t'Iui-ci est en vers (VHiade, Homlet).
Certains crititpies trouvent que rae««»ril tU- 1 a«lj«'«lil épilli«l«'
avec le sid)slanlir «>st inutile, et par suite gênant pour les peuples
<l<> langue anglaise, pour qui l'adjectif est invariable. Les uns
niimellenl la variation de l'adjectif (en nombre et en cas) lorsqu'il
< st attribut' i Pierre et Paul sont honnêtes); les autres ne lad-
inettent cjue lors«|n'il est employé connue substantif les bons et
les mêclianls). A cela h's Llspéranlistes répondent (pi'il est plus
^inq)le d'avoir une seule règle générale que deux règles appli
lables en dilïérents cas; du momeid «p>e ri«l«'e «lu pluriel es!
associée à un adjectif, il est naturel qu'il en porte la mar(|ue.
«pi'il soit ou non accompagné d'un substantif. Et puis, est-il bien
•~ùr «jue rac«-ord de l'ailjectif av(»c le substantif ne soit pas util»'
I faire coiuuiltre que tel adjectif se «apporte à tel substantif?
N'y auralil pas des cas où (ne serait-ce que par suite d'un
luanqu»' «l'attention «»u «l'une mauvaise conslru«tion^ l'audileur
<»u le lecteur ne saura pas si l'on attribue l'honnêteté à Pierre el
à Paul, ou seulement à Paul? De même, quand on dira : « Les
lionnes poires... et les mauvaises... » faudra-t-il se rappeler que
1. À rinverse de l'allemand, qui fait accorder TadjecUf épitliète et rend
invnrinble Pniljivlif nUribiit.
340 SECTION III,, CHAPITRE IX
l'adjectif bon, étant épithète, doit rester invariable, et que seul
l'adjectif mauvais, étant isolé, doit varier? N'est-il pas plus
simple, plus logique, plus conforme au sens et à l'analogie, de
faire varier les deux de la même manière"?
Pour les pronoms personnels et possessifs, on a dû remarquer
leur formation absolument régulière. Mais on regrette que le
môme pronom vi serve an singulier et au pluriel. Cela donne
lieu à des ambiguïtés fréquentes (comme vous, voire en français).
On ne sait pas si le discours s'adresse à une personne ou à plu-
sieurs. 11 est dommage que le tutoiement soit inusité en Espé-
ranto : il serait utile, au moins dans les traductions.
La conjugaison est une merveille de simplicité et de régula-
rité. Grâce à l'emploi parfaitement logique du seul auxiliaire
être, tant à l'actif qu'au passif, elle se réduit à un très petit
nombre de formes, et permet pourtant de rendre toutes les
nuances usitées dans les diverses langues nationales*. Il semble
impossible d'imaginer un système plus facile à comprendre et à
apprendre, et en môme temps plus conforme à nos habitudes de
langage et de pensée. Certains critiques blâment le choix arbi-
traire des voyelles (a, i, o) qui caractérisent les 3 temps princi-
paux. A cela on répond, d'abord, qu'il était impossible de pro-
céder autrement, attendu qu'il n'y a pas de flexion verbale c{ui
soit internationale (sauf pour le participe actif : D. -nd, E. -ng,
F. -nt); et ensuite, c|ue le D'Zamemiof s'est inspiré de la 1'*^ conju-
gaison latine, où l'a caractérise le présent {amas, amat, etc.), Vi le
parfait [amavi), et l'o le futur {amabo). 11 a surtout fort ingé-
nieusement emprunté au latin la forme générale des participes
actifs (-ant, -int, -ont) et passifs (-at, -it, -ot), de sorte qu'il a
réduit l'arbitraire au minimum compatible avec la régularité et
l'uniformité absolues 2.
1. On remarquera aussi que, grâce aux trois temps du participe, les
formes verbales les plus compli((uées se composent de deux mots seule-
ment, un participe et un auxiliaire, ce qui n'a pas lieu dans les langues
vivantes. E.\. : Mi estes amita = F. J'aurai été aimé; E. / shall hâve been
loved; D. Ich werde f/eliebt worden sei>i.
2. Certains réformateurs de VEsperanlo voudraient rapprocher sa conju-
gaison de la conjugaison latine; mais ils sont alors amenés à admettre une
triple forme pour chaque temps (-ar, -er, -ir à rinfinitif, etc.) et à sacrifler
ainsi runiformité, qui est un avantage capital ; ou bien à donnera tous les
infinitifs la môme terminaison {-ar, par exemple), ce ((ui ne vaut pas mieux,
car il est profondément chotjuant de voir aifecter de la terminaison de la
1'" conjugaison les verbes des 3 autres {finar, vidar, recipar, rendar).
d' zamenhof : espéranto 3*1
L'emploi des temps ne présente aucune difficulté. Il n'en est
ponl-tMre pas do nu^me do celui des modes, malgré les elTorts
(pic M. OE Uealfhont a faits pour le préciser et le régulariser •.
Par exemple, il est parfois difficile de distinguer l'indicatif
du coiulitioiim'l. Ainsi Ion trouve celte phrase : Mi timas ke li
perdos sian proceson. Je crains qu'il ne perde son procès. On <Mnplote
ici rindicalil', l>i«Mi qu'il ne s'agisse pas « d'un fait certain ou
pn'sciilé ooiiune tel ». .M. de Heaufroul cxplitpie qur la ffU'ine
dubitative de la proposition principale « n'a aucune action sur
la réalité du fait énoncé » dans la proposition subordonnée.
Fort bien: uiiiis nlors pf)ui"<pi<»i traduire : Je croyais qu'il refuse-
mil par : Mi kredis, ke li rifuzus? Le refus est ici un fait tout
aussi positif que. dans l'exemple précédent, la perte du procès:
cl ma « croyance » n'a pas plus d'action sur lui (|ue n'en avait
ma « crainte » sur l'autre fait. En vertu du principe posé |»lns
haut, il faudrait employer l'indicatif, et dire : mi kredis. ke li esti$
rifuzonta ^.
La distinction de l'irxdicatif et du subjonctif est encore plus
délicate et subtile. On traduit : Je souhaite que vous réussissie
par : Mi deziras. ke vi sukcesu (impératif-subjonctif). Le succès
<st-il ici plus « évtMilud » que la perte du procès ou le refus
(le tout à l'heure? Ou mon « souhait » a-t-il plus d'influence
^nr ce fait positif que ma « crainte » ou ma « croyance *1
Assurément non. .Mais, nous dit-on, la régie veut (pion mette h
iiinpéralif-subjonclif les verbes exprimant un fait qui relève du
(iesir ou de la volonté. Soit; mais alors la perte du procès rele-
vait de mon désir, puisque je la craignais, ce (pii équivaut A dire
que je désirais le gain du procès. Donc, ou bien il faut enq>loyer
lindieatif après souhaiter, ou bien il faut employer le subjcuielif
après craindre. Et si on renq)loie après craindre, il faudra logi-
i|nenient l'employer après espérer, croire, etc. Tout cela prouve
tpiil est impossible d'établir une distinction claire et précise entre
les cas où convient l'indicatif et ceux où le subjonctif est de
mise; c'est-à-dire, au fond, cpiil n'y a pas lieu de «listinguer et
ilatlmeltre ces deux modes. Leur existence est trailleui*s une
u't'ue et un embarras perpétuels. Elle empêche, par exemple, de
1 . Commentaire sur la grammaire Espéranto, p. 84-99.
2. En rt'alitè. le conditionnel français joue ici le nMe d*»n impnrfait du
futur; de nu^ne qu'on dit nu présent : « Je crois qu'il rerus<«rn ».on dit à
rimpnrfnit : « Je croyais qu'il refuserait ». C'est en somme un gallicisme.
342 SECTION III, CHAPITRE IX
dire, en français : « Je souhaite et j'espère que vous réussirez »;
et pourtant, quoi de plus naturel et de plus logique que cette
phrase? Il faut qu'on puisse la dire en L. I., et en dire bien
d'autres semblables, sans aucune restriction. Concluons donc
que le subjonctif est une complication inutile dans une langue
logiquement construite.
On arriverait à la même conclusion en partant de ce principe
posé par Leibniz : « De même que les prépositions dispensent
des cas, les conjonctions dispensent des modes. » De même donc
que le seul cas utile est l'accusatif, parce qu'on ne peut le rem-
placer par une préposition, de même les seuls modes néces-
saires sont ceux qu'on ne peut indiquer ou remplacer par une
conjonction, à savoir : l'indicatif, l'impératif et le conditionnel.
Mais le subjonctif, étant essentiellement le mode de la subordi-
nation, est suffisamment indiqué par la conjonction, et son
sens est déterminé par le verbe de la proposition principale, qui
nous apprend s'il s'agit d'un désir, d'un ordre, d'une espérance,
d'une croyance, etc. ; de sorte que l'emploi d'une foripe spéciale
dans les cas « qui relèvent du désir ou de la volonté » est une
superfétation, au même titre que l'emploi des cas avec les pré
positions. En réalité, c'est une fâcheuse imitation des langues
naturelles, cjui conduirait à édicter des règles aussi confuses et
compliquées que celles qui hérissent nos syntaxes *.
Pour le vocabulaire, on ne peut qu'approuver le principe de
r internationalité maxima sur lequel il est fondé. Les critiques ne
I)euvent porter que sur lapplication de ce principe dans tel ou
tel cas particulier ; ce n'est plus alors que des questions d'es-
pèce, dans la discussion desquelles nous ne pouvons pas entrer
ici 2.
A première vue, on est tenté de trouver que son vocabulain^
1. Inutile de dire que nous parlons ici, non seulement pour Y Espéranto,
mais pour une L. I. quelcon({ue; et que, si nous émettons cette opinion à
propos de VEsperanlo, c'est qu'il nous en fournit l'occasion par le soin
avec le(|uel on a précisé et approfondi sa grammaire. Si l'emploi des modes
est peu logique en français, il l'est encore bien moins en allemand, qù l'on
emploie (comme en latin) le subjonctif dans toute affirmation indirecte, cl
en revanche l'indicatif après des conjonctions qui (comme damit = afin qi/e)
manjuent expressément le désir ou la finalité (Voir p. 268, note 1). Supprimer,
le subjonctif, c'est donc non seulement supprimer une complication inutile
et embarrassante, mais encore fermer la porte à une foule d'idiotismcs
contraires à la logi(jue.
2. On remaniuera ([ue les seuls mots construits a priori sont les pronoms
et adverbes du Tableau des particules. Cette exception se justifie par deux
D*" ZAMENHOF : ESPEHANTO 3i3
manque de neulrnlilé, qu'il est trop oxclusivcment latin; et cer-
tain'^ ( riliqiu's (volitpnkistos nlUMuatuIs) «(ualinont VEsperanto de
langue roiiiaiif. Il y a là, dahord. uiu* part d'illusion, due aux
liiiales voyelles, qui rappellent les terminaisons sonores de Fila-
lion ot de IVspagnol. Il n'en faut pas plus pour qu'un ohserva-
Itnir superllciol se récrie : « C'est de l'espagnol » ou t C'est de
l'italien ' ! » Or ces voyelles finales, outre qu'elles ser\'enl à
• araclt'iis»'!' les parties du discours, contribuent beaucoup à
donner à VlJsperanlo une prononciation facile, coidante et har-
monieuse. C'était justement là une des conditions d'euphonie
lormulées par J. von Giumm dés 1860; et il proposait déjà, comme
bien «l'aulres, l'italien comme le modèle de la future L. I. au
point de vue de l'euphonie. Le D' Zameniiof n'a donc fait que
réaliser le vœu du philologue allemand.
Pour |)eu qu'on aille au fond des choses, on s'aperçoit bientôt
<|iieces finales sont accolées à des radicaux d'origine diverse,
Lrermanitpie ou slave aussi bien que latine. Quelques puristes en
^(»nt chocpiés; ils trouvent que des désinences romanes ne peu-
vent être adjointes qu'à des racines romanes: et ils préféreraient
une langue néo-latine. Ce sont là des arguments de goût et de
sentiment qu'on ne discute pas. et qui, selon nous, ne doivent
pas entrer en liijrne de compte: il suffit de remarquer cprune
langue purement néo-latine serait moins internationale qu'une
langue mixte comme VEsperanto. Au surplus, nous n'avons qu'une
chose à dire aux amateurs de néo-latin : tjuils tàehenl tl'abord
de convertir à leur idéal certains t<'utomanes intransigeants,
qui poussent l'horreur des mots étranger» (c'est-à-dire interuatio
naux> à un tel point, cpiils déclarent ne pouvoir accepter une
langue auxiliaire où ligureraient de tels mots, parce «jue cela
risquerait de les faire rentrer dans la pure langue germanique :
« (• qui revient à dire qu'ils n'accepteraient pour langue interna
raisons : 1" l;i plupart de ces mots, si rréquents dans le langage, ne sont
luilleinont internationaux (E.x, : humer D., allwm/x E., toujours F., sempre I.);
2° les fornjrs qu'on leur a doniu-es établissent entre eu.x une corrélation
logicjue qui aide i\ les retenir. La première raison fait (|u'ii «»st indifTérent
d'adopter des formes exclusivement nationales (arl>ilrairi<ment choisies) ou
des formes a priori; la seconde fait que le second parti est plus av«n-
tageu.x.
1. Pour apprécier ce genre de critiques. le lecteur est prié de comparer
VEsperanto ù la Linqua Franca Suova de S. Behnharo et au Suorc-Roman
lie PucHNER,(|ui sont vraiment des langues imitées de Titalienel de l'espagnol.
344 SECTION III, CHAPITRE IX
tionale que rallemand, et encore, iin allemand expurgé de tout
mélange latin, qui n'est pas près d'être réalisé. Car on sait que
la guerre que les Allemands font aux mots étrangers aboutit
tout bonnement à remplacer Succursale par Filiale et Coiffeur par
Friseur '.
En réalité, pour tout observateur impartial et de bonne foi,
Y Espéranto est une langue mixte « romano-germanique », suivant
l'expression et l'intention même de son auteur. Tout ce qu'on
peut discuter, c'est la proportion des éléments romans et des
éléments germaniques. Or elle est malaisée à apprécier à la
simple lecture, parce que chaque peuple s'attribue les racines
qu'il connaît. Par exemple, en lisant la phrase suivante :
« Simpla, fleksebla, belsona, vere internacia en siaj elementoj, la
lingvo Espéranto prezentas al la monde civilizita la sole veran
solvon de lingvo internacia », un Français sera tenté de croire
que V Espéranto n'est que du français; mais un Anglais pourrait
aussi bien prétendre que c'est de l'anglais : car il connaît les
mots : simple, flexible, sound (sonorous), very, inter- (comme préfixe),
nation, élément, language, présent, civilize, sole, solve, et par suite il
pourra comprendre cette phrase à première vue tout comme le
Français. On s'imagine que, parce qu'un Français connaît un
millier de racines (sur les 2 642 que contient YUniversala Vortaro),
il n'en reste plus que 1 642 pour les autres langues. On raisonne
implicitement comme si les racines devaient être réparties entre
les diverses langues européennes. C'est oublier qu'une môme
racine peut appartenir à plusieurs langues, et que le vocabulaire
de VEsperanto est composé précisément des racines qui appar-
tiennent au plus grand nombre de langues possible. La plupart
de ses racines doivent donc être mises à l'actif de plusieurs
langues ; et pour savoir dans quelle mesure chacune d'elles est
favorisée, il faut chercher combien de racines connaît un homme
de chaque nation qui ne saurait que sa langue maternelle^.
1. Nous ne mentionnerions pas l'argument d'un teutomane, (jui accuse
VEsperanto de « romaniser » les radicaux germaniques en les aiïublànt de
désinences voyelles, s'il ne prouvait que l'ombrageuse susceptibilité de cer-
tains Allemands confine à la manie de la persécution.
2. M. DE Beaufront a publié une semblable statistique dans VEspéran-
tisie, n" 44-43 (sept. 1901). Mais elle est forcément incomplète, attendu que
YUniversala Vortaro, qui lui sert de base, est loin de contenir toutes les
racines de VEsperanto. En particulier, il ne contient aucun de ces mots
techniques d'origine gréco-latine {télégraphe, téléphone, etc.), qui, étant
D"" ZAMENHOF : ESPERANTO 345
Ce qui reste vrai, c'est la prépondérance des éléments Intins
sur les éléments germaniques et slaves, qui fait «jue les peuples
les plus favorisés sont ceux dont la langue |)rocède du latin et
en est restée la plus voisine. Mais cette prépondérance, nullement
voulue par l'auteur, s'explique et se justilie par l'internationalité
supérieure des éléments latins, qui ont pénétré dans toutes les
langues de Tlùirope, soit dans le lexiqu<' populaire et usuel, par
suite de la conquête romaine, soit dans le lexitiue scientilique et
teclmiipie, par suite de la « formation savante ». Le vocabulaire
Espéranto ne fait (pie constater cette prépondérance et profiter
de cette internationalité acquise pour t atteinilre » le plus grand
nombre possible de personnes de civilisation européenne. S'il y
a des Allemands à l'esprit étroit cpii réclament pour les racines
germaniques, sinon une part prépondérante <>t presque exclu-
sive, du moins une place rigoureusement proportionnelle à l'ini-
portanco scientifique et économique de leur pays (comme si la
constitution ifini vocabulaire international était une affaire de
partage, qu'on puisse régler par l'égalité brutale ou par le tirage
au sort!), la |>lnparl des .Mlemands instruits et cultivés recon-
naissent la place immense, trop souvent inaperçue du vulgaire,
que tient l'élément latin dans la langue, la littérature et la civi-
lisation allemandes'. 11 leur appartient de dissiper les préjugés,
nés de Tignorance de l'histoire et de la piiilologie, ((u'une
partie de leui-s compatriotes nourrissent encoi*e contre ce qu'ils
appellent les t mots étrangers », c'est-à-ilire contre les mots
iiiti-rnationaux (pii conslitueid, en tout étal de cause, le noyau
solide et objectif du vocabulaire de la future L. I
Au surplus, certains critiques, et notamment ii< > >ii\<tnl> cl
philologues allemands, ont si bien conscience de ce que tous les
peui)les européens doivent à la tradition latine, «pi'ils préfére-
raient une langue internationale à base purement latine, non
seulement connue plus homogène, mais comme [«lus réellement
internationale. Ceux-là reprocheraient plutôt à l'^sp^ro/i/o d'avoir
atlniis certains radicaux germaniques ou slaves qui ne sont
guère internationaux, ou même pas du tout. La même critique
lui est adressée par les aut«»urs et partisans de Vhliom nenlral.
et leur opinion ne peut être suspecte de partialité nationale.
tout il fait inlornationnux, font pnrtio de droit du voonbulnire Espéranto.
vn vertu «ic In rèplo 15 du IV Zamenhof (citéo p. 3i7, note 2).
I. Voir le clinititro xviii (J. Lott) et le clinpilro llnnl {Les langues mortes).
346 SECTION III, CHAPITRE IX
attendu que les auteurs de cette langue appartiennent aux prin-
cipales nations européennes et américaines, excepté la France.
Pour juger de sa valeur, rien ne vaut quelques exemples. Voici
donc quelques-uns des cas où ïlcliom neutral adopte une racine
latine ou grecque là oi^i ÏEsperanto a choisi une racine germa-
nique ou slave :
Idiom neulral
diurn
Espéranto
tag
monat mens
jar - anu
fingr digit
graf komt
har kapil
haut pel
hund kani
kel kav
najbar visin
najtingal filomel
bird omit
sip nav
varm kalid
vip flagel
vort paroi
vost kaud
vund vulner
bedaûr(i) regret(ar)
dank(i) mersi(ar)
send(i) mit(ar)
sajn(i) sembl(ar)
taùg(i) . val(ar)
trink(i) bib(ar)
jes si
kaj e
ju pli... des pli... plu... plu.
nur sole
nun sitempe
Nous ne disons pas que les racines de Vidiom neutral soient
plus ou moins internationales que celles de ÏEsperanto : ce n'est
pas la question en ce moment, et ce serait d'ailleurs à discuter
dans chaque cas particulier. Ce que nous voulons montrer par
Français
jour.
mois.
an.
doigt.
comte.
cheveu.
peau.
chien.
cave.
voisin.
■ rossignol.
oiseau.
vaisseau.
chaud.
fouet.
mot.
queue.
blessure.
regretter.
remercier.
envoyer.
sembler, paraître.
valoir.
boire.
oui.
et.
plus... plus...
seulement.
maintenant.
d' zamenhof : espéranto 347
ces exemples, c'est siiuplement qu'une société inlenialionale,
guidée par le nu^ine principe de l'inlernntionnlité, a été amenée
(A tort on à raison) à adoplcr une séri«> de racines latines là où
V Espéranto avait admis des racines germaniques ou slaves; et
par suilc à élal)orer une langue dont la physionomie est encore
plus lalinc (vl plus française) (|uc celle de VEsperanh, et qui pré-
tend être au moins aussi internationale que celui-ci. Cela prouve
en tout cas que la prépondérance des éléments latins est légi-
time, au point de vue de l'internationalité; et (pie VEsperanto,
loin de leur faire une place trop large, ne leur fait peut-être pas
encore toute la part à laquelle ils ont droit '.
Dans la plupart des cas, la divergence de ces deux langues
(fort analogues d'ailleurs) a une origine théorique qu'il est inté-
ressant d'exposer. On dit, par exemple : les mots jar et âip sont
l>ien sans doute aussi internationaux, sinon plus, que les mots
latins nnniis et navis, pnistpi'ils sont communs à l'anglais et à
l'allemand. Mais il ne faut pas considérer chaque mot à part, il
faut considérer toute une famille de mots (c'est-à-dire l'ensemble
(les mots qui dérivent ou peuvent dériver d'une même rai-ine». et
adopter, pour chaque famille, la racine la plus internationale.
\ ce point de vue, annus'cï navis sont plus internationaux que
jar et sip. attendu qiw les .\nglais et les AUenjands en connaissent
(les d(''rivés (ivmalen, annuat: naval, navigation', tandis que les
peuples romans ne connaissent nullement jar et sip. même pas
par leurs dérivés. Or c'est hien cette méthode que l'inventeur
(le l'Espéranto a i\(i suivre pour former son vocabulaire, puisque,
préoccui^é de réduire celui-ci au minimum, il a cherché, non
pas les nwts. mais les radicaux les plus internationaux *. 11 semble
1. Voir lin nrliclo do M. Kofmnn sur C Espéranto et les nussf.t, dans
l'Espéranliste d'aoùt-sept. IS'.tS, ([ui iiioulro que le russt? conlient honiicoup
plus (l»> mots intornntionaux (surtout priH-o-lalins) qu'on ne croit. Citons-«Mi
(luel(|uos-uns seulement : atsotulisme. administration, ainirat, adresse,
(vocnt, affent, aphorisme, académie, ar/itateur, acte, actif, album, alchimie,
alcool, amphithéâtre, amnistie, anarchie, anecdote, anonyme, anlipathif.
appétit, argument, architecte, aristocratie, artillerie, astronomie, audience,
auteur, autorité, automate, autonomie, autobiographie. (L'auteur en cite
228 pour la lettre .V seulement.)
2. Il est intéressant de citer, i» ce propos, la rt'gle 15* du D' Zamcmhop :
■< Les mots dits étrantfers, c'est-ù-dire ceu.\ que la plupart des lanirues ont
tinpruntés à une même source, sont employés sans chnnp'nient en Espé-
ranto; ils prennent seulement l'orthopraphe internationale (et Uv* terminai-
sons ^rnnuuatic.-iles). Mais (|uand plusieurs mots dérivent de la n«éme
racine, il vaut miou.x n'employer sans altération que le mot fondamental.
348 SECTION III, CHAPITRE IX
donc que, dans les cas cités ci-dessus, il ait été infidèle à sa
propre méthode.
A ces objections les Espérantistes répondent que, si le
D"" Zamenhof a parfois commis des infractions au principe de
l'internationalité, ce n'est pas sans de bonnes raisons. Le plus
souvent, c'est pour éviter des homonymies ou pour distinguer
des sens très différents d'un môme mot, qu'il a eu recours à des
radicaux germaniques moins internationaux que leurs corres-
pondants latins. Un bel exemple de ce fait est le mot vetero (le
temps qu'il lait), distinct du mot tempo (le temps qui dure); ou
encore le mot glaso [verre à boire), distinct de vitro (le verre
comme matière)*. Voici des exemples d'homonymie proprement
dite : le radical latin mens évoque à la fois l'idée d'esprit (mens),
celle de table {mensa) et celle de mois (mensis); il eût donc été
fâcheux de l'adopter pour l'une cjuelconque de ces trois signifi-
cations, par exemple pour la dernière; c'est pourquoi l'on a
choisi le radical germanique monat (D., E.). De môme, le radical
latin vol peut signifier à la fois vouloir et voler; on lui a assigné
le sens de volonté, et l'on a eu recours au radical germanique
flug (D., E.) pour exprimer l'idée de voler ^. De môme encore la
racine di (clies, deus L.) a été réservée à l'idée de dieu, et c'est
pourquoi l'on a adopté tag (D.) pour jour; la racine fil {fdum,
fdius L.) a été réservée pour fils, et l'on a pris faden (D.) pour fd;el
ainsi de suite.
D'autres fois, le D'" Zamenhof a réussi à dissocier les divers
sens d'une même racine en variant simplement la forme de cette
racine. En voici un exemple frappant : ordo = ordre (sens général
et propre); ordeno = ordre (religieux, de chevalerie); ordono =
ordre (commandement). Il s'est servi parfois pour cela des lettres
accentuées, ce qui est encore un argument en leur faveur : stato
= état (manière d'être) ; stato = État (politique). De môme post
(L.) signifiant après, la poste se dira posto (R., Pol.) et le poste
(militaire) posteno ^ Tous ces détails montrent, non seulement
et former les mots dérivés suivant les règles de la langue. Ex. : teatro,
adjectif : teatra ».
1. De même on distingue hundo, chien (animal) et cano, chien (de fusil);
piedo, pied (membre) et futo, pied (mesure).
2. Ajoutons que le mot voler présente en français un double sens into-
lérable, que VEsperanto distingue aisément : flugi = voler (avec des ailes),
steli (D., E.) = voler (dérober).
3. Il est regrettable qu'on n'ait pas distingué de même l'adverbe ciel [de
D' /AMENHOF : ESPEIIANTO 349
(|uo lo vocabulaire do l'Espéranto a été combiné avec un soin et
une iii^'t^iiiosil»' cxlrOmcs, mais qu'il fornio (avec l'alplinbet ot
renseiul)!»' dos aflixes) un vt'Titablo systènio, dont toutos ios par-
lies se tiennent comme les pièces d'un jeu de patience : on ne
peut touclior à l'uno d'olles sans ébranler Ios autres, et les ano-
nialios sipparontos ont une raison délro (ju'on ne soupçonne pas
nu premier abord.
On peut remarquer, à ce propos, que YEspernnlo évite de
donner aux radicaux des terminaisons semblables à ses suffixes
(ou dos syllabes initiales seml)lables à ses préfixes), même là où
cola ne donnerait pas lieu à des calembours, parce que cela peut
dérouler un instant l'espril du lecteur ou (surtout) de l'auditeur.
C'est ainsi que l'on dit azeno. mateno. cagreno, pour éviter la
désinence féminine -ino: bufedo. bukedo, pour éviter le suffixe
diminutif -eto ': barelo Imril pour éviter le suffixe -ilo; skrofolo
pour éviter le suilixo -ulo. etc. Kn s'imposant cette condition,
dans l'iidérét de la clarté, le D"" Zamemiof a énormément accru
la diflicultéde sa tAcbe, puisque cbaque suffixe exclut les radi-
caux <|ni riment avec lui. ou du moins oblicfo A les modifier. On
comprend, d'une part, qu'il y ait intérêt à réduire les sufii.xes au
plus petit nombre; et. d'autre part, que l'auteur n'ait pas tou-
jours réussi à éviter ces sortes de rimes, et même des homony-
mies ou calembours possibles =*. Cela prouve sans doute à quel
point il était difficile de les éviter partout et toujours. La plupart,
hour<Misement, no peuvent pas prêter à «les contresens sérieux
et ruisonnablos. Kn tout cas, on en trouve incomparablement
moins que dans les projets rivaux; et puis, comme disait
M. Koreklioffs pour excuser les calembours du Volapilk. il faut
bien laisser quelque liberté aux amateurs de plaisanteries faciles.
L'emploi systématique d'affixes invariables à sens bien déter-
miné, si utile pourtant pour réduire au minimum le nombre des
loute manière) du radical de cielo {ciel), qu'on aurait pu écrire simple-
iiii'iit cielo.
1 . Cigaredo = cigarette se distingue de cigareto = ftelit eigarr.
2. Kxcinpii's : ban )>t banan : bal •>( balad: barb. barbar: bat. batist: bet.
betul ; bord, border; gaz. gazet: gren. grenad:har. haring: lek. lekant:
son, sonat: reg, regul: tur. turist: trik (tricoter), trikot (trirot : parUripe
futur passif de trik'; vol, volont: vet. veter: sans parler de tualet. tro-
tuar, spegul. somer. orkestr. rU-.. t|ui n«> peuvent donner lieu u oi|uivo<|ut\
u>nis .((l'on aurait pourtant ilù cvilor, pour rester lldèlr au principe; corn-
partM-par iwcinplr fistulo à skrofolo.
350 SECTION III, CHAPITRE IX
radicaux à apprendre, donne lieu à diverses objections que nous
allons exposer.
La première est celle même que nous avons opposée aux lan-
gues philosophiques, à savoir qu"il est impossible, dans l'état
actuel des sciences et de la philosophie, de décomposer toutes
les notions en leurs éléments logiques. Par suite, VEsperanto est
conduit à donner de certaines notions des définitions imparfaites,
donc arbitraires dans une certaine mesure. Il appelle Yescalier
stuparo, c'est-à-dire collection de marches (ou d'échelons) ; or, d'une
part, ce mot peut tout aussi bien signifier une échelle; et d'autre
part, Tescalier peut être conçu tout différemment, par exemple
comme un « moyen de monter et de descendre », ce qui donne-
rait lieu à un tout autre dérivé.
A cela les Espérantistes répondent que, précisément, leur
langue n'est pas une langue philosophique ; elle ne prétend pas
exprimer les définitions rigoureuses des choses, mais simple-
ment les désigner (comme toutes les langues naturelles l'ont fait
à l'origine) par quelque caractère saillant et distinctif qui en
suggère l'idée. La dérivation n'est qu'un moyen de soulager la
mémoire; elle permet de retenir aisément les mots, ou de les
former au besoin quand on ne les sait pas. Par exemple, le pré-
fixe mal- dispense d'apprendre séparément les mots contraires
et supprime à lui seul une bonne part du vocabulaire; le suffixe
du féminin -in dispense d'apprendre deux mots différents pour la
môme idée {homme, femme ; frère, sœur; oncle, tante ; bœuf, vache, etc.).
On objecte en outre que le choix du mot primitif est souvent
arbitraire : par exemple, entre deux idées contraires, il n'y a
pas de raison pour considérer Tune d'elles comme primitive
et Tautre comme dérivée. — Sans doute, répondent les Espé-
rantistes; mais encore une fois nous ne prétendons pas que
notre langue exprime les relations logiques des idées. Il est
commode d'employer le même radical pour désigner deux idées
contraires, et c'est toujours plus naturel et plus logique que
d'employer pour cela (comme nos langues) deux radicaux qui
n'ont rien de commun {grand, petit; long, court; large, étroit,' elc).
De plus, le choix du mot primitif n'est pas arbitraire; le plus
souvent, l'un des deux termes contraires est considéré, par nature
ou par convention, comme positif, et l'autre comme négatif;
ainsi grand, long, large: de même droit opposé à gauche, haut
opposé à bas, riche opposé à pauvre, etc. C'est celui-là qu'on prend
d' zamenhof : espéranto 351
pour mot primitif. En outrr, il arrive parfois que l'un des deux
termes est beaucoup plus internniionnl qtio l'nulre : ainsi ifrnnd
(F., I., L., S.), yrent {V..),<jross (!).; par comparaison à /;<'/i7(F.).
lilUe {E.),klein{D.),parvu8(L.),piecolo (I.), pequeno(S.). Il est donc
tout indiqiK' de le prcudiv pf)ur ferme primitif, puiscpie l'autre
se trouve par là iiuMne proliler de riidernalionalif«'> de s(m r«»n-
liaire.
On reproche encore à celte uu'lliode de formation des mois
d"(»l»lif;er l'esprit à un travail incessant de tl»^conq)osilion et de
recomposition, dont seuls les lettrés seraient capables. Ce serait
<lemander im trop prand effort d'intelligence f» la plupart des
personnes pour «pii la L. I. tloit «Hre faite.
Les Espérantistes répondent, d'abord, qu'en admettant (piil
y eût des esprits incapables de comprendre le mode de formation
des mots dérivés et composés, ils pourront toujours apprenilre
I (S mots dans les lexiques, comme ils seraient obligés, dans
II importe <juelle langue étrangère et dans certaines langues arli-
ficielles. d'appremlre des radic.aux qui ne diraient absolument
rien à leur esprit. On n'impose à personne l'obligation de fabri-
(|uer lui-même les mots dont il a besoin; on pourra toujoui-s les
trouver tout faits dans le dictionnaire. Mais les mots dérivés de
V f-^speranto ont au moins cet avantage sur des radicaux inconnus
i>u arbitrairement choisis, que leur structure même est un moyen
iimémotechnique pour les retenir. Il suffit de les avoir vus une
lois; on ne les oublie plus. On n'a même pas besoin de se rap-
licler exactement leur mode de composition; il suffit dune ana-
logie de son, d'une association d'idées pour en évoquer le sens.
h'ailleurs. il n'y a pas besoin d'une intelligence extraordinaire
pour comprendre un dérivé nouveau régulièrement formé; et il
n est nullement nécessaire d'être rompu à l'analyse logique. Peu
de personnes seraient sans doute «apables de définir et de for-
muler le sens abstrait du suffixe -able ou -ible: et néanmoins tout
le monde comprend des expressions comme popable, ministrable,
cyclable, qui ne se trouvent pourtant dans aucun dictionnaire : et
cela, simplement en vertu de l'analogie, et tlu sens inconsciem-
ment attaché par l'habitude et l'usage au suffixe en (piestion.sans
qu'on soit obligé de décomposer ces mots et de chercher laborieu-
sement le sens de chacun de ses éléments. En tout cas. le travail
tl esprit par lequel on comprend ou devine le sens d'un mol
dérivé ou composé est inconqtarablement moins pénible que le tra-
332 SECTION III, CHAPITRE IX
vail de mémoire qui consisterait à apprendre un à un, sous forme
de radicaux bruts, les milliers de mots que remplacent les
dérivés et composés de Y Espéranto. C'est plutôt un jeu, car il y a
un véritable plaisir intellectuel à saisir instantanément le sens
d'une phrase grâce à des affixes bien connus qui se greffent sur un
petit nombre de radicaux.
Enfin on reproche à VEsperanto de négliger un certain nombre
de mots internationaux, et de leur préférer des dérivés ou com-
posés systématiquement formés. Par exemple, il dira senfina
pour infini, antaùjugo pour préjugé. Cela est surtout remarquable
dans les termes techniques, que les langues nationales ont
empruntés au latin ou au grec : ex. : ventolilo pour ventilateur;
aliformigo, pour transformation, etc.
Les Espérantistes répondent que l'essentiel n'est pas, pour
leur langue, de comprendre tous les mots internationaux, mais
de ne comprendre (autant que possible) que des racines interna-
tionales, avec lesquelles on puisse former régulièrement une
multitude de mots immédiatement intelligibles. L'idéal, disent-
ils, n'est pas de construire une langue compréhensible aux seuls
savants : or, en supprimant des affixes, on augmenterait dans
une proportion énorme le nombre des mots primitifs à
apprendre. Pour contenter une poignée d'érudits, on sacrifierait
tous les vrais intéressés (M. de Beaufront). Cette question est
très délicate. Elle se pose, en somme, pour la L. I. comme elle
s'est posée pour l'allemand : vaut-il mieux employer (comme
termes scientifiques et techniques) des mots internationaux
dérivés du grec et du latin et par suite compris de tous les
savants, ou des expressions nationales formées d'une manière
autonome, conformément au génie de la langue, et intelligibles
à tous? La question a été fort débattue en Allemagne, et les avis
sont partagés. Les savants, comme on pouvait s'y attendre, sont
en général partisans des mots internationaux, avec lesquels ils
s'entendent immédiatement avec leurs confrères étrangers : ils
préfèrent, nous affirme-t-on, Telephon à Fernsprecher. Sans vouloir
discuter et trancher ici cette grosse question, il nous semble
que, pour les termes scientifiques et techniques tout au moins,
et pour la langue internationale, les mots internationaux sont pré-
férables, car la langue internationale est destinée à permettre
aux savants de se comprendre entre eux ; et elle ne les empêchera
pas de rédiger dans la langue nationale les livres denseigne-
d' zamenhof : espéranto 353
inrnt rt do vulgarisation, pas plus que de professer dans la
langiH* inatcnirlle.
Ou dit ciiu- (les composés autonomes sont mieux compris df
tout le monde. Mais, pour retenir le mol téléphone^ il n'est pas
indisiHMisahlc do connaître son «Hymologio givcque, pas plus
qu'il nost nécossairo de connaître la théorie de cet instrument
pour pouvoir s'en servir. Le peuple emploie ces sortes de mots
(comme le mot microbe, par exemple) sans se soucier de leur
origine, et les savants mémos (jui la coiuiaissent n'y pensent
plus. Les composés autonomes ont, de leur côté, cet inconvé-
uionl qu'ils conslituent plus ou moins une définition do l'idée
qu'ils expriment, et celle tiéliniliou est sujette à varier avec les
progrès do la science. Nous en avons vu • un exenqilo dans les
mots oxygène et azote, qui no correspondent plus à l'état actuel
do nos eounaissancos; mais personne ne pense plus à leur sens
étymologi(|ue. tandis que les noms allemands calqués sur eux
(Sanerstoff, Slirkshjf) le rappellent sans cesse, surtout aux per-
sonnes ignorantes do la Chimie, ce qui ne peut que les induire
en erreur. De mémo, les grammairiens allemands appellent l'ar-
ticle Geschlechtsworl et le verbe Zeitworl. Or ces ileux mois com-
posés impli(puMit toute une théorie grammaticale, fort contes-
table, sinon fausse *. Los termes latins article et verbe n'ont pas
ce défaut : ils sont neutres, théoriquement. On voit par là c|ue
( est souvent un avantage d'adopter des mots qui ne signifient
rieii, ou peu de chose.
Ku résumé, i)our les mots do la langue usuelle, il est bon qu'ils
-oient formés d'une manière régulière et autonome; mais pour
tous les termes techniques, il vaut mieux qu'ils soient empruntés
tout faits aux langues vivantes, qui les ont elles-mêmes tirés du
latin ou du grec. Par exemple, on peut fort bien traduire tire-
bouclion par korktirilo, et éventail par ventumilo: mais en revanche
ventilator est préférable à ventolilo '. Sans tloute, le vocabulaire
1. Section !, Critique générnle.
2. A savoir (|uo Tarlicle sert (principnlement) à distinguer les genre», et
que le vertie est, selon in déitnilion d'Aristote, un mol qui implique une
indication de temps; définition que Leibniz discutait et rejetait déjà.
3. Que l'on pense ù la nuiltitude des mots en -ateur (L. -alor) qui désignent
(li's instruments dans la science et dans l'industrie, et qui sont nhsolument
internationaux, comme accumulateur, moteur, transformateur, etc. (notons
en passant ce curieux doublet : condensateur électri<jue. et comlenseur de
machine à vopeur). Il est évident qu'un conducteur électrique devra s'appeler
CocTVRAT et Leav. — langue univ. 23
3S4 SECTION III, CHAPITRE IX
technique de Y Espéranto n'est pas encore constitué ; mais on trouve
déjà dans les vocabulaires des mots techniques qui sont des
symptômes de la tendance fâcheuse que nous critiquons, comme
tagnoktegaleco := équinoxe, et slosilosto ■=^ clavicule (litt. : os-clef).
Il est certain que les savants comprendront toujours mieux et
retiendront plus aisément les mots équinoxe et clavicule, qui leur
sont familiers. \J Espéranto ferait donc fausse route, s'il prétendait
construire les mots techniques de toutes pièces et par ses propres
moyens; il risquerait, d'une part, de se heurter à l'écueil qui a
fait échouer les langues philosophiques; d'autre part, de tomber
dans l'abus de la dérivation et de la composition, et de rappeler
les logogriphes du Yolapiik '.
Pour la formation même des dérivés, les affixes sont en
général très heureusement choisis; presque tous répondent,
pour le sens et pour la forme, à des affixes de dérivation employés
dans la plupart des langues européennes. Leur sens a été d'ail-
leurs précisé et fixé, ce qui n'a lieu dans aucune langue naturelle ;
pour n"en citer qu'un exemple, les mots aimable, estimable, hono-
konduktor, ot non kondukisto, comme le conducteur... de voitures. C'est
mémo là un excellent moyen de distinguer le sens vulgaire et le sens
technique d'un même mot.
1. Au surplus, voici textuellement les règles fort judicieuses formulées
par le D' Zamenhof pour le choix des termes techniques (d'après la méthode
employée dans les langues vivantes) :
« 1° On se demande avant tout si le mot n'existe pas déjà dans la langue
commune; par exemple, si un vélocipédiste a hesoin du mot roue, il n'ira
pae créer un terme nouveau, mais prendra le mot déjà existant dans le
dictionnaire général.
« 2" Lorsqu'on sait que le mot nécessaire n'existe pas encore, c'est-à-dire
simplement (ju'il n'a pas encore été employé, on tâche de le former à l'aide
des autres mots-racines existant déjà dans la langue. Par exemple, s'il faut
composer pour la ])remière fois, dans une jeune langue, un ouvrage de
mathématiques, l'auteur qui a besoin d'exprimer multiplier, dividende ou
triangle formera facilement ces termes avec les mots déjà existants dans le
dictionnaire » (Ex. : multobligi, dividato, triangulo).
« 3° Enfin, si le terme n'existe ])as dans le dictionnaire général et qu'il
soit difficile do le former à l'aide des mots existants, ou que cette forma-
tion donne une expression obscure, trop lonrjue ou incommode, le spécia-
liste, sans se condamner à de longues réflexions ni se gêner, emprunte
simplement le mot à une autre langue, en lui donnant seulement l'ortho-
graphe de la sienne. Le choix, en général, n'est pas difficile, car la majo-
rité des mots de cette 3° catégorie sont également employés (comme mot>
« étrangers ») dans toutes les langues, et par suite sont déjà par eux-mêmes
internationauv ». (UEspérantiste, mars 1902.) Nous avons souligné, dans la
3" règle, une réserve très sage, qui nous paraît restreindre notablement
l'application de la 2" règle au profit de la 3", c'est-à-dire la formation de
dérivés ou composés autonomes au profit des mots internationaux tout faits.
d' zameniiof : espkranto 35S
rnbtf, respectable, etc., signifient en français t qui doit » et non
\ms * qui peut Hro a'\m6, oslimr, r\r. »; juissi VHspeninfo les tra-
duit-il logi(iu(Mn(Mit par aminda, estiminda, honorinda. respek-
tinda, et non (comme le font d'autres langues arliflcielles) par
amebla. elo. O priiiripr do runiformil»' du sens dos affixes
(coniiiu* de celui des radicaux) est absolument indispensable à la
régularité et à la clarté; c'en serait fait de l'unité de la langue,
si l'on y introduisait les idiotismes et les anomalies de dériva-
tion des langues ualurelles '.
Peut-être, cependant, ce principe n'est-il pas toujours rigou-
reusement observ<^ surtout dans la manit're dont les diverses
parties ilu discours dérivent les unes des autres. Sans doute.
VEsperanlo a bien fait de ne pas prendre pour racines (comme le
Volapnk, le liolak et la plupart des langues n priori) les mots
dune seule partie du discours, par exemple les substantifs, pour
en déduii*e mécaniquement l'adjectif, le verbe et l'adverbe, ce
qui est souvent contraire à l'ordre logique des itlées : los idées
de bon et de beau, par exemple, sont logi(iueiuent antérieures
aux idées de bonté et de beauté-. Il admet des racines appartenant
à toutes les parties du discours : des adjectifs, des verbes, des
adverbes (troa = excessif; nuna = d'à présent), des particules
comme jes. ne (jesi — affirmer, nei = nier), sen. dis disigi =
séparer, senigi = dépouiller), et même des afiixeii comme an
lano = partisan), ec (eco = (lualité), ind (inda = digne de), ebl
(cble = peut-être). Néauiuoius. toutes les fois (jue cela est possible,
le iv Zamemiok parait assigner à une racine le sens verbal, et il
en forme ensuite le substantif, l'adjectif et l'adverbe au moyen
des désinences -o, -a, -e. Cela est assuréujont fort logiipie et fort
commode, mais à une condition : c'est qu'il y ail enti*e le sens
du mot primitif et celui du dérivé une correspondance univoque
et récipro(iue en vertu d'une règle générale et fixe. Inivoque, c'est-
1. Il y a plus : certains siifllxes, en eux-mi^mes internationAux, ne sont
pns intrrnnlionnux dnns leurs applications particiili«>res, de sorte que des
rndionux internatioiuiux engendrent des dérivés qui ne le sont pas. Ex. :
l'italien traduit heanté par bellezzd, alors que les deux sufllxes «'quivalenl^
•té (-fo) et -e5S(? (-essfl) sont communs aux deux langues. En français même,
nous avons h la fois ricfies.se et pauvreté. G«'la montre bien la nécessité
de réjjulariser le sens et l'emploi des sunixes de dérivation (cf. p. 357,
note t).
2. Tandis que le Votaplik dit gud = l>onté, gudik = éon; et le Bolak :
bel = beauté, beled = beau.
356 SECTION III, CHAPITRE IX
à-dire que chaque affîxe de dérivation doit avoir un sens unique
et bien déterminé, du moins dans les mêmes conditions (dans
la même classe de mots); réciproque, c'est-à-dire que l'on doit
pouvoir déduire du sens du mot dérivé le sens du mot primitif
d'une manière aussi régulière et aussi sûre que l'on déduit le
premier du second, en renversant simplement la relation qui
les unit *.
Par exemple, le verbe dérivé d'un substantif ou d'un adjectif
signifie : i° tantôt : être — : utila =: utile, utili = être utile^;
2"^ tantôt : faire Vadion de — : marso = marche, marsi = marcher ^ ;
3° tantôt : faire usage de — : broso = brosse, brosi = brosser^;
4° tantôt : remplir, garnir ou revêtir de — : salo = sel, sali = saler''';
oro = or, ori = dorer ^ Et ce n'est pas tout : il y a des verbes
qui ne rentrent dans aucune de ces quatre classes; ex. : formo =
forme, formi =^ former; silabo = syllabe, silabi = épeler''. Or, dans
la dérivation inverse, le substantif obtenu en changeant en -o
l'-i de l'infinitif signifie toujours : Vaction de — . Ex. : dueli = se
battre en duel, duelo = duel; helpi = aider, secourir, helpo = aide,
1. On dira sans doute que cette réversibilité des dérivations n'est pas
nécessaire, attendu que chaque racine engendre un mot primitif (substantif,
adjectif ou verbe) indiqué dans le dictionnaire, et dont les autres dérivent.
Mais c'est précisément ce que l'on peut contester. D'une part, au point de
vue logique, quelle raison y a-t-il pour qu'une racine engendre un mot pri-
mitif d'une espèce plutôt que d'une autre, alors que l'espèce du mot n'est
déterminée que par la finale -o, -a, -i (dont c'est expressément le rôle)?
D'autre part, au point de vue pratique, peut-on exiger de l'adepte qu'il se
rappelle, outre le sens général de la racine, le sens particulier du mot
primitif qui en est le premier dérivé? C'est surcharger sa mémoire, ou, en
cas de doute, l'obliger à chercher dans le dictionnaire.
2. Autres exemples : avara = avare, avari == être avare de; avida =
avide, avidi = désirer.
3. Autres exemples : paso = pas, pasi = faire des pas; verso = vers,
versi = faire des vers ; rimi ^= rimer, etc.
4. Autres exemples : vipo ^= fouet, vipi = fouetter; signo = marque,
signi = marquer; sraubo = vis, sraubi = visser.
5. Autres exemples : gudro = goudron, gudri ^ goudronner; krono =
couronne, kroni = couronner; lardo = lard, lardi = larder; sablo =
sable, sabli = sabler; sterko = fumier, sterki = fumer (la terre); sukero
= sucre, sukeri = sucrer; vato = ouate, vati = ouater; vesto = vête-
ment, vesti = vdtir.
6. Autres exemples : parfumo = parfum, parfumi = parfumer; sebo =
suif, sebi = suifj'er; selo = selle, seli = seller; stano = e'tain, stani =
étamer, etc.
7. Autres exemples : loko = lieu, loki = placer (L. locare); nomo =
nom, nomi = nommer; okazo = occasion, okazi = arriver; paralizo =
paralysie, paralizi = paralyser.
d' zamenhof : espéranto 357
secours; promesi = promettre, promeso = promesse; sendi ■= envoyer,
sendo = envoi (action d'envoyer : la chose envoy«^<* se dit : sendajo)'.
Il ost vrai que nous trouvons <léjj\ dos exrj'ptirtns ù cette rt-gle :
dolori si^niliniit faire mal, doloro siguilie douleur, alors qu'il
devrait signifier Vaclion de faire mal*.
Mais iu>us lrouven»ns hieu «l'autres exceptions, si nous voulons
renverser les dérivations énuniérées plus haut : utilo signifiera :
Vai'tion éCèlre utile, le service rendu; broso, Vaction de brosser; verso.
In versification; vipo, U\ flaijeUatioii; formo. la formation: krono. le
couronnement, etc. '. Si Ion veut observer la régularité de la déri-
vation, le verbe dérivé d'un substantif ne peut signifler qu'une
chose : être dans l'état ou faire l'acte exprimé par ce substantif;
et toutes les autres espèces de verbes dérivés devront se former
au moyen de suffixes spéciaux qui signifient : fabriquer, faire
iisaiie de. remplir de, etc., de même qu'on a des suffixes spéciaux
pour exprimer l'idée de /aire ou rendre et celle de devenir^. Par
t. C'est la di^rivation do sens In plus logique. Don Sinibaldo de Mas l'aviiit
bien vu. iiunnd il ^^-crivnil tinns son Idéographie, p. 1.51 (I8B3) : • Le signe
placr à la ligne des noms signillern Vaction, Tncte d'exécuter le verlie;
exemples : amour qui est Pnclion d'rt/mer, marche qui est i'nction de mar-
cher,... prière qui est I'nction de prier.... Le signe donc qui, pincé n In
ligne des verbes, signillern fusiller, h In ligne des noms signiflera fusille-
ment, c'ost-ù-dire Tnctioii de Tusillcr •, et non pas : le fusil. Il est naturel
que le substantif dérivé inimédinteiiit<nt du verbe exprime I'nction, c'est-à-dire
l'idée vcrbnlc elle-même; dnns ccrlnines Inngues (grec, nllemnnd) on emploie
à cet effet l'inllnitif (comme en frnni.-ais : le t>oire et te manger, le parler,
le rirfi. le faire). Dnns les Inngues romnnes, on Qmploie souvent comme
subslnnlif d'nction le rndicnl verbni. Ex. : 060», accord, accueil, ap/wrl,
rhtsse, coupe, débat, etc. (^n remnrquern (jue celte manière de substnntifler
le verbe est bien plus commode et concise que les suffixes romnns -alion
et •emenl, qui sont si lourds et si équivoques, et qui ne sont même pas tou-
jours internationaux dans leur application : ainsi l'anglais dit coronation
là où le français dit couronnement (cf. p. 3.'S5, note i).
2. Autres exemples : adresi = adresser, adreso = adresse; bari = barrer,
baro = /larre: cagreni = char/riner, cagreno = chagrin; celi = viser,
celo = f)ut: flori = fleurir, floro = fleur-, honori = honorer, honoro =
honneur; kaîizi = causer, kaûso =: cause; movi = mouvoir, movo ^ mouve'
ment; naùii= donner des nausées, naûso = nausée; mil = rouler, rolo a
rouleau, etc.
3. Le suffixe -ad parait employé dans certains cas pour éviter celle équi-
voque et désigner l'action : fabriko = fabrique, fabriki = fabriquer.
fabrikado = fabrication; guto = goutte, guti = dégoutter, gutâdo =
action de dégoutter. .Mais alors il devrait être employé dans tous les cas pour
(li'signer l'action, ce (jui n'a pas lieu.
4. Voir par exemple les séries régulières de dérivés issus de san et de mort.
Kn revanche, on ne voit pas comment de naski = enfanter on peut tirer
naski^i = nailre; il vaudrait bien mieux adopter (conformément à IVtymo-
li>,irii' naski = naître, et naskigi = faire naître, enfanter. Quant à : tiil
k
358 SECTION III, CHAPITRE IX
exemple, pour les verbes qui signifient /aire usage de, on pourrait
employer le suffixe -um, comme dans martelumi = marteler; ou
bien, si l'on prenait le verbe pour mot primitif, il faudrait en
dériver le nom de l'instrument au moyen du suffixe -il, comme
dans kudrilo = aiguille '.
La relation du substantif et de l'adjectif donne lieu à la même
difficulté et à la même critique. En général, l'adjectif dérivé
directement du substantif (par simple changement de -o en -a)
paraît signifier uniquement : relatif à — . M. de Beaufront
enseigne, par exemple, que, amo signifiant amour, ama ne signifie
pas amoureux, mais cTamour (dans : lettre, chant d'amour'^). Toute-
fois, il y a de nombreuses exceptions à cette règle : dento = dent,
denta = dentelé (au lieu de : dentaire) ; danko = remerciement, danka
= reconnaissant; ofendo == offense, ofenda = offensant'^; bezono =
besoin, hezona. ^ dont on a besoin^. Mais admettons que la règle
soit partout appliquée; il semblerait donc que le substantif dût
désigner l'objet auquel l'adjectif est relatif.
Examinons maintenant la dérivation inverse. Que signifie le
substantif dérivé de l'adjectif par le simple changement de -a
en -0? Le bon sens l'indique : ce doit être l'adjectif substantifié,
désignant la personne ou la chose qui possède la qualité expri-
mée par l'adjectif : comme quand on dit (en français et dans
ensteli = s'introduire en voleur, c'est un idiotisme inintelligible; et elpensi
= inventer n'est guère plus clair ni plus logique.
1. Autres exemples : cizilo = ciseau; remilo = rame; pumpilo =^ pompe;
rabotilo = yribot, raspilo = râpe, rastilo = râteau, segilo = scie, sigelilo
= sceau, etc., tous substantifs dérivés des verbes correspondants. De même :
veturilo = voiture dérive de veturi = aller en voiture, tandis que veturo
= Vaction d'aller en voiture. Pour les verbes qui signifient remplir ou
revêtir de, on pourrait imiter l'exemple de smiri = oindre, d'où smirajo =
onguent, tandis que smiro = onction (action d'oindre). Pour la racine mov,
ou bien on part de movi = mouvoir, et alors on en tire : movo = action
de mouvoir; movigi =: se mouvoir, et movigo = mouvement; ou bien on
part de movi =^ se mouvoir (être en mouvement), et alors on en tire : movo
= (état de) mouvement; movigi = mouvoir (mettre en mouvement), movigo
= action de mouvoir; movigi =: se mettre en mouvement.
2. Par suite, l'adjectif remplace souvent, et avec avantage, le génitif
français ou le mot composé allemand. Ex. : komerca cambro = chambre
de commerce.
3. Autres exemples, où l'adjectif devrait être remplacé par un participe
exprimant l'action : carma := charmant, pika = piquant, rava = ravis-
sant; ciopova = tout-puissant (de povo = pouvoir).
4. On s'attendrait tout au moins à : qui a besoin. Mais logiquement,
bezoni signifiant avoir besoin de (verbe actif), ce dont on a besoin est
bezonata, et celui qui a besoin est bezonanta.
d' zamenhof : KSI^ERANTO 359
lniuu:uii|> il au tirs langues) : les bons et les méchants, un juste, un
satje, un saint, etc. C'est en effet rc qui a lieu, eu Espéranto, poul-
ies partitives parolanto = orateur) et pour queUpirs adjectifs '.
Mais, dans la plupart des cas. l'adjectif n'est substantilié cjuau
Mioyen du suffixe -ul. Kx. : juna = jeune, junulo = jeune homme -.
L'emploi de ce suflixe est non seulement inutile, mais illo^'i(|ue.
vnv il dt'signe « un être caractérisé par telle qualité ou propriét»*. »
Or le mot prinùtif juna signifie déjà jeune, et non pas jeunesse,
qui s'exprime par le dériv»'* juneco; il désigne donc bien l'être
même, et non la <|ualité, et pour en faire un substantif il doit
suffire de changer sa désinence -a en -o. Le cas n'est plus du
f<Mit le même que pour gibulo — tx)ssu (de §ibo = 6o4sc) : ici le suf-
li\»> ul est nécessaire pour dériver du nom dune propriété le nom
delêlrt' qui en est affecté'. Mais il est irrationnel, et un peu ridi-
cule, de ladjoimlre à virga = vienje (adj.) pour foruier virgulino
= une vienje. Lst-c»- que virgino ne suftit pas à désigner Vétre (o)
féminin (in) qui a la (jualité de vierge (virg)? A quoi bon dire
skeptikulo. klasikulo '. ipiand skeptiko. klasiko suflisent et sont
parfaitement clairs? On iloil donc dire de même : justo ■= un
juste, sankto = un saint, etc.
On objectera peut-être que cela engendrerait de> i-qui\oqn»'s :
comment distinguerait-on alors les adjectifs employés comme
substantifs neutres : le beau, l'utile. Caijréable, le nécessaire, etc.?
A cela nous répondrons «pie ces adjectifs neutres (lé«^iiriient. soif
i. Exnii|il('s : parazito. parasita, luii) ;'^<'''^'-f</'': parenco. parenca. un)
jtiircnt; orfo, orta. (un) orphelin: nobelo. nobela, uin) nohie: deserio,
dezerta. tun) dèsn-t: utilo. utila. il) ulile: neceso. necesa. (le) nécessaire;
superflue, superflua, \U') superflu; virmo,varma, de) r/ia(«/; vero. vera.
(U') rrai: nigro. nigra. (U-) noir, et les autres noms de a»ulour>»: Franco.
Franca. (un) Fr««j<n'*, et les autres noms do peuples.
2. .\ulrcs exemples : justa, justulo. [un] juste; sankta. sanktulo. (uu)
saint; brava, bravulo, (un) br<ire; rica. riculo. (un) riche; klera. klerulo,
(un) cli-rc, salant; lama, lamulo, (un) boifeu.t ; miopa. miopulo. (un) myope;
surda. surdulo. (un) sourd; muta, mutulo, (un) muet; eU-.. etr.
:]. Autres exemples : favo = teigne, favulo = tei^neurx febro = fièvre,
februlo = fiéi'reu.r\ frenezo = folie, frenetulo = fou; ftiio — phtisie,
ftizulo — i>hlisi(/uc; kiraso = cuirasse, kirasulo = cuirassier; kximo =
crime, krimulo = criminel; lepro = lèpre, lepnilo = lépreux; peko ^
pvché, pekulo = pécheur; rento = rente, rentulo = rentier; tcieuCO =
science, scienculo = un sarant (sciencisto serait d'ailleurs plus exact) i
ringulo = un annelé; vertebrulo = un vertébré.
i. Notons ù ce propos un petit contre-sens : klasikulo ne peut |uis »i^niiler
un partisan des classiques (<|ui se dirait : klasikano) mais l>ien un {auteur)
dassiijue.
360 SECTION III, CHAPITRE IX
des qualités abstraites, soit des choses concrètes. Dans le pre-
mier cas, VEsperanto doit employer le suffixe -ec : le beau, c'est
la beauté (beleco)*. Pour le second cas, il a le suffixe -a], qui
désigne précisément la chose douée de la qualité exprimée par
la racine. On devrait dire : utilaîo, necesaîo, etc. quand il s'agit
des choses utiles ou nécessaires ^. Rien n'empôche donc de dire :
belo pour bel homme, et belino pour belle femme (F. une belle), sans
s'embarrasser du suffixe -ul qui est, dans tous les cas, inutile
au féminin.
Mais voici une autre difficulté : souvent le substantif en -o
désigne la qualité abstraite que l'adjectif en- a sert à attribuer aux
personnes ou aux choses : ainsi îaluza = jaloux, et jaluzo =
jalousie. C'est là une inconséquence, et ce qui le prouve, c'est
qu'il existe le mot jaluzeco = état de jalousie (sic), ce qui ne dif-
fère pas, semble-t-il, de la jalousie môme ^. On trouve encore de
nombreuses familles de mots analogues à celle-ci : kurago =
courage, kuraga = courageux, et kuragulo = homme courageux K
De telles dérivations nous paraissent vicieuses. Ou bien la
racine a le sens de qualité abstraite, et alors le mot primitif est
le substantif; ou bien elle a le sens de qualité concrète, et alors le
mot primitif est l'adjectif. Dans le premier cas, on devra dire,
par exemple : kurago = courage, d'où kuragula, kuragulo = cou-
rageux. Dans le second cas, on devra poser, au contraire : saga,
sago =: sage, et sageco = sagesse. De toute façon, l'adjectif épi-
thète et le même adjectif substantifié ne peuvent différer
que par la désinence -a ou -o. On ne peut donc pas admettre
des dérivations comme celle-ci : prudento = raison, prudenta =
1. C'est en vertu d'une tradition platonicienne que l'on dit le beau pour
la beauté : on réalise ainsi une qualité abstraite, c'est-à-dire qu'on la consi-
dère (à tort) comme un être réel.
2. L'expression : «joindre l'utile à l'agréable » peut signifier deux choses :
ou bien (comme dans Horace) il s'agit d'un homme (d'un auteur) qui
mêle les choses utiles aux choses agréables; ou bien il s'agit d'une même
chose qui unit les qualités d'utilité et d'agrément.
3. Do même : sago, sageco = sagesse; trankvilo et trankvileco = tran-
quillité; kapablo et kapableco = capacité. Comparera : serioza = sérieux,
et seriozeco = le sérieux (la qualité de sérieux) ; de même, justeco, sankteco.
4. Autres exemples : felico = bonheur, felica, feliculo =^ (un) heureux:
kulpo = faute, kulpa, kulpulo = (un) coupable; mizero = misère, mizera.
mizerulo = (un) misérable; pacienco = patience, pacienca, pacienculo
= (un) patient; potenco = puissance, potenca, potenculo = (un) puis-
sant; perfido = trahison, perfida, perfidulo = (un) traître; ruzo = ruse,
ruza, ruzulo = (un) fourbe; sago = sagesse, saga, sagulo = (un) sage.
D' ZAMEiNHOP : ESPERANTO 36 <
raisonnabU', prudenteco = <iuaUlé de raisonnable. Pour le nu^nu'
luolif, il laudiaif appliquer le suffixe -ec ni«Mne nux adjectifs
dérivés eu -em. car la rèKle contraire constitue une exception
(|ue rien ne justifie. Si de paco = paix on dérive pacema =^ paci-
fique (ami de la paix), pacemo doit signifier un pacifiiiue {au lieu
de pacemulo). •'! au contraire Vesprit pacifique doit s'appeler
pacemeco (et non pacemoi '.
Telles seraient les exigences d'une logique grammaticale
innexii)le. Maintenant, on peut se demander si l'on doit, si môme
on peut les satisfaire dans leur rigueur absolue. C'est là une
grave question, car il s'agit, au fond, de savoir si l'on peut réduire
toutes les relations d'idées à un nombre fini (et assez restreint)
de classes ou de types, ou si leurs variétés sont en nombre (pra-
tiquement du moins) illimité. Dans ce dernier cas, que le
I)"" Zameniiof semble avoir prévu, il y aurait lieu de faire usage
de la préposition universelle je et du suffixe universel -um pour
exprimer toutes les relations non spécifiées. Quoi qu'il en soit,
on ne peut pas se prononcer avant que le vocabulaire interna-
tional soit coni|>lèl(Mnent élaboré. Car il est possible et même
probable que la régularité et la simplicité des dérivations
devront fiéchir devant l'introduction de milliers de racines
nouvelles, et surtout des termes scientifiques internationaux *.
lue langue a posleriori ne pourra sans doute jamais être par-
faitement logique, parce que nos langues naturelles sont trop
remplies d'illogismes. 11 faudra donc probablement s'en rap-
porter ù l'usage étaltli el au bon sens, comme dans nos langues
mêmes ^, mais le moins possible.
On peut encore remarquer que certains affixes donnent lieu à
i . De mémo, de timo = a'ainte on doit tirer : timema = timide, timemo
= un timide (nu liru do timulo). et timemeco = timidité (au lieu de
timemo). On trouve dnns l'Ek:ercaro {^ 42 1 malsanemeco, remplacé, dans
la Grammaire (40* pxercico) par malsanemo-
2. Par oxonipic, il y a uno foule do mots sicientillquos* à radical termini^
on -wj (quinine) cl on -it {pt/rite, bronc/tile), qu'on ne peut st>ngcr n déformer
pour éviter quo los pronùors rossoniblent à dos féminins, el les seconds a
dos participes passés. Mais il n'y n pas à cela un grand inconvénient, di«s
iju'il s'apit de mots scientiflquos internationaux, «juc personne ne peul
tonfondro avec des mots de la langue usuelle. (On trouve déjà pepsin
on Espéranto).
3. Où l'on emploie couramment les verbes barrer, chambrer, classer,
meubler, nuancer, ramer, scier, télégraphier, téléphoner, coller, dorer, srllcr.
armer, fouetter, bdtonner, cravacher, sans même se douter de l'héléroge-
uéité de leur dérivation.
362 SECTION III, CHAPITRE IX
des applications peu logiques. Tel est, notamment, le sullîxe -uj,
qui a des sens et des emplois trop variés. Sans parler de son
emploi comme suffixe des noms de pays, il signifie à la fois le
récipient (qui contient une chose) et l'arbre (qui produit une
chose). Or ces deux derniers sens engendrent une équivoque :
teujo signifie boite à thé, et non pas arbre à thé, qui se dit tearbo;
de mémo : kafujo = boite à café, et non caféier (kafarbo). Il vau-
drait donc mieux logiquement composer tous les noms d'arbres
avec -arb, et préférer pomarbo à pomujo '.
Enfin VEsperanto manque d'un affixe péjoratif que possèdent
en général les langues naturelles et beaucoup de langues arti-
ficielles ■-. 11 serait fâcheux d'employer en ce sens le suffixe dimi-
nutif -et, qui peut tout aussi bien impliquer une idée amicale
et flatteuse; et l'on peut encore moins employer le suffixe
augmentatif -eg, qui serait plutôt laudatif. On trouve pourtant
dans le dictionnaire Espéranto-Français le mot kalesego traduit
par équipage lourd, inélégant. Cela est illogique, car, si kaleso =
voiture de luxe, kalesego doit signifier carrosse (de gala).
Malgré ces imperfections, aisées à corriger, le système de for-
mation des mots en Espéranto est d'une régularité et d'une fécon-
dité admirables. C'est lui surtout qui contribue à lui donner
ce caractère merveilleux de « langue naturelle », de » langue
vivante » que de bons juges lui reconnaissent ^. C'est vraiment
une langue autonome qui possède des ressources intrinsèques
et illimitées, qui a une physionomie originale et un « esprit »
propre. Nous n'en voulons donner qu'un exemple : nos langues
ont des mots pour dire compatriote, contemporain, etc. U Espéranto
les traduit par samlandano (qui appartient au même pays), sam-
tempano (qui appartient au môme temps), etc. De même, il dit
samideano pour désigner « celui qui est partisan de la même
1. C'est ce (lue font certains Espéranlistes, qui tendent aussi à remplacer
le suffixe -uj par la racine land dans la formation des noms de pays (Fran-
clando, Ânglolando, au lieu de Francujo, Anglujo).
2. M. BoiRAG a proposé pour cet usage le suffixe -ac (1.), « dont l'utilité
est incontestable » selon MM. Gart, Merckens et Berthelot {Vocabulaire.
Français-Espéranto, p. xi). Le besoin d'un affixe laudatif se fait moins
sentir, sans doute parce <|ue les hommes sont plus portés à dénigrer qu'à
louer, ou peut-être parce qu'ils ont plus d'occasions de blâme que d'éloge.
3. Un professeur du Collège de France a écrit à un recteur d'Université,
en parlant de Y Espéranto : •• Si l'on ose dire après cela qu'une langue est
un organisme, autant dire que l'homme peut créer de toutes pièces une
plante ou un animal ».
D' ZAMENHOF : ESPERANTO 363
ith'c » que vous; or ccsl h\ un mot ori^iiinl, fini ii'n pas, croyons-
nous, (It^quivalcnt dans li's langues ouro|)t'onn«>s. Ainsi ce n'est
pas une langiu' arliliriollo. ligt^o ot niorU*, simple (l«^ralque de
nos Inn^'ues; c'est une Inii^'ue capable de vivre, de se dtheloppcr,
et de dépasser en richesse, en souplesse et en varitHtMes langues
naturelles. Enfin c'est une langue susceptible d'élégance et de
style, s'il est vrai que la véritable élégance consiste dans la
sinq)li(ité et la clarté, et que le style n'est que l'ordre qu'on
met dans l'expression de la pensée.
CHAPITRE X
THE AMERICAN PHILOSOPHICAL SOCIETY
Au moment du plus grand succès du Volapûk, YAmerican Philo-
sophical Society (fondée par Franklin en 1743) mit à l'étude la
question de la langue universelle, et nomma, le 21 octobre 1887,
un Comité « pour examiner la valeur scientifique du Volapûk ».
Nous croyons devoir résumer l'intéressant rapport de ce Comité,
car il contient un véritable programme théorique de langue
internationale *.
Le Comité commence par constater le besoin croissant d'une
langue universelle auxiliaire. Depuis que le latin, puis le fran-
çais, ont cessé de remplir cet office (pour les savants au moins),
toutes les nationalités ont tenu à honneur de publier leurs
productions dans leur propre langue; il en résulte qu'on a
maintenant des ouvrages scientifiques en roumain, en tchèque,
en suédois, en magyar, en arménien et même en japonais. La
confusion des langues est telle, que Max MOller en était réduit
à supplier (en vain d'ailleurs) ses confrères de se borner aux six
langues suivantes : D., E., F., L, L., S.; remède bien insuffisant,
ajoute le rapport, car quel est l'étudiant qui peut apprendre
seulement à lire ces six langues? D'ailleurs, les commerçants et
les voyageurs ont besoin, eux aussi, d'une langue internationale
qui soit simple et facile. Le Comité constate que cette création
1. Report of the Committee appointed Oct. SI, 1887, to examine into Ihe
scientific value of tlie Volapûk, presented to the American Philosophical
Society, Nov. 1887, 12 p. in-8". Publié ap. Nature, t. XXXVIII (1888). Le Comité
so composait de MM. Daniel Brinton, président; Henry Phillips et Monroe
Snyder. M. Brinton a publié depuis, en 1889, un opuscule intitulé : Ai7ns
and Ti-aits of a World Lanquage, ap. Proceedings of the American Asso-
ciation for the Advancement of Science, t. XXXVIl.
THE AMERICAN PHIL080PHICAL SOCIETY 36S
fst conforme h la londance jfénérnie de la civilisation moderne
à runiv«»i'snlif«^ <*l ù liiniforniitt''; la lan^^uc internationale n'est
pas seulenuMit désiralde, t il est eerlain <|u'elle se fera »; mais il
il(''pendde nous, «^tres intelligents, au lieu de la laisser se faire
iiu hasard, de la faire avec réllexion, conformément aux données
(le la science. Le Comité est ainsi conduit à tracer le plan de la
lulure L. I. et i\ en formuler les conditions essentielles.
La première condition est que la matière et la forme de la L. 1.
doivent être empruntées au fonds aryen, représenté par les six
grandes langues européennes, qui sont, par ordre d'importance :
E., F., 1)., S., L, H.; et cela, parce que les peuples aryens sont à
la tête de la civilisation, et que les langues aryennes en sont le
vt'hirule. La L. 1. devra donc se rapprocher le plus possible de
(S langues; elle aura par suite l'avantage d'être plus facile à
apprendre pour tous les peuples de civilisation aryenne. Le
(omité ne voit aucun inconvénient à ce que la future L. L soit
composite; il rappelle que les jargons internationaux nés du
liesoin Uingaafrnncay pidgin-enylish) sont des langues mixtes; l'an-
glais lui-même est un t jargon of marked type ». 11 ne faut donc
pas craindre tlemprunler les matériaux de la L. I. à diverses
tamilles de langues '.
Ce principe posé, le Comité t'-tudie successivement les trois
éléments de la langue : la phonétique, la grammaire et le lexique.
Pour la phonétique, il formule les règles suivantes, qui lui
paraissent indiscutables :
1 l/orlhographe sera absolument phonétique.
2" Chaque lettre aura toujours le même son.
3» Ce son devra être commun aux langues aryennes princi-
pales, et ne présenter aucune tlifliculté aux personnes qui les
parlent.
4" Il n'y aura ni diphtongues, ni digraphes *, ni doubles con
■^onnes (autant de sources d'erreurs).
"t° Le sens ne dépemlra jamais du ton, de l'accent, de la quan
lité ou des inflexions de la voix. Ces expédients sont insuffi-
sants, et d'ailleurs ils ne sont pas nécessaires.
60 II n'y aura que les cinq voyelles pures : a, e. i. o. u pronon-
1. • This cunsidorntion sliows thnl in ndopting or rrnniinp a univcntal
lanpuajro we need not liosimie lo niould it from quite divorse linguistir
sou n'es. »
2. Sons simples représenté» par plusieurs lettres (comme ch F. sh E. «cA D.)«
366 SECTION III, CHAPITRE X
cées comme en Italien); pas de voyelles impures ou infléchies,
comme à, ô, ù (D.).
1° Il n'y aura pas de consonnes gutturales aspirées, sifflantes
ou nasales, comme le th E. et le chD. '.
8" Les caractères employés seront les lettres latines, tracées
d'un seul trait, de façon qu'on n'ait pas à lever la main au milieu
d'un mot; par conséquent, pas de signes diacritiques, pas d'ac-
cents ni d'apostrophes, pas même de point sur i, j ou de barre
à t.
9° Les sons devront être non seulement faciles à prononcer,
mais agréables à l'oreille; on évitera les combinaisons de lettres
qui éveilleraient dans une des langues principales de fâcheuses
associations d'idées -.
lO» On recherchera la brièveté : chaque mot sera réduit à son
propre son discriminatif le plus simple, tout en restant sonore
et clair.
Pour le lexique, il devra être fondé sur le vocabulaire commun
aux six langues principales. Le Comité estime qu'il y a au moins
un millier de mots communs aux six langues; on en dégagera
aisément la forme originelle, au moyen de lois phonétiques
simples; et on les prononcera tels qu'ils seront écrits. A ce
noyau du vocabulaire international on adjoindra les termes
scientifiques internationaux, qui devront être choisis par des
« comités de congrès internationaux, nommés à cet effet ; » puis
les termes de commerce et d'affaires, qui sont déjà en grande
partie internationaux, et que tout le monde a intérêt à unifor-
miser complètement. Pour le reste du vocabulaire, il sera
élaboré progressivement et à mesure des besoins par les Comités
internationaux chargés de constituer la L. I., qui joueront à
son égard le rôle que l'Académie française joue (« en théorie du
moins ») à l'égard de la langue française.
Reste la grammaire : c'est la partie la plus difficile de lœuvre.
Elle devra s'inspirer des grammaires aryennes, en leur emprun-
tant les procédés les plus simples qu'elles offrent.
1. Notons cet hommage rendu à la phonétique espagnole : « Of ail the
Aryan languages the pure Castillan Spanish cornes the nearost to such
an idéal phoneticism, and it approaches very near indeed ». 11 n'est donc pas
étonnant que les langues artificielles les plus parfaites et les plus harmo-
nieuses ressemblent à l'espagnol, ce dont on leur fait parfois un reproche.
, 2. Textuellement : « indecorous or'degrading associations ».
THE AMEHICAN l»HILOSOI*HICAL SOCIETY 367
l.«>s jnlK-lts <|*'-fiiii (>| indrliiii sont inutiles, puis<|ti<' le Intin d
!«' russe s'en pnssnil.
L'a(ljo«'tif sorn iiivariahle, comme eu nii^lnis, en vertu du prin-
I ipede siuiplicilé. I.a «listinelion de l'adjectif el de l'adverbe e»t
inutile. !,(«s df^M'és serout iiuliqués par des particules et non par
des ilexious.
Dans les substantifs, la distiuttiou du grut-e iarl)itruirc dans
les langues naturelles) est inutile. Lp féminin (naturel) sera
indiqué |»ar uu nflixe. Peut-être nuîme pourra-t-on se passer de
iiiart|ue pour le phiriel.
Pour la déclinaison, on constate que les langues modernes
tendent à s'en débarrasser, sans on tirer de conclusion précise.
Dans tous les cas, le radical devra toujours rester invariable.
Le Comité estime que, pour plus de simplicité, on peut con-
fondre le pronouï possessif avec le pronom personnel', et même
les pronoms relatif et interrogatif avec le pronom démonstratif*.
Le verbe tend, dans les langues modernes, à perdre toutes
>«es flexions, et à se réduire à un radical invariable; la personne
et le nombre sont suffîfjanuuenl iudiipiés par le sujet; le temps
et le mode tendent à s'exprimer par des auxiliaires. Toutefois, le
Comité ne croit pas devoir pousser h l'extrême cette tendance
analytique; il admet qu'on représente les temps principaux
(passé, présent, futur) par des flexions absolument régulières.
On donnera un régime direct à tous les verbes qui ont le sens
actif: on distingn(M'a le régiuu^ indirect du régime direct en le
pla«:aut après celui-ci^.
Cette simplification de la syntaxe entraîne la suppre>siou df
la construction lilire, dont on fait un mérite au grec et au latin,
et qui paraît au Comité un avantage douteux. On observera
Tordre logique et normal: on mettra le sujet avant le verbe ef
1. Coniiue iMi pelit-n«'grt' : liv li =■ son livre (le livre à lui).
2. A l'<'xem|>le de l'nlloinaïut dev ot de l'nnglnis Ihat. Le Comité oublie
mio ce sonl là de vérilnhles ralemlM»urs (comme le que rrnncois), qui sont
les sources d'obscurités el dt« confusions innt»mhrnl)les.
3. Kxemple : give spoon chiUl (litt. : donne cuiller enfnnt) pnrnll nussi
ilnir au C.omilé ([ue : ()ive lo t/ie child a spoon. Ct'lle simplicitt» de In syntaxe
inirlaise donne lieu, elle aussi, à des «'quivoques. En voici un exemple
xtrait du rapport d'Etus (v. p. :t(H). note 3) : - ... tfives Ihe verb Ifie form il
iriitst assume... • (litt. : donne le verbe In forme il doit prendre). Toutes
les relations des idées sonl sous-enlendues; il fnul les deviner. Celte construc-
tion inorganique et amorphe se rapproche tn»p du petit-nepre. Il est dnnjn^
reux de laisser à deviner ou à suppléer, surtout dans une langue étrany^iY.
368 SECTION m, CHAPITRE X
les régimes; le nom avant l'adjectif; le verbe ou l'adjectif avant
l'adverbe qui le détermine'.
Le Comité se prononce catégoriquement sur quelques autres
questions de grammaire. On n'admettra pas de postpositions 2;
on n'indiquera jamais les flexions par le changement des voyelles
intérieures du radicaP; on n'emploiera pas les conjonctions
comme « suffixes* » ; enfin on ne fabriquera pas de racines toutes
nouvelles pour en former des dérivés et composés originaux.
Ces principes théoriques une fois posés, le Comité confronte
avec eux les principes du Volapûk, et en déduit, comme on pou-
vait s'y attendre, une condamnation en règle de cette langue.
Les critiques qu'il lui adresse peuvent se résumer en deux
propositions : la grammaire du Volapûk est synthétique et com-
plexe, contrairement à la tendance des langues modernes, ce qui
lui donne un caractère « non-aryen » ; le vocabulaire est en
grande partie factice et non international : 40 pour 100 des mots
sont empruntés à l'anglais, mais altérés sans avoir égard aux
autres langues; et beaucoup de racines sont toutes nouvelles et
arbitrairement formées. En un mot, le Volapûk constitue « un
recul dans le progrès linguistique ».
Le Comité concluait, au point de vue pratique, que la L. I.
devait être choisie ou créée par « un comité international émané
des six ou sept principales nationalités aryennes »; et il propo-
sait à VAmerican Philosophical Society une résolution tendant à
t inviter toutes les sociétés savantes du monde à former un comité
international pour inventer une langue universelle pour les
besoins du commerce, de la correspondance, de la conversation
et de la science ». La résolution fut adoptée (6 janvier 1888); elle
spécifiait que la future langue devait être « fondée sur la gram-
maire et le vocabulaire aryens, sous leur forme la plus simple »,
et proposait la réunion d'un Congrès international à Londres
ou à Paris.
1. Ces règles semblent pouvoir se résumer dans le principe : placer le
déterminant après le déterminé.
2. C'est-à-dire de prépositions placées après le substantif qu'elles régissent,
comme en allemand {vom Anfang an) et en anglais {the house I lire in).
3. Comme en anglais et en allemand.
4. Ou plutôt comme « enclitiques », ce qui a lieu en latin.
THE AMERICAN PHILOSOPHICAL SOCIETY 369
Historique.
I/invilntion (W VAmerican Philosophical Society fut acceptée par
iino vingtaine de sociétés, parmi lesquelles nous citerons ri4ra-
(lémie royale danoise des Sciences et Lettres, Vi'niversilé d'Édimlnutrg,
VAnwrican Association for the Advancement of Science ', cl la Société
/ooloyique de France, qui manifesta ses préférences pour l'adoption
ilime languo vivant»» ». Kii revanche, elle fut déclinée par la
l'Iiiloloijical Society de Londres, pour des raisons exposées dsuis
lin rapport de son vice-président, M. Elus, qui était un partisan
du Volapiili '.
Ce rapport est une longue et confuse critique de celui de
r Ini. Ptiil. Soc, et une apologie du Volapûk. Il hlAme surtout la
proposition de fonder la L. I. sur une t base aryenne » : d'abord.
\y,\irc (|u'uiic laiif^ue universelle ne doit pas exclure les peuples
non-aryens, et doit être indépendante des considérations «le
race *; pour M. Ellis, il. est iiuliflérent que la L. I. ressemble
aux lanirues aryennes plutùt qu'aux non-aryennes ^. Knsuite.
parce qu' « il n'y a pas de vocabulaire commun » aux langues
ai'yennes ". D'nillfnr'i, i\ quoi Imn «Miipruider de^ rat-jiM'^ aux
t. En IS'.II (rmili.itivo «le l'.lm. l'/iii. S'>/-. ayant »'olioiii'), VAin. Ass. /. /.
.1. 0. S. noMimn un ('omiU^ composé «le .M.M. Brinton, llorntio IIale et
Alcxander Macfarlane pour oliidior la question do In L. I.: mais co oomilt*
lia pas flahoré do rapport. .M. IIale avait ptiliiiô auparavant un opusruh'
iiitiluio : -In Inlernalional Lanffuage (London, I8U0).
2. Supplemenlari/ Report of the Commtllee appoinled ta consitler an
international tanquage, rend before the Anterican Philosophical Society
(7 décembre 1888). Ce rapport est repro<luit en Appendice ap. Einstein,
Weltsprachtiche Zeit- iind Streitfragen : I. l'olapiik und Lingvo inlernacia,
J(i p. in-S» (Niirnherg, Slein, 188»).
:{. On the conditions of a universal language, in référence to the invitation
f the American Philosophical Sociîtg of Philadelphia, to send delegates
' > a Congress for perfecting a universal tanguage on an aryan ba.tis, anit
ils report on Volapûk, by Ale.xander J. Elus. F. H. S., 15 juin 1888; ap.
Transactions of the Phitological Society, pp. .')0-U8.
4. De race, sans doute: mois de pliilolopie? ('/est un fnil i|ue Un» langues
turopéennes forment une rainille lin^ruistique, qu'on l'appelle aryenne ou
autrement.
5. C'est ne pns tenir compte de ce fait, que les formes linguistiques cor-
respondent à des formes de pensée spécillquement différentes, el «jue le*'
langues aryennes sont l'e.vpressiitn de In science el de In civilisation enro-
. péennes.
(». Encore une erreur de fnil, réfutée par les lexiques de VBsperanlo. du
Mttndolingue, de Vldiom neutral, etc.
C'oi'TVRAT et LcAC. — Ijingue unIv. - 1
370 SECTION III, CHAPITRE X
langues vivantes? « Dans toute langue, les racines doivent être
apprises indépendamment de toute autre langue ' », et chaque
racine doit être apprise séparément; en outre, dans la L. I.,
chaque racine doit avoir un sens unique, ce qui élimine les
racines des langues vivantes, qui ont toutes plusieurs sens -.
M. Ellis en conclut que « les racines doivent être choisies arbi-
trairement » de manière à ne favoriser aucune nation. Il est vrai
que le Volapûk emprunte 40 pour 100 de ses racines à l'anglais:
mais, ajoute l'auteur à titre d'excuse, « il en a tellement changé
la l'orme qu'elles ne sont guère reconnaissables », ce qui d'ail-
leurs n'est nullement utile : car on doit supposer que les mots
anglais sont aussi inconnus aux Français qu'aux Arabes ^. Tout
au plus peut-on s'ins})irer dans le choix des racines fou plutôt
de leur sens) d'analogies lointaines et plus ou moins sugges-
tives *.
M. Ellis n'admet pas plus la grammaire aryenne que le voca-
bulaire aryen, et sur ce point ses arguments sont au moins plus
spécieux. Mais au fond, il est aisé de le voir, son grand grief
contre la « base aryenne » est qu'elle exclut ]e Volapiik. Sans
doute, il est moins partisan du Volapiik que du système général
dont le ]'olapuk est un échantillon : il serait tenté de lui préférer
le Spelin pOur sa régularité mathématique; et peut-être le Speîin
l'aurait-il emporté, s'il n'était venu après le Volapiik. Mais, aux
yeux de M. El lis, la question de fait domine tout : l'essentiel,
pour une L. L, est d'être universellement adoptée. Or le Volapiik
est déjà répandu et pratiqué dans tous les pays: il ne faut pas
nuire à ses progrès en lui suscitant des rivaux. Il est même trop
tard pour corriger les quelques petits défauts que M. Ellis lui
reconnaît: on ne peut pas le réformer sans le détruire-^ : « il faut
le prendre tel qu'il est, ou le laisser ». M. Ellis conclut au rejet
de l'invitation de VAmerican Philosophical Society, parce qu'elle est
1. Gela est faux : il est bien plus facile d'apprendre le latin (|uand on snil
le français (ou inversement), d'apprendre l'anglais quand on sait l'allemand :
et ainsi de suite.
2. (lommc si l'on ne pouvait pas au besoin choisir pour chaque "racine
internationale un sens unique ou princi])al (([ui serait souvent le sens inter-
national).
3. L'auteur oublie tout simplement (jue les deux tiers du vocabulaire anglais
lui sont communs avec les langues romanes, notamment avec le français.
4. Cf. La Langue bleue.
0. Cela est vrai, notamment, des voyelles infléchies {l'i, ô, ù). qu'on ne
pourrait supprimer sans bouleverser le vocabulaire et la grammaire.
i
THE AMEUICA.N l'HILOSOPHICAL SOCIETY 371
unilatéralo (partiale), et parce que la question ne peut pas être
résolue par un Congrès.
Critique.
Sur ces doux ilernii'rs points, nous sommes obligés de donner
raisttn à M. Vaaas : la question du chou' de la L. 1. ne peut pas
être tranchée par un congrès, mais bien par un comité compé-
tent et restreint nommé h cet elTet '. De plus, il faut avouer que
V.\mericanPhihsoi)fiical Society avait commis une faute en manifes-
tant son opinion sur le choix tout en invitant les autres sociétés
savantes h y prendre part: il fallait séparer complètement la
question du principe et la tpieslion du choix, et réserver celle-ci
entière et intacte au congrès ou au comité futur. En se pronon-
(;ant contre le Volapâk, elle restreignait d'avance la liberté du
choix et engageait la solution lînale dans un sens déterminé.
Mais, ces réserves faites, il faut reconnaître ([u'elle avait bien
jugé, et les faits devaient conlirmer la condamnation du Volapûk
beaucoup plus tôt qu'on ne l'eiU cru. Deux ou trois ans après,
.M. Ki.i.is ne pouvait plus invoquer en sa faveur la possession
d'état dont il faisait tant de cas. Celte expérience montre que.
quels que soient les succès d'une langue universelle, on ne peut
jamais répondre de son triomphe délinilif. ni même de son
avenir prochain, et que ses partisans ne doivent pas arguer d'un
état de fait et de progrès momentané pour repousser toute
proposition de réforme, foute discussion et tout arbitrage. Il
est inq)rudent de dire, comme les partisans du Votnptlk : * C'est
à prendre ou à laisser ». On les a pris au mol, et on a « laissé »
le \nhptik. V.n somme, c'est V American Philosophical Society qui
avait raison contre \ii Philoloyicat Society, provisoirenienl inféodée
au Volapiik: et la plupart des conditions théoriques de son pro-
gramme se trouvent réalisées dans les meilleures des langues
« posteriori -. Si son initiative si louable et si désintéressée a
échoué, c'est, d'une part, à cause du vice de forme que nous
avons relevé: et. d'autre part, parce qu'elle s'est i>roiluile à un
momtMit inopportun, à rép«H|ue où le Volapûk « battait son
plein » et se croyait sftr de triompher.
1. On a romnr(|ué nue lo rapport du Comil«> de l'.l. /'. 5. pnrie d'un
« (Àjtnilé », tandis ipic la résolution do la stKMôto parle d'un « Congrès ».
2. Notamment dans rfc'.f/x-rflHio, qui paraissait In mùmennnèequc son Rnpport.
CHAPITRE XI
BER}iRART> : LINGUA FRANCA NUOVA^
Nous ne croyons pas devoir analyser ce projet, d'ailleurs très
confus et très mal présenté. C'est un italien à peine régularisé.
Les lettres n'y ont même pas un son uniforme : on représente le
son k par ch devant e et i, et par c partout ailleurs; le son tch
par c devant e et i, et par c partout ailleurs ; le son ch par s; la
lettre gale son dj devant e et i, le son gue partout ailleurs. On admet
les sons et combinaisons graphiques gn et gli. Les paradigmes
de déclinaison et de conjugaison sont multiples et compliqués;
et il y a deux verbes irréguliers : être et avoir. Les pronoms per-
sonnels ont une multitude de formes irrégulières. En un mot,
cette « langue franque » aurait toutes les anomalies et toutes
les difficultés d'une langue naturelle. Si l'on n'avait qu'un tel
idiome pour L. L, il vaudrait mieux adopter une langue natio-
nale comme l'italien, qui ne serait pas plus difficile à apprendre,
et qui aurait au moins l'avantage d'une littérature et d'une tra-
dition vivante.
1. Grammalik der Lingiia Franco Niiova, einer iingleich der Volapûk
allen Natîonen gleich gut verstândlichen Universalsprache, von Dr. Serafln
Bernhard (Wien, 1888). 2' édition : Well-ltalienisch Franco, 74 p. in-16
(Wien, 1891).
CHAPIÏllE XII
LAUDA : KOSMOS '
L'auteur de ce projet ne se donne pas comme inventeur d'une
langue universelle; selon lui, une telle langue ne doit pas ôlre
inventée; elle ne doit pas «Mre une création arbitraire, mais une
(ruvrc de science reposant sur un fondement international
objectif, qui est l'histoire des langues. C'est pourquoi, tout en
rendant justice au < mérite impérissable > de Mgr Schleyer»
qui « a prouvé prntiquenitMif la possibilité d'une langue artilî-
cielle », il ne peut voir dans le l o/rtpjï/c qu'une œuvre de fantaisie
individuelle, et non la langue universelle idéale et < objective >.
Les principes do la langue internationale sont : i° la conservation
des prin(i|)ales données historiques ; 2» l'unité du système gram-
matical. Pour s'y conformer, l'auteur emploiera une double
niélhode de comparaison et de combinaison. La comparaison des
(livtM'sos langues (indo-européennes) révélera les données histo-
riques et objectives qui en sont les éléments communs el qui
doivent former le fonds de la langue universelle, et la combinaison
de CCS éléments suivant des régies simples assurera l'unité
absolue du système grammatical. Pour ce qui est du vocabulaire
en particulier, on ne doit ni forger les mots de toutes pièces,
ni les prendre au hasard dans les diverses langues. (L'auteur
condamne les langues composites à cause de nombreux incon-
vénients, qu'il s'abstient d'énumérer.) 11 veut emprunter tous les
mots A une seule langue, qui ne peut évidemment être une
lantrii(> vivante (il écarte en passant les projets de refonte de telle
ou telle langue vivante, qui ne réussissent qu'à la défigurer «ians
l. I. Ihtrf Volapiik die Wellspi'ache u'er<len:' II. Kosmos oder neueste
LIhuntj des Wellspracheproblems auf internalionalem und sprachhistO'
rischem lioden, von Eugen A. I>auo.\. 02 p. 8» (Berlin, Paul Henni;, 1888).
374 SECTION III, CHAPITRE XII
la rendre internationale et neutre). Cette langue ne peut donc
être que le latin, pour des raisons historiques, littéraires et scien-
tifiques aisées à deviner. D'une part, le latin est langue morte,
donc neutre; d'autre part, il est la souche commune de plusieurs
langues vivantes; enfin, comme il a été langue savante, il a
fourni les termes scientifiques et techniques aux langues
modernes. Les gens cultivés, qui ont étudié le latin, sauront donc
d'avance la langue universelle; et ceux qui ne savent pas le latin
apprendront, par la langae universelle, une foule de mots com-
muns à toutes les langues civilisées.
Grammaire.
L'alphabet est l'alphabet latin, avec une prononciation régula-
risée. Il comprend 6 voyelles : a, e, i, O, u {ou), y; et 17 consonnes : b,
c (toujours k), d, f, g (toujours dur), h, 1, m, n, p, q, r, s (toujours
dur), t (jamais s), v, x, z. Aux voyelles on doit ajouter les voyelles
infléchies à, 6, ù, qui ne figurent que dans le subjonctif des
verbes (voir plus bas). Dans les diphtongues ae, oe, ai, ei, au. eu,
ui, les deux voyelles se prononcent séparément. La lettre q est
toujours suivie de u, et l'ensemble se prononce kv.
L'accent n'est jamais sur la dernière syllabe (saut dans les
monosyllabes); il est toujours sur la pénultième ou l'antépénul-
tième, suivant que la pénultième est longue ou brève (comme en
latin).
L'auteur trouve que l'article, tant défini qu'indéfini, est inutile,
et il invoque comme preuve l'exemple du latin et du russe. 11
admet toutefois un article, mais dont le rôle, purement gramma-
tical, consiste à marquer les cas, et qui n'a pas plus le sens
défini que le sens indéfini. Cet article est ' :
Singulier.
Pluriel.
N.
ta
tas.
G.
tio
tios.
D.
te
tes.
A.
tan
tans.
Comme on le voit, -s est le signe du pluriel.
1. Cf. la Pasilingua de Steineb.
LAUDA : KOSMOS 375
I/article n'a pas do genre; toutefois il prend un -d au neutre
(singulier).
Los snbslantifs sont invariables en genre, en nombre et en cas;
soûl l'article se décline. Ils sont toujours conrormesau nominatiT
sin^Milioi- latin lou. à dôraut, nu nominatif pluriel; : dominai,
mensa; castra, divitiae.
Les adjectifs sont également invariables. Ils sont caractéri(>és
par la (h'siinMifo ic ' ajoutée au radical latin : bonic. liberic.
nigric. dulcic. veteric.
Les degrés de comparaison se forment en ajoutant les suftixcs
-ir (comparatif) ot -ist superlatif) : fortic, forticir. forticist. Tou-
tefois, là où coite fonnalion violerait l'onplionio. on pourra se
servir dos advorhos magis. maxime placés devant l'adjectif;
exemple : magis, maxime maleficic.
Pour Iransloiinor on sui)slanlifs les adjectifs (comme toutes
les parties du discours), il suflit de les faire précéder de l'or-
ticle.
Les adverbes dérivés d'adjectifs se forment au moyen du sufllxe
-0 : fortico. furlnnent.
Los noms de nombre cardinaux, ('\\\\n'\\y\U'S au latin, sont oaraclé-
riséspar la tinalc -a : nulla, 0; ona. dua, tria, quadra, quinqua. sexa.
septa. octa. nova, deçà: deçà una. il: deçà dua. 12:... dua dcca.
•-'():... tria deçà. ;»»:... centa, 100; dua centa, 200:... milla. looo;
milliona. / million: milliarda, / milliard (1000 millions).
Los nombres ordinans so l'ornirnl en ajcMitant aux oaiilinanx lo
snftixo -st- : unast. l": duast, triast. ... decast: deçà unast... cen-
tast, millast...
Los nombres de fois so forment on olinngonnt 1 -a linal dos nom-
bres cardinaux on -o (désinence tlos adverbes) : uno. une Jois:
duo, deux fois, etc.
Los adverbes ordinaux se forment on ajoutant un -o aux nom-
bres ordinaux : unasto, premièrement \ duasto, deuxièmement, etc.
Les nombres distributifs se forment en ajoutant -ni aux cardi-
naux : anani. à un: duani. à deux, etc.
Les nombres muttiplicalifs so forment en ajoutant -plie : anaplic.
simple: duaplic, double, etc.
Los nombres fractionnaires so fornionl on ajontafit -ar ^.ll.n•
1. ('.oniino on Volapûk.
2. l/nnleur rc>innri|iii^ (jue dnns toutes les Innjruos irnlo-<'uropéennes les
noml)ros ordinaux ont la nj^mc torminnison <|uo les sii|>rrlalir».
376 SECTION 111, CHAPITRE XII
vialion de /jars) aux nombres ordinaux : duastar, moitié; triastar,
tiers, etc.
Les mêmes terminaisons s'appliquent aux pronoms interroga-
iifs de nombre et à leurs corrélatifs : quota, combte/i ? tota ; quotast,
le quantième? totast: quoto, combien de fois? toto, etc.
Les pronoms personnels sont :
1'" pers.
S' i)crs.
3" pcrs.
Sing.
ml
si
ti
Plur.
mis
sis
Us
Le pronom de politesse sera la 2" personne du pluriel.
On se traduit par moi (de homo).
Le pronom réfléchi est sovi.
Les pronoms possessifs dérivent des personnels par l'adjonction
du suffixe -ic (caractéristique des adjectifs) : miic, siic, tiic;
misic, sisic, tisic.
Les pronoms démonstratifs sont : hici, celui-ci; isti, illi, celui-là;
isi, celui (qui); ipsi, même; isidem, le même.
Les pronoms relatifs sont : qui, quicunque.
Les pronoms interrogalifs : quisi, quisinam.
hes pronoms indéfinis: quidam, un certain; quivis. quilibet, n'im-
porte qui; aliquisi, quelqu'un; quisique, chaque.
Tous les pronoms se déclinent au moyen de l'article mis après
eux et joint par un tiret : mita, mi-tio, mi-tan, mi-tas, etc. ; miic
ta, misic-ta, etc.
Le pronom possessif peut se remplacer par le génitif du
pronom personnel : ta pater miic = ta pater mi-tio := mon père.
Les verbes ont une conjugaison uniforme.
Vindicatif présent se forme en ajoutant à la 1'" pers. sing. de
l'indicatif présent du verbe latin (toujours terminée en -o) les
six pronoms personnels '. Ex. :
amomî, faime. amomis, nous aimons.
amosi, tu aimes. amosis, vous aimez.
amoti, il aime. amotis, ils aiment.
Tous les autres temps (personnels) se conjuguent de même;
nous n'indiquerons que leur l'" personne.
1. En réalité, les six pronoms personnels sont les désinences personnelles
du verbe, séparées; et ces désinences elles-mêmes sont empruntées au grec
et au sanscrit.
LAUDA : K08M0S 'H?
Le passé iparfiiili et le futur se forment en changeant l'o du
présent respoclivciiHMit en uet on a :
amumi, j'ai aimé. amami, j'aimerai.
Les temps indirects {imparfait, plus-que parfait, futur antérieur)
se furnicnl on faisant précéder les temps directs correspondants
d'un é viinginent, imité du <}.) :
é amomi, j'aimais.
é amumi. j'avais aimé.
é amami. j'aurai aimé.
Les temps du su6/oajc/i/ dérivent des temps correspondants de
l'indicatif par l'inflexion de la voyelle caractéristique (a, o, u,
devennnt à, ô, ti) :
Présent : amômi. Imparfait : é amômi.
Parfait : amùmi. Plus-queparfail : é amûmi.
Futur : amàmi. Futur antérieur : é amami.
Pour Vimpéralij', on ouiploiora le subjonctif présont (forme
polio : amôsi, aime; amôsis, aimez; pour un impératif plus bref et
plus pressant, on emploiera le radical verbal en -o (avec -s au
pluriel I : curro. cours: venios, vi-ne:.
Les temps et modes du passif dérivent des temps et modes
correspondants de l'actif par le changement de l'i final en ai :
amomai. amosai. amotai. amomais
é amomai. é amomai.
amumai. amûmai.
d amumai. é amûmai.
amamai. amàmai.
é amamai. é amàmai.
L'infinitif se forme en ajoutant au radi«-al verbal des trois
temps principaux (en -o, -u. -a) la terminaison -min ^actif) ou
-main (passif) : amomin, aimer; amomain, être aimé.
Le participe se forme en ajoutant aux mêmes radicaux la ter-
minaison -nt (L., G.) et la terminaison -ic (actif) ou -aie (passif; :
Actif. PâMif.
Présent : amontic. amontaic.
Passé : amuntic. amuntaic.
Futur: amantic. amantaic.
Les verbes déponents du latin sont traités comme s'ils avaient
la forme active (en -o). Kx. : imitomi. sequomi.
Les verbes impersonnels se conjuguent au moyeu du pronom
k
378 SECTION III, CHAPITRE XII
neutre de la 3« personne : -tid. Ex. : ningotid, il neige; sufficiotid,
il suffit : eveniotid, il arrive.
On ramène le verbe sum [être) à la conjugaison régulière, en pre-
nant pour radical es : esomi, je suis: esosi, tu es: esoti, il est, etc.
Tous les dérivés latins du verbe sum sont adojités avec la môme
transformation : abesomi, je suis absent : adesomi. je suis pré-
sent, etc., jusqu'à : prodesomi, je sers, et : T^otesomi, je peux.
On peut employer le verbe esomi avec les i)articipes dos autres
verbes pour rendre diverses nuances de ceux-ci.
Toutes les particules (adverbes, prépositions, conjonctions)
sont empruntées au latin sans modification. Les adverbes peu-
vent être employés comme adjectifs, et s'insèrent alors entre
l'article et le substantif : ta satis numerus, un nombre suffisant.
Les prépositions régiasenl toutes l'accusatif*. La seule indica-
tion relative à la syntaxe est celle-ci : la place normale de l'ad-
jectif est après le substantif. D'ailleurs, l'auteur n'est nullement
partisan d'une construction rigide, et laisse toute liberté sur ce
point, grâce à la déclinaison.
Vocabulaire.
Le vocabulaire est, comme on l'a vu, celui du latin, les mots
ne subissant pas d'autre transformation que la modification de
leur désinence en vertu des règles grammaticales. C'est, selon
l'auteur, le véritable vocabulaire international. On peut, du
reste, l'enrichir des néologismes nécessaires aux besoins
modernes en composant des mots nouveaux, suivant les règles
générales de la formation des mots latins.
Ckitique.
L'auteur du Kosmos est manifestement un savant versé dans la
philologie: c'est aussi un philosophe disciple de Hegel : il a puisé
dans la philosophie hégélienne de l'histoire ce respect des
données historiques qui tourne si aisément à la superstition, du
fait accompli. Sans doute, il est excellent de chercher pour la
langue internationale un fondement objectif et historique; mais
peut-être n'est-il pas nécessaire pour cela de remonter au
1. L'auteur n'adopto donc ])as la distinction étaljiio en latin entre les cas
où il y n mouvement et ceux où il n'y en a pas.
LAUDA : KU8M0S 379
«iéiuge, nous voulons dire: au grec archaïque et au nanKcrit.
Ces IjiMvrucs n'(»nl «l'iiiténH pour n<»iis qu'autant (|u'eUrs nou.s
olTrcnl les ('Iriucnls originaires conununs aux langues vivantes.
<'t qu'elles nous aident à les retrouver dans celles-ci. Mois leur
tnipiunler des f«>rn»es priniilives (|ui ne se retrouvent dans
aucnnt^ langue moderne, c"«'st tin pétlanlisnie areliéo|<>gi<|ue:
d'autant que ces formes appartiennent à dos grammoires syn-
thétiques, alors que toutes les langues modernes sont anoly-
liques. Cette eritiipie s'appli(|ne à la fois aux désinences ver
baies ((jui engendrent les pronoms personnels) et à l'article, que
l'auteur justifie par des analogies presque préhistoriques.
In autre défaut de ce système est le mélange arbitraire et
ehoqnanl de principes a priori et d'éléments a posteriori. Ainsi, à
côté de substantifs empruntés littéralement au latin, y compris
leur désinence propre (au nominatif), on voit des adjectifs dont
le radical, seul intact, estaffiddé de la terminaison postiche -ic.
(pii sans doute est grecque et latine, mais à titre de suflixe de
dérivation, et non comme suflixe caractéristique de l'adjectif.
C'est là un eniprunt malheiu*eux au Volapiik, dont l'auteur blrtme
pourtant le caractère arbitraire et factice. De même, il est étrange
de voir l'article, tout artiliciel au fond, accolé à des mois latins
deveiuis invai-iables. tantôt avant, tant«M après eux. D'ailleurs,
cet article n'a, de l'aveu de rauteur, rien de commun avec l'ar-
ticle des langues vivantes : c'est en réalité un aflixe de décli-
naison. Or. dune part, il est désirable, et conforme à l'esprit des
langues motlernes. de se passer autant <|ue possible de la décli-
naison; et, d'autre part, il est difRcile, et contraire à ce ménu>
esprit, lie se passer d'un article (au moins de l'article défini .
Poiu' toutes ces rai.sons, la grammaire du Kosinos a un caractère
étrange et incohérent.
^)uant nu vocabulaire, il est trop facile tle din'ipiOn remprun-
tera tel quel au latin : il y a des mots latins qui ne sont plus
d'aucun usage, et en revanche nous avons besoin d'une foule «le
mots qui ne se trouvent pas en latin. L'auteur reconnaît lui
même la nécessité de créer des néologismes, et leur impose
seulement cette condition, d'éliv conformes au génie «le la
langue latine. Reste à savoir si ce « génie » lui-même peut s'ac-
commoder aux besoins de la vie et de la pensée moilernes : c'est
une question que nous traiterons à sa place, quand nous aurons
à examiner le projet du latin comme langue universelle.
CHAPITRE XIII
HENDERSON : LINGUA ET LATINESCE ^
M. George-J. Hendersox a toujours été convaincu de l'utilité
d'une langue internationale ainsi que de sa possibilité théorique
(déjà proclamée par Max Mûller); mais il ne croyait pas à la
possibilité pratique de faire adopter une telle langue par toutes
les nations civilisées. Le prodigieux succès du Volapûk l'a
détrompé sur ce point, et cela d'autant plus qu'il trouvait à cette
langue de graves défauts (notamment son vocabulaire arbitraire,
inintelligible même pour un Anglais), et que, au plus fort des
triomphes du Volapûk, il était persuadé que son succès ne pou-
vait être durable. Mais le vice capital du Volapûk était, à ses
yeux, d'être un produit artificiel, l'œuvre d'un seul homme (quel
que fût son génie). Pour M. Henderson, la langue est un produit
social, et la langue internationale ne peut être que le fruit d'une
entente et d'une coopération internationale : « Une langue n'est
pas une invention, mais une convention ».
11 propose par suite de former une Association internationale,
répartie en sociétés nationales et en groupes locaux, et compre-
nant des représentants de toutes les classes et professions de
chaque nation : cette Association tiendrait périodiquement des
Congrès internationaux qui élaboreraient progressivement la
langue et en fixeraient les règles grammaticales et le vocabulaire.
Les vocabulaires spéciaux seraient confiés à des comités tech-
niques et professionnels. Telle serait l'unique « base naturelle »
de la langue internationale. En effet, pour qu'une telle langue
1. Lingua, an international Lan/juage for purposes of commerce and
science, General Outlines, by George J. Henderson. 126 p. in-16 (London,
Triibner, 1888).
IIENDERSON : LINGUA 381
puisse se propager et s'implanter d/flnilivemenl dans les poy»
(•ivilis(^s. il faut (pi'rllc soit sanctionnée por une outorité qui pré-
vienne ou fasse cesser toute discussion et toute hésitation, et
({ui introduise la langue dans l'enseignement.
I/auleiir se sépare encore de Mgr Schi.eyek sur un point essen-
tiel : il désire une langue internationale, mais non univei*selle:
il s'agit de faire une langue pour les peuples européens, et non
pour tond» l'Iiunianité, car c'est une chimère que de chercher à
cnncilier tous les systèmes linguistiipies et à satisfaire tous les
peuples: on n'aboutit ainsi qu'à n'en satisfaire aucun.
Knnii. l'auteur reproche h .Mgr Schleyer la tendance philoso-
phique de son syslènie, qui le condamne h la tikhe surhumaine
et décevante de trouver la définition logique et définitive de chaque
idée. 11 préfère une méthode historique plus modeste et plus
respectueuse de la tradition, des usages et des associations
d'idées habituelles. Il ne rêve pas d'une langue rationnellement
parfaite: il se contente d'une langue qui soit seulement aussi
bien faite (|ue les langues vivantes, mais bien plus facile à
apprendre.
La Linyua que propose .M. IIenderson a pour base le vocabu-
laire latin, considéré comme le plus international et le plus
connu ', et une grammaire moderne aussi rationnelle et aussi
sinq)le que possible. Cette grammaire aura les caractères des
irrammaires de nos langues vivantes, par oppositioh h la gram-
maire latine analytisnie, suppression des genres, emploi dos
articles, réduction des flexions au minimum) ; elle ressend>lera
<lonc surtout à la plus simple et à la plus analytique de toutes.
à la grammaire anglaise, yuant au vocabulaire, là où les mots
latins l'ont défaut ou sont trop ambigus, on empl«>iera des mots
composés ou des mots internationaux, même d'origine non-
latine (ex. : cnfé, boulevard, bill. budget, jockey, sport k L'avantage
(lu vocabulaire latin est (juc le sens tles mots est lixé par un
long usage et consigné avec soin dans les dictionnaires.
L'auteur présente la Lingua comme une t esquisse ». et la sou-
met au jugement de la future Association internationale, dont
le premier soin devra être, selon lui, d'étudier et de critiquer les
projets déjà existants.
I. L'niitoiir rappelle que Max MCi-ler classait ranglai» parmi les langues)
rumnaos, nttemlu (jue les trois <|uarts de son vocalmlaire s«»nt d'origine
latine (oa nonilires ronds : 30 000 mots sur 43 000).
382 section iii, chapitre xiii
Grammaire.
L'alphabet se compose de 9 voyelles : a, e, i, o, u (ou), y {aï),
y' (m), œ {eu), aw {aou) *; et de 22 consonnes simples : b, c {k),
c' {tch), d, f, g (dur), h (aspiré), i (y), j (jf anglais), j' {j français),
k, 1, m, n, p, r, s (dur), t, v {lo anglais), v' {v français), x, z {dz),
auxquelles l'auteur ajoute les consonnes complexes : sh (c/i fran-
çais), qu; ch, ph, th (/c, p et t aspirés) ; et ps.
La prononciation est conforme à l'orthographe. Toutefois, les
voyelles a, e, i, o,u peuvent être brèves ou longues; dans ce der-
nier cas, elles portent un accent aigu. Dans les diphtongues ae,
oe, au, eu, ei, ui, les deux voyelles se prononcent séparément ^.
L'article défini est le, et Varticle indéfini est a(E.); tous deux
invariables en genre, en nombre et en cas.
Les substantifs prennent un -s au pluriel ; ceux qui se termi-
nent déjà pars prennent -es : dom, doms ; gas, gases.
Les substantifs ne se déclinent pas : les cas sont remplacés
par les prépositions.
Le genre n'est indiqué qu'en cas de nécessité, par les préfixes
(pronoms) il- (masc.) et la- (fém.) : il-leon: la-leon = lionne.
Los adjectifs employés comme épithètes sont invariables. Ils
prennent l's du pluriel quand ils sont pris substantivement.
Les degrés de comparaison sont indiqués par les suffixes -ior
(comparatif) et -issimo (superlatif) ajoutés au radical (en suppri-
mant la voyelle finale, s'il y a lieu) : ou bien par les adverbes
plus et veré placés devant l'adjectif. Ex. : pulchro, pulchrior,
pulchrissimo ; splendido, plus-splendido, veré-splendido. 18 adjec-
tifs ont des degrés de comparaison irréguliers (ex. : bono,
melior, optimo).
Les nombres cardinaux sont : un, 1 : du, 2 : tré, 3 : quat, 4 :
quinc, 5; sex, 6: sept, 7; oct, 8: nov, 9; dec, 10; dec-un, 11 : dec-
du, 12;....: du-decs, 20; tré-decs, 30:...: cent, 100: mill, 1000;
million.
Les nombres ordinaux dérivent des cardinaux par l'adjonction
de -i : uni, l*""; dui, 2"; tréi, 3«.
1. iS'os traductions phonétiques sont npproximativos, car l'auteur donne
des traductions anglaises qui n'ont d'équivalent e.xact dans aucune langue.
2. Ce qui n'est guère conforme, pour ae et oe, à la prononciation latine
que l'auteur déclare prendre pour modèle.
IIENDERSON : LINGUA 363
Los adverbes numéraux se forniont en ajoutant aux mots pn^cé-
(It'iils la <l«*siiuMur -e (ilf's ndvorhrs) : une, une fois: dùé, deurJoU;
unie, premiùreiueiil; dùié, denj-ihiiement.
Les nombres dislribiiUfs se forment au moyen do l'adverbe limol
{à la fois] ou du lunniMu quisq chcunte) : un-simal ou unquisq.
un à un, un par un: du-simul <ni duquisq. deux n deux.
Les pronoms personnels, iud«'ciiunl)Ie8, sont :
Siug. : mé 11^"), tu i2'). il (3" u».), la (3" f.). id 1" n/ ;
IMur. : nos (1"), vos (2'). ils (.r).
Le pronom réfléchi do la 3* personne est 86.
Los pronoms possessifs souf :
meo. tuo. so (ni.i. sa il. i, sum lu. :
nostro. vestro. ses.
Los pntiioms démonslratifs, relatifs, iiderrogalifs et iiuléfmùs ont
doux foriuos, l'une pour les personnes (m. f.), l'autre pour les
rliosos (u.). Ils sont oiupruutôs au laliu.
Los verbes ont tous la uïOruo conjugaison. 11 y a trois temps,
taracléris»^ par les suffixes nnm (présent), tam (pass«'« . qum
ifiilur). Chacun d'oux ost do plus susroptihlo do trois tpudités
il action : il peut élro indéfuU, imparfait ou parfait. L'imparfait ost
caractérisé par le suflixe -i, le parfait par le suflixe -tri, l'inilélini
par l'ahsoufo i\o suflixo. Knlin il y a un parfait daction continue,
taraclérisé par la réunion ilos doux suflixos ivi-i; ce qui donne
ou tout 12 temps k l'indicatif. Exemple :
, Ind. me scrïh-nnm, (f) écris.
Prt'srnt } luip. — scrihnum-i, { je) suis écrivant.
( Parf. — scrib-num-ivi. (/) fliVrn/.
( Ind. — scrib-tum. (/) écrivis.
Passé } Iinp. — scrib-tum-i. {f\ étais ccriraid.
[ Parf. — scrib tum-ivi. if) avais écrit.
L lud. — scrib-qum. (j'i ôcrirnt.
l'ulur V luip. .— scrib-qum-i. (j>) serai (^cnoa/i/.
f Parf. — scrib-qum-ivi. (f) aurai été écrivant.
Parfait ( Présont — scrib num-ivi-i. (/) ni é/ê éonVo/i/.
d'action s Passé — scrib-tum-ivi-i. (/) arow c/t' «'crufm/.
conlinuo ( Futur - scrib-qum-ivi-i, (j") flnrai' é/^ «rriwi/il.
Los autres modes sont :
l.'infutitif. réduit au radical vorhal : scrib = écrire, il peut
être employé connno snl>staulif : le scrib ^= l'action d'écrire.
384 SECTION III : CHAPITRE XIII
Vimpératif est rinfinitif précédé de la particule hé : hé scrib
=: écris K
Le subjonctif esl remplacé, soit par les conjonctions de subordi-
nation, soit par des auxiliaires, qui sont les préfixes suivants :
si- (sens problématique); potes- (possibilité); neces- (nécessité);
vol- (volonté); mal- (préférence); debe- (obligation); fu- (action
transitoire); es-lice- (conditionnel).
hes participes présent, passé et futur se forment au moyen des
suffixes -nu, -tu, -qu, ajoutés au radical : scrih-nu, écrivant; scrib-tu,
ayant écrit; scrib-qu, allant écrire.
La voix passive s'obtient en ajoutant aux formes de l'actif le
préfixe es- (radical du verbe être).
Ainsi le participe passé passif est : es-scrib-tu = écrit.
Les verbes réfléchis ont pour régime direct, à la !''« et à la
2" personne, les pronoms de ces personnes; et à la 3^ personne, le
pronom réfléchi se. Ex. : il fall-tum-i se = il se trompait; il fall-
tum-i il = il le trompait.
V interrogation est marquée, soit par un mot interrogatif, soit
par la particule qu placée en tête de la phrase ^.
Les adverbes de qualité dérivés se forment au moyen de la dési-
nence -e (substituée à la voyelle finale de l'adjectif), et cela à
tous les degrés de comparaison. Ex. : claré, complété, splendidé.
Les adverbes de manière se forment au moyen du suffixe -modo,
ou des préfixes in- et per-.
Les adverbes de lieu et de direction se forment au moyen des
suffixes -loc et -via, et des préfixes ad-, at-, in-, ex-. Les adverbes
de temps se forment au moyen du suffixe tem et des préfixes
at-, per-, ex-. Exemples : at-quo-loc, où {ubi)1 ad-quo-loc, vers où
(g«o)? ex-quo-loc, d'où (unde) ? in-quo-via, dans quelle direction"! at-
quo-tem, quand [à quel moment)'? per-ille-tem, pendant ce temps; ex-
eo-tem, depuis ce temps.
La Lingua emprunte au latin tous les adverbes simples, et
même des adverbes de lieu et de temps qui font double emploi
avec les précédents, comme hic, hue, inde, unde.
Elle emprunte aussi au latin toutes ses prépositions, sans
1. En fait, dans les e.xemples citi-s par Tauteur, rien ne distingue l'iiii-
pératif de l'indicatif : tu mitt-num, (jui signifie envoie, signifie aussi :
tu envoies.
2. Les signes d'interrogation et d'e.xclamalion, qui traduisent les particules
qu et hé, se placent en tête de la phrase (comme en espagnol).
HlilNDERSO.N : LINGUA 385
aucune modilicntion, en leur donnant seulement le principal des
sons ((u'cllos ont on latin. Kilo leur en ajoute quoI(|uos autres
onipruntôes aux langues modernes : at (E.), à (désignation d'un
lieu ou d'un temps précis); malgré (P.); man, avec (indique
rinslniinenl^; o (K. of), de (remplace le génitif); on (E.), sur; n, à,
pour (r«Muplace le datif).
Enfin elle emprunte au lotin toutes ses conjonctions : et. ant.
vel. seu. sed. si. ut, ne. nisi. ergo. nam. enim. dum. postquam,
antequam, quum. quando, sin, quin, nedum. etc.
Le que qui unit une proposition subordonnée h la proposition
principiile se traduit par sic (et dans l'écriture, par : — ) : il dic-
tum sic. il vol véni num = il a dit <iu'il viendrait.
La syntaxe est imitée des langues modernes, surtout de l'an-
glais. L'adjectif simple précède en général le substantif; mais
s'il est anftmpaifné de compléments, il le suit. Ex. : a viro potes-
impera nu a exercita = un homme capable de commander une armée.
L'ordre normal dos mots dans la proposition est : sujet,
verbe, régime direct, régime indirect, compléments, (lot ordre
n'est pas absolument iixe : on peut mettre en avant le mot impor-
tant, sur lequel on veut insister; mais, dans tous les cas, le sujet
(i(»il prt''C('(i(M' le verbe, et le régime diivct ne doit jamais être
placé entre le sujet et le verbe. Cette régie inviolable évite
toutes les é(piivoques qui pourraient naître dt^s inversions, en
l'ubsence de l'accusatif.
I
Vocabulaire.
On sait que la plupart des radicaux de la Limjua sont empruntés
au latin. L'auteur pose en principe que ces radicaux consene-
ronl toutes les nuances de sens qu'ils possèdent dans le latin
classicpie. de telle sorte qu'un dictionnaire latin puisse senir
de dictionnaire Lingua. De même, tout mol emprunté à une
langue moderne gardera le sens (pi'il a dans cette langue. On a
vu que cette règle ne s'applique pas aux particules, qui ne
gardent que leur sens principal, afin d'éviter les équivoques et
les idiotismes du latfn. Si un mot latin n'a pas un sens approprié
aux besoins modernes, on le remplacera par un mot d'une
langue vivante. En somme, les radicaux de la Lingua ne sont ni
tous les radicaux latins, ni seulement des radicaux latins.
os
CocTUHAT ot Lbav. — langue univ. •*'
386 SECTION III, CHAPITRE XIII
Voici les règles suivant lesquelles on détermine la forme des
radicaux tirés du latin :
Pour les substantifs et adjectifs, on prend le génitif pluriel
(masculin), et l'on supprime la désinence -rum (des l'<', 2« et
5« déclin.) ou -um (des 3" et 4" déclinaisons). On obtient ainsi les
substantifs mensa: domino, puero; voc, reg, patr, mulier, ped,
leon, virgin, comit, virtut, corpor, navi, nubi, denti, urbi, reti,
animali, gru: gradu. genu: die; et les adjectifs : bono, tenero,
nigro; tristi, felici: pauper, divit.
Pour les verbes, on prend la 1'"'^ pers. sing. de l'indicatif pré-
sent, et l'on supprime la désinence -o (ou -or dans les déponents),
en la remplaçant par -a dans la 1''^ conjugaison. On obtient ainsi
les radicaux : ama, mone, reg, indu, faci, audi: vena, vere, ut, fru,
pati, parti.
Dans les cas, assez rares, où l'on obtient, après réduction, des
radicaux homonymes, on les distingue en adoptant le nomi-
natif, ou en modifiant l'un des radicaux.
Les autres mots de la Lingua seront des mots scientifiques ou
techniques, en général empruntés au latin ou au grec. On les
adoptera sous leur forme latine, soit intacts, soit réduits à leur
radical suivant les règles précédentes.
Enfin la Lingua adoptera les mots internationaux issus des
langues modernes, en les transcrivant phonétiquement. Elle
empruntera de préférence à l'anglais les termes de navigation,
de commerce et de banque; à l'allemand (et au grec) les termes
de philosophie; à l'italien les termes de beaux-arts: et au fran-
çais les termes de cuisine, de poids et mesures, d'articles de
luxe, d'étiquette et de la vie sociale. Exemples de mots techniques
ou modernes : bank, compani, cheq, tax, import, débit, crédit,
capital, interest, profit, excénj {exchange); chemi, telegraph. tele-
phon, photograph, microscop : pictur, paletto, sonata, tenore ;
mesiur, dame, mamsell, compliment, invitation.
Les noms géographiques seront transcrits i)honétiquement
suivant leur prononciation nationale : Frâns, Byern (Bavière),
Firenze (Florence), Marséi (Marseille)K
L'auteur ne traite pas expressément de la dérivation ; il donne
en passant les mots telephonist, photographist, chemist.
l. Nous avons profité de quelques corrections ajoutées par raulcur lui-
même à son livre.
HENDERSON : LINGUA 387
Il in(ii<|iic la n'^glc i\o formation dosmo/x composés, qui ont pour
lui !'avaiiliij?o <lr so ((«''finir pnx-nj«'*nios (xelf-dfjlnintf. l.r mot
«Irtcniiiriaiit. doit |>n>r«>(i(M' !<> (ItMrnniii*', cnnimc <>ii ullrmnnti o{
on anglais. Kx. : ferro-strata via (»u ferro-via, chemin ih jer. La
lAïujim m* doit imiter cxrlusivcmrnl ni le systi'mo syntlwMiquc
4l<> composition à ontranct* de rallemand. ni \o système lanaly-
tiquc) <le locutions form«Vs par des propositions, comme en
français: elle devra les employer tous les detjx, suivant les cas.
comme en ancflais'. L'auteur remaripie que les prépositions
évitent parfois l'équivoque de certains mots conqiosés : ainsi
jire-eiujine (machine ù feu) peut signilier une machine mue par h- feu
('macllina per igni) ou un engin contre V incendie (machina contra
incendio).
N'oici qu«>lqiies éclianlillons de l.inijua :
Non tu mitt num le es-impera-tu mercs ante proximo hebdomad
{nexfn'die: pus les marchnndises eitniiunndées nrant ht seinnine itn>-
chaine). — Mesiur. me recipi-tum tuo epistola hic mane gratissimé.
et me propera num mitt meo gratias u tu ob tuo accepto imperios...
Id es num verisimili sic. le mercs adveni-qum in Berlin circa le
fini 0 le proximo hebdomad, quia ils es mitt qum per express transfer.
Me mitt-num le pretio-nota cum hic epistola, non cum le mercs.
Critique.
On ne peut qu'approuver les principes généraux sur lesquels
M. Henderson propose d'établir le vocabulaire de la L. L; tout
au plus peut-on «liscuter la part presque exclusive qu'il y lait au
latin, et regretter «pi'il ne l'ait pas plus explicitement justifiée
au nom du principe de rinternationalité.
Mais c'est surtout dans rappli<*ation de ses |uincip««s «pie la
l.imjua prête à la crifi«pie. Kt d'al)«)r«l. son alpliahel est trop
< <>nq)lexe et trop peu international; sa prononciation (ilans les
v«>yelles surtout) se ressent trop de son origine anglaise. La
r«">gle suivant laqui'lle les mots nationaux ilevront être irpr»»-
«luits «lans leur phonélisme phd«.\t «]ue dans leur graphisme est
IVioIieus«v attendu que le graphisme est plus international «pie
I. K.vciiiplt» : là où l'alItMunnd dit. en an soûl mot : Thier-achuli-verrin,
rniig:ljus dit (l'uiniiic le frnn«;nis) • Society for Ihe l'rotection of Animah.
388 SECTION III, CHAPITRE XIII
le phonétisme, et que celui-ci les dénature souvent (en particulier
en anglais).
La tendance analytique de la grammaire est louable; mais
elle n'est qu'imparfaitement observée, dans les degrés de com-
paraison, par exemple, et surtout dans la conjugaison, qui est
la partie la plus défectueuse du système. Ici, l'auteur a dépassé
le but, et, par excès d'analytisme, il est retombé dans les pro-
cédés de langues agglutinatives. On aboutit à des formes ver
baies longues et encombrantes, aussi peu claires pour l'esprit
que ])aroques à l'uni et à l'oreille. Exemples : nos neces-faci-num
quod nostro parents impera-num = il nous faut faire ce que nos
parents nous commandent; potes-es-para-num = peut être préparé:
Roma neces-es-relinqu-num = il faut quitter Rome. Ces formes ver-
bales si différentes de celles auxquelles les langues européennes
modernes nous ont habitués, avec leurs désinences à peu près
arbitraires ', suffisent à donner à cette langue un aspect bar-
bare, et à la rendre impraticable. Elles sont d'autant plus cho-
quantes, qu'elles contrastent vivement avec les formes latines \
auxquelles elles sont juxtaposées "^. Ajoutons que; même en
théorie, la conjugaison est trop compliquée : la distinction des
qualités du verbe est inutile (c'est un idiotisme anglais, et la
preuve en est qu'elle est intraduisible dans les autres langues);
et les nuances de sens que ces qualités traduisent seraient mieux
exprimées, en cas de besoin, par des auxiliaires ^.
Dans la formation des mots, il y a une grave lacune : l'auteur
ne donne pas de règles générales ni d'affixes de dérivation. Il
semble admettre tels quels les dérivés (irréguliers) des langues
vivantes : actris, archiepiscopo, artist, artistic, capitalist, dévotion,
European, Fransé, juventut, national!, naturali, nobilitat, politi
clan, regina (de reg), scientifico, etc. Dans d'autres cas, il forme
régulièrement des mots dérivés ou composés : contiona = prê-
cher, contionation = sermon ; aegro = malade, aegrota = être
malade, xgTOia.tion = maladie : panifici = boulangerie; corio = cuir.
1. Car pourquoi tum signiflernit-il le passé, et quum lo futur, ces deux
particules latines étant corrélatives, et signifiant alors que'!
2. Si l'auteur voulait conserver à sa langue le caractère néo-latin, il
n'avait (|u'ii adopter des formes analogues à celles de l'Idiom neutral :
scribav, scribero, av scribed, etc.
3. Par exemple, les « imparfaits » et les « parfaits » peuvent se rendre au
moyen du verbe cire et des particijjes présent ou passé, comme en Espé-
ranto : mi estas (estis, estes) skribanta (skribinta).
I
HENDEnSON : LATINE8CB 389
coriario =^ corio fabrica ^^ tannerie. Ailleurs, il smililr iiti con-
Iraiio ne se soiiricr nnllctniMit de la <lrrivali<ni : nnb = se
marier, conjugio = mariatje: accurato -- précis, presision: equit
chevalier, shivalri = chevalerie. Soniinc tout»', vu (>iu|ii'untaut
' es mots loiit faits nu latin (ou aux langues vivantes), la Linyua
M' fomiaiinie à la siérililr des langues nuu-les, et en outre h
I irréffularité de toutes les langues naturelles.
En général, le vocabulaii'e inan(|ue d'homogénéité : à crtté de
gossypium =: co/o/i, on trouve les mois mushvor — »io«r/ioir. hat
rhapean, gun = canon, hôtel, cann, montr, keller (L>.) = rtive.
shampyn ^= Champagne, etc., dont la modernité contraste désa-
gréaMenient avec, la latinité elassif|ue de la plupart des mots,
l/auteur n"n même pas évité les homonymes, comme dam- tiame
• t damm i D.) = digue.
En résumé, la Lintjaa est nu>ins un projet complet et vialde
(|u'tuu^ éltauehe contenant des suggestions intéressantes. Il con-
vient de rappeler, du reste, que l'auteur ne la présente que
romme un simple essai;- et il faut surtout lui faire un mérite
(lavoir appelé île ses vœux la formation d'une conMuissi«»n
internationale qui aurait le dernier mot dans le choix de la
future langue internationale.
Du reste, on doit lui rendre celt«« justice, qu'il a fait prouvée
l'égard de son projet d'iui détachement complet, car il en a éln-
l)oré ou proposé d'autres, notamment V .\nglo-Franca (publié en
18S9 sous le pseuilonyme de P. Hui.Nix), (|ue nous étudierons
dans le Chapitre suivant.
LAtlNESCE
Toutefois. M. Henderson n'a pas renoncé à l'idée d'une « langue
;iilifici(»lle néo-latine », qui lui paraît toujours être In meilleui-e
--"•lution. parce qu'il croit, pour des raisons d'harmonie et
(riiomogénéilé, que le vocabulaire doit être emprunté à une
seule langue naturelle. Il y voit en outre cet avantage, que le
dictionnaire de la langue internationale serait ainsi tout prêt.
1' qui dispenserait du travail énorme qui consiste à choisir des
mots et à fixer ensuite leur sens. C'est pourquoi, reconnaissant
les tléfauts de sa Lingua, il lui a substitué un auti^e projet, inspirt*
des mêmes idées, le Latinesce. Il l'a conçu dés 1890, mais il n'en
390 SECTION III, CHAPITRE XIII
a publié que récemment une esquisse sommaire *, f[ue nous
allons analyser.
Grammaire.
La prononciation serait la prononciation italienne, parce que
celle-ci est « harmonieuse et claire ». Seul, l'-e final serait mi-
muet (comme en français dans le chant et la déclamation).
La grammaire se réduit à sept flexions :
-s pour marquer le pluriel des substantifs. Les adjectifs seraient
invariables.
-iore pour marquer le comparatif, et
-issime pour marquer le superlatif des adjectifs et des
adverbes ^.
-re pour l'infinitif présent des verbes, qui servirait aussi de
futur et de conditionnel présent. Ex. : amare, monere, regere,
audire. L'indicatif présent et l'impératif seraient obtenus en sup-
l)rimant cette désinence : ama, mone, rege, audi.
-te (substitué à -re) marque le passé et le participe passé
passif : amate, monite, recte ^, audite. Le participe passé passif
sert à composer les temps secondaires de l'actif, avec l'auxi-
liaire habere (avoir), et tous les temps du passif avec l'auxiliaire
essere (être).
-nte marque le participe présent actif : amante, monente.
régente, audiente.
-é ou -ee marque les adverbes dérivés d'adjectifs : claré =r
clairement.
Syntaxe. L'ordre des mots suivrait les mêmes règles qu'en
anglais : l'adjectif avant le substantif, l'adverbe avant l'adjectif
qu'il modifie.
Dans les propositions indicatives, l'ordre est : sujet, verl)e.
régime direct, régime indirect.
Dans les temps composés, les adverbes s'intercalent entre
l'auxiliaire et le participe.
1. Article en Latinesce, intitulé : Latinised Engllsli Ihe best •< Linr/un
Franca », dans le journal The Référée (London, janvior 1001), roprodiiil
dans la brochure : Tlie Linqua Franca of the Future (mai 1902). Exposi'
llu'oriijue dans The lAngua Franca of Ihe Future, n" 1 (mars 1003).
2. L'auteur admet des formes exceptionnelles en -lime, -rime.
3. En réalité, cette forme est le supin latin, où l'on a clianpé la finale
-um en -e. Elle aurait donc toutes les irrégularités du supin latin.
HENUERSON : LATINESCE 391
Dans les propusitiniis iiilcrro^^ntivos, lo sujet se place apr^s
le vcrix'. Kxemple : Habe me satis claré explicate iste méthode 7
Vocabulaire.
< I. Tous les mots dt^jà internationalement connus sont
•Mjiploy«^8 de prt'férencc aux mots tirés du latin. Ces mots com-
prtMUKMiJ :
» 1" Toute la terminologie scientifique gréco-latine qui a été
«lalion^o (huis les temps modernes ; comme : électricité, téléyraphe.
Ii'li'ithone, pholo(jraphe, ijéuloijie, pliysiolofjiste, etc.
» 2*» Tous les mots qui sont liovenus internationaux en vertu
(Ic'i relations commercinles ou sociales entre les nations; comme
Ihêùlre, bal, concert, soiint»'. pûino. eluir-ohsnir, opéra, fuilel. retlan-
mut, chèque, banque, cic.
» 11. Tous lesaulrcs moisson! «Miiprunlés direclenjenl au laliu.
de sorte que le dictionnaire latiu. joint à la liste des niols inter-
nationaux autorisés, constitue tout le vocabulaire » du Latinesce.
On (Muploie i pour Varticle défini, et nne pour Varticle indéfini
(^invariable).
Les radicaux des substantifs et des adjectifs prennent pour
llnalo le ini-muet au lieu de leur voyelle finale. Les autres radi-
caux cl les mots invariables sont admis sans modification.
\'oici la traduction du Pater en Latinesce :
Nostre Paire qui esse in cœle. sanctificate esse tue nomine: veni
tue règne: facte esse tue voluntate. ut in cœle, ita in terre. Da ad
nos hodie nostre quotidiane pane : et remitte ad nos nostre débites,
sicut et nos remitte ad nostre debitores : induce nos non in tenta-
tione, sed libéra nos ab maie.
Critiqi-e.
Le Latinesce n'est, jusqu'ici du moins, (ju'un simple projet
théorique. Tel quel, il est fort supérieur au Limjua par sa simpli-
cité et son esprit pratique. La grammaire est même trop simple :
elle ne permet pas île distinguer l'iulinitif. le futur et le condi-
tionnel, ni l'indicatif présent et l'impératif, ce qui est une source
d'équivoques. On peut en dire autant de la confusion du parfait
392 SECTION III, CHAPITRE XIII
avec le participe passé, malgré l'exemple de l'anglais, qui confir-
merait plutôt notre critique. Toutefois il ne faut pas se faire
illusion sur cette simplicité apparente ; elle cache des difficultés
très réelles, car elle n'exclut l'irrégularité, ni de la formation du
comparatif et du superlatif, ni surtout de la conjugaison, où
chaque verbe aurait, en somme, deux radicaux : celui de l'infi-
nitif et celui du supin. On pourra répondre que les deux radi-
caux sont indiqués dans le dictionnaire latin. N'importe : il fau-
drait toujours les apprendre par cœur, si irréguliers qu'ils
fussent ', au lieu de pouvoir tirer mécaniquement du radical
verbal le parfait et le participe passé. Même le participe présent
ne dérive pas régulièrement de Tinfînitif (audire, audiente) ^. En
somme, cette grammaire serait assurément très facile pour ceux
qui savent le latin, mais pour les autres elle serait plus difficile
qu'une grammaire un peu moins simple, mais absolument régu-
lière.
D'autre part, l'adoption du vocabulaire latin tel quel, avec
toutes les irrégularités de la dérivation (tant pour la, forme que
pour le sens des mots), aurait de graves inconvénients, que ne
compensent pas ses avantages pratiques. Pour ceux qui ne savent
pas déjà le latin (et c'est à ceux-là surtout que la L. I. est des-
tinée), ce serait en réalité une nouvelle langue à apprendre (sur-
tout pour les peuples non romans), alors que la régularité des
dérivations permet de réduire considérablement (des neuf
dixièmes peut-être) le nombre des mots à apprendre ^.
Enfin, l'adoption de l'-e mi-muet comme finale des substantifs
et des adjectifs est fâcheuse, car elle engendrerait une mono-
tonie insupportable. D'ailleurs, cette lettre risquerait fort d'être
prononcée différemment par chaque peuple (les Français ne la
prononceraient pas), ce qui n'arriverait pas avec des finales
sonores. Celles-ci (par exemple a et o) auraient en outre l'avantage
de distinguer, soit les deux genres (comme M. Henderson le pro-
pose subsidiairement), soit les adjectifs et les substantifs, comme
en Espéranto.
1. Voir les exemples cités dans le Chapitre final : Les lanqves mortes.
2. Cf. les discussions du Linguist sur ce sujet (chap. XXIIl).
3. Cela est si nécessaire que même des partisans du latin (M. Regnaud)
proposent d'uniformiser les afflxes de dérivation (voirie Chapitre final : Les
langues mortes).
CIIAPITHE XIV
I'. llolMX: AS'GLO-FRANCA^
LWnglo-Franco, dont l'auteur, caché sous le pseudonyme de
I*. HoiNix (Ph(iMiix) est M. George J. Henderson, est, suivani le
sous-titre de l'opuscule, « un compromis-langue english-fran-
rais ». I/auteur est toujours aussi hostile au VoUipûk, cette langue
forgée de toutes pi('»ccs qui, sous prétexte d'être universelle ci
neutre, est également difficile pour tous les peuples de la terre.
11 préconise au contraire une langue mixte ou de compromis,
qui imite, avec plus de régularité, les sabirs nés en divers pays
(lune formation naturelle et spontanée. L'anglais lui-même
n'est-il pas une langue composite, un « jargon » (sic) franco-ger-
mani(|ne formé {\ la suite de la conquête de l'Angleterre par les
Normands?
Pour hase de sa langue mixte, l'auteur choisit le français et
l'anglais, parce que ce sont, selon lui, les deux langues les plus
internationales (malgré la supériorité numéricpie de l'allemand
sur le français). 11 remarque que, l'anglais misa part, les langues
romanes sont aux langues germaniipies dans le rapport de 3 à 2:
et comme les deux tiers du vocahulaire anglais sont d'origine
latine, il fait encore pencher la balance du côté des langues
romanes. La langue internationale doit donc être en grande
partie, sinon entièrement, néo-latine. D'ailleurs, l'allemand lui-
même es| pleki de radicaux latins, de sorte que les Allemands
connaîtront d'avance une bonne part du vocabulaire, tandis
<Iu'on diminuerait l'internationalité de celui-ci en y introduisant
des radicaux germaniques inconnus des autres peuples.
i. Anglo-Fi-anca, an nouvtau plan for Ihe facilHation of inlemationat
communication, hy P. Hoinix, 48 p. in-12 (London, Trubner, 1889).
394 SECTION III, CHAPITRE XIV
VAngloFranca serait donc une langue plus facile que l'an-
glais pour les Français, plus facile que le français pour les
Anglais, et plus facile que les deux langues pour tous les autres
peuples. Et s'il était adopté d'abord par les Français et les peu-
ples de langue anglaise, il s'imposerait bientôt au reste du monde.
En tout cas, tandis que celui qui apprend le Volapûk perd sa
peine si cet idiome n'est pas universellement adopté, celui qui
apprendra VAnglo-Franca n'aura pas travaillé en vain, car il aura
toujours appris du français et de l'anglais. L'auteur insiste d'ail-
leurs sur la nécessité d'une Académie ou d'un Congrès interna-
tional pour décider de l'adoption d'une langue internationale
quelconque, et approuve l'initiative prise en ce sens par ÏAine-
rican Philosophical Society en 1888 (malheureusement sans succès) '.
Voici comment l'auteur résume la méthode de VAnglo-Franca :
I. La grammaire est la grammaire anglaise, mais simplifiée et
régularisée : parce que : 1° la grammaire anglaise est un compro-
mis entre les systèmes grammaticaux du français et de l'alle-
mand; 2" elle est la plus moderne et la plus analytique; 3o elle
est la plus univ^erselle et la plus souple.
II. Le vocabulaire est le vocabulaire français, à l'exception de
130 mots empruntés à l'anglais; parce que : 1° le vocabulaire
français est le plus universellement connu, et celui dont les élé-
ments ont le plus pénétré dans les autres langues; 2'^ la restric-
tion de la base lexicologique à deux langues offre des avantages
de simplicité.
Gr.\mmaire.
L'alphabet est celui du français, ou plutôt de l'anglais (avec w
= ou). La voyelle u se prononce ou; Vu français est figuré par ù;
l'y a deux sons (i comme en F., aï comme en E.). Les diphtongues
ai, ei, eu, ou, ont le son simple qu'elles ont en français; quand
on veut leur donner un son composé, on écrit aï, eï. Le c et le g
ont deux sons : 1° dur devant a, o, u; doux {ts, dj, comme en E.)
devant e, i. Le x final a le son de s. Le ch a le son du ch anglais
{Ich), et çh celui du ch français. Le th se prononce simplement
comme t. Il n'y a pas de voyelles nasales comme en français [an,
en, in, on, un).
1. Voir le Chapitre X.
I>. HOIMX : ANGLO-FRANCA 393
1,'nccenl so |)Iaco toujours sur In dernière sylInlM*. ou sur
l'avnnl-(l<'riii«'iT, si la «Icrnirro osl uu e nnu-l.
L'article défini est the, Varlicle indéjini an, tous dt-ux iiivanitliN-s.
I,os sithslantifs loriurnl leur pluri<'l nv«*c uu s, ou a\cc es s'ils
se tonuiuout par une siri1aul«> ou chuintante (t, s, x, sh, ch, çh.
]]. Ils ne subissent pas d'autre variation.
Les ndjeclifs sont invariables. I.eurs deprés de sipniliration sont
niar(]u«''s par les adverbes more comparatif) el most (superlatifi
plact^s devant. Les adjectifs servent en nuMue tenip^ d"a<h»'rb<»<.
de ((ualité ou de nuinièrc (conime en D.).
Les noms de nombre sont, par exception, empruntés au latin.
La numération est réfjidarisée. Les nond)res (*ardinau\ sont :
Un, du, tre, quat, quinc, sez, sept, oct, novem, dec; dec-un, il;
dec-du, 12:,.. du decs, JO: du-decs-nn, 21;... tre-decs, 30;... cent,
loi);... mil, 1000...; million.
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant -ieme aux nombres
cardinaux : unième ou premier . duieme (ou second, treieme. etc.
Le» nombres fr<iclioni\nires se forment en ajoutaid part aux
nombres cardinaux : dupart= 1/3; trep«ri = 1/3 ; da trepart — 2 :<.
Les nomlires distributifs s'expriment comme suit : un at un fois,
ou : un each.
Les pronoms personnels (invariables) sont : me, tu, he (i/i, she
(elle^^, it (i7. neiitreV. we (nous), you (vous), they {ils, elles . Le vous
de politesse est you.
Les pronoms réfléchis se fonuent en ajoutant self aux pronoms
peis(mnels selfs au pluriel).
Les proniims {inssessifs se forment en ajoutant 's aux pronoms
personnels : me's, mon: we*8, notre; yon's, voire, etc.
Les pronoms démonslndifs sont :
this. celui-ci, pi. : thèse;
that, celui-là, pi. : those'.
Les j)ronoms relatifs sont :
who (pour les personnes), which ipour les choses), qui;
whoever — , whichever — . qui que ce soit qui.
Les pronoms inlermiinlifs sont le< |uotioiu»^ relatifs. »'t en oiifro •
what, whatever.
Les pronoms indéfinis sont vi\ irénéral empruntés à rangluis.
exci^pté : nilir/fvii; no un. no personne numn. personne'*: every on.
I. N. li. : tliat ne sera pas employé comme rclatiT.
396 SECTION III, CHAPITRE XIV
every personne (chacun); every chose [toul): some personne [quel'
qu'un); some chose {quelque chose).
Les verbes se conjuguent tous de la même manière, au moyen
des trois auxiliaires hâve {avoir), be {être), will et would. Tous les
autres auxiliaires anglais sont supprimés, et remplacés par des
verbes d'origine française (dev, pouv, etc.).
Le verbe ne varie pas en nombre et en personne K Voici
comme paradigme la conjugaison du verbe to form [former),
dont le participe passif est formed (formé) :
Infinitif. Participe.
Présent : to form. forming.
Passé : to hâve formed. having formed.
Futur : to hâve to form. having to form-.
Indicatif-subjonctif
Présent : (me) form. Parfait : (me) hâve formed.
Passé .• (me) formed. Plus-que-parfait : (me) had formed.
Futur : (me) will form. Futur antérieur : (me) will hâve formed.
Conditionnel.
Présent : (me) would form. Passé : (me) would hâve formed.
On remarquera que les temps antérieurs (composés) sont
formés des temps simples de l'auxiliaire to hâve (avoir) suivi du
participe passif formed.
V impératif est semblable à l'infinitif, à la 2° pers. sing. : form,
forme: aux autres personnes, il se forme au moyen de l'auxiliaire
let suivi du pronom et de l'infinitif : let v/e form, /on»ons ; let
you form, formez.
La voix passive se forme en ajoutant aux temps et modes du
verbe to be ^ le participe passif formed : to be formed, être formé.
Les verbes réfléchis se forment au moyen des pronoms réfléchis
meself.... weselfs.... Ex. : Assey youseli = Asseyez-vous.
La syntaxe est très simple et très libre. L'adjectif simple se
i. L'auteur invoque à ce propos Tcxomple de l'anglais classique : on
trouve I be, you be, we be, they be, I were, he bave, dans Shakespeare
et Milton.
2. Nous omettons les infinitifs et participes d'action continue, qui sont
formés en ajoutant aux infinitifs et participes simples de l'auxiliaire to be
(être) le participe présent forming.
3. me be me bave been
me were me had been
me will be me will bave been
I
V. HOINIX : ANGLO-FRANCA 397
met avant son substantiT; mais, s'il est accompagné de comph^-
iiuMils, il s»' inrl aprôs.
I/ordrc iionual do la phrase ost le même qu'en anglais. Mais il
n'y n qu'une seule i^gle absolue : Le régime direct ne doit Jamais être
riilrr If sujet et le verbe {conlrmvcmoiiï à l'usagr français pour les
l>roin»ms!. Cette rt*gle est nécessaire pour éviter toute équivoque
• Il l'altstMiti' (le l'accusatir.
Vocabulaire.
Le vocabulaire, comme ou sait, est cntit^rement français, à
l'exception de 130 mots anglais (dont l'auteur donne la liste),
qui sont toutes les parlicules : articles, pronoms, adverbes
simples, prépositions et conjonctions. On en a déjù vu cpielques-
uns.
Les mots empruntés au français sont donc les sut}stanli/s, les
ittljectifs et les verttes (sauf les verbes auxiliaires, qu'on a vus plus
haut).
Les subslunlifs et adjectifs sont pris sous la form»- qu'ils ouf an
singulier et au masculin.
Le radical des verbes s'obtient en supprimant au participe
présent français la terminaison -<i/i/. Cela revient à supprimer à
l'infinitif la terminaison -er, -ir, oir, ou -re, mais dans les verbes
réguliers seulement. Pour les verbes irréguliers, on doit suivre
la l"^^ régie, et non la i", dont le résultat serait ililTérent. L'au-
teur donne la table des radicaux de ces verbes, pour les lecteurs
(jui ne savent pas le français.
L'auteur fait exception à la règle générale en faveur des mois
internationaux, et pose le principe suivant :
Quaml un mot esl internationalement compris, on doit le pré-
férer au mol iniiicpié par les régies générales de VAnylo-Franca.
Les mots internationaux admis en vertu de ce principe sont :
l* les noms de nombre: 2" les mots suivants, empruntés au latin
ou au français : nil. satis. per. pro. contra, versus, via. de novo.
in toto: encore, ensemble, environ.
L'admission de ces mots internationaux devra être di< i.i. ■
par r.Vcadémie internationale.
Les noms propres (y compris les noms géographiques) garde-
ront leur forme natiouabv On «lira et écrira :
398 SECTION III, CHAPITRE XIV
Aristoteles. Horatius : London, Kœln, Wien, Mûnchen. Regensburg.
Firenze; Deutschland, England, France; deutsch, english, fran-
çais.
L'auteur a écrit en Anylo-Franca, comme appendice à son opus-
cule, une General Revue and Critique of the divers essais ivhich hâve
been faisedfor to etabliss an international langue, où on lit par exemple
les phrases suivantes :
The peuples of the Orient trouv theyselfs in an embarras encore
more grand wen they voul to entam commercial relations with
Europe Un pouv to demand, if ' more soon ^ than to hâve
recours to an artificiel langue, it would not be préférable to adopt
as international langue some un ^ Européen idiome...
Voici encore deux phrases d'Amito-Francn :
Me pren the liberté to ecriv to you in Anglo-Franca... Me hâve
the honneur to soumett to you's inspection the prospectus of mes
objets manufactured, which me to you envoy here-inclued.
Critique.
Les considérations théoriques et pratiques qui ont inspiré
Y Anglo-Franca semblent judicieuses et acceptables: toutefois, on
ne peut raisonnablement restreindre à deux langues la base d'un
lexique vraiment international : il faut en admettre au moins
trois (D., E., F.) ou, plus équitablement, six (D., E., P., L, R., S.)
comme V American Philosophical Society l'avait proposé.
L'auteur a si bien senti qu? fa base lexicologique était trop
étroite, qu'il a adopté subsidiairement le principe de l'interna-
tionalité, qui viole son principe primitif, et qui, poussé à ses
dernières conséquences, le ruinerait entièrement, car il suffd à
lui seul à constituer un lexique.
Le défaut capital de V Anglo-Franca est le manque d'iiomogénéité,
non pas tant à cause du mélange des radicaux anglais et fran-
çais (l'anglais offre un mélange de radicaux latins et germa-
niques bien plus hétérogène encore) qu'à cause du contraste
violent entre la grammaire anglaise et le vocabulaire français K
1. Si interrogatif.
2. Plutôt, traduit littéralement : plus tôt.
.3. Quelqu'un, pour : quelque.
4. (Citons comme exemples d'anglicismes le to inutilement mis devant
I>. IIOINIX : ANGLO-FilANCA 399
Il r>t i-lioquant do voir npiiUqucr dos doxions an^laisoH A des
mois français, siulont pris à l'ôlal lirnl '. Pour siippriiiior oolto
ilispnrnic, il faiulrail. d'uno pari, allrnuor lo curnctôrolrop oxclii-
-ivemonl niiKlais do la Krnminniro, ol ndoptor des flexions plu»
neutres; d'nuln' pari, modilicr los radicaux oin|)riinl('>N niix doux
Innguos vivnulos ol lour ilonuor un aspect plus unirorino ol plus
liarnionioux. Pour mieux dire, il ne faudrait les ouiprunlor ni
a l'auirlnis ni an fran<:ais. on ils so trouvont d«'jà allcr.''s ol
dt'fornu's, mais l(>s uns à l'allomand, ot losautr«>s an lalin. (»ù ils
ont leur forme originale. Cost donc un choix malencontreux que
celui de l'anirlais ot du français comme base du lexique, car ce
sont jusloincnl los doux langues los plus dériv/'es, colles où les
riicinos sont le plus éloign«''es ilc lour origine et do leur purol»».
(^olto alliance do l'anglais ol iln français à I état brut, non
lumlns onsomble, ne donne pas sonloniont à la langue un aspocl
baroipio qui la forait paraître barbare h la fois aux Anglais et
aux Français: elle a une autre conséquence fort grave, qui est
riinpossibilitéti'oblonir une prononciation réguli«''ro et uniforme.
Sans douto. l'anloiir s'osl oITon-ô de rendre la prononciation con-
lormo à l'ôcrituro*, ce ipii l'a entraîne ù surcharger l'alphabet
et à attribuer même deux sons h une même lettre. .Mais maigre
los règles niinidionsos ot compli(|nées (pj'il édicté, rien ne pourra
empêcher los Français, il'une part, ot los .\nglais, dautro part.
do prononcer à leur manière nationale les mots de leur langue.
Or c'est tout le coidraire que l'aulour «lésiro, car il veut, en
somme, «pie l'on prononce les nuds anglais à la française ol los
mots français à l'anglaise. C'est le meilleur moyen de les rendre
méconnaissables respect ivomenl au peuple mémo aiupiel on les
(Muprnnto, et de rendre la langue elle-même inintelligible à tous
los deux. Jamais un Anglais ne comprendra les mots Ihe, each.
Ihrniujh, ii'hether, prononcés i\ la française, ni un Français los
mots <mestiuii, revue, wil, prononcés par un Anglais. Los doux
peuples (cl tous les autres) ne pourront s'entendre que dans une
les innnitirs (Un pouv to demand) et remploi du parliripc (-ing) ou lieu
do rintlnitir (without parling...).
1. Il faut loiilcfois nvuiiiT (|iic c'est re «|ui n lieu sflns ce»s>e oo anglai».
F,xcmpie, ce titre (lu nu hasard dnn» un journal do Londres) : • llow the
ffair comwenccd -. On dirait de VAnt/lo-Franca!
2. Car la L. I. devant tMre d'atwird et surtout éerito. l'auteur pense qu'on
doit reproduire plul(>t le graphisme que le phonétisme des mots nationaux.
et par suite conformer celui-ci sur celui-là.
400 SECTION III, CHAPITRE XIV
langue autonome, homogène et neutre, où ils retrouveront leurs
radicaux, mais transfigurés en quelque sorte par une ortho-
graphe phonétique simple et régulière.
Ajoutons que M. Henderson, ne se lassant pas de lutter pour
l'idée de la langue internationale, a encore émis deux autres
projets de langue artificielle : l'un, la Langue Facile, serait un
français simplifié et régularisé ; l'auteur avoue lui-même que
« cette mutilation de la belle langue française serait sans doute
peu goûtée de la plupart des Anglais qui la connaissent, et serait
certainement peu faite pour plaire aux Français * » ; l'autre est
le Latinesce, que nous avons résumé à la fin du chapitre précé-
dent. Ces deux projets ne sont que de simples « suggestions »,
des « ballons d'essai » lancés dans les journaux pour éveiller
l'intérêt du public. Enfin, M. IIenderson a publié en 1890-91 un
journal {Phœnix seu Nuntias latiniis internationalis) destiné à recom-
mander le latin comme langue internationale ^ Toutes ces ten-
tatives montrent avec quel zèle et quelle persévérance l'auteur
s'est efforcé de propager l'idée de la L. I. et de la réaliser sous
des formes diverses. Cette diversité même prouve, d'autre part,
un désintéressement bien rare chez les auteurs de L. I. : indif-
férent au succès ou à l'échec de tel ou tel de ses projets, M. Hen-
derson n'a jamais visé qu'un seul l)ut, l'adoption définitive d'une
L. I. par une entente internationale. Par cette attitude impar-
tiale et par son esprit pratique, il était un précurseur et un allié
prédestiné de la Délégation, et il est devenu en effet un de ses
auxiliaires les plus dévoués.
1. Article dans Le Courrier de Londres et de VEurope, il) mai 1889.
2. Voir le chapitre flnal : Les Langues mortes.
CHAPITRE XV
J. STEMPFL : MYRANA '
I.'onvra£»o d»^ l'ahlx'' Stempfi, comprond deux parties : luno, ron-
bucrée ù défendre l'idée d'une langue internationale en général,
l'autre à exposer le projet de langue Myrana. L'auteur réprouve,
d'une part, l'idée chimérique d'une langue absolument univer-
selle, c'est-à-dire commune à tous les peuples de la terre; d'autre
part, l'idée d'une langue purement scientifique et philosophique,
réservée à une élite de savants. Ce qu'il désire, c'est une langue
« commerciale » et pratique. Au surplus, il ne présente pas le
Myrana comme un concurrent du Volapùk ou de tout autre sys-
tème, mais comme un simple projet destiné à contribuer à la
solution délinitive du problème; il déclare modestement ajiporter
quelques pierres pour la construction de la meilleure langue
universelle, qui doit se réaliser un jour. Il critique vivement le
Volapûk, et juge sévèrement le dogmatisme intransigeant de
Mgr ScHLEVER et ses prétentions à l'infaillibilité '.
Le Myrana est éclectique : M prend pour base le vocalmhure
latin, parce que c'est le plus international et le plus neutre;
celui-ci forme pour ainsi dire le tronc sur lequel on grelTera les
mots empruntés aux langues vivantes, romanes et germaniques,
en les altérant le moins possible. La langue devra être régulière
et logique, mais aussi euphonique; et il vaudra mieux adopter
un plus grand nombre de racines que d'abuser des dérivations.
Il ne faut pas non plus tout sacrifier i\ la brièveté, même l'intelli-
gil>ilité.
1. J. Stempfl, Myrana und die Weltsprache. xvi -f- tSi p. 12* Kompten.
KospI. I88H). Komptcn est une petite ville de la Souat)e l>avaroise. M. Steum-l
est curé-dojen.
2. Cf. Stempfl : Ausstellungen an der Volapûk, et Ueb^r Weltsprache und
Volapfik (Kempten, 1888).
CocTCRAT et Leac. — Langue UDtv. %6
402
SECTION III, CHAPITRE XV
Grammaire.
L'alphabet comprend 8 voyelles : a, e, i, o, u (ou), et les 3 inflé-
chies : à, ô, ù; et 23 consonnes : b, c, d, f, g, h, j, k, 1, m, n, p, q,
r, s, t, V, w, X, y, z; ch, sh. c se prononce tch; j se prononce
comme le j allemand (i consonne); v et w se confondent comme
son; ch est le ch allemand (guttural); sh est le sh anglais (ch F).
L'auteur admet en outre les 5 diphtongues : ai, ei, oi, ui, au,
dont les 2 voyelles se prononcent séparément.
Vaccent se place sur la syllabe principale du mot.
L'auteur ne veut pas imposer de forme caractéristique aux
divei^ses parties du discours. Il juge ce moyen inutile, et môme
nuisible par les déformations qu'il fait subir aux mots.
Il y a un article défini : le, et un article indéfini : ne, tous deux
invariables.
Les substantifs se déclinent, soit au moyen de particules, soit
au moyen de flexions. Les particules, qui se placent devant le
substantif ou l'article, sont : di pour le génitif; dei pour le datif;
do pour Yaccusatif
Les désinences des cas sont, pour les radicaux à consonne
finale : -i, -ei, -en; pour les radicaux à voyelle finale : -d, -i, -n.
Le pluriel se forme en ajoutant -s ou -es aux cas du singulier.
Exemple de déclinaison.
Sing.
Plur.
N.
vir ou
vir, homme.
vira, J
G.
di vir
viri
virad
D.
dei vir
virei
virai
A.
do vir
viren
viran
N.
vires
vires
viras
G.
di vires
viris
virads
D.
dei vires
vireis
virais
A.
do vires
virens
virans
L'auteur ne voit aucun inconvénient à ce que des radicaux se
terminent (au nominatif) par les mêmes désinences que les cas
(comme cela arrive dans les langues naturelles).
Les substantifs peuvent prendre des désinences caractéristi-
ques du genre naturel, à savoir : -o pour le masculin, -a pour le
féminin, -ô pour le neutre. Ex. : vir ou viro = homme; vira =
STEMI'FI. : MYItANA 403
femtiie. 1. auteur ne voit aucun inconvénient à c(; que dessubstan-
tirs réminins ou neutres se terminent en -o. et des substantifs mas-
culins ou iKMiIres en -a. I£x. : Juno. topo; pasha, kasa. Sruleinent
le féuiinin des mots en -a selVuine au moyen du suflixe -»h.
Les adjeclifs, comme les substantifs, ont une terminaison quel-
i-(>n(|U(>; ils se déclinent comme les substantifs, mais seulement
<|unnd ils sont isolés.
Ils peuvent, dans le même cas, prendre les désinences carac-
téristiques du genre : bonô. le bien.
Les degrés de t-<Mnpnraisoii peu vent se former de deux manières :
au moyen des particules mer, mest; au moyen des flexions -ior
(ou -jor) et -isso. Ex. :
bon bonior bonisso
ou : mer bon mest bon
Le superlatif absolu se forme, soit au moyen du préfixe par-, soil
au moyen du suflixe -issimo : perbon ou bonissimo.
Les noms de nombre sorU :
nul, 0 : un. 1 : dui. -2 : tre, 3 ; quar, 4 ; quin, 5 : sez, 6 ; sib, 7 ; ocb (ou
ok). 8: nôf. '.); desh. 10: deshun. Il: deshdui. 12: deshtre. 13:
duiges. 20 ; treges, 30, ctr destages^ou cent. 100: duidesbges
ou duicen. 200; mil. 1000
Ainsi : ISH9 — unmil ochdeshges ocbgesnof.
Les Homtres onlinanx se roriucul ou ajoulaut t ou te au nondtre
< ardinal correspondant : doit, tret,... desbgest ou cent. Seule
l'XfopHon : l»"* se dit prim.
Les nombres distributifs se forment en pré-lixaiit je- aux nombres
I ardinaux : jedui, deux à deujc.
Lt<s nombres multiplicatifs se forment au moyen du suflixe -ma :
duima, deux fois.
Les nombres fractionnaires dérivent des ordinaux au moyen du
stiffixe -1 ou -el : tretel, tiers.
Les pronoms j)ersonnels sont : mi, te, lo (masc), la (fém.). lô
(neutre); nui, voi, loi. lai: il y faut ajouter : yu (E.) = i^ous (de
polilesse), el oi ^ on. Tous ces pronoms se déclinent des deux
manières.
Les adjectifs possessifs sont : min, ten, Ion, lan: nain, voin. loin,
lain: yun. L'auteur assure qu'ils ne pourront jamais se conf«>ndn'
avec laccusalif des pronoms personnels, (jui a la nuMne forme.
Les pronoms possessifs sont les adjectifs possessifs augmentés
404 SECTION III, CHAPITRE XV
du suffixe -ig : minig, tenig, lonig, etc. On peut dire aussi : le min,
le ten, le Ion, etc.
Les pronoms démonstratifs et indéfinis sont : li, il, celui-ci ; el, ol,
celui-là; selb, même {ipse); idem, le même; alio, autre; jed (D.),
chaque; nullo, aucun; nemo, personne; nihil, rien; omne, tout, etc.
Les pronoms relatifs sont ke (m., f.), gui; ko (n.), que; et kel,
kela, kelo, quel, quelle.
Les pronoms interrogatifs sont caractérisés par l'initiale v : veke,
vekô, qui? quoi? vel, vêla, velô, quel? quelle?
De même les adverbes interrogatifs : vo, où? van, quand? vi,
comment? vare, pourquoi? correspondent aux corrélatifs : to, tan,
ti, tare, et aux relatifs : ko ou quo, quan, qui, quare (L.). De
même, tal correspond à quai, tam à quam, tanto à quanto, etc.
(comme en latin).
Les verbes ont pour terminaison, à l'infinitif, -ar, -er, -ir, ou -je.
Il faut la supprimer pour obtenir le radical verbal.
Les modes sont indiqués par des suffixes, les voix et les temps
par des préfixes (comme en Volapûk). Les personnes sont indiquées
parles pronoms attachés comme préfixes au radical verbal \ et
le nombre est marqué en outre par un -s final.
La voix active est marquée par le préfixe t; la voix passive, par
le préfixe sh.
Llndicatif n'a pas de suffixe. Le présent n'a pas de préfixe.
L'imparfait est marqué par le préfixe a ; le parfait, par ai ; le
plus-que-parfait, par aia; le futur par o; le futur antérieur, par oi.
D'autre part, le subjonctif est indiqué par le suffixe à (ou rà après
une voyelle). De sorte que les modes personnels de Tactif ont
les formes suivantes à la f*^ personne sing. (punir z= punir) :
Indicatif Subjonctif
Présent : mipun mipunâ
Imparfait : mitapun mitapunà
Parfait : mitaipun mitaipunà
Plus-que-parfait : mitaiapun mitaiapunâ
Futur : mitopun mitopunà
Futur antérieur : mitoipun mitoipunà
Les modes du passif ne diffèrent des précédents que par le
1. Toutefois, à la 3" personnel on peut supprimer le pronom, quand il fait
double emploi avec le sujet.
STEMI'FL : MYRANA 40S
' liniif^cinonl (lt> t imi sh : mishepun, J0 suit puni; mishapun.
mishaipun. etc.
1,'itnprntlifso forme on snriixnnl lo pronom, au lieu do Ip pré-
fixer . punte, punis; shepunte, sois puni.
\a' pdi'ticipe se forme en remplarant In terminniKon de rinlinilil
par In ilésiiienoe ing : puning. punissanl: tapuning, topaning. etr.
De nit^mc au pnssif : shepuning. shapuning. shopuning, ei<'. Iri
antre participe se forme par la désinence -ong : ponong, qui doit
<>n veut punir.
Le participe absolu se forme en remplaçant le rde Tinfinitif par
t : punit, amat. kredet. Il est le même à l'actif qu'au passif, et il
a les deux sens (1).
Les verbes seje, être ; veaje, exister; sheje, devenir; i9i\9, faire, et
hevje. avoir, ont nne autre conjugnison. qui consiste à remplacer
la voyelle e du radical pnr la voyelle cnraclérislique des divers
I -Mips. La conjugaison précédente revient, en somme, à préfixer
au ruilical des autres verbes les divers temps des auxiliaires
tedje et sheje :
(te), ta, tai, taia. to, toi;
she. sha. shai. shaia. sho, shoi '.
Les verbes réfltrhis se forment en intercnlant la syllabe se entre
le pronom et le verbe : mizebat, jV me bals.
Les verbes réciproques se forment en intercalant de mémo la
syllabe xo : noixobats, nous nous ballons (l'un l'autre : mixobat
kon lo, je me bals nrec lui.
La nèyation s'exprime par no ou non mis devant le mol i\ nier
le verbe, en général): Vinlerrountion s'exprime par In particufe
va mise devant le mot inlerrogatif, ou par l'enclititpu' ve mis
;>près.
Les adverbes dérivés prcïinenl en général la désinence -u. Leurs
legit^sde comparaison se forment i\ peu près comme ceux des
^uijectifs : bonu. boniu, bonissu. bonissimo.
L'adverbe trop devant un adjectif ou un adverbe se traduit
l»ar le suftixe uio, uiu : bonuio, trop bon: bonuia, trop bien
t. Nous simplifions IVxposé de la conjugaison en passant sous silence la
forme aorvtte (indiquant la durée de TnclionK mnrqu^e par les prolixe»
fe, fa, fai. faia. fo, foi ù l'actif, et shefe. shefa. shefai. etc.. au passif: les
modes conditionnel (-i), polenliel (-88), désiratif (-»h), dubitatif [-b), concessif
(-g), et une sorte de futur particulier n l'allemand (-ein). marqut^ par le»
suffixes mis entre parenthèses; enfin le gérondif elle supin.
406 SECTION m, CHAPITRE XV
Les adverbes primitifs sont généralement empruntés au latin.
Nous avons déjà vu la corrélation des adverbes interrogatifs,
relatifs et corrélatifs.
Les prépositions et les conjonctions sont aussi empruntées au
latin: quelques-unes au français (gras, maigre) et à d'autres
langues vivantes. Celles qui sont aussi adverbes ont la dési-
nence -u.
L'auteur prévoit une préposition indéterminée, ri, pour les
cas où l'on ne sait pas quelle préposition employer *.
Pour la syntaxe, il donne peu d'indications. Toutes les fois
qu'un verbe n'a qu'un complément, on met celui-ci à l'accusatif.
Quand un verbe a deux compléments, on met le plus direct à
l'accusatif et l'autre au datif.
L'accusatif sert encore à marriuer le lieu où l'on va, ou géné-
ralement le mouvement dans une direction. Hormis ce cas,
toutes les prépositions régissent le nominatif.
Le pronom réfléchi ze se met comme préfixe devant les pro-
noms personnels ou possessifs qui se rapportent au sujet de la
proposition, pour les distinguer des autres (comme sims en
latin).
L'auteur laisse la construction entièrement libre : il considère
comme impossible d'astreindre tous les peuples à une construc-
tion fixe et rigide ; c'est, dit-il, créer et chercher des difficultés. 11
faut que les flexions grammaticales indiquent suffisamment le
rôle de chaciue mot, quelle que soit sa place. C'est le meilleur
moyen d'éviter tous les idiotismes de syntaxe.
Vocabulaire.
L'auteur ne donne pas son vocabulaire, mais il annonce qu'il
contiendra 2/3 de mots romans et 1/3 de mots germaniques.
Pour la formation des mots, l'auteur ne donne que quelques
exemples (on a vu plus haut la dérivation du féminin) : amator
(fém. amatra), punitor, viator: artiste; kolumbari, colombier (de
kolumba); bulile, étable (de bul, bœuf); sutorina, cordonnerie (de
sutor) ; tabakier, tabatière; tabakeia, fabrique de tabac. Ston, pierre:
stonin, de pierre, en pierre; stonig, pierreux; stonlig, semblable à la
1. Comme V Espéranto, qu'il cite à ce sujet p. 109.
STEMPPL : MYRANA 407
pierre; stonoso, plein de pierre (comme : gaudioso, plein de Joie,
Joyeux). Exemples de contraires : inkontent, imprudent.
F.e suflixe -on est nupmentatif : lt« suffixe -el dimimilif: le suf-
lixe -fu jx^joralir.
Parmi les préfixes verbaux, on remarquera per idaiis peragrar.
perrumper, perkurje, perfluje) qui a un tout autre sens ijue dans
l<>s adjeilirs (où il marque le siq)erlalif absolu), si tant est qu'il
en ait un (comme dans perturbar, perverter, permitter).
I.e préfixe re- indique à la fois la répétition ^D. u;j>f/»T) et le
retour (I). zurnck).
Les mots comi>nsés se forment, comme en allemand, en juxtapo-
sant les racines, la principale en dernier lieu : voldelingna =
langue universelle.
Critique.
Ou ne «loil pas oublier, en jugeant le ^fyrana, que ce n'est qu'un
projet sans vocabulairç; son caractère hésitant et flottant
s'explique et se justifie, dans une certaine mesure, par Ma
modestie de son auteur. Peut-être, de peur de ressembler à Mgr
SciiLEYER, est-il tondté dans l'excès contraire: trop de latitude et
trop de tolérance. Il en résulte une grammaire compliquée el
peu homog«'»fie : l'auteur hésite entre le synthétisme el l'analy-
tisme, d'où ses deux ou même trois déclinaisons, et ses deux
formes pour les degrés de comparaison. Il se défie de la méthode
(I priori, et ne veut pas soumettre à des règles générales la forme
lies mots, ce qui l'oblige à ailmettre des variantes. Il reproche
au \olai)iil< d'employer des flexions arbitraires empruntées à
l'alphabet (a, e, i, o, a): mais il emploie, lui aussi, pour la con-
jugaison, des formes entièrement a priori, notamment des
préfixes qui rendent le radical verbal méconnaissable, ce qui
produit une conjugaison extrémemeid compliquée et ardue. De
niéme, dans le vocabulaire, qui est en principe <i posteriori, il
aihuet des formations a priori comme celles-ci (imitées du
\ohiptik) : isu, à présent: ezn, depuis un instant: asa. auintravant :
aiazu, ({ y a longtemps; oiu, ensuite; oiozu, plus lard. De même :
idag, aujourd'hui: edag. aujourd'hui fwur la première fois; adag.
hier: aiadag, avant-hier: odag, demain; oiodag, après-demain.
En somme, ce système, fondé sur des principes judicieux,
manque de simplicité, de régularité et de décision.
CHAPITRE XVI
J. STEMPFL : COMMUNIA ^
Le même auteur a réformé et simplifié son projet de langue
internationale pratique dans un second ouvrage, où il le nomme
Communia. Les principes sont toujours les mêmes. L'auteur ne
donne que la grammaire de sa langue, et adopte provisoirement
le vocabulaire latin, en faisant subir aux désinences des modifi-
cations légères et l'égulières. Mais, comme le vocabulaire latin
contient beaucoup de mots aujourd'hui inutiles, et manque de
termes concis et précis pour beaucoup d'idées modernes qu'il ne
peut rendre que par des périphrases, on devra l'enrichir de
mots empruntés aux langues vivantes; on formera donc un
vocabulaire éclectique dont le lexique latin sera la base, mais
qui comprendra des mots des diverses langues modernes, et
avant tout les mots internationaux. Le Communia ne sera donc pas
un simple néo-latin, mais une langue complète et autonome,
quoique dérivée du latin. Nous ne recommencerons pas en entier
l'exposé de la grammaire; nous signalerons seulement les points
où elle diffère de la grammaire du Myrana.
Grammaire.
Ualphabet comprend, en plus, 2 consonnes nouvelles : ph (/) et
zh {tch). A la règle de l'uniformité de prononciation, deux con-
sonnes font exception : c, qui se prononce ts devant e, i, a, 6;
et t, qui se prononce ts devant ia, io, iu. Il est vrai qu'on pourra
1. J. Stempfl : Communia oder internationale Verkehrssprache, 72 p.
in-10 (Kempten, Dobler, 1894).
STEMPFL : COMMUNIA 409
remplacer dans ces cas c et t par i, cl c par k dans les autres
cas (ce qui nhoutit A In suppression de c).
L'article défini rsl toujours le: Vnriicle ituUjïni est en, et il y a un
article partitif : dû (F.) : dû vin. dû pane.
pour les substantifs, l'auN'ur n'ndiucf plus qu'une diVlinaison,
ni»nlyfi(|u<' pour le g» iiilif c>t lo ilntif (marqués par les pnrli-
ciiles di cl ail. synthétique pour l'accusatif (marqué par la dési-
ufnce -n ou -en). On décline donc comme suit :
Sing. N. vir. honinu-. le kasa, la maison.
G. di vir di le kasa
D. ai vir ai le kasa
A. viren le kasan
Plur. N. vires le kasas
G. di vires di le kasas
D. ai vires ai le kasas
A. virens le kasans
Pour les dey r es (le comparaison, l'auteur admrt encore les tjeux
systèmes, le synlhéfique, avec -ior, -isso; et l'analytique, avec
plur et pluss. De même, pô (peu) n pour drprés : pôr <'t pôss.
Les noms de nombre sont : un. dui, tri. quadri. quini, sexi. sepli.
octi. noni, dezi: dezinn. 11: dezidui. 12: dezitri. 1.3:... dniges. JO;
triges, '^0: quadrages. quinquages. sexages. septages. octages.
nonages : centi. lOO: duicenti. tricenti. quadracenti. r\*\ i-omine
les dizaines): mille. 1000: milion.
Les nombres ordinaux sont : prim o . secund o\ trit o^, quarto^
quint(o}, sexto, septimo, octavo, nono, dezimo. Les autres se
forment en général en ajoutant -(i mo au nombre cardinal :
duigesimo, centimo. millimo ou centesimo. millesimoV
Los nombres nndtipUeatifs se forment an moyeu du sulTixe -es
(Ml ies : unies, duies, tries dezies. duigesies (ou dnigies)....
centies... millies...
Los nomf)res fractionnaires se forment au moyen du suffixe el
• >ii -tel : secundel on duitel, tritel. quartel. quintel... dezitel. dui-
gestel, centitel, millitel.
Les pronoms personnels sont, au nominatif: mi, tu, el(loi. ela, lô;
nui, voi, loi. lai. Le génitif et le datif sont marqués par di et ai.
Laocusatifest : me. te. elen, élan.... : nos. vos. los. las. Il y a aussi
un nous et un vous de cérémonie : Nois. Vois: accusatif : Noisen.
Voisen. On se dit on ou oi. Le pronom rèjlèchi est se.
Les adjectifs possessifs sont : min. ten. Ion. lan: noter, voter. Ior.
410 SECTION III, CHAPITRE XVI
lar. Son et san correspondent au pronom réfléchi ; noster et ves-
ter, à nois et vois.
La conjugaison est bien simplifiée '. Tous les infinitifs se ter-
minent en -re. L'indicatif présent est le radical verbal, qu'on
obtient en supprimant la terminaison -re de l'infinitif. L'impar-
fait se forme en y ajoutant -ra, le parfait, -va, le plus-que-parfait,
-vera, \e futur, -ro, \e futur antérieur, -vero.
Le subjonctif s'indiqne en infléchissant la voyelle finale de l'in-
dicatif, c'est-à-dire en changeant a en a et o en ô.
Le conditionnel se forme en ajoutant -riâ à l'indicatif (présent et
parfait ^).
L'impératif de la 2'' pers. sing. est semblable à l'indicatif pré-
sent : on y ajoute -te pour avoir la 2^ pers. plur.
Les infinitifs passé et futur se forment au moyen des terminai-
sons -vare et -rore (c'est-à-dire de la terminaison -re ajoutée à
l'indicatif correspondant).
Les participes présent, passé et futur dérivent des infinitifs cor-
respondants en changeant -re en -nt, sauf pour -ire qui donne
-ient.
Indicatif.
Présent : lauda, aude, crede, audi.
Imparfait : laudara, audera, credera, audira.
Parfait : laudava, audeva, credeva, audiva.
Plus -que-parfait : laudavera, audevera, credevera, audivera.
Futur : laudaro, audero, credero, audiro.
Futur antérieur : laudavero, audevero, credevero, audivero.
Subjonctif.
Présent : laudà, audâ, credà, audiâ.
Imparfait : laudarà, audera, credera, audira.
Futur : laudaro, audero, credero, audiro.
Conditionnel.
Présent : laudarià, auderiâ, crederià, audirià.
Passé : laudavarià, audevarià, credevarià, audivariâ.
1. L'auteur donne encore au pluriel des verbes la finale -s, mais elle est
facultative.
2. Ici encore l'auteur admet une désinence -rein pour traduire un mode
spécial à l'allemand {il doit, il devrait).
8tempfl : communia 411
Impératif.
2* pors. sing. . lauda. aude. crede, audi.
2« pcrs. phir. . laudate, audete. credete. audite.
Infinitik.
Présent : laudare. audere. credere, audire.
Passé : laudavere. audavere. credavere. audivere.
Futur : laudarore. audarore, credarore. audirore.
PAllTlt:il'K.
Présent : laudant, audent, credent, audient.
Passé : laudavant, audevant, credevant. audivant.
I-'utur : laudaront, auderont, crederont, audiront.
Le passif se forme en ajoutant un -r final à tous le»; feiup'< et
modes de l'actif :
laudar, laudarar. laudavar. laudaverar. laudaror. laudaveror :
laudàr. laudarar, etc.: laudariàr. laudavariàr, etc.
Seuls, les infinitifs passifs (h'rivrnf d<'s inlinilifs actifs en chan-
geant le linnl en i : laudari. laudavari. laadarori.
Les participes passifs sont :
Présent : laudandi. audendi. credendi. andiendi.
Passé : laudavandi, audevandi. credevandi. audivandi.
Futur : laudarondi. auderondi, crederondi. audirondi.
L'auteur admet en outre un participe absolu : laadat. audet.
credet. audit, «(iii ptiit <'fre employé à l'actif comme au passif:
mi hâve audit : mi es audit.
M admet en effet qu'on forme le passif au moyen de l'auxiliaire
esere, être. Il admet uuMne qu'on forme tous les temps de l'actif
nu moyen du lutMue auxiliaire, avec une nuance spéciale : mi es
edent = je suis en train de manger: mi es edevant := Je lùens de
manticr : mi es ederont ^= je vais manger.
Le vorlu' esere se conjugue régulit^n^nent, à part l'abn'viation
du radical ese en es au présent, et en se aux autres temps : sera.
seva. sero. sera, seriâ, etc.
Les l'friu'.-i réjlérliis se forment au moyen du préfixe te-; les
i'ert>es réciproques, au moyen du préfixe lo- ou «oi-.
Les verbes impersonnels ont la forme coiumune. avec «>u sans le
pronom neidre lô : plue, tona. niva: deze [il convient"^, lice li/ est
permis), accide [il arrive), lique [H est clair): me pœnite. Je me
repens, etc.
412 SECTION III, CHAPITRE XVI
Il n'y a pas de verbes déponents *. Ceux du latin prennent la
forme active : imitare, loquere, oblire ou oblivere, sequere, merere,
tuere, confitere; de môme, les verbes irréguliers prennent la
forme normale : volere, nolere.
L'interrogation s'exprime par le suffixe ou enclitique ve ; la néga-
tion par no mis devant le mot à nier.
Les particules sont presque toutes empruntées au latin. Les
adverbes dérivés se terminent souvent en -u. Les adverbes d'in-
terrogation commencent en général par v et sont empruntés à l'al-
lemand où construits logiquement : vi, comment? vare, pourquoi?
Les adverbes de temps ne sont plus construits a priori : heri, hier;
cras, demain; pridie, la veille; postridie, le lendemain. On remarque
une corrélation parmi les adverbes de lieu : inu, dedans: ini,
herein (D.); inun, hinein (D. : dedans, avec mouvement); deintu, rfe
dedans. De même : exu, exi, exun, deexu ; susu {en haut), infu {en
bas). Van {quand?) engendre devan {de quand?) et govan {jusqu'à
quand?).
Parmi les prépositions, seules ne sont pas latines da (I.) mar-
quant le point de départ, et go marquant le but du mouvement
{vers).
Les prépositions entrent en composition comme préfixes (ainsi
qu'en latin). Le préfixe in- a deux sens : dans, et la négation. De
même, le préfixe re- a les deux sens déjà notés.
Les conjonctions sont empruntées au latin, y compris l'enclitique
que {et), enim (qui suit toujours un mot), nisiet ni, cumavec tous
ses sens, quin {sans que) : el no poteva loquere quin fleva = il ne
pouvait pas parler sans pleurer. La seule qui ne soit pas latine est :
ke {que). Encore l'auteur semble t-il adopter la proposition infi-
nitive : mi credi, tu esere content =je crois que tu es content.
Les interjections mêmes sont latines, à moins qu'elles ne soient
grecques : apage {loin d'ici).
La syntaxe est sans doute la même que dans Myrana.
Vocabulaire.
La Jormation des mots est en général la même. Le suffixe -o
désigne le masculin, a le féminin, -e le neutre : bovo, bœuf: bova,
1 . Verbes à sens actif ou neutre et à forme passive.
8TEMPFL : COMMUNIA 413
inche. -à transforme un adjectif en un substantif abstrait : bono,
{le) bien; novô, (du) nouveau. Le suffixe -ach indique Vépouse de.
Les muts composés sont le plus souvent pris tout faits dnns los
langues naturelles : agrikel (L. agricola), cuUivateur.
L'nul»Mir doiuu* un petit vocabulaire qui fournit des exemples
«le la formation des mots. Les racines sont presque toutes
cmpruntt^es au latin. Exceptions : bam, arbre (E. beam), à côté de
arbor: jar, année, à côté de anno. Los noms d'arbres ont la drsi-
nence nuise, -o, et les noms de Irurs fruits n'en diffèrent qu«* par
la désinence féminine -a : fica, figue; lico, figuier '.
Les adj«*ctifs ont assez souvent les terminaisons -i, -al. -il, -in.
-os. On remarque un suflixe pernjanitpie : -arti {artig D.i. de
l'espèce de — , semblable à — .
Les (h'rivalions suivent l'cxomplf du latin, dans toutes ses
irn'gularift's : faber, fabrik: pater, patri (paternel), patria : nome
ou nomen. nominare: canere ou cantare. cantor; scribere. scriptor
ou scribo: pingere, pictor: tegere. tect {loUy. respondere. respons:
agere. act : errare. error; ridere, risu; vivere, vita; mentire,
mendaz (r/ie/iso/i(/c); miscere, mixtur; torquere. tormento: solvere.
soluz (paiement). Certaines sont mt'mc plus irr«''gulii*res (pirn
laliii i\ cause d'une d«''formation germanique : nebel. nebulos;
insel. insulan.
Daulrcs sont arbitraires : studiu {étude), studio {étudiant : oper-
cule [opuscule); salire {saler, et non salir ou sauter); navabl (navi-
(fable) ne vient pas de navare (s'occuper de).
L'auteur s'est efforcé d'éviter les bomonymies des radicaux
lafins; il y a parfois réussi : mensa {table), mense (mois), mente
{espril) ; auro {or), aura {souffie , aura {oreille); fnrara (voter), furire
(être en fureur) ; sedare {calmer], sedere (être assis).
D'autres fois, il a été moins heureux : manu {main^, manu [le
malin, adv.); post (poste), post (après); querere {cherchera pourrait
venir du verbe déponent queror (se plaindre). Aussi bésile-t-il
• (uelquefois entre deux radicaux : iter et itiner, sciere et sapere.
computare et contare.
Lulin il admet sans difficulté qu'une mémo idée puisse se tra-
duire par plusieurs mots, et, ce qui est plus grave, qu'un même
mot (une préposition par exemple) puisse avoir plusieurs sens.
1. (Test juste l'inverse de la règle adoptée par J. Lott et d'autres (à l'imi-
tation du latin).
414 SECTION III, CHAPITRE XVI
Il compte sur le contexte pour distinguer ceux-ci, comme dans
toutes les langues naturelles.
Critique.
On voit par ces dernières remarques que l'auteur pousse à
l'extrême la méthode a posteriori : il a un respect excessif pour
les anomalies des langues naturelles, et n'ose pas imposer
à leurs racines une régularité absolue, de peur de tomber
dans l'artificiel et l'arbitraire du Volapiik. Aussi ses dérivations
n'offrent-ellcs aucune luiiformité, et ne peuvent être apprises
que par l'usage, comme en latin et dans les langues vivantes, ce
qui rend la langue plus difficile et surcharge inutilement la
mémoire. C'est le principal défaut du vocabulaire. Quant à la
grammaire, elle est bien plus analytique et plus simple que
celle du Myrana, surtout dans la conjugaison, entièrement ins-
pirée du latin. L'auteur a heureusement renoncé aux préfixes
arbitraires du Volapiik, et exprimé toutes les flexions par des
suffixes harmonieux et suggestifs. Pourtant, là encore, il flotte
entre le synthétisme et l'analytisme : à côté ou au lieu de sa
conjugaison systématique, il admet des auxiliaires. Peut-être
aussi crée-t-il trop de formes : par exemple, le participe absolu est
évidemment superflu. Il est vrai qu'il prévoit l'objection, et y
répond en conseillant de négliger les formes qu'on trouvera inu-
tiles. Quoi qu'il en soit, ce projet est entaché, comme le précé-
dent, d'une indécision regrettable, quoique fort respectable : car
elle provient de l'excès de conscience de l'auteur. Il faut recon-
naître à son honneur qu'il a donné un rare exemple de modestie
et de conscience en entreprenant lui-même la réforme et la
refonte de son premier système ; et que, si le second n'est pas
encore parfait, il marque un progrès notable sur le premier, et
a fortiori sur le Volapiik. Enfin, on doit lui savoir gré d'avoir
appelé de ses vœux l'institution d'une Académie de langue interna-
tionale pour perfectionner, développer et fixer dans tous ses
détails le projet qui aurait été choisi.
CHAPITRE XVII
D' ROSA : \0V LATIN '
Lr i\'ov Latin du D"" DvNiELE RosA procède do la nuMno idro f|uc
la Liiujua tl«« Henderson, d<»iit l'auteur sVsl inspin'*, «'l à laciucllo
il compare son projet. Le D' Rosa écarte d'abord les deux solu-
tions <|ui consistent i\ adopter une langue vivante ou une langue
morte telle quelle, et opte pour la création dune langue non-
\t'lle. Mais, pour que cette langue nouvelle puisse être adoptée
el universellement employée, il faut qu'on n'ait pour ainsi dire
pas la peine de l'apprendre : • 1° Klle doit pouvoir tMre lue par
tous les savants sans préparation, ou seulement après la lecture
de quelques lignes d'explicati«m préliminaire; 2" elle doit pou-
voir être écrite sans dil'liculté après la lecture de quel<iues pages
il'explication, et sans avoir besoin d'un nouveau dictionnaire ».
Tel est le programme que le \ov Latin se propose de remplir,
il qu'il remplit effectivement. Comme l'indiiiue son titre, c'est
une langue artificielle qui a pour base le vocabulaire latin.
Grammaire.
I/al|tlinl)et est naturellement l'alphabet latin, sans l'y : synlnre
--Vcrit sintax. La prononciation est la prononciation latine.
On est tenté de demander : Quelle prononciation latine? car il
I. Le S'ov Latin, international identifie lingua super nalural bases, par
le D' Daniele Rosa, direclour du Musée zoologique de Turin (aujourd'hui
directeur de l'Institut 7!oologi(|ue de l'Université de Mmléne). Extrait du
Bolletfino dei Musei di Zoologia ed Analomia coiuparata delln H. (Jiiicer-
sita di Torino, vol. V, n° 80, l.") octobre !8".K) (Torino, Carlo ClausenK Cel
opuscule (10 p. 8") est entièrement rédigé (sauf une note préliminaire
de 14 lignes) en Sov Latin même, ce qui prouve que celle langue esl In"*»
fooile il lire... quand on sait le latin.
416 SECTION III, CHAPITRE XVII
y en a autant que de peuples qui parlent latin. L'auteur répon-
drait sans doute : « La prononciation italienne. » L'accent des
mots latins serait conservé (ce qui implique que chacun doit
savoir l'accentuation latine).
11 y a un article défini :1e (sing.), les (plur.); et un article indéfini:
un (sing. seulement).
Les substantifs et les adjectifs ne se déclinent pas (ils sont
réduits à leurs radicaux). Les cas sont remplacés par des prépo-
sitions (de, ad, etc.).
Le genre est naturel, ou plutôt, il n'y a de genre féminin
que pour les personnes et les animaux du sexe féminin. Il
n'affecte que les substantifs et les adjectifs substantifîés.
Le pluriel est indiqué par la terminaison -s ou -es (suivant des
règles d'euphonie). Il n'affecte les adjectifs que lorsqu'ils ne
sont pas joints à un substantif.
Les degrés de comparaison seront indiqués, soit comme en latin,
soit par des particules (plus, mult, vere, etc.).
Les nombres cardinaux sont les latins abrégés et régularisés :
un, du, tre, quat, quinq, sex, sept, oct, nov, dec; dec-un, dec-
du,... vigint; trigint; quadragint;... cent;... mill...; unmillion...
Les nombres ordinaux se forment régulièrement en ajoutant au
nombre cardinal la terminaison -esim : duesim, treesim, etc.
Toutefois, on conserve : prim, secund, terti,...
On conserve de môme les premiers multiplicatifs : semel, bis,
ter, et on forme les autres avec le substantif vices ou tempors
(fois) : très vices, quat tempors *.
On supprime les distributifs latins, pourtant si commodes [bini,
terni...)
Les pronoms personnels sont : me, te, il (masc), ila (fém.); nos,
vos, ils (m.), ilas (f.), auxquels on ajoute hom (on). Le pronom
réfléchi est se (sing. et plur.). Ils sont tous indéclinables.
Les adjectifs-pronoms possessifs sont : mei, tui, sui; nostr, vestr, lor.
Les autres pronoms sont les pronoms latins réduits à leur
radical ou abrégés suivant les règles générales : ist, il, id, alter.
qui, aliq, quicunq, quidam, omn, null, nihil; tal, quai; tant, quant;
ips, medesim ^. Ces pronoms prennent -a au féminin quand ils
ne sont pas joints à un substantif, et -s ou -es au pluriel.
1. Ce qui pourrait signifier aussi : « les Quatre-Temps ».
2. Italien, au lieu de idem, latin.
d' nosA : Nov latin 417
Les verbes ont r»Viyî/u7i/teriniiu^ on ar. er, ir;
Vimparfait aba. eba. iba;
\o participe présent... ant. ent, ient;
\c participe passé a, e. i.
L'indicatif osl Koiublubli* ù rinliiiitir.
Le futur se forme nu moyen du prtWixo vol; Ir cvmiitmnnft,
au nioyon tlu piélixe veU. Il n'y a pas de subjonctif, ni iVimpémtif.
Les temps passés se forment au moyen de l'auxiliaire haber
^iiivi (lu participe passé. Le verbe ne varie pas suivant la per-
Lxemple tle conju^'aison :
me amar =faime.
me amaba =j aimais.
me haber ama ^= j'ai aimé.
me habeba ama ^= j'avais aimé.
me vol amar = j'aimerai.
me vol haber ama =: j'aurai aimé.
me vell amar =: jami^raw.
me vell haber ama = j'aurais aimé.
amant = aimant.
habent ama = ayant aimé.
Lé passif »e forme en conjuguant le verbe »têT (être) el en lui
ajoutant le participe passé ama [aimé).
Les adverlies. prépositions, conjonctions et interjections sont
finpruntés littéralement au latin. Seulement, ou lieu des adverbes
latins dérivés d'adjectifs ou de participes, on peut employer les
adjectifs ou participes correspondants du Aoe Latin. ^)uant aux
prépositions ', on restreindra leur signification au sens le plus
usuel : in = dans: ob = à cause de, etc.
Pour la syntaxe, l'auteur n'édicte aucune règle spéciale. Il
permet de suivre la syntaxe de n'importe quelle langue nuuane
ou germanii|ue *, pourvu qu'on observe les préceplf«< suivants :
1" Suivre l'ordre le plus logique ;
2° Kviter les idiotismes et les expressions métaphoriques qui
ne sont pas univerecllement intelligibles;
3° Supprimer tous les mots ou particules qui ne sont pas
ai)solument nécessaires à la compréhension.
1 . Kt sans doute aus^i aux conjonctions.
2. Séo-laline ou anfflo-snronne, selon 80» expressions un peu éi|uivoque9.
• "oiTi HAT et Lbac. — I.anguo univ.
418 SECTION HT, CHAPITRE XVîI
Les règles d'accord ont été énoncées plus haut; les règles de
régime sont passées sous silence. Elles seraient sans doute les
mômes qu'en latin, sauf les simplifications considérables pro-
duites par la suppression des cas et de certains modes {sub-
jonctif).
La composition des mots se fait comme en allemand et en
anglais. Ex. : vapor-machina, dulc-aqua-pisces.
Pour la dérivation, on ne donne pas d'autre indication que
celle-ci : les verbes nouveaux auront la terminaison -ar, ce qui
revient à dire que c'est elle qui servira à dériver les verbes.
Ex. : telegraphar, telephonar, microscopar.
Vocabulaire.
Il est inutile d'établir un dictionnaire nov latin (on a vu que
c'est une des conditions essentielles de cette langue). Il suffit
d'énoncer les principes généraux suivant lesquels on compo-
sera le vocabulaire.
Celui-ci comprendra premièrement tous les mots latins, y com-
pris les termes scientifiques, scolastiques, juridiques, etc.,
réduits à leurs radicaux conformément aux règles suivantes :
Pour les substantifs et les adjectifs, on prend le génitif singulier
en supprimant la désinence e, i, is, us. Ex. : tabula{e), puer{i),
corpor{is), fruct(us), dieii).
Pour les verbes, on obtient l'infinitif en supprimant Ye final de
l'infinitif latin des verbes réguliers actifs, d'où leur terminaison
-ar, -er, -ir.
Pour les verbes déponents, on détermine leur infinitif comme
s'ils avaient la forme active, c'est-à-dire en supprimant la dési-
nence -is de la 2^ personne du singulier de l'indicatif présent.
Ex. : hortar, pollicer, uter, morir K
Pour les verbes irréguliers, on détermine leur infinitif d'après
leur imparfait (en le supposant régulièrement formé). Ex. :
voler, voleba {velle, volebam); ferer, fereba [ferre, ferebani). De
même, les défectifs odisse, meminisse deviennent oder, meminer.
Le verbe esse, trop irrégulier, est remplacé par le verbe stare,
1. Le verbe videri (qui se confondrait avec vidcve) est remplacé par
apparere, qui devient apparer.
d' nosA : Nov latin 410
i|iii (loimc star '. Knfui le verbe posse devicnl poter imparfait :
poteba) lueii (|uc son iniparfail &oil pote mm *.
A ces rndicnux latins on adjoindra, à leur défaut ' et ù mesure
des besoins :
l" Des mots non latins dérivés du latin ou du grec. On les
ramriKMTi i\ In forme ([u'ils devraient avoir en latin, el on les
transformera suivant les règles précédentes.
2° Des mots internationaux, latins ou non, qui ont dans toutes les
laiitfues la môme orthographe. On les adoptera avec celte ortho-
graphe.
3° Des mots internationaux non dérivés du latin ou du grec, et
([iii ont diverses formes dans les différenles langues. On les
hanslormera en les réduisant à la forme la plus simple (et pro-
i)ableu)ent la plus conforme à la grammaire du A'ov Latin).
On devra toujours choisir, dansées trois catégories, les mots
Irx plus internationaux. In mot est international, selon l'auteur.
<|iiand il se trouve à la fois dans une langue romane et dans une
langue germanique au moins.
\'oici, i» liln' (récliaiitillon du Nov Latin, le dernier paragraphe
(le la brochure du I)"" Bosa :
Al) LES I.ECT0RES.
Le noT latin non requirer pro le sui adoption aliq congress. Omnes
poter. cum les prœcedent régulas, scriber statim ist lingua, etiam.
si ils voler, cum parv individual modificationes: ils deber solum
anteponer ad le lor opuscul an parv prasliminari explication sicut
il qui star in le prim pagina de ist nota. Sic facient ils vol valide
cooperar ad le universal adoption de ist international lingua. et
simul ils vol poter star legé ab un mult major numer de doctes
quam si ils haber scribe in quilibet alter vivent lingua.
CniTlolE.
Il n'est pas besoin de critiquer longuement ce projet très som-
maire, qui est plutôt une simple suggestion ou une esquisse
1. .Vnniojrueà l'espagnol eslar.
2. Et non pas poleham, suivant un lapsus de l'auteur.
3. L'auteur dit mùmo : « ou s'ils sont trop peu connus ». ce qui laisse une
marge presque indéfinie.
420 SECTION 111, CHAPITRE XVII
théorique. Son principal défaut est de supposer chez l'adepte
une certaine connaissance de la grammaire latine : et alors, dira-
t-on, pourquoi ne pas employer le latin? L'auteur croit pouvoir
se dispenser d'élaborer un vocabulaire, et employer simplement
le dictionnaire latin. Mais en même temps il admet la nécessité
d'adopter des mots internationaux, même non dérivés du latin.
Qui choisira ces mots internationaux? Si c'est l'adepte, il faudra
donc qu'il soit polyglotte; mais alors il n'aura plus besoin d'une
L. I. 11 faut donc que ce soit une autorité quelconque, qui pro-
mulgue un vocabulaire international. On aboutit ainsi forcément
à cette double conclusion, que l'auteur n'a peut-être pas prévue :
1" La langue internationale ne peut se passer de dictionnaire:
2» Même quand on prend pour base du lexique le vocabulaire
latin, on est obligé de lui adjoindre des mots internationaux.
Dès lors, pourciuoi ne pas prendre pour principe l'internationa-
lité, sans s'inquiéter de la latinité?
CHAPITRE XVIII
JULIUS LOTT : MVNDOLINGVE^
M. Juliiis I.oTT, aiicion oflicior d'artillerie, chef de gare à la
IS'onlbalin de W'ien, fut dabord un adepte du Volapûk et son pro-
pagateur en Autriche. Mais il était avant tout un partisan de l'idée
d une langue intertmtioiiale. «'t il n'était partisan du lo/rt/xiA- que
parce que celui-ci était la première réalisation pratique de cette
idée. Or il s'aperçut bientôt que cette réalisation était loin
d'être la plus parfaite, là plus simple et la plus naturelle, et il
se mit à chercher la meilleure solution du problème, qu'il for-
mulait en ces termes : « Trouver un moyen de communication
lacile et sur entre tous les hommes instruits de la terre* ». Il
fiait inutile de tenir compte (comme l'inventeur du \otapuk de
tous les peuples de la terre ; il fallait penser avant tout aux peu-
ples de civilisation européenne, et plus spécialement aux peuples
tic l'Europe occidentale. Or la source de la civilisation euro-
péenne est la civilisation romaine, et la base commune des lan-
gues civilisées (KuUursprachen) t^si le latin. C'est le vocabulaire
i. I. Is( \'olapùk die Leste und einfachste Lôsung des Weitsprache-Pro-
blems? 32 p. 8" (Wion, 1888); — H. Eine Comp)'omiss-Sprache att betle
und einfachste Lijsung des Weltsprache-I'roblems, 32 p. 8' (Wien, 1889); —
m. Un linffua internazional : Grammatika et vokabular pro angleses.
germanes, romanes, et pro kullivales de tut tnond, xlvi -j- 298 p. 16*
(Vienn, 1800); — IV. Grammatik der Weltsprache « Mondolingue » heraus-
gegebon von der internationalen NVellsprache-GeselIschnlt. Deutsche .Vuspnlio,
35 p. 8" (Leipzig, s. d.); — V. in lingue international pro le cultivât
nations de tôt mund : Grammatic, dialogs, letters et vocabular composit
in anglian, frances, german, italian et universat lingue pro le firactic
application durant le exposition universal in Paris 1900, xviu -f- 138 p. 16*
CV'ionna, 189U). — Voir aussi Le Kosmopolit, Gazette pro l amikes de un
langue universal. Publikat de l international société del mondolingue (Lipsia,
1 S',l2-93).
2. Sous-tilre de II.
I
422 SECTION III, CHAPITRE XVIH
latin qui est le trait d'union entre ces langues, et leur élément
international. C'est donc lui qui doit fournir les matériaux de la
langue internationale. L'auteur n'est nullement un partisan sys-
tématique du latin (ou du néo-latin); s'il préfère les radicaux
latins, c'est parce qu'ils sont les plus internationaux, et par suite
les plus neutres. Ils sont connus de tout homme instruit de
n'importe quelle nation civilisée. Ils sont d'ailleurs beaucoup
plus nombreux qu'on ne croit, même en allemand * ; l'auteur
évalue leur nombre à 10 000, et ce nombre va sans cesse en
augmentant (malgré la guerre que certains pays font aux mots
étrangers), parce que ces mots proviennent de néologismes
scientifiques et techniques, ou même de la culture gréco-latine
que reçoivent tous les hommes instruits. L'auteur adoptera donc
les mots latins communs aux langues modernes, et spécialement
à l'allemand, à l'anglais et au français, en les rapprochant autant
que possible de la forme qu'ils ont en italien, parce que c'est la
plus facile à prononcer et la plus harmonieuse ^. Mais, son des-
sein étant plutôt pratique que théorique, il ne se soucie pas de
ressusciter les mots latins tombés en désuétude (eque.s, cavalier ^;
sinus^ golfe) '\ En revanche, il ne se fait pas scrupule de leur
adjoindre des mots internationaux qui n'appartiennent pas au
latin (cap. opéra) ou même qui n'en viennent pas {télégraphe, vagon).
Ce qui accroît le nombre des racines internationales, c'est le
fait que souvent, dans une famille de mots (substantif, adjectif,
verbe, ayant la même racine logique), l'un d'eux est beaucoup
plus international que les autres : ainsi les adjectifs oval, nasal,
labial, sont internationaux, beaucoup plus que les substantifs
correspondants : on adoptera donc les racines qu'ils contiennent :
ove pour Ei, egg, œuf;
nase — Nase, nose, nez;
labié — Lippe, lip, lèvre;
et les adjectifs précités fourniront le moyen de se les rappeler.
De même, un Allemand ou un Anglais peut ignorer que hand se
1. Non seulement les mots d'origine scientifique, mais beaucoup de mots
d'origine populaire et nationale ont des racines latines, comme : Sack,
Fest, Fenster, Form, Fieber (fièvre), Nuss (noix), Kôrper, Wind (vent), Wein
(vin), wahr (vrai), neu (nouveau); parfois avec une légère altération,
comme : Pfahl (pal), Pflanze (plante), Pforte fporte), Harfe (harpe), etc.
2. I, p. 10.
3. Pourtant il admet equitation.
4. IV, p. 3.
JULIU8 LOTT : MUNDOLINGUE 423
(lit inantis ou latin: mais il connaît le mot manuscripl. qui lui
appit'iidra fi la lois la racini' mnnn vl In rarino gcrib (idonlifiuc
(lailk'iirs ù celle de schreiben). Kt ainsi de suite.
Pour M. LoTT, la question du vocabulaire prime toutes les
aiilrcs : ce n'est (ju'uiie fois le vocahulaire c«Mistifu«' qu'on pourra
iixt r l'alphabi'l. la prononciation, la grammaire et la syntaxe; car
tout doit ^trc subordonné au but essentiel, qui est d'obtenir le
niaxiniuni (rinternalionalité, non seulement pour los nxiicaux,
mais encore pour h's llcxions gramnmticales et les ariixrs de
dérivation. En outre, on devra rechercher l'unirormité graphique
plutôt que l'unirormité nhonéliime : d'abord, parce que l'ortlio-
t,M';qtl»c (les mots est plus internationale (jue leur prononciation ' ;
(Misuite. parce que la langue internationale est naturellement
destinée à être beaucoup plus écrite «|ue parlée. En un mol, le
principe de l'auteur est celui-ci : « rtilis(>r tout ce i\\ù est géné-
ralement connu ».
•M. LoTT ne prétend pas du reste conslruire à lui seul r{ «le mui
autorité privée la langue internationale; il aiuje à répéter (jnelle
ne doit pas être inventée, qu'elle existe, et qu'il n'y a qu'ù la
dégager et A la régidariser. Il invite tous les savants de bonne
volonté à collab<»rer f» celte œuvre, et a fondé pour cela la
Société internalionale funir la langue universelle. Il se borne à pro-
poser telles ou telles régies ; il laisse souvent le choix entiv
plusieurs alternatives; bref, il présente son système comme un
essai et comme i>rovisoire. .\tissi celui-ci n-til changé avec le
temps sur certains points. Nous allons exposer le projet de 1899
(d'après V), c'est-à-dire le dernier, celui que l'auteur considère
probablement comme le meilleur, sinon comme définitif.
Grammaire.
L'alphabet est naturellement l'alphabet latin (sans y). La pro-
nonciation est la prononciation du latin, telle que la pratiquent
les Allemands : l'u se prononce on; le v est doux; le g toujours
dur; le j a le son allemand (comme notre y dans yeux); le s a le
I. « L'ortliograplie des roots internntionaux est fc peu près In même d«n!«
toutes les Inngues cullivées », tandis que « In prononcinlion vnric suivant
lo3 nations: il s'ensuit qu'il Tant conserver l'ortliograplic et simpliller la
prononciation le plus possible. » (III, p. xxi.)
424 SECTION III, CHAPITRE XVIII
son français. L'h est toujours douce ; l'e peut être muet, ou plutôt
atone, à la fin des mots. Reste la lettre c : on pourrait la rem-
placer par k pour rendre la prononciation uniforme ; mais l'au-
teur préfère conserver Torthographe internationale et donner à
c deux sons distincts : le son k devant a, o, u; et un son chuin-
tant ou sibilant [tch ou ts) devant e et i. Le t devant i suivi d'une
voyelle prend le son ts : nation se prononcera comme en allemand
(cf. nazione I., nacion S.). Enfin ch se prononcera comme k, et sh
comme le ch français {sh E., sch D.) K
Pour la même raison, l'auteur croit devoir conserver les lettres
doubles, au moins provisoirement. Il n'admet pas de diphton-
gues : ai, au se prononcent a-i, a ou. L'auteur conserve Vaccent latin
à sa place. Par suite, Vaccent serait sur la dernière syllabe du
radical (abstraction faite .de certaines désinences atones, comme
-er), ou sur la voyelle qui précède la dernière consonne du mot.
Ex. : cristal, amàr, pàter, litter, lingue.
L'ar/icie défini est le, invariable en genre et en nombre -. L'ar-
ticle indéfini est un, au singulier seulement, pour tous les genres.
Le substantif se termine en général par une consonne ; on
lui ajoute alors la désinence -o pour marcj[uer le masculin,
-a pour le féminin, et -e pour le neutre. Ex. : kaval, cheval;
kavalo, étalon; ka.yala, jument. Hom, homme (L. homo); homo, fiomme
(L. vir); homa, femme.
Mais l'auteur ne voit pas d'inconvénient à ce cjue des substan-
tifs qui n'ont pas de genre naturel se terminent en -o ou en -a
(il préfère cependant la désinence neutre -e); ni à ce que des
substantifs qui ont un genre se terminent par une consonne ou
par -e : pater, mater, ou pâtre, matre.
Il admet une autre désinence féminine -ess pour certains noms
de personnes : duc, duc; duchess, duchesse.
Il emploie la désinence féminine -a pour dériver le nom d'un
arbre du nom de son fruit : fig, figue ; figa, figuier.
Le pluriel se forme en ajoutant -s, ou -es quand l'euphonie
l'exige : patres, duchesses.
La déclinaison est remplacée par les prépositions de (génitif) et
a (datif). Les prépositions se combinent avec l'article singulier
1. Dans Suplent folie, l'auteur propose d'adopter une lettre simple,
par ex. s, pour représenter le son simple ch (comme en Espéranto).
2. L'auteur avait d'abord admis 3 formes pour l'article : le, la, les (III,
p. xxiii et xxxv).
JULIUS LOTT : ML'NDOLINGte 425
(I foiiiiriit loH particules del. al. Kit somme, tout se passo comme
si l'art i('l<> s(> driliiinit. I/ncritsntir est semblable au nominatif
ils se disliii^ueruiit pur leur place relative;.
l.'adjeciif se termine par une consonne ou par -i il -• met
entre rarlicle et l«« substantif avant celui-ci) et est invariable
connue épith^te. 11 ne prend le phiriel (-8 ou -esi f|ue lorsqu'il
I st isolé, ou quand il se rapporte à p/uaj>urs substantifs et qu'il y
aurait licti à ('-(luivoiiiie : ainsi l'on dira : le matar pomes, mais :
le matures pomes et pires.
Les degrés de comparaison s'expriment analytiquement, comme
en français : le comparatif par plu s ; le superlatif relatif par le
pluisi; le superlatif absolu pai- tre. ou bien (syntbétiquement)
par la terminaison -issimi. K\. : un tre ait arbor; carissimi
amiko '.
I.( N noms de nombre cardinaux sont : an, du. tri. quar. qain,
sex. sept, oct, nove, dece; deceun. decedu.. .: vige. 20; trige, 30;
quadrage, 40;.... nonage. vo; cente, luO: ducente, 200:... mille....;
million *.
Los adjectifs iiumrraux ordinaux sont : primo -a . secund. tercie,
quart, quint, sext. septim, octave, non. décime: deceprime. il'^:
vigesime. 20' : trigesime, 30«;.... centesime, loo' ; millésime. 1000».
Connue on le voit, ils se forment r«'gulièreni«'nt, à partir de 20,
(Il ajoutant -aime au nombre cardinal : et c'est sans doute la
forme des nombres ordinaux latins qui a déterminé la forme
;i(|opféf pour les nombres cardinaux'.
Les adverbes numéraux ordinaux dérivent des adjectifs ordinaux
au moyen de la désinence (adverbiale) -a : prima, secundo,
terciu. etc.
I.ts adjectifs multiplicatifs sont : simpl. dapl. tripl, qaadrapl,...
nonupl. decupl; les suivants dérivent des nombres cardinaux par
la substitution du suffixe -api à l'e final.
L(^s adjectifs partitifs sont : dimidie ou dimi, moitié; puis : tercie,
quart, quint,... c'est-à-dire les adjectifs ordinaux
Les adverbes itératifs (nombres de fois) sont : unien. biien. trien,
I. I.e qu*! qui suit le comparatit se traduit par qua.
-'. Lt> systi'ino de numération e.xposé dans IV était plus ri'trulior : dudece.
'. tridece. ;J0; quardece. 40, etc. Dans III, on trouve : duente, triente,
quarante, etc., et dans II : duges, triges, quarges. et<-.
:<. Les nombres ordinaux étaient dans IV : dudecimo. tridecimo. etc. ;
dans III : duentesimo. trientesimo. etc. : et dans II : dugeiio, trigetto, etc.
426 SECTION III, CHAPITRE XVIII
quadrien, quinquien, . . . novien, decien. . . . vigien, trigien, . . . centien, . . .
millien '.
Les nombres distribiilifs s'indiquent parla préposition a, répétée
ou non avec le nombre : a du a du, deux à deux: a tri, par trois.
. Les pronoms personnels sont, au nominatif :
1" p.
2«p.
3' p. m.
3"^ p. f.
3« p. n
Sing.
mi
tu
elo
ela
ele
Plur.
noi
voi
elos
elas
eles
et à Taccusatif :
Sing.
me
te
lo
la
le
Plur.
nos
vos
les
las
les
L'accusatif sert à former les autres cas obliques, avec diverses
prépositions. A ces pronoms il faut ajouter le pronom de poli-
tesse vo (sing.), vos (plur.); le pronom impersonnel el, et le
pronom indéfini on = on.
Les adjectifs-pronoms possessifs correspondants sont :
mei tel sei )
. } pour les 3 genres.
nostn vostri lostn )
Les pronoms démonstratifs sont : ist, celui-ci, et il, celui-là. Ils
prennent les désinences -o, -a suivant le genre.
Les pronoms relatifs-interrogatifs sont qui (m., f.), que (n.); quelo,
quel; quai, quelle espèce de...
Il y a une corrélation de forme entre les particules relatives-
interrogatives et leurs antécédents ; ex. :
tal...
quai....
tel...
que...
; quel?
tant. . .
quant...,
autant. . .
que...
; combien?
ta...
qua....
ainsi...
que...
; comment?
to...
quo...,
là...
où... ;
où?
tand...
quand,...
alors...
que...
; quand?
Les particules interrogalives en engendrent d'autres dont le
sens est déterminé uniformément par des préfixes réguliers.
Exemple :
Sens : particulier, universel, indéterminé, négatif,
alquo toquo aiquo nequo
quelque part partout n'importe où nulle part
alquand toquand aiquand nequand
une fois toujours n'importe quand jamais
1. Ils étaient, dans II et III : unem, duem...; et dans IV : unfoa,
dufoa... (F. fois).
r
JULIUg LOTT : MUNDOLINGUE 427
et ainsi de suite '. On forme de même les pronoms indélinis :
alqui, (/(«'/(/(i'(//i ; alque. quelque clio$e; aiqni, n'importe qui, alan,
f/(/f/«/ji«': neun, antun, l'tc.
D'autres pronoms indéfinis n'ont aucune forme Hy8t«'mali<|ue et
sont siniplcniont empruntés nu Intin : uno, tin; aAiro, autre; omno,
cliaqnc ipl. luus) ; nemo, personne; nihil. rien; ips, id, même; le ipso,
le ido, le même *.
Los verbes se teniiiiifiil Ions à rinlinilif par -r (-ar, -er, -irr, lU
■«ont invariables en personne et en nombre, et se conjuguent sur
le paradigme suivant :
Intinitif : amar = aimer.
Indicatif présent : imi) ama = j'aime.
— impart'.: imii amave = jViimnw.
— parlait : «mi) ha amat ^=j'ai aimé.
— p.-que-p. : (mi) hâve amat = j'avais aimé.
— futur : (mi) amaré = f aimerai.
— futur ant. : (mi haré amat = j'aurai aimé.
Conditionnel présent : (mi amaréi = j'aimerais.
— passé: (mi haréiamat = /Vi"rMisrtjm<?.
Impératif : ama tu vo, «te ) = aime, aimez.
Participe présent : amant = aimant.
— passif : amat = aimé.
Le passif se forme nu moyen de l'auxiliaire easer {être) et du
participe passif.
La lonualion des participes diffère un peu dans les verbes
dont l'inlinitif est en -er ou -ir. Les verbes en -er ont leurs par-
ticipes en -ent et-it; les verbes en-ir, en -ient et it. Ex. : vender.
vendent, vendit; audir, audient. audit.
« Le supin » (^latin) « est employé comme participe passé et est
marqué dans le dictionnaire ; ex. : scriber. script » '.
Les deux verbes auxiliaires esser et har (neoirtse conjuguent
régulièrement. Lx. : mi ha essit amat ^=j'ai été aimé ♦.
La négation est toujours ne; elle porte sur le mol qui suit
immédiatement. Ex. : mi ne puni tu. je ne te punis ihis; ne mi
1. Cf. le tableau des particules de l'Esi^ranlo (p. :K)9).
2. Il est fAchcu.x de confondre ainsi les sens bien distincts des pronoms
latins ipse et idem.
3. V, p. 24.
4. Telle est la conjugaison adoptée dans V. Mais Tautour a beaucoup
varié sur ce point, et a donné successivement dans II. 111 et IV divers para-
digmes, plus compliqués, qu'il nous semble inutile de reproduire ici.
428 SECTION III, CHAPITRE XVIII
puni tu, ce n'est pas moi qui te punis; mi puni ne tu, ce n'est pas toi
que je punis. L'affirmation s'exprime par jes (E.).
L'interrogation s'exprime en mettant le sujet après le verbe, à
moins que la propositionne contienne un mot interrogatif, qu'on
place alors le premier. Ex. : que di vo? que dites-vous? Ha vo
audit? avez-vous entendu? Esse le supéparat? Le souper est-il prêt?
Les particules primitives sont empruntées au latin, à l'italien
ou au français : hestern, hier; doman, demain; eti, aussi; ergo,
donc; ma, mais: ancor, encore; quelques-unes à l'allemand : do,
pourtant {doch}.
Les particules dérivées d'autres mots ont toutes la terminaison
-u : seru, le soir: noctu, de nuit; vanu, en vain: memoriu, de
mémoire; domu, à la maison; kavalu, à cheval; cash, en cas que;
exceptu, excepté (que).
Les adverbes dérivés d'adjectifs (étant de véritables qualificatifs
du verbe) conservent la forme de l'adjectif correspondant
(comme en allemand). Toute équivoque est évitée en unissant
par et les adjectifs qui se suivent immédiatement (dans le cas
contraire, le premier adjectif est un adverbe modificatif du
second).
Nous connaissons déjà des adverbes interrogatifs et leurs cor-
rélatifs. En voici d'autres : quar, pourquoi; tar, pour cela: quopro,
topro, mêmes sens. Parmi les autres adverbes, citons : trop : sat,
assez: is, ici; hodi, aujourd'hui; nu, maintenant; olim, autrefois;
semper, toujours; sœp, souvent; ja, déjà; ancor, tard, etc.
Parmi les prépositions, il faut remarquer de, qui indique le lieu
d'où l'on vient, l'origine, la matière, la dépendance, et le régime
du verbe passif; et a, qui indique le lieu où Ton va, la direction,
le but, la destination. Ces deux prépositions se combinent avec
les adverbes et prépositions de lieu et de temps pour leur com-
muniquer ces deux sens : de quo, d'où (viens-tu?); a quo, où (vas-
tu?) ; de ici, a ici ; de la, a la; de su {de dessus), a su, etc. De quand,
depuis quand; a quand. Jusqu'à quand, etc.
La préposition in indique le lieu où l'on est; per, le moyen ou
l'intermédiaire; pro signifie à la place de ou dans l'intérêt de; ob,
à cause de; ad, auprès de, devant un nom, pour, devant un verbe :
on mangie ad vivere, et on ne vive ad mangiare (IV, 21). Autres
prépositions : con, avec; sin, sans; ex, extra; inter, intra;
circum, circa; ante, pos (après); su (sur), sub (sous); tra, trans;
ois, prox, ultra, contra, vers. Ces prépositions entrent dans la
JULIUS LOTT : MUNDOLINGUB 4S9
composition de cortnins verbes comme préfixes (comme en
Intiiu.
Les principales cmijonetions sont :
et, 0 (oif , qe, si, ma, Ao( pour lant), ergo {donc), qnia (parée qae),
etsi {ininiiiiie , ni f/>oHr que), ante qe {avant que), dam pendant que),
usqe Justpi'à ce que , ni... ni...: je... te, plus... plus; ne soin.... ma
anke (non seulement,... mais encore) «.
Oiijiiit anx interjerliiiiis, elles ap|>nrliennent a la Inntfne natnrelle
iiialerneilc). On ne peut traduire (pie celles «pii dérivent d'autres
mots, comme : adio, adiew, perdio. pnrdieu; deo gratie, grâce à
Dieu; sucurs, au secours; hait, silence, etc.
Nous avons déjà vu la plupart des règles de la syntaxe, très
simple d'ailleurs. Le sujet du verbe se place avant lui (sauf dans
les propositions impérntives et interrogatives): et le régime
direct se place après le verbe (excepté quand il est un pronom
relatif)*. Les prépositions régissent toujours l'accusatif», la dis-
tinction des cas avec et sans mouvement étant faite par des prépo-
sitions diverses ; et les c<>njonctions ne régissent aucun mode.
1 ;ir elles remplacent les modes : on a vu en effet qu'il n'y a pas
(ie subjonctif *.
VOC.ABUL.\IRE.
C'est le vocabulaire qui est, pour l'auteur, le fondement essen-
tiel de la Langue internationale, et qui constitue In plus grande
partie de son teuvre. Presque tous les mots-racines sont
empruntés nu latin; quelques-uns aux langues romanes (F., I.);
quelques-uns même aux langues gt'rnianiques. \i\. : iish, poisson:
fink. pinson; korb, panier; ox, bœuf; soi, douane.
L'auteur hésite, en transcrivant les mots latins et autres, à
supprimer les lettres d«)ubles. Et en efTet, on ne distinguerait
plus kan chien de kann canne, tuyau); bal ibai de bail [balle, etc.
1. n.Tiis V, on trouve en oiilrc : ta... qua... 'te même qm'-, pos qua. après
■i'ir: secun qe. selon que: ne obstant qe : sapposit qe: si do. f>oui-vu que
- iiiianisnic : wenn doch).
2. Opindnnt. M. J. T.ott écrit: • le difikuUé de solution de il problam
ne forma le gramatik ma le vokabular • {Supleni foli^, p. Si. Il est clair
cjup le sujet i-si gramatik et vokabular. niors que leur plaro en fail de»
régimes. Cet exoniplc prouve rutilito de roccusntif.
3. V. p. 27. Pans III. p. xxiv. elles répissaienl toujours le nnminatir.
4. Conformément nux idées de I.ii'tav. à qui l'auteur se r*l*re(IV. p. W>.
430 SECTION III, CHAPITRE XVIII
Bien qu'il prescrive de transcrire le plus exactement possible
les mots internationaux, il n'a pu s'empêcher de fixer quelques
règles générales pour la formation des mots dérivés, c'est-à-dire
de régulariser les affixes déjà internationaux. Nous avons déjà
vu qu'il forme les féminins et les noms d'arbres avec le suffixe -a,
et certains autres féminins avec le suffixe -ess.
Pour les noms de ceux qui exercent une profession, il adopte
le suffixe -er (D.), -ero, -era '. Si l'on y ajoute le suffixe -le, on
obtient le nom de la profession ou du lieu où elle s'exerce.
Ex. : tanner, tanneur: tannerie, tannerie.
Le suffixe -ier sert à indiquer le lieu ou le récipient où on loge
un objet : salier, salière: candelier, chandelier.
La terminaison -ia est caractéristique des noms de pays : Ger-
mania, Italia ; et aussi de certains noms de sciences : geometria,
geografia.
Le suffixe diminutif est -et ou -ette, pour les adjectifs comme
pour les substantifs : operet; nerette {noirâtre).
Le suffixe augmentatif est -on : bal, balon; can (tuyau), canon
[canon).
Les substantifs dérivés d'adjectifs, qui indiquent la qualité
correspondante, se forment au moyen de la terminaison -ita :
sanct, sanctitâ; quand l'adjectif (ou participe) se termine en
-ent, le substantif se termine en -ence : sapient, sapience.
Les adjectifs dérivés de substantifs ont les terminaisons -al, -ar,
-os, -ik. Ex. : mortal, natural; familiar, regular ; poros, nervos; aka-
demik, gigantik.
Enfin les substantifs et adjectifs dérivés de verbes se forment
les uns au moyen du participe passé, et des suffixes -or (pour
l'agent), -iv (pour la qualité active), -ion (pour l'action) ; les autres
on ajoutant le suffixe -bil (possibilité passive) au radical verbal.
Ainsi formar, part, format, donne : formater, formation, formativ,
formabil: vendere, vendit, donne : venditor, vendition, vendibil;
audire, audit, donne : auditor, audition, audibil ^.
L'auteur adopte aussi un certain nomln-e de préfi.xes latins
devenus internationaux par les mots qu'ils composent : ab-, ad-,
1. 11 conserve néanmoins le suffl.xe international -ist, là où il existe :
artist, dentist, lampist.
2. Lorsque le participe passé est remplacé par le supin latin (irrégulier),
c'est de celui-ci que se forment les dérivés. Ex. : scriptor, scription. Le
sufllxe -bil, suivi du suffixe de qualité -ita, sert à former les substantifs
JULIl'S LOTT : MUNDOLINGUE 431
de-, dis-, ex-, in-, ko- ou kon-, mis-, pre-, re-. Il roinnn|iio le
(ioiihlc sens de corlaiiis (l'nitrr eux lin- si^fiiifie tnritiM dnm, et
ti\nt(H In lu^^ntion ; re- signifie tanUM lu ri''|i(Hitinn, laiidM lo
n^^rossion ou Incliou coulrnire '), snns chercher à reiiuMier aux
('•'luivoques qui pcuvtMit eu résuller.
\j()ul<)us (pi'il emploie le |)r<'lixe bel- (français) pour d^^igner
l;( parouJi' par alliainr : belpater. belfrater, elr.
1, auteur ne doiuie pas de règles de coni|>(>sition ; il parait
d'ailleurs éviter les mots composés, et leur préférer les |>éri-
pliras(»s à la mnni«'»re fi'aiieai«;e (ex. : buro de post. mastro de
capelle). Ou trouve |K>urtaut ferrovie rt vaporinavig là eôli'- de
navig de vapor) ^
\'i)iei. à titre d'érliaulillou, la traduction du l'aler que
M. Jnlius KoTT a bien voulu nous eoinninuii|uer :
P:.tre nostri, résident in celé, tei nomine e sanctificat. Tel règne
vole venir a nostri. Tei voluntate e exequer ne solu in cele ma eti
in terre. Da tu a nos hodie nostri quotidian pane, et pardona a nos
nostri debiti. qua eti noi pardona al nostri debitores. Ne indace
tu nos in tentatione, ma libéra nos de omne maie.
\ <»ici uu aidre spéciuicu i\r Muiulolingue ^ :
Amabil amico.
Con grand satisfaction mi ha lect tei letter de le mundolingue Le
po::cibilità de un universal lingue pro le civilisât nations ne esse
dubitabil. nam noi ha tôt éléments pro un tal lingue in nostri lin-
gues, sciences, etc. Noi trova in le cultur-lingues plus qua 7000
gênerai intelligibil expressions, quel con lostri dérivations repre
senta un respectabil vocabular, sufficient pro le reciproc commu-
nication. Le simpl. latin pronunciation et accentuation facilita le
parlar et l'intelliger, et le simpl et regular grammatic fa le mundo-
lingue ad facilissimi lingue del mund. Mi propagaré le universal
lingue et conquireré partisans pro ist. Adio !
do po9sil>ilit6 (ex. : possibilita). Nous remarquons que l'auteur emploii* le
mot recommandabil (V. p. 7() dans lo sons : qu'on doit (et non : qu'on
pi'ul) rerom)nander (traductions : D. empfi'filensh-ut'dig : E. to hf reeomrn-
■'■•■!: F. à tecommander). Do nii^mo admirabil. honorabil. respectabil. clr.
Sons niari]iu^ rcspQctivomoat on alloninnd pnr wieder ot zuruck.
2. V. p. fil. 138.
:i. V. p. 70-77.
432 SECTION III, CHAPITRE XVIII
Critique.
Comme on le voit par ces spécimens, le MandoUngue est une
sorte de néo-latin analogue à celui que le D"" Daniele Rosa conce-
vait à la même époque. 11 n'en diffère que par le principe :
M. RoSA part du vocabulaire latin, et l'enrichit de mots interna-
tionaux; M. LoTT cherche d'abord les mots internationaux, et
aboutit à n'admettre presc]ue que des mots d'origine latine. Le
résultat est pratiquement le même, mais il est intéressant de
constater qu'un auteur' (de langue germanique) est amené, i)ar
]e principe de l'internationalité, à constituer un vocabulaire presque
exclusivement néo-latin.
Sa grammaire aussi a un caractère néo-latin très marqué ; elle
est visiblement inspirée de la grammaire des langues romanes,
et surtout de l'italien. Elle n'a qu'un défaut, c'est de les imiter
trop servilement et de trop près, ce qui nuit à sa simplicité et à
sa régularité. Par exemple, les nombres ordinaux ne dérivent
pas régulièrement des nombres cardinaux, ni les pronoms pos-
sessifs des pronoms personnels. Par suite, ou bien on suppose
que l'adepte connaît déjà le latin ou une langue romane (suppo-
sition illégitime et partiale), ou bien on charge sa mémoire
des formes irrégulières et compliquées d'une langue naturelle.
La conjugaison est trop française, elle n'est ni assez simple ni
assez logique. Le mode impératif ne se distingue pas de lindi-
catif, ce qui est équivoque, comme on le voit par la traduction
du Pater. L'emploi de deux auxiliaires est inutile; celui du i)ar-
ticipe passif pour les temps secondaires de l'actif est irration-
nel ; non seulement la formation des participes n'est pas abso
lument uniforme, mais l'admission des formes irrégulières du
supin latin constitue une grosse complication pour bon nombre
de verbes très usuels (seder, session; fluer, fluxion: mover, motion:
vider, vision; funder, fusion; scriber, scriptor; léger, lektor. etc.)
Ces anomalies, familières à ceux qui savent une langue romane,
augmentent la difficulté de la langue pour les autres peuples,
ce qui est contraire à la neutralité de la L. I. '.
1. H y a un point en revanche où la grammaire adoplc un idiotisme ger-
manique fâcheux : c'est lorsqu'elle admet des adverbes identiques de forme
à des adjectifs. On en voit l'inconvénient dans la lettre que nous avons
JULIUS LOTT : MUNDOLINGUE 433
Comme la gramtnniro, le vocabulaire est trop a poiterhrl,
c'csi-à-dirc trop caNiué sur le vocabulaire latin et néo-lotin. Et
d'nboni, la prononciation des lettres n'est pas uniforme, ce qui
est un grave tléfunl. Non seulement on admet des digraphes
comme ch et sh, mais on attribue des sons dilTérents à e et A t
suivant les lellros (jui les suivent. Sans doute, ces irrégularités
sont peu do chose, comparées h celles des langues dont Tortho-
graphe est la plus phonétique (l'italien et l'espagnol); maison
peut trouver qu'elles sont encore de trop, dans une langue arti-
ficielle (]iii n'a pas à imiter les langues romanes plutôt que telle
autre. Ajoutons que l'emploi de l'e muet ou « atone > ù la fin de
beaucoup de mots est trompeur et malencontreux: cardiaque
peuple serait fatalement amené à le prononcer différemment,
suivant ses habitudes; il vaut bien mieux employer pour fmalcs
des voyelles sonores (o, a) que tous soient obligés de prononcer
de même.
L'auteur a sans doute raison de consen'er l'orthographe inter-
nationale, et de lui conformer la prononciation. Mais il va trop
loin (juand il respecte les consonnes doubles, qui ne sont même
pas toujours internationales », et que l'on tend à proscrire dans
certains pays, pour simplifier l'orthographe. C'est bien le moins
qu'on introduise une telle simplification dans la L. !.. où elle ne
risque pas de choquer l'usage et la tradition.
Mais le défaut le plus grave du vocabulaire est l'irrégularité
de la dérivation. D'une part, il y a plusieurs suffixes pour
exprimer une même relation : -a et -ess pour le féminin •; -ero,
-ator et -ist pour l'acteur ou le professionnel dansero = dansator ;
piscero = piscator: fifero = celui qui joue du fifre ô côté de har-
pist ; pour les diminutifs, à côté de -et on trouve -al (korbol =
corbiHon) et -ical (vermicul = vermisseau) '. Pour les habitants
cKoo: les mots : « gênerai intelligibil expressions • signifient • expres-
sions jftMit'rnlement intollipiblos • et non. conime il semble. • expression»
gt^nernles intelligibles •. l)ira-t-on que, dans ce dernier cas. on aurait joint
les deux adjectifs par un c^ comme dans • le simple et regular grtm-
matic "? Mais cela n'est pas toujours possible, notamment lorsque les deux
é|>illitHes ne sont pas coordonnées, mais superposées, comme dons : • le
simpl. latin pronunciation •. Cette dernière pfirose ne diffère de la pr^-
niièn» que par une virgule; celle distinction est bien insuffisante.
1. Exemples : address (E.), adrtsse (D., F.); vasall (D.). ia«<i/ (B., F.),
vasallo (I.. 8.).
2. On trouve même accidentellement le suffixe -in : reg(o) = rw. rtgina
= itine.
.3. Sans parler d'arbust, diminutif d'arbor.
CouTURAT et Lkao. — Langue univ. *o
434 SECTION m, CHAPITRE XVIII
d'un pays, on trouve Europeano avec Asiatico, Âustriano avec
Ânglese, Belgiano avec Chinese, etc. Pour les verbes qui signi-
fient faire ou rendre tel, on trouve clarificar, tumefar, terrifar,
habilitar, cicatrisar, carbonescar (carboniser), sanar (guérir),
siccar (sécher), et abellar =bellificar (embellir). C'est le désordre
complet. D'autre part, un même suffixe a des sens divers,
de sorte qu'on ne peut pas déduire sûrement le sens du
dérivé du sens du radical. Par exemple, le suffixe -in, déjà
employé pour le féminin, a ailleurs le sens de collectivité (vermin;
gradin = escalier), et ailleurs encore sert à former des adjectifs
(canin). Le suffixe -ar, qui sert à former des verbes dérivés
(comme on vient de le voir), sert aussi à former de nombreux
adjectifs comme agrar, familiar, popular, culinar. Le mot vectur
(voiture) n'a pas le même rapport à l'idée de veher (aller en voiture)
que les mots lectur et scriptur à l'idée de lire ou d'écrire. Une
gambad ne dérive pas de gamb (jambe) comme la limonad dérive
du limon (citron). Si le foliage (feuillage) est un ensemble de feuilles
(folie), le village n'est pas un ensemble de villas, et surtout le
corage (courage) n'est pas un ensemble de cœurs (cor). Si
botelero, caffetero désignent le patron d'un hôtel ou d'un café,
prisonero ne désigne pas le chef de la prison, mais le pri-
sonnier, et murero désigne le maçon, et non le propriétaire du
mur (germanisme : Maurer). Enfin il y a des dérivations irrégu-
lières * : timor =^ crainte, iimer ^ craindre ;dolor = douleur, doler =
souffrir; calor = chaleur, calid = chaud; de môme frigor, frigid;
tumor, tumid. Comment expliquer des dérivés comme mal-or
(malheur) et grand-or (grandeur), à côté de son-or (sonore, adj.)?
Comment justifier l'adjectif nas-al à côté des adjectifs analogues
ocul-ar, auricul-ar? Pourquoi tonor engendre-t-il le verbe tonar,
alors que pluvie fait pluviar et nive, nivar? Si capellano dérive de
capelle, comment sacristano dérive-t-il de sacristie, domestico de
dom, et ecclesiastico de ecclesie?Enfin, pourquoi virginaa-t-il pour
adjectif virginal: puer, puéril; pater, paternal (de même : maternai,
fraternal); cor, cordial; fem, féminin; et homo... viril? Quels suf-
fixes extraordinaires ont formé les adjectifs cel-est et mar-itim?
Ce sont là des anomalies et des illogismes que l'adepte ne pour-
rait ni inventer ni deviner, et qu'il serait obligé d'apprendre par
1. Sans parler des dérivations comme patient, patience; sapient,
sapience, etc., qui sont en quelque sorte régulières dans leur irrégularité.
JULIUS LOTT : MUNDOLINGL'E 435
cœiir, comme mitant d'exceptions. Par exemple, pourquoi
gigantic à rMr de monstres? Pourquoi pas, dira un Français,
gigantesc H monstruos'? Pourquoi aarifico orjèvre) à côt^ Je
juvelero (joaillier), s'il est vrai qu'on fabricpic (sens du suffixe
latin fie) des joyaux, mais non pas de l'or? Pour(|iiot mniico
(musicien) ne dérive-l-il pas de masic comme organist d'organ
{orgue)1 On pourrait multiplier ces questions; la n'-ponse serait
tt)iijonrs In nuMne : Parce que c'est ainsi en latin ou «lans
telle Uuifj^ue romane. Mais alors, dira-ton, ce n'est pas la peine
(le fabriquer une langue artificielle pour y reproduire toutes les
irréirularit(^s des langues vivantes, et pour la rendre aussi dif-
(icile et aussi longue à apprendre qu'elles. Pour moutrcr à quel
point M. LoTTse soucie peu de simplifier son vocabulaire par la
l'ormation ri^gulière des mots, il suffit de citer la série de nM)ts
suivants empruntée docilement au latin : tauro. bove, vacca, vital.
Autant vaut, dans ce cas, apprendre tout de suite le latin '!
1. Voluminot dérive bien.de voluml
2. Bien entendu, nous n'ipnorons nullement les raison** philologiques et
liistoriques qui expliquent et justifient ces Tormations irn-giilières; mais
nous n'avons pas à en tenir compte pour apprécier une langue nrtilifielle.
qui est par U\ nit^me afTrancliie de toute tradition, et qui doit viser avant
tout à In facilit»' de pratique et d'acquisition. Ajoutons que. dans notre
pensée, les mêmes criti<|uos s'appliquent au latin et aux langues romanes,
considérées comme L. I. possibles (voir le Chapitre final Les langues mortes).
CHAPITRE XIX
D'" LIPTAY : LANGUE CATHOLIQUE^
« La seule originalité de ce projet est l'exclusion de toute ori-
ginalité ■», telle est l'épigraphe du livre du D' Liptay; pour lui,
la langue universelle ne doit pas être inventée, mais découverte,
ce qui veut dire qu'elle existe déjà, au moins implicitement.
Passant en revue les projets antérieurs, il leur reproche à tous
d'être des créations arbitraires; seul le projet de Julius Lott
trouve grâce à ses yeux, parce que, par une rencontre involon-
taire et imprévue, il ressemble beaucoup à la Langue catholique 2.
L'auteur constate qu'il existe déjà un vocabulaire international
considérable, composé en grande partie des mots que les lan-
gues vivantes ont empruntés au latin et au grec. Il suffit de
dégager et d'adopter ce vocabulaire, en lui appliquant une
orthographe phonétique et une prononciation internationale.
Quant à la grammaire, l'auteur déclare vouloir la supprimer,
ce qui est impossible, comme il le reconnaît ensuite; il la réduit
au strict minimum, en s'efforçant d'en bannir autant que pos-
sible l'arbitraire, et en s'inspirant des langues romanes. En
somme, ce projet « n'est autre chose qu'une langue néo-latine...,
mais une langue romane dépouillée presque entièrement de
règles grammaticales ».
Ce n'est d'ailleurs proprement qu'un projet : l'auteur déclare,
avec modestie, n'être pas en mesure d'élaborer une langue inter-
1. Langue catholique. Projet d'un idiome international sans construction
grammaticale, par le D' Alberto Liptay, inodecin de la marine du Chili,
attaché à la Commission navale du Chili en France, xi + 290 p. 8° (Paris,
Bouillon, 1892). Le même ouvrage (avec des variantes) a été publié en espa-
gnol : La lengua catolica (Paris, Roger et Chernoviz, 1890) et en allemand :
Eine Gemeinsprache der Kulturvôlker (Leipzig, Brockhaus, 1891).
2. C'est-à-dire : universelle (sens originel du mot catholique en grec).
D' LIPTAY : LANGUE CATHOLIQUE 437
nationale dans tous ses détails, et croit qu'une pareille tâche
(l<''|tnsso les forces ci In comprlonc** d'un individu. 11 se contente
(Ir proposer les princi|)es génrrnux qui doivent en diriger Vexé-
million, et d'inviter le monde savant à y collaborer, d'abord sou»
lornio de pl«W)isrite ouvert ù tous les intéressés: puis sous la
formr d'iuu> snciélé phil<>logi<iue (|ui étndiernit le prolilémc et
li's diverses solutions d«'*jà proposées; ensuite, par la n^union
• l'un congrus iutornntionnl qui fixerait les principes de la langue
choisie: eniin, par l'institution ti'uue Académie intcrnationalo
(pii en surveillerait le développement graduel et en conserverait
l'uiillr of la pureté '.
Grammaire.
Valphabet se compose des lettres de l'alphabet latin, bien que
• [uelques lettres aient des prononciations diverses. Le c se pro-
noncera provisoirement k d««vant a, o. u, et s devant e. i, en atten-
dant qu'on le remplace par ces doux lettres suivant les cas.
le ch sera remplacé par k ou par sh, suivant la manière dont
il se prononce. Le g sera toujours dur; le g doux sora remplacé
par j (prononciafion française), tandis que le j allemand se tra-
duira par y consonne. L'auteur serait d'avis de supprimer \'h,
comme en italien et en roumain; et le q, qui fait double emploi
;ivoc k; en tout cas, celui-ci ne sera jamais suivi de a que loi's«|ue
cette voyelle se prononce; s sera toujours dur; t se prononce
l'ommo s dans la terminaison -tien, en attendant qu'on la rem-
place par -cion. L'u se prononce ou. Knfm le ▼ et le i s«* pronon-
cent comme en français. Bien entendu, toutes les lettres se
prononcent séparément : il u y n pas de diphtoniru«'>i ni de
nasales.
Les substantifs preiment la terminaison -o au masculin, a an
féminin; au neutre, ils n'ont pas de terminaison. Ex.: hom.
1. L'auteur, ayant soumis son ouvrage à Max Ml-llsr, recul une réponse
dont nous extrayons le passage principal : • Votre idée de choisir des mots
radicaux presque universellement compris par les gens instruits est excel-
lente, et l'articulation grammaticale que vous proposez est très praticable.
quoiqu'on puisse proposer cà et là «luclque chose de plus simple et de plus
pratique. Ce que vous avez maintenant à Taire, c'est d'élaborer un dirtion-
noire complet... • {Langue cathotii/ue. p. ^.) On remarquera que l'approl»-
tion do l'illustre philologue porte surtout sur le principe de l'internationalité
du vocabulaire.
438 SECTION III, CHAPITRE XIX
homme (en général) ; homo, homme (mâle) ; homa, femme. Viro,
homme (adulte): vira, femme (adulte). Infant, enfant; infanto ou
filo, fils ; infanta ou îïIa, fille. Parent, parent (père et mère) ; parento,
père; parenta, mère. Cavalo, cheval; cavala, jument, etc.
Les désinences -o et -a servent encore à désigner le sexe, non
de l'objet lui-môme, mais de la personne à laquelle il appartient
ou convient. Ex. : cap, tête ; capo, tète d'homme ; capa, tête de femme.
Capel, chapeau; capelo, chapeau d'homme ; câ^ela, chapeau de femme.
Capeloro, chapelier (d'homme); capelora, chapelière (d'homme);
capelaro, chapelier (de femme) ; capelara, chapelière (de femme),
modiste.
Les substantifs prennent -s ou -es au pluriel. Ex. : homes,
homos, homas. Ils ne se déclinent pas; on emploie les préposi-
tions de et a pour indiquer le génitif et le datif. L'accusatif ne se
distingue pas du nominatif.
Il y a un article défini, el (ou le), qui se combine avec les pré-
positions de et a pour former del et al. En somme, c'est l'article
qui se décline; mais c'est le substantif qui porte la marque du
pluriel.
Vadjectif cal invariable. Il n'a pas de désinence caractéristique,
et se réduit au radical originel (latin). Il devient substantif en
prenant la désinence -o ou -a. Ex. : cruel; cruelo, un homme cruel;
cruela, une femme cruelle.
Les degrés de comparaison s'expriment par les particules : plus
(comparatif), le plus (superlatif relatif), maxime (superlatif absolu).
Mais ils comportent des exceptions (comme en latin) :
magne ou grand, mayor, maxime;
parve, petit, minor, minime ;
bon, melior, optime;
mal, mauvais, peor, pessime.
Les noms de nombre sont empruntés au latin : un, dve, tre ou
tri, quator, quin, six, sept (en attendant set), oct, nov, dece (ou
mieux dek). Les suivants se forment logiquement : deceun, 11;
decedve, 12; decetri, 13;... dvedece, 20;... tridece, 30... Puis on
emprunte au latin : cent et mil; au français : milion, bilion,
trilion... Les nombres intermédiaires se forment régulière-
ment : cent e dvedece tri, 123.
Les pronoms personnels sont : eo (L. ego), tu, el; nos, vos, eles.
Le pronom de la 3« personne est semblable à l'article; mais il
varie en genre : elo, il; ela, elle. De même : elos, ils; elas, elles.
D' LIPTAY : LANGUE CATHOLIQUE 439
Ceux du singulier ont un rudiment de déclinaison : ils deviennent
me, te, se, iH l'accusatif (ou aux cas obliques?). Le tutoiement ent
de r«'glr, comme en lalin.
Les pronoms possessifs sont : mon, ton, son; nos, tos, «les elos,
elas^. Ainsi ceux du pluriel sont semhlnbles aux pronoms per
soiiiicis correspondants; de plus, on ne sait pas si le genre (elos,
elas) correspond au possesseur ou à l'objet poss«M«''.
Les pronoms relalifs-inlerrotjalifs sont qi et qe. On ne sait pas si
qe est l'accusalir ou le neutre de qi. De plus, qe est employ»'*
comme particule : plus bel qe... et comme conjonction (comme
en fran<;ais).
Pour les i^^rbM, l'auteur prévoit deux systèmes de conjugaison.
Le premier consisterait à faire varier le verbe en personne et en
nombre, en supprimant le pronom (à l'exemple du latin). Par
exemple, ou conjuguerait : amo, /atm^; ama, lu aimes; ame, H
aime; amos, nous aimons; amas, vous aimez; âmes, ils aimenl.
•Mais l'auteur préfère le second système, plus simple, qui con-
siste à rendre le verbe indépendant de la personne et du nombre,
indiqués par le pronom. Alors les voyelles-désinences serviront
à désigner les différents temps. Ainsi ame sera le présent; ama,
V imparfait; amo, le futur; ami, le parfait; ama, le plus-queparfail ;
et amao. le futur antérieur. Le cboix de ces désinences se justifie
par des analogies avec le latin ou le français, qui scnent au
moins de moyen mnémotechnique. L'auteur montre la brièveté
de ces formes verbales en comparant nos amao à ses lrtt<luctions
latine : nmaverimus; française : nous aurons aimé; anglaise : we
shall hâve loved; et allemande : wirwerden geliebt hat>en.
Les mêmes formes verbales, sans pronom, servent d'ûi/î/ii/i/
(aux mêmes temps): et d'impératif si le pronom stiit au lieu de
l)récéder '.
Quant au subjonctif, il ne dilïère pas de l'indicatif; il est sufR-
sammeul marqué par la conjonction qui le précède (comme en
anglais, et même en français : que f aime, que tu aimes, qu'il aime,
(lu'ils aiment).
L'auteur ne parle pas du conditionnel. Pour le participe, il pré*
voit la terminaison -ante ou -ente. Le passif se formera au moyen
du verbe ê/re au présent suivi de l'infinitif du temps correspon-
I. Cela est équivoque, au moins pour les pronoms dont l'accusatif ne
dilTère pas du nominatif.
440 SECTION III, CHAPITRE XIX
dant de l'actif. Or le présent du verbe être est è. Le présent passif
sera : eo amè (pour ame-è), je suis aimé; eo è ama, fêtais aimé; eo è
ami, je fus aimé; eo è amo,jfe serai aimé; eo è amao, f aurai été aimé.
L'auteur compare encore, au point de vue de la brièveté, nos è
amao à nous aurons été aimés *.
II invente une conjugaison irrégulière pour les verbes être et
avoir :
Infinitif:
ser
aver
Présent :
è
a
Imparfait :
i
u
Parfait :
ei
au
Plus-que-pa
rfait :
il
uu
Futur :
eo
ao
Futur antérieur :
io
uo
Mais il admet aussi qu'on les conjugue régulièrement, en ajou-
tant à l'infinitif les désinences habituelles -e, -a, -i, -o, -u, -ao ^
Les adverbes dérivés d'adjectifs se forment en ajoutant un -e au
radical : bone, maie, forte, docte. On a aussi : sempre, toujours.
Oui et non se diront : si et non.
Les prépositions sont latines : a ou ad, ante, de, ex, con (avec), in,
post, sub, supr ou sur, pre, pro, sine, durante. Les conjonctions
sont néo-latines : e ou et; o (ou); si, qe, afinqe, porqe. Cette der-
nière conjonction répondra à la question : porqe? pourquoi?
La syntaxe se réduit à très peu de règles.
L'indication du genre et du pluriel sera supprimée toutes les
fois qu'elle n'est pas nécessaire. Ex. : six hom. Pour cette raison,
l'adjectif est invariable. Il se met avant le substantif quand il
est épithète, et après quand il est attribut (on peut ainsi sous-
en tendre le verbe être).
L'auteur ne donne pas de règles de construction. Mais on peut
supposer que, l'accusatif ne différant pas du nominatif, le régime
direct doit se distinguer du sujet par sa position.
L'auteur emploie des suffixes de dérivation pour former des
mots nouveaux, là où manque un mot international ; par exemple,
pour chapeau, capel, et pour chaussure, pedal ; puis pour chapelier,
capelar (-0, -a). Même, en vertu du sens attribué aux désinences
-0 et -a, il distingue : vesto, vêtement d'homme, et vesta, vêtement de
1. En allemand : Wir werden gcliebt worden sein.
2. Cf. \V. Vad, Altes und Neues iiber Weltsprache (1891), p. 24, qui pro-
pose estar pour être.
D' LIPTAY : LANGUE CATHOLIQUE 441
femme, et par suite vestoro, tailleur pour hommes, de Tettaro. lait-
leur pour dames.
11 admet un suffixe diminutir -in, et un suffixe nugmentotif -on.
Il forme alors les mots : pedo, pied d'homme: peda, pied de
femme, (jui donnent en composition : pedovest, chaussure tChomme,
et pedavest, chaussure de femme; et piir d)>t-ivation : pedoveston,
botte d'homme ; pedavestin, soulier de femme, etc. Le cordonnier
s'appellera pedevestor (-0. -a). Par opposition au tailleur, le
marchand d'habits s'appellera veste-vendor.
Les degrés de parent»^ seront indiciués par les préfixes grand-,
bel- et con-. Exemples : confil (-0. -a), neveu, nièce; confrat (-0, -ai,
cousin, cousine (germains); conparent (-0, -a), oncle, tante. L'auteur
admet toutefois sor comme synonyme de frata {sœur}.
11 admet les suffixes internationaux (surtout romans) -al, -lion
(ou plutôt -cion, comme en espagnol; ex. : prononciacion interna-
cional), -or, -ar, able ou -ible. -ur, -ist. -ism; -iq (ic ou ik; -itata
(ité F., -ity E., -ital 1).. -itù 1., -idad E., idade P.); -ant. -ent (parti
cipes); -ance, -ence (ou mieux : -ans, -ens).
11 forme en mt^me temps le vocabulaire catholique de tous les
mots internationaux qui ont ces désinences, et il évalue leur
nombre totale 10000».
Critique.
On ne peut pas juger ce projet avec la même nuiirm- <jii un
système complet et achevé. Et dabortl. on ne peut guèi*c lui
reprocher les lacunes de la grammaire et l'absence du diction-
naire. Il ne faut pas non plus blâmer l'auteur d'hésiter entre
divers partis ù prendre, puisque ce sont des propositions entre
lesquelles il laisse le choix à une autorité compétente. Nous
nous bornerons à constater qu'il n'a pas pu rester jusqu'au bout
fidèle t\ son principe, de ne rien inventer. Malgré sa méthode a
posteriori, il a cru devoir former des mots nouveaux au moyen de
suffixes déjà connus, ou même inventer des suffixes nouveaux
pour composer des mots suivant une méthode purement logique.
De même, il a voulu régulariser la correspondance des adverbe»
interrogatifs et des conjonctions, et par suite les construire a
priori (malgré les analogies plus ou moins lointaines par les-
i. Comme Julius Lott.
442 SECTION III, CHAPITRE XIX
quelles il justifie telle ou telle flexion). Et ce qu'il y a de plus
fâcheux, c'est que les voyelles-désinences qu'il a choisies pour
les verbes sont les mêmes que pour les substantifs (o, a, e) et
pour les adverbes (e). En revanche, à côté de ces procédés
arbitraires, il admet trop d'irrégularités (degrés de comparaison
des adjectifs : magne, parve, bon, mal ; conjugaison des verbes
ser et aver). Les pronoms personnels n'ont pas une physionomie
uniforme : les uns ont un accusatif, tandis que les autres n'en
ont pas plus que les substantifs; quant aux pronoms possessifs,
non seulement ils ne dérivent pas régulièrement des pronoms
personnels, mais ceux du pluriel sont identiques à ceux-ci, ce
qui est équivoque. D'une manière générale, l'auteur oscille entre
deux principes entre lesquels il n'a pas su opter : ou bien
emprunter tous les mots aux langues naturelles *; ou bien leur
emprunter seulement les radicaux, et former les mots suivant
des règles systématiques *. En somme, ce projet repose sur des
principes fort raisonnables, et contient beaucoup d'indications
judicieuses; mais il est encore informe, et il manque d'unité.
1. Comme Julius LoTT.
2. Comme VEsperanto.
CHAPITRE XX
MILL: ASTlVOLAfÙK '
Ce projet n'est pas une langue universelle : son auteur l'oppose
nu contraire aux langues universelles artilicielles (notamment au
I olapûk) comme la seule solution pratique du problème des com-
munications internationales. Cette solution consiste dans une
(irammaire m/er/m/jonafe extrêmement simple et facile à apprendre,
que Ton appliquera au vocabulaire de chaque langue nationale.
Cette grammaire « devra naturellement s'appuyer sur les langues
européennes principales les plus universellement connues, ({ui
sont les langues romanes ou néo-latines » ». Nous allons en donner
un aperçu.
I
L'article défini & au singulier les trois genres : le (m.), la (f.), lo
(n.); au pluriel, il est unique : li, pour les .3 genres.
L'article indéfini est au sing. : an ou ano ^m. et n.), nna (f.>: au
pluriel : ani {des, <iuehiues) pour les 3 genres.
Los substantifs sont absolument invariables. C'est l'article qui
indique le genre et le nombre. (Juant aux cas, le génitif et le
datif sont marqués par les prépositions de et a. L'accusatif est
'semblable au nominatif (c'esl-ô-dire au radical).
Les adjectifs sont invariables. Leurs degrés de comparaison se
torment au moyen des particules pla et le plu.
Les pronoms personnels sont, au nominatif: t" p. *^ io: i" p s.
1. Frod MiLi, : Anti-Volapiik oder die Mezzofanti-Sprache. Eme rinfuche
Inlernational-Grammatik ais SchlOssel fUr aile Sprachen, gUichieitig ait
Telephonische Geheimsprache. ^2 p. 12* (Neuwied, Heuser, 18»3). — Le car-
dinal .Mezzofanti était un célùbrc polvjrlolte (1771-1848).
2. Op. cit., p. 10.
444 SECTION III, CHAPITRE XX
tu; 3^ p. s. le, la, lo (comme l'article défini); l""" p. pi. nu; 2" p. pi.
vu; 3® p. pi. li. A l'accusatif, io et tu deviennent me et te; les
autres ne changent pas. Le génitif et le datif se forment au
moyen de l'accusatif précédé des prépositions de et a.
Le pronom réfléchi est se.
Les adjectifs possessifs sont : 1''^ p. s. mi; 2^ p. s. tu; 3° p. s. su;
l^e p. pi. nu; 2e p. pi. vu ; 3^ p. pi. su (comme au sing.). Ils pren-
nent un i au pluriel : mei, tui, sui; nui, vui, sui.
Les pronoms possessifs se forment en mettant l'article défini
devant les adjectifs possessifs.
Les pronoms démonstratifs sont, au singulier :tsche {tche), celui-ci,
ceci; tscha (tcha), celui-là, cela (pour les 3 genres); au pluriel :
tschei, tschai.
he pronom relatif est ke, pour tous les genres, tous les nombres
et tous les cs^s. Celui qui se traduit en mettant l'article devant ke :
le (la, lo) ke.
Le pronom interrogatif est ki (m., f.) ou ke (n.).
L'adjectif interrogatif est ke ou kual au sing., kei ou kuali au
pluriel.
Les pronoms indéfinis sont : uno, on ; uni, quelques. Aucun se tra-
duit, comme pronom par no uno, et comme adjectif par no tout
court (E.) : no cheval, aucun cheval.
Le verbe conserve invariablement la forme de l'infinitif. Toute
la conjugaison se fait au moyen d'auxiliaires, à une exception
près : les verbes auxiliaires aver (avoir) et es (être) font au passé
ave va et era.
11 n'y a en principe que trois temps. Le présent de l'indicatif
est l'infinitif même du verbe * : io donner, je donne. Le passé est
l'infinitif précédé de aver : io aver donner, j'ai donné. Le futur est
l'infinitif précédé de vo (je vais, L, S.) : io vo donner, je donnerai.
Le conditionnel est l'infinitif précédé de vud (E. would) : io vud
donner, je donnerais.
Vimpératifesi l'infinitif précédé de va (F.) et, s'il est nécessaire,
du pronom personnel (au nominatif) : va (tu) donner, donne; va
vu donner, donnez.
Le gérondif se forme avec la préposition in : in donner, en donnant.
Les temps du passif se forment avec les temps correspondants
1. On va appliquer les règles de la grammaire internationale à un
exemple français, le verbe donner.
MILL : ANTIVOLAPL'K 44S
(lu vcrho auxiliaire es (^/r«) suivis de riiiflnitif du verbe à con*
jugiKM* . io es aimer, io era aimer, io vo es aimer, etc.
L'auteur tait reiimr<iuer «lu'ou pourrait lonntT un futur anté-
rieur et un conditionnel passé; ajoutons : un plu8K]ue-parrail
(ioaveva aimer).
Le verbe peut se conjuguer avec d'autres auxiliaires, qui sont:
pot, pouvoir; vol, vouloir; aver de (I.), devoir.
Les verbes réfléchis se forment en mettant se devant l intinilif A
toutes les personnes : io se laver = je me lave.
L'interroyalion est indiquée en mettant le pronom-sujet après le
verl)e (ou l'auxiliaire); la négation, en mettant no devant le verbe
(ou l'auxiliaire) : vo io donner? io vo no donner; no vo io donner?
Hemarque. L'auteur met le verbe au parfait de l'indicatif dans
les propositions conditionnelles, ce qui est un gallicisme : si io
era riche, io vud es lieureux.
Telles sont les formes grammaticales (|ue l'on devra appliquer
aux matériaux nationaux, c'est-à-dire aux mois des diverses
langues, en prenant ceux:ci sous une forme invariable : les sub-
stantifs, au nom. sing. ; les adjectifs, au masc; les verbes à l'infi-
nitif; en un mot, tels qu'on les trouve dans le dictionnaire.
II
.Mais l'auteur va plus loin : A sa grammaire internationale il
adjoint des « radicaux internationaux » empruntés « aux langues
les plus connues, c'est-à-dire aux langues romanes*. » Ce sont les
noms de nombre, certains pronoms, les adverbes primitifs. le»
prépositions et les conjonctions, bref, ce (ju'on peut appeler les
mois grammaticaux.
Les noms */c nombres cardinaux sont ; un inno, una". due. tre.
kuatt, sink, siss. sett, ott, noff, diss; diss ie) an, diss te due....;
duediss. 20; trediss. :U);... ssent, 100; due sseni, 200;.... mill,...
millionn.... Null = zéro.
Les nombres ordinaux sont : primo (primai secando. terssio,
kuarto, kuinto, sexto, settimo. ottavo. nono. dissimo; diss e
primo.... ssentimo.... millimo millionnimo Ils sont précédés
de larticle, et varient comme lui en genre et en nombre. Ils
\. Op. cit.. p. 38.
446 SECTION III, CHAPITRE XX
servent aussi de nombres partitifs {tiers, quart,...), sauf pour demi ou
moitié, qui se dit medio.
Les pronoms que l'auteur veut rendre internationaux sont :
tutt, chaque; tutti, tous; pluri, plusieurs; multo, multi, beaucoup
(abrégé en mu, surtout comme adverbe); poko, poki, peu (abrégé
en po); kualke, quelque; kualuno (-a), n'importe quel; nemo, personne;
nullo, pi. nuUi, aucun; altro, pi. altri, autre; tal, pi. tali, tel:
kuanto, pi. kuanti, combien; tanto, pi. tanti, autant.
Les adverbes primitifs, les prépositions et les conjonctions sont
empruntés au latin, au français et surtout à l'italien. Voici quel-
ques adverbes : kwi, ici; kwa, ià; u, où; orora, maintenant; "poi, puis;
anke, troppo; si, oui; no, non; plu, le plu, minu, le minu (qui ser-
vent à former les degrés de comparaison).
Voici quelques prépositions : a, de, in, con, presse, sopro.
verso, basse, vis-à-vis; da, fine, avante, dopo ; contra, secundo,
malgrado (malgré), causa, rispetto.
Enfin voici quelques conjonctions : e, et; o, ou; si, si: sei, si
(interrogatif) ; ni..., ni...; ma, mais: ke, que, qui forme les sui-
vantes : causa ke; para ke, afin que; fine ke, jusqu'à ce que;
durante ke, pendant que; avante ke; dopo ke, depuis que; in caso
ke, etc.
En somme, il ne reste plus que les substantifs, les verbes, les
adjectifs (et les adverbes dérivés) à emprunter à chaque langue
naturelle pour l'internationaliser. Ces mots, on les apprendra
par l'usage ou on les trouvera dans les vocabulaires nationaux.
Grâce à la grammaire internationale, on pourra, avec ces maté-
riaux empruntés à une langue vivante, écrire, sans connaître cette
langue, une lettre que le destinataire déchiffrera aisément au
moyen de la môme grammaire. On obtient ainsi autant de langues
internationales (simplifiées et régularisées) que de langues
vivantes. Par exemple, voici une phrase de français-international '^ :
lo no savoir u es tu cousin, ma io croire ke le es in le rue.
Une phrase d'anglais-international :
Io no aver lose tsche book ke io aver find in le street, ma mi
broiher aver lose le.
Une phrase d'italien- international :
Io aver vedere tscha ragazzo e tscha ragazza in un strada de le
città.
i. Nous mettons en italiques les « matériaux • nationaux.
MILL : ANTIVOLAPUK 447
Une phrase d'espagnol-mtemational :
La no es in le casa, la es in le calle con ta htjo e la h{Ja,
El une plirasc de russe-inlernalionnl :
Li dom de mi nlje: e de mi djadja es a le uyol de tsche uli:a '.
L'auteur a n(''glijj:*'' »lc doniior un échantillon d'nUemaml- interna-
lional. Est-ce i)arpru(Ienr(\ ou par respect pour sa langue mater-
nrlle?
Critique.
Nous aurions pu nous dispenser de citer ce projet, puisqu'il
ne constitue pas une langue universelle; nous avons cependant
cru devoir l'exposer, parce qu'il donne tout au moins la gram-
maire d'une telle langue, et qu'il suffirait de lui adjoindre un
vocabulaire international pour obtenir une langue complète.
L'autour a remarqué lui-nn^me, en introduisant ses « radicaux
internationaux », qu'on aboutirait ainsi à une langue universelle,
et il s'en défend. On ne comprend pas pourquoi il s'est arrêté en
chemin, alors <|u'il présente son projet comme une « langue de
compromis » ou un sabir. Tel quel, ce projet est évidemment
inadmissible et impraticable. Pour employer une telle langue.
il faudrait avoir à sa disposition les vocabulaires de toutes les
langues nationales, soit dans sa mémoire, soit dans sa biblio-
thèque ou dans sa malle. De plus, il y a une illusion naïve
A prétendre résoudre le problème au moyen de la seule gram-
maire, en renvoyant pour le reste au dictionnaire : car il n'y a
pas de conversation, ni même de correspondance possible avec
le recours perpétuel au dictionnaire. Une grammaire internatio-
nale n'est que la moitié de la solution, et elle n'épargne même
pas la moitié de la peine.
Eln outre, il faudrait, sous peine de n'être pas compris en par-
lant, connaître la prononciation propi*e à chaque langue, qui est
souvent si difficile et si irrégulière, que la savoir, c'est savoir la
langue plus qu'à moitié. L'auteur n'a même pas réglé la pronon-
ciation et l'accentuation de ses € radicaux internationaux». Enlin.
le mélange des particules interr.ationales cl de mots nationaux
produit une hétérogénéité barbare, déjà choquante pour les
1. Pour comprendre cette phrase, il suffit de savoir que dom ^ maitOM;
atjez = père ; djadja = oncle ; ugol = coin \ ulisa = rue.
448 SECTION III, CHAPITRE XX
étrangers, et insupportable pour ceux dont on défigure ainsi la
langue maternelle.
Si maintenant nous jugeons la grammaire internationale en
elle-même, c'est sans doute la plus simple que l'on puisse rêver.
Elle est même trop simple : par exemple, elle identifie l'article
défini et les pronoms de la 3« personne, les pronoms personnels
et les adjectifs possessifs, les adjectifs et les adverbes; ce qui est
une source d'équivoque ou d'obscurité. La conjugaison est ana-
lytique, ce qui est un avantage en principe ; mais cela amène des
accumulations d'auxiliaires qui sont encombrantes et peu claires.
Ex : io vo aver es aimer ^=f aurai été aimé *. On s'aperçoit ainsi que,
pour les temps principaux au moins {parfait et futur), il est pré-
férable d'employer des flexions, comme l'auteur l'a fait, par
exception, pour le passé des auxiliaires aver et es.
L'auteur a commis une grave erreur en laissant à ceux qui
connaîtraient une langue nationale la liberté d'employer les
flexions propres à cette langue, par exemple, de dire, en français-
international : 11 chevaux, au lieu de li cheval. Car si de telles
variations sont permises, c'en est fait de l'intelligibilité pour les
étrangers qui, par hypothèse, ne connaissent pas la langue.
Il est vrai que si l'auteur n'avait pas admis cette licence, elle
eût été fatalement usurpée, même sans le vouloir, par la seule
force de l'habitude; et cela suffit à condamner tout projet de
« grammaire mobile » ou omnibus destinée à s'appliquer, comme
un masque, aux diverses langues nationales.
1 . En tout cas, ce n'est pas plus compliqué, et c'est plus court que l'alle-
mand : ich werde geliebt worden sein.
CHAPITRE XXI
HEINTZELER : VSIVBRSALA '
L'auteur de ce projet se défend à'invenler une langue nouvelle
et ne pnHoiul pas à l'originalit»'. Il soutient au contraire que la
langue internationale existe déjà en puissance, et qu'on n'a qu'à
la dégager. C'est la conclusion qu'il tire de l'étude des 12 princi-
paux projets antérieurs ', dont il compare la grammaire dans
un tableau synoptitjue, (jui montre que ces divers projets se
rapprochent beaucoup plus qu'on ne croirait. La question capi-
tale est celle (lu vocabulaire, elle doit dominer celle de la gram-
maire. Le vocabulaire doit être aussi international cpie possible,
et par suite employer tous les éléments communs aux langues euro-
péennes et déjà connus des gens instruits. Kt comme les € mots
universels » (Wellivôrler) sont presque tous d'origine gréco-latine,
• -si aux langues romanes qu'il faut emprunter leurs radicaux
communs: à leur défaut, on recourra au latin en dernier ressort.
^)uant à la grammaire, elle »levra être fixée, après avoir subi
l'épreuve de la pratique, par une commission itilernationale. D'ail-
leurs, la grammaire internationale existe déjà, elle aussi, nu
moins dans ses grandes lignes, et il n'y a plus que des détails
1. Universala. Wellsprache auf Grund der fomanischen Sprachen und
des Latein, von Eugen Heintzrlrr, Obcrprâzeptor nm ElKTliArd-Liidwifr»-
nvmnnsium in Stuttjrnrl. 7() p. S* (Stultjrart, Iloth, 1803). L'niitpur nnnonro
uiio brochure intilulfo : fi Weltsprachrst/steme. Vergleichende Sfiuiif als
[ieitrag zur Lôsung des W'fUspracheproblems, que nous ne ronnni^son»
pas. En revanche, nous ^von^! In suivante : Die wissenschaftlich noiu-endigen
Gnindlagen fiir eine bmuchhare Weltsprache. Zugleich lieu-ei*. dass trir eine
Wellsprache schon haben, von Eugen IIcintzrleh, 10 p. 8* (.Meran. Ellmen-
reich, 189."»). L'nuleur n fait partie de VAcadémie inlei-nationale de langue
universelle dv 18»! n 1893.
2. Le Volapûk. le Volapùk coiTtgé, Rosa, ScHiPru, Zamcnhof, Lavim.
VoLK et FccHs, LoTT, Stempfl (Myrana), Bacer, Stunbr, Liptav.
CovTVRAT Cl I.rvr. — Langue univ. »"
430 SECTION III, CHAPITRE XXI
d"exécution à régler par une entente commune. Parmi les points
essentiels, sur lesquels l'accord est déjà fait, l'auteur mentionne
l'exclusion des voyelles infléchies, l'unité d'article, le genre
naturel, la déclinaison unique et analytique, la conjugaison
unique (avec pronom séparé et avant le verbe), l'exclusion des
idiotismes et de l'arbitraire dans la formation des mots. Il
conclut en invitant les inventeurs de langues artificielles à la
tolérance et à la conciliation, et en leur recommandant ces deux
maximes : « Le mieux est l'ennemi du bien » et : « In necessariis
unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas ».
Grammaire.
Valphabet se compose de -6 voyelles : a, e, i, o, u (ou) ; et de
18 consonnes : b, c (tch) •, d, f, g (dur), j (ch), k, 1, m, n, p, r, s, t.
V, X, y (comme dans yeux), z (ts).
L'accent porte sur la voyelle qui précède la dernière consonne :
linga. felici, kavâl, à moins que la dernière syllabe ne soit un
suffixe : âbil. naziônes. Il porte sur l'i final des radicaux substan-
tifs : polizi. akademi.
L'article défini est le, Varticle indéfini est un, tous deux inva-
riables.
Dans les substantifs, le genre (naturel) est indiqué par les
désinences -o (m.) et -a (f.) : om, Iiomme (homo) ; omo. homme (vir);
orna, femme: de môme, fant, enfant, donne : fanto, f anta : pulo.
coq: pula, poule^. Le pluriel est marqué par la désinence -s ou -es.
."suivant que l'euphonie l'exige.
Le génitif et le datif sont marqués par les prépositions de et a.
qui se combinent avec l'article en del et al.
Les adjectifs sont souvent terminés par -i. Ils sont invariables.
Ils se transforment en substantifs par l'adjonction de -o ou -a.
ou (au neutre) par l'article placé devant : le bel, le beau.
Les degrés de comparaison sont indiqués par les particules pli et
plu placées devant l'adjectif : pli bon, meilleur; plu bon, le meilleur.
Le superlatif absolu est indiqué par tre. très.
Les noms de nombre cardinaux sont : un. du. tri, kar, kin, ses, set.
1. Dans la brochure de 1895, c = ts et remplace z.
2. Les mêmes désinences servent à désigner respectivement l'arbre et le
fruit : porno, pommier; poma, pomme.
IIFJNTZELRn : UNIVER8ALA 451
ok. nov, dek; dekun, 11:... dudek, 20;... nordek. IK); sent, 100;...
mil. ... milion...
Los nombres ordinaux d«^rivent des cardinaux par l'adjonction
il'un -i : uni, dui, trii.
Los adverbes ordinaux dt^rivcnt des pn^cédenls par l'adjonction
d'un e : unie, duie. triie.
Los nombres mitltii>lirnli/s dérivent des cardinaux au moyen du
-^iiffixe -upl : unupL duupl.
Los nombres de fuis se forment au moyen du suffixe -yei (L.) :
unyes, duyes, triyes.
Les nombres dislribulifs sont indiqués par la particule a placée
(lovntit : a un, un à un; a du. a tri.
Les nombres fractionnaires sont les nombres ordinaux avec le
oiiffixc -0 : dekio, le dixième; excepté demi ou moitié, qui se dit
mezo.
Pour les pronoms et la conjugaison, l'auteur, on l'absence de
toute uniformité dans les langues naturelles, adopte la for-
uiation a priori, nu moyen de la série des voyelles. Ainsi : a =
je; e = tu; i = il, ia = elle, il = il (neutre) ; as = nous, es = vous.
is = ils, ias = elles. On = on. Le pronom réfléchi est n {soi).
Los adjectifs possessifs dérivent des pronoms personnels par
i'ndjonotion de -t : at. et, it. iat; ast, est. ist. iast et même:
ont. ut, ust). Ils prennent en outre -s au pluriel.
Ils deviennent pronoms quand ils sont précédés do le, el pren-
nonl alors -o ou -a suivant le genre (masc. ou fém.).
Les pronoms démonstratifs sont : ta. celui-ci; te, celui-là; U. celui
^tjui) ; to, le même ; tu, exactement le même.
Les pronoms relatifsinlerrogatifs sont empruntés aux langues
romanes : ki (kio. kia\ ke m.', qui. que.
Do nuMne, les pronoms indéfinis ; kalk. quelque; alkun, n'importe
(jui; tut. tout; neun. aucun; niL rien.
Los verbes ont l'inlinitif terminé en -ar. -er ou -ir. Les temps de
Vindicatif se forment en substituant à cette terminaison los cinq
voyelles. Ex. :
amar = aimer, veder = voir, audir — entendre.
Présent : atna yeda aada
Parfait : ame vede aade
Plus que-parfait : ami vedi andi
Futur : amo vedo audo
Futur antérieur : amu reda audu
452 SECTION m, CHAPITRE XXI
Les temps du subjonctif dérivent des précédents par l'interca-
lation de y avant la voyelle finale; ceux du conditionnel, par
rintercalation de yer. Ex. : as audya, que nous entendions; is
audyeri, ils auraient entendu.
L'impératif ne diffèxe de l'indicatif que par la place du pronom,
qui suit le verbe au lieu de le précéder.
Le participe présent dérive de l'infinitif en changeant -r en -nt :
amant, vedent, audint. L'auteur prévoit un infinitif et un parti
cipe passés de la forme ;
amer, vedeer, audier,
ament, vedeent, audient,
et un infinitif et un participe futurs de la forme :
amor, vedor, audor,
amont, vedont, audont^
Le passif se forme au moyen du verbe esar (être) suivi du par-
ticipe passif : amat, vedet, audit.
Les verbes auxiliaires sont tous terminés en -ar (esar, avar, etc.),
et suppriment l'a final de l'indicatif présent : a es, je suis ; i av, il a.
Les verbes impersonnels se conjuguent avec le pronom il : il
plova, il pleut.
Les verbes réfléchis se forment, à la f'' et à la 2« personne, au
moyen des pronoms personnels correspondants (a, e, as, es);
à la 3® personne, au moyen du pronom réfléchi u, pi. us (se).
L'interrogation se marque (comme Timpératif) en mettant le
pronom ou le sujet après le verbe.
Les adverbes dérivés se terminent généralement en-e (quelques-
uns en -eli) et les prépositions dérivées en -u. Les prépositions
et adverbes primitifs sont empruntés au latin ou aux langues
romanes : si, oui; no, non; ya, déjà; tost, tard, ankor, alora,
sovente, sempre, per, pro, kon, ad, in, da, etc.
Les adverbes de temps et de lieu présentent une certaine
corrélation : ko, où? alko, .quelque part; tuko, partout; neko, nulle
part; de môme : kan, quandt alkan, une fois; tukan, toujours;
nekan, jamais.
Les conjonctions sont empruntées aux mômes langues : ed, et;
od, ou; ma, mais; donk, donc; ker, car; ke, que; si, si; se, si (inter-
rogatif); lorke, lorsque; ked. parce que; purke, pour que; sinke,
sans que, etc.
1. Cf. V Espéranto, qui est plus régulier et plus simple.
HEINTZELEIt : UNIVER8ALA 4S3
Lu syntaxe est très sommaire. L'adjectif se met devant le sub-
stantif, à moins qu'il no fasse pour ainsi dire corps avec lui :
linga universal. L<> snjrt précède le verbe; l'adverbe et les com-
pléments le suivent. S'il y a deux compléments, le nom de per-
sonne so mol nii datif : dépouiller l'ennemi de ses armes =: priTtr
le armes al nemiko. Les prépositions ne régissent aucun cas, et
on les supprime autant que possible : studios le rtritAi, studieux
pour la vérité, suspekt le furto, suspect de vol; saget le magistrat,
soumis à l'autorité.
Vocabulaire.
L'auteur annonce un lexique polyglotte de 8 000 mots en alle-
mand, latin, français, italien, espagnol, portugais. Il en donne,
comme échantillon, un extrait d'une centaine de mots en 7
langues (en ajoutant l'anglais aux précédentes). Il en ressort
que la plupart des mots allemands correspondent au même mot
latin dans les autres langues (même en anglais), de sorte que
c'est celui-ci qui est adopté en Universala. Voir le tableau ci-joint
(p. 4:i4), qui contient les 12 premiers mots de ce vocabulaire. On
remarquera que le mot latin est pris de préférence sous sa forme
hispano-portugaise (la plus phonétique^ Ces exemples suffisent
à montrer le caractère nettement néo-latin de l'Universala.
Pour la dérivation et la composition des mots, l'auteur ne
donne pas de règle générale, mais seulement quelques exemples.
Ainsi lessuffixes diminutifs sont -in, et, -il, et le sufli.xe augmen-
tatif est -on. On trouve dans le lexique quelques verbes dérivés :
▼isit. visitar; purifikar. ne//ojr<>r; mortifikar, tuer. Certains mots
semblent formés au moyen du suflixe -er : garden {JardinK gar-
deneri jar(/wu>r) ' ; d'autres au moyen du suffixe -or ou tor : precept.
preceptor; auditor; amator; viagator, voyageur (du verbe viagar).
Mais la plupart des mots dérivés semblent empruntés tout faits
aux langues vivantes : malkontent, desonest. desobedient. inexpert;
difidar {se défier), desplacer (déplaire), reportar, retornar (D.
wiederkehren et zurûckkehren). On remarque enfin quelques mots
composés : tetdolor, mal de tête; Tapornav, bateau à vapeur.
1. Ce qui montre que l'auteur n'exclut pas absolument les racines ferma*
nitjut's. Autre exemple : ger = guerre.
454 SECTION III, CHAPITRE XXI
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HEINTZELER : UNIVER8ALA 455
Critique.
On ne peut pas juger ce projet comme un système complet et
<l(Hnillé; puisque l'nuteur se d<^clare incapable d'élaborer à lui
sful une langue, (>l fait appel A wuc commission Uilernatiuiiale, nous
(levons lui leiiir coiuple de sa modestie, et lui savoir gré de cette
|)i'oposition si conforme an programme de la Délégation.
\.o principal défaut de Vl'niversala consiste dans l'application
d'un principe granunatical a iiriori au milieu d'un vocabulaire
entièrement a posteriori, à savoir, dans l'emploi malencontreux
des voyelles, dahord comme pronoms '. ensuite comme sufiixes
(les temps du verhe, enfin comme sufiixes caractéristijpies : a,
(lu féminin; e, de l'adverbe; i, de l'adjectif; o. du masculin; n.
de la préposition. Non seidement on peitl ainsi le bénéfice de la
distinction matérielle des parties du discours, mais on multiplie
les chances de les confondre entre elles. 11 faut ajouter que les
suffixes -0 et -a ne caractérisent nullement le genre des substan-
tifs, puisque des substantifs neutres ont les mêmes finales; ex. :
domo. kasa [maison). D'ailleurs les substantifs se terminent par
d'autres voyelles encore: ex. : kane, chien. lnvei*sement. cnhiinsi
adjectifs ont une désinence de substantif : karo, cher *.
En outre, la finale -i caractérise si peu les adjectifs, qu'elle .sert
au contraire ù former des substantifs dérivés d'adjectifs : kortes.
kortesi; perfid, pertidi: astut. astazi; avar. ayarisi. \'oilà déjà des
dérivations peu réirnli('res: mais il y en a bien datiires : ekonom.
ekonomia; bel. beleza; frank, frankeza; gentil, gentileza: patient,
patienza; onest. onestat (honnêteté); prob. probitat: timid. timi-
ditat; sincer. sinceritat. Cela fait quatre suffixes ayant le njéme
sens : i ou izi, ia, za ou eza, tat ou itat^ .Mais ils n'ont même
|)as toujours ce sens : car fortesa ne signifie pas Jbrce (qui se
1. Dans sa broctiuredo I8!I5. l'auteur reconnaît do l>onne prAce que l'ar-
bitraire n'est pas acceptable dans la rorination des pronoms: il pmpoM
comme pronoms personnels : yo, ta. elo. nos, voi, eloi; et comme prottomê
possessifs : mei, tui, sxii. nostre, vostre, lostre tcf. Korr). Il parait tomber
d'un excès dans l'autre (de Va priori dans Va posteriori), car ni ces pro-
noms personnels ni ces pronoms possessifs n'ont, entre eux. de forme régv*
lière. et ceux-ci ne dérivent pas régulièrement de ceux-là.
2. Cela s'explique par le fait que kar a déjà doux sens : quatre et pourquoi.
3. Encore ne comptons-nous pas itud, dans : grat, gratitod.
456 SECTION III, CHAPITRE XXI
dit forza), mais... forteresse. On remarque la môme irrégularité
dans les adjectifs dérivés de substantifs : koraj donne korajos
(courageux); mais ambizion donne ambizios. De même, les noms
de gens exerçant un métier n'ont pas tous le même suffixe : à
côté de brasero [brasseur), librero (libraire), vitrero (vitrier), orlo-
gero, on trouve taliator (tailleur), ebanista (ébéniste). De plus, les
noms des métiers correspondants sont : braseri, libreri, vitreri,
avec la finale i des adjectifs; or, c'est de la même manière que
les noms de matière engendrent leurs adjectifs : oro, ori (d'or);
argento, argenti; kopro, kopri (de cuivre), etc.
Toutes ces irrégularités viennent de ce que l'auteur, comme
nous l'avons remarqué, a pris les mots dérivés tout faits dans les
langues vivantes, au lieu de les former avec des suffixes auto-
nomes (bien que pouvant être empruntés, eux aussi, aux langues
vivantes). Or les mots dérivés de nos langues fourmillent d'ano-
malies déconcertantes qu'on ne peut apprendre que par l'usage
(et dont l'usage seul fait oublier l'absurdité). Par exemple, en
français, de même que riche engendre richesse, pauvre engendre
pauvresse... mais ce dernier mot ne signifie \^a.s pauvreté \
Enfin, par le fait que l'auteur emprunte ses racines presque
exclusivement au latin, il se trouve embarrassé dans des homo-
nymies dont il ne se dégage qu'en altérant arbitrairement l'un
des homonymes. Ainsi les verbes parar (préparer) et parer
(paraître) auraient la même conjugaison : on changera le second
en parear. De même on distinguera volar, vouloir, de volaar, voler
(avec des ailes) ';pen,pfume, de pena, pei/ie (qui a l'air du féminin
de pen); pasar, passer, de pasear, se promener, et de paser, moineau
(qui a un faux air de verbe). Tout cela prouve que ce projet
n'est qu'une ébauche fort imparfaite, mais néanmoins intéres-
sante et louable par ses principes. On peut lui rendre cette jus-
tice, qu'elle se trouve au moins dans la direction de cette langue
internationale idéale que, selon l'auteur, il s'agit moins d'in-
venter que de découvrir.
1 . Voler (dérober) se dit rubar ou furar.
CHAPITRE XXII
BEERMANN : NOVILATIIN '
l.c Novilaliin est * un essai de transformer le latin en une'
limp:iio appropriée aux besoins dos relations inlornationales
ruodcriios », tant orales qu'écrites, tant scientifiques que com-
merciales. Voici par quelles considérations l'auteur a été amené
à concevoir ce projet. La langue internationale doit être faite
avant tout pour les peuples de civiliiiation européenne, c'est-à-
dire de langues indo-germaniques. Elle doit donc se rapprocher
le plus possible de celles-ci, et notamment des «ix langues princi-
pales (allemand, anglais, français, italien, russe cl espagnol) qui
sont toutes parentes (quoique inégalement) et qui ont de nom-
breux éléments communs, tant dans leur grammaire que dans
leur vocabulaire. L'auteur a été d'abord partisan du latin, du
latin (in moyen Age, ou même du néo-latin. Mais il s'est a|>erçu
que le latin ne convient pas par son synthétisme à l'esprit «les
peuples modernes, attendu que toutes les langues modernes, y
compris celles qui sont issues du latin, ont évolué du synthétisme
ô l'analytisme. Il faut donc substituer à la grammaire latine une
grammaire analytique régulière et aussi simple que possible; par
suite, on y admettra une simplification, lors même qu'elle ne se
trouverait que dans une seule de nos langues (exemples : in%'a-
riabilité de l'adjectif; invariabilité du verbe en personne et en
nombre). On créera ainsi une langue romane possible, sœur des
1 . Sovilatiin, un esaaje de proformaar it Latiin a un lingue usaaM al
internasionaal relaxions de nosire tempor. Ein Versuch, dat Latein su eimer
fur den internalionalen Vericehr unserer Zeil brauchbaren Sprache weiler-
zubUden, von Dr. E. Bebrmann, Ot>erlel)rer am kgl. Gymnasium tu Nord-
hausen (Leipzig, Gustav Fock, 1895).
458 SECTION III, CHAPITRE XXII
langues romanes réelles, mais plus régulière et plus simple '.
C'est là, selon l'auteur, le procédé le plus scientifique, car il con-
siste à imiter autant que possible la nature, et à réduire au
minimum la part de l'arbitraire et du « subjectif ». Le NovUatiin
ainsi formé ne sera guère plus artificiel que certaines langues
nationales purement écrites et littéraires forgées de notre temps
et presque sous nos yeux(néo-grèc, Slovène, tchèque, et surtout
hongrois). Cette langue aura une unité organique et un esprit
qui manquent aux autres langues artificielles; elle aura ses lois
de formation, et sera susceptible de développement autonome.
Quant au vocabulaire, il ne sera pas exclusivement latin; il s'as-
similera tous les éléments internationaux de nos langues, dont
la plupart, du reste, sont empruntés au grec ou au latin (môme
l'allemand contient beaucoup plus d'éléments latins qu'on ne le
croit d'ordinaire).
Grammaire.
Valphabet comprend 23 lettres, 5 voyelles : a, e, i, o, u (ou) ; et
18 consonnes : b, c (ch), d, f, g, h, j {j français), k, 1, m, n, p, r, s
(toujours dur), t, v, y (j allemand), z {z français), auxquelles
s'ajoutent les lettres à, û, q, x, qui ne se trouvent que dans les
mots étrangers. Il n'y a qu'une seule diphtongue : au.
L'accent (dans les mots simples) porte sur la dernière syllabe,
si elle est longue (feliic, heureux); sinon, sur l'avant-dernière, si
elle est longue de nature ou par position ^ (hoteleero, hôtelier;
pauperta, pauvreté) ; ou sinon, sur l'antépénultième (konvokan).
Dans les mots composés, chaque élément garde son accent
(sauf les prépositions). On voit que l'accentuation suppose la
connaissance de la quantité (longueur) des syllabes. Pour su})-
pléer à cette connaissance, les voyelles longues de nature sont
doublées dans les deux dernières syllabes; mais, bien entendu,
elles se prononcent simples.
U y a un article défini, il, et un article indéfini, un; tous deux
absolument invariables.
Les substantifs se déclinent analytiquement : le gféni/i/est marqué
1. Elle se rapprochera de l'italien pour la prononciation, et de l'espagnol
pour l'orthographe.
2. Une voyelle est dite longue par position (en latin) quand elle est suivie
de deux ou plusieurs consonnes.
DEEIIMANN : NOVILATIIN 459
par la pivposilioii de, \c datif \n\v In pn-posilioii a; l'ucousalif ne
din't'i't* pat» (lu iKimiiiatif. L(>s prrposiliotis de <'t a se conihinciit
avec l'article défini en del et al '.
Le genre (toujours nalurrl) est marqué par 1<*8 désinence» o
(m.), a (f.), -e (n.j. K.\. : kan, chien (en gén.); kano, chien; kana.
chienne. Mais on dit : hom, homme (en gén.); Tiro, homme; leema,
femme. Certains féminins se forment au moyen du suffixe -Maa :
rejessa, reine; imperessa, impératrice ^
Le pluriel est manpié par la désinence -s ( -es après une gifflante,
c ou s) : dom, maison, faitdoms; audaac, audacieux, fait andaaces.
Les adjectifs sont invariables en genre et vi\ nombre.
Les degrés de comparaison se forment au moyen des suffixes
-ioor (comparatif) et -im (superlatif), ou bien au moyen des
adverbes plu et mas (obligatoires (piand le radical se termine
• H -le) : grande, grandioor. grandim; yarie. pla varie, mas varie.
Les adjectifs se transforment en substantifs au moyen de l'ar-
ticle et des désinences de genre -o, -a, -e : il bello, le beau (le bel
homme); il bella, la belle: il belle, le beau (neutre».
Les noms de nombre cardinaux s«>nl : uun, due. tre, kvar. kvin.
see. septe. okte. non. dec: undec. dadec. tridec... septidec. oktidec.
nondec: duinte. 20; duinte uun. 21: duinte due. il.... trinte. 30;
kvarinte. >0: kvininte, :>(>; seinte, ('>0; septinte. oktinte. noninte;
cente. ducente, tricente...: mille.
Les nombres ordinaux dérivent des précédents au moyen du
suffixe -im (en supprimant le final) : nanim, daim, trim, kvarim.
Les adverbes ordinaux dérivent des précétlenls au moyen du
suffixe -ibi (des adverbes de lieu) : unimibi, pr^mi^renif/i/ ; doi-
mibi, etc.
Les nombres fractionnaires sont identiques aux nombres ordi-
naux, excepté : semie, demi.
Les nombres multiplicatifs se forment au moyen du suffixe -pie
ou -iple : uniple ou simple; duple. triple, kvariple.
Les nombres de fois se forment au moyen du suffixe un ^ «mi
• lu mot vie (fois) : uunun ou uun vie, une fois; dnon ou due vices,
trun ou tre vices. De même : onimun ou il unim vie. la première
fois.
\. L'article se roiiiMne encore avec d'aulres pn^positions (comme en ita-
lien) : cil. kul, gral, nil, ol. prol. suprel, irai.
2. Cf. le vieux français : empresse.
3. Abréviation de non = maintenant (L. nimc). Pourquoi?
460 SECTION III, CHAPITRE XXII
Les pronoms personnels sont, au nominatif :
l"p.
2" p.
3* p. m.
3« p. f.
3« p. Il
Sing. : go.
tu,
lo,
la,
le;
Plur. : nos.
VOS,
los.
las,
les.
et à Vaccusatif :
Sing. : mi,
ti,
li,
li,
le;
Plur. : nis,
vis,
lis,
lis,
les.
Le génitif et le datif se forment en faisant précéder Vaccusatif des
prépositions de et a.
Le pronom réfléchi est si. On se dit on.
Les pronoms possessifs sont : mie, tie, sie ; nostre, vostre, lostre.
Les pronoms démonstratifs sont : ste, celui-ci; ille, celui-là; ipse,
même; il ipse, le même (L. idem) ; taal, tel.
Les pronoms interrogatifs-relatifs sont : kve, qui; kvaal, quel; ilkve,
ilkvaal, celui qui.
Les pronoms indéfinis sont : alikvo ou kvo, quelqu'un; alikve ou
kve. quelque chose; neuno ou nekvo, perso/me ; niil ou nekve, rien;
omne, tout; toot, tout {entier), etc.
Les verbes ont une conjugaison uniforme. Leur radical est
extrait du participe passif latin, dont on supprime la terminaison
-tus : par suite, il se termine en -a (verbes de la 1'"^ conjugaison
latine) on en -i (verbes des 3 autres conjugaisons). Ex. : ama,
meri, obli, moli K
Les formes verbales ne varient pas suivant la personne.
Vindicatif présent se forme en ajoutant un -n ' au radical :
aman, puunin.
Vindicatif passé se forme en ajoutantun -f au radical : amaf, puunif .
Vindicatif futur se forme en ajoutant un -r au radical : amar,
puunir ^
Les temps du subjonctif se forment en ajoutant la désinence -ia à
ceux de l'indicatif; mais ils représentent des modes différents :
Optatif : amania, puninia.
Subjectif: amafia, punifia.
Conditionnel : amaria, puniria.
1. On voit que les verbes déponents {mereor, obliviscor, molior) sont ainsi
ramenés à la forme normale.
2. Cet n provient du participe présent, selon l'auteur. Pourquoi?
3. Le futur peut aussi se former au moyen de l'infinitif et de l'auxiliaire
volin (comme en anglais).
OEERMANN .' NOVILATIIN 46i
V impératif Ro réduit au radical verbal : ama. pnani.
I///j/î/u7i/* se forme en ajontniil -r nu radical verbal cl en allon-
gonitl In voyelle fiiinle : amaar, puniir.
Le participe présent (actif) se forme en ajoutant -ntt au radical
verbal : amante, puninte.
l.c participe pasxr i passif) se forme en changeant Trde l'infinitif
en t : amaat, puniit.
Les temps iiulirecis de Tnctif se forment nu moyen «lu |>urtici|>e
passé précédé des temps directs du verbe auxdiaire haar (avoir).
Tous les temps du passif se forment au moyen du parlici|M'
passé précédé des temps correspondants du verbe auxiliaire siir
(être).
Ces deux verbes auxiliaires se conjuguent régulièrement (radi-
caux : ha et si).
Les verbes iHj/)^rso/ineb se conjuguent avec le pronom neutre le.
Voici quel(|ues exemples de verbes conjugués :
go fan, je dis; tu fektaf. tn faisais; le pluir, il pleuvra; nos han
obliit. nous avons oublié ; vos haf dansaat, vous aviez dansé ; lit har
komprendiit, ils auront compris; go han daat. fai donné; lo han
moriit, il est mort.
Les adverbes dérivés se forment en ajoutant aux adjectifs In ter-
minaison-am ' : fideel, fideelam; lente, lentam.
Les adverbes primitifs sont : taa. oh» ^L. ita); noo. non; )t, déjà
(L. jam); mes {L. mox), bientôt; asa, assez; ada (L. adhuc), encore;
sep (L. s.rpe\ souvent: sempe (L. semper), tot{jours, etc.
Les adverbes de lieu se terminent en ibi (L.) : stibi, ici; Ubi, W:
kvibi. où: alikvibi, ^Hf/yii* par/: omnihi. p(irfoti(;nekvibi. nulle part.
Les adverbes de temps se terminent en -un (L. nunc) : stan.
maintenant; lun, alors; kron, quand; omnun. totijours; nekvun.
jamais.
On remarquera la corrélation établie entre les adverbes »U' ces
deux classes. La même corrélation existe entre les ndverbe.s de
manière, terminés en am : slam, ainsi; kvam. comment: alteram.
(nilrement: et entre les adverbes composés tie prépositions ou de
subslantils : kveo. pourquoi; leo, pour cela; kYOni. dans quoi: leni.
l'\-dedans: kvesupre, sur quoi: lesupre. là-dessus, etc. Stidie. rtiyoïir-
it'hui; omnidie, Ions les jours: stianne. cette année: steper. /Kir ici.
Les principales pr<^p(Wi7ions sont : ni, dans; es. tiors: ante. avant:
I. Empruntée à tam, 7m«hi (L.). Pourquoi?
462 SECTION III, CHAPITRE XXII
pos, après; supre, sur; su, sous; ku, avec; ci, sans; o, à cause de;
per, par; pro, pour, etc. Il y a aussi des locutions prépositives,
comme : ni loke de, au lieu de; per medie de, au moyen de, etc.
Les principales conjonctions sont : e, et; au, ou; ne, ni; ver,
mais; na, car; si, si; ke, gue; tame, cependant. Il y a des conjonc-
tions composées avec ke (comme en français) : perke, pendant
que; anteke, avant que; poske, après que; proke, pour que; oke, parce
que, etc.
L'auteur ne donne qu'une indication relative à la syntaxe :
c'est que le régime direct se distinguera du sujet par sa place.
Ex. : il soldaato presintaf al duko il ordin del rejessa, le soldat pré-
senta au duc Vordre de la reine.
L'accusatif des pronoms peut remplacer le datif, quand il n'y
a pas d'équivoque à craindre : da mi un libre, donne-moi un livre.
Vocabulaire.
Le fonds du vocabulaire est fourni par le latin, complété par
le grec. En général, les mots à flexion sont réduits à leur radical :
anim, numer, nive ; grande, medie. Il en résulte que certains mots
deviennent identiques, par ex. : collis et collum, vallis et vallum.
L'auteur se tire d'affaire en modifiant les radicaux : koliin et
koUe. valle et valie. Les particules sont abrégées, comme on l'a
vu; mais elles restent intactes dans les mots composés.
Mais l'auteur ne se restreint pas au vocabulaire latin. Lorsque
le mot latin manque, ou même lorsqu'il est tombé en désuétude
dans les langues modernes, l'auteur adopte le mot international
correspondant (Ex. : park). Il appelle mol international tout mot
commun à 3 au moins des 6 langues principales, pourvu que ces
3 langues comprennent une langue non romane. C'est ainsi qu'il
admet les mots frak (D., R., S.), habit; kork (D., E., S.), bouchon.
Faute d'un mot international, il admet un mot commun à deux
langues. Par exemple, la comparaison des mots : Kellner (D.),
ivaiter (E.), garçon (F.), garzone (I.), tcelovyek {R.), mozo (S.), le con-
duit à adopter garsoono (F., L). Faute d'un mot commun à deux
langues, il opte pour le mot italien, l'italien étant la langue la
plus voisine du latin.
En fait, dans son lexique (1400 mots environ), on trouve un
certain nombre de mots empruntés aux langues modernes, et
BEERMANN : NOVILATIIN 463
pour cause : biir, bi^re; bool, 6o(; broi, broise; CABM, ehancê;
gazette, jurnaal. kafee, poste. Parfois m»^nn« ratitcur n pn-rrr»'*
iiiir fiiciiH' (ii> Ims-latiii ou modenir ù In rnciiu* latine ; agradaabil.
agréable; atakke, attaque ; bekke. bec; belle, beau; kaTalle. cheval;
gruppe. jardiin: kacie, chasse: kambie, chnmje . klok, cloche, kom-
batte, combat; koraaje. conraije; paees, pays; prisioon. prison:
riik, riche; trappe, troupe; akostumaar, s'accoutumer; eskappaar.
échapper: eskortaar, escorter; kominsiaar. commencer, oie. Comme
on voit, l'aulrnr sacrili(* (Irliljért'nu'iil la pureté de son n^o-
latin à l'internationalitt^ '
Pf»ur les mots dérivés et composés, il pose en |)rincipe que les
radicaux doivent y entrer sans altération (ce qui n'a pas lieu en
latin, où qu,i'ro fait acquiro; cado et ca'do font incido^ etc.). Par
suite, il faudra choisir entre les diverses formes d'un même
ratlical. Par exemple, jekt est j>référal)le à jakt, à cause de tnb-
jekt. objekt. projekt. injektion. En revanche, kad vaut mieux que
kid, à cause de décadence (E. F. I. S.). Pour la même raison, on
dira superfacie (surface) au lieu de superficies (L.>.
En général, la formation des mots peut être progressive ou
régressive : elle est progressive quand on passe d'un radical à ses
dérivés; elle est régressive quand on extrait de mots (dérivés ou
non) le radical (pii tloit représenter le mot primitif. I)e même
«pie les substantifs défense, estime, sont provenus des verbes
'Irfendre, estimer, de même on tirera par régression : tj^w {espoir)
du vtM'be sperare; dabit (doute) du verbe dubiiare; narre (récit) du
verbe narrare.
Une fois fixés le vocabulaire (liste des radicaux), d'une part, et
la liste des afllxes de «lérivafion. d'aiitre part, le Sovilatiin doit se
développ«»r d'une manière régulière et indépeiulante, suivant ses
règles propres de formation, comme les langues romanes elles-
niêuu»s se sont développées d'une manière autonome, indépen-
dauiuDMit du latin.
La formation des mots dérivés se fait au moyen de divers suffixes
aucim préflre\ dont nous allons énumérer les principaux.
Ajoutés à un radical verbal, le suflixe toor forme le substantif
(pii indique l'agent : fundatooro, konditooro ; et le suffixe sioon
forme le sidtstantif «jui désigne l'action : deklarasioon. negasioon.
1. Le mot L. caseus (f^'omage) est déformé en keet. pour se nppn>-
• lier de P. E.
464 SECTION III, CHAPITRE XXII
Mais quand le radical verbal se termine en -ta ou -sa, il y a
déformation du radical ou du suffixe : profesooro; direksioon,
esklusioon.
Les substantifs dérivés d'adjectifs se forment au moyen des
suffixes -ta ou -ita : proprieta, pauperta, juventa; sanita, beatita;
ou encore du suffixe -sie, substitué à la désinence -te des adjectifs
ou participes : forte, forsie (force); multe {beaucoup), mulsie (multi-
tude).
Les substantifs dérivés de substantifs se forment au moyen
des suffixes :
-ul ou -ette pour les diminutifs : filiulo, statuette ' ;
-oon, pour les augmentatifs : patroono, matroona ;
-astre, pour les péjoratifs : medikastro;
-aaje, pour les collectifs : vilaaje, village (de ville, maison de cam-
pagne); viaage, voyage (de vie, chemin);
-eet, pour les plantations : vineet, vigne (de vlin, vin);
-eer ou -ist, pour les personnes qui s'occupent d'une chose ou
d'une science : libreero, arkiveero; dentiste, violinisto^;
-le, pour les noms de choses dérivés de noms de personnes :
librerie.
Les adjectifs dérivés de verbes se forment au moyen des suf-
fixes :
-bil, pour indiquer la possibilité : amaabil, aimable ^; krediibil,
croyable ;
-tiive, pour indiquer l'activité : negatiive. Ce suffixe s'abrège en
-iive après les radicaux terminés en -ta ou -sa : aktiive, abusiive.
Les adjectifs dérivés de substantifs se forment, en général, au
moyen du suffixe -aal (sensuaal), ou du suffixe -eer quand le
radical se termine par 1 (populeer) ; le suffixe -iil s'applique aux
noms de personnes (viriil), et le suffixe -aan aux noms de lieux
(Castiliaan). Le suffixe -oos désigne la plénitude, et le suffixe -ije ''
l'absence de la cpialité en question : korajoos, perikuloos; pietije,
impie.
Enfin les verbes dérivés de substantifs en -i font leur présent
en -in; tous les autres en -an. Les verbes inchoatifs (qui marquent
1. Le suffixe -ard paraît désigner le fils de : imperardo, prince impérial.
2. Cependant tinteer signifie encrier.
3. Aimable ne signifie pas : qu'on peut aimer, mais qu'on doit aimer
(D. liebenswiirdig).
4. Du verbe latin indigere (! ?).
REERMANN : NOVILATIIN 469
nn commencement d'action) se forment au moyen du suffixe
-ccin (I.. -esco): albecciir. blanchir; senecciir, vieillir.
Los mois composés so r<>riiu'rit pur la juxlapositioii iWs racines
(avec un i interposé au besoin), la principale (Haut In dernij>re :
vitre fenestre. /♦•«é'Vre à vitres \ fenestre vitre, vitre à fenêtre; ferre>
vie, cliemin de fer.
l/ouvrage du D' F^eerm ann contient dos échantillons de NovUa-
liin qui coiisishMil on traductions «le loxios nlloinnnd. anglais,
fraiHjais, ilalicii. latin, russe, espagnol ol... Volapûk. Il nous
parait intéressant de citer la première phrase de celle dernière,
avec le loxteoi» regard ' :
Vobuk klonela sona Rudolf de II oper del grandiprinco Rndolf
Lôstân-Nugân « Lefùdânatâv » po- de Austrie-Ungarie <• Un oriente-
lofom is menés pekulivôl netas viaaje » sin présentât tteper al
valik as gelùtot vôladik lautela koltaat homes de omne nasioons u
edeilôl tu suno noie e mostepe in presioos heredie del antooro mo-
flol lifa okik. riit nimi celeram al sciensie e pro-
(frette nil floor de lie viit.
Critique.
I.e projet du D' Beermann est une œuvre intéressante, qui
mérite un examen approfondi. Il repose sur des princiiies Ihéo-
ri«|iies fort judicieux, mais dont l'application est souvent défec-
tueuse, de sorte «jue le résultat n'est ni assez simple ni assez
pratique pour pouvoir j)asser dans l'usage.
Le plus grave défaut de cette langue est la distinction des
voyelles longues au moyen du retloublement. distinction rendue
nécessaire parles règles trop savantes et trop compliquées qui
régissent l'accent. Ce redoublement des voyelles viole le principe
de l'invariabilité des radicaux, posé et observé ailleurs par l'au-
teur. Les exemples sont innombrables : on en a déji\ vu dans la
conjugaison des verbes : pnniir fait pnonin, clc. On en Irouve
mit» foule d'antres dans les mots dérivés : amiiko. amikaal; ko-
raaje, korajoos; naat. natiive: nasioon, nasionaal: periit (L. prri-
Uis, expérimenté), peritita; riik. ricita (avec changement du k en
c ruur (L. rus, campagne), ruraan; yiciin, Ticiuita. etc. '. C'esl
1. Préface de l'ouvrage de Lederer : Lefûddnatdv fa klonelaton Rudolf
de lÀisUln-Sugan (Voi/age en Orient du prince impérial Rodolphe if Au-
triche-Hongrie).
2. Il est vrai que les voyelles doubles ne comptenl que pour une seule
dans l'ordre alphabétique du diclionnaire.
CouTURAT ot Lkau. — I.4U>guo univ. «W
466 SECTION III, CHAPITRE XXII
compliquer à plaisir l'écriture, et exposer les novices à de per-
pétuelles fautes d'orthographe.
Mais voici un inconvénient plus grave encore : il y a des
formes verbales, voire des mots différents, qui ne se distinguent
que par la longueur d'une voyelle, c'est-à-dire par le redouble-
ment. Ex. : puniir (infinitif), puunir (indicatif futur); al = au (à
le), aal = aile; ml = dans le (ni il), niil = r ie/i (L. nihil); kan ^
chien (L. canis), kaan = gris (L. canus); man = main (L. manus),
maan = matin (L. mane) ; fin = je deviens (L. fio), fiin = fin (adjec-
tif), fiini = fin (subst.); un = un (art. indéf.), uun = un (nombre);
us == jusqu'à (L. usque), uus = us{age) ; ta = ainsi, taa = oui (L. ita) ;
ver == mais (L. verum), veer = vrai (L. verus) *, etc. On voit que
l'auteur a essayé d'éviter par là des homonymies : il y a assez
mal réussi. Il y en a d'autres qu'il a éludées par de légères
modifications : vol = action de voler, voli = volonté, volan = voler,
volin = vouloir; poste = (la) poste, posti = (un) poste; seri = série
(L. séries), série = sérieux (L. sérias); serve = conservation, servi
= service; studin = avoir du zèle, studian = étudier (L. studere), etc.
Il y en a enfin qu'il n'a pas évitées du tout : si signifie si et soi.
D'autre part, la formation des dérivés manque souvent de
régularité, par un attachement excessif aux langues naturelles.
Ex. : viit = vie, viive = vif, viivin = vivre. On a vu que dans
certains cas elle altère le radical ou le suffixe, parfois les deux,
pour se conformer à la tradition du latin, que l'on est censé
ignorer. Tous ces détails ne pourraient s'apprendre que par
Vusage, dont le rôle doit être restreint autant que possible au
bénéfice de la logique et de l'analogie. De plus, certains mots
se terminent comme des dérivés, et ne sont pas des dérivés.
Ex. : koraaje, pasaaje, visaaje; rejioon {région) ne vient pas de
rejie {royaume). D'autres mots, dérivés par la forme, ne le sont
pas par le sens : un village (vilaaje) n'est pas une réunion de
maisons de campagne, de villas (ville); une vigne (vineet) n'est
pas un champ planté de vin (viin); un voyage (viaaje) n'est pas
une collection de chemins (vie).
L'auteur semble avoir hésité à employer partout le suffixe -sioon,
qui engendre dans nos langues des mots parfois si longs et si
lourds. Il admet, par exemple, à la fois admiir et admirasioon,
defiil et defilasion {défilé de troupes), dissip et disipasioon, situe et
1. Que devient le 3° homonyme latin : ver = printemps'!
i
BEERMANN : NOVILATIIN 4«7
situasioon. Il y a li\ une tondanco loutihlo h la Kiiiiplilirntion.
inalgi't' rt'xoniplf coniraiiv dos jan^uos roinaiios.
Kii rovaiK-lu», raulour sV-carlc trcip tl«>s langues naturolIcH dan»
la lorinalion de certains mots qui deviennent i\ peu prrs nii^con-
naissal)les : han = avoir, sin = èlre; in = allrr; d'où : atia =
être présent: esin = sortir; h côté de ces mots, on trouve diin,
qui signifie diiier; fan, dire; fe, parole; lin, devenir; et des parti-
cules coninx' : o, à came de; n, comme; val, très (L. t'aide); T0l,
Itit'n (K. ivell) '.
D'ailleurs, l'auteur a commis uno grave erreur en simplifiant
et aluTifcaiit (souvent à l'excès) les particules latines, cl en les
conservant intactes en conumsifion. Cela les i-end plus difliciles
à reconnaître, et viole le princi|>e salutaii*e de Tinvariabililé des
tMémeiits constitutifs de la langue.
Kniin, malgré son inlcntion déclarée, il n'a pas su se garder
sunisamment de l'arbitraire dans le choix des flexions gramma-
ticales; exemples : la désinence -n «le l'indicatif, (pii évoque bien
plutôt l'iilée de linfinitif (I).); le sullixe ije pour indiquer la pri-
vation; le sufdxe -un pour indiquer le nombre de fois; le suffixe
-am pour les adverbes, etc. Dans la numération, l'auteur a commis
la laule (germanisme) d'énoncer les unités avant les di/aines.
dans la /•* dizaine seulement, ce qui est absolument illogique (il
dit : un et dix, mais : vingt et un). Tous ces défauts ne sont pas
également graves, et certains (par exemple le dernier) seraient
aisés t\ corriger. Mais leur réunion contribue ù donner à l'en-
send)le une physionomie étrange et un peu baroque, qui décon-
certe et qui rebute. La langue n'est pas facile (\ lire ni agn^able
à entendre: elle n'a pas la « transparence » «lu'on est en droit
d'attendre d'un néo-latin, et (pii fait que d'autres langues ana-
logues sont comprises îi première vue. Kn somme, il y a dans
ce projet beaucojip d'idées savantes et ingénieuses, qui méritent
d'être retenues, mais dont la réalisation est trop imparfaite pour
qu'elle puisse être adoptée telle quelle *.
1. .\jouter des composés comnto : eskordin, oublier, à côté de rtmenUn.
se souvenir.
2. Les auteurs de I7rfù>m neutinl out rendu au Sovilatiin le meilleur
hoiiniiage, en s'en inspirant.
CHAPITRE XXIII
LE LINGUIST
Divers projets de langue universelle ont donné naissance à des
journaux spéciaux, consacrés en général à la propagande de l'un
d'entre eux; nous les avons mentionnés à propos de chaque
projet. Mais, outre ces journaux, il a existé plusieurs revues
indépendantes, destinées à étudier la question de la langue uni-
verselle, à propager l'idée de cette langue, et à en déterminer les
conditions et les principes théoriques. La première. en date fut
Ylnterpretor {Internationale Zeitschrift fiir Weltsprache) , fondé par
Karl Lentze (un ci-devant Volapïikiste), avec le concours de
MM. Julius LOTT (Wien), Fricke (Wiesbaden), Reyen (Nantes) et
Baker (New- York). Cette revue mensuelle était rédigée en trois
langues (allemand, anglais, français). Elle eut 12 numéros en
1889 et 2 numéros en 1890, après lesquels elle cessa de paraître,
sans doute faute d'abonnés.
Un autre journal fut lancé bientôt après par M. Julius Lott à
Leipzig sous le titre : Le Kosmopolit, Gazette pro l amikes de un
lingue universal. Pablikat de l international Société de l mondolingue.
Mais, malgré les intentions libérales de son auteur, il paraissait
trop inféodé à un projet particulier pour réunir beaucoup de
partisans, et il n'eut que trois numéros {l"'^ décembre 1892 —
1er février 1893). La « Société du Mondolingue » ne réussit pas à
se constituer.
Une revue plus importante fut le Linguist, Gazette indépendante
pour tous les amis d'une langue universelle *, fondé par Max W aiirex,
à Hannover. Cette revue mensuelle eut 12 numéros en 1896 et
1. Ce sous-titre était imprimé en allemand, français, anglais, Volapuk et
Espéranto. Toutes ces langues étaient admises dans la revue.
LE LINGUIST 469
deux en 1897 '. Elle eut pour collabora tours Heintzeler ', Lott,
ROSENBERGEK, BeERMANN, BOKL, VON WaHL, GraROWSKI, KœNIG,
ScHACiiEHL, etc. Comme on le voit, elle réussit à réunir un certain
nombre de personnes compétentes et d'opinions assez variées.
Aussi contient-elle beaucoup d'articles intéressants, où sont
discutées les principales questions théoriques relatives à la for-
niation dune langue universelle. Nous croyons donc devoir en
donner une analyse succincte.
Le but du Linguist était d' « unir tous les amis de la langue uni-
verselle dans un travail commun », et d'arriver à la constitu-
tion définitive d'une telle langue. On y rendait justice au « mérite
immortel » de Mgr Soulever, mais on considérait le Volapûk
comme absolument défectueux (il était d'ailleurs tout à fait
tombé). On lui reprochait deux défauts principaux : l'arbitraire
dans le choix des mots et des llexions, et le manque de base
scientifique et objective. On se proposait, au contraire, d'exclure
autant que possible l'arbitraire, et de donner à la langue une
base scientifique, c'est-à-dire historique et philologique, en se
conformant aux princii>és suivants. Pour le lexique, on devait se
rapprocher le plus possible du vocabulaire international commun
aux langues européennes et déjà connu de tout homme instruit.
Pour la grammaire, on devait tenir compte autant que possible
de la tendance (analytique) des langues modei*nes. L'idée com-
mune à tous les collaborateurs du Linguist était donc le prin-
cipe du maximum d'internationalité. Selon l'expression de M. Bôkl,
la langue universelle doit être la langue « internationale », en
entendant par là, non pas seulement une lingua inter nationes,
mais une lingua internationalisa c'est-à-dire formée d'éléments
internationaux. Bien entendu, il ne devait être question que de
l'internationalité européenne : c'était une chimère que de pré-
tendre, comme Schleyer, faire une langue pour tous les peuples:
la langue internationale de l'Europe serait par là même la
langue internationale de toute la terre, et les peuples non euro-
péens y trouveraient encore leur avantage.
Mais comment définir l'internationalité européenne? Pour pré-
ciser, on considérerait comme international tout mot commun
aux six principales langues européennes (D., E., F., L, R., S.): ce
1. Max Wahren est mort en 1899.
2. Mort le .3 mai 1896.
470 SECTION III, CHAPITRE XXIII
critérium, proposé par l'America/i Philosophical Society , était adopté
par Beermann. A défaut de cette internationalité complète, on
devait adopter les termes communs à la majorité des lanpfues sus-
dites. Une conséquence de ce principe était que les radicaux
latins devaient se trouver en majorité, car ils sont les plus inter-
nationaux, à cause de l'influence et de la pénétration du latin
dans les langues germaniques et slaves. M. Beermann augmentait
encore la part ainsi faite auxéléments latins en proposant d'em-
prunter les mots non internationaux, soit aux langues mortes
(latin et grec), soit aux langues romanes (surtout à litalien).
Certains auteurs, comme Grabowski, voulaient aller plus loin
encore dans ce sens pour avoir un lexique homogène, et prendre
pour base du vocabulaire tous les mots latins existant dans les
langues modernes (spécialement en français) ' ; à quoi Beermann
répondait avec raison que cette méttiode violait à la fois l'inter-
nationalité et la neutralité : si l'on doit adopter les mots latins,
c'est comme mots internationaux, et non comme mots latins. La
latinité du vocabulaire ne doit pas être le principe, mais la con-
séquence du principe d'internationalité.
Sous quelle forme devait-on employer les mots internatio-
naux? Certains tenaient pour l'orthographe phonétique; et Kônig
(d'ailleurs partisan de l'anglais comme langue universelle) pro-
posait d'écrire najn pour nation et krw pour croix. Mais de quel
droit, répondait Bokl, adopter la prononciation d'un peuple
plutôt que celle d'un autre? L'orthographe phonétique défigure-
rait les mots internationaux, détruirait la relation visible qui
unit les mots d'une même famille (ex. : nation, nature, natal, natif),
et rendrait la langue beaucoup plus difficile à apprendre ; car il
est plus facile d'apprendre à prononcer un mot suivant une
orthographe connue que d'apprendre à la fois une forme et une
prononciation nouvelles : dans le premier cas, on profite de
l'habitude visuelle, d'autant plus que la L. L s'apprendra bien
plutôt par l'œil que par l'oreille. Pour découvrir la véritable
forme des mots internationaux, Grabowski préconisait le principe
de l'analyse élémentaire, qu'il se flattait d'avoir inventé, mais qui
avait été déjà appliqué plus ou moins consciemment par d'autres
auteurs. Ce principe prescrit de décomposer le mot en tous ses
1. Grabowski proposait d'appliquer la philologie romane à découvrir la
forme primitive des radicaux latins : et il poussait le respect de Tétymologie
jusqu'à écrire : àl'hor le mot F. alors (1. allora).
LE LINGUIST 471
éli'monts, au moyen do l'étymologie et de l'analogie ' ; comme
exemple d'une telle analyse, Grabowski citait le mot nal-ur-al-is-
at-ion, et comme exemple de violation de son principe, il citait
les mots prLr (^l precios, admis par LoTT, et nasioon, natiiv, naluar,
admis par Heermann. En somme, il préconisait V invariabilité des
éléments, telle qu'elle est appliquée en Espéranto. A quoi von
Waiil objectait qu'il est impossible de construire une langue
agglutinante avec des éléments empruntés à des langues kjlexions.
On se trouve en effet très souvent en présence de deux radicaux
correspondant à la même idée (ex. : senl-imenl, sens-uel). Ce fait
se présente surtout dans les radicaux des verbes latins à supin
irrégulier : on trouve à la fois corrig et correct, leg et lect, scrib et
script, pon et posit, cognosc et cognit. Selon von Waiil, il fallait
conserver les deux radicaux de l'infinitif et du supin, dont l'un
engendre les noms d'action (am-or) et l'autre les noms d'acteur
{amat-or) ^. Et Grabowski proposait d'inscrire les deux radicaux
dans le dictionnaire, c'est-à-dire d'obliger tous ceux qui ne sau-
raient pas le latin à apprendre deux radicaux, au lieu d'un.
Pour la formation des mots (dérivés et composés), une grave
question se posait : fallait-il les fabriquer suivant des règles sys-
tématiques avec des éléments invariables (aussi internationaux
que possible), on bien les emprunter tout faits aux langues
vivantes, en raison de leur internationalité? La première méthode
(qui est celle du Volapiik et de VEsperanto) était préconisée par
RosENBERGER (qui l'appliquait dans l'Idiom neutral); la seconde
était préférée par la plupart des collaborateurs : Lott, Gra-
bowski, lîEERMAXN, BOkl. Grabowski reprochait à l'Espéranto ses
* volapukismes » : pourquoi dire komunikigo au lieu decomunica-
sion. legigi au lieu de legalizer? D'autre part, Rosenberoer repro-
chait à Julius LoTT de sacrifier la régularité en admettant trois
conjugaisons (amare, kredere, finire) et en employant divers
affixes pour des dérivations de même sens (klarifikare. egalisare.
agrandire) : dans une telle langue, on ne peut plus fabriquer les
mots dont on a besoin, il faut les chercher dans le dictionnaire,
comme dans une langue naturelle. Bôkl répondait que cette facilité
de former des mots autonomes est inutile et illusoire, carlesigno-
1. Un corollaire de ce principe est qu'on doit chercher le radical d'un mot
dans ses dérivés. E.\. : œil, ocul-iste ; fable, fabul-eux.
2. 11 citait cet exemple curieux d'un verbe latin dérivé du supin d'un
autre verbe : canercy cantum, canlare.
472 SECTION III, CHAPITRE XXIII
rants ne sauront pas les former, et quant aux savants, ils con-
naissent déjà les mots internationaux, et les préféreront à des
néologismes réguliers, mais barbares (comme lektator, traduka-
sion). D'ailleurs les dérivés internationaux ne paraissent plus
irréguliers, à cause de l'habitude. On allait jusqu'à soutenir
l'inutilité de toute dérivation logique, en vertu de ce dilemme :
Ou bien on connaît le mot dont on a besoin, ou bien on le
cherche dans le dictionnaire *. Et l'on invoquait comme argu-
ment de fait le succès de Y Espéranto chez les Russes, qui seuls en
possédaient un dictionnaire complet ^. En somme, on se trouvait
acculé à cette antinomie : les mots internationaux ne sont pas
réguliers, et les mots réguliers ne sont pas internationaux; l'opi-
nion dominante était qu'il fallait sacrifier la régularité à l'inter-
nationalité dans la formation des mots. Julius Lott concluait
qu'on ne peut pas éviter les irrégularités des langues naturelles,
et VON Wahl, qu'on ne peut pas donner à la L. 1. plus de simpli-
cité et de régularité que n'en comportent nos langues.
La même antinomie se posait dans la grammaire, bien que,
par une heureuse inconséquence, Beermann réclamait pour les
flexions grammaticales la régularité absolue dont il faisait bon
marché dans la dérivation. Bôkl reconnaissait que l'idéal était
d'avoir une conjugaison unique et absolument uniforme; mais
pour la réaliser il fallait passer entre Charybde et Scylla : ou
bien on dénaturait les formes internationales (comme Rosen-
berger), ou bien on admettait plusieurs conjugaisons (comme
Grabowski). 11 proposait d'emprunter le radical verbal aux par-
ticipes, qui sont les formes les plus internationales; de donner
au participe actif la terminaison -nt, au participe passif la termi-
naison -t '. Von Wahl était du même avis; seulement il propo-
sait pour l'infinitif deux terminaisons : les verbes à voyelle de
liaison prendraient -r : les verbes sans voyelle de liaison pren-
draient -re. En outre, la voyelle de liaison devait changer ou dis-
paraître à certains modes; et l'auteur se flattait d'obtenir ainsi
une conjugaison unique et simple, qui réalisât la fusion des
quatre conjugaisons latines.
1. Ce dilemme pourrait justifier n'importe quelle langue a priori, si fan-
taisiste qu'en fût le vocabulaire.
2. A cet argument on peut opposer un fait tout contraire, à savoir le
succès de YEsperavlo chez les Français, qui n'en ont pas encore de diction-
naire complet.
3. Comme en Espéranto.
LE LINGUIST 473
Au fond, tous ces autours (Haient possédés de l'idée (chimé-
rique) de constituer une grammaire (et notamment une conju-
gaison) internalionale; mais en fait, comme l'observait avec
raison Beeumann, ils n'obtenaient ainsi tout au plus qu'une
grammaire interromane *. Ils ne s'entendaient même pas sur les
désinences « romanes » des verbes, comme le montrera le
tableau suivant :
Grabovvski
VON
Waiil
BOKL
Présent : — e (muet)
—
— (finale atone)
Passé : — è
— i
— (finale accentuée)
Futur : — era
— re
— ra
Conditionnel : — ère
— rie
— re
VoN Wahl voulait former les temps passés au moyen de l'auxi-
liaire aver, et ceux du passif au moyen do l'auxiliaire esser :j'ai
été aimé se traduirait littéralement par : ave essito amato. Gra-
BOWSKi faisait de môme : mo hâve perdita ma plumo; mais il pous-
sait l'imitation du français jiisquà employer l'auxiliaire eser
pour les verbes neutres : II' ese venita. Il renonçait aussi à la
régularité dans la déclinaison des pronoms personnels (ego, me ;
tu, te; il, le; noi, nos; voi, vos; illi, illos) et dans la formation
des pronoms possessifs (ma, ta. sa; noia, voia, loia). En somme,
il sacrifiait complètement la régularité et même la logique à
l'imitation scrvile des langues romanes.
Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que tous les collaborateurs
du Linguisi se flattaient de construire une langue bien supérieure
à l'Espéranto, qu'ils s'accordaient à considérer comme « un pro-
duit de la fantaisie » ; tout en le reconnaissant meilleur que le
Volapûk, ils lui reprochaient, comme à celui-ci, l'arbitraire dans
le choix des racines et des affixes. On a peine à comprendre
comment ils pouvaient porter un jugement si sévère sur une
langue fondée précisément sur le principe d'internationalité
dont ils s'inspiraient, et qui était leur seul point fixe et commun.
On se l'explique toutefois, si l'on remarque que les petits
manuels du l)"" Zameniiof ne contenaient aucune indication sur
les principes théoriques de sa langue, et que son lexique très
sommaire ne permettait peut-être pas de les deviner : dès lors,
ce mélange de racines empruntées à diverses langues pouvait
1. Grabowski reprochait à la grammaire Espéranto de ne pas s'inspirer
de la philologie romane.
474 SECTION III, CHAPITRE XXIII
paraître arbitraire, et d'autre part la grammaire et la formation
des mots faisaient plutôt ressortir la régularité que l'internatio-
nalité.
Quoi qu'il en soit, Grabowski entreprenait de réformer VEspe-
ranto {Reforma projecto) ; il était amené peu à peu à répudier tous
ses « Espérantismes », et à élaborer une langue nouvelle beau-
coup plus latine, 1' « analitic Modem Latin ». 11 n'admettait pas
l'accentuation uniforme, car il réprouvait, au nom de l'étymo-
logie, les mots ocùlo, angélo; et, d'autre part, il ne pouvait pas
adopter ôclo, ànglo, à cause des dérivés {oculaire, angélique). A
quoi Max Wahren répondait judicieusement que les langues
modernes ne conservent pas toujours la place de l'accent latin
(ex. : constriiere, F. construire; movére, E. môve, I. môvere; corri-
gere, F. corriger, D. corrigieren). Grabowski supprimait l'accu-
satif, et formait le pluriel des noms en remplaçant -o par -i'. 11
conservait l'-a final des adjectifs. Beermann lui objectait aussitôt
que c'était là une règle arbitraire, et que l'a final indique le
féminin dans les langues romanes : on doit dire : doctora, inspec-
tora, comme en espagnol. Là-dessus Bôkl ripostait que ces
féminins ne sont pas internationaux, et que, pour se conformer
à l'analogie (du latin), il faut dire : doctrice, inspectrice. Pour lui,
les finales -o et -a ne représentent pas le masculin et le féminin ;
l'o signifie en latin le mouvement, la direction {quo, rétro), tandis
que l'a indique le repos ou l'état {supra, infra, intra, extra,
juxta...), et il proposait en conséquence d'ériger ce fait acci-
dentel en règle générale, et de dire, dans le cas de mouvement :
intro, infro, supro, extro... ^\
Ce petit échantillon des discussions du Linguist est très
instructif. 11 montre que les rédacteurs méritaient, tous, les
reproches qu'ils adressaient à VEsperanto, et qu'ils se renvoyaient
eux-mêmes mutuellement. L'un de ces reproches était l'arbitraire ;
et par peur de l'arbitraire, ils tombaient dans le défaut contraire,
l'absence de régularité. L'autre reproche était le caractère non-
scientifique; et ils qualifiaient ainsi tout ce qui était contraire ou
seulement étranger aux langues naturelles, surtout au latin. Ils
ne se rendaient pas compte que l'on ne peut atteindre la régula-
rité sans quelque arbitraire, et que l'exclusion de tout arbitraire
1. Comme M. de Beaufront dans son Adjuvante (v. p, 329, note 1).
2. Autant de barbarismes à faire dresser les cheveux sur la tête des
latinistes.
LE LINGUIST 475
conduirait h adinetlrc toutes les anomalies et tous les idiotismes
des langues vivantes : par exemple (suivant une renianiuc; de
J. Lott), Beermann adoptait le suffixe -oor pour indiquer l'action
(klamoor = cri); mais alors kantoor devrait signifier c/ia/i/, et non
chanteur. Il est donc impossible de respecter à la fois l'histoire et
la l()gi(pio, l'étyniologie latine et la dérivation uniforme, en un
mot lintcrnationalité et la l'égularité. De même, la prétention à
la « scientificité » se traduit, pratiquement, par la conservation
scrupuleuse des formes latines, et aboutirait purement et simple-
ment à l'adoption du latin comme L. I. Ainsi les deux idées
directrices de ces auteurs étaient contradictoires avec leur but.
En somme, l'union était loin d'être faite, ou même de se faire,
parmi les collaborateurs du Linguisl, malgré leur désintéresse-
ment et leur bonne volonté. Il est difficile de ne pas partager
roi)inion du philologue GuRU Negoro, qui trouvait que le Lin-
guisl ne faisait qu'augmenter le désordre et la confusion des
idées, en discutant les principes les plus évidents. On ne s'enten-
dait même pas sur la méthode à suivre : Bôkl voulait instituer
des discussions théoriques et quelque peu scolastiques sur les
concepts de langue inlernalionale et de mot international, dont il
cherchait à donner de savantes et subtiles définitions; d'autres
préféraient élucider des questions plus positives, spéciales et
techniques de grammaire et de philologie ; d'autres enfin (Lott
et RosENBERGER) voulaient prendre le taureau par les cornes, et
commencer par élaborer le vocabulaire international. C'est d'ail-
leurs ce que Rosenberger réussit à faire avec l'Académie inter-
nationale dont il était le directeur *. On peut conjecturer que le
Linguisl, malgré la science de ses collaborateurs et l'intérêt do
ses articles, n'eût abouti à aucun résultat, faute d'une direction
ferme et d'un plan de travail défini.
On peut tirer de cette histoire une conclusion pratique : c'est
que l'on n'arrivera jamais à rien par des discussions sur la
nature et la constitution de la langue universelle à adopter -.
Dans ces questions si délicates de linguistique, le proverbe :
Tôt capila, fol sensus, est vrai plus que partout ailleurs, et les col-
laborateurs du Linguist ne se faisaient pas faute de le rappeler...
1. Voir le Ctiapilre XXVI : Idiom neutral.
2. Nous entendons parler des discussions au.xquelles se livrent de simples
particuliers, des « individualités sans mandat », et qui sont dépourvues de
toute sanction officielle et pratique.
476 SECTION III, CHAPITRE XXIII
et de le vérifier. L'union, que le Linguist se proposait de réaliser,
ne peut se faire que sur le principe de là langue universelle, et
sur les conditions pratiques qu'elle doit satisfaire. Pour le reste,
c'est-à-dire pour le choix ou l'élaboration de la langue qui doit
remplir ces conditions données, il faut s'en remettre à un très petit
nombre de personnes compétentes et autorisées, dont la sentence
soit acceptée d'avance et fasse loi. Encore faut-il s'entendre sur
la « compétence » que l'on doit exiger des juges ou des arbitres :
il ne s'agit pas de confier la solution à un comité composé exclu-
sivement de philologues : il risquerait trop de retomber dans les
errements du Linguist, et de vouloir calquer la langue universelle
sur les langues vivantes, au détriment de la simplicité, de la
régularité, et par conséquent de la facilité qui doit en être la
qualité essentielle. Sans doute, il y faut le concours de la science
philologique : mais il y faut surtout de la logique, et même du
bçn sens. Les philologues s'embarrassent de scrupules et de
difficultés qui n'existent que pour les polyglottes et les érudits,
et dont l'immense majorité des intéressés fait bon marché, ou ne
se doute même pas. A quoi bon, par exemple, s'attacher avec un
respect superstitieux à l'élymologie et à l'accentuation latines,
alors que la langue universelle est faite surtout pour ceux qui
ne savent pas le latin? Il faut donc joindre aux philologues,
dont l'esprit est forcément asservi à l'histoire et à la tradition,
d'abord, des logiciens qui sachent démêler sous la complexité
irrégulière des formes linguistiques les relations simples et uni-
formes des idées; ensuite, des savants de tout ordre et des pro-
fessionnels de tous les métiers, qui puissent, non seulement
élaborer les vocabulaires spéciaux qui relèvent de leur compé-
tence, mais faire valoir les besoins ou les exigences spéciales
de leur profession; Au contraire, des philologues, livrés à eux-
mêmes, seraient fatalement entraînés à construire une langue
trop savante et trop compliquée, ingénieuse et subtile peut-
être, mais impraticable ; et ils ne satisferaient nullement les
besoins pour lesquels la langue universelle est réclamée. Trop
heureux, si leurs profondes recherches aboutissaient à quelque
résultat positif, et si, au bout d'un siècle de savantes discus-
sions, l'on n'était pas obligé de répéter le vers d'HoRACE, qui
semble fait exprès pour les auteurs de langue universelle :
Grammatici certant, et adhuc sub judiee lis est.
CHAPITRE XXIV
PUCHNER : NUOVE-ROMAN '
L'auteur, professeur do langues étrangères, croit qu' » une
langue universelle ne puisse [sic) se fonder que sur les langues
romanes »; e le plus excellent des idiomes romans, la langue
espagnole, représente la base de son Nuove-Roman », auquel il a
essayé d'ajouter « les douces formes des vocables italiens, la
beauté et l'exactitude de la grammaire française et l'admirable
simplicité de la langue anglaise ». Son ouvrage est entièrement
écrit en Naove-Roman, et se lit aussi aisément que... de l'espagnol.
Valphabel est lalphabet latin, moins les lettres A; et x ; c se
prononce comme en français; s est tantôt dur, tantôt doux. Les
voyelles se prononcent comme en italien et en espagnol.
L'article défini est lo, Varlicle indéfini un, tous deux invariables.
Les substantifs forment leur pluriel en -s ou -es. La déclinaison
se fait au moyen de prépositions : di, à, da. L'accusatif est sem-
blable au nominatif.
Les adjectifs sont invariables.
Les noms de nombre sont imités du latin, et par conséquent
irréguliers : les ordinaux ne dérivent pas régulièrement des car-
dinaux.
Les pronoms personnels sont, au nominatif :
i"p.
2« p.
3« p. m.
3« p. f.
Sing.
io
tu
il
el
Plur.
noi
▼oi
iles
eles
i. Gramatica di Nuove-Roman, lingua universal inventât e construit par
Prof. J. PucHNKR, posedor d'un institut per lo linguas modem. 78 p. in-S"
(Linz, 1897).
478
à l'accusatif :
et au datif :
SECTION III, CHAPITRE XXIV
Sing.
Plur.
mi
noi
ti
vol
lo
11
la
le
Sing. mi^ ti lui lei
Plur. noi voi lor lor
Ils ont encore d'autres formes t disjointes » au nominatif et à
l'accusatif*.
Les adjectifs possessifs, invariables, sont :
mi - tu - su
nostre vostre lor
et les pronoms possessifs, variables en genre et en nombre :
mio tuo suo
nostro vostro loro
Les verbes varient en personne et en nombre.
Voici par exemple l'indicatif présont du vorl)o amar (niiner) :
amo, ami, ama; amos, amis, aman.
Mais ces désinences ne se retrouvent pas régulièrement aux
autres temps. Les f^^ personnes des autres temps sont :
Imparfait :
amivo ...
amimos ..
Passé défini :
amô ...
amôs ... '
Parfait :
amevo ...
amemos .
Plus-que-parfait :
amavo . . .
amamos .
Passé antérieur :
amiavo . . .
amiamos
Futur :
amaro ...
amaros ..
Futur antérieur :
amiaro ...
amiaros .
Conditionnel présent :
amareo ...
amareos .
— passé :
amiareo ...
amiareos
Subjonctif présent :
ameo ...
ameos ...
— imparfait :
amiso ...
amisos ...
— parfait :
ameso ...
amesos ...
— plus-que-parfait :
amaso ...
amasos ...
Impératif :
amei, ameos,
ameis.
Infinitif passé :
amiar.
Participe présent :
amando.
— passé :
amiando.
Participe passif :
amat.
1. Leur génitif se représente par ne (L), ce qui ne contribue pas précisé-
ment à la clarté.
2. Formes de pronoms personnels.
3. Ce temps ne diffère du présent que par l'accent.
PUCHNER : NUOVE-ROMAN 479
Tous les verbes se conjuguent comme amar ', excepté le verbe
estar (être) qui a une conjugaison propre et irrégulière : sio,
ei, é...
Le passif ac forme au moyen de l'auxiliaire être et du participe
passif*.
Le vocabulaire est entièrement emprunté à l'italien et à l'espa-
gnol, y compris les déformations nationales des radicaux latins.
Ex. : uom = homme, amigo = ami, aU)ero = arbre, buon = bon,
nuov =: nouveau, esato = exact, difesa = défense, dotor == docteur,
grido := cri, note = nuit, teto = toit.
Naturellement, les mots dérivés sont aussi irréguliers que dans
les langues naturelles : atencion =: attention, atente ^ attentif; dis.
tinger= distinguer, distinte = distinct; forte =fort, forza == force.
Enfin le Nuove-Roman accepte tous les idiotismes : andar via (I.) =
s'en aller; di melior ora = de meilleure heure (ce qui prouve, en
outre, que le comparatif n'est pas toujours régulier).
Ces indications sommaires suffisent à montrer les défauts de
ce projet : d'abord il n'est pas neutre, puisqu'il prend pour
modèle une ou deux langues nationales seulement; ensuite il
n'est pas régulier, parce qu'il reproduit servilement toutes les
anomalies de ces langues. Il serait presque aussi difficile à
apprendre que l'italien ou l'espagnol,... si ce n'est pour les per-
sonnes qui les savent déjà. Autant vaudrait alors adopter l'une
de ces langues pour L. I.
1. Toutofois, nous remarquons dans les exemples des participes passifs
comme conduit, vendit, punit, et des inlinitifs comme perder, traduir.
2. On ne fait aucune différence entre le passif présent et passé; on dit :
« la vertu est admirée » comme : t les lettres sont copiées ». On emploie le
verbe réfléchi au lieu du passif : « Ces marchandises se vendent facilement ».
CHAPITRE XXV
KURSCHNER : LIiSGUA KOMUN^
Ce projet prétend être « strictement objectif et scientifique » :
ce n'est pas « une langue artificielle, mais une langue naturelle
internationale ». L'auteur réprouve tous les projets antérieurs,
comme t subjectifs » et arbitraires : ou bien ils ne tiennent aucun
compte de l'internationalité (comme le Volapûk), ou bien ils n'en
tiennent compte qu'en partie (comme VEsperanto, à qui l'auteur
reproche sa formation systématique des mots dérivés et com-
posés 2). Il n'y a pas besoin d'inventer la langue auxiliaire : elle
existe déjà, en puissance, dans le vocabulaire international,
notamment dans celui de la science. Or, comme les mots inter-
nationaux sont pour la plupart venus du latin, il s'ensuit que la
langue internationale aura nécessairement un aspect néo-latin
ou roman. L'auteur soutient que cette base latine de sa langue
en constitue la neutralité. Et pour prévenir une objection pos-
sible de la part des personnes de langue germanique, il fait
remarquer que sa langue aura l'avantage de leur faire apprendre
et comprendre les « mots étrangers » et les termes scientifiques
qui abondent dans leur propre langue ; avantage qu'on n'obte-
nait jusqu'ici que par l'étude, autrement longue et pénible, du
latin et du grec. L'étude de la lingua komun sera en outre la meil-
leure préparation à celle de quelque langue romane ou de l'an-
glais, attendu que le vocabulaire de ces langues est en grande
1. Die Gemeinsprache der Kulturvôlker « Lingua komun » auf Grund der
in allen Kultursprachen verhreiteten internationalen WÔrter. Prospekt, par
Fr. KuRSCHNER (professeur de sciences commerciales et de langues vivantes),
à Orselina sur Locarno (Tessin, Suisse). 12 p. 8", 1900.
2. Exemple : pourquoi dire ununombro = singulier (gramm.) alors que
singular est universellement connu?
KLRSCHNER : LINGUA KOMUN 481
partie latin '. De cette manière, le désavantage apparent que
cette langue présente pour les peuples de langue germanique
sera compensé par un avantage réel. La grammaire sera néces-
sairement aussi romane, pour ne pas jurer avec le vocabulaire.
Grammaire.
l.'alphnbel osl lalpliabet lafin; la prononciation est la pronon-
ciation allemande, sauf pour les lettres suivantes (dont nous
indiquons le son en français): c=^ts; s := ss, z = z: y =v; àh =
ch. L'accent porte en général sur la dernière syllabe fermée (par
une consonne). Toutes les lettres s'écrivent en minuscules.
Les substantifs ont le genre naturel : les noms de choses ont le
genre neutre. Ils prennent au pluriel -s ou (après l, n, r) -es. Ils
n'ont aucune déclinaison.
Varticle défini est il (m., n.) ou la (f.) au sing., les au pluriel
(3 genres) ^. Il n'y a pas d'article indéfini.
L'arf/ec/i/épithète est invariable. Il ne prend le signe du pluriel
(pie lorsqu'il est substantifié; dans le môme cas, il est précédé de
l'article (il grande, la bel). L'adjectif pris au neutre est précédé
d'un article spécial : lu bel = le beau.
Les adverbes dérivés se forment au moyen du sufïixe -em (abré-
viation de -emente, L). Ex. : certem. direktem. tristem.
Loi^ pronoms personnels sont : mi, tu, ilo ini.), ila if.), ilu (n.); nos,
vos,... On = om.
Los pronoms possessifs sont : mie, tue. sue; nose. vose,...
Les verbes sont invariables en personne et en noml)re. Ils
suivent une des 3 conjugaisons dont voici les désinences ' :
Infinitif : -ar -er -ir
Participe actif : ante -ente -lente
— passif : -ate -ite -ite
1. On pourrait objectera l'auteur que la L. I. doit précisément remplacer
toutes les langues étrangères. Cette objection ne serait pas juste, et il y a
répondu d'avance : d'abord, dans la période de transition, il sera encore
utile de connaître les 3 principales langues européennes (1)., E., F.); ensuite,
on pourra toujours avoir besoin d'apprendre une langue vivante pour entre-
tenir des relations spéciales avec le peuple qui la parle.
2. 11 se contracte avec les prépositions de, a, kon, in, sur, per, en del,
al. kol, nel, sul, pel (comme en I.).
3. L'unité de conjugaison serait arbitraire, selon l'auteur, parce qu'elle
dénaturerait les formes internationales.
CouTCitAT et Lkau. — I.anguo univ. 31
482 SECTION III, CHAPITRE XXV
Indicatif présent : -a -e -e
Indicatif passé : -à -é -i
— futur : -arâ -erà -ira
Conditionnel présent : -aria -eria -iria
Impératif-optatif: -e a -a
Les temps composés (antérieurs) se forment au moyen de
l'auxiliaire haver et du participe passif; les temps du passif, au
moyen de l'auxiliaire eser et du même participe. Le verbe eser a
pour participe passé (irrégulicr) state (de star).
Syntaxe. Comme il n'y a pas d'accusatif (même pas dans les
pronoms), l'ordre des mots doit être fixé : le sujet est toujours
avant le verbe, et le régime direct est après le verbe, ou, si l'on
veut le faire ressortir, avant le sujet.
L'interrogation est marquée en conséquence, non par l'inver-
sion du sujet, mais par la particule ku (ou par un mot interro-
gatif commençant par ku) mise en tête de la phrase.
Vocabulaire.
L'auteur ne donne qu'un lexique très sommaire. On y remarque
les conjonctions : e ou ed, o ou od, ma, kar ou nam, ke, proke
{pour que); les prépositions ante, por (à cause de), pro (en vue de);
les adverbes non, mem; les substantifs afar [affaire), amiko, autor,
eternitâ, idioma, libro, letra, komunikacion, konsciencia, korespon-
dencia, racion, tera, viktoria; les adjectifs alfabetike, artificial,
internacional. kordial, necesarie, real, scientiflke ; les verbes anexar,
aprender, divenir, ignorât, informât, konoscer, reciver, regardât,
sktivet (écrire), tenet, venit, volet (vouloir).
D'après les principes exposés par l'auteur, il ne faut pas lui
demander la régularité des dérivations. Nous trouvons ainsi favo-
tâbil, agreâbil à côté de dezirabil et exekutabil; estima, estimât;
gtamatika, gtamatikal ; homo, human, humanità; judikat, judika-
mento ; kultivat, kultuta ; tekomendat, tekomendacion ; t espondet,
tesponsa; seniot, seniota (dame); titulo, titulat; ttankuile, ttankui-
lizat; util, utilitâ; vokabulo, vokabulatio. L'auteur indique cepen-
dant le suffixe -et comme diminutif.
Comme échantillon de lingua komun, nous citerons le Pater :
padte nose kuale tu ese in cielo, santé esa tue nômine; vena
impetio tue ; voluntâ tue esa fate sut tera komo in cielo ; dé a nos
KCRSCHNER : LINGUA KOMUN 483
hodi nose pan kuotidian : perdone nose kulpas, kual nos perdona
nosc kulpantes; ni konduka nos in tentacion, ma libère nos de
lu mal.
Critique.
M. KiJRSCHNER a commencf' |)ar iHvo un adopte et un propapa-
tcur de VEsperanlo. Puis, pour les raisons indiquées plus haut, il
a élaboré un projet de réforme de VEsperanlo, et il a été ainsi
amenô à concevoir sa lingiia komun, assez analoerue au Mundo-
lingue de J. Lott, en s'inspirant des idées de Liptay et des prin-
cipaux collaborateurs du Linguist. Comme ceux-ci, il est imbu du
préjugé € scientifique »,et, pour lui comme pour eux, une langue
« scientifique » ne peut être que romane par sa grammaire et
néo-latine par son vocabulaire.
Il est par suite obligé de sacrifier complètement la régularité
à l'internationalité, ou plutôt à une inlernationalilé partielle et
partiale. Voici les deux points principaux sur lesquels il se sépare
de l'Espéranto (à son désavantage, croyons-nous) : d'une part, il
supprime la distinction formelle des parties du discours (sauf
pour les adverbes dérivés), de sorte qu'un nom peut se terminer
comme un adjectif ou comme un verbe ; d'autre part, il admet une
pluvalilé de conjugaisons, complication bien inutile, et. qui pis
est, la même désinence a un sens différent suivant la conjugaison :
l)ar exemple, -a, qui désigne l'indicatif dans la 1'* conjugaison,
désigne l'impératif dans la 2" et la 3"", et l'inverse a lieu pour -e,
de sorte que pour savoir ce qu'une telle désinence signifie il faut
se demander d'abord à quelle conjugaison le verbe appartient
(et même, si c'est un verbe). Ces remarques suffisent à montrer
que, si la lingua koimm est plus « scientifique » que d'autres pro-
jets (ce que nous n'osons pas décider), elle est beaucoup moins
simple, moins régulière, et partant moins facile et moins pra-
tique.
CHAPITRE XXVI
AKADEMI INTERNASIONAL DE LINGU UNIVERSAL :
IDIOM NEUTRAL^
L'Académie internationale de langue universelle est l'Académie ins-
tituée par les deux Congrès internationaux de Volapùkistes
(1887, 1889) pour réformer et perfectionner le Volapûk. Nous avons
résumé son histoire jusqu'au jour où elle élut directeur pour
cinq ans (15 mai 1893-15 mai 1898) M. Woldcmar Rosenberger,
ingénieur des chemins de fer russes à Saint-Pétersbourg.
Celui-ci donna une impulsion nouvelle aux travaux à peu près
interrompus de l'Académie. 11 communiquait avec ses collègues
par des circulaires (rédigées en Volapûk) où il leur proposait une
à une les règles grammaticales et les formes ; les académiciens
répondaient oui ou non à chacune de ces propositions. Les propo-
sitions votées par la majorité étaient adoptées comme Résolutions
de l'Académie ; les propositions repoussées donnaient lieu à des
contre-propositions que le directeur soumettait à leur tour au
vote de ses collègues. Ainsi la langue était bien l'œuvre collec-
tive de toute YAcadémie, puisqu'il n'y a pas un détail, pas un mot
qui n'ait été approuvé par la majorité; mais il est juste de
reconnaître que la plus grande part du travail et de l'initiative
revient à M. Rosenberger, d'autant plus que Vidiom neutral res-
semble, dans ses traits essentiels, au projet personnel qu'il avait
exposé dans ses circulaires n°^ 15 et 16 (25-30 avril 1895).
Le résultat de ces cinq années de travail, consigné dans
45 circulaires, fut une série de 126 résolutions fixant :
1. Rosenberger : Grammatik und Wôrlerbuch der Neuiralsprache, suivi
d'une Kurzfjefassle Geschichte der internaiionalen Wellsprache-Akademie,
315 p. 10° (Leipzig, Haberland, 1902). Nous avons eu en outre communica-
tion de la série des circulaires de l'Académie, depuis 1893 jusqu'à présent.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 485
i° Los règles d'orthographe et de prononciation;
2° Environ 3000 radicaux les plus usuels;
3" Les |)rincipaux pn'lixes et suffixes;
V Un grand nondjre de mots dérivés et composés;
5" Toutes les particules ;
6° Toutes les formes grammaticales;
7° Les régies de syntaxe (ordre des mots).
En somme, à la fin du directorat de M. Rosenbekger, la langue
était constituée. Aussi le premier soin de son successeur, le
Révérend A. -F. Holmes, t recteur » à Macedon près Rochester
(New- York, États-Unis), fut-il de la prendre pour langue officielle
de l'Académie, et de traduire en cette langue les Statuts et les
Résolutions de l'Académie. Celle-ci ne s'appela plus Kadem bevû-
netik volapûkn, mais Akademi internasional de lingu universal; les
Zûlags devinrent des Sirkulari, divisées comme aui)aravant en
Parti linguistik (DU pûkavik) et Parti de administrasion (Dilgovamik).
On adopta pour la nouvelle langue le nom d'Idiomneutral, et l'on
continua à perfectionner la grammaire et à enrichir le vocabn-
laire de radicaux nouveaux suivant le programme et la méthode
inaugurés par M. Rosenberger. Celui-ci, qui est sous-directeur
de rAcadémie pendant le directorat de M. Holmes (16 mai 1898-
15 mai 1903), a été chargé de publier en allemand la Grammaire et
le Vocabulaire de l'Idiom neutral, conformément aux résolutions
de l'Académie. D'autre part, M. Holmes vient de les publier en
anglais' et M. Ronto van Rvlevelt se propose de les publier en
hollandais.
La composition de l'Académie varie chaque année, en raison
des réélections (chaque académicien est élu pour cinq ans, et
rééligible) ; le nombre des académiciens a varié de 15 à 36. Nous ne
pouvons reproduire ici la liste des 81 personnes qui en ont fait
partie successivement; nous nous bornerons à donner la liste
des membres au 1" janvier 1903 : MM. Actis, de Ferrare; Berlo-
Uni, de Rologne; lionto van Bylevelt, d'Amsterdam; D' Earle,
Rochester; Mlle Enderneitt (Mme Bayer), Copenhague; MM.Fre/ic/i,
Saranac Lake (U. S. A.); D"" Fros/, Konigsberg: Adam Henderson,
Glasgow; L> Hoffmann, Konigsberg; Rev. Holmes, Macedon (U.
S. A.): Huebsch, New- York; Lentze, Leipzig: Mackensen, San
1. Diclionanj of the Nevlral Laiiguage, 312 p. in-lG (Rochester, Joha
P. Smith, 1903).
486 SECTION III, CHAPITRE XXVI
Antonio (Texas, U. S. A.); D' Oreglia d'Isola, Rome; Plam, Copen-
nhague ; Rosenberger, S'-Pétersbourg : Schmidt, Niirnberg : Shmurlo,
Tomsk; Mlle Verbrugh, Wageningen (Pays-Bas); MM. Waegenaere,
Courtrai; le major Wood, Jefferson Barracks (U. S. A.). En
résumé, l'Académie comprenait à cette date 1 Belge, 2 Danois,
4 Allemands, 1 Anglais, 3 Italiens, 2 Hollandais, 2 Russes et
6 Américains '.
Voici maintenant les principes qui ont dirigé l'élaboration de
VIdiom neutral. Avant tout, M. Rosenberger et ses collègues ont
délibérément subordonné la grammaire au vocabulaire 2, con-
trairement à l'esprit du Volapiik ; cela, seul constituait une réforme
radicale du système, ou plutôt la substitution d'un système a
posteriori à un système a priori. En effet, l'Académie adopta pour
le vocabulaire le principe suivant : « Les radicaux les meilleurs
sont ceux qui se trouvent comme mots nationaux ou comme
mots étrangers dans le plus grand nombre des langues princi-
pales de l'Europe (Res. 11) »; en un mot, \c principe du maximum
d'internationalité. (Les « langues principales » visées sont D., E.,
F., I., R., S., plus le latin.) Dès lors, pour pouvoir admettre sans
les défigurer les radicaux internationaux, il fallut supprimer
progressivement toutes les règles arbitraires et toutes les res-
trictions gênantes de la morphologie du Volapûk : on admit des
radicaux disyllabiques et trisyllabiquos (Res. 1 et 2j, et môme
de 4 et 5 syllabes : temperatur, perpendikular (Res. 21) ; des radi-
caux de la forme cvcve (Res. 3, 4, 5); des radicaux contenant la
lettre r, môme avec la lettre 1 (Res. 7, 8); des radicaux finissant
par 2 consonnes ou par -s (Res. 10, 15, 16, 17); des radicaux
commençant ou finissant par une voyelle : adres, lingu, akua
(Res. 18, 19); des radicaux contenant 3 ou 4 consonnes de
suite, pourvu qu'ils se trouvent déjà en D., E. ou F. : monstr
(Res. 22). Enfin, on rompait avec les principes essentiels du
Volapûk en supprimant toute terminaison caractéristique de
classes d'objets, comme -in pour les corps chimiques, -ip pour
1. Depuis le 29 mai 1895, TAcadémie ne compte plus un seul Français.
Jusqu'à cette date elle comprenait les Français suivants : H. Baines, le prof.
H. Guignes et l'ingénieur A. Morel (du Creusot).
2. V. Rosenberger, VV'as wir jetzt zu thun hahen\ ap. Lingvist, 1890, n° 4.
Allusion à cette phrase de Max Mûller, adressée au D' Liptay : « Was Sie
jetzt zu thun haben, ist, ein voUstandiges Wôrterbuch auszuarbeiten ».
(Nous avons cité cette lettre de Max Millier p. 437, note 1.) Cf. Rosenberger,
Wôrterbuch der Neutralsprache, p. 306, 303.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 487
les maladies, et -it pour les oiseaux (Res. 20) ; et iiK^ne toute
désinence caractéristique des parties du discours, (-omnie -ik
pour les adjectifs (Res. 12, 14).
Ces principes une fois posés, M. Hosenberger commença à pro-
poser à TAcadémie des séries de radicaux, en indiquant pour
chacun d'eux les langues auxquelles il appartient, de sorte qu'on
peut constater d'un coup d'd'il son degré d'internationalité *. En
même temps, il faisait adopter par 1" Académie les règles de gram-
maire, de syntaxe, d'accentuation, de prononciation et de trans-
cription; puis les particules, les flexions, les aflixes de dérivation,
et les principaux mots dérivés et composés. Ce système gramma-
tical est presque identique au projet de grammaire que M. Rosen-
BERGER avait proposé dans sa circulaire n" 13 (23 avril 1893).
D'ailleurs, l'Académie ne s'est nullement interdit de s'inspirer
des travaux des précédents inventeurs; et M. Rosenberger
reconnaît expressément ce que Vidiom neatral doit à l'Espéranto,
au Kosinos, au Spelin, au Myrana, au Mandolingue, à VUniversala et
au Novilatiin, ainsi qu'aux conseils de divers philologues, et sur-
tout au D"" LiPTAV. En somme, Vidiom neatral n'a guère conservé
du Volapùk que les principes généraux suivants : « 1° Le radical
rst toujours invariable; 2" les dérivés ne peuvent être formés que
par l'adjonction d'afHxes; 3° il n'y a qu'un affixe pour chaque
sens dérivé; 4° les affixes peuvent être attachés à nimporte quel
radical, dès que le sens le permet»; auxquels il faut ajouter
l'orthographe phonétique et l'absence de toute exception ^ Ces
principes se réduisent à deux : invariabilité de forme et uni-
formité de sens de tous les éléments grammaticaux.
Grammaire.
Valphabet comprend 5 voyelles : a, e, i, o, u {ou); et 18 con-
sonnes : b, c {tch), d, f, g (toujours dur), h (aspiré), j (F.), k, 1, m,
n, p. r, s (toujours dur), t, v, y, sh (E., ch F., sch D.)'.
L'accent tombe sur la voyelle qui précède la dernière consonne,
1. Cette indication se fait au moyen des 7 initiales e, t, (I, m, I, r, 1,
rangées dans cet ordre après chaque radical. Une lettre grasse signifie que
le radical est identique au radical national par l'écriture ou la prononcia-
tion; une lettre ordinaire signifie qu'il y a seulement similitude.
2. RosGNBEHOER, Wôrterbuch der Seutralsprache, p. 304, note.
3. Le z est admis (avec le son français), niais seulement pour la trans-
cription phonétique des noms propres il des mots étrangers (Res. 116).
488 SECTION III, CHAPITRE XXVI
Ex. : fortùn, manu, filio. S'il n'y a pas de telle voyelle, laccent
tombe sur la première voyelle du mot : Déo, mai*.
Il n'y a pas d'article, ni défini, ni indéfini *.
Les substantifs ne se déclinent pas. Le génitif et le datif sont
marqués par les prépositions de et a; l'accusatif est 'semblable
au nominatif; le sujet se distingue du régime direct par sa place-
devant le verbe : pair am filio = le père aime le {son) fils.
Le genre est toujours naturel, il n'existe par conséquent que
pour les personnes et les animaux. Il est marqué par les dési-
nences -0 (masc.) et -a (fém.). Ex. : ka val = c/i«»o/ : kavalo = étalon;
kavala = jument.
Le pluriel est marqué par l'addition d'un -i : patri. tabli, lingui;
kavali; kavaloi; kavalai.
Les adjectifs sont invariables en genre et en nombre, excepté
quand ils sont employés comme substantifs. Ex. : boni e mali, les
bons et les méchants.
Les degrés de comparaison sont indiqués par les particules plu et
leplu : grand, plu grand, leplu grand. Très = multe.
Les noms de nombre cardinaux sont : un, du, tri, kuatr, kuink,
seks, sept. okt. nov, des; desun, H : desdu, 12;... dudes, 20; trides,
30; kuatrdes, 40:... sent, 100; sent un, 101;... dusent, 200;... mil,
1000;... milion (invariable), 1 000 000; bilion, mille millions; trilion,
un million de millions, et ainsi de suite.
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant aux cardinaux le
suffixe -im : unim, l^r; duim, 2«, etc. On peut aussi employer les
nombres ordinaux irréguliers (latins) : prim, sekund, ters, kuart,
kuint, sekst, oktav.
Les nombres ordinaux servent aussi à désigner les dénomina-
teurs des fractions : 0,2 = du desimi; 2/109 = du unsent novimi.
Les premiers nombres partitifs sont irréguliers : 1/2 = un sekund
ou un demi ; 2/3 = du tersi *.
Les nombres multiplicatifs se forment en ajoutant aux cardinaux
le suffixe -upl : unupl, simple; duupl, double, triupl, triple; etc. (On
admet aussi : simpl, dupl, tripl.)
1. Celte règle a été proposée par M. von Wahl : voir J. Lott, Un ïingua
internazional, p. vi (1890),
2. En cas de besoin, les pronoms démonstratifs ist et el peuvent suppléer
l'article défini, et les pronoms indéfinis sert (certain) et kelkun, l'article
indéfini (§ 4). De même, le pronom neutre it sert d'article pour transformer
un adjectif en substantif neutre : it bel = le beau (§ 27).
3. Moitié (subst.) se dit semiad.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 489
Les nombres distributifs sont les cartliiiaux précédés de la parti-
cule a : a du. deux à deux.
Los nombres (h- fois cardiiianx cl onliiiaux sont indiqués par le
suffixe -foa : unfoa, dufoa, etc. ; primfoa, duimfoa, etc.
Les adverbes ordinaux dérivent des nombres ordinaux par
l'adjonction d'un -e (suffixe adverbial) : prime, sekunde.
Los verbes multiplicatifs so forment au moyen du suffixe -ifikar
appliqué aux nombres de fois : duplifikar, doubler.
Les pronoms personnels sont : mi, vo '. il (m.), lia (f.), it (n.); noi,
vol, ili (m. et n.) liai (f.). Ils se déclinont comme les substantifs.
On = on; le pronom réfléchi est se.
Les pro/ioms possessifs sont : mie, voir, sie; noir, vostr, lor. Celui
qui correspond au pronom réfléchi est sue (s. et pi.). 11 se rap-
porte au sujet de la proposition, par opposition à sie et lor.
Los pronoms démonstratifs sont : ist (m. f.), istkos (n.), celui-ci,
ceci; el (m., f.), elkos (n.), celui-là, cela; el sem (m., f.), it sem (n.),
le même; aut, même (L. ipse): tel, telkos, celui {qui), ce (qui).
Les pronoms relatifs-interrogatifs sont : kl, kekos. qui, que; kel,
keli, quel, quels; kelkos, quoil
Les principaux pronoms indéfinis sont : kelk. kelkkos, quelque,
quelque chose: kelkhom. kelkun, quelqu'un; nohom, personne; nokos,
rien: noua, aucun: omni. omnikos, tout, tous: omnihom, (un) chacun;
otr, otrkos, {un) autre; sert, sertkos, {un) certain, etc.
Les pronoms corrélatifs sont : tal.., kual..., tel... que...: tant...,
kuant.... autant... que... Kual et kuant sont aussi interrogatifs.
Los verbes n'ont qu'une seule conjugaison: ils sont invariables
en nombre et en personne. Voici le paradigme de l'actif appliqué
au radical am (aimer) :
Indicatif présent : mi am. j'aime.
— imparfait : mi amav. j'aimais.
— parfait : mi av amed, j'ai aimé.
— plus-que-parfait: mi avav amed, j'ni'ais aimé.
— futur : mi amero. j'aimerai.
— futur antérieur : mi avero amed, j'aurai aimé.
Conditionnel présent : mi amerio. j'aimerais.
— passé : mi averio amed, j'aurais aimé.
Impératif, 2^ pérs. sing. : ama, aime.
1. On admet le pronom tu pour traduire littéralement tu quand c'est
nécessaire. Le pronom possessif correspondant est tue (Res. 79).
490 SECTION III, CHAPITRE XXVI
Impératif, 2« pers. plur. : amate, aimez.
— l""^ pers. — amam, aimons.
Infinitif (présent) : amar, aimer.
Participe (présent) : amant, aimant.
Le passif a exactement les mêmes modes et temps, formés au
moyen des modes et temps correspondants du verbe esar {être)
conjugué régulièrement, suivi du participe passif amed. Il y a en
outre un gérondif : amand = qui doit être aimé.
Les verbes impersonnels sont précédés du pronom it (neutre).
Les verbes réfléchis sont suivis, à la 1'""' et à la 2« personne, du
pronom correspondant (semblable au i)ronom sujet): à la 3" per-
sonne, du pronom réfléchi se : mi lav mi, vo lav vo, il lav se.
Les verbes réciproques sont suivis du pronom unotr {l'un l'autre)
ou du pronom se suivi de l'adverbe resiproke : patr e filio am
unotr, ou : am se resiproke.
L'm<errogfa/ion est marquée parla particule eske {est-ce que) mise
au commencement de la proposition interrogative (qu'elle soit
principale ou subordonnée *), à moins que celle-ci ne contienne
déjà un pronom interrogatif, qui doit précéder le verbe.
La négation s'exprime par no, placé immédiatement devant le
verbe ou le mot nié.
Les adverbes primitifs sont : si, oui; no, non; ya, déjà; la, là; tro,
trop: plu, plus; minu, moins; bene, bien: kuasi, presque; rétro, en
arrière; sirka, alentour, etc.
Les adverbes dérivés sont formés au moyen du suffixe -e ^ :
dekstre, adroite; finie, enfin: frekuente, souvent; dôme, à la maison;
norde, au nord; pede, à pied, etc.
Les adverbes interrogatifs-relatifs sont formés au moyen du pré-
fixe ke-, qui a pour corrélatif le préfixe te- : kefrekuente, combien
souvent? kekaiuse, pourquoi? kemamere, comment? kéloke ou keplase,
où? ketempe, quand? Réponses : tekause, teloke, tetempe. D'autres
sont caractérisés par les initiales ku- : kuande, quand? kuante ,
combien? kuale, comment?
Les prépositions primitives sont : a, à, pour (devant un infinitif) ;
ad, auprès; ante, avant; da, depuis, à partir de; de, de; di, au sujet
de; eks, hors de; in, dans; ekstr, en dehors de; intr, entre; ko, avec;
1. Par suite, eske remplace les conjonctions interroa-atives ou dubitatives
si (F.) et ob (D.).
2. Ils se distinguent ainsi nettement des adjectifs, contrairement à ce qui
a lieu en allemand.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 491
kontr. contre; per, à travers, par (le moyen de); po, derrière; pro.
pour; sine, sans; sirka. antaiir; su, sur; sub. sous; trans, à travers:
ultra, fin delà; usk, Jusfjnn; versu, vers; via, par'.
Los prépositions d('M-ivécs sont formées au moyen du suffixe -u :
kausu, à cnnse de: plasu. nn lien de: sekuantu. à la suite de; mediu.
au moyen de; durantu, pendant; relativu, par rapport à, etc.
Il y a aussi des locutions prépositionnelles, comme : in nom
de. nn nom de; in manier de. n la manière de'^.
Les conjonctions primitives sont : e, et; et, aussi; u, ou; if, si: if
et, quand même; ma, mais; ke, que; ka, que (après un comparatif);
ni... ni..., ni... ni... (de même : e... e..., u... u...)
Les autres conjonctions sont formées de périphrases : a fini
ke, afin que; ante ke, avant que; da temp ke, depuis que; sine ke,
sans que; usk ke. jus^/u'ù ce que; taie ke. de sorte que.
Quelques-unes dérivent des prépositions par la substitution de
la finale (adverbiale) -e à la finale -u : kanse, parce que; kuande.
quand; plase ke. au lieu que; durante ke, pendant que^.
Parmi les interjections, citons : ekse (L. ecce), voici; apo (G.), loin;
fi (F.); ve (D.), malheur; stop (E.), halte.'*
Voici les principales r^gles de syntaxe :
L'adjectif (invariable) se place toujours après le substantif ;
patr bon, filia bon, filii bon.
Les nombres cardinaux et les fractions précèdent le substantif;
les aulres noms de nond)re le suivent : paragraf sekund, plesir
dupl.
Le verbe est toujours précédé du sujet et suivi de ses complé-
ments. Dans les phrases interrogatives, le verbe est précédé du
sujet et du mot interrogatif (qui peuvent être identiques) :Ki pari?
Ki patr puni. Qui le père punit-il? Lïhr de ki es su làbl. Le livre de<jui
est sur la talde? A ki vo donero flori. .1 (pu donnerez-vous les Jleurs?
Kuant paroli vo av scribed, Combien de mots avez-vous écrits?
On j)eut supprimer la i)réposition a du datif s'il n'y a pas
1. Le mot via est déjà international dans la langue des chemins de fer.
2. Il nous semble qu'on pourrait remplacer .avec avantage ces périphrases
par des propositions simi)les, et dire par exemple nomu (au nom rfe), comme
un dit plasu au lieu de : in plas de.
3. 11 nous semble ([u'il serait plus simple d'employer les mêmes mots
comme i)rt''positions et comme conjonctions, au lieu de leur donner une
forme adverbiale et de leur adjoindre l'inutile ke.
4. Le mot halte (D.) est international sur terre; le mot stop (stopper) est
international sur mer. Lequel des deux préférer?
492 SECTION III, CHAPITRE XXVI
d'équivoque à craindre (notamment avec les pronoms) : dans ce
cas, le datif précède toujours l'accusatif. Ex. : il don mi libr, il
me donne un livre ; il mit mi flori, il m'envoie des fleurs.
On a remarqué qu'il n'y a pas de subjonctif; on met toujours
l'indicatif après ke, et toujours le conditionnel après si. On ne
doit jamais sous-entendre la conjonction ke (comme cela se fait
trop souvent en allemand et en anglais).
Le place de l'adverbe est après le verbe (sauf la négation no),
mais avant le mot modifié, s'il n'est pas un verbe : multe grand,
très grand: yust ist, justement celui-ci.
Les prépositions sont toujours devant le substantif, qui est au
nominatif : kausu pluvi, à cause de la pluie K
Vocabulaire.
Le vocabulaire de Vidiom neutral comprend environ 9 000 mots.
Le principe directeur est l'internationalité maxima pour les radi-
caux. La plupart des radicaux sont communs à quatre au moins
des sept langues fondamentales (D., E., F., I., R., S., L.); certains
sont même communs aux sept, comme : apetit, diametr, eksami-
nar, tri (trois). Ce n'est que par exception qu'on a dû recourir à
des radicaux communs à moins de quatre langues. Ex. : trotoar
(D., F., R.) ; urs (F., L, L.) ; tint (D., S.), encre. Les travaux de l'Aca-
démie ont fait ressortir ce fait, qu'il y a beaucoup plus de mots
internationaux qu'on ne le croit généralement'^. Il y en a encore
davantage, si l'on considère tous les mots d'une même famille
logique, c'est-à-dire les mots dérivés d'une même idée. Par
exemple, le mot animal (E., F., L, S., L.) est étranger à l'allemand,
mais non le radical, car l'allemand emploie les mots :Animalismus,
Animalien, animalisieren, animalisch, etc. De môme le radical an (cf.
D. jalir, E. year) est connu des Allemands et des Anglais par ses
dérivés Annalen (D.), annals (E.), annalist{E.), annual (E.), annuity(E.),
anniversary (E.). Là où manque un mot international, on le rem-
1. Cette règle, qui paraît toute simple aux Français, est très utile pour les
Allemands, chez qui le substantif est tantôt précédé, tantôt suivi de la pré-
position [des Hegens wegen), ou, ce qui est pis encore, encadré entre deux
prépositions qui se complètent, comme von Hause aus, von Anfang an\ de
sorte qu'on ne sait pas si la seconde se rapporte au mot précédent ou au
mot suivant.
2. On évalue à 8 000 le nombre des radicaux internationaux.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 493
place par iiii mot dérivi' on composé dont les éléments sont
internationaux; ex. : nemult, /^tvi ; kanalet, fossé. Inversement, on
admet comme radicaux les mots internationaux qui, dérivés dans
les langues nationales, ne sont pas conformes aux règles de
dérivation de l'Idiom iwutral: ex. : dialekt, doktor, original, perpen-
dikular (Res. 25).
Les radicaux peuvent appartenir à toutes les parties du dis-
cours (contrairement aux principes du Volapilk); ex. :tabl, grand,
am-ar. On admet même des radicaux identiques, pourvu qu'ils
appartiennent à difTérentes parties du discours : ex. : dur et
dur-ar; libr, livre, et libr, libre; nov, nouveau, cl nov, neuf (9). Là où
on trouve plusieurs radicaux pour la môme idée, on choisit le
plus connu et le plus universel. Par exemple, entre vis et vid,
entre redakt et redig, entre kolekt et kolig. entre kresk. krev et
kret, on adopte le premier : visar, voir; redaktar, rédiger; kolek-
tar. rassembler; kreskar, croître (Res. 23).
Pour la transcription des mots nationaux on observe les règles
suivantes, destinées à rendre l'orthographe conforme à la pro-
nonciation : le c guttural s? traduit par k (kart, klas, kolor,
kub); le c sifflant, par s (selebr, sipres). Le < des désinences -/ion
se traduit par s (nasion); le z se traduit par s, bien que celui-ci
se prononce toujours dur (basar). Le x se traduit par ks
(eksempl); Ih par t (teatr); ph par f (fosfor); qu par ku (kuadrati;
les diphtongues gréco-latines ae, oe par e (diet. homeopati); le ch
grec par k (kerub, Krist); \o j latin par y (obyekt ; \o j français
et le g doux (F. ge) par j (jalus. kurtaj); les II mouillées et le gn
du français par li. ni i^biliet. viniet). Les lettres doubles sont rem-
placées par des lettres simples : adres(D., F. adresse; E. address).
Les mots dérivés se forment au moyen de 33 préfixes et de 25
suffixes choisis parmi les plus internationaux, que chacun peut
accoler suivant les besoins à un-radical quelconque '. Les suffixes
sont les suivants :
et forme les substantifs diminutifs: sigaret. kordonet
H«>s. 103).
-on forme les substantifs augmentatifs : rastron, herse.
-el forme des noms collectifs de personnes : klientel.
-aj forme des nonis collectifs de choses : plumaj, foliaj.
1. E.\cppto le suffixe -ad, dont le sens, indéterminé, doit être fixé dans
cliiujue cas par rAcadéniie.
494 SECTION III, CHAPITRE XXVI
-or forme des substantifs indiquant l'état d'une personne ou
d'une chose agissante : amor, ardor.
-ator forme des noms d'agents (personnes ou choses) : orator,
ventilator.
-asion forme des noms d'action : deklinasion, preparasion.
-ativ forme des adjectifs indiquant la capacité ou faculté
d'agir : purgativ.
-itet forme les substantifs indiquant une qualité : egualitet,
kualitet.
-ism forme les noms de religions et de tendances spirituelles :
protestantism, realism.
-ist (avec un radical non verbal) forme les noms de personnes
qui s'occupent d'une chose : linguist, violinist.
-er (avec un radical non verbal) forme les noms de personnes
ou de choses qui ont un autre rapport avec l'idée du radical :
aksioner, milioner; T^inser (pince-nez).
-en forme les noms de lieux : taneri, tannerie ; bireri, brasserie ;
kaferi, café (local).
-la forme les noms de pays : Rusia, Italia, patria.
-ad forme des substantifs qui indiquent un rapport indéterminé
avec l'idée du radical, mais surtout une action ou le résultat d'une
action : limonad, promenad. kavalkad; fontad, fontaine; intrad,
entrée; rostad, rôti; pensad, pensée ; skribad, écrit; piktAd, peinture *.
Les adjectifs dérivés se forment :
i° Au moyen du suffixe général -ik, qui indique la qualité :
anuik, annuel; homik, humain; ou du suffixe -al, lorsque le radical
(subst.) est déjà terminé en -ik^ : gimnastikal, gramatikal;
2° Au moyen des suffixes spéciaux :
-an, qui indique l'appartenance : amerikan, mahometan.
-atr, qui indique la similitude : verdatr; ]^etra.tT, pierreux.
-abl, qui indique la possibilité ou la dignité d'être... : kompren-
dabl, konvenabl.
-id, avec un radical verbal, indique la qualité correspondante :
splendid.
-os indique la plénitude ou l'abondance : petros, (chemin)
pierreux; iamos, fameux; amoros, amoureux.
Les verbes dérivés se forment au moyen du suffixe général -ar
1. Comparer : episkopad, épiscopat (fonction) et episkopel, épiscopai
(ensemble des évêques). Cire, n» 8 (53).
2. Proposition de l'Académicien Eari.e.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 495
(désinonco do l'infinitif), ou des suffixes spéciaux (applicables à
des radicaux adjoctifs) :
-eskar, <iui signifie devenir ou commencer : verdeskar, verdir;
grandeskar, grandir; flagreskar, s'enflammer.
-ifikar, (jui sit,Miilio faire ou rendre : falsifikar; simplifikar ; gran-
difikar, agrandir.
Voici les i)rincipaux pr<^yïxes :
yun- indique les animaux non adultes : yun-kaval, poulain.
anti- signifie contre : antipap, antialkoholik.
arki- indi([ue la sn|)éi-ioi-ité hiérarclii<ine, el vise- l'infériorité
hiérarchique : arkiepiskop, archevêque ; visedirektor, sous-direc-
teur '.
dis- signifie séparation : diskupar, découper.
mis- signifie (juelqne chose de mauvais ou de manqué : mis-
kredit, (/iscrcdi/ ; miskomprendar, mal comprendre.
pre- signifie devant : prelud; preskribar, prescrire.
re- signifie retour ou répétition : redonar, rendre; refasiar. refaire.
ne- indique le contradictoire (c'est-à-dire la négation) : neutil,
inutile: nemuli, peu.
no- indi(pie le contraire (l'opposition complète) : nokuande,
jamais ; noloke, nulle part.
si- indi(|ue le lieu ou le moment présent : sitempe. maintenant;
siloke, ici: sidiurne. aujourd'hui. Hier se dit presidiurne; demain,
posidiurne; avant-hier, plupresidiurne ; et après-demain, pluposi-
diurne.
Rappelons ici le préfixe ke- des adverbes interrogatifs-relatifs,
et le préfixe corrélatif te-. Ajoutons enfin que certains mots sont
formés au moyen des préfixes ad-, apo-, de-, eks-, in-, sub-,
employés avec le sens qu'ils ont en latin ou en grec.
Parmi les préfixes et suffixes, on range un certain nombre de
radicaux (en général grecs ou latins) qui servent à former des
mots composés : auto-, ekui-, elektro-, foto-, hidro-, homo-, kali-,
krono-. mikro . neo-. para-, pleni-, poli-, proto-, pseudo-, semi-,
termo-, ultra-; -graf, -metr; ce qui permet de dire que certains
mots sont composés d'un préfixe et d'un suffixe, comme fotograf
et termometr.
Les mots composés se forment par la simple juxtaposition des
1. Remarquer cette anomalie du français : on dit vice-président, mais
sous-directeur.
496 SECTION III, CHAPITRE XXVI .
radicaux, le déterminant précédant le déterminé : postmark,
timbre-poste., relsrut, chemin de fer; vapornav, bateau à vapeur. Les
termes de parenté se forment comme suit : bel-patr, bel-filio,
bel-fratr; grand-patr, grand-filio. Au lieu des nombres cardinaux,
on emploie les préfixes suivants : mono-, bi-, tri , kuadri-, penta-,
heksa-, hepta-, okto-, nona-, deka-, hekto-, kilo-.
En général, les mots dérivés et composés de Vidiom neutral
coïncident avec des mots déjà internationaux : prototip, patria,
preskribar, falsifikar. Mais il arrive parfois qu'il n'y a pas coïnci-
dence : infektasion, anuik, visabi, egualifikar. Dans ce cas, on
admet le mot international à côté du mot régulièrement formé :
infeksion, anual, visibl, egualisar (Res. 36) '.
Quand le radical se termine par un a et que le suffixe com-
mence par un autre a, ces deux a se confondent en un seul;
ex. : rusian, russe; akuatr, aqueux. Mais l'Académie n'a pas admis
que l'on réduisît à un seul deux i consécutifs, dont l'un appar-
tient au radical et l'autre au suffixe, comme dans : apologiik,
bronkiik, alkimiist, artileriist (Res. 139, 140).
Voici, comme spécimen de Vidiom neutral, le Pa^er, traduit par
M. ROSENBERGER :
Nostr patr kel es in sieli! Ke votr nom es sanktifiked; ke votr
regnia veni ; ke votr volu es fasied, kuale in siel, taie et su ter.
Dona sidiurne a noi nostr pan omnidiurnik; e pardona (a) noi nostr
debiti, kuale et noi pardon a nostr debtatori; e no induka noi in
tentasion, ma librifika noi da it mal.
Voici un autre exemple d'un ordre plus pratique :
Skribasion in idiom neutral don profiti sekuant in komparasion
ko kelkun lingu nasional : 1° libri e broshuri sientifik publiked in
ist idiom potes esar lekted per omni hom in original; 2" traduksion
no plu es nesesar ; 3" ili avero sirkl multe plus grand de lektatori, e
tekause A° ili potes esar imprimed in kuantitet plu grand de
eksemplari; ergo S" ili potes esar vended a pris plu minim, e G"
profit material de éditer (respektive de autor) esero plu grand.
Idiom neutral es usabl no sole pro skribasion, ma et pro parla-
sion; sikause in kongres sekuant internasional de medisinisti mi
av intension usar ist idiom pro mie raport di maladitet « lupus », e
mi esper esar komprended per omni medisinisti présent.
1. Cette résolution ayant été prise sur la proposition de M. Mackexsex,
ces mots s'appellent « mots Mackenséniques » : paroli Mackensenik. (Cir-
culaire n° 57).
AKADEMI : IDIOM NEL'TUAL
497
Pour donner un aperçu du vocabulaire, nous citerons les pre-
miers mots du dictionnaire neutral :
abandon-ar, abandonner.
abat (-a), alihé, abbesse.
abat-eri, abbaye.
abat-ar, abattre.
abdik-ar, alnlù/uer.
abdik-asion, abdication.
abdomin, abdomen.
aber-ar. se tromper.
aber-asion, erreur, aberration.
abiet, pin h. abies).
abism, abime.
ablativ, ablatif.
abomin-ar, abominer.
abomin-abl, abominable.
abomin-asion, abomination.
abon-ar, s'abonner.
abon-ant. atjonne'.
abrevi-ar, abréger.
abrevi-asion, abréviation.
abrikos, abricot.
absent, absent.
absent-itet ou absens, absence.
Vldiom neutral n'est employé jusqu'ici que par les membres
do rAcadémie. M. Rosenuerger a pul)llé des articles (Letri da
Rusia) dans cotte langue dans le Nouveau Précurseur d'Anvers.
Critique.
Uldioin neutral est assurément l'un dos projets les plus com-
plets et les plus pratiques qui aient été proposés depuis le
Volapiik. 11 a cet avantage d'être l'œuvre collective d'un grouj)e
international, d'avoir été ainsi soumis à une discussion impar-
tiale et à un contrôle sérieux. Il est seulement regrettable que
cr long et consciencieux travail n'ait pas une origine plus
autorisée. On no pont oublier, en olTot, que VAcadémie interna-
tionale tient son mandat des Volapûkistes, qu'elle ne représente
(Ml principe que le monde volapûkiste et n'a travaillé que pour
lui'. Sans doute, on doit rendre justice à l'indépendance dos
académiciens, et au zèle très méritoire avec lequel ils se sont
efforcés de se dégager du Volapiik; il n'en est pas moins vrai
(pi'ils en sont partis, qu'ils en ont hérité, et ce vice originel peut
expliquer certains défauts de Vldiom neutral, attendu que celui;
ci a conservé quelques traces de la Glaniat nomik. Ces réserves
n'ont pas pour l)ut de diminuer la valeur intrinsèque de cette
langue et le mérite de ses auteurs, mais simplement de sauve-
garder l'indépendance du Comité de la Délégation, qui seul repré-
sentera l'onsonible des personnes et des sociétés intéressées à
1. Encore fuut-il ajouter qu'une partie des Volapiikisles est restée fidèle
au Volapû/i.
CouTURAT et Leau — Langue univ.
32
498 SECTION III, CHAPITRE XXVI
l'adoption d"une langue internationale, et qui seul aura l'auto-
rité nécessaire pour la choisir et l'imposer. Il devra donc
examiner et juger Ylcliom neulral uniquement d'après ses qualités
intrinsèques, comme tout autre projet né de l'initiative privée
et élaboré par une seule personne.
Les principes de Vidiom neulral nous paraissent inattaquables ;
ce sont, croyons-nous, ceux que la Langue internationale future
dcATa nécessairement adopter ou vérifier; tel est surtout le prin-
cipe de l'internationalité maxima des radicaux. Quelle que soit
la grammaire qu'on adopte, on devra donc tenir grand compte
des listes de radicaux internationaux dressées par Y Académie.
Malheureusement, l'orthographe assignée à ces mots est
défectueuse : au lieu de respecter le graphisme, qui est inter-
national, on l'a modifié pour le conformer à la prononciation,
qui n'est nullement internationale. En fait, on a pris pour
modèle une prononciation nationale, la prononciation française.
Un seul exemple suffit à le montrer : le mot sentralisasion
(encore les Français prononcent-ils : senlralizasion, avec en et on
nasales). Un Allemand prononcera ce même mot : Isenlralizalsion
(sans nasales), et il faut avouer que cette prononciation, plus
sonore et plus relevée, est aussi plus conforme à l'orthographe
et par suite à l'étymologie. Ce défaut vient de la pauvreté de
l'alphabet; un alphabet un peu plus riche permettrait de mieux
atteindre le maximum d'internationalité à la fois graphique et
phonétique. Par exemple, le remplacement de c par s (Res. 23)
défigure pour l'œil les mots comme sent {cenl), sentr {cenlre),
sen {cendre), sert {cerlain), sin (cygne), bisikl (bicycle), inosent
(innocent); et il ne les dénature guère moins aux oreilles de
tous les non-Français ^ Il en est de même pour l's substitué
au z dans les mots basar, senit, sink (zinc), soologi^ 11 vau-
drait mieux, évidemment, garder le c en lui donnant le son qu'il
a en allemand et en polonais. Mais, par une curieuse inconsé-
quence, Vidiom neulral donne à c le son complexe tch, et repré-
sente au contraire le son simple eh par deux lettres : sh, qui
perdent ainsi leur son propre. Cela défigure certains mots
français, comme sharjar, sharmar, shershar. En outre, les règles
d. Autres exemples : asid, obsen, santim, selebr, selibat, sensor, serf
(cerf), seris, serebr, sinser, sir, sos, sosis, yustis; sitar, osilar, ositar.
2. Autres exemples : sebr, fras, dusen (douzaine), suav (zouave, et non
suave).
AKADKMl : IDIOM NEUTRAL 499
(lo racccnluatioii sont trop (•oini)li(iU(''os, suiiout pour uno
langue qui doit servir aux usages vulgaires et aux personnes
(rinstrnctioii nioyciHU'.
Cest surtout la grainniairc qui pn'^te le flanc à la critique. Et
(l'abord, un très grave défaut est l'absence de tout article, défini
ou indéfini. On allègue que les langues slaves s'en passent;
mais, sans disculer ici le plus ou moins d'utilité de l'article
(défini surtout), il suflit que les autres langues européennes
l'cMnploient pour quil soit indi<|ué de l'adopter dans la Langue
internationale. Nous ne savons i)as le russe, mais nous savons
le latin et le grec; or la comparaison des deux langues classiques
montre combien l'article met de netteté dans la pensée, et
condîien son absence la laisse llottante et vague. Au fond, c'est
le contexte qui détermine en latin, la plupart du temps, le sens
défini ou indéfini des substantifs; à moins que ce ne soient des
pronoms boaucouj) plus encondirants que le sinq)le article '.
Le besoin de l'article se fait si vivement sentir dans la pensée
moderne, que les scolastiques avaient introduit en latin un
article [li], et que les philosophes du .wii" siècle enqjloyaient, soit
le pronom ipse, soit l'article défini grec (par exemple avec les
mots indéclinables). D'ailleurs, tout adjectif peut être employé
comme substantif, même sans les désinences de genre -o ou -a.
A quoi le reconnaîtra-ton, s'il n'y a pas d'article?
En général, il est regrettable que l'Académie ait supprimé
foute distinction matérielle entre les parties du discours. Sans
doute, elle a eu bien raison de supprimer les désinences carac-
téristiques de certaines classes dldées (dans le Volapilk): mais
autant celles-ci sont inutiles et gênantes, autant les désinences
caractéristiques des c/asscs de mots sont commodes pour marquer
le rôle de chaque mot dans la phrase, et rendre sensible la
construction. Il semble que, dans sa réaction contre les prin-
cipes du Volapilk. l'Académie soit allée trop loin: d'autant plus
que cette distinction peut se faire sans imposer aucune irstric-
tion aux radicaux, et sans les atTubler d'un suffixe monotone,
comme 1' -ik des adjectifs en Volapilk. Il y a toutefois une heu-
reuse exception en ce qui concerne les adverbes (en -e) et les
1. Qu'on se rappelle le Volapilk, qui, ne voulant pas se servir de l'arlicle
indéfini un, est obligé d'employer le pronom sembal. De même, VIdiom
neulral emploie kelkun. P.e n'est pas une af)rêviation !
500 SECTION III, CHAPITRE XXVI
prépositions (en -u). En revanche, comme les verbes n'ont
aucune désinence à l'indicatif présent, rien ne distinguo un
verbe d'un substantif. Ex. : mersi veut dire aussi bien [je] remercie
que remercîment.
Non seulement les parties du discours ne se distinguent pas
par la forme, mais on a admis des radicaux homonymes appar-
tenant à différentes classes (Res. 23 h), comme sol (soleil) et sol
(seul) ' ; kar [voiture) et kar (cher). En outre, on n'a pas toujours
prévu un mode de dérivation régulier permettant de passer
d'une classe à l'autre, par exemple, de dériver les pronoms
possessifs des pronoms personnels; c'est là une complication
qui charge la mémoire. On n'a pas non plus évité de donner à
certains radicaux des désinences identiques à des flexions gram-
maticales ou à des suffixes. D'une part, il y a beaucoup de noms
dont le radical se termine en i, de sorte que leur singulier res-
semble à un pluriel, et que leur pluriel se distingue mal de leur
singulier 2; d'autre part, il y a beaucoup de radicaux en -i qui
sont identiques au pluriel d'autres radicaux. Ex. : kirurg (chirur-
gien) et kirurgi (chirurgie); filosof et filosofi; geolog et geologi,
pedagog et pedagogi; fol (fou) et foli (feuille); rad (rade) et radi
(rayon); musk (mouche) et muski (mousse); klav (clou) et klavi (clef);
vis (vue) et visi (vice); fur (fourrure) et furi (furie); tur (un tour) et
turi (une tour): De môme, avar veut dire avare ou avoir; inventai,
inventaire et inventer. Certains radicaux ont l'aspect de mots
dérivés : amik, héros, karos, kolos ont des terminaisons d'ad-
jectifs; bufet, buket ne sont pas des diminutifs; husar, kuliar
(cuiller) ne sont pas des verbes; kamarad, batist, kalamitet, ne
sont pas des dérivés (Res. 5).
Chose plus grave, certains mots semblent régulièrement
dérivés de mots existants dont le sens est tout différent (Res. 6).
Musa (muse) n'est pas le féminin de mus [rat); kaskad ne dérive
pas de kask; baston n'est pas l'augmentatif de hast (aubier), ni
prison celui de pris (prix); pariet (paroi) n'est pas le diminutif
de pari; infanteri ne vient pas d'infant (enfant). En général, le
suffixe -itet peut se confondre avec le suffixe -et; et le suffixe
-eri ressemble au pluriel du suffixe -er : duaner (douanier),
duaneri (douane). Les noms en -er, avec la terminaison mascu-
1. En revanche, sol se dit suol.
2. Ex. : bani, boteli, gladi, melodi, mumi, studi, teori, trili.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 501
lino -0, rossemblent à <Ips verbes au fiihir : prisonero. voyajero
(voyageur, ou : \je\ voyagerai). Mastik n'est pas ladjeclir de mast
(mal), m mastikar (mâcher) le verbe de mastik. Mortar (morlier)
n'est pas un verbe dérive^ de mort. II y a beaucoup d'autres
verbes (jui paraissent à tort dériver de noms : montar (mouler) de
mont : gravar (graver) de grav (lourd) ; frisar (friser) de fris (frise) ;
mutar cli(uun-r) de mut (muet); pesar (peser) de f es (poix); portar
de port; rasar [raser) de ras [race); sudar (suer) de sud; valar
(valoir) de val ; venar (chasser) de ven (veine) ; et cela est d'autant
phis fâcheux, qu'à l'indicatif présent ces verbes se réduisent à
leur radical, c'est-à-dire deviennent identiques au nom corres-
pondant. Le plus bel exemple de ces dérivations apparentes
(et fausses; est la série suivante : viol (violon), viola (violette),
violar (violer) et violet (violet) •.
On peut alléguer, comme excuse, que presque toutes ces
équivoques se trouvent déjà dans les langues vivantes auxquelles
ces mots sont empruntés, et qu'elles n'y trompent personne.
Mais si l'habitude les rend insensibles et inoffensives dans nos
langues maternelles, il n'en sera peut-être pas de même dans
une langue (jui sera pour tous une langue étrangère. II est
dangereux de toujours compter sur le contexte pour dissiper
ces équivoques; car il arrive souvent que dans une langue
étrangère la moitié des mots échappent à l'auditeur; que
deviendra-t-il si l'un des mots auxquels il se « raccroche » est
ambigu? II faut laisser le moins de part possible à l'intelligence
ou à la divination. Assurément, il est fort difficile d'éviter des
homonymies comme celles que nous venons de signaler (et nous
ne les aurions pas relevées si elles n'étaient pas très fré-
(pientes); mais si un autre système réussit à les éviter, nul
doute qu'il ne soit préférable.
Le défaut précédent vient de ce que Vldiom neutral s'efforce de
se rapprocher le plus possible des langues vivantes *. Cet excès
d'une tendance louable a eu d'autres conséquences fâcheuses.
Ainsi, dans la Jormation des mots dérivés, lldiom neutral est
constamment tiraillé entre deux systèmes : i° l'adoption des
mots dérivés internationaux; 2" la formation régulière et auto-
1. Autres exemples : kanon. kanonik; kant, kanton: or, oral, orar: org,
orgi, organ.
2. Un e.xomiilc frappant en est fourni par les mots suivants, empruntés au
français : shapô, depô, aie, portmoné.
502 SECTION III, CHAPITRE XXVI
nome des dérivés (à l'aide de radicaux et d'affîxes internationaux
invariables). Par exemple, une fois adoptés les suffixes interna-
tionaux -a^ion, -ator, on a formé régulièrement les noms d'ac-
tion : atraktasion, avertasion, absolvasion, desidasion. flektasion,
frikasion, inventasion, instruasion. konfesasion. obliviasion. sufra-
sion, konseptasion. konvertasion. korigasion, kreskasion, proposa-
sion, repetasion. reaktasion. et les noms d'acteurs : editator,
eksekutator, komposator, kondukator, movator, piktator. redak-
tator, skulptator, skribator ^
Mais, comme ces mots ont un aspect barbare, et contrastent
péniblement avec les dérivés naturels (latins et internationaux),
on a cru devoir admettre ceux-ci comme mots primitifs à côté
de ceux-là. De même, on a été conduit à admettre des doublets
comme :
perfektitet et perfeksion ■^
simplitet simplisitet
pasientitet pasiens
prudentitet prudens
et beaucoup de mots analogues;
sientik et sientifik
orgist organist
pianoist pianist
visabl visibl
sensuabl sensibl
ekuiflankik ekuilateral
favorar favorisar
rivalar rivalisât
etc, etc.
Or tous ces « mots Mackenséniques » doublent inutilement le
nombre des mots à apprendre : et s'ils sont aisés à retenir pour
ceux qui savent le latin ou une langue romane, ils doivent être
difficiles à retenir pour les autres, attendu qu'ils sont irrégu-
lièrement formés. Il faut choisir entre les deux systèmes, et,
croyons-nous, opter pour la dérivation autonome et régulière.
Si l'on veut éviter des formes trop barbares, il vaut mieux
renoncer par exemple au suffixe -asion, si lourd et si encom-
1. Dans quelques lignes d'un article de M. Rosenberger, on rencontre
les mots lektator, aparasion et imprimasion, qui sont cruellement choquants.
2, Remarquer l'ambiguïté des mots en -tion, que Vldiom neutral n'a pas
toujours évitée; ex. : konfederasion.
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 503
l)i*anf, ot. d(> plus. (''(iiiivoqiK^ dans nos langues. On iionrraif
suhstanlifiei' sinii)l('nient le radical verbal pour exprimer l'action
indiquée parle verbe, comme cela a lieu pour beaucoup de mots
naturels : don (donner), envoi [envoyer), fuite (fuir), révolte (ré. <olter),
conquête {con(}uérir) ', oubli [oublier), promesse (promettre), arrêt
{arrêter), propos (proposer) *. Mais pour cela il conviendrait,
comme nous lavons dt^à dit, d'avoir des désinences qui distin-
guent les substantifs des verbes ^
De môme, il n'y a qu'un moyen d'éviter des doublets fâcheux
comme individuik et individual, horisontik et horisontal. où le
pi'emier mot est régulier, mais barbare, et le second interna-
tional, mais irrégulier : c'est d'adopter iiuour les adjectifs un
suffixe absolument neutre, étranger aux langues naturelles, puis-
quaucun des suffixes naturels n'est uniformément employé, et
que, si on en généralise et régularise l'emploi, il devient cho-
quant et entraîne l'admission de « mots Mackenséniques ».
Dans la dérivation, on a bien fait de distinguer les contraires
des contradictoires. Malheureusement, les préfixes correspon-
dants ne sont pas suffisamment distincts (ne- et no-), et ils sont
|)arfois employés à contre-sens. Ainsi neamik devrait signifier
non-ami, et non ennemi; nefasil non-facile, et non difficile (comparer
neutil. qui signifie inutile, et non pas nuisible). Inversement, nokos,
noloke, nokuande ont le sens de simples négations, et devraient
être formés avec ne- (comparer nemult. peu =pas beaucoup).
Il conviendrait aussi de distinguer, comme en allemand, le
retour en arrière (zurùck) et la répétition (ivieder) qui sont confondus
dans le préfixe re-.
Les auteurs de Vidiom neutral n'ont formulé aucune régie pour
fixer le sens des mots d'une classe dérivés des mots d'une autre
classe, notamment le sens du verbe dérivé d'un substantif; nous
n'insisterons pas sur cette critique, que nous avons développée
à propos de V Espéranto ; mais il n'est que juste de remarquer
que Vidiom neutral y échappe encore moins. Il suffit de citer un
1. Déjà TÂcadémie a adopté le radical konkuist (conquête), d^oii le verlïe
konkuistar (conquérir) et le substantiT konkuistator, qui rappelle heureu-
sement le mot S. conquistador.
2. Cf. le Novilatiin. On trouve dans Vidiom neutral par exception : permit
= permission: puni = punition.
3. L'on a judioieusenient adopté pour radicaux ambisi. religi. superstisi,
afln de pouvoir former régulièrement les adjectifs ambisios. religios,
superstisios.
504 SECTION III, CHAPITRE XXVI
seul exemple : le verbe piskar, dérivé de pisk (poisson), ne signifie
ni être poisson, ni faire le poisson, ni rendre poisson, ni revêtir de
poisson, ni même faire usage de poisson, mais prendre du poisson
(pêcher, L. piscari) '. Il est clair que, dans ce cas et dans tous les
cas analogues, les auteurs ont accepté sans critique les dérivés
des langues naturelles-.
Notons en passant que l'Académie, toute internationale qu'elle
est, n'a pas toujours évité les idiotismes de composition, si fré-
quents en Volapûk. Ex. : sirka-donar = entourer (germanisme :
umgeben, litt. : donner autour): trans-pontar ^= jeter un pont sur
une rivière (D. ûberbriicken) : drap de sak = mouchoir (D, Taschen-
tuch). De même, preskribar no signifie pas écrire devant, ni veri-
fikar, rendre vrai. D'ailleurs, elle use très inégalement de la déri-
vation et de la composition : d'un côté, elle forme librement des
mots comme kani-klamar = aboyer, gren-batar = battre (le blé),
protoparoi = radical, protoforest = forêt vierge (D. Urwald); mais,
d'un autre côté, elle n'ose pas régulariser des dérivés comme
insen ^= douzaine, et elle emploie comme mots primitifs diksionar,
vaka = vache, portmoné ^.
Enfin certains mots composés présentent des accumulations
de consonnes imprononçables : piskgres, letrpapir, librbandar,
{relier), lignvas, lignven, pulvrmin ; de même certains mots sim-
ples comme vendrdi, saturndi, kelkkos (différent de kelkos). C'est
là d'ailleurs un défaut général de Vidiom neutral : la plupart des
mots commencent et finissent par une ou plusieurs consonnes
(ex. : opr = opéra, ordn = ordre de chevalerie); par suite, ils se
heurtent à arêtes vives et produisent dos rencontres peu har-
monieuses ou difficiles à prononcer : nostr patr, patr puni; punkt
de vis. Il en résulte qu'on est forcé d'intercaler entre les mots
des e muets, que les divers peuples placeront différemment.
Mieux vaudraient des voyelles sonores dont la place fût marquée
par l'écriture, et qui, servant de tampons entre les mots, ren-
draient la prononciation coulante et moelleuse.
Quelques désinences-voyelles auraient un autre avantage, au
1. L'Espéranto dit fiâkapti (prendre du poisson).
2. Autres exemples : satin, satinar (satiner); forn (poêle), fornar
(chauffer). Pour le suffl.xe -abl, on n adopté à la fois les deux sens bien
différents qu'il a dans les langues romanes; on a ainsi : amabl, vene-
rabl, etc.
3. Notons un mot dérivé qui prête à un contre-sens amusant: insendier
signifie, non pas incendiaire, mais... pompier!
AKADEMI : IDIOM NEUTRAL 505
point de vue de la syntaxe. La phrase, en Idiom neulral, a le carac-
tfre inorf^aniqueet décousu qu'on reproche h la phrase anglaise.
C'est une juxtaposition de radicaux dont la liaison grammaticale
et logique, in<ii(piée surtout par la place et l'ordre des mots, est
en partie h deviner. C'est là un inconvénient pour une langue
« étrangère » et pratique. Sans vouloir discuter ici les questions
très controversées de l'accord de l'adjectif avec le substantif, et
de l'utilité de l'accusatif, on pont dire qu'il est imprudent de trop
compter sur la place des mots pour révéler leur rôle gramma-
tical. Pour ce qui est notamment de l'accusatif, nous remar-
quons que l'ordre du sujet et du complément direct est nécessai-
rement troublé dans les propositions relatives, ce qui, en français
par exemple, rend impossibles certaines constructions logiques
et commoiles, ou conduit à des amphibologies. En voici un
exemple, cueilli au hasard dans un journal. Parlant de Falguière,
un critique d'art écrivait : « Ses portraits montrent... quelle
belle nature de peintre a étouffé le développement du statuaire ».
Pour la grammaire, le sujet serait la « belle nature de peintre »;
pour le sens, il est : « le développement du statuaire ». On
avouera que cette phrase offre deux sens très différents, et même
opposés; or pour distinguer le vrai, il faut savoir que Falguière
a beaucoup plus produit comme sculpteur que comme peintre.
Ces sortes d'amphibologies sont beaucoup plus fréquentes
qu'on ne croit;' on ne s'en aperçoit pas, parce que le « bon
sens », c'est-à-dire au fond la connaissance du sujet, permet de
choisir ou de deviner l'interprétation juste; mais, quand on est
obligé de faire api)el au bon sens, c'est que la grammaire est en
défaut. Une synta.xe vraiment logique, qui exprime fidèlement
et complètement la pensée, ne doit rien laisser à deviner '.
En général, Vldioin neiitral a le tort de trop se rapprocher des
langues vivantes, notamment du français. Il semble paradoxal
de reprocher à un système a posteriori d'être trop a posteriori: et
pourtant, l'Idioin nea/rai justifie ce reproche. Nous avons vu qu'il
s'attachait trop exclusivement à la prononciation française, sans
toutefois la reproduire fidèlement, de sorte que cela ne le rend
ni plus facile ni plus agréable aux Français, bien au contraire.
On peut en dire autant de la grammaire, qui est trop romane
pour être vraiment neutre, et de la formation des mots, qui
1. Cf. la Critique de VEsperanto.
506 SECTION III, CHAPITRE XXVI
s'astreint trop à imiter les langues romanes pour être logique et
uniforme. Plus on calque servilement les formes nationales,
plus la langue risque de perdre sa régularité et sa simplicité
pour offrir l'apparence disgracieuse et choquante d'une langue
nationale estropiée.
Quoiqu'il en soit, l'existence seule de Vidiom neutral est un fait
extrêmement instructif et probant, qu'il importe de retenir; car
elle montre, en somme, que des Volapûkistes, partis d'un sys-
tème mixte où dominaient les combinaisons arbitraires ei a priori,
ont abouti à un système tout à fait a posteriori, et que, tout en
recherchant la plus grande internationalité possible, et en pré-
sentant d'ailleurs toutes les garanties de neutralité, ils ont été
amenés à élaborer une langue presque exclusivement romane
par sa grammaire comme par son vocabulaire.
CRITIQUE GENERALE
Si nombreux et si variés que soient les systèmes a posteriori,
ils se ressemblent beaucoup plus entre eux que les systèmes
mixtes '. Cela vient de ce que tous s'inspirent plus ou moins
d'un principe objectif et rationnel, le principe de V internalionalHè
des éléments lexicologiques. Sans doute, on peut constater de
notables dilTérences dans la manière dont les divers auteurs ont
conçu ce principe et l'ont appliqué : et nous aurions pu les dis-
tinguer et les classer suivant qu'ils prennent pour base le latin,
ou une langiie vivante, "ou enfin plusieurs langues vivantes unies
et mêlées. Mais il nous a paru qu'une telle classification eût été
artificielle et inexacte. En effet, il n'y a pas de différence essen-
tielle entre les systèmes qui, partant du latin, lui adjoignent
forcément des néologismes empruntés aux langues modernes,
même non-romanes (ex. : sport, wagon), et ceux qui, partant d'em-
blée du principe d'internationalité, sont amenés, en conséquence
de ce principe même, à faire une place prépondérante aux élé-
ments latins. C'est en vain que les premiers se flattent d'être
plus homogènes que les seconds : bon gré mal gré, ils aboutissent
(ou ils aboutiraient, si on les développait jusqu'au bout) à un
vocabulaire tout aussi composite. Il est donc injuste de traiter
les uns plutôt que les autres de sabir ou de jargon; d'ailleurs,
il nous est impossible de voir dans cesqualilicatifs un reproche :
ils constitueraient plutôt un éloge, pour des langues qui préten-
dent avant tout être des moyens de communication pratiques,
accessibles à tous les peuples européens. Le fait que des sabirs se
sont formés spontanément, « naturellement », en divers pays
pour répondre flux besoins du commerce international, ne peut
1. Comparer, par exemple, les systèmes de numération et les pronoms
personnels.
508 SECTION III
être qu'un argument de plus en faveur des « langues compo-
sites », car il montre dans quel sens le problème peut et doit
être pratiquement résolu*. Ceux qui parlent si dédaigneusement
de sabir oublient qu'aucune de nos langues modernes n'est
homogène et pure ; tels, à qui répugne le mélange des racines
romanes et germaniques, préfèrent l'anglais, lequel n'est pour-
tant qu'un « jargon > ^, c'est-à-dire un idiome mixte romano-
germanique.
D'ailleurs, les autres langues européennes n'ont pas le droit
de lui jeter la pierre, ni de se montrer plus fières. Aux Français,
il suffira de citer l'opinion très compétente de M. Michel Bréal :
« Il ne faut pas faire les dédaigneux; si nos yeux, par un subit
accroissement de force, pouvaient en un instant voir de quoi est
faite la langue de Racine et de Pascal, ils apercevraient un
amalgame tout pareiP ». Quant aux Allemands, nous aurons
tout à l'heure l'occasion de leur rappeler tous les emprunts
qu'ils ont faits au latin et aux langues romanes, et dont ils
s'efforcent vainement de » purifier » leur langue. S'il y a au
monde une langue homogène et pure, ce ne peut être que celle
de quelque peuplade sauvage habitant une île déserte, et sans
relations avec le reste du monde. Mais on peut être sûr qu'elle
est aussi très pauvre (ce qui ne veut pas dire qu'elle soit régu-
lière et simple); ce n'est donc pas une langue à envier, ni un
modèle à suivre pour la langue internationale. Celle-ci sera donc
composite, comme toutes nos langues : la nature, l'histoire, les
progrès de la civilisation le veulent ainsi.
On adresse aux langues a posteriori une autre objection. Toutes
prétendent à la neutralité, même celles qui prennent pour base
le latin, comme étant le fonds commun des langues européennes
et la langue commune des savants. Et, d'autre part, toutes, ou
peu s'en faut, accordent aux éléments latins une part dominante,
sinon presque exclusive. Il semble à certains critiques qu'il y a
1. C'est ainsi, assure-t-on, qu'il a été résolu dans l'Hindoustan, il y a
trois cents ans : du temps d'Akbar le Grand , les diverses races qui le
peuplent, et qui parlent autant de langues ou dialectes différents, ont
adopté comme langue commune un idiome artificiel et composite, Vurdu
ou hindoustani (George IIenderso.n, The Lingua Franca of the Future, p. 5).
2. Nous ne nous permettrions pas de le dire ; nous ne faisons que répéter
le mot employé dans le rapport de Y American Philosophical Society (p. 30.")).
3. Le choix d'une langue internationale, dans ia Revue de Paris,
15 juillet 1901 (p. 244).
CIUTIQUE GÉNÉRALE 509
là une contradiction. On leur répond qu'il n'en est rien, et que,
si les racines latines doniineiit nicMne dans les lanf?iics fondres
sur le principe d'internationalité, qui empruntent impartialement
leurs matériaux aux six principales langues européennes, c'est
que les élénuMits latins sont les plus internationaux : communs
aux trois langues romanes (F., I., S.), ils composent les deux
tiers du vocabulaire anglais, au point que Max Mijller a pu
classer l'anglais j)armi les langues romanes', et ils ont pénétré
en notable proportion dans l'allemand et dans le russe (surtout
dans les mots techniques); tandis que les racines germaniques
et slaves qui ont passé dans les langues romanes sont en i)etit
nombre. C'est même la principale raison que t'ont valoir les
auteurs ou les partisans d'un néo-latin : en quoi ils ont tort,
selon nous, parce qu'ils érigent en principe ce qui n'est qu'une
circonstance de fait. Aussi ne défendons-nous pas la cause du
néo-latin, mais bien celle du principe de l'internationalité, en
vertu duquel, si l'on doit adopter une racine latine quand elle
appartient à la majorité des langues européennes, on doit
adopter une racine germanique ou slave dans les mômes condi-
tions. C'est là le seul moyen de constituer un vocabulaire à la
fois international et neutre, qui soit (c'est là l'essentiel) le plus
facile à apprendre pour tous les Européens, et réunisse le plus
grand nombre de mots ou de radicaux déjà connus de la plupart
d'entre eux-.
1. Cf. Henderson, Lingiia, p. 12-13. Certains ont proposé de prendre
pour binse de la L. I., au lieu dos (» langues européennes, les 3 familles
(romane, germanique, slave) auxquelles elles appartiennent. Mais, outre
(jue ces 3 familles sont d'importance très inégale, dans laquelle rangerait-on
les peuples (jui parlent anglais? Si on les annexe à la famille romane,
celle-ci sera 3 fois plus forte que la famille germanique (à elle seule, sans
l'anglais, elle est I fois 1/2 aussi forte). Si on les ajoute à la famille ger-
maniiiue, celle-ci sera plus forte que la famille romane; mais alors on ne
tiendra pas compte des 2/3 du dictionnaire anglais. Concluons que, pour
établir une proïKirlion équitable, il faut considérer les langues réelles dans
leur com|)lexité, et non les familles de langues, qui sont des abstractions
pbilologiques et de simples entités.
2. Certains prétendent ([u'on n'aboutira par cette voie à aucun résultat,
parce que cha(|ue peuple voudra avoir la part du lion. Il nous semble que
le principe de l'internationalité permet de concilier les intérêts et même
les prétentions de tous les peuples, surtout si l'application en est confiée à
un petit comité de personnes coujpétentes des divers pays : les savants sont
en général alfranclus des préjugés et des partis-pris nationaux. On dit aussi
(jue la rivalité des nations, (jui s'oppose à ce qu'on adopte pour L. I. la
langue de l'une d'elles, s'opposera aussi à ce qu'on puisse s'entendre sur
le vocabulaire international, car elle s'exercera, en petit, sur le ctioix de
510 SECTION III
Il y a cependant des personnes qui ne reconnaissent pas la jus-
tice et l'impartialité de ce procédé, qui ne se résignent pas à la
prépondérance inévitable et justifiée des racines romanes, et
qui sacrifieraient plutôt l'internationalité à la neutralité absolue
qu'elles réclament. Ces personnes, heureusement assez rares,
sont surtout des Volapûkistes allemands. Comme Volapûkistes,
elles s'obstinent à demander une langue pour toute l'humanité,
et à exiger qu'elle soit neutre, non seulement entre les Euro-
péens, mais entre tous les peuples de la terre; de sorte que,
pour ne pas offenser et léser les Chinois et les Japonais, voire
les Malgaches et les Cafres, les Européens devraient renoncer à
l'avantage immense que leur procure la possession de vocables
internationaux. Comme Allemands, ils déclarent que la race ger-
manique n'acceptera pas une langue en majorité romane. On
peut leur répondre que les Slaves auraient encore de meilleures
raisons pour refuser d'accepter une langue romano-germanique,
où l'élément slave ne tiendra aucune ou presque aucune place ' ;
et pourtant de telles langues ont des Russes pour auteurs, pro-
pagateurs et adeptes, de même que bon nombre de la,ngues néo-
latines ont pour auteurs, non des Français ou des Italiens, mais
des Anglais et même des Allemands.
Les mômes personnes font valoir un autre argument, tiré de
la guerre que l'on a faite en Allemagne aux « mots étrangers »,
qui sont justement des mots internationaux. Elles prétendent
que ces vocables proscrits risqueraient, à la faveur de la langue
internationale, de rentrer dans la langue allemande et d'en alté-
rer la pureté. Les peuples romans pourraient tout aussi bien
repousser tout mélange de racines germaniques, qui risqueraient
chaque racine. Nous répondrons, d'abord, que la plupart des racines sont
au-dessus de toute contestation d'amour-propre national; et ce sont natu-
rellement les plus internationales. Quant aux autres, elles pourront donner
lieu à des compromis : ■< Passez-moi la rhubarbe, et je vous passerai le
séné ». Dans tous les cas, la difficulté (d'ordre politique) sera divisée,
émiettée, et par suite très facile à surmonter. C'est l'histoire du faisceau
à rompre.
i. 11 importe d'observer que, si les éléments spéciflquement slaves ne
peuvent tenir presque aucune place dans la L. I., en raison de leur manque
d'internationalité, les peuples slaves ne seront pas pour cela exclus de la
construction de la L. I. ni privés de ses avantages, car les langues slaves
contiennent une foule de mots étrangers (soit romans, soit germaniques),
qu'elles concourront à faire adopter, on vertu de l'internationalité supérieure
qu'elles leur confèrent (voir p. 347, note 1).
CRITIQUE GÉNÉRALE 511
(le s'infiliror dans leurs lanij:iu\s nationales. Les deux préteidions
sont aussi jusiiliées l'une (juc; Taulre, on plulùt elles sont égale-
ment injustifiables'. Celle des Allemands équivaut à exiger que
la langue inlornationale soit exclusivement germanique; pour-
quoi ne pas demander tout de suite qu'elle soit purement et
simplement l'allemand? Hien mieux : c'est exiger que la L. I.
soit plus allemande encore que l'allemand lui-même, car on n'a
pas encore réussi à en expulser tous les mots étrangers, et l'on
n'y réussira probablement jamais ^. Sans doute nous n'avons
pas à a|)précier. au point de vue national allemand, la guerre
faite aux mots étrangers. Les Allemands sont assurément libres
d'expulser de leur langue, s'ils le veulent et s'ils le peuvent, tous
les mots étrangers qui s'y sont infiltrés^, au risque de la rendre
moins intelligible et plus diflicile à apprendre. Mais ils n'ont
pas le droit d'ériger cette exigence nationale en prétention inter-
nationale, et de proscrire de la langue universelle les mots inter-
nationaux qui sont le patrimoine commun des autres nations.
(.(>ux d'entre eux qui manifestent cet exclusivisme jouent le rôle
peu généreux du chien du jardinier; ne voulant ou ne pouvant
pas employer les mots internationaux dans leur langue, ils pré-
tendent en interdire l'usage aux autres*. Cette prétention est
évidemment insoutenable, et l'on n'ira pas, pour ménager leur
susceptibilité nationale, chercher une langue vraiment neutre
chez les habitants de la planète Mars. La langue internationale
sera nécessairement « européenne », parce qu'elle doit être
1. Bien entendu, nous raisonnons sur une hypothèse, car la seconde pré-
tention ne paraît exister à aucun degré. Les Français ne se croient nulle-
ment déshonorés pour parler de tramway ou de tlialu)eg. Certains même
affectent d'employer hors de propos les mots anglais relatifs au sport
et au turf,
2. Pour montrer à quel point Tallemand est imprégné de mots étrangers,
il sufllt de rappeler les mots intéressant, kuriôs, konstruieren, employés
très fré(|uemment dans les livres; et les mots garderobe, en gros et en détail,
qu'on lit partout sur les boutiques. Nous avons lu sur une affiche commer-
ciale, en pleine Allemagne : « Coulante Bedingungen; voile Garantie ». Cf.
p. 3i:i-34i.
3. A commencer par le mot Pinsoir, qu'on voit partout écrit cliez eux, et
qui n'est pas du français... académique.
4. V American Pfiilosophical Society a remnniué. dans son rapport de 1887,
i|ue le chauvinisme allemand, proscrivant les mots gréco-latins des sciences
cl de la médecine, allait au rebours de l'internationalisation du vocabulaire
siientillque. et ajoutait : « No effort at a uniform international scientiflc ter-
minology can be successfui, if Ihe learncd in each nation be governed by
national prepossessions ».
312 SECTION III
l'expression et le véhicule de la civilisation européenne, et que,
quand elle sera adoptée par toute l'Europe, elle sera adoptée
par le monde entier *.
Au surplus, cet exclusivisme intransigeant est le fait d'Alle-
mands peu instruits et aveuglés de préjugés nationaux. Bien
au contraire, les savants allemands reconnaissent tout ce que la
langue et la littérature allemandes doivent à la langue et à la lit-
térature latines; ils proclament que la civilisation allemande est
la fille de la civilisation romaine, et ils ne manquent pas d'argu-
ments historiques à l'appui de leur opinion : l'Empire allemand
n'est-il pas le successeur du Saint Empire romain germanique,
dont les souverains allaient se faire couronner à Rome et se con-
sidéraient comme les héritiers des empereurs romains d'Occi-
dent 2? Ces savants, dont le patriotisme est certes aussi intense
que celui des Volapïikistes en question, mais éclairé par l'his-
toire et la philologie, sont si loin de vouloir proscrire de la L. I.
les éléments romans, qu'ils préconisent au contraire le latin
comme langue (scientifique) universelle. On a vu du reste que
beaucoup dauteurs de langues artificielles néo- latines sont
allemands. Tous ces faits semblent indiquer que les préjugés
hostiles à l'élément latin n'existent que chez quelques individus,
et que l'Allemagne savante n'a aucun parti-pris contre une langue
universelle en majorité (et môme exclusivement) romane. En tout
cas, parmi les Allemands partisans de la langue universelle, il y
en a autant, sinon plus, pour réclamer un idiome roman, que
pour demander l'exclusion des éléments romans. On peut espérer
que leurs opinions finiront par se concilier et par se contreba-
lancer, et qu'un idiome romano-germanique les satisfera et les
mettra d'accord, ainsi que tous les autres intéressés.
On pourrait aussi classer les langues a posteriori d'après leur
degré d' « apostériorité », c'est-à-dire suivant la mesure où elles
se rapprochent des langues naturelles, soit dans la grammaire,
soit dans la formation des mots. Pour ce qui est de la formation
des mots, on peut les ramener à deux types : l'un adopte des
racines internationales, et forme avec elles des dérivés et des
1. Est-il besoin de rappeler que, quand nous parlons de TEurope, nous y
comprenons tous les peuples de civilisation européenne, et par suite les
Américains?
2. Voir dans le Chapitre final : Les langues mortes, les idées émises à ce
sujet par le Prof. Diels, de l'Académie de Berlin.
CRITIQUE GÉNÉRALE 513
composés autonomos et originaux d'une manière absolument
régulière (ex. : VEsperanlo): l'autre adopte les mois internationaux
tout faits, tels qu'ils existent dans les langues naturelles, sans
s'inijuiéter s'ils sont régulièrement formés (ex. : le MundoUngue).
Kntre ces deux types s'échelonnent les systèmes qui cherchent
un compromis entre les deux méthodes (ex. : Yidiom neutral, avec
ses mots Mackenséniques). En somme, bien que tous ces sys-
tèmes recherchent l'internationalité des éléments lexicologiques,
Ils se heurtent à l'antinomie de Vinlernalionalité et de la régularités
Nous croyons qu'il ne faut pas pousser à l'extrême le i)rincipe
(le l'internationalité: une langue absolument a pos/eriori ne pour-
rait être qu'une langue naturelle, ou un mélange hybride de
langues naturelles, sans unité et sans régularité*. 11 faut tou-
jours, tùl ou tard, sacriiier l'internationalité à la régularité, sous
peine d'obtenir une langue aussi irrégulière et aussi compliquée
<pie nos langues, et par suite aussi diflicile A apprendre. Or la
(|ualilé essentielle de la L. I. est la facilité d'acquisition; car
("est elle qui assurera son adoption pratique et sa diffusion uni-
verselle. Si la L. I. doit être aussi difficile qu'une langue natu-
relle, on lui préférera toujours une langue vivante. C'est pour la
rendre aussi facile que i)ossible que l'on doit emprunter ses
matériaux aux langues européennes: le principe d'internationa-
lité est donc subordonné à la facilité, et doit céder devant celte
condition suprême : or celle-ci e.xige une régularité absolue, non
seulement dans la granuuaire, mais dans la formation des mots',
(.elte n'gularité a un autre avantage, la fécondité: car elle permet
à la L. I. de créer tous les mots dont on peut avoir besoin, au
lieu de les emprunter servilement aux langues naturelles (qui
peuvent en manquer); par là, elle la rend relativement indépen-
dante de celles-ci, et lui donne dans une certaine mesure les
caractères et les avantages d'une langue vivante.
(Juant à la grammaire, tout le monde reconnaît qu'elle doit
être avant tout régulière. Certains auteurs veulent cependant lui
appliquer le principe d'internationalité, et cherchent des flexions
f internationales. C'est là une recherche qui nous parait vaine.
Les grauMuaires européennes n'ont guère en commun que les
i. Voir les discussions du Linguisl (chnp. xxiii).
2. Voir, par cxeinplo. VAufflo-Franco.
3. Rappolons que cotait l'opinion de Grimm (p. 122).
CouTURAT et Leau. — langue univ. 33
514 SECTION III
cadres théoriques ou catégories, et non les formes verbales par
lesquelles ces catégories se traduisent pratiquement'. On ne
peut donc pas parler d'une morphologie commune aux langues
européennes^; il faut, tout en leur empruntant autant que pos-
sible les éléments grammaticaux, en régulariser la forme et
l'emploi. De môme, pour la syntaxe, qui varie tellement d'une
langue à l'autre ■', il faut s'inspirer de la logique bien plutôt que
de l'imitation des langues naturelles, qui sendjlont rivaliser sur
ce point en anomalies et en singularités. En un mot, dans le
domaine de la grammaire, la logique doit l'emporter sur This-
toire ou la philologie, et l'a priori sur Va posteriori. Notre con-
clusion sera, en définitive, celle de M. Renouvier : la langue
internationale doit être empirique par son vocabulaire, et philo-
sophique (c'est-à-dire rationnelle) par sa grammaire.
1. Pour donner des exemples, elles ont toutes un pluriel pour le sub-
stantif, mais elles l'indiquent différemment (et même une seule lanjiuo a
plusieurs marques du pluriel). Elles ont toutes à peu près les mêmes lenips
et modes principaux pour le verbe, niais elles les forment, non seulement
au moyen de flexions différentes, mais par des procédés différents (ex. : le
futur, que les unes forment avec un auxiliaire, et les autres avec une
flexion); et de plus, elles les emploient différemment.
2. Aussi ceux qui cbercbent une grammaire internationale aboutissent-ils,
en fait, tout au plus à une jrraminaire inter-romane , comme nous l'avons
vu à propos du Linguist (p. 473).
3. Comparer, par exemple, l'emploi de l'indicatif et du subjonctif en
fran(,ais et en allemand : l'allemand emploie l'indicatif après « Pour que »,
et le subjonctif après » On dit que ».
CHAPITRE FINAL
LES LANGUES MORTES
Il semble que l'idée d'employer comme L. I. une des langues
classiques aurait dû se présenter la première : mais, en fait, c'est
la dernière (jui se soit fait jour. On s'étonne que les savants du
wu" siècle, qui connaissaient si bien le latin et le pratiquaient
aussi familièrement que leur langue maternelle, n'aient pas
songé à en faire la langue internationale. Cela s'explique par ce
fait que. comme on l'a vii, les grands esprits de ce temps conce-
vaient la langue universelle comme devant être une langue logi-
quement parfaite; or le latin était presque aussi éloigné de cet
idéal que toutes les langues nationales. C'est ijounpioi Lei»n;z,
par exemple, ne prenait le latin (et encore un latin rectifié et
régularisé) que comme un intermédiaire provisoire entre les
langues vivantes et la langue philosophique qu'il rêvait.
11 a donc fallu attendre que les systèmes a posteriori eussent
familiarisé les esprits avec l'idée que la L. I. devait ressembler
aux langues naturelles, pour (pie l'on eut la pensée d'employer
à cette fin une des langues classiques. Quelques-uns ont préco-
nisé le grec; cette idée devait naturellement naître du mouve-
ment philhellène qui accompagna et produisit l'affranchissement
(le la (irèce, et du renouvellement des études grecques qui s'en
suivit. Elle eut pour principal avocat, en France, l'helléniste
Ciustave d'EiCiiTH.VL (entre 1870 et 1880). Plus récemment, elle a
trouvé des partisans dans un petit groupe d'hellénistes alle-
mands ', au moment du succès du Volopûk.
1 . Aug. BoLTz : Hellenisch, die allgemeine Gelehrtensprache der Zukunft
I.cipziji-, \V. Friedrich, 1888). — Joli. Flach : der Hellenismits drr Zukunft.
Kiii Mnliinvort (Lcipzip, Friodricli, 1889). — Ludw. Kihlenbeck : dos Pro-
Idem einer iiiternationaten Gelehrtensprache und der Hetlenismus der
516 CHAPITRE FINAL
Pour montrer qu'un tel projet n'a aucune valeur pratique (et
aucune chance de réussir), il suffit de constater que l'on ne
propose le grec que comme une L. 1. pour les savants. Ainsi, de
l'aveu même de ses partisans, il ne remplirait qu'une partie des
fonctions que l'on a le droit d'exiger de la L. 1. D'ailleurs, tous
les arguments qu'on fait valoir contre le latin valent a fortiori
pour le grec, attendu que sa grammaire est encore plus difficile
que celle du latin, que son alphabet constitue une difficulté de
plus, que son vocabulaire est bien moins international, qu'il est
moins bien connu et beaucoup moins répandu, enfin, quon a
bien moins besoin (dans les sciences) de lire les auteurs grecs
que les auteurs latins. Ajoutons que la prononciation du grec est
au moins aussi incertaine que celle du latin : la prononciation
érasmienne est barbare et n'a aucune valeur historique; et la
prononciation moderne est insupportable avec son iotacisme et
les équivoques sans nombre qu'il produit *.
Mentionnons, à ce propos, le projet, tout théorique, de
M. DE La Grasserie ^, qui voudrait prendre les radicaux grecs
pour éléments d'une langue artificielle à grammaire régulière.
Un tel projet serait analogue aux « néo-latins » que nous avons
étudiés dans la section précédente; et il serait moins interna-
tional, parce que les racines grecques sont bien moins répan-
dues dans nos langues que les racines latines.
Aussi est-ce au latin que tout le monde pense lorsqu'on pro-
pose de ressusciter une langue morte pour en faire la L. 1. Mais
c'est surtout au moment du succès du Volapûk, ou depuis sa
décadence, que certains lettrés se sont mis à préconiser le latin.
D'une part, le succès du Volapûk leur révélait la nécessité et la
possibilité d'une langue internationale; et, d'autre part, ils
étaient choqués et rebutés par le caractère arbitraire et la phy-
sionomie baroque de cette langue construite sans tenir compte
des données de la philologie et de l'histoire. Par réaction contre
un idiome sans élégance, sans littérature et sans tradition, ils
Zukunft. Ein Sendschreiben an den geistigen Adel deutscher Nation
(Leipzig, Friedrich, 1889).
1. En grec moderne, nous et vous, notre et votre se prononcent de même!
11 existe un journal hebdomadaire en grec moderne, destiné à soutenir la
cause de la langue et de la littérature grecques (classiques?). C'est VAtlantis
(2-4, Stone street, New- York City, U. S. A.).
2. De la possibilité et des conditions d'une langue internationale, 50 p.
in-S" (Paris, Maisonneuve, 1892).
LES LANGUES MORTES 517
furent amenés à penser et à dire que le latin serait plus propre
(|u"un<' langue forgée de toutes pièces à jouer le rôle de
laiiiîue intornationalo'. Ainsi se produisirent diverses tentatives
(toutes iiilVuctu(niscs) pour propager cell(; idée et la faire triom-
pher *.
La plus intéressante de ces tentatives est celle de M. George
Henoersdn, laufcur de la Lingua et de Y Anglo-Franca, qui, avec un
désintéressement et un détachement assez rares, subordonnant
ses projets personnels au succès de Vidée, entreprit de convertir
ses contemporains à la cause du latin '. Il lança en 1890 un
journal intitulé : Phœnix seu Nunlius latinus interiiationoUs, liiujux
latinœ ad iisns hodiernos adhibendx sicut documenluin edilus '% dans
le(piel il proposait la fondation d'une « Societas linguam uni-
versaleni, scienliaruni ac negotiorum ancillam, fundanlium inter-
nationalis », et où il publia impartialement les opinions de ses
correspondants, les critiques comme les approbations. Il reçut
les adhésions et les encouragements d'un petit nombre de
savants distingués d'Angleterre, de France, d'Amérique, d'Alle-
magne, etc. », et aussi de plusieurs auteurs de langues artifi-
cielles (Laud.v, Beermann, J. Lott; Eichhorn déclara préférer au
latin... l'anglais!).
Mais on commença à se diviser sur la question suivante : Quel
latin faut-il adopter? Les uns (.M. V.h. Hiciiet) tenaient pour le latin
classique, accru seulement de mots nouveaux. Tel était notam-
ment l'avis de M. Carlo Arrigo Ulrichs, qui publiait depuis
mai 1889, h Aquila-des-Abruzzes, un journal mensuel en latin
mêlé de prose et de vers, intitulé /Uaucte, et en qui le P/k^/ux saluait
1. C'est ainsi, par exemple, que M. Paul Lerov-Beaulieu, dans un article
intitulé : Uabandon du lutin et l'avènement du Volapilk (ap. L'Economiste
français du i août 1888), montrait qu'une L. I. est nécessaire comme Tunique
remède à « la Tour de Babel <|ui s'élève », et concluait par l'alternative :
« Volapilk ou latin », avec une préférence marquée pour le latin.
2. Nous ne citerons que pour mémoire les brochures de Le Hir (Langue
auxiliaire universelle lettrée, 27 p. in-8". Paris, 1878) et de Stirmhœfel
{Neulatein als Weltsprache, 24 p. in-8". Berlin, 1884), qui sont de pures et
simples divagations, et ne méritent pas l'honneur d'être comptées parmi
les projets, même théoriques, de langue universelle.
3. Il avait déjà publié deu.\ lettres eu ce sens dans Vlnterpretor.
4. Quatre numéros : juillet 1890, décembre 1890, juin 1891, avril 1892.
3. Parmi les Français nous citerons : MM. Paul Lerov-Beaixiec (dont
l'article précité parait avoir suggéré à M. Henderson sa tentative); Victor
Egger, a. Collignon, Julien H.wet, Charles Hichet, Maurice Proc,
Salomon Reinach, le D' Macé.
518 CHAPITRE FINAL
un précurseur*. D'autres (parmi lesquels M. Henderson lui-
même) proposaient d'adopter le latin du moyen âge en l'appro-
priant aux besoins modernes. M. Henderson conseillait de con-
server la grammaire latine, mais de ranger les mots dans un
ordre conforme à nos habitudes modernes, et d'adopter les
mots internationaux en les latinisant. Dans le même esprit, on
proposait de renoncer au style cicéronicn, aux longues périodes
cultivées dans les collèges, et d'adopter hardiment des néolo-
gismes comme nnio postalis, naves vaporariœ, ferrese viœ ordines
(trains), etc., que Cicéron lui-même eût admis, s'il fût ressuscité
de nos jours. M. Julien Havet, approuvant M. Henderson, lui
reprochait d'être infidèle à ses propres règles en faisant du titre
même de la Société un véritable logogi'iphe : il conseillait de
mettre toujours l'adjectif après le substantif, et le génitif après
le mot dont il dépend ; de désigner les villes et pays par leur
nom national, et non par leur nom latin, trop souvent mécon-
naissable 2 ; et de n'employer en latin que des tournures de
phrases qui pussent se traduire mot à mot dans une langue
moderne. Enfin il proposait pour la Société le titre : Societas
Internationalis Latinitatis modernœ, qui fut adopté. Par là le second
parti l'emportait; il était entendu qu'on emploierait les mots
latins dans leur sens moderne (ex. : minister, commissio, Uberalis,
protestans), et qu'on latiniserait les mots internationaux (photo-
graphia, téléphonas) . On se rapprochait ainsi du latin « culinaire »
réclamé par Beermann et par d'autres savants (O. Keller, Salo-
mon Reinach), qui souhaitaient que les Académies slaves, par
exemple, publiassent leurs travaux en un latin intelligible, sinon
cicéronien, pour les mettre à la portée du public occidental. En
môme temps, on le mettait en pratique en rendant compte, en
latin, des séances de VAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres de
Paris 3.
1. Voici un spécimen de cette poésie latine :
« Omni mane mihi meam cafeam
Parva macliinula super flagranti
Spiritus flamma soleo parare... »
2. Exemples : New-York = Novum Eboracum ; Rouen = Rothomagum ;
Le Puy-en-Velay = Anicium; Alcala-de-Hénarès = Complutum.
3. En voici quelques échantillons : « Ostendit Georges Perrot effigies pho-
tographicas signorum sculptilium œtatis Romanee, quœ nuper detexit Albert
Lebègue apud Martres-Tolosane ». — « Monuit prœses J. Oppert Acade-
miam, ob reverentiam festi parasceues sive feriœ sextœ majoris ante
Lies LANGUKS MOHTKS 510
Pour montrer (juc le latin so |)r(Ho à tous los jisaf?cs, M. IIen-
DERSON publiait Postprandium, plensantries in colloquial latin, par le
D' (lonstantino Stauder ', où l'on invorpiait l'opinion do Lonl
Duifcrin sur la rùfonnc nécessaire de l'enseignement du latin,
et où l'on donnait (ce qui manquait au Phcenix) des règles pra-
tiques tle prononciation du latin (analogues à celles de l'italien).
M«>me, pour prouver les qualités pratiijues et commerciales du
latin, et lui procurer un e débouché » fructueux, on l'employait
à la réclame : on célébrait en latin les vertus du Pearsiiis Sapo
et des Pillulce Beechamiae, et l'on annonçait : « Vélocipèdes
bicyclo-foretici et tricyclo-foretici duodecim menstruis ratibus
venduntur. »
En somme, on tendait à sacrifier la pureté du latin classique
pour l'adapter aux besoins modernes. Mais alors, comme le fai-
sait remarquer un partisan du Volapiik (M. Cari Kaplaneck), on
faisait du latin une langue artificielle ((ui serait toujours bien
moins régulière que le Volapiik, et bien plus difficile à apprendre.
Et il montrait que le latin ne remplit aucune des conditions
d'une langue bien faite, qui sont : 1° d'admettre n'importe quelle
formation de mots, et de lui donner un sens bien déterminé;
2° de distinguer sans ambigiiïté les cas, les nombres, les temps
et les modes. Enfin M. von W.\ni. (un des correspondants du
Linguisl) trouvait le latin beaucoup trop difficile : sur tant de
jeunes gens qui passent neuf ans h l'apprendre, combien en
trouve-t-on qui puissent l'écrire correctement? Combien surtout
qui puissent le parler couramment?
(^)uoi qu'il en soit, le Phœnix échoua dans son entreprise, et,
après avoir recueilli les approbations [)latoni(iues de quehjues
lettrés, disparut sans avoir réussi s'» organiser la Société interna-
tionale qu'il proposait de fonder. De celte expérience M. George
Hendersox a retiré la conviction que le latin n'a aucune chance
d'être adopté comme langue internationale; même par le monde
Pnscham, non conscssurnm die 27 Mnrtii... • — « Judicato certamine, quod
indictiim erat • de Iraditione bollorum Medicoruni -, pr.Tmio ordinario
Academia' ornatus est Ainôdée Hauvctlo, niagistor conferonliarum in Facul-
tate litlerarum Parisiens!. • — - Di.xit Boissier explorata esse n Carton
medico legionario et Denis locumtenente rudera urbiuin Romanarum in
Tunisia. •
1. • Published in order to show that Latin may be more easily and more
pleasantly acquired hy Ireatinp the lanpuape as if it were still a living
longue, llian l)y melbods now in use -, dit lo sous-titre.
520 CHAPITRE FINAL
savant, c'est-à-dire par les personnes qui le connaissent déjà*.
Depuis le Phœnix, plusieurs journaux latins ont été fondés,
dans l'intention de favoriser les études latines, plutôt que dans
celle de vulgariser le latin et d'en faire une langue universelle.
L'un est le Prœco Latinus-, journal mensuel publié à Philadel-
phie depuis 1895; il a cessé de paraître en septembre 1902, ce
qui n'est pas, apparemment, la marque d'un grand succès. On
y emploie le latin le plus classique; en l'ouvrant au hasard nous
tombons sur le membre de phrase suivant : « quod quidem
infitias haud facile ibitur... », et nous nous demandons combien
d'années il faut avoir passé sur les bancs pour connaître et com-
prendre cette périphrase alambiquée ^ Ce n'est certes pas avec
de pareilles élégances qu'on fera du latin une langue facile et
pratique. Plus bas, on demande pardon pour le barbarisme :
« publicitas » ; on met en italiques l'adjectif arislocraticus; mais on
emploie sans vergogne le mot millionarias. On puljlie des traduc-
tions latines de VAlceste d'Euripide et de Vlmitation *, ce qui
n'est peut-être pas très propre à montrer comment le latin peut
s'appliquer à l'expression des idées modernes. Ce que nous trou-
vons de plus probant à cet égard, ce sont les annonces, dont voici
un spécimen : « Piloi Stetsoniani capillacei coactiles sunt prœ-
stantissimi omnium, qui usquam in orbe fiunt ■' » ou bien, pour
un « Typoscriptorium » (machine à écrire) : « Machiinda quœque
scribit typis specie diversis variisque linguis. Proxcnetac in
cunctis urbibus mundi prœcipuis. Velis cataloguni plénum
petere; subnecte pittacium u lib. pro mappa orbis scitissima ».
1. Voir sa brochure : Phœnix, and Ihe revival of Latin as the international
lanquaqe (1902). Dans l'article où il proposait son Latinesce, M. llendcrson
écrivait, dans cette langue même : •< I Latine Lingue esse ni mis difficile.
Post decem annes de studere, pauces discipulcs pote, aut légère facile, aut
scribere accurate, aut loquere aiiquantulum i Latine Lingue » (1901).
2. Prœco Lalinus, Folia Gentium Lalina Menstnia Litteraria ac Critica,
ad propagandiim Sermonem Latinum, necnon ad fovenduia Lilteras Latinas.
2307, Green Str. Philadelphia. U. S. A.
3. Pour faire comprendre la préciosité de cette expression « infltias ire »
à ceux qui ne savent pas le latin, on peut la comparer à la locution fran-
çaise : « s'inscrire en faux » employée au figuré pour dire « contester » ou
« nier ». Ajoutons que, bien que le verbe ii'e soit neutre, cette locution
forme un verbe actif qui est mis ici au passif, parce que le latin manque
du mot on. Ce membre de phrase veut donc dire simplement : « ce qu'on
ne niera pas ».
4. On ne trouve donc pas le latin de Vlmitation suffisamment classique.
5. Le lecteur a deviné qu'il s'agit de chapeaux de feutre.
LES LANGIES MORTES 521
Un aulro journal latin ost la Vax Lrbis, publiée à Homo depuis
1898 par le chevalier Aristide Leonori •. C'est une revue littéraire
et artisli(ni(' illustrée, réditiréo dans \o latin lo plus classique; on
y public des poésies latines, notamment le C'arme/i sœculare du
pape Léon XIII. La partie la plus intéressante, à notre point de
vue, est ce qu'on peut appeler les Faits divers : « Hélium Trans-
vaalianum, Hocrorum prudia; Sinensis signata pax, » etc. On y
trouve une description de la (irande Houe de Chicago; on y
parle d'electrica lux, c\o ferren via; un cuirassé s'y appelle loricata
navis, une locomotive ciirrus vaporiveha, une bicyclette biroia velo-
cissinia, un roman {Quo vadis?) une fabula Milesia, un aérostat
aereothrenuin, et un mandat-poste : diribitoria chartula (qui l'eût
deviné?), l'n million se dit, en pur latin : decies centena millia;
nous ne savons pas comment on dit « un millionnaire, » mais
nous trouvons « triliones » entre guillemets. Un général s'appelle
miliUiin tribunus. Pour les noms propres, il n'y a pas de règle :
tantôt on les latinise, tantôt on les transcrit littéralement: à
côté do « Brissonius », on trouve le général « André », qu'il
était si facile et si tentant d'appeler « Andréas », et * Wal-
deckius-Rousseau », qiii concilie les deux systèmes ^. Mais le
plus admirable est la périphrase employée pour désigner le
ministre de l'instruction publique de France : « qui hodio ado-
Icscontibus erudicndis publiée in Gallia praîest, cognomine
Aqueus. » Heureusement pour le lecteur, on a ajouté entre
parenthèses : « Gallice Leyguos' ». Ailleurs, on risque des néo-
logismes hardis, comme telescopium, oceanog raphia, ors photogra-
1. Vox Urbis, de lilteris et bonis artibus commentarius (Bis in mense
prodit). Via Alossnndrinn, 87, Roinn.
2. S'il pnrnit cho(iuant do Inlinisor ios noms propres, il y a inconvénient
à no pas le faire, car alors on ne peut plus les décliner, et l'on ignore leur
rôle dans la phrase. On tourne la diflltulté au moyen d'un nom commun
en apposition (E.x. : • Loubet pra'sidis de Sinensibus rébus oratio •), mais
rien n'indicpie formellement ([ue pr.rsidis se rapporte à Loubet, et dans
d'autres phrases cette construction pourrait être équivoque.
3. Il faut savoir qu'en langue d'oc le mot aqun {eau) est devenu ai/gue
(d'où aif)tii''re). Le mémo personnage a été désigné comme suit par
M. AuTioui dans un discours latin distribué (mais non lu) au Congrès inter-
national talin (15 avril 190.3) : « Summus roi Gallorum lileraria' moderator ».
Celte périphrase, véritable énigme pour quiconque ne sait pas déjà de qui
il s'agit, prouve à quel point certains partisans du latin ont peu conscience
des conditions pratiques de la L. I. Si \'oi\ veut que le latin devienne langue
universelle, il faut dire tout simplement : • minister inslructionis publicic
in Franci/i » (cL p. 518). On remarquera (|u'il n'y a pas un mot de com-
mun entre cette expression et celle quo nous venons de citer.
o22 CHAPITRE FINAL
phica. Mais, malgré cela, les articles consacrés aux actualités
restent trop souvent de véritables logogriphes, surtout à cause
de la construction élégamment compliquée des phrases '.
Pour joindre le pi'écepte à l'exemple, la Vox Urbis publie Lol-
lius, sive de proveda latinitale, de P. Angelini, où sont traitées les
questions de latinité. On y apprend que V adjectif philosophicus et
l'adverbe yj/ii/osop/itce ne sont pas de Cicéron; et que, pour suivre
l'exemple de l'orateur romain, on doit éviter d'employer des
mots grecs pour tout ce qu'on peut dire en latin, Ainsi au lieu
de geographia, Cicéron dit : « terrarum descriptio * ; au lieu de
physicus : « speculator venatorque naturœ » ^. De même, on ne
doit pas dire thesis, mais res proposila; idea, mais notio, species ou
forma; sysfema ou methodiis, mais ratio, disciplina, via; politicum,
mais « quod ad rempublicam, ad civitatem pertinet »: œconomia,
mais « rei familiaris administratio, dispensatio, cura »; anarchia,
mais « eorum doctrina qui nullum esse regimen civitatis
volunt ». Un autre puriste, M. Tasset, prétend qu'on peut tout
dire en termes cicéroniens, et préfère fulguralis à electricus; mais
il ne dit pas si l'on traduira électricité psivfalgur (ce qui serait équi-
voque). Enfin, la Vox Urbis pousse la timidité jusqu'à imprimer
en italiques le mot internationalis, comme pour demander pardon
de ce barbarisme.
Reste à savoir si ce purisme est un bon moyen de restaurer le
latin et d'en faire la langue universelle, même des savants seu-
lement '. A vrai dire, il nous paraît contraire à l'utilité primor-
diale de tout langage; car les mots ont été inventés, en somme,
pour tenir lieu des définitions, tandis que ce style soi-disant
cicéronien remplace chaque mot par une périphrase à la Delille.
On ne voit pas de telles périphrases employées dans un journal
1. Voici, par exemple, comment on exprime une grève de cochers :
« desertio rœdariorum curribus equorum aut electridis vi actis addictorum »,
et comment on décrit un déraillement : « Curruum séries... e ferreis axibus,
quibus, vapore acta, velocissime procedebat, egressa, in duas partes divisa
est, quarum una rapide per declivium processit, et in alios currus viatorum
pleRos impulsa, neces plures comparavit. Nec hominum mala hac morte
mulctatorum numerus recognosci potuit, cum ignis rabies, ex vaporivehœ
cortinœ abruptione, eos adussisset. »
2. Cf. les périphrases de pyroballum et d'aeronaula, citées p. 74, note 1.
3. Cf. G. Elpi, La lingua universale (Rome, 1900). Mentionnons un autre
journal latin dont nous ne connaissons que le titre : Civis Romanus, orbis
litterarum Romanarum necnon epistolario latine commercio adjumentum,
publié par \V. Lomatsgh, à Limbach (Saxe).
LES LANGUES MORTES 523
pour annoncer l'arrcslalion duii anarchiste, ou dans une affiche
universitaire pour désigner les professeurs de physique, de géo-
graphie ou d'économie polili(|no. Au fond, ces prétendues éh'-
ganccs ressemblent étrangement aux périphrases naïves et
compliquées des sauvages ou du pidgin emjlish *, et il est curieux
de constater que les extrêmes se touchent, la langue barbare et
la langue raftiiiée 2.
Enfin, nous devons parler d'une tentative intéressante qui s'est
produite récemment à Berlin, bien qu'elle n'ait pas pour but
principal la langue universelle. Le Verein lîerliner llochschullchrer
(Union des professeurs d'écoles supérieures de Berlin) a fondé
des cours populaires de latin, à l'usage des adultes désireux
d'acquérir rapidement une teinture suffisante pour pouvoir lire
et comprendre quelques mots ou quelques lignes de latin. La
méthode, toute pratique, consiste à lire et à analyser des textes
d'exercice, et à apprendre ainsi par l'exemple les déclinaisons,
les conjugaisons et les règles de grammaire et de syntaxe. On
arrive ainsi, paraît-il, en peu de mois à déchiffrer les Commen-
taires de César. Les cours ont été suivis par un public assez
nombreux, composé surtout d'ouvriers et d'employés.
Ils ont été inaugurés le 6 novembre 1900 par une conférence
très intéressante du Prof. Hermann Diels, membre de l'Aca-
démie des Sciences de Berlin, « sur l'importance du latin pour
notre peuple et notre temps ^ ». L'illustre philologue a fait res-
sortir, avec une compétence et une autorité particulières, tout
ce que la langue allemande et l'esprit allemand doivent à la
civilisation romaine, et par suite à la langue latine .jusqu'en 1900
(promulgation du Code civil allemand) l'Allemagne a vécu sous
le régime du Droit romain (du Corpus juris de Ju.stinien), d'où
l'infiltration d'innombrables expressions latines dans la langue
juridique, politique, administrative *. Les principaux monu-
1. Voir la Critique générale des Systèmes mixtes (p. 236).
2. De même, dnns un article de The World's Work (juillet 19a3, p. 195),
M. Tighe Hopki.ns rapproche la périphrase de bici/clette dans le latin de la
Vox Urbis de la périphrase de télégramme en gaélique : story-on-top-of-a-
stick (litt. : nouvelle sur le haut d'un bùton).
3. Volkslalein. Vorwort zu Dr. R. llelms Uebungsbuch filr volkstilmliche
Vortragskurse, und Vortrag « Ueber die Bedeutung des Lateins fur unser
Volk und unsre Zeil » von Prof. Hermann Diels (Leipzig, Teubner, 1901).
4. On peut en dire autant pour l'Angleterre, où l'on plaide versus (contre)
quelqu'un, et où l'on s'abonne aux journaux per annum.
524 CHAPITRE FINAL
ments de Berlin sont couverts d'inscriptions latines, et les locu-
tions latines abondent même dans le langage familier; on ne
peut pas trinquer sans dire : Prosit, ni fêter quelqu'un sans crier :
Vivat. Non seulement l'allemand emprunte au latin un grand
nombre de mots savants intraduisibles (comme sabjectiv et objec-
tiv, reladv et absolut, Idealismiis et Materialismus), mais il contient
dans son vocabulaire le plus ancien et le plus populaire des
radicaux latins [Vater, Wein, Keller, Fenster, Kammer, Kôrper,
Mauer, Schreiben, etc.). Même les mots d'empire [Reich) et d'empe-
reur {Kaiser) sont d'origine latine (celui-ci est la transcription
phonétique de Cœsar, antérieure au vi° siècle). Tout cela prouve
à quel point rallemand est imprégné d'éléments latins.
Il en résulte que la langue allemande, môme la plus courante,
est remplie de mots d'origine latine : dans un article du journal
populaire (socialiste) Vonvàrts, pris au hasard, M. Diels relève
les mots : Militàroperationen (qu'on ne peut pas traduire par krie-
gerische Handlangen), Konkurrent, Coalition, Organisation, Invasion,
Dimension, Republik, Armée, Révolution, Diplomat, Consul, Méthode, etc.
Il proteste, à ce propos, contre la guerre faite en Allemagne
aux « mots étrangers », c'est-à-dire, le plus souvent,' à ces mots
de source latine qui sont en quelque sorte les titres de noblesse
de la civilisation allemande et les traces de son origine romaine.
Les efforts faits pour les remplacer par des équivalents alle-
mands artificiellement formés sont, à ses yeux, « une sorte de
falsification », qu'il compare à l'action de démarquer l'origine
des produits K D'ailleurs, comme on l'a vu, les équivalents sont
souvent inexacts, et parfois même font totalement défaut.
De tout cela M. Diels conclut qu'un Allemand ne peut savoir
sa langue, et comprendre l'histoire et les institutions de son
pays, que s'il connaît le latin. La connaissance du latin est utile,
sinon indispensable, à tous ceux qui cultivent, non seulement la
philosophie, l'histoire ou le droit, mais encore les sciences natu-
relles : la Pharmacopœa germanica est rédigée en latin, ainsi que
les ordonnances des médecins; et le botaniste apprend à
nommer les plantes en latin. C'est ainsi que des personnes qui
n'ont pas reçu l'instruction classique peuvent éprouver le
besoin, soit pour leur culture d'esprit, soit même pour leur
1. L'auteur rappelle que Charlemagne avait déjà essayé, mais en vain,
de remplacer les noms des mois latins par des noms germaniques.
LES LANGUES MORTES 525
profession, d'acquérir (iu<^l(|urs notions de latin. C'est précisé-
ment à elles que sont destinés ces cours populaires de latin.
M. DiELS déplore que le latin sf)it une sorte de privilège aristo-
cratique, et établisse une l)arri«''re entre les classes de la société.
Mais, tandis que des réformateurs veulent le remplacer par des
études exclusivement « réelles » et utilitaires, l'auteur, qui y
voit le palladium de toute culture élevée, voudrait au contraire
populariser les humanités et en étendre les bienfaits aux classes
(pii en sont jusqu'ici privées.
On ne peut que rendre hommage à la largeur et à la généro-
sité de ces vues, dont la portée n'est pas restreinte à l'Allemagne;
car dans tous les pays les humanités traversent une crise, par
suite de la concurrence de renseignement « moderne », et surtout,
remarquons-le en passant, des langues vivantes, dont on reconnaît
de pins en plus l'utilité pratique pour les relations internatio-
nales. Seulement, si l'on recommande l'étude du latin, ce n'est
pas, comme on voit, h titre de langue universelle, mais à titre
d'instrument de culture intellectuelle • et pour des raisons péda-
g<)gi(iurs et sociales m/rn-nationales. C'est ailleurs (pie M. Diels
a préconisé le latin comme « la plus simple et la meilleure des
langues universelles ' », en vertu des mômes considérations
Iiislori«pies, à savoir que la civilisation romaine est la mère et
la nourrice de la civilisation européenne. Il ajoute : « L'empire
romain est mort, aucune pensée politique ne s'attache plus à sa
langue. KUe est donc un moyen de communication neutre.
comme il n'y en a pas un second. » L'auteur paraît admettre la
nécessité et la possibilité de simplifier et de moderniser le latin
pour le rendre plus accessible et plus maniable; mais on peut
douter qu'il fasse beaucoup de concessions sur ce point, quand
on le voit qualifier de néo-latin la langue classique du Prxco
Latinus et de la Vox Urbis. De i)lus, on ne peut s'empêcher de
remarquer ré(]uivoque ou l'illusion que recèle le mot môme de
Volkslatein : les cours de M. Helms ne sont pas des cours de latin
populaire, mais des cours populaires de latin classique, ce qui est
bien différent. On y apprend à lire César; or le latin populaire
1. M. Diels va jusqu'à dire (juo « l'enseignement du latin vaut un cours
de logiciuo •'.
2. Das l'robloin der Weltsprache, ap. Deutsche Revue, janvier 1901.
Cf. Ueber Leil)niz und das Problem der Universalsprache, np. Sitzunr/she-
richte der k. pr. Akademie der Wissensc/iaflcn zu Berlin (29 juin 1899).
526 CHAPITRE FINAL
n'est pas le latin de César, mais le latin que parlaient ses légion-
naires, et qu ils ont appris à nos aïeux : le latin où l'on disait
caballus au lieu d'equus, bellus au lieu de pulcher, et ainsi de suite.
D'un autre côté, M. Valdarnini, professeur de l'Université de
Bologne, recommande le latin comme langue universelle, pour
deux sortes de raisons : des raisons historiques propres à l'Italie
(souvenir de l'empire romain), qui, si elles avaient une valeur
réelle, contrediraient la nentralité que M. Diels attribue au latin;
et des raisons pédagogiques : l'adoption du latin comme langue
universelle serait le meilleur moyen de remédier au surmenage
intellectuel et à la surcharge des programmes de l'enseignement
secondaire, et de faire cesser le conflit des études classiques et
des études modernes ^ Seulement, c'est exactement pour les
mêmes raisons que M. Ernest Naville préconise l'adoption d'une
langue internationale artificielle, et spécialement de VEsperanto :
car l'étude d'une langue aussi facile permettrait de consacrer
plus de temps aux langues classiques, et les délivrerait de la
concurrence utilitaire des langues vivantes*.
Critique.
Les partisans du latin font valoir en sa faveur une foule
d'arguments d'ordre historique. Le latin a été au moyen âge,
et est resté jusqu'au xviii<= siècle, la langue internationale des
savants : et même au xi.x" siècle, Gauss et Jacobi écrivaient
encore leurs mémoires de mathématiques en latin. Malheureu-
sement presque tous les faits allégués appartiennent au passé :
en France, on faisait encore les cours de philosophie en latin
vers 1830; en Hongrie, on parlait encore en latin vers 1848
(mais aujourd'hui on ne le parle plus du tout); en Italie, il n'y a
pas longtemps encore qu'on faisait les cours de médecine en
latin; chez nous, il y a trente ans, on faisait encoi^e des dis-
cours latins dans certaines cérémonies officielles; et ainsi de
suite. Dans toutes ces constatations, l'adverbe encore revient
sans cesse, de sorte que l'éloge du latin ressemble à une
1. Angelo Valdarnini : Il sovraccarico délia mente e lo studio d'Htm
lingua internazionale (Asti, 1900).
2. E. Naville, La Langue internationale, mémoire présenté à rAcadémie
des sciences morales et politiques (janvier 1899).
LES LANGUES MORTES 527
(>rais(»n Innrhre. « On soutenait autrefois en lalin 1rs Ih^scs
«le (locloral »; sans doulr, mais cola ne se fait plus, cl pour
cause. Les thèses elles-mêmes étaient autrefois en latin : on y a
renoncé dans les Facultés de droit, de médecine et de sciences;
cl si une thèse latine est encore exigée au doctorat es lettres, la
plupart des Facultés des Lettres françaises demandent (luon la
supprime, ou tout au moins qu'on la rende facultative'. Tous
les faits qu'invoquent les partisans du latin ne prouvent dfm<-.
pas sa vitalité persistante, mais hien plutôt sa décadence pro-
gressive, fatale et irrémédiable, dans tous les doniaint>s et dans
tous les pays.
Sans doute, il est permis de regretter le temps où dans toutes
les Universités d'Europe les cours se faisaient en latin, de sorte
(ju'un étudiant pouvait, sans être dépaysé, suivre successive-
ment les leçons de maîtres célèbres de différents pays. Mais,
qu'on le regrette ou non, ce temps n'est plus, et l'enseignement
se donne et continuera vraisemblablement à se donner dans la
langue nationale ou maternelle. Le latin ne réussira pas plus
([u'une langue artilicielle à restaurer l'unité de langue parmi
les savants. Ceux qui le révent caressent la chimère d'une langue
universelle pour le inonde savant, et ce n'est pas cette chimère,
nous le déclarons nettement, «jue nous poursuivons à présent.
On pe»it du moins désirer que le latin redevienne la langue
de la correspondance et des publications scientifiques; on
espèn* ainsi renouer la tradition naguère interronq)ue. Puisque,
(lit-on. les savants sont obligés de savoir le latin pour pouvoir
lire les univivs des maîtres des siècles antérieurs, pourcjuoi ne
|)rolileraient-ils pas de cette connaissance pour publier à leur
tour leurs travaux dans cette langue, et s'en servir dans les
coniples-rcndus officiels des Académies, les revues scientifi-
cpics. etc.? On oublie que les savants sont de moins en moins
obligés de savoir le latin, à mesure qu'on s'éloigne du temps où
le latin était l'unique langue scielitilîque. Les sciences mathé-
matiques et naturelles font des piogrès si rapitles, que l'on ne
peut les apprendre que dans des ouvrages qui datent de moins
(le vingt ans, et (jui, par conséquent, sont tous en langue natio-
nale. On n'a plus besoin de se reporter aux œuvres des maîtres
t. Voir l'ic.vvET, La thèse latine et le doctorat es lettres, np. Reçue inter-
nationale de renseignement (13 mai 1903). — /'. 5. Un décrot du 28 juil-
icl 1003 vient de rendre facultatif femploi du lalin pour la seconde tlièse.
528 CHAPITRE FINAL
(dont la substance a d'ailleurs passé dans les cours et les
manuels), à moins qu'on ne soit un historien et un érudit. Or
c'est là un cas tellement rare parmi les savants, qu'on n'a pas
à en tenir compte. Il ne serait ni juste ni raisonnable que, pour
permettre à quelques érudits de lire Leibniz ou Newton dans le
texte original; on astreignît tous les savants à l'usage du latin.
Ces érudits pourront toujours apprendre le latin (comme le
grec), s'ils en ont le besoin et le goût; les autres se contente-
ront de la science contemporaine, ou, s'ils ont par hasard à lire
un ancien, ils le liront dans une traduction. Supposé qu'on
adopte une langue artificielle, on n'aura qu'à traduire dans
cette langue toutes les grandes œuvres classiques pour les
mettre à la portée du public scientifique de tous les pays, et
l'on ne peut comparer l'étendue finie et même très limitée de
ces reliques (si précieuses qu'elles soient) à la masse toujours
croissante des productions contemporaines. Il serait contraire
au bon sens de subordonner celles-ci à celles-là, et de sacrifier
l'avenir au passé.
Ajoutons à cela qu'il n'y a aucune comparaison eptre la con-
naissance du latin qui suffit pour lire les œuvres scientifiques
écrites en cette langue, et celle qui serait nécessaire pour écrire
et même converser en latin . On assure que les cours popu-
laires de latin mettent en quelques mois en mesure de lire
César; mais combien d'années d'études faudrait- il pour pouvoir
écrire et parler, nous ne disons pas comme César, mais cor-
rectement"? On nous dit : Pourquoi chercher une langue inter-
nationale autre que cette langue que l'on enseigne dans les
écoles secondaires de tous les pays, et que tous les hommes
cultivés ont apprise? Mais cet argument se retourne contre
ceux qui l'emploient : Comment! voilà une langue qu'on
enseigne dans tous les pays, que tous les hommes instruits sont
censés savoir, et ils ne s'en servent pas dans leurs relations
internationales! C'est qu'en réalité presque personne ne la
possède assez bien pour s'en servir pratiquement. Aussi l'on cite
comme des prodiges les rares savants contemporains capables
de parler latin; mais ces illustres exceptions ne font que con-
firmer la règle '. Enfin, il ne faut pas oublier que les partisans
1. On raconte sans cesse, comme un fait extraordinaire (et probablement
unique), qu'au Congrès de médecine de Berlin les Professeurs Virchow et
LES LANGUES MORTES 529
du latin no pensent (luaux savants, et nrgligonf ainsi los
99/100 tU's prrsoinios inkh'cssrcs à l'emploi d'nne langnc intor-
nationalo.
C.ar foule la question est une question pi'atitpie. (Juels que
soient les mérites et les avantai,'<'s du latin (t(iRî nous ne con-
testons nullement), c'est une langue beaucoup trop difficile et
trop lontrne iH apprendre. Il ne faut pas se lasser de le ré|)<''ter :
l'élite de la jeunesse passe neuf ans à étudier le latin et al>outit
à l'écrire péniblement, à coups de dictionnaire, et pas toujours
correctement. A plus forte raison n'est-elle pas en état de le
parler. Aussi l'immense majorité a-t-elle bient<M fait d'oublier
toute notion de cette langue. Môme ceux qui, par profession,
entretiennent et développent leur ^nnaissance du latin éprou-
vent de grandes difficultés i\ s'en^ervir. On sait que la thèse
latine n'est plus considérée que comme une corvée ridicule et
une ennuyeuse formalité; et ce n'est un mystère pour personne
<|ue beaucoup de candidats s'en acquittent en traduisant ou en
faisant traduire leur travail rédigé en français. Ainsi la majoi-ité
(les docteurs es lettres est incapable de se servir couramment
du latin. Que dire alors des docteurs es sciences, en droit et en
médecine? On a beau dire cpie l'anatomie. la botanique et la
pharmacie emploient une nomenclature latine; on peut savoir
reconnaître un Phœnix dactylifera, et lire Aqua dislillata sur un
bocal, sans être capable de faire la plus simple i)hrase en latin,
ou seulement de décliner correctement ces deux expressions '.
Aussi bien ceux qui emploient de pareils arguments oublient-
ils que ce qui constitue propr<Mnent une langue, ce n'est pas
son vocabulaire, mais sa grammaire. C'est pourquoi nous atta-
Bacckixi ont conversé en Intin. On néglige d'ajouter si leurs collègues les
ont coiiiiiris.
i. L'anecdote suivante a fait le tour de la presse en janvier l'J02. L'il-
lustre 'ViRCHOw. de Berlin, ayant été victime d'un accident de tramway,
reçut du Prof. Uaccelu, ministre de l'instruction |)ublique en Italie, une
dé])èclie demandant de ses nouvelles, et répondit par le télégramme suivant :
Caput o.s\vi.< /'eoioris fraclui/i. Spero consolidationcm. Grtilias militas.
Les journalistes i|ui ont rn|)porté ce fait n'ont pas manqué de s'écrier,
en guiso de conclusion : « La voilà bien, la langue universelle! c'est le
latin! - S'ils avaient tant soit peu réfléclii, ils se seraient peut-être Tait la
question suivante, que nous avons l'indiscrétion de leur poser : ('omliien,
parmi tous ces journalistes, eussent été capables d'écrire correctement celte
dépêche si courte et en apparence si simple, et, à plus forte raison, d'écrire
en latin leur article tout entier, y compris le récit de l'accident de
" tramway ■•■.'
CouTi'R.vT ot Lf.au. — I.anguo univ. 34
530 CHAPITRE FINAL
chons peu d'importance à l'objection courante, selon laquelle
on serait obligé d'enrichir le vocabulaire latin d'une foule de
néologismes, pour l'adapter aux besoins modernes. Ces néolo-
gismes pourraient faire dresser les cheveux sur la tôte des
puristes : mais ils ne dénatureraient pas le latin, et ne le ren-
draient pas plus facile. Qu'importe qu'on dise notio ou idea,
methodus ou ratio; qu'on emploie des mots comme magazina et
realisare (Leibniz), pulvis pyriiis et eleclrica lux, s'il faut toujours
les décliner et les conjuguer suivant les règles classiques? La
grammaire est tout : c'est elle qui fait le caractère d'une langue,
c'est elle aussi qui en fait la difficulté. Nous n'avons pas à rap-
peler ici toute la grammaire latine; mais peut-être sera-t-il bon
d'en énumérer les principales difficultés, aussi bien pour ceux
à qui l'usage les a rendues insensibles que pour ceux qui ne les
connaissent pas. C'est bien le cas de répéter le vers connu :
Indodi discant, et ainent meminisse periti.
Le latin possède, selon les grammaires, 15 déclinaisons et 4
conjugaisons; mais, tout compte fait, il a 13 déclinaisons diffé-
rentes, dont chacune comporte 12 terminaisons (paradigmes :
rosa; domiiius, puer, ager, templum; auris, cubile, urbs, consul,
fulgur; manus, cornu; dies) et 5 conjugaisons différentes, dont
chacune comporte 75 terminaisons à l'actif et 59 au passif (Zegfo,
amo, deleo, capio, audio). Or il est souvent fort difficile de savoir
auquel de ces types appartient tel mot donné, particulièrement
dans la 3^ déclinaison, où il n'y a pas de règle générale pour
distinguer les noms qui font le génitif en -um de ceux cjui le font
en -ium^. Il est déjà assez malaisé de savoir, à l'inspection du
nominatif, quel est le génitif : lex fait legis, et judex hxil judicis ;
lux fait lucis, et conjux, conjugis; vox fait vocis, et nox, noctis; pes
fait pedis, et miles, militis ; lapis fait lapidis, et sanguis, sanguinis ;
avis fait avis, ei pulvis, pulveris; tempus fait lemporis, et opus, operis;
homo fait hominis, et sermo, sermonis ; acer fait acris, et celer, céleris.
On peut môme être embarrassé pour savoir à quelle déclinaison
appartient un mot; ainsi un mot en -us peut être de la 2*^
(dominus), de la 4" (manus) ou de la 3" (salus, genus) ; un mot en -er
peut être de la 2" {puer, pueri; liber, libri) ou de la 3*-', et dans
1. La distinction des noms parisyllabiques et imparisyllabiques est tout
à fait insuffisante et trompeuse : canis, juvenis font leur génitif en -um;
dens, fons, mons font leur génitif en -ium.
LES LANGUES MORTES 531
celle-ci il jm'uI appartenir à «les paradigmes (liHV-reiils [pater,
patruin; muUei\ inulieniin; imber, imbriuin); un mol en -es peut
ôtre de la 5" {dies) ou de la 3«, et encore de paradigmes diffé-
rcnJs {moles, molis; seges, segetis; hères, heredis; cornes, comilis). Le
remède es! simple, dira-l-on; on n'a (ju'à chercher le génitif
dans le dictionnaire. Cela revient à dire qu'il faut sans cesse
feuilleter le dictionnaire, jusqu'à ce qu'on ait appris par l'usage
le génitif de tous les noms qu'on emploie. Il en est de même du
genre, que la désinence, non seulement ne permet pas de
deviner, mais ferait souvent induire à faux : salits, manus sont
du fénùnin; lempus, corpus sont du neutre; et inversement, agri-
cola, naula sont du masculin, sans parler des mots d'origine
grecque : poêla (masc), poeina (neutre), melhodus (féni.), etc.
Les verbes donnent lieu à des difficultés analogues. Un verbe
en -io se conjugue-t-il sur capio ou sur audiol Un verbe dont
l'infinitif est en ère ' se conjugue-t-il sur deleo, sur lego ou sur
capiol Encore ici, ce n'est que le dictionnaire ou l'usage qui
l'enseignent. Mais la régularité des conjugaisons n'est (piappa-
rente, puisque la conjugaison de chaque verbe dépend de la
forme de son parfait et de son supin, qu'il faut encore chei*cher
dans le dictionnaire ou savoir par cteur. Aucune analogie ne
peut servir de guide : elle ne peut qu'égarer. A cùté de amare
{amavi, amalum) on a : domare (domui, domitum) ; à côté de delere
(delevi, deletiun), on a : monere (monui, monitum) ; à cùté de audire
(audivi, audilum), on a : aperire {aperiii, apertum). Mais c'est sur-
tout la 3* conjugaison qui offre une multitude de formes
diverses, au milieu desquelles l'apprenti se perd, de sorte
qu'on peut dire que tous les verbes y sont irréguliers. 11 y a
des parfaits en -ui {alui, colui) et en si {carpsi. dixi) qui sou-
vent altèrent le radical (posai, misi, lusi); il y a des parfaits qui
changent la voyelle du radical (ago, egi; capio, cepi) ou l'altèrent
plus gravement (frango, fregi; rumpo, rupi; pergo, perrexi).
D'autres redoublent le radical, avec ou sans altération [curro,
cacurri; cado, cecidi; tango, teligi; pungo, pupugi). 11 y a des
supins en -sum (cursum, hisam, morsum, visum, versum). Il y a des
verbes qui manquent du parfait, ou du supin, ou de tous les
deux; des verbes qui, n'ayant que le parfait, ont le sens du
1. Prévenons, une fois pour toutes, que nous ne tenons pas compte de la
quantité, puis(iu'eile n'est pas manjuée dans les textes imprimés modernes.
Nous nous plai;ons, comme de juste, au point de vue du novice.
532 CHAPITRE FINAL
présent (memini, odi) ; des verbes faussement impersonnels (pœni-
tet, piidet); il y a les verbes déponents, qui ont la l'orme passive et
la signification active {imitari, polliceri, sequi, pati, hlandiri) et les
verbes semi-déponents {audeo, ausus sum) *. Et quand on a appris
tous ces verbes, il reste encore à apprendre les verbes absolu-
ment irréguliers, à commencer par le verbe sum (ex. : lavare, lavi,
lautum; cavere, cavi, caatam ; sero, sévi, satam; ferre, tali,latum; velle,
ire, fieri, etc.), qui sont précisément les plus usités.
La déclinaison offre aussi de nombreuses irrégularités, qu'il
serait trop long d'énumérer. Bornons-nous à citer Jupiter (Jovis),
iter (itineris), vis, bos, sans parler des noms d'origine grecque, des
noms défectifs (en nombre ou en cas), de ceux qui changent de
sens du singulier au pluriel [œdes, litera, copia, castrum, pars), et
de ceux qui changent de genre {locus, jocus, cœlum). Rappelons
aussi les irrégularités dans la formation des degrés de compa-
raison {bonus, melior, optimus) *, les adjectifs qui manquent de
comparatif ou de superlatif, ou de tous les deux; les comparatifs
et superlatifs qui manquent du positif; l'irrégularité dans la for-
mation des noms de nombre {septendecim suivi de duodeviyinti;
octavus, nonus, etc.), où les centaines se déclinent, tandis que les
dizaines sont invariables; l'irrégularité de la déclinaison des
pronoms personnels {ego, mei, mihi, me), démonstratifs (is, ejus;
hic, hujus: ille, illius), relatifs {quis, cujus; uter, utrius), etc.
Cette multitude de formes diverses dont il faut se charger la
mémoire a-t-elle du moins pour effet de rendre les équivoques
impossibles? Pas le moins du monde. Dans la ['^° déclinaison, le
nominatif et l'ablatif singulier, le datif et l'ablatif pluriel, le
génitif singulier, le datif singulier et le nominatif pluriel se
ressemblent; dans la 2«, le datif et l'ablatif singulier, le datif et
l'ablatif pluriel se ressemblent; dans la 3®, le nominatif et l'accu-
satif pluriel se ressemblent; le datif et l'ablatif se ressemblent
toujours au pluriel, et souvent au singulier; souvent aussi le
nominatif et le génitif singulier se ressemblent (avis), ou bien le
nominatif singulier et le nominatif pluriel [moles, nubes). Dans la
¥ déclinaison, le nominatif et le génitif singulier ressemblent
1. En revanche, il y a des verbes qui ont une forme active et un sens
passif, comme vapulo {être battu).
2. Sans compter la diversité des formes régulières du superlatif : faciiis,
facittimus, à côté d'utilis, utitissimus ; pulc/ier, pulclicrrimus ; vêtus,
veterrimus.
LES LANGUES MORTES 533
au nomiiiiifir cl ù laccusalif jilnriol; dans la ij'", los iiomiiiafifs
singuli<'r cl pluriel rossoiiihlriil à laccusalif pluriel. Knliii, clans
tous les noms neutres, le nominatif et raccusalif se ressemblent '.
Les adjectifs donnent lieu encore j\ d'autres ambiguït«*s : le
nominatif s. f. ressemble au nominatif j)l. n. [bona). Ces simili-
tudes de forme donnent lieu, on le conçoit, à une foule dambi-
guïlés que l'on ne peut dissiper que par r(''tude attentive du
contexte, ce qui est contraire i\ lintelligibilité immédiate qu'on
doit attendre de la L. I. Les confusions les plus fréquentes sont
justement les plus graves, à savoir celle du nominatif et de
l'accusatif et celle du singulier et du pluriel; ce sont précisé-
ment celles qu'une langue artificielle qui se respecte a l)ien soin
de rendre impossibles.
11 y a encore bien d'autres équivoques : mei. tui, noslrum. nostri
sont à la fois des génitifs de pronoms personnels et des formes
de pronoms possessifs. Beaucoup de mots ont des bomonymes
(pii i)rétent au calembour : liber signifie libre et livre ^•, motus
signifie le mouvement et la cbose mue; mnlus signifie mécfiant et
mât; malum, méchant et pomme, ce qui donne un triple sens au.\
cas indirects; populus signifie peuple et peuplier; palus, marais et
pieu; os, bouche et os; fiedus, pacte et horrible: viclus. vaincu et
nourriture ; distantia , dislance et cboses distantes ; latus signifie
côté, large, et porté. Les nombreuses flexions des noms et des
verbes donnent naissance à d'autres bomonymies : avi peut être
le dat. ou labl. s. dai'js {oiseau} ou le nom. pi. dai'us {aïeul); lateris
est le génitif à la fois de lalus (côté) et de later (brique); canis peut
être le non), ou géii. sing. de canis (chien) ou le dat. ou abl. i)l.
de canus (blanc) ^ ; securi, securis oITrent un double sens analogue
(securis = hache, securus = en sécurité). Amor signifie amour ou Je
suis aimé: amare signifie aimer, sois aimé, et... amèrement (ndyerhc
d'amarus); vincere signifie vaincre et tu seras vaincu; leyis signifie
de la loi et tu lis ; legi, à la loi et j'ai lu ; sine signifie sans et souffre ;
suis signifie : du porc (sus), aux siens (suus) et tu couds (suo\ etc. *.
1. Dans les pronoms, lo dntif singulier ressemble souvent nu nominatif
pluriel : alii, loti, soli; le nom. f. s. nu nom.pl. n. : hœc, ea, illa: et nu'^ine
au nom. pi. f. : qu.r.
2. D'où cette devise d'un libraire : Li(>er libro.
3. Un de nos amis se souvient encore d'avoir pAli pendant une heure,
en liuiti»Mne, sur ces mots ; canis capillis. auxtpiels il ne pouvait pas
trouver d'autre sens <iue : les cheveu.v (Vun chien.
4. Nous empruntons la plupart de ces e.xemples « Wilkins (Real Characler,
334 CHAPITRE FINAL
Le parfait fulsi appartient à la fois à fulgeo et à fulcio ; luxi, à
luceo et à lugeo; le parfait crevi et le supin cretiim sont communs
à cerno et à cresco; le supin passum, à patior e.t à pando ; vidum, à
vivo et à uinco : ce qui donne un double sens à tous les mots qui
dérivent de ces formes.
On peut remarquer que le latin ne fournit aucun moyen de
distinguer à quelle « partie du discours » appartient un mot
donné. Il y a surtout un grand nombre de particules qui ont
l'apparence et les terminaisons des noms. Ex. : protinus, penitus,
versus (calembour -.vers); supra, contra, circa; coram; porro, rétro,
ultra, adeo, modo, eo, quo; erga, ergo; pênes; sursum, demum, circum
(calembour : cirque) ; sans parler des adverbes comme primum,
tantum, multum, qui sont en réalité des adjectifs neutres '. Les
adverbes dérivés se terminent les uns en -e et les autres en -ter,
de sorte que non seulement on peut les confondre entre eux, et
dire forte au lieu de fortiter, mais on peut confondre les pre-
miers avec des substantifs ou adjectifs neutres, et les seconds
avec des noms en er, comme accipiter.
Le latin offre encore deux graves lacunes : il n'a ni l'article
défini, ni le pronom indéfini on. Il en résulte que l'on ne sait si
un substantif est déterminé ou indéterminé (on ne le sait que
par le contexte, ce qui ne suffit pas toujours) : aussi les auteurs
modernes (notamment les philosophes) étaient-ils obligés d'em-
prunter l'article grec 2. Quant à l'absence de on, elle oblige à des
tournures compliquées et souvent illogiques, par exemple, à
mettre des verbes neutres au passif : Sic itur ad astra = c'est ainsi
qu'on va aux astres.
Dans la dérivation et la composition, les éléments constituants
sont variables à la fois par la forme et par le sens. Par la forme :
car la préposition ad devient en composition ac, af, ag, al, an,
ap, ar, at ou a; ab devient aussi a; in devient il, im, ir, etc. Par le
sens : car la même particule a souvent en co.nposition des signi-
I, IV ; IV, vi), de qui nous nous sommes beaucoup inspirés dans cette Cri-
tique. On connaît le logogriphe : Ne mater suam = file, mère; je coudrai.
1. On distinguait autrefois les particules par un accent grave sur la
finale, de même qu'on indiquait la quantité des désinences équivoques: cl
ces précautions étaient fort utiles aux commençants... et même aux autres.
2. Par le seul fait ([u'il possède un article, le grec est une langue bien
plus claire et bien plus philosophique que le latin. On peut ajouter que ses
nombreux participes (de tous les temps), joints à l'article, lui donnent une
souplesse et une liberté inconnues du latin.
LES LANGUES MOUTKS 535
licalioiis lirs dilTrrfMitos et miMno roiilrniivs. coiiiiih' If inonlfonl
les ('X(Mii|)les suivants • :
Sens positifou augmcntntil
infnirlus, incavus, incurvas :
perfult'lis, perfruor;
deaiiK), dciuiror;
exclama, exaygero;
discupio.
Sens nf^gatifou privatif:
indoctus, improbus ;
perjldus, pervicax ;
dciiu'us ;
excors, exsanguis;
difjido.
Le préfixe ;y- signifie tantôt la répétition {relego) cl tantcM le
retour en arriére et par suite la privation {revelo).
Aussi certains composés latins ont-ils un sens tout opposé à
crlui qu'ils ont dans les langues vivantes, ce qui est une source
(le contresens : par e\enq)le, inhumains signifie non inhumé, et
elevare veut dire abaisser. Mais le plus bel exemple de confusion
est fourni par le verbe immutare (changer) et ses dérivés : immu-
tatus = changé et non changé, immutabilio = changeable et
immuable * !
Enfin la composition augmente encore le nombre des homo-
nymies : il y a deux verbes incido, qui dérivent respectivement de
cado et de ctc/o, et dont le sens est tout différent {tomber sur, cou-
per dans; d'où : incident et incision).
La syntaxe offre la môme complication et la même irrégula-
rité. Les ailjeotifs régissent le génitif, le dafif, l'accusatif ou
l'ablatif. Les prépositions régissent l'accusatif ou l'ablatif, ou
tous les deu.\, suivant le sens (repos ou mouvement), et ce sens
ne (léf(Miuine nulItMuent le cas que régissent les autres préposi-
tions; ainsi apnd, qui ne s'emploie qu'avec l'idée de repos, régit
l accusatif. Les cas que régissent les verbes sont soumis aux
règles les plus arbitraires et les plus capricieuses; on dit : est
patri meo domns. mais ; lia'c domus palris mei est. Tandis que cer-
tains verbes régissent deux accusatifs (doceo pueros grammaticam),
d'autres, de sens transitif, régissent le datif (noceo, invideo)^. Cer
L Empruntés ù Wilkins, loc. cit.
2. Do telles anoiiinlios se trouvent dans toutes les langues. En Trançais,
le suTllxc -iser signiHc en général rendre — (ex. : re'aliser, égaliser); mais
rivaliser ne signifie pas rendre rival. De même, le préfixe dé- ou des- in-
dique en général le contraire {détromper, décoller, dessaler, dessouder, etc.),
mais dessécher n'exprime pas le contraire de sécher', il en serait plutôt
un augmenlnlir.
3. Anomalie qui a passé dans nos langues modernes. (Voir p. 314, note 3.)
1)36 CHAPITRE FINAL
tains compléments se mettent au génitif {accusatus impielalis,
magni facere) alors qu'ils seraient mieux indiqués par une prépo-
sition (pour cause de...). On emploie le parfait dans le sens du
présent {ne feceris). L'emploi des temps et des modes est d'ail-
leurs soumis à des règles très compliquées, qui, comme tou-
jours, comportent d'innombrables exceptions. Enfin les propo-
sitions infinitives, où le sujet est à l'accusatif aussi bien que
l'attribut ou le régime direct, sont une source d'équivoques ou
de difficultés S ainsi que les ablatifs absolus, qu'on peut con-
fondre avec tant de compléments circonstanciels qui se mettent
aussi à l'ablatif.
Faut-il énumérer tous les idiotismes de syntaxe, décorés du
nom d' « élégances », comme les « attractions » qui déguisent
le rôle et le sens véritables des pronoms relatifs? Faut-il citer
les complications du style indirect? Bornons-nous, pour finir, à
rappeler que, grâce à l'ordre absolument arbitraire et fantaisiste
où le latin range les mots, les phrases des auteurs classiques
sont trop souvent des logogriphes ou des jeux de patience. C'est
en faisant allusion à cette liberté de construction, qui impose
une sévère analyse logique, que M. Diels déclare que l'étude du
latin vaut un cours de logique. Mais, considérant tous les illo-
gismes de la grammaire et de la syntaxe latines, nous nous per-
mettrons de faire des réserves sur ce jugement, et de croire
qu'une langue régulière et simple, comme sont les i)lus par-
faites, des langues artificielles, serait une meilleure école de
logique. Dans tous les cas, la L. I. n'a pas à servir de « gym-
nastique intellectuelle - », et l'on pourra, à ce titre, conserver à
côté d'elle l'étude du latin, pour ceux qui auront le temps de
s'y livrer. Pour les autres, l'étude d'une L. I. artificielle sera un
excellent exercice d'esprit, par le contraste perpétuel des cons-
tructions logiques de cette langue avec les illogismes et les
idiotismes de la langue nationale; et elle leur rendra ainsi,
toutes proportions gardées, le même service intellectuel que
l'étude des langues mortes ou des langues étrangères l'end à
une élite privilégiée.
1. On sait que c'était une précieuse ressource pour les oracles antiques,
dont rinfaillibilité consistait souvent dans leur ambiguïté. Cf. Stanley
Jevovs, Elementary Le.<iso7is in Lofjic, 5° éd. (1875), p. 172. Le même auteur
signale de semblables amphibologies en anglais; exemple : « The Duke
yet lives that Henry shall dépose. » (Shakspeare, Henry VI).
2. Mot de M. Valdarnini, loc. cit. (p. 526, note 1).
LES LAN(iL'ES MORTES 537
Mciilionnons uiu' cleniiiM-o diriiculU'', colle de la prononciation
lia latin, qui diflV'rc beaucoup d'un pays à l'autre. Cette difficulté
semble tUre la nicMne pour une langue arlilicielle: en n''alil»'>. elle
est beaucoup plus grande pour le latin, parce (jue cha(iue peuple
a pris l'habitude de le prononcer comme sa langue nationale;
toute tentative pour réformer celte prononciation et la i-endre
uniforme dans les divers pays se heurterait à une routine invé-
térée, à une tradition séculaire et sacro-sainte : qu'on essaie seu-
lement, par exemple, tle i)rononcer les u à l'italienne dans une
classe ou dans une église française, et l'on aura un succès
d'hilarité '.
('ertains partisans du latin, reconnaissant toutes les difficultés
du latin classiiiue, proposent de se contenter du latin du nioyen
Age (scolastique et ecclésiastique), qui possède plus de souplesse
et de liberté cjne le latin classique, et dont le vocabulaire est à
certains égards plus riche et plus moderne^. Ils admettraient,
avec les scolastiques, un article défini, l'emploi de quod (qae) au
lieu de la proposition infinitive. et quelques autres « moder-
nismes » analogues. Mais le latin ne serait pas rendu sensible-
ment plus facile; ce seraient des règles différentes de celles de
la grammaire classique, mais ni moins nombreuses, ni moins
compliciuées.
D'autres vont plus loin : ils admettent la liberté du solécisme,
du barbarisme et du néologisme, au moins « pour le peuple »,
les lettrés contiiuiant à employer entre eux le latin classique. On
ol)tiendrait ainsi une série de « dégradations » du latin, à l'usage
des diverses classes de personnes qui ont besoin d'une L. I. :
savants, ingénieurs, industriels, conunerçants, voyageui*», etc.:
et l'on adnu't que la dernière de ces dégradations aurait la sim-
plicité et la facilité de VEsperanto, par exemple. Mais une telle
solution n'en est pas une. D'abord, ce que nous voulons, ce n'est
pas une gamme de langues internat ioiuiles, mais une L. I. unique
et commune ù toutes les classes comme à tous les pays. Com-
ment un savant pourrait-il s'entendre avec les boutiquiers d'un
1. Rappelons encore qu'on n'a pas roussi à modilior, dans nos lyn»os. la
jintnoncialion orasmionuo du {rrt'C.qui est tout l)oniioinont barharo et ridicule.
2. Un Hors au moins dos mois omployôs par St Thomas dWquin sont
otranjjrors au lalin classique. - C'est nu^mo on francisant tous ces mots
latins inci)nnus deCicéron, que notre langue a acquis le pouvoir d'exprimer
les idées ahslraitos et de devenir ainsi la rivale du frrec. » (F. Picavet, ap.
Uevue inlernalionale de VEnseigneinent, t. \L\, p. 427, 15 mai 1903.)
338 CHAPITRE FINAL
pays étranger, s'ils parlaient un latin tout différent? En outre, il
est facile de décréter la liberté du barbarisme, mais il est plus
difficile de prévoir où elle s'arrêterait. S'il prend fantaisie à un
latiniste de bas étage de décliner corpus sur dominas, et de con-
juguer loqui sur amare, non seulement il blessera cruellement
les oreilles du puriste, mais il risquera fort de ne pas en être
compris, et encore plus de ne pas le comprendre. Ce serait non
seulement l'anarchie, mais la cacophonie parfaite. Si l'on veut
« dégrader » le latin, encore faut-il le faire avec entente et sui-
vant certaines règles générales et fixes *.
Enfin, certains partisans du latin, se rendant à toutes les rai-
sons précédentes, et reconnaissant l'impossibilité pratique de
faire adopter tel quel, soit le latin classique, soit le latin du
moyen-âge, admettent la nécessité d'enrichir le vocabulaire et
de simplifier la grammaire et la syntaxe. Pour le vocabulaire,
on peut sans doute l'enrichir, en latinisant tous les mots inter-
nationaux, comme poste, tabac, café, buffet, sport, etc. On en sera
quitte pour braver les anathèmes des puristes. Mais il n'est pas
si aisé de simplifier la grammaire, car la moindre réforme
entraîne des modifications profondes dont les conséquences sont
imprévisibles. Aussi, sur ce point, les partisans du latin sont-ils
assez avares d'indications précises. Certains proposent de régu-
lariser la conjugaison, par exemple, de terminer uniformément
le futur en -bo : amabo, monebo, legebo, audibo*. Voilà la porte
ouverte aux barbarismes. ]\Iais comment ceux qui auront appris
cette nouvelle conjugaison pourront-ils comprendre les formes
classiques legam, aiidiaml II leur faudra donc apprendre aussi la
conjugaison ancienne? C'est doubler leur peine sous prétexte de
l'alléger. D'autres proposent de supprimer le passif et les verbes
déponents. Cela signifie, sans doute, que l'on formerait le passif
avec le verbe sum, et que l'on conjuguerait les verbes déponents
1. Imaginons un géomètre, peu familier avec le latin, qui ait à traduire
le mot diamètre. Il pourra hésiter entre quatre formes possibles : diametrus,
diameter, diametra, diamelruni. Il a donc 3 chances sur 4 pour ne pas
employer la seule forme correcte : diametrus. Ensuite il devra se demander
quel est le genre de ce mot, et il conjecturera le masculin, d'après la dési-
nence; en quoi il se trompera encore, car diametrus est du féminin (pour
s'en rendre compte, il faut remonter au grec, que nous supposons ignoré
de notre géomètre). En revanche, géomètre se traduira par geometra, qui
est du masculin. Toutes ces chances d'erreur seraient supprimées dans une
langue artificielle où l'on n'aurait à s'occuper ni du genre ni de la désinence.
2. Delacour, Le Latin langue universelte, p. 9 (Bruxelles, 1894).
LES LANOUES MORTES 539
('oiuino (les verbes aclils : imitare. loquere seraient des infinitifs,
et non plus des impératifs; imitatus sum sifjrnilierail .je suis imilà,
et loqui .j'ai parlé. Seulenienl. eoninienl les adeptes de ce nou-
veau latin pourraient-ils déchilTrer un texte de latin classique?
11 est probable qu'ils y feraient de nombreux contresens.
D'autres, encore plus barilis. déclarent que le latin, pour
devenir langue internationale, doit subir une refonte complète.
Voici, par exemple, les « modifications essentielles » qui sem-
blent indispensables à M. Paul HEGXArn. professeur de sanscrit
et de grammaire comparée h l'Université de Lyon :
< 1» Suppression de la déclinaison ' et des marques du genre
là où elles sont inutiles:
« 2° Conjugaison ramenée aux formes strictement suffisantes ' :
€ 3" Substitution, surtout à l'aide des prépositions, de la syn-
taxe analytique et logi([ue des langues modernes à la construc-
tion synlliétique du latin classique;
« 4° Réduction à l'uniformité des suffi.xes affectés à l'expression
des mèuies fonctions grammaticales ^:
« "i"^ Application de Tyrtliographe phonétique*;
« (>o Admission des néologismes nécessaires, en leur donnant
une forme adaptée à l'esprit du système. »
Voilà au moins un plan logique et systématique, qui laisse
bien loin derrière lui les timides propositions de réformes super-
ficielles et partielles du latin classique. Seulement, on peut se
demander si la langue quon obtientlrait ainsi serait encore du
latin. Elle en différerait, non pas seulement comme le grec
uu)derne difïère du grec ancien, mais comme une langue romane
moderne difïère du latin classicpie. C'est d'ailleurs l'avis de
M. Michel Bré.\l : « Je suis porté à croire que ce latin, saturé de
1. Certaines langues nrlillcielles s'écartent moins du latin, car elles con-
servent In déclinaison, ou tout nu moins l'accusatif.
2. Quel en est le nombre? L'exemple de VEsperanlo prouve que 12 flexions
sont strictement sunisanles. Or sur ce point il a l'approbation de .M. Recnaii»:
Les conditions cVétablissemi'nt d'une langue internationale, à propos de
l'Espéranto: discours prononcé à In séance de rentrée de l'Université de
Lyon, le 4 novembre 1001, p. 31 (Paris. Le Soudier, iUOI).
3. Cette réforme est tellement radicale, (|u'elle n'est même pas réalisée
dans toutes les laujîHies artilicielles.
4. Cetle condition est ambiguë : rendra-l-on l'orthographe conforme à la
prononciation? Mais alors, à (juelle prononciation? Ou bien rendra-t-on la
prononciation conforme à l'orthographe? De toute façon, cela parait être la
condamnation du p/i, du th, du c/i. et même du c, sifflant et chuintant.
540 CHAPITRE FINAL
termes modernes, ou de mots anciens avec des significations
nouvelles, plié à une syntaxe plus analytique, ne tarderait pas à
ressembler beaucoup à du français' ». Tranchons le mot : ce
serait une langue romane artificielle, analogue aux divers projets
de néo-latin que nous avons étudiés dans la Section III ^
Ainsi, lorsque les partisans du latin veulent sortir des généra-
lités vagues et des faciles lieux communs, et tenir compte des
conditions pratiques d'une langue internationale, ils aboutissent
nécessairement à l'idée d'une langue artificielle ayant pour base
le vocabulaire latin : et, en effet, tous leurs arguments prouvent
tout au plus qu'il convient d'emprunter au latin et au grec la
nomenclature scientifique et technique, parce qu'elle est la plus
internationale. Bien plus, ils admettent la nécessite d'adjoindre
au vocabulaire latin les mots internationaux, môme étrangers
au latin et au grec. Leur langue ne différerait donc pas sensi-
blement des langues a posteriori fondées sur le principe de l'in-
ternationalité.
Cela étant, on comprend mal la répugnance qu'ils manifestent
à l'égard des langues artificielles en général. Ils les qualifient de
« barbares » ; ils oublient que la langue qu'ils proposent serait
tout aussi barbare. Ils leur reprochent de n'être pas vivantes,
d'être fabriquées de toutes pièces; mais leur « latin » n'a jamais
vécu, puisqu'il n'existe pas encore, et qu'il faudrait, lui aussi, le
fabriquera En réalité, il n'y a là qu'un préjugé ou une question
de mot : leur rêve est une langue artificielle décorée du nom
de latin *.
Mais ce que l'on comprend encore moins, c'est qu'ils se flat-
tent de « ressusciter » le latin et de restaurer les études classi-
ques ». En effet, s'ils préconisent le latin comme L. I. et pro-
posent de l'introduire jusque dans les écoles primaires, c'est,
disent-ils, pour renouer une tradition séculaire, réconcilier les
1. Tievue de Paris, 15 juillet 1901, p. 233.
2. Cette interprétation est confirmée par l'assertion suivante de M. Regnaud :
« L'intervention du latin doit se borner à fournir des radicaux auxquels
s'adjoindront des suffixes dont la forme est à déterminer. » {Discours cité, p; 28.)
3. M. Regnaud demande « qu'une Commission officielle internationale
soit chargée d'élaborer un système de langage ».
4. « A vrai dire, le mot de langue artificielle est une sorte de tautologie,
car il y a de l'art dans la langue la plus grossière. » Michel Bréal, art.
cité, p. 242.
5. « 11 ne s'agit pas seulement de galvaniser le latin, mais de le ressus-
citer >., écrit M. Regnaud.
LES LANGUES MORTES 541
humanilrs avec les «Huiles scientifiques et utilitaires, et « déve-
lopper, par la connaissance des chel's-d'oMivre de ranti<|uité,
l'amour du bien et le goût du beau ». El en môme temps ils pro-
posent de faire subir au latin classique des modifications telles,
que ce serait une langue nouvelle et artificielle! Comment ne
voient-ils pas que leur pseudo-latin achèverait de tuer le latin
classique, loin de le ressusciter? Ce ne serait pas restaurer les
études classi<pu^s, mais au contraire les ruiner irrémédiablement,
que de les faire reposer sur l'étude d'une langue • barbare » qui
n'aurait que le nom de commun avec celle de Virgile et de
Cicéron. 11 y a là une inconséquence palpable qui détruit tous
les arguments des partisans du latin. En somme, ils sont pris
dans ce dilenuuc : ou bien ils veulent restaurer les études clas-
siques, et alors c'est le latin classique dont il faut développer,
et, s'il se peut, faciliter l'étude; ou bien ils veulent une langue
internationale pratique et scientifique, et alors il est inutile de
déformer et de dénaturer le latin pour en faire une langue nou-
velle, qui sera toujours moins simple et moins fa<il<» qu'une
langue artificielle proprement dite. Ce sont là deux fins bien
distinctes, sinon opposées: et il est contradictoire de vouloir les
atteindre toutes deux au moyen d'une seule et même langue*.
Au surplus, les partisans du latin sont forcés de reconnaître
(|u'on aurait, tôt ou tard, deux langues au lieu d'une : le latin
classi(iue pour les savants, et le néo-latin pour le commun des
mortels. Mais ce serait là une conséquence très grave : comment
les savants pourraient-ils s'entendre avec les profanes, s'ils ne
parlaient pas la même langue? 11 faut éviter à tout prix une dua-
1. Certaines personnes, reconnaissant la difficulté que l'on éprouve
ncluolloiiHMil ù se servir pratiquement «lu latin, proposent de l'enseifrner par
la inelliode directe, eoinnie une langue vivante ; «)n l'apprendrait ainsi plus
vite, et on le nianiernit plus facileuieiU. .Mais, d'abord, celle ri'fonne dans
la mi'lhode d'enseijrnement ne su|ipriinerait pas les difllcult«^s inlrinst^iut's
du latin, tant (jue l'on conserverait toul«^s l«'s complications «'t exceptions
de sa jrranimaire; ensuite, elle enK'verait ù l'étude du lalin son f^aractère
littéraire et sa valeur «'dut-ative. Un prof«»sseur <|ui en a fait l'expérience le
déclare U'xtuellement : - Ce n'est pas par de tels proct^d«''s «ju'on peut
obtenir la connaissance littéraire des auteurs latins. • (Lévy-Wogik, Une
expérience de méthode directe dans l'enseignement du latin, ap. Heiue
internationale de l'Enseignement, 15 mai UH)3.) Ainsi, toujours et partout
reparait la même antinomie : ou bien le lalin est considéré comme un ins-
trument de culture litU'raire, comme une initiation ù l'antitiuité, ou bien il
est considéré comme une langue auxiliaire et utilitaire. Il faut choisir, car
suivant le cas on devra adopter l'une ou l'autre méthode.
542 CHAPITRE FINAL
lité de langue absolument contraire, non seulement aux besoins
pratiques, mais aux intérêts de la science elle-même. Du reste,
on peut être tranquille : la langue vulgaire aurait bientôt fait
d'éliminer la langue savante, c'est-à-dire le latin classique. Quoi
qu'il en soit, les partisans du latin admettent qu'on aurait deux
langues à apprendre : l'une, qui serait la vraie L. I. utilitaire et
pratique; l'autre, qui serait le pur latin des lettrés, et par
laquelle on s'initierait aux auteurs anciens. Ce seraient deux
langues distinctes, aussi différentes que le latin et le français;
sans doute, la connaissance de l'une faciliterait l'acquisition de
l'autre; mais on n'en aurait pas moins à l'apprendre, de même
qu'un français est obligé d'apprendre le latin. Seulement, on ne
voit plus alors quelle nécessité il y a que la L. I. ressemble au
latin. Au contraire, il y aurait bien plutôt des raisons pour
qu'elle n'y ressemblât pas trop, afin d'éviter toute confusion et
toute fusion entre les deux langues. Car rien ne serait plus per-
fide pour les novices, et plus choquant pour les lettrés, qu'un
néo-latin qui aurait l'air d'un « latin de cuisine » et qui rappel-
lerait le latin du Malade imaginaire. Pour permettre au lecteur
d'en juger, nous allons analyser deux projets tout récents de ce
genre : le Linguum Islianum et le Reform-Latein *.
ISLY : LINGUUM ISLIANUM^
Le Linguum Islianum est l'œuvre de M. Fred Isly, rédacteur du
journal humoristique Le Pêle-Mêle, qui « s'est appliqué, tout en
conservant le fond de la langue » latine, « à en retrancher les
difficultés », les irrégularités et les exceptions. Tous les sub-
stantifs masculins se déclinent sur dominas (ex. : patrus,7)ère), tous
les féminins sur rosa (ex. : matra, mère), et tous les neutres sur
templum (ex. : rosum, rose). Comme on le voit, le genre est tou-
jours naturel.
Les adjectifs suivent cette triple déclinaison suivant le para-
digme bonus, bona, bonum (ex. : fortus, forta, fortum). Les pro-
noms personnels sont : egus, tibus, illus; nobi, vobi, illi.
Tous les verbes actifs se conjuguent comme amare. Il suffit de
1. Cf. la Monopanglotte de Gagne (p. 74, note 3),
2. Langue Isly {Linguum Islianum). Projet de Langue internationale, par
Fred Isly. xi + 32 p. in-S" (Paris, Richard, 1901 ; et chez l'auteur, 45, rue
Saint-Ferdinand).
LES LANGUES MORTES 543
icmplactM' 1-0 (le liiulicatif pirsciil par -are; ex. : debeare. fran-
gare. eare [ire). Los vcrix's (Irpoiicnls sont i*am(MM''s à la IViniK;
aclivi' : imitare. miraro, hortare. loquare. sequare. Il n'y a qu'une
seule exception : le verhe esse i/'/zn conserve sa conjugaison
iriTgulii'Te.
i.es pailiculcs sont enipi'unlées au latin. Les prépositions
régissent tanlAt l'aeeusatil", tantôt l'ablatif.
Ces indications sullisent à donner une idée de cette langue;
on (Ml appréciera la physionomie i)ar une citation :
Canus dum ferabat carnum, natans per fluminum. videavit suum
simulacrum in speculo lymphorum '.
F R 0 H L 1 C H : li hJ FO li V-/. .1 7' E l S ^
Pour l'auteur du Refonn-Lalein, le latin n'est pas une. langue
morte : il est « aussi jeune, beau et frais » que du temps de
Cicéron : n'cst-il pas c employé par les ecclésiastiques, les méde-
cins et les pharmaciens, voire même les juristes »? Seulement il
est trop (liflicile pour devenir populaire; il est t très facile » de
le simplider sans lui enlever « par trop » son caractèi-e proi)r(\
On va en juger.
Les substantifs n'ont que deux genres : le masculin pour * les
hommes, les peuples, les lleuves, les vents et les mois »; le
féminin pour < les femmes, les arbres, les villes, les pays et les
îles ». Ils sont invariables, et toujours identiques au nominatif
singulier du latin.
La déclinaison s'effectue au moyen des articles défini : il. la,
pi. los; et indéfini : un. una. pi. dos; et des prépositions : de (gén.),
a (dal.) et ad (accusatif). Exemple :
Sing.
Plur.
Nom. :
la femina
los femina
Gén. :
de la femina
de los femina
Dat. :
a la femina
a los femina
Ace. :
ad la femina
ad los femina
1. Traduction de ces vers de Phèdre ;
CaniSf per flumen carnem dum ferret natans,
l-l/mpharum in speculo vidit simulacrum suum.
2. Orammalik der Weltsprache : Refonn-Lalein. I. Theil : Formenlehre,
von Karl Froiiuch. 22 p. in-S" (Wien, 1902, clioz l'auteur : Leol)gasso, 39).
544 CHAPITRE FINAL
Vadjectifesl invariable en genre, en nombre et en cas, et ton-
jours identique au nominatif sing. masc. ; ex. : la magnus pars;
un pulcher carmen.
Les pronoms personnels conservent leur forme et leur décli-
naison latines.
Tous les verbes se conjuguent sur amare (au passif comme à
l'actif), sauf le verbe sum, qui conserve sa conjugaison irrégu-
lière, ainsi que ses composés. Ex. : finiare a pour formes prin-
cipales : finio, finiabam. finiabo. finiavi. finiaveram, finiavero;
finiem, finiarem, finiaverim, finiavissem; finia; finians, finiaturus,
finiatus, etc.
Les particules sont empruntées au latin. Les prépositions
régissent le nominatif.
Lauteur fait remarquer que, les mots déclinables se présen-
tant toujours sous la forme du nominatif, on peut déchiffrer un
texte de Reform-Latein au moyen d'un dictionnaire latin quel-
conque.
Critique.
Il est inutile de discuter la valeur, fort inégale d'ailleurs, de
ces deux projets*; il suffit de constater quel aspect barbare
prend le latin ainsi « réformé ». 11 choque cruellement tous les
latinistes. Ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est que le
Reform-Latein, si simplifié qu"il soit, est encore bien moins
simple que les meilleures langues artificielles : il conserve toutes
les terminaisons personnelles des verbes, soit 75, alors que
12 terminaisons suffisent à la conjugaison de VEsperanto; et
Vislien conserve encore 3 déclinaisons, alors qu'une seule suffi-
sait au Volapiik. Le Reform-Latein conserve la déclinaison irrégu-
lière des pronoms personnels, tandis que Ylslien les déforme
pour les rendre réguliers. Quel que soit le parti qu'on adopte
(déclinaison synthétique ou déclinaison analytique), on dénature
le latin sans réussir à le rendre aussi simple, aussi régulier et
par suite aussi facile qu'une langue artificielle.
Mais ce qui révoltera le plus les latinistes, c'est qu'on ose
proposer de substituer ce « latin de cuisine » au latin classique
1. Remarquons seulement que M. Frôhlich a cru devoir employer ,une
préposition pour marquer l'accusatif (comme en espagnol).
LES LANGUES MORTES 54S
dans renseignement, et pour cela de traduire les auteurs latins
vu Islien. Et, en elTel, on ne pourrait associer l'étude d'une telle
langue h celle du latin sans gAter complètement celle-ci. Celui
qui aurait appris 1<* latin réform»^ ne pourrait pas lire les
auteurs classiques, et celui cpii saurait le latin classique ne sup-
porterait pas la lecture du latin réformé. ()uiconque a le culte
des lettres et le respect «le l'antiquité appliquera au latin la
maxime célèbre : « SU ut est, aut non sit ».et répui^Micra à l'idée de
défigurer la langue de Cicéron et de Virgile pour l'accommoder
à des fins utilitaires et aux besoins modernes *. Mais, en revanche,
que les lettrés reconnaissent l'existence et l'urgence de ces
besoins, qu'ils avouent cpie le latin classique ne saurait nulle-
ment y répondre, et qu'ils permettent de les satisfaire en adop-
tant une langue arfilicielle <pii empriuifera aux langues mortes
un plus ou moins grand nondjrc do racines, mais qui, soumise
à des règles autonomes, ne rappellera ni de près ni de loin les
idiomes classi((ues ^ Le latin restera ce qu'il est, le véhicule et
l'incarnation de la civilisation antique, l'instrument de culture
intellectuelle, forcément réservé à une élite. Mais qu'à côté de
lui il y ait place pour une langue pratitpie qui remplace les lan-
gues étrangères dans leurs usages utilitaires fnous ne disons
pas : dans l'éducation littéraire); c'est ainsi, et seulement ainsi
qu'on pourra sauver les humanités de la concurrence croissante
des langues vivantes, et concilier les intérêts de la haute culture
littéraire avec les besoins impérieux de la science, du commerce
et do l'industrie.
1. Nous tenons ù faire remnniiier la dilTérence essentielle qui sépare les
projets de latin réformé des projets de néo-latin étudiés dans la Section III.
2. Cf. .\lberl Hi«i, La f/uestion d'une langue inlernalionale, np. Revue de
Fribourg, 33" année, p. 102-163 (mars-avril 1902).
CouTi-RAT et Leau. — Langue univ. 35
CONCLUSION
Que resto-t-il do tant dVfTorfs laits pour doter rinimanit(^ d'iino
langue intornationale? Quels résultats se dégagent de l'exposé
de toutes ces tentatives si diverses, si divergentes même en appa-
rence? T)oil-on en conclure que l'idée de la langue universelle
est cliiuiériciue, que tous ces projets sont stériles et vains, ou
peut-on au contraire en conclure que cette idée est vraiment
pratique et (|ue sa réalisation est possible et même prochaine?
C'est ce qu'il nous reste à «examiner.
La première impression qui se dégage de cette revue histo-
rique, c'est, croyons-nous, que la langue universelle a vraiment
une histoire : ce n'est pas sinipleiuerd une multitude de projets
é'pars, sans aucune analogie ni parenté; ils se rattachent tous,
de prés ou de loin. t\ une idée commune, et ils manifestent le pro-
grés de celle idée. Klle a évolué en traversant trois phases prin-
cipales. D'abord, à la suite de la Renaissance scientifique et phi-
losophique, l'esprit hiunain a conçu <les projets ambitieux et des
espoirs illimités ; il a cru qu'il allait bientôt pénétrer la nature,
épuiser ses secrets et acquérir la connaissance totale et défini-
tive du monde. La pensée n'olTrait pas plus de mystères que la
nature, et on devait bientôt en avoir fait le tour. Tout était clair,
tout était simple pour les philosophes du .wn'^ siècle; l'univers
était construit comme une horloge, et le mécanisme de la pensée
était tout aussi facile à pénétrer. De même qu'un petit nombre
de lois fondamentales devaient rendre compte de tous les phé-
nomènes, un petit nombre d'idées primitives devaient composer
toutes nos pensées; il suffisait de les cataloguer, puis de les
combiner mathématiquement, pour reconstituer les deux mondes
parallèles et analogues de la nature et de l'esprit. Cette con-
ception métaphysique se traduisait par l'idée d'une langue philo-
548 CONCLUSION
sophique qui fût le résumé des sciences, l'expression adéquate
de la pensée et de la réalité.
Un si haut idéal devait nécessairement conduire à des échecs.
On s'est bientôt aperçu que la nature et l'esprit sont beaucoup
moins simples et transparents, qu'ils sont même infiniment com-
pliqués, qu'on n'en pourra jamais achever l'analyse, et que par
suite nous n'atteindrons jamais la science complète et parfaite
que supposait l'idée de la langue philosophique. Une telle langue
ne pourrait être dès lors que l'expression précaire d'une science
toujours provisoire, et serait sans cesse exposée à une refonte
complète. Par suite, le problème de la langue universelle per-
dait son caractère philosophique ; il ne s'agissait plus de trouver
l'expression adéquate de nos idées, mais simplement un instru-
ment pratique de communication, analogue à nos langues, un
simple truchement international.
L'idée de la langue universelle se rapprochait ainsi du type
des langues naturelles, qui allait servir désormais de modèle
aux langues artificielles. Toutefois, celles-ci ne s'en inspirèrent
d'abord que de loin. L'esprit était encore imprégné des préten-
tions logico-mathématiques des langues philosophiques; on crut
qu'il suffirait d'imiter les langues naturelles dans la forme, sans
leur emprunter aucun élément matériel. On conçut la grammaire
comme un système de flexions arbitraires, et le vocabulaire
comme un ensemble de combinaisons phonétiques, sans se sou-
cier de rappeler les éléments linguistiques des langues indo-
européennes. Au contraire, par une recherche excessive de la
neutralité, on défigurait sans scrupule les racines qu'on leur
empruntait. On s'attachait surtout à une régularité quasi-géo-
métrique, et l'on coulait de force les mots dans un moule
uniforme. On croyait, comme au temps des langues philosophi-
ques, que le choix des mots est absolument indifférent et qu'on
peut, sans inconvénient pour la pratique, construire a priori les
radicaux par un jeu de combinaisons. Ainsi naquirent ces sys-
tèmes hybrides dont le Volapûk a été le modèle et dont il reste le
type.
Mais on ne tarda pas à s'apercevoir de l'insuffisance de ces
solutions bâtardes et hétéroclites, qui n'avaient ni le mérite de
la logique, comme les langues purement a priori, ni les qualités
pratiques qu'on exigeait de plus en plus. On parvint à cette
conception, que la langue universelle n'a pas à être inventée,
CONCLUSION 54?
qu'elle existe di^jà en puissance dans les langues europ«Vnnes,
par le seul fait qu'elles ont une origine commune et qu'elles
lellèlent la mOme science et la même civilisation. Il suffit, pour
la faire apparaître, de dégager les «'lénienls graninialicaux et
lexi(ologi(|ues communs à ces langues, éléments dont le nombre
et l'imporlanee vont en augmentant sans cesse par suite du
développement des relations infei-nationnles. Non seulement, en
clïet, nos vocabulaires nationaux tendent à s'uniformiser, par
l'introduction perpétuelle des mots nouveaux (scientifiques et
techniques) internafionaiix; mais nos grammaires elles-mêmes,
si diverses entre elles, tendent à devenir, chacune pour soi, plus
régulières et plus uniformes. Par exemple, tous les mots nouvel-
lement fonnés sont conformes à un certain type, inconsciem-
ment considéré comme normal : tous les verbes qu'on invente
désormais en français sont des verbes réguliers de la l""® con-
jugaison (en -er; de môme, en allemand, en -ieren) ; tous les
adverbes nouveaux sont en -ment. On peut dire que, sur nos
<Hialre conjugaisons, une seule est encore vivante ; dans toutes les
langues, tous les verbes nouveaux sont réguliers, les verbes irré-
guliers sont des reliques du passé, des fossiles. On nous parle
toujours de la « vie des langues », et l'on ne s'aperçoit pas que
(comme les êtres vivants) elles portent en elles une masse d'élé-
ments morts. On ne fait donc que suivre l'exemple de nos lan-
gues en ramenant la grammaire à des types uniformes et régu-
liers (par exemple, en réduisant la conjugaison à un seul para-
digme) ; el peut-être sur certains points on ne fait (]ue devancer
les résultais de leur évolution naturelle (par exemple, en élimi-
nant du verbe toutes les distinctions de personne et de nombre,
héritage du latin, devenues inutiles par lemploi des pronoms).
Telle est la tendance générale des projets les plus récents, et
(on peut bien le dire) les plus parfaits et les plus pratiques en
même temps. Sans doute, l'évolution a été moins régulière,
moins linéaire que nous venons de la décrire : comme dans toute
évolution, il y a des arrêts, des régressions ou des survivances :
et c'est ainsi qu'on peut encore trouver de nos jours des repré-
sentants attardés du système du Volapùk et même <les langues
philosophiques. Il n'en est pas moins vrai que la direction géné-
rale est bien celle que nous avons définie. On peut même affirmer
que la troisième phase se (f\[ développée plus tôt (après les pro-
jets de Scmi'KER, de Ridelle et de Pihro); si le Volapûk ne fût
550 CONCLUSION
venu l'interrompre et la contrarier. Mais, malgré le succès pas-
sager du Volapûk, et la floraison de projets analogues qu'il a
provoquée, l'idée d'une langue internationale a posteriori a repris
une nouvelle force, par réaction même, dans la Pasilingiia et dans
les projets suivants, au point que Vidiom neutral, créé par des
Volapûkistes pour corriger ou remplacer le Volapûk, appartient
décidément au système a posteriori. C'est donc bien ce système
qui paraît préférable et qui doit triompher définitivement.
Non seulement l'idée de la langue universelle a suivi une évo-
lution à peu près régulière en allant des systèmes a priori aux
systèmes a posteriori, mais encore, dans cette évolution, la con-
cordance et la convergence des divers projets a été en croissant
constamment. Entre les systèmes a priori, aucun accord n'exis-
tait et n'était possible : chacun d'eux reposait sur des principes
tout subjectifs, sur une conception des sciences et sur une clas-
sification des idées essentiellement propres à son auteur : ils
sont aussi individuels que le système de philosophie dont ils
prétendent être l'expression. Dans les systèmes mixtes, une cer-
taine analogie apparaît (même entre ceux qui ne sont pas de
simples imitations du Volapûk); mais elle est toute formelle, elle
s'arrête au cadre grammatical, et n'atteint pas le contenu lexico-
logique. Et cela se comprend, puisque chaque auteur choisit
arbitrairement les radicaux et les flexions, suivant certaines
idées a priori qui sont évidemment individuelles. Une preuve
curieuse et typique du caractère subjectif de ces systèmes est
ievu' numération, qui diffère du tout au tout de l'un à l'autre. Le
Volapûk compte : bal, tel, kil, fol, lui, mal, vel, jôl, zul; le Spelin :
ik, ek, ak, in, en, an, ip, ep, ap ; le Balta : ba, be, bi, bo, bu, ja, je, ji,
jo; et ainsi de suite. C'est là l'image ou le symbole de l'arbitraire
qui règne dans tous ces projets, à l'égard du choix des racines :
on a pu voir que la môme racine y prend les sens les plus diffé-
rents et les plus fantaisistes, suivant le caprice de l'auteur; de
sorte que personne ne pourrait reconstituer le vocabulaire d'une
de ces langues, s'il était perdu ou oublié.
Au contraire, les systèmes a posteriori manifestent une confor-
mité remarquable, et qui est d'autant plus grande que leurs
auteurs se dégagent des idées dominantes dans les systèmes
a priori et s'inspirent du principe de l'internationalité, seul fonde-
ment objectif d'un vocabulaire vraiment universel. Une compa-
raison même superficielle montre qu'il y a entre ces systèmes
CONCLUSION 55 i
uno l'osscnihlanre I)cnuroup plus prando qu'ontro les systèmos
a priori ou cuire les systèmes mixtes. Pour reprendre l'exemple
trt's sipuilicatif de la numération, tous adoptent les noms de
nombre latins plus ou moins modifiés et régularisés. 11 en est de
même pour tout le vocabulaire; les lexiques de ces diverses
langues ont beaucoup de radicaux communs, et cela d'autant
plus (pi'ils sont plus cojiformes au principe de l'internationalité.
Celui (|ui en connaît un se retrouve aisément dans les autres.
De même, les grammaires de ces projets ont toutes un air de
famille: cela tient à ce qu'elles sont toutes inspirées de nos
grammaires européennes. Aussi un Européen quelconque n'y
est-il nullement dépaysé; il y retrouve, simplifiées et régulari-
sées, les formes grammaticales, et par suite les formes de
pensée qui lui sont familières. Les plus parfaites de ces langues
ont même une apparence séduisante de langues naturelles; on
les prendrait i)our des langues étrangères vivantes, sans l'absolue
régularité qui les rend si faciles. El l'on peut en conclure que
l'évolution des langues artificielles touche à son terme et à son
but, s'il est vrai (|ue le triomphe de l'art soit d'imiter la nature.
Cette convergence si remarquable des projets les plus récents
permet de tléterminer quelle paraît devoir être la solution pra-
tique et définitive, et d'en dégager les traits essentiels. Pour cela,
nous ne voulons faire intervenir aucune préférence personnelle
ou nationale, ni faire appel à aucune considération théorique,
toujours plus ou moins contestable. Nous nous bornerons à
noter, en témoins impartiaux, les traits communs à tous ces
projets ou à la majorité d'entre eux; ce travail fera ressortir,
d'une part, les ressemblances fondamentales de tous ces pro-
jets, et, d'autre part, l'idéal plus ou moins latent vers lequel ils
tendent tous, et dont ils s'approchent i)lus ou moins. C'est là
un procédé absolument objectif, analogue aux photographies
composites par lesquelles on dégage le type commun des
membres d'une même famille. Nous allons essayer, de même,
de déterminer la langue universelle idéale par l'examen de ses
réalisations plus ou moins parfaites, par le simple rapproche-
ment de leurs caractères communs.
En premier lieu (pour suivre l'onlre adopté dans toutes nos
analyses), l'alphabet aura pour base l'alphabet latin. Il ne devra
comprendre que des sons bien distincts et faciles à prononcer
pour Ions les peuples européens. Chaque lettre aura toujoui*s et
552 CONCLUSION
partout le même son; le même son sera toujours représenté par
la même lettre, et un son simple sera représenté par une lettre
simple. L'accentuation sera fixée par des règles aussi simples et
aussi générales que possible. Vouloir la rendre toujours con-
forme à l'étymologie (par exemple à l'accent latin) est une pré-
tention abusive de philologues, qui va à rencontre du caractère
pratique de la langue et de la commodité de l'immense majorité
de ceux qui auront à s'en servir.
En général, les règles grammaticales auront une valeur uni-
verselle et absolue, et ne comporteront aucune exception, ni
rien de facultatif. La grammaire sera analytique, pour se con-
former à l'esprit des langues européennes modernes.
11 y aura un article défini, comme dans la plupart des projets
et aussi des langues européennes; l'article indéfini et l'article
partitif paraissent inutiles.
La distinction des genres sera naturelle, et ne sera marquée
qu'en cas de nécessité.
Il y aura une marque unique du pluriel pour tous les mots
qui prennent cette flexion. De même, la déclinaison, (s'il y en a
une) devra être la même pour tous les mots déclinables, et se
réduire à deux cas (nominatif et accusatif), tous les autres étant
remplacés par des prépositions.
Les adjectifs seront invariables en genre. Seront-ils variables en
nombre? Notre méthode laisse la question en suspens. Elle devra
être tranchée par des considérations théoriques. En tout cas, il est
nécessaire de faire varier les adjectifs employés comme substan-
tifs, et il paraît utile de faire varier ceux qui servent d'attribut.
Les degrés de signification devront être formés analytique-
ment (au moyen d'adverbes) et de la môme manière pour tous les
mots qui comportent cette variation.
Les noms de nombre simples seront empruntés au latin; les
noms de nombre composés devront se former d'une manière
absolument régulière, les dizaines précédant toujours les unités.
Tous les mots de nombre devront dériver régulièrement des
nombres cardinaux (voir la dérivation).
Les pronoms (possessifs, démonstratifs, relatifs, etc.) seront
identiques aux adjectifs correspondants (possessifs, démons-
tratifs, relatifs, etc.). On ne distinguera pas, par exemple, mon
et le mien (pas plus qu'en latin).
Les pronoms possessifs dériveront régulièrement des pronoms
CONCLUSION 553
pcrsoimols. Ceux-ci seront autant que possible irTiilés des pro-
noms liiliiis '.
Il y aura une corrélation de forme entre les adjectifs, pronoms
r\ advcrix's de sens correspondant.
La ((Mijugaison sera absolument régulière et uniforme pour
tous les verbes sans exception. Elle ne comportera aucune varia-
tion de nombre et de poi*sonne '''.
L'on peut se demander si la conjugaison sera synthétique (au
moyen de flexions) ou analytique (au moyen d'auxiliaires). La
solution la plus probable est celle-ci : les trois temps principaux
seront synthétiques, les temps secondaires seront analylitpies •'
Ln tout cas, le passif se formera analytiquement au moyen de
l'auxiliaire èlre.
Les adverbes dérivés se formeront régulièrement en partant
des adjectifs; ils ne leur seront pas identiques.
Les particules (prépositions, conjonctions) seront invariables,
et autant que possible simples.
Enfin, il y a une disposition très importante qui n'existe |)as
dans tous les projets, mais qui paraît très utile et très désirable:
c'est la distinction formelle des parties du discours. Seulement
oUe m* doit dans aucun cas gêner la constitution du vocabulaire
et empêcher l'ado-ption de mots internationaux. Elle doit donc
s effectuer par des désinences plutôt que par des règles de lon-
gueur et do structure.
En sonune» il ne reste guère dans toute la grammaire (pie
1. Quelques nutours ont proposé de restaurer le tutoiement latin, et «-t'Ia
nous parait fort logiijue (on sait que le tutoiement était de règle pendant
la Révolution rran<,'nise). Hien n'est plus absurde, (|uand on y réfléchit, que
de i>arler à une seule personne au pluriel, comme si l'on s'adressait ù
plusieurs; et il y a bien d'autres moyens de marquer la politesse et la
déférence (de même, c'est une habitude exclusivement franicaise de dire
Monsieur ou Madame à cha(jue instant, notamment après oui et non : les
n\ilres peuples ne sont pas moins polis que nous pour cela). En tout cas,
il faudra absolument ([u'on puisse distinguer si celui qui parle s'adresse à
une personne ou à plusieurs, car le vous français prête à trop d'équi-
voijues (conune le you E. et le >'/e 1)., qui peut signiller : vous, elle, ils,
elles). De même pour les pronoms possessifs correspondants.
2. C'est un des points sur lescjuels prestjue toutes les langues artillcielles
s'accordent, malgré l'e.xemple contraire des langues naturelles.
3. A ceux qui projwsent de former les temps principaux (ou au moins le
futur et le conditionnel) au moyen d'auxiliaires, en invo*|uant l'e-xemple de
l'anglais, on peut répondre que l'anglais fait véritablement abus des auxi-
liaires, puis(]u'il en emploie même un {lo do) pour l'interrogation, la néga-
tion et raflirmntion renforcée.
554 CONCLUSION
deux points discutables : c'est la déclinaison (réduite à l'accu-
satif) et l'accord de l'adjectif épithètc avec son substantif.
La syntaxe dépend en grande partie de l'adoption ou du rejet
de l'accusatif : dans le premier cas, elle sera relativement libre;
dans le second, elle sera nécessairement rigide. En d'autres
termes, il s'agit de savoir si le régime direct du verbe sera
indiqué par sa forme ou par sa position. De cette question capi-
tale dépendent toutes les règles de la syntaxe, et par suite le
caractère et les qualités de la future langue internationale. La
place de l'adjectif et celle de l'adverbe ne sont, en comparaison,
que des détails secondaires. En tout cas, on aime généralement
mieux indiquer l'interrogation par une particule spéciale que
par l'inversion du sujet, ce qui semble témoigner en faveur de
la première alternative (syntaxe libre).
L'emploi des temps et des modes sera dicté par le sens intrin-
sèque réel de la proposition, et non par la conjonction ou le
verbe dont elle dépend. 11 est douteux que l'on doive admettre
un subjonctif : l'impératif et le conditionnel paraissent suffi-
sants. En revanche, il semble désirable que tous les modes (sauf
l'impératif) possèdent les trois temps principaux. Cela est parti-
culièrement utile et commode dans les participes actifs et passifs.
Pour le vocabulaire, il devra être fondé sur le principe de Vin-
ternationalité. Mais il importe de préciser le sens et l'application
de ce principe. Il ne peut raisonnablement viser que l'interna-
tionalité européenne*. Or celle-ci doit, en toute rigueur et en
toute équité, se mesurer par rapport à toutes les langues euro-
péennes, en proportion de leur importance. Cette « importance »
de chaque langue est difficile à évaluer, car elle n'est pas pro-
portionnelle au nombre des personnes dont elle est la langue
maternelle '^, elle dépend aussi de sa plus ou moins grande diffu-
1. Rappelons qu'aux termes de la Déclaration la L. A. I. doit « être d'une
acquisition aisée... spécialement pour les personnes de civilisation euro-
péenne ».
2. D'après diverses statistiques (dont nous ne garantissons pas l'exactitude),
l'anglais serait la langue maternelle de I2o millions d'hommes;.
le russe — — 95
l'allemand — — 70
le français — — 50
l'espagnol — — 40 _
l'italien — 3,5
le portugais — — 20
le polonais — 19
CONCLUSION 555
sion; et, «l'autre part, rllc n'csf pas non plus proporlionnolle au
noinbro total des personnes qui la connaissent, car un Français
qui sait l'anglais ou l'allemand ne peut pas être compté comme
un Auf^lais ou un Allenmiui. Nous n'avons pas qualité |)our
résoudre cette question délicate et complexe; nous constaterons
simplement que, de l'avis de tout le monde, il y a six langues
européennes principales (1)., E., F., I., R., S.), et que. sur ces six
langues, il y en a trois qui ont une importance prépondérante
(D, E, F.).
Pour l'applicalion du principe, il est naturel d'adopter,
d'abord les mots roinniuns à toutes les langues européennes,
ensuite, et, progressivement, les mots communs au plus grand
nondire d'entre elles. Mais ici. une (picslion se pose. Doit-on
adopter tous les mots totalement ou même partiellement inter-
nationaux, ou seulement des radicaux internationaux? La pre-
mière solution sacrifie complètement la régularité de la forma-
lion des mots et pour ainsi dire Vaulonomie de la L. I.; la
seconde, au contraire, comporte un système de formation régu-
lier et autonome, mais donne naissance, par là même, à des
mois dérivés et composés tout différents de ceux des langues
naturelles. Néanmoins, cette dernière nous semble préférable (à
la condition que ce système de formation ne soit pas poussé
trop loin), parce qu'elle rend le lexique bien plus facile à
apprendre, et réduit au minimum le nombre des radicaux à
retenir. En elTet, c'est la facilité que l'on doit viser avant tout,
et l'internationalité des éléments n'est qu'un des moyens de la
réaliser. Or. une fois donnés des éléments internationaux (en
nombre suffisant), la facilité de la langue ne dépend plus que de
la régularité de la grammaire et de la dérivation. 11 vaut bien
mieux faire api)el à la logique qu'à la mémoire, s'il est vrai,
comme le dit Descartes, que « le bon sens est la chose du monde
la mieux partagée * ».
Reste à savoir quelle forme on donnera aux radicaux ainsi
choisis. On peut hésiter, au premier abord, entre l'orthographe
historique (étymologique) et l'orthographe phonétique. Mais on
ne saurait, croyons-nous, hésiter bien longtemps. En elTet, le
I. On peut njoutor tjue bien souvent une rncine internniionnie donne
lieu, en dilTérentes longues, i\ des dérivés qui ne sont pas internationaux.
Exemples : E. covonalion, F. cowoniiemeitl: I. bellezza, F. beauté. Dans ces
cas la régularité s'impose, en l'absence de toute internationalité.
556 CONCLUSION
graphisme est beaucoup plus international que le phonétisme :
en d'autres termes, les mots internationaux s'écrivent de môme,
mais ne se prononcent pas de même dans les différentes langues.
Il est donc indiqué (en vertu du principe de rinternationalité)
d'adopter l'orthographe historique et étymologique, qui est
internationale (au moins dans les dérivés) *, et d'y conformer la
prononciation (au lieu de conformer l'orthographe à la pronon-
ciation, moins internationale). Cela n'empochera pas de sup-
primer les lettres inutiles et de se rapprocher de l'orthographe
phonétique de l'italien et de l'espagnol 2. Il sera toujours plus
facile à un peuple de prononcer le mot tel qu'il est écrit que de
le reconnaître sous une orthographe qui en défigurerait l'étymo-
logie.
Bien entendu, les radicaux devront rester rigoureusement
invariables dans toutes leurs flexions et dérivations. Les affixes
de dérivation seront choisis autant que possible parmi les
affixes des langues nationales, en vertu du principe de l'inter-
nationalité. Mais ils devront être régularisés tant pour la forme
que pour le sens '; et peut-être vaudra-t-il mieux renoncer à cer-
tains affixes équivoques (comme -tion) et les remplacer par un ou
plusieurs affixes moins internationaux, mais de sens plus précis.
Il y a d'ailleurs un intérêt pratique à ne pas calquer trop ser-
vilement les formes nationales, tant pour les affixes que pour les
radicaux. En effet, le peuple auquel ces formes seraient emprun-
tées aurait une tendance irrésistible à les prononcer à la manière
nationale, qui serait en général contraire aux règles. Par
exemple, les Français prononceraient beaucoup mieux caval ou
cabal que cheval (avec é), qui leur paraîtrait baroque; et si l'on
adoptait une telle forme, ils prononceraient tous cheval (avec
l'e muet national). Ce que nous disons ici des Français vaut éga-
lement pour les autres peuples. 11 n'est pas mauvais que les
adeptes soient légèrement dépaysés, et en quelque sorte avertis
qu'ils ont affaire à une langue étrangère. Plutôt que d'adopter
une forme trop nationale, il vaudra donc mieux adopter une
1. Exemple : le radical de cheml apparaît dans cavalier, cavalerie; le
radical d'œil dans oculaire, oculiste, etc.
2. Par exemple, la forme normale du radical théâtre (D. Theaier,
E. théâtre) sera teatr, comme en italien et en espagnol.
3. Exemple : le suffixe international (latin) -abl, -ebl, -ibl. On devra
adopter une forme unique, et un sens unique : qui peut être; et par suite
le rejeter des mots où il signifie : qui doit être.
CONCLU.SION 557
forme neutre, et autant que possible étymologique (par exemple
la forme latine dans les mots d'origine latine).
On en peut dire autant des flexions grammaticales. Non seule-
ment il n'est pas nécessaire qu'elles soient empruntées à une
langue naturelle, mais cela serait plutôt nuisible. Si, par
exemple, on voulait (comme les rédacteurs du Linguist, épris de
philologie romane) emprunter au latin le signe du pluriel (-i
ou -s), on serait amené à former des pluriels comme ovi, templi,
ou ovos, templos, qui choqueraient cruellement les latinistes. On
voit par là l'avantage d'adopter parfois (nous ne disons pas régu-
lièrement) des désinences arbitraires, et par là même esthéti-
quement indifférentes et linguistiquement neutres.
Enfin les mots composés devront se former régulièrement, de
telle sorte qu'on puisse les fabriquer au besoin sans erreur pos-
sible. On adoptera la règle généralement observée en grec et en
allemand, à savoir que le déterminant précède le déterminé.
Mais on évitera de former des mots composés de plus de deux
radicaux, et de les former sur le modèle des mots composés
nationaux, qui sont souvent des idiotismes *. Rien ne contribue
autant à la richesse d'une langue que la faculté de former des
mots dérivés ou composés, comme le j)rouve l'exemple du grec
et de l'allemand : « Une langue est d'autant plus parfaite, qu'elle
fournit plus de possibilités pour composer et dériver de ses
radicaux des mots de telle signification qu'on veut, de telle sorte
qu'on puisse comprendre la signification du nouveau mot
d'après sa structure ^ ».
Pour que le principe de l'internationalité ait son maximum
1. Voir la critique du Volapilk.
2. Lambebt, Neues Organon, III, g 129 (Leipzig, Wendler, 17G4). Ajoutons
que ce n'est pas là seulement une condition de perfection théorique
(logique), mais aussi une condition de facilité pratique. En effet, il n'y a
personne qui connaisse tous les mots de sa langue maternelle, a fortiori
d*une langue étrangère; on ne peut donc pas exiger de quelqu'un qu'il
sache par cœur le vocabulaire de la L. I., ni ({u'il ait toujours un diction-
naire sur lui pour correspondre ou converser. Il faut donc qu'on puisse,
dans une certaine mesure, fabriquer au moyen des radicaux les plus usuels
les mois dont on peut avoir besoin (c'est ce qu'il nous arrive souvent de
faire dans nos langues nationales, soit par nécessité, soit par jeu. Exemple :
\c jemenficliisme). Or, pour que ces mots inventés soient sûrement compris,
il faut qu'ils soient formés suivant des régies absolument générales et fixes,
qui permettent de les interpréter aussi aisément qu'on les aura forgés (Voir ce
que nous avons dit à propos des mots comme papable, ministrable, cyclable,
dans la Criti(iue de \ Espéranto, p. 351).
558 CONCLUSION
d'effet, la formation du vocabulaire doit dominer tout le reste,
à savoir la grammaire et même l'alphabet. On se souvient que
le caractère commun des systèmes a priori et des systèmes
mixtes est de subordonner le vocabulaire à la grammaire, tandis
que les systèmes a posteriori subordonnent la grammaire au
vocabulaire. En effet, il faut que les règles grammaticales
imposent le moins de restrictions possible à l'adoption des
radicaux internationaux*. De même, l'alphabet devra être déter-
miné de telle sorte qu'il permette d'adopter les radicaux inter-
nationaux en les déformant le moins possible, tant dans leur
graphisme que dans leur phonétisme.
Le vocabulaire ne doit comprendre que les « grands mots »,
c'est-à-dire les substantifs, les adjectifs, les verbes et les adverbes
dérivés. On doit faire rentrer dans la grammaire tous les mots
dits grammaticaux, c'est-à-dire toutes les particules (pronoms,
adverbes simples, prépositions, conjonctions), et les affixes de
dérivation : car tous ces éléments forment un ensemble systé-
matique et dépendent les uns des autres. Il est évident, par
exemple, que les flexions grammaticales et les affixes de dériva-
tion doivent être choisis de façon à ne pas se gêner ni se con-
fondre. Ce sont les particules qui, selon l'expression de Leibniz,
constituent la forme du discours, tandis que les grands mots en
constituent la matière. Aussi reviennent-elles sans cesse dans
toutes les phrases, dont elles forment le cadre et la charpente.
Dans le choix de ces particules, on pourra subordonner l'inter-
nationalité à la régularité; en effet, il est naturel et commode
d'établir entre elles une corrélation logique, qui soulagera à la
fois l'intelligence et la mémoire, et dont les langues naturelles
offrent des modèles, ou tout au moins des ébauches *. Peu
importe en ce cas qu'on s'éloigne des formes nationales (qui
souvent ne sont nullement internationales), puisqu'il s'agit d'un
petit nombre de mots qui reviennent très souvent dans le dis-
cours, et que l'on apprendra très facilement en raison de leur
corrélation de forme et de leur fréquence même.
1. La grammaire imposera toujours quelques restrictions au lexique,
si, pour éviter les isoméries, on pose comme règle qu'un radical ne doit pas
commencer comme un préfixe ni finir comme un suffixe.
2. Par exemple, en latin, à la question quo répond eo; à qualis, lalis ;
à qtiantiis, tantus; à qiiot, toi; à quam, tam, etc. Que l'on songe, d'autre
part,* aux séries de mots formées en ajoutant aux relatifs les suffixes -que,
-cunque, -vis, -libet, -nam, etc.
CONCLUSION 5b9
Nous ne croyons pas pouvoir aller plus loin par la méthode
objective et historique que nous avons suivie jusqu'ici. Pour
préciser davantage, nous serions obligés de faire intervenir des
considérations d'ordre théorique, toujours sujettes à discussion,
et que nous n'avons pas qualité pour exposer. En tout cas, nous
nous sommes efforcés, dans cette Conclusion comme dans le reste
de l'ouvrage, de nous affranchir de toute préférence personnelle
et môme nationale, et de nous placer à un point de vue absolu-
ment impartial et neutre. Aussi, au lieu de terminer le portrait
de la future L. I. et de tirer pour ainsi dii*e son 4ioroscope, pré-
férons-nous la défendre contre une ou deux objections d'ordre
général qu'on lui oppose fréquemment.
La première de ces objections consiste à dire que jamais la
langue internationale, quelle qu'elle soit, ne sera prononcée de
môme par tous les peuples, et que par suite elle ne pourra
jamais servir aux communications orales.
A cela nous répoudrons d'abord que l'objection, si elle était
fondée, diminuerait assurément l'utdité de la L. I., mais ne la
supprimerait pas. 11 lui resterait toujours le domaine des com-
munications écrites, qui est déjà immense, et bien suffisant à
justifier l'adoption d'une langue auxiliaire unique.
Mais l'objection n'est pas fondée, et ceux qui la font prouvent
simplement qu'ils sont mal informés. On pourrait les réfuter
par des considérations théoriques; mais rien ne vaut l'argument
brutal et irrésistible de l'expérience. Or c'est un fait, mille fois
constaté, que les langues artilicielles (les plus parfaites au
moins) permettent à des personnes de langues maternelles dif-
férentes de s'entendre d'emblée. Le Volapdk a servi ftux discus-
sions du Congrès international des Volapïikistes en 1889, entre
personnes qui n'avaient pas d'autre langue commune : on a
prononcé des discours et des toasts en Volapûk, et la diversité
de prononciation a été assez faible pour ne faire aucun obstacle
à la compréhension mutuelle. Depuis lors, VEsperanlo a donné
lieu à d'innombrables expériences du môme genre, toutes aussi
concluantes, et aussi stupéfiantes pour ceux qui en ont été
témoins (comme nous-mêmes) •. Encore une fois, le fait, si
1. Voir la brochure de M. de Beaukro.nt, L'Espéranto seule vraie solution
560 CONCLUSION
invraisemblable ou incroyable qu'il puisse paraître, est que
des personnes de nations très diverses, qui n'avaient appris
VEsperanto et sa prononciation que dans leurs manuels natio-
naux, et ne l'avaient parlé qu'avec leurs compatriotes (ou même
pas du tout), ont pu engager immédiatement la conversation en
Espéranto, dès leur première rencontre, à l'improviste, sans
aucune entente préalable et sans préparation, et continuer sur-
le-champ à causer pendant des heures sur les sujets les plus
variés; et elles ont constaté, à leur grande surprise, que leur
prononciation n'offrait que des différences insignifiantes, qui ne
les empochaient nullement de se comprendre l'une l'autre, sans
excepter un seul mot. De quelle langue vivante pourrait-on en
dire autant"?
Voilà le fait, il est incontestable; il ne reste qu'à l'expliquer.
L'objection à laquelle nous répondons invoque presque tou-
jours, précisément, l'exemple des langues naturelles : or cette
analogie se trouve en défaut, surtout quand il s'agit de la pro-
nonciation. Tantôt on cite l'exemple du latin, que tous les peu-
ples prononcent différemment; ce n'est pas étonnant, puisque
chacun lui applique sa prononciation nationale : Cicero se pro-
nonce « en français » Sisero, « en allemand » Tsitsero, « en ita-
lien » Tchitchero, alors qu'il se prononçait en latin Kikero. Si
tous les peuples convenaient d'adopter une prononciation uni-
forme du latin, ils le prononceraient de même. Tantôt on
allègue les difficultés, les bizarreries de la prononciation d'une
langue vivante, de l'anglais notamment; on constate que les
Anglais prononcent mal les langues étrangères, que les étran-
gers prononcent encore plus mal l'anglais, que les uns et les
autres ont beaucoup de peine à se comprendre mutuellement,
et l'on en conclut qu'il en serait de même dans une L. I. quel-
conque. Conclusion fausse, et qui se retourne contre les adver-
saircs de la L. I. Pourquoi, en effet, est-il si difficile de pro-
noncer correctement une langue étrangère? Pour deux raisons :
la première est que la langue contient des sons spéciaux,
inconnus aux autres peuples et difficiles à prononcer pour
de la langue internationale auxiliaire (p. 23-28), et VEiiropéen, 29 mars 1902,
où M. Paul Fruictier déclare qu'il a pu, « six semainei après avoir com-
mencé seul l'étude de la langue dans un petit ynamiel de poche, causer
couramment trois jours de suite rien qu'en Espéranto avec un Suédois
complètement ignorant du français ».
CONCLUSION 50 1
eux' ; la seconde, de beaucoup la plus importante, est que la cor-
respondance des sons aux lettres n'est pas constante et uniforme*.
Nous n'avons pas à faire ici le procès des langues vivantes; il
suffit do rapi)oler qu'aucune d'elles n'a une orthographe rigou-
reusement phonétique, c'est-à-dire une prononciation conforme
à l'écriture, et que, dans beaucoup d'entre elles, certaines lettres
ont une dizaine de sons différents. Eh bien! ces deux causes
perpétuelles d'erreur sont évitées dans les meilleures langues
artificielles; quoi d'étoimant, dès lors, à ce qu'on les i)rononce
plus facilement ot surtout plus correctement qu'aucune langue
vivante? Il ne faut qu'un peu d'attention et d'habitude pour
retenir le son de 25 à 30 lettres (dont la plupart sont déjà fami-
lières), et leur donner hujours et partout ce mémo son. 11 en est
de môme pour l'accent, surtout s'il tombe toujours sur la même
syllabe du mot (comme en Volapûk, sur la dernière, et en Espé-
ranto, sur l'avanl-dernière). On comprend que des préceptes
aussi simples et aussi réguliers réussissent à imposer une pro-
nonciation uniforme à tous les adeptes.
A ces raisons d'ordre philologique on peut en joindre une
d'ordre psychologique. On sait qu'il est beaucoup plus difficile
de comprendre (oralement) une langue étrangère que de s'y
faire comprendre, et cela est d'autant plus surprenant, qu'il
est au contraire beaucoup plus facile de lire une langue étran-
gère que de l'écrire. A quoi cela tient-il? Cela vient surtout de
ce que la plupart des hommes prononcent très mal leur langue
maternelle'. D'abord, ils la parlent toujours trop vite, et cela
suffit pour dérouter l'étranger peu familier avec la langue.
De plus, et par suite de cette précipitation, ils « avalent » la
moitié ou les trois quarts des syllabes. Ce défaut se remarque,
non seulement chez les x\nglais, où il est légendaire, mais aussi
chez les Allemands et même chez les Français, qui pourtant
escamotent moins de syllabes, à cause de la faiblesse de l'accent
1. Tels sont, notainmoiil, les doux //* anglais ot lo ch alloniand dur.
2. Un proverbe allemand dit : « L'Anglais écrit saucisse et lit froma/je ».
Vollslûndiger wissenschaflliciter Vortraq ilher lV>//s/)rffc/je,...von J.Himmler,
profesan volapiika, p. 23 (Sanigau, ISi)2). C'est lii une e.xagorntion plai-
sante; mais ce que nous pouvons affirmer, par expérience personnelle,
c'est que lorsqu'un Anglais prononce hrojclf, on entend bachl<ol.
3. La preuve que c'est bien la principale cause, c'est que la même per-
sonne, dans le mémo pays étranger, comprendra parfaitement certaines per-
sonnes (colles qui prononcent bien) et ne comprendra pas du tout les autres.
CouTL'BAT et Leau. - Langue univ. <J0
562 CONCLUSION
tonique. Croit-on qu'un étranger puisse nous comprendre
lorsque nous disons p't-êC au lieu de peut-être, puisque f te V dis,
et ainsi de suite? En outre, la prononciation d'une même langue
varie beaucoup d'une province à l'autre : un Marseillais ne parle
pas comme un Parisien, et l'allemand ne se prononce pas de
même à Munich, à Leipzig et à Hambourg. La prononciation
diffère môme d'une classe sociale à l'autre : on reconnaît un
Anglais bien élevé à la manière dont il prononce les h '.
Mais il y a un autre obstacle que la diversité de prononcia-
tion: il y a la diversité des dialectes provinciaux, qui se traduit,
même dans le langage des gens instruits, par des mots ou des
locutions « de terroir ». Tel ustensile porte des noms différents
suivant les provinces. Aux patois locaux il faut ajouter le jargon
du monde, les argots du boulevardier, du sportsman, de l'étu-
diant, qui tous déteignent sur la langue de la conversation,
sans même que nous nous en doutions. Nous employons sans
cesse en causant une foule de mots étrangers à la langue écrite
et au dictionnaire de l'Académie (ex. blague), ou détournés de
leur sens propre (ex. fumiste); tous ces mots sont .évidemment
inintelligibles pour un étranger, et, remarquons-le, un seul
suffit à rendre inintelligible toute une phrase. Au lieu de ces
diversités infinies, l'étranger ne connaît qu'une langue, la
langue écrite, la langue des auteurs classiques: et il la pro-
nonce, sans doute avec un accent plus ou moins marqué suivant
sa nationalité, mais avec soin et avec une certaine lenteur. Quoi
d'étonnant, dès lors, que nous le comprenions, et qu'il ne nous
comprenne pas? C'est nous qui avons tort"^!
Comparons maintenant une langue artificielle (bien faite) aux
langues vivantes : nous allons voir qu'elle est exempte de toutes
ces causes de mésintelligences et de difficultés. Et d'abord,
1. La prononciation populaire est, dans chaque pays, la source d'innom-
brables plaisanteries qui remplissent les journaux amusants, et qui sont
inintelligibles peur l'étranger.
2. Les philologues nous apprennent que le haut allemand moderne est
exclusivement une langue écrite, forgée par les auteurs classiques, et qu'ils
n'ont jamais parlée. On comprend alors que l'étranger qui a appris l'alle-
mand dans Gœthe et Schiller soit quelque peu dépaysé en causant avec des
Allemands. Nous tenons à signaler ce fait à ceux qui n'ont (jue mépris et
aversion pour les langues artificielles : l'allemand classique est une langue
artificielle. 11 est vrai qu'à ce compte-là, toutes les langues civilisées et lit-
téraires sont factices; le français n'a-t-il pas été complètement réformé par
les précieuses et les grammairiens du xvii" siècle?
CONCLUSION 563
une telle langue sera u/uVyue, elle sera la mOme sur le papier
qu'à la bouche, et elle n'admettra ni dialectes provinciaux, ni
locutions familières, ni expressions d'argot. Ensuite, sa pronon-
ciation sera fixée par des régies simples et uniformes : l'ortho-
graphe rigoureusement phonétique ne permettra aucune hésita-
tion, aucune diversité essentielle dans Télocution. Knfin, et c'est
la raison la plus importante, chacun la parlera comme une
langue étrangère, c'est-à-dire avec soin, on pourrait dire : avec
respect. Elle ne deviendra jamais assez familière pour qu'on la
« massacre ». Elle sera vraiment un terrain intermédiaire et neutre
où les interlocuteurs se rencontreront sur un pied d'égalité.
La seconde objection se rattache à la précédente, mais elle en
est néanmoins distincte. Elle consiste à dire que, lors même que
l'unité de la L. I. serait assurée à l'origine, elle ne pourrait pas
subsister. Chaque peuple l'altérera suivant ses habitudes de lan-
gage et d'esprit, et y introduira, non seulement ses mots natio-
naux, mais ses dérivations propres, ses idiotismes de grammaire
et de syntaxe. Le vocabulaire .se décomposera ainsi finalement
en autant de vocabulaires qu'il y a de langues ou de familles de
langues, et il y aura autant de styles et de prononciations que
de nations.
Ces pronostics pessimistes viennent de ce qu'on exagère la
diversité de nos langues *, et surtout de ce qu'on invoque les lois
de l'évolution des langues vivantes, ce qui est une induction
fausse, et en tout cas illégitime: car la L. I. ne sera pas une
langue vivante*, et par suite ne sera pas soumise aux mômes
agents de déformation ou de transformation. En effet, ce qui
déforme une langue, c'est l'usage ornl, quotidien et populaire. Or,
quelle que puisse être sa diffusion, la L. 1. ne deviendra jamais
populaire: on ne s'en servira pas couramment, entre compa-
triotes, pour la conversation familière (si ce n'est par jeu, et
seulement quand on la saura bien): enfin elle sera toujours, par
sa destination, beaucoup plus employée pour écrire que pour
parler : or on sait que l'usage écrit tend à conserver et à fixer
une langue. D'ailleurs, ce qui évolue, c'est surtout la langue
1. L'autour dé ces objections nvouc qu' - une partie notable de la phra-
séologie uiodorne est déjà intornationnip ».
2. Nous no voulons pas diro par là qu'elle ne sera pas susceptible d'évo-
luer (voir p. r)(»7), mais qu'elle sera pratiquée dans des conditions tout
autres (lue les langues vivantes, c'est-à-dire nationales et maternelles.
564 CONCLUSION
usuelle, et non pas la langue scientifique et commerciale; ou,
si celle-ci évolue, c'est, et ce sera de plus en plus, d'une manière
concordante dans tous les pays, en vertu de leur solidarité crois-
sante dans le progrès.
En outre, on apprendra la L. I. comme une langue étrangère
et toute faite *. Or, comme nous l'avons dit, on pratique une
langue étrangère plus purement et plus correctement que la
plupart de ceux dont elle est la langue maternelle. On ne songe
pas à la réformer ou à innover en quoi que ce soit : on l'accepte
docilement avec toutes ses anomalies et ses bizarreries, « parce
que c'est comme ça », et qu'autrement on ne serait pas compris.
Il en sera de môme pour la L. I. Dira-ton qu'on fait sans le vou-
loir ni' le savoir des « innovations » dans une langue étrangère,
par cela seul qu'on la sait mal? Mais ces innovations n'ont alors
rien de systématique, et par suite ne peuvent engendrer une
déformation durable. Et puis, pourquoi commet-on des fautes
dans les langues vivantes? Parce qu'elles ne sont pas régulières,
et qu'elles offrent des complications arbitraires, comme le genre
des substantifs. On a remarqué que la plupart des fautes com-
mises dans une langue par les étrangers ou par les enfants
tendent à la rendre plus régulière et plus logique *. Dès lors, la
L. L, qui par hypothèse sera absolument logique et régulière,
et dépouillée de toute complication inutile, prêtera bien moins
qu'aucune langue vivante à ces * incorrections », qui sont sou-
vent de véritables « corrections » ou simplifications. Dira-t-on
enfin que chaque peuple y introduira irrésistiblement ses idio-
tismes? Pas plus qu'on ne transporte les idiotismes de sa langue
maternelle dans une langue étrangère. On objecte que nous
n'avons pas conscience de nos idiotismes, et que l'étude des
langues mortes ou vivantes. est le meilleur moyen, sinon le seul,
que nous ayons de les découvrir et de nous en affranchir. Mais
l'étude de la L. I. rendra, mutatis mutandis, exactement le
même service que celle du grec ou du latin; et elle le rendra à
beaucoup plus de personnes, car elle pourra s'introduire jusque
1. « J'apprends le Volapûk comme j'apprends le français ou l'anglais,
sans me soucier en aucune façon de l'histoire antérieure des langues. »
H. ScHUCHARDT. Weltsprache und Wellsprachen, p. 13 (1894).
2. De telles fautes se trouvent, par inadvertance, même chez de grands
écrivains : Lamartine a écrit plusieurs fois « vêtissait » (imparfait du verbe
vêtir), évidemment, par analogie avec finir.
CONCLUSION 565
dans renseignement primaire (supérieur, au moins). Toute la
différence est que nous sommes obligés, en général, de traduire
dans une langue naturelle nos idiotismes par d'autres idio-
tismes, tandis que dans la L. I. on devra les remplacer par
l'expression la plus logique et la plus directe, qui n'en sera que
plus facile à retenir. Par exemple, si l'on apprend à traduire
l'idiotisme français : « Comment vous portez-vous? » par la locu-
tion anglaise inintelligible : « How do you do? », on apprendra
beaucoup plus aisément à la traduire par une locution qui signi-
fiera simplement : « Quel est votre état de santé? » Lors môme
qu'on ne pourrait absolument pas éviter les idiotismes, comme
ce paraît être le cas pour : « Quel Age avez-vous? » (l'allemand
dit : « Combien ètes-vous vieux? »), on sera obligé, au pis-aller,
d'adopter un des idiotismes nationaux; on aura toujours cet
avantage, de n'en avoir qu'un à apprendre '. Enfin, toute inno-
vation, même involontaire, toute introduction d'idiotismes ou
de néologismes sera immédiatement réprimée par la sanction
naturelle, qui consiste à n'être pas compris. Les tendances
divergentes de chaque peuple seront constamment refrénées et
neutralisées par celles des autres, et ne pourront jamais donner
naissance à des déformations nntionnles permanentes, puisque,
encore une fois, on n'emploiera guère la L. I. entre compa-
triotes.
On objecte encore qu' « à une langue vivante il faut une régie
vivante », et l'on demande « quelle sera la nation dont l'usage
fera loi ». Nous répondons simplement : Où était la règle
vivante pour le latin du moyen Age et de la Renaissance? Quelle
était la nation dont l'usage faisait loi? Aucune, mais l'ensemble
des savants qui pratiquaient le latin dans tous les pays civilisés,
et qui formaient entre eux « la République des lettres ». Dira-
t-on qu'on avait une norme et des modèles dans les auteurs
classiques? Mais, d'abord, le latin du moyen âge n'était pas le
latin classique : c'était une langue autonome et absolument arti-
ficielle. Ce n'est vrai que pour le latin classique employé depuis
1. C'est une chose étrange que le préjugé et le parti pris : on objecte à
la L. 1. une foule de difllcuUés que les langues vivantes présentent à un
degré supérieur, et (jue l'on surmonte néanmoins dons la pratique. Il semble
que les adversaires de la L. 1. fassent en sens inverse ce qu'on a reproché
à ses partisans: ils regardent les difllcuUés par le petit bout de la jumelle,
quand il s'agit de la L. I., et par le gros bout, quand il s'agit des langues
naturelles.
566 CONCLUSION
la Renaissance jusqu'au xix'^ siècle, qu'on apprenait uniquement
dans les livres et dans les grammaires; or on ne voit pas que
dans ce laps de temps il ait subi la moindre déformation natio-
nale. Alléguera-ton enfin que le latin offre du moins, comme les
langues vivantes, une tradition et une littérature qui en fixent
l'usage et le style? Mais la L. I. possédera bientôt, elle aussi, une
tradition et une littérature où Ton pourra trouver des modèles
de style. Eh quoi! dira-t-on, du style dans une langue artifi-
cielle? Pourquoi pas, s'il est vrai que toute langue littéraire est
plus ou moins artificielle'? Qu'y a-t-il de plus artificiel, en tout
cas, que la poésie dans n'importe quelle langue? Et dans quel
pays est-il « naturel » de parler en vers *?
Ce que nous venons de dire de la norme du style, on pourrait
le répéter de la norme de la prononciation. Et d'abord, puisque
l'expérience a prouvé qu'une langue artificielle à orthographe
phonétique et à prononciation uniforme est prononcée sensible-
ment de la même manière par des personnes de divers pays qui
l'ont apprise dans leurs manuels respectifs, les mêmes causes
qui établissent d'emblée cette conformité contribueront naturel-
lement à la maintenir. Mais on insiste, et, toujours en vertu de
la prétendue nécessité d'une règle vivante, on demande : « Comme
pour le mètre international, gardera-ton en quelque endroit,
comme en un inviolable asile, les témoins de la prononciation
primitive 3? » Qu'on se rassure : ce moyen chimérique est absolu-
ment inutile, surtout depuis l'invention du phonographe. On sait
(et les philologues devraient être les derniers à l'oublier, ou les
premiers à le rappeler) que le phonographe est devenu l'instrument
indispensable des études de phonétique comparée ; qu"il sert à noter
avec exactitude la prononciation des patois provinciaux ou des dia-
lectes exotiques et sauvages, à recueillir des contes et des chants
1. « Toute langue écrite est artificielle. » Richard Meyer, Kûnstliche
Sprachen, dans la revue Indogermanische Forschunf/en, t. XII, fasc. i-4
(Strasbourg, Trùbner, 1901). Cet aveu est d'autant plus précieux, de la part
de ce philologue, qu'il n'est pas partisan des L. I. artificielles.
2. La langue poétique a toujours été une langue artificielle, et cela dès
l'origine de la poésie : « La langue dont se servaient les aèdes n'était pas
celle qu'on parlait autour d'eux : c'était une langue conventionnelle ».
A. et M. Croiset, Manuel d'histoire de la Ultéralure (ji-ecc/ue, p. 23.
3. M. Bréal, l.e choix d'une langue internationale, ap. Eevue de Paris,
ISjuil. 1901, p. 245. — C'est, semble-t-il, la même idée qui a suggéré à
M. Frod IsLY son projet fantaisiste d'une colonie internationale qui serait
le conservatoire de la L. L
CONCLUSION 567
avec louf accent original et à conserver à la postérité des monu-
ments authentiques de certaines langues près de disparaître.
On emploie le phonographe pour enseigner la prononciation
correcte de toile ou telle langue vivante ; pourquoi ne l'cniploie-
rait-on pas, au besoin, pour enseigner la prononciation de la
L. I., (jui sera incomparablement plus simple et plus facile, et
})our lui conserver son uniformité à travers le temps comme à
travers l'espace*?
Il n'y a qu'un point sur lequel les innovations soient inévita-
bles : c'est le vocabulaire. 11 est naturel et nécessaire qu'avec
le progrès des sciences et de la civilisation apparaissent des
idées nouvelles et des instruments nouveaux, qui exigent la
création de mots nouveaux. Sans doute, le plus souvent, l'inven-
teur de l'instrument ou de l'idée lui assigne dans sa langue un
nom plus ou moins heureusement choisi, et quelquefois barbare,
qui .se transmet sans modification essentielle dans toutes les
autres langues. Il est certain que les termes techniques qui
auront ainsi conquis l'internationalité devront être adoptés par
la L. I. Mais, d'une part, ce n'est pas toujours le cas^; et, d'autre
part, les expressions ainsi fabriquées et mises en circulation i)ar
des personnes peu versées dans la philologie sont souvent défec-
tueuses, équivoques, illogiques ou contraires à l'analogie. Il
convient donc qu'il y ait une autorité internationale compé-
tente qui décide de l'adoption des mots nouveaux en L. I. Mais
cette autorité ne peut évidemment pas être autre que celle qui
aura choisi la L. I. et constitué son vocajjulaire à l'origine. D'une
manière plus générale, il est tout indiqué que le Comilé qui
aura institué la L. I. veille à sa conservation et à son développe-
ment régulier suivant les principes mêmes qui auront présidé à
sa création, notamment en approuvant et sanctionnant tous les
livres destinés à l'enseignement de la L. I. (grammaires, diction-
1. L'expérience a élé faite récemment par le groupe espérnntiste de Mont-
réal (Canada). Ses membres envoyèrent au D' Za.menhof un i)iionopramme
en Espéranto, pour lui donner un spécimen de leur prononciation, et le
prier de la rcctilier. Le D' Zamenhof leur répondit par un autre phono-
gramme d"ai)prolKUi(iii et de félicitalion; ils purent ainsi entendre la voi.x
du maître, et constater ([ue leur prononciation ne dilTérait pas de la sienne.
2. Pour prendre un exemple parmi les inventions récentes, la tnacliine à
écrire s'appelle en E. typewriler et en D. 'hipoqraph ; et les mots dérivés,
en F., se forment avec le radical daclijlofpaphe. \ notre avis, les expressions
françaises sont mauvaises, el c'est le radical allemand (jui devrait être
internationalement adopté.
568 CONCLUSION
naires, chrcstomathics, traductions normales, etc.). Il ne fera
ainsi que continuer son œuvre, la compléter et la perfectionner
sans cesse, puisque aussi bien, par la nature des choses, elle sera
susceptible et elle aura besoin dun perfectionnement indéfini.
Bien entendu, c'est surtout et presque exclusivement sur le voca-
bulaire que devra porter ce perfectionnement, caria granmiaire,
la syntaxe et le système de formation des mots devront rester
immuables dans leurs traits essentiels. Or l'élaboration du voca-
bulaire international, dans sa partie scientifique et technique
(qui est la plus considérable et la idus importante), exigera le
concours de savants spéciaux des diverses nations civilisées; et
c'est surtout pour cette tAche que le haut patronage des Acadé-
mies est indispensable à la L. I. Non seulement, en efîet, aucun
auteur de L. 1. n'a la compétence universelle indispensable pour
constituer ce vocabulaire, mais aucune association de savants
compétents n'aurait l'autorité nécessaire pour le faire accepter
dans tous les pays. Lors même que ce travail gigantesque aurait
pu être exécuté de la manière la plus satisfaisante et la plus
impartiale par l'initiative privée, il faudrait encore, la sanction
des xVcadémies associées pour lui donner force de loi. Il vaut
donc mieux que ce travail soit entrepris par les Académies elles-
mêmes, ou du moins sous leur direction et leur contrôle. Et
VAssociation internationale des Académies est toute désignée pour
assumer cette tâche, non seulement parce cjn'elle possède émi-
nemment la compétence et l'autorité requises, mais encore
parce qu'elle a été expressément instituée pour » préparer ou
promouvoir des travaux scientifiques d'intérêt général » et pour
t faciliter les rapports scientifiques entre les différents pays ».
Or la première condition du progrès scientifique est l'uniformité
du vocabulaire i, et l'Association internationale des Académies ne
peut, sans manquer à sa mission essentielle, refuser de la réaliser.
De toute façon, non seulement l'idée de la Langue internatio-
nale ne saurait périr, mais, à en juger par les progrès de plus
en plus accélérés qu'elle fait depuis vingt ans, elle touche à sa
réalisation définitive. Ce qui ne fut d'abord que le rêve de quel-
ques-uns de ces grands penseurs dont la mission semble être de
prévoir et d'anticiper de plusieurs siècles les progrès de l'huma-
nité, est devenu de nos jours une œuvre de science et d'art, à la
1. De l'aveu de AI. Darboux, cité dans la Préface, p. ix.
CONCLUSION 569
fois bion i)lus simple cl bien plus riche que les essais informes
des précurseurs. L'adoption définitive et prochaine d'une Langue
internationale sera le triomphe et la consécration de tant de
tentatives, restées en apparence infructueuses. Quelle que soit la
valeur des divers projets de langue universelle, tous leurs auteurs
ont droit à la reconnaissance de la postérité : glorieux ou obs-
curs, ils ont tous contribué au succès de la grande idée dont
ils étaient épris et possédés ; beaucoup ont passé leur vie en de
longs et minutieux travaux, ils ont usé leurs forces, dépensé leurs
ressources, compromis ou sacrifié leur avenir pour ce qu'ils con-
sidéraient comme un devoir sacré, et ils n'en ont été trop sou-
vent récompensés que par le dédain et la moquerie, ou, qui pis
est, par rindifférencc et le silence. A tous, morts ou vivants,
nous tenons à rendre hommage à la fin de cette Histoire ; qu'elle
soit pour eux le commencement de la réparation, en attendant le
jour où le monde civilisé, couronnant leurs efforts, proclamera
qu'ils ont bien mérité de l'humanité.
P. S. — Pendant l'impression de cet ouvrage ont paru trois
nouveaux projets de L. L, que nous ne pouvons que mentionner
ici :
D"" H. MoLEN.t.AR (Mûnchen-Solln II) : Panromnn, skiz de un ling
internazional, dans la revue mensuelle Die Religion dcr Menschheit,
mars, mai 1903 (Leipzig, Uhlig).
Albert IIœssrich (Sonneberg, Thuringe) : Tal, exposé dans une
feuille périodique intitulée : Talnovos (n° 1 : avril 1903).
G. Peano, professeur à l'Université (Torino) : De lalino sine
Jlexione, dans la Revue de « Mathématiques » (tome 8, année 1903).
ERRATA
p. 110, ligne 2, lire : R-jiaz = élre le meilleur.
P. 148, note 2, ligne 3, lire : changer au fond de la langue.
P. 239, ligne 3 du bas, lire : pronoms personnels.
P. 323, ligne 5, lire : (une) antiquité.
P. 330, ligne 12, lire : 11 y avait 7700 Espérantistes inscrits au
commencement de 1903.
INDEX DES NOMS PROPRES
AAE^ : 100.
Académie internationale de langue
universelle (Akademi internasio-
nal de linqii universal) : 147-151,
155, 44!), 475, 484-506.
Adjuvanto (v. Bealfront) : 328, 329,
474.
Alaudœ : 517.
American Philosophical Society :
327, 364-371, 394, 398, 470, 308, 511.
Ampérk : 72.
Angelini : 522.
Anfflo-Franca (v. IIenderson) : 389,
393-400, 513, 517.
Anli-Volapilk (v, Mill) : 443-448.
Ahistote : 115, 353.
Arnim (Wilhclm von) : 198-205.
Artioli : 521.
Association internationale des Acadé-
mies :VI1I,IX,XVI, XI.\', XXII, 508.
Baccelli : 529.
Baciimaier : 9, 10, 40.
Bacon : 73.
Baker : 408.
Balla (v. Dormoy) : 38, 80, 188-193,
550.
Baranovski (Et. de) : 9.
Bauer (Goorg) : 157, 101, 170-180,
229, 449.
Beaitront (Louis de) : .\XX, 304,
316-319, 321, 325, 328, 329, 334,
341, 344, 352, 358, 474, 559.
Beermann : 198, 457-467, 469-475,
517, 518.
Benguela : 230.
Bermiard (Serafiny : 343, 372.
Berthei-ot : 304, 302.
Bi»:ki. : 409-475.
BoiRAC : 302.
Bolak (v. Bollack) : 42, 210-233. 353.
Boi.i.a(;k (Léon) : XXX, 20, 81, 106,
210-233, 245, 333.
BoLTZ (Aug.) : 515.
BoxTO VAN Bylevei.t : 485.
Bopal (v. Max) : 166-167.
BoROVKO : 327.
Bourooint-Lagranoe : 86.
bourlet : xxx.
BRiiAL (Michel) : XXX, 308, 339, 560.
Brinton (Daniel) : 304, 309.
BuRNOUF : 72.
CART(Th.): .304, 314, 302.
Chabé-aban (\: Maldant) : 80, 82 86,
115.
Ghancerel : 80.
Ciiasselolp-Laudat : 3.
Chinook : 230, 280.
CiiouippE : 73.
Civis Romanus : 522. ,
GoLLiGNON (A.) : 517.
Communia (v. Stempfl) : 408-414.
Communications-Sprache (v. Schip-
EER) : 241-246.
Gondili-ac : 73.
gondorcet : 73.
goirt de géuelin : 73.
CouRTON^E : 272-279.
GouTURAT : 13, 19, 23, 72.
Croiset (Alkhed et .Maurice) : 566.
DAI.OARNO : 2, 15-18, 19, 22-24, 54,66,
73.
Damu : 9.
Darboux : Vin, IX, 508.
De Brosses : 73.
Dei.ACorR : 538.
Délégation pour Vadoption d'une
langue auxiliaire inlernationale :
V, XVl, XXI-XXVI, 29, 400, 433,
497, 554.
572
INDEX DES NOMS PROPRES
Delormel : 8, 29-32, 40, 55, 73.
Demolins : XVII.
Descartes : III, 10-14, 73, 555.
Destdtt de Thacy : 73.
Deviatxine : 327.
Dkwey (Melvil) : 6.
DiELS (Hcrmann) : XXX, 512, 523-526,
536.
DiETRiCH (Cari) : 106-112.
DU (V. Fieweger) : 181-187.
Dilpok (V. Marchand) : 206-209.
Dohmoy:38, 80, 142, 100, 18^^193.
Durand (de Gros) : 115.
Dyer (Frederick William): 77-79, 115.
Earle : 494.
Egger (Victor) : XXX. 517.
EiCHnoRX (L'abbo) : 121, 294-303.
EiCHTiiAL (Gustave d') : 515.
Einstein (Léopold) : 327, 309.
Elus (Alexander J.) : 307, 309 371.
Elpi (G.) : 522.
Encyclopédie : 239.
Espéranto (v. Zamenhok) : 12, 64, 82,
88, 200, 235, 240, 244, 272, 304-363,
369, .371, 388, 400, 424, 427, 442,
449, 408, 471-474, 480, 483, 487,
503, 504, 513, ,537, 539, 544, 557,
559, 500, .501, 507.
Faiouet : 73, 239-240.
Feyeiiabeno : 153.
Fieweger : 181-187.
Flacii (Joli.) : 515.
Fricke : 408.
Fried : 304.
Froehlich : 74, 543-544.
Fruictier (Paul) : 328, 500.
Fochs (v. Volk).
Gagne : 74, 542.
Gajewski (Boleslas) : 33, 37.
Gajewski (Vincent) : 33, 37.
Gauss : 520.
Génigiriphie : 74.
Geoghegan : 304, 327.
Grabovvski : 328, 469-474.
Grimm (Jacob von) : 121-127, 294, 343,
513.
Grosseli.n : 2, 40-42, 117.
Guardiola (José) : 194-197.
Guru-Negoro : 475.
Haag (Cari) : 9.
Hale (Horalio) : 369.
Ha VET (Julien) : 517-518.
Hegel : 378.
Hei.ntzeler : 449-456, 469.
IIenderson (George J.) : XXX, 330,
380-400, 415, 508, 500, 517-520.
Henricy (Casimir) : 71-75.
HiLBE (Ferdinand) : 95-105.
llindoustani : 508.
HuKFFDiNO (Harald) : 319.
HoESSRicH (Albert) : 569.
IloiNix (P.) [v. Henderson] : 389,393-
400.
Holmes (Le Rév. A. F.) : 485.
HoPKiNS (Tighe) : 523.
Horace : 360.
HoiRvviTZ : 73.
Hug (Albert) : 545.
Hl'Mmler : 501.
Idiom Neutral : 155, 334. .338, 345,
346, .369, 388, 467, 475, 484-506,
513, 550.
Interpretor : 468.
IsLY (Fred) : 74, 542-543, 506,
Jacobi : 526.
Jevons (Stanley) : 536.
JoRET (Ch.) : 332.
Kklleh (0.) : 518.
Kerckhokfs (Auguste) : XXX, 128,
136, 138, 140, 142, 143-150, 152,
155, 158-160, 102, 349.
KiHCHiiOFF : 147.
Kf*:MG : 469, 470.
KoFJiAN : 327, 347.
Kosmopolil : 421, 468.
Kosmos (v. Lauda) : 373-379, 487.
Kui:lenheck (Ludwig) : 515.
KuRSCiiNER (Fr.) : XXX, 480-483.
La Grasserie (Raoul de) : 516.
Lamartine : 564.
Lamuert : 557.
Langue bleue (v. Bollack) : 210-233,
237, 270.
Langue catholique (v. Liptay) : 436-
442.
Langue facile (v. Henderson) : 400.
Larousse : 80.
Lrt«wesce(v. Henderson): 389-392,400.
Lauda (Eugen A.) : 102, 373 379,
449, 517.
Ledeher : 198, 405.
Leibniz : III, 8, 13, 15, 18, 19, 22, 23-
INDEX DES NOMS PROPRES
oT3
28, -Vf, 73, 80, 94, 114, 12C, 337,
342, 303, 515,530, 558.
Le Mesl : 73, 75.
LEXT7.E(Karl) : 143, 408.
Lenz (Félix), 280, 281, 280,
Leoxoui (Aristide) : .521.
Lehoy-Beali.ieu (Paul) : 517.
Letellieh (d'Ainions) : 74.
Letellier (de Caen) : 2, 8, 46-58, 74,
75, 94, 113, 115, 213.
Lktelueh (l)"-) : XXX, 46.
Lévy-W'ogle : 541.
Lingtta (v. IIe.ndehson) : 380-389, 391,
415, 517.
Lingua franca : 236, 280, 365.
Lingua Fraiica Ntiova (v. Beknhard) :
343, 372.
Lingua komun (v. KOrscuneh) : 480-
483.
Lingualumina (v. Dyer) : 77-79, 115.
Lin'gtiist : 3-35, 392, 468-476, 483, 48(),
513,514.
Linguum Islianiim (v. Isly) : 542-
543.
LiPTAY (D-- Alberto) : 429, 436442,
449, 483, 480, 487.
LoMATSCH : 522.
Lombard (Emile) : 328.
LoTT (Julius) : 99, 102, 154, 413, 421-
435, 430, 442, 449, 455, 468, 409,
471,472, 475, 483, 488,517.
Macé (D'-):517.
Macfaui,ane (Alexander) : 369.
Mackensen : 496.
Maimiecx (Joseph de) : 9, 45, 73, 74,
236.
Maldanc (Eugène) : 80, 82-86.
Marchand (l'ahbé) : 206-209.
Mas (Sinibaldo de) : 9, .357.
Matr AYA : 74.
Max (St. de) : 168-169.
Melvili.e Bell : 150.
Mexet (Charles) : 166-167.
Merckens : 304, 362.
Meyer (Richard) : 566.
Mezzokanti : 443.
MiLL (Fred) : 443-448.
MiLTON : 396.
Mistral : 336.
MocH (Gaston) : XXVin, 328.
Modem Latin (v. Grabowski) : 474.
Molenaar : 569.
Molière : 220, 542.
Monopang lotie (v. Gagne) : 74, 542.
MosER (llans) : 121. 280, 289.
Muller (Max) : X, 294, 330, 364, 380,
381, 437, 486, .509.
Ml'nboodo (lord) : 73.
Mundolingw (v. Lott) : 99, 369,421-
435,483, 487.513.
Myrana (v. Stempfl) : 401-407, 408,
414, 449, 487.
Nal Dino (v. Verhecgen) :1C4-165.
Naville (Ernest) : 526.
Nicolas (D^ : 87-94, 142.
Nodier (Charles) : 73.
Novilaliin (v. Beersian.n) : 457-467,
487, 503.
Nov Lalin (v. Rosa) : 415-420.
Niimmerlingve (v. Hii,re) : 98-102,
104.
Nuove Roman (v. Plchner) : 343, 477-
479.
O'CoNNOR (John Charles) : 304.
Oïdapa (v. Chaxcerel) : 86.
Orba (v. Guardiola) : 194-197.
Pagnier : .304,314.
Paic : 9, 10, 40.
Panroman (v. Molenaar) : 569.
Panlos-d imou-glossa (v. Rudelle) :
246-255.
Pasilingua (v. Steiner) : 280-293,
374, 550.
Peano (Giuseppe) : 116, 569.
Pergl (Gustav) : 210.
Phèdre : 543.
Phillips (Henry) : 327, 364.
Philological Society (London) : 369-
371.
Phœnix (v. Hendehson) : 400, 517-
520.
Picard (Emile) : VIII.
PiCAVET (Fr.) : 527, 537.
Pidgin-englisli : 236, 280, 365.
PiiiKo : 256-261, 293, 333, 549.
Platon : 94, 126.
Postprandium : 519.
Prxco Lalinus : 520.
Prou (Maurice) : 517.
Puchner : 343, 477-479.
Raune : 224.
Rambosson (Jean) : 10.
Refonn-Latein (v. Frœhlich) : 543-
544.
Reonaud (Paul) : 392, 539, 540.
)74
INDEX DES NOMS PROPRES
Rkimann : 80-81, 82.
Rei.nacii (Salomon) : 517, 318.
Renouviek (Charles) : 75-76, 314.
Reyen : 408.
RtCHET (Cliarlos) : 517.
RiEGEn (W.) : 9.
Ros.\ (D-- Daniele) : 415-420, 432, 440.
RosENBEKC.iiR(\Voldcinar) : XXX, 131,
469, 471, 472, 473, 484 487, 490,
497, 302.
Ridelle (Lucien de) : 247-255, 293,
549.
Rylski (von): 198.
Sabir : 236, 507.
Sallandrouze de Lamornaix : 2.
Schacherl (Anton) : 409.
ScHiPFER : 241-246, 449, 349.
ScHLEYEii (Mgr Joliann-Martin) : 128-
163,204, 229, 320, 373, 381, 401,
407, 469.
SCHUCHARDT (Hufïo) t XV, XXIV, 564.
Sebert (le général H.) : XXlll, XXX.
Shakespeare : 396, .330.
Snyder (Monroe) : 364.
Société inlernalionale de Linguis-
tique : 71-75.
Solrésol (v. Sudre) : 33-39, il 5.
SoTos Ochando (L'abbé Bonifacio) :
59-70, 74, 73, 82, 94, 115, 118.
Spelin (v. Bauer) : 170-180, 229, 370,
487, 550.
Spokil (v. Nicolas) : 87-94, 115.
Spragl'r : 170.
Stauder (D' Constantino) : 319.
Steiner (Paul) : 280-293, 374, 449.
Stemi'fl (L'abbé Joseph) : 157, 139,
303, 401-414, 449.
SuDRE (Jean-François) : 33-39, 53.
Tal (v. Hoessrich) : 569.
Tasset: 522.
Thomas d'Aquin (S') : 337.
Toi STOi (Léon) : 328, 330.
Trompeter : 304, 328.
Ulriciis (Carlo Arrigo) : 317.
Univei'sala (v. Helntzeler) : 449-456,
487.
Urquiiart (Sir Thomas) : 18.
Vad (W.) : 440.
Vah.lant : 74.
Valdarnini (Angelo) : 526, 536.
Vellparl (v. Armm) : 198-205.
Verhegge.n (Sébastien) : 164-165.
Vidal : 8, 43-45. 74, 117.
ViRCHOw : 328, 529.
Volapiik (v. Schleyer) : XV, XX VIII,
42, 87, 100, 106, 108, 121, 128-163,
106, 168-171, 17.3-179, 181, 182,
183-193, 197, 200, 202, 204-206,
208, 227, 2.36, 237, 242, 234, 261,
280, 281, 294, 330, 331, 333, 349,
354, 355, 364, 368, 309-371, 373,
375, 379, 380, 393, 394, 401, 407,
414, 421, 443, 449, 468, 469, 471,
473, 480, 484-487, 493, 497, 499,
516, 517, 319, .344. 548-550, 537,
559, 561.
VoLK et Ficus : 262-271, 449.
ViJlkei'ver/iehrssprache (v. Dietrich) :
106112.
VoLXEY : 72, 73.
Voltaire : 53, 73.
Vox Urbis : 521-523.
Wahl (E. von) : 328, 469, 471-473,
488, 319.
Wahren (Max) : 468, 409, 474.
WiLKiNS (John) :2, 19-22, 23, 24, 73,
124, 333, 3.33.
WiLLCOCK (John) : 18.
WoLKE : 9.
World-English (v. Melville-Bell) :
150.
WOrtz : XVII, XXII.
Zahlensprache (v. IIilbe) : 95-10&.
Zame.nhof (D' Louis-Lazare) : 12, 82,
272, 304-363, 314, 323, 323-327,
347, 354, 449, 473, 507.
Zettër (Karl) : 131.
TABLE DES MATIÈRES
Avis important v
Préface vu
Introduction xxvii
Abréviations et signes xxxi
Chapitre préliminaire : Les Pasigrapiiies 1
Code international des signaux maritimes . 2
Classification bibliographique décimale 0
SECTION I
SYSTÈMES A PRIORI
Chapitre I : Descartes (1029).'^ 11
— II : Dalgarno (1001)../ 15
— m : -Wilkins (i()08)...C 19
— IV : Leibniz ^. 23
— V : Delormel (1795) 29
— W : Sudre : Soli'Psol (mi) 33
— VII : Grosselin (1830) 40
— VIII : Vidal : Langue tiniverselle et analytique (iSH) 43
— IX : Letellier ( ISoJ) 46
— X : Sotos Ochando (18")2) 59
— XI : Lrt Société de IJngui^ligue; M. Renouvler (ISo")) 71
— XII : Dyer : Lingualumina (\i^l^) 77
— XIII : Reimann : La?igue internationale étymologique (1877). 80
— XIV : Maldant : Langue naturelle (\SS1) 82
— XV : Nicolas : Spo^/7 (1900) 87
— XVI : Hilbe : Zuhlemprache (1901) 95
— XVII : Dietrich : Volkerverkehrssprache (1902) 106
Critique générale 113
SECTION II
SYSTÈMES MIXTES
Chapitre I : Le programme de J. von Grimm (1800) 121
— Il : Schleyer : Volapitk (1880) 128
— III : Verheggen : Sal Bino (1880) 164
— IV : Menet (1886) 166
576 TABLE DES MATIERES
_ V : St de Max : Dopai (1887) 168
_ VI : Bauer : Spelin (1888) 170
_ VII : Fieweger : DU (181)3) 181
_ VIII : Dormoy : Brt/^ï (1893) 188
_ IX : Guardiola : Orôfl (I8'J3) l'.»4
— X : W. von Arnim : Veltparl {{S%) 198
_ XI : Marchand : Dilpok (1898) 20G
— XII : BoUack : Langue bleue (1899) 210 K
Critique générale 234
SECTION III
SYSTÈMES A POSTERIORI
Chapitre I : Faiguet : Lanrjue nouvelle (17Go) 239
— II : Schipfer : Co)nmunicalionsspraclie (1839) 241
— III : L. de Rudelle : Paulos-dimou-glossa (1858) 247 y
— IV : Pirro : Universal-Sprache (1808) 256 v^
— V : Volk et Fuchs : Weltspr'ache (1883) 202
— VI : Courtonne : Langue internationale néo-latine {\%'^^).. . 272
— VII : Steiner : Pa.tilin'gua (1885) 280
— VIII : Eichhorn : Weltsprache (1887) 294
— IX : D'^Zamenhof : £5/jerfln/o (1887) 304
— X : The American Pliilosophical Society (1887-88) 304
— XI : Bernhard : Lingua Franca Nuova (1888) , 372
— XII : Lauda : Kosmos (1888) 373
— XIII : Henderson : Lingua (1888) Qi Latinesce (1901) 380
— XIV : P. Hoinix : ^/î^ifo-/'>ancrt (1889) 393 *r
— XV : Stempfl : Mgrana (1889) 401
— XVI : Stempfl : Communia (1894) 408
— XVII : D"^ Rosa : A'ov Latin (1890) 415
— XVIII : Julius Lott : Mundolingue (1890) 421
— XIX : Liptay : Langue catholique (1890) 436
— XX : Mil! : Antivolapùk (1893) 443
— XXI : Heintzeler : Universala (1893) 449
— XXII : Beermann : Novilaliin (1895) 457
— XXIII : Le Linguist (1890-97) 408
— XXIV : Puchner : Nuove-Roman (1897) 477
— XXV : Kûrschner : Lingua komun (1 000) 480
— XXVI : Akademi internasional de lingu universal : hliom
neutral (1902) 484 V^
Critique générale 507
Chapitre final : Les langues mortes 515
Isly : Linguum Islianum (1901) 542
Frôhlich : Reform-Lalein (1902) 543
Conclusion 547
Errata 57O
Index des noms propres 571
336-03. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 9-03.
LES NOUVELLES
LANGUES INTERNATIONALES
AUTRES OUVRAGES DE M. COUTURAT
De Platonicis mythis, thèse latine (épuisée).
De l'Infini mathématique. Un vol. in-8° (Paris, Alcan, 1896).
La Logique de Leibniz, cVaprès des documenls inédits. Un vol. in-S"
(Paris, Alcan, 1901).
Opuscules et fragments inédits de Leibniz, extrails des manuscrits
de la liibliolhèque royale de Hanovre. Un vol. in-4° (Paris, Alcan, 1903).
Pour la Langue internationale. Une brochure in-lC, 1901.
Die internationale Hilfssprache. Une brochure in-iO, 1902.
A Plea for an International Language. Une brochure in-16, 1903.
Per la Lingua internazionale. Une brochure in-16, 1907.
(L'auteur «lislribue gratuitement ces quatre brochures.)
L'Algèbre de la Logique. Un vol. in-12 de la collection Scienlia (Paris,
Gauthier-Villars, 1905).
Les Principes des 'M.a.thérasitiques. avec un appendice sur la philosophie
des mathématiques de Kanl. Un vol. in-8" (Paris, Alcan, 1005).
AUTRES OUVRAGES DE M. LEAU
Étude sur les équations fonctionnelles à une ou à plusieurs
variables, thèse pour le doctorat es sciences mathématiques (Paris,
Gauthier-Villars, 1897).
Représentation des fonctions par des séries de polynômes (Bul-
lelin de la Société mathématique de France, 1899).
Recherche des singularités d'une fonction définie par un déve-
loppement de Taylor {Journal de Mathématiques, 1899).
Une langue universelle est-elle possible? Appel aux hommes de
science et aux commerçants. Une brochure in-16 (Paris, Gauthier-Villars,
1900).
Etude sur les fonctions entières orientées, d'ordre réel non entier
{Annales scientifiques de VÈcole normale supérieure, 3" série, tome XXll,
1906).
1253-07. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 9-07.
LES NOUVELLES
LANGUES INTERNATIONALES
SUITE A L'HISTOIRE DE LA LANGUE UNIVERSELLE
L. COUTURAT L. LEAU
Docteur ôs lettres Docteur es sciences
Trésorier Secrétaire général
de la Délégation pour l'adoption d'une lanf/ue auxiliaire internationale
En vefxte chez le trésorier de la Délégation :
M. L. COUTURAT, 7, rue Pierre -Nicole, Paris (5«).
AVANÏ-PROPOS
Plusieurs membres du Comité de la Délégation pour
Vadoplion d'une langue auxiliaire internationale nous ayant
demandé un rapport sur les plus récents projets de L. I. et
sur les diverses opinions ou propositions émises à ce sujet,
nous avons divisé notre travail en deux parties. La première,
(jui forme la présente brochure, constitue un simple complé-
ment à notre Histoire de la Langue universelle : elle contient
l'analyse des projets parus depuis la publication de notre
Histoire (1903, 2" tirage 1907), et de ceux qui, antérieurs à
cette date, ne sont venus à notre connaissance que depuis
lors. Et comme elle se réfère uniquement à des documents
publiés, nous croyons pouvoir et même devoir faire profiter
le public de ces informations et le mettre à même de se
faire une opinion. La seconde comprendra toutes les pro-
positions et opinions que nous avons reçues par correspon-
dance privée, avec mission de les présenter au Comité ; elle
constituera un Rapport au Com;7e qui, pour le moment du
moins, ne sera pas publié.
Dans la présente brochure nous avons suivi exactement
le même plan que dans notre Histoire, mais nous nous
sommes abstenus de toute critique, tant pour observer l'im-
partialité obligatoire que pour réserver la liberté de juge-
ment du Comité. Nous avons cru bon de dresser un Tableau
synoptique des principales langues à posteriori, pour rendre
la comparaison plus facile, et faire ressortir leur remarquable
convergence (voir la Conclusion de notre Histoire, p. 550 et
suiv.). M. MoLENAAR a publié un siMiiblable tableau pour
dix langues, mais nous en avions déjà lidée en composant
notre Histoire.
ABRÉVIATIONS ET SIGNES
D.
= allemand (deutsch).
E.
= anglais (english).
F.
= français.
G.
= grec (ancien).
I.
= italien.
L.
= latin.
P.
=: portugais.
Pol.
= polonais.
H.
= russe.
S.
= espagnol.
L. I.
= langue internationale.
m.
= masculin.
f.
= féminin.
n.
= neutre.
s.
= singulier.
pi.
= pluriel.
P-
= personne.
litt.
= littéralement.
Les lettres égyptiennes indiquent les mots delà langue artificielle
étudiée; les lettres italiques indiquent les mots correspondants des
langues naturelles (du français, quand il n'y a pas d'autre indi-
cation).
INDEX DES NOMS PROPRES
Akademi iiUernusional de Liiuju uni-
vt-rsal : 47-50, oO, 58.
Beermann : .)2, 99-110.
Belmont (Loo) : 26.
Blaia Ziinondal : 1-2.
BoiHAC : :t8.
BoLLACK : 15, 58, 63, 80, 81.
BoNTO VAN Bylevelt : 50, 57-58.
Braak-man : 45-46.
Bhicahd : 43.
Brïkimann : 35.
Cahpophorophills : 23-24.
Cart : 36, 41, 42.
Cefec : 36.
Chambonnaud : 58.
Chavet : 35.
Cipolla : 72.
coutlbat : 70.
Devjatnin : 26.
DUpok : 111.
DoMBROwsKi : 26.
Dyer : 111.
Eir.iiiiORN : 23.
Eksdsioro : 90-91.
Esperanlo : 3, 15, 25-44, 63, 80, 81,
87-89, 90-91, 94, 96, 97, 100, 109,
110.
Gahnier (Clir.) : 85.
Gernet : 110.
Go LOB erg : 2(').
gottsciiling : 111.
Grabowski ; 26-27, 30. 34, 38.
Greenwooo ; 90-93.
HÉLY : 16-19.
Il(*:ssRi(;ii : 13-15.
Holmes : 47.
Hl'mmler : 77-79.
Hlntinoton : 43.
Idioin Neulral : 15, 34, 35. 47-58, 80,
110.
Javal : 25, 39, 42.
Lakeman : Ml.
Langue bleue : v. Bollack.
Latiuo sine Jlr.rione : 19, 70-76.
Leibniz : 1, 16, 23, 70, 74.
Leskien : 81.
Limjua inlernacional : 80-86.
lAmjna lucidu : i 1 1 .
Linguist : 34, 42, 99.
Mackenskn : 50, 58.
Marchand : 111.
MÉNIL (F. (le) : 36.
Mebiuoi : 1-2.
Michaux : 38, 41, 73.
Miller : 56.
MocH : 41, 42.
Molee : 59-62.
MoLENAAH : 50, 51, 63-69.
Mondlingvo : 87-89.
Mundelinyra : 77-79.
Mundolinco : 45-46.
munstehiierc. : 35.
Nicolas : 58.
Novilalin : 99-110.
Nov L/ttin : S I .
OsTWALi) : 35.
Pa(.lier() : 72.
Pankd : 20-22, 98.
l'anromun : 63-69.
Parla : 94-98.
IVvssY (Piuil) : 85.
l>EANO : 70-76.
Peltier : 41.
Pereira : 85.
Perio : 3-11.
PiNTii : 56-57.
VIII
INDEX ALPHABETIQUE
Platon : 1.
RoDET : 41.
RoLLET DE l'Ile : 43.
RosA : 81.
RosENBERGER : 25, 47-48, 49, 50-51,
5355.
Saussure (R. de) : 41.
ScHMiDT (Chr.) : 34, 38.
Schneeberger : 41.
Sebert : 41.
SoLBRiG : 24.
Spitzer : 94-98.
Studer : 8a.
Tal : 13-15.
Talundberg : 3-li.
Tbischen : 87-89.
Trompeter : 34.
Tutoiiish : 59-62.
LUa : 91-93.
Universal : 63-69.
Vacca : 70.
Verax : 43.
Volapiik : 3, 15, 03, 77, 88, 93, 94.
Waiil (K. (le) : 34, 51-53, 54, 53.
Wald : 20-22.
Wasserloos : 3.
Zakrzewski : 80-86.
I Zamenhof : 0, 18, 25-44, 32, 110.
LES NOUVELLES
LANGUES INTERNATIONALES
SYSTÈMES A PRIORI
C. MERIGGI : BLAIA ZIMONDAL^
L'auteur de ce projet est professeur à l'Institut technique de
Como (Italie). Reprenant, peut-être à son insu, une idée de Platon
«t de Leibniz -, il part de ce principe que chaque son (voyelle
•ou consonne) a un sens général correspondant à son mode de
formation physiologique; ainsi a exprime ce qui est grand,
fort, haut, blanc, en avant, étendu; i, ce qui est petit, fin, aigu,
moyen, intérieur; u, ce qui est bas, sombre, lourd, lointain,
futur; de même, p symbolise et suggère les idées de force,
poids, pression, coup, chute; k, les idées de solidité, de séche-
resse; I, les idées do Huidité, de mollesse, d'élasticité; r, les idées
de bruit, de rotation, roulement, rapidité; et ainsi de suite. Les
combinaisons des voyelles et des consonnes deux à deux prennent
<lcs sens déjà plus complexes, résultant du sens simple de chaque
lettre : fl désignera les fluides et liquides; bl, la parole; kr, les
machines et armes; pr, la pression bruyante, etc. Avec ces élé-
ments on formera des radicaux monosyllabiques correspondant
\. \y Ccsare Mebiggi : Blaia Zimondal, I vol. in-16 de 247 pages, Pavia,
Fusi, 1884.
2. Voir notre Histoire, p. 94 et 126.
CouTURAT ET Leau. — NouvcUcs L. l. i
2 SYSTÈMES A PRIORI
à des idées précises : kl désignant la construction en général,
et am l'amour, klam sera la maison (la construction qu'on aime
le ijiieux), puis klem la chambre à coucher, klim le cabinet, klom
le salon, etc. C'est ainsi que hlaT=^ parler, et blaia = langue. On
conçoit dès lors que toutes les racines de sens voisins se forment
par des combinaisons et variations de voyelles et de consonnes.
C'est ce que montre un tableau des radicaux dérivés de la
racine kl, qui désignent tous des idées relatives aux corps
étendus aux constructions naturelles et artificielles. Ce procédé
rappelle celui des langues philosophiques. Inutile d'ajouter que
les mots de cette langue sont absolument à priori, et ne rap-
pellent presque jamais les mots correspondants de nos langues,
sauf en cas d'onomatopées : baua = aboyer, meua = miauler, url =
hurler, uul == ululer. Parmi les rares radicaux reconnaissablcs
citons : lan = pays, kar = char, bank = banc, sak = sec, ordo =
ordre, ses = sexe, voa = voix, skriv = écrire, d'où vluskrivo = télé-
graphe. Mais viando signifie voyage, kranda = machine, kland = hôtel,
iliiO:= vapeur, sinfo = aliment, kling = musée, klang = ville, iTmSL =
profession, fandea = science, emo == affection, fuo = te,mps, sain =
personne, men == femme, kenv = meuble, aran = roi, arman =
prince, sark = maître, alpistan = président, kask = banc, park =
imposte, mond := nation (d'où zimondal := international).
Nous croyons pouvoir nous dispenser d'analyser la grammaire
du Blaia Zimondal. Les indications précédentes suffisent à montrer
le caractère de cette langue, qui a coûté sept années de travail
à son auteur, et pour laquelle il a renoncé depuis longtemps à
toute prétention.
M. TALUNDBERG : PERIO •
Le Perio serait l'œuvre d'un écrivain et auteur dramatique
(Manniis Talundberg est manifestement un pseudonyme) qui
aurait laissé à M. K. Wasserloos, d'Elberfeld, le soin d'éditer
son projet ; mais il ne lui en aurait remis que la < charpente »,
de sorte que l'éditeur serait devenu un collaborateur, et cela
explique qu'il commente et défende le Perio comme son ceuvre
propre. 11 commence par dire pourquoi les autres L. I. ne le
satisfont pas, et critique le Volapiik et VEsperanto. Il blAme prin-
cipalement celui-ci de composer son vocabulaire de mots iater-
nationaux, c'est-à-dire de « mots étrangers » (comme les appel-
lent les Allemands), parce qu'ils ont souvent des significtitions
différentes dans les diverses langues, de sorte qu'ils prêtent à
des contresens. L'auteur raisonne d'ailleurs comme si chaque
Espérantiste devait se former soi-même un vocabulaire en com-
pulsant « une douzaine de dictionnaires coûteux ». Il reproche
aussi à VEsperanto la longueur de ses mots, ses finales aj, oj, uj,
peu harmonieuses, et la fréquence des i accentués (io, tio,
kio, etc.). Le Perio tient au contraire à n'avoir que des racines
monosyllabes, et pour cela il écourte les racines naturelles en
les réduisant à la syllabe la plus caractéristique. En outre, il
prétend soulager la mémoire, mieux encore que l'Espéranto par
ses dérivations, en employant la môme racine pour aller et pour
jambe (vani, vano), et en formant les mots de sens analogue ait
moyen dune même racine dont on fait varier la voyelle : vita =
blanc, vata = noir, vuta = gris ; nama = grand, nima = petit. C'est
en ce sens que le Perio est « fondé sur la logique et la mnémo-
technie ».
1. Perio, cine auf Logik und Gedàchlniskunst aufgebaule Wellsprache z
1. Die Sfellunt/ des Perio zu dcn andern (lebenden und kiltistlic/ien) Well-
sprachen (46 p.); II. Lehrbuch enthallend ausfûhrliche Grammatik, Wort-
und Salzlehre, u. s. w., von Mnniuis Talundbero (08 p.). Elberfeid, Was-
serloos, 1904.
SYSTEMES A PRIORI
Grammaire.
Valphabet comprend les 25 lettres de l'alphabet latin : c pro-
noncé ch, j comme en F., q prononcé à peu près gn, y prononcé
[aï, D, ei), plus les digrammes : ch {tch), ii (yi), zs ou sz [dj). L'au-
teur donne de minutieuses règles de prononciation. Il proscrit
les majuscules.
L'accent tombe en général sur la première syllabe du radical,
mais sur la dernière syllabe des formes passives du verbe, et
sur l'avant-dernière des noms propres, ce qu'on marque par
un accent grave sur la dernière : vaciqtonù = Washington.
Varticle défini est il, l'article indéfini un.
Les substantifs se terminent en général en o, sauf les mascu-
lins en u, et les féminins en y : homo = homme (espèce), homu =
homme, homy =: femme. En outre, la finale i forme h la fois l'infi-
nitif des verbes et les substantifs de qualité : nami = être grand
= grandeur.
Ainsi le nominatif singulier des substantifs se termine en o, u,
y ou i. Le génitif se forme en ajoutant 1, l'accusatif en ajoutant
n : regul = du roi. Le pluriel se forme en ajoutant s aux formes
susdites : homuls = des hommes.
L'accusatif s'emploie pour désigner le lieu où l'on va, ou môme
la direction : mi vanat parizon ^j'allais à Paris.
Vadjectif se termine en a et est invariable. Vadverbe dérivé a
pour désinence e.
Les noms de nombre de 1 à 10 sont : un, tem, tir, vor, kin, zek,
Zip, ok, nop, us; ceux de 11 à 19 se forment en préfixant un s
aux précédents : sun, stem,...; tes =^20, tis= 30, vos = 40, etc.;
uq = 100, teq = 200, tiq = 300, etc.; ul = 1000, suq = 1100;
tel = 2000, til = 3000, etc.; uns = 10000; uqs = 100.000; uls =
un million.
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant a (pour les adjec-
tifs), 0, u, y (pour les substantifs), e (pour les adverbes).
Les pronoms personnels sont :
Singulier :
Pluriel :
En outre, il est le pronom impersonnel; lu = quelqu'un, ii =
on. Tous ces pronoms prennent n au cas indirect :min, vin, lin... ;
ire
2«
3' m.
3« f.
3« h.
mi
vi
ii
la
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lu
lu
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TALUNDBERG : PERIO
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g, SYSTÈMES A PRIORI
mim, vun, lun...; vi est ta; on emploie vu par politesse pour une
seule personne.
Le réfléchi (pour la 3" pers.) est si; hi marque la réciprocité
{Vun l'autre). Ces deux derniers sont invariables, car ils sont
essentiellement au cas indirect.
Les adjectifs possessifs se forment en ajoutant aux pronoms
personnels un 1 : mil, vil, lil, lai, loi; mul, etc. Les pronoms pos-
sessifs ajoutent à ces adjectifs une des finales o, u, y : il milo =
le mien (neutre); il vulu = le vôtre (masc); il muly = la nôtre-
(fém.).
L'auteur, qui admire le tableau de particules cori'élatives
imaginé par le D"" Zamenhof, Ta imité et développé dans le
tableau ci-contre, que nous allons expliquer brièvement : les
interrogatifs-relatifs commencent par k; les démonstratifs par
t; les universels par c; les négatifs par n; les indéfinis par i; on
y ajoute des particules signifiant identité ou diversité, com-
mençant respectivement par sam et j)ar sim. Enfin ces derniers
deviennent interrogatifs par l'intercalàtion de k'.
La conjugaison s'effectue suivant le paradigme que voici :
Irif.. prés :
— passé ;
liid. prés. :
— passé :
— pl.-q.-p.
— futur :
— fut. ant.
Cdnd.-prés.
— passé
Imp. sing. :
— plur. :
Part. prés.
— passé
A(
:tif
PASSIF
vidi
= voir.
vidi h
= être vu.
vidati
= avoir vu.
vidai
= avoir été vu.
mi vidit
= je vois.
mi viditt
=je suis vu.
— vidât
'^j'ai vu.
— vidatt
= j'ai été vu.
— vidaat
= j'avais vu.
— vidaatt
= j'avais été vu,
— vidut
= je verrai.
- vidutt
= je serai vu.
— vidant
= j'aurai vu.
— vidautt
:=f aurai été vu
— vidot
=: je verrais.
— vidott
= je serais vu.
— vidaot
= j'aurais vu.
— vidaott
= j'aurais été vu.
videt
= vois.
vidett
= sois vu.
videts
= voyez.
videtts
= soyez vus.
vida
= voyant.
viditah
= wu(àprésent).
vidata
= ayant vu.
vidah
= (qui a été) uu 2.
i. On remarque que l'auteur ne distingue pas entre ceci et cela, sauf pour
le li(!u (ici, là) ; qu'il ne distingue pas quelque de quelconque (D. irr^end) ;
mais, d'autre part, il emploie logiquement kar ... tar pour exprimer p/w* ...
plMs (D. je ... desio). Les pronoms en u et y sont respectivement mascu-
lins et féminins.
2. L'auteur n'indique pas comment on fera sentir l'h final, ni comment
on distinguera en finale les deux t du t simple.
TALUNDBERG : PERIO 7
Le verbe sasi {élre et devoir) a une conjugaison exceptionnelle :
il se réduit aux désinences verbales : it, at, aat, ut, aut, ot, aot,
et, ets, ata, ati, sauf à l'infinitif (sasi) et au participe présent
(sasa). Son passif sasih (devenir) est régulier.
L'i/i/t/u^t/pcut être employé comme substantif (ainsi qu'en D.) :
il viki =^ la victoire ; il vikihs = les défaites.
Le verbe engendre des substantifs verbaux des 3 genres : il
vidu = le voyant ; il vido = Vœil (voyant, neutre) ; il viditoh = le
spectacle (qu'on voit), ilvidoh=: la chose (qu'on a) vue.
Pour former le verbe réfléchi, à toutes les personnes, on inter-
cale un q avant la finale : sapiq = se laver, min sapiqt ^=^je me lave.
Les prépositions offrent des formes corrélatives du sens : sir = au-
dessus de, sur =: sur, sar = sous ; in = dans, an = hors de ; aq = avant,
iq = après, eq = entre ; par = pour, pir = contre, per = au moyen
de ; za = depuis, zi^= jusqu à; tel ^ par rapport à; etc. Elles ont
d'ailleurs des sens divers suivant qu'elles s'appliquent au lieu,
au temps, aux nombres, etc. Elles engendrent des substantifs,
des adjectifs et des verbes au moyen des finales convenables :
paru = ami ; reli = être en relation avec ; péri = être intermédiaire ;
d'où le nom de la langue : perio = l'intermédiaire.
Elles peuvent être employées sans changement comme adver-
bes : sir =plLis que, sar = moins que ; in = inclusivement, an = exclu-
sivement; for =■ loin de et loin.
Elles engendrent en outre les conjonctions correspondantes
par simple adjonction de s: Siqs := avant que, iqs = après gue ;
pers = par le fait que.
Vocabulaire.
Les racines sont généralement monosyllabiques ; et, pour
obtenir plusieurs racines de sens analogues, l'auteur fait varier
la voyelle ; de sorte que, lors même qu'une racine est plus ou
moins a posteriori (empruntée à une langue vivante), les autres
sont entièrement a priori. Voici des exemples de cette méthode
de formation des racines : chano = chaîne, chono = câble, chuno
= corde, cheno = cordon, chino =fil, — faso = espace, foso = corps,
fuso = surface, feso = ligne, fiso = point.
Dans les séries complètes (de 5 mots), l'ordre des voyelles est,
comme on voit : a, o, u, e, i. Il y a des séries moins complètes,
de 2 ou 3 mots ; mais toujours le mot en a a le sens fondamental,
3 SYSTÈMES A PRIORI
le mot en i a le sens diamétralement opposé, et le mot en u a uiï
sens intermédiaire. Voici quelques exemples de ces séries :
jalo
= gorge
julo
= coa
jilo
= nuque
stamo
=: rame
stumo
= voile
stimo
= vapeur
dafo
= matin
dufo
= midi
difo
:= soir
date
= hier
dute
= aujourd'hui
dite
= demain
naki
= enfanter '
nuki
= vivre
niki
= mourir
bala
= beau
bula
=: gracieux
bila
= laid
laci
= rire
lici
= pleurer
zana
= bien portant
zina
^= malade
jana
= jeune
jina
= vieux
paxo
= paix
pixo
= guerre
kabo
= cap
kibo
= golfe
cara
= cher
cira
= bon marché
blami
= blâmer
blumi
= critiquer
blimi
= louer
sali
= bavarder
sili
= se taire
kladi
= fermer
klidi
= ouvrir
mago
= mont
migo
=z vallée
vaqi
= vendre
viqi
■= acheter
vani
= aller
vini
= venir
dao
= diable
dio
= dieu
chalo
= mer
'hulo
= terre
chilo
= ciel
lako
= lac
liko
= île
davo
= nuit
divo
— jour
grad
= degré aa-des
grid
= degré au-deS'
sus
de 0
sous de 0
Souvent, au lieu d'une opposition, il y a une simple gradation
entre les mots de chaque série. Exemples :
chapo ^= chapeau chupo =: bonnet chipo = bonnet de nuit
dravi == aller en voi- druvi = aller à bicy- drivi = aller à cheval
tare dette
drovi = aller en chemin de fer drevi -= voyager
chabi = grêler chnhi = neiger chibi =: pleuvoir
bapu = prêtre bupu — curé bipu = moine
savi = savoir suvi = croire sivi = douter
1. La « logique • exigerait que ce mot signifiât naître.'
TALUNDBERG : PERIO
mavi = être en repos
mivi
= se mouvoir
iazo = canon
fuzo
= fusil
fizo
= pistolet
glavo = lance
gluvo
= sabre
glivo
= épée
gapo = sabot
gupo
= iirijfe
gipo
= ongle
cato := heure
cuto
= minute
cito
= seconde
faqo :=: orteil
fiqo
= doigt
palo = pieu
pnlo
= colonne
pilo
= pilier
harpo = harpe
hirpo
= lyre
piano = cave
pluno
= étage
plino
= grenier
maro = plancher
muro
= mur
miro
^= plafond
Souvent môme il n'y a aucune relation définie entre les mot»
d'une même série :
frazi = raser
japo =^ robe
lapo = hanche
kajo =: matelas
zako = sac
brato =: selle
fruzi = tondre
jupo =: japon
kujo = traversin
zuko ^ poche
bruto = mors
frizi = friser
jipo := corsage
lipo ^= /at7/e
kijo =: oreiller
ziko = enveloppe
brito = re/ie
Le plus bel exemple de gradation est le suivant (où intervient^
on ne sait pourquoi, le diminutif id, alors qu'on disposait encore
de 2 voyelles) : chako = corps d'armée, chakido = division ; chuko
= régiment, chukido = bataillon ; chiko = compagnie.
Pour la dérivation, nous avons déjà vu les dérivations immé-
diates des substantifs et des verbes. L'auteur définit les sens
divers que prend le verbe immédiatement dérivé d'un substantif :
1" consister en — : feri = être enfer; 2» employer — (un ustensile) :
gumi = gommer ; kafi = boire du café ; fuzi = tirer d'un fusil ;
3° faire un mouvement de — (une partie du corps) : kapi = incli-
ner la tête ; 4° être atteint de — (une maladie) : varioli = avoir la
variole ; 5° être en — (un lieu), habiter : varsovi = habiter Varsovie.
Le substantif immédiatement dérivé d'un nom de lieu désigne
l'habitant : varsovu =: Varsovien. L'adjectif immédiatement dérivé
d'un verbe a le sens du participe actif : bâta = battant, vida =
voyant.
Il y a des désinences caractéristiques pour les substantifs : io
sert à dériver, des noms de parties du corps, les noms de vête-
ments ou ornements : julio = col ; des noms de métaux, le nom du
minerai : ferio= minerai de fer; des noms de matières, les noms
.jQ SYSTÈMES A PRIORI
d'animaux correspondants : elefo = ivoire, elefio = éléphant ; des
verbes, le nom du résultat de l'action : fuxi = trouver, fuxio =
invention ; des noms de villes, le nom d'un produit : faenso, faensio ;
des noms d'habitants, les noms de pays : fransu, fransio ; rusio ;
rigu = roi, rigio = royaume (rigiu = habitant d'un royaume).
Il y a un certain nombre de préfixes : d'abord des i)répositions
déjà connues, comme an, in; puis des prélixes proprement dits,
comme af, qui signifie commencement, uf, milieu, et if, fin ; das,
■ensemble, et dis, séparément ; ad, très ; id, médiocrement ; ud, mal
(en quantité) ; enfin des préfixes qui se réduisent dans récriture;
à une seule consonne (appelée sigle) : le =: plus, me = le plus
(degrés de comparaison) ; ni = non (négation); re signifie retour
ou répétition, etc.
Il y a d'autre part un très grand nombre de suffixes. Pour les
substantifs on a : ad augmentatif, id diminutif, ud péjoratif; an
et in forment des noms de lieu : granino = grange, granano =
grenier ; un désigne un élément : granuno = grain de blé ; ar forme
des collectifs : bamo := arbre, bamaro z= forêt; abo désigne ce qui
porte : gazabo = bec de gaz ; ibo, ce qui contient : skaribo =^ étui à
cigares ; ubo, ce qui tient : skarubo = fume-cigare ; ajo, ijo, ce qui
est formé d'une matière : linajo =; étoupe; avu, le possesseur {qui
■a) ; etu, le chef : cipetu = capitaine (de navire) ; aso, l'os : bragaso
= os du bras ; oxo, l'oxyde, exo, Vacide ; uzo, l'outil ; opo, la machine,
le moteur : stimopo = machine à vapeur. Il y a toute une série de
suffixes pour l'histoire naturelle (caractérisant les mammifères,
les oiseaux, les poissons, etc., etc.).
Pour former les adjectifs dérivés, on a : aca = plein de, uca =
riche en, ica = vide de ; oja := digne de ; uka = qui peut; diruka =
disert; eba = qu'on peut; videba = visible; rela = relatif à; oda =
qui a la couleur de; pira = contraire à.
Pour former les verbes dérivés, on a : agi = faire, ogi = pré-
parer : kafogi = faire le café ; ugi = fabriquer (d'où les dérivés en
ugo pour désigner la machine à fabriquer — ) ; igi = faire (faire) :
savi =: savoir, savigi = faire savoir ; emi = tendre à, imi = haïr ;
isi = s'occuper de (par penchant ou profession) : budaisi = boud-
dhisme (budaisu ^ bouddhiste) ; ivi = munir de ; oci = crier comme :
azinoci =r braire ; edi = manger : dafedi = déjeuner (du matin).
La composition des mots se fait comme en allemand, le mot
principal à la fin : dirrumo = parloir (diri = parler, rumo =
chambre).
TALUNDBERG : PERIO H
l.e Perio s'assimile les noms propres en leur imposant ses dési-
nences et une orthographe phonétique approximative : cicerù,
penelopy. parizo, londono.
Il forme les noms de tendresse au moyen de id (diminutif):
karlidu = Chariot, karlidy = Charlotte. Il exclut les noms de ten-
dresses nationaux (russes ou anglais) qui défigurent le nom ori-
ginal {Sacha, Bob, Dick).
SYSTÈMES MIXTES
À. IIŒSSRICH : TAL i
Le Tala été publié sous la forme d'un journal, Talnovos, d'abord
mensuel, puis irrégulier, dont nous n'avons reçu que 5 numéros ;
et l'auteur a disparu. D'autre part, dans le 'ï* numéro, l'auteur
disait à un correspondant que l'on ne pouvait porter un juge-
ment sur le Tal que lorsqu'il serait complètement publié. C'est
donc sous toutes réserves, et simplement par acquit de con-
science, que nous allons donner un aperçu de cette langue.
Dans chaque numéro du TaZ/ioyos l'auteur donnait, non seule-
ment des tranches de grammaire et des extraits de son vocabu-
laire, mais des t exercices de conversation ».
Son alphabet comprend t5 voyelles, les 5 premières seules
« obligatoires » : a, e, i, o, u, les autres « facultatives > : à, ô, û, à
yaou)^ î (aï), û {oi), et les nasales a, i, o, u (surmontées du tilde
espagnol) ; et 27 consonnes : b, c (s), d, f, g (dur), h (c/i), j (J F.), k,
1, m, n, p, r, t, v, x [gn), y (j D.), z ; e (è ouvert). 3 (c/iD.), j (/i),
une lettre russe qui représente Ve atone (dit muet) et que nous
remplacerons par 9, enfin 4 lettres accessoires ; q (= m), r, {= n),
s (=z), j (=y), qui servent à indiquer que la voyelle précédente
est atone; et une lettre muette w.
Une voyelle est brève quand elle est suivie de deux consonnes
(semblables ou non).
Les substantifs ont deux déclinaisons, suivant qu'ils sont déter-
minés ou indéterminés. Et leur radical a même deux formes :
1. Talnovos, Monalsschrift fur die Einrûhrimg und Yerbreilung der
allgemeinen Verkehrssprache Tal, journal publié par Albert IltxssRicu
(Sonncberg, Thuringe). 5 n"', d'avril 1903 à mars 1904.
J4 SYSTÈMES MIXTES
pour obtenir le sens déterminé, on redouble la consonne finale :
manno {homme) au lieu de mano. Voici les deux paradigmes du
singulier.
Déterminé. Indéterminé.
N. manno mano
G. manni mani
D. mannu manu
A. manna mano
Le pluriel se forme en ajoutant, soit s, soit j aux formes du
singulier (suivant que le mot suivant commence par une voyelle
ou une consonne). Il peut se former en outre au moyen des deux
séries de désinences suivantes :
Indéterminé.
ono
eni
ann
ana
qui sont remplacées respectivement par aro, ari, aru, ara quand
le radical se termine par un m ou un n. En somme, cela fait
20 désinences pour le pluriel des substantifs.
Bien que les deux formes, déterminée et indéterminée, semblent
tenir lieu d'article, il y a deux articles, défini et indéfini, chacun
sous deux formes : invariables, el, un (et alors le substantif se
décline); variables, lo, 11, lu, la; uno, uni, unu, una, et alors le
substantif reste invariable.
Chaque pronom personnel a une double forme :
Déterminé.
N.
amo
G.
ami
D.
amu
A.
ama
l'« p. s.
•2« p. s.
3» p. s.
1" p. pi.
2e p. pi.
3« p. pi.
a
0
i
a
0
i
he, je
te, de
le, fe, ze
ve
ke, ge
pe, be
Les formes de la 2« ligne comportent la distinction des genres.
Les pronoms possessifs sont les voyelles a, o, i, u, o, i préfixées.
Il y a deux conjugaisons, une synthétique, et une analytique. La
synthétique s'obtient en ajoutant au radical verbal les désinences
suivantes : a pour l'infinitif et Timpératif, eri pour le présent, eq
pour l'imparfait, aq pour le parfait, arav) pour le plus-que-par-
fait, aq pour le futur, araq pour le futur antérieur, uq pour le
conditionnel présent, aruq pour le conditionnel passé; arx pour
A. IIŒSSRICU : TAL 1»^
le participe présent (actif), ew pour le participe passé (passif). Le
passif se compose de la désinence de temps suivie du participe
passé. La conjugaison analytique consiste à mettre ces désinence&
devant le radierai, comme mots indépendants. Il y a une forme
abrégée pour lo présent.
Le T«/ devait avoir trois styles (comme le Volapûk), distingués
par l'emploi de certaines formes. Le style inférieur ne vise qu'à
la clarté; le style moyen vise en outre à l'euphonie; le style
supérieur, le plus riche en formes, réalise en outre la brièveté ;
il est « léger, rythmique et esthétique ». Telles sont les qualités
que l'auteur attribue à sa langue, en y ajoulant une grande
facilité d'ac(piisition. Il prétend en outre qu'elle est supérieure
à l'Espéranto, qui ne tient pas suffisamment compte des lois de
la phonétique et de la « philosophie du langage ».
Voici un extrait du Vocabulaire : mano = homme, femo ^= femme,.
nino = enfant ; pato =ipère, mato = mère ; cono = soleil, luno = lane,
ctelo = étoile ; pano =pain, vino = vin, biro = bière, lato = lail, buta
=: beurre, vato=^ eau, hugo — sucre, timo = temps, lano^= an, meco
= mois, veko = semaine, dago ^=jour, noco = nuit, rano = malin, cero
:=soir, ctundo = heure; bomo = arbre, floro = fleur; maro ^ mer,
rivo :=rii'tV're,lago = /ac.
Comme on voit, l'auteur choisit des racines aussi courtes que
possible, sans s'inquiéter de leur internationalité.
Voici une phrase spécimen do Tal :
Vidoy ar, uje bukka nova, ka apato doneq ère lu cor amigi?
L'auteur la compare à ses traductions en Espéranto : Cu vi jam
vidis la novan libron, kiun mia patro donis hieraù al la fratino de
mia amiko? et on Idiom Xeutral : Eske vo av vised ya libr nov,
kekos mie patr av doned presidiurne a soror de mie amiko?
Et il constate avec satisfaction que sa phrase ne contient que
12 mots, 22 syllabes, 44 lettres, tandis qu'en Espéranto elle en
contient respectivement 18, 31, 69 et en Neulral : 18, 31, 68 '.
1. Los nombres correspondants sont, pour lo fran(;nis : 19, 2i, 04 ; pour
l'jiuiilais: 1(5, 22, 71; jMmr ralloiuanil : 17, 29, 90; pour le Volapiik : 14, 26,
.19 ; et pour lo Bola/i : 10, 32, 49. Le Tal est donc le plus court ù tous les
points de vuo.
V. HÉLY : ESQUISSE D'UNE GRAMMAIRE^
M. Victor HÉLY, docteur es lettres, curé de Bize (Haute-Mnrne),
avait terminé l'élaboration d'une grammaire de langue artificielle,
quand il eut connaissance, par notre Histoire, du programme
tracé par Leibniz pour une langue universelle. 11 constata alors
une analogie remarquable entre ses idées et celles du grand
philosophe, et cela l'encouragea à publier son Esquisse d'une
/grammaire, sans prétendre par là réaliser l'idéal de la L. 1. La
d'*^ partie (seule parue) est consacrée aux mots et à la syntaxe;
4a 2" doit traiter de la prononciation et de l'orthographe. Toute-
fois, l'auteur dit qu'on donnera aux voyelles le son (Qu'elles ont
en espagnol et en italien.
La langue, devantavoir pour base le latin, aurait pour alphabet
l'alphabet latin.
L'article défini est dar (D. der), invariable.
Les substantifs sont invariables. Le signe du pluriel est la parti-
<cule es, placée devant le substantif (et après l'article) : dar pater
^= le père, dar es pater = les pères.
De même, le genre (naturel) est indiqué, s'il y a lieu, par les
particules o (m.), a (f.) au singulier, os, as au pluriel, placées
'Comme es : dar os canis = les chiens, dar as canis = les chiennes.
JSaturellemcnt, on ne les emploie pas avec les noms qui sont
masculins ou féminins par le sens (frater, soror; gallus, gallina).
Les cas sont remplacés par des particules : ge (génitif), da
(datif), ac (accusatif), ab (ablatif), même vo (vocatif). L'auteur
fait remarquer que ac ressemble à la préposition espagnole a
•qui sert à désigner le régime direct. Ces particules se mettent
avant l'article, comme des prépositions. Ce système s'applique
1. Esquisse d'une grammaire de la langue internationale conforme aux
idées de Leibniz et aux meilleurs des plus récents prograinmes, par Victor
HÉLY, 1'" partie -.Les mots et la syntaxe (Langres, iinpr. Martin-Berret, 1905).
V. IIKLY : ESQUISSE d'UNE GRAMMAIRE 17
non seulement aux sul)stantirs, mais aux pronoms, et à tous les
noms étrangers, si bizarres qu'ils puissent être.
L'adjectif 69,1 également invariable. Ses degrés se forment au
moyen d'adverl)es : plus, minus, magis, etc. Les adverbes dérivés
se forment au moyen de la finale e.
Les nombres cardinaux sont : un, du, tri, quat, quin, sex, sept,
oct, nav', dec; dec un, etc.; dudec, etc.; cent, mil.
Four ies pronoms personnels, l'auteur hésite entre plusieurs sys-
tèmes a priori (em, tem, sem, nés, ves, les) et les pronoms latins
régularisés pour le genre à la 3'- personne : ego, tu, oil, ail, (e) il;
nos, vos, osil, asil, esil. L'auteur propose d'adopter une 4*^ per-
sonne, pour éviter les équivoques que la 3" personne présente
dans nos langues et désigner une personne distincte des 3 pre-
mières-. Ce nouveau pronom serait au singulier : oie (m.), aie (f.),
(e)le(n.);au pluriel : osle, asle, esle. Comme on voit, fauteur
emploie les voyelles o, a, e comme caractéristiques des 3 genres.
Les adjectijs-pronoms possessijs sont : egoan, tuan, oan, aan, ean;
nosan, vosan, osan, asan, esan; ils dérivent des pronoms par
adjonction do an (suffixe d'appartenance\ De même pour la
4'' personne : olean, alean, lean; oslean, aslean, eslean '.
Los pronoms démonstralifs sont : ist, général; ist ic pour le rap-
proché, et ist ac pour l'éloigné.
Le pronom interroyalif-relatif se rédxiii au radical invariable : qu.
On peut aussi employer cual (S.).
Les pronoms indéfinis sont ceux du latin, réduits ù leur
radical.
Les verbes sont invariables (réduits à l'infinitif) et se conjuguent
tous au moyen d'un des auxiliaires ser [être] et der {faire l'action
de; E.do), le premier servant aux verbes passifs et neutres {stalifs,
d'état), le second aux verbes actifs : ego den légère = je lis. Voici
la conjugaison du verbe ser (celle de der est calquée sur elle) :
Indicatif présent : sen.
— passé : san.
— futur : Sun.
— imparfait : sain.
1. Du .sanscrit, pour réserver nov à r.iiljcctir nouveau.
2. Excm|>lo : » Que dit Pierre à Paul? // dit qu'i/ est malade ».
:i. Môme avantaj;»' *\uo pour les pronoms personnels. Exemple : • Marie et
Pauline parlent de leurs chapeaux. Marie dit à Pauline qu'elle préfère le
sien ».
CouTURAT ET Leau. — Nouvelles I>. I. 2
18
SYSTEMES MIXTES
Indicatif plus-que-parfait
: saan
— futur antérieur
: suan.
Subjonctif présent :
ses.
— passé :
sas.
etc. »
Conditionnel présent :
sec.
— passé :
sac.
— futur :
suc.
Impératif présent :
sem.
— passé :
sam.
— futur :
sum.
Infinitif présent :
ser.
— passé :
sar.
— futur :
sur.
Participe présent :
sens.
— passé :
sans.
— futur :
suns.
En somme, les temps sont distingués par la voyelle, et les
modes par la consonne.
Les particules (adverbes, prépositions, conjonctions) sont
empruntées au latin. Seulement l'auteur propose de régulariser
les adverbes de lieu, en employant les prépositions de, ab, ad,
per avecubi, ibi, hic, alibi, ubique, ubicumque (au lieu des adverbes
latins des 4 séries : ubi, unde, quo, qua). II approuve la préposi-
tion « factotum » je du D"" Zamenhof.
Le vocabulaire serait emprunté avant tout au latin; l'auteur
prend les substantifs sous la forme du nominatif, tout en admet-
tant la suppression de la désinence; il supprime au contraire les
désinences des adjectifs (bon, mal), sauf quand il n'y a qu'une
forme pour les 3 genres (felix, prudens) ^ ; et il prend les verbes
sous la forme de l'infinitif, en supprimant l'e final (ce qui ramène
à la finale r).
Les déponents seraient ramenés à la forme active (confiter, ou
mieux confesser), comme dans les langues romanes (F. user =
L. uti; I. morire — L. mori; S. confesar= L. confileri).
Mais l'auteur reconnaît la nécessité de compléter le vocabu-
1. Le subjonctif a tous les temps de Tindicatif.
2. C'est à cette forme nominative qu'est appliquée la désinence adver-
biale e : felixe, prudense.
V. HKLY : ESQUISSE DUNE GRAMMAIRE 19
lairo latin, (4 il adincl. \os mois modonics les plus ronniis : tsar,
mikado, club, sport; telegraf, locomotiv, automobil; sélect; bravo,
hurra; etc.
Voici le Paler comme spécimen de cette langne :
Nosan pater, qu sen in dar es celum, tuan nomen ses sanctificat,
tuan regnum des advenire, tuan voluntas ses fact sicut in dar
celum et in dar terra; tu dem donare da nos hodie nosan panis
quotidian; et dem dimittere da nos nosan es debitum. sicut et nos
den dimittere da nosan es débiter ; et tu non dem inducere ac nos
in ac ' tentatio; sed dem liberare ac nos ab dar malum.
On remarquera que cette langue, tout à lait a posteriori par
son vocabulaire, est a priori par sa grammaire (dont les formes
sont choisies suivant des raisons purement mnémoniques); et on
pourra la comparer au Latino sine Jlexione, qui s'inspire des
mêmes idées théoriques.
1. Accusatif (le direction.
MAX WALD : PANKEL^
Le pankel prétend être la plus facile et la plus courte des L. 1.
— Son alphabet comprend 25 lettres : c'est l'alphabet romain,
moins q et y, mais avec à [au D.), ê (eiD.); c se prononce comme
ch I). (?), j comme ch français, z comme ts. L'auteur proscrit
les majuscules, même des noms propres.
Vaccent est sur lavant-dernière syllabe.
Il n'y a pas d'article. Le pluriel des substantifs se forme par
l'adjonction d'un i : fij = poisson, fiji ^poissons. Il n'y a pas de
déclinaison.
Les adjectifs sont invariables. Leurs degrés se forment au
moyen des particules el et al : gut = bon, el gvii= meilleur, al gut
= le meilleur.
Les adverbes sont confondus avec les adjectifs.
Les noms de nombre sont : en, do, tri, fir, fif, ha, sep, ok, no, de;
puis deen, dedo, detri... dos (20), tris (30) 2... des (100); mil. Ent =
premier, iot ^second, etc. Enmal = une /ois ; dodel =demi.
Lespronomsperson/ieis sont : a =je; o=<u; u= il, elle; à ^= nous;
0 = vous (identique à tu), ui = iis, elles; les cas indirects prennent
un s : as, os, us, usi. En cas de besoin, elle se dit i (au singulier
seulement). Il impersonnel se dit e.
Les pronoms possessifs sont : sa = mon, so = ton, su = son; sà =
notre, so^= votre, sm=^ leur. Si=:à elle, en cas de besoin.
Les pronoms démonstratifs sont : la. ^= celui; le^ celui-ci; lo =
celui-là, pour les 3 genres.
Le pronom inierrogatif-relatif est : ki = qui, kà = quoi.
1. Wellsprache pankel, die leichteste und kurzeste Sprache fur den inter-
nationalen Verkehr. Grammatik und WÔrterbuch mit Anr/abe der Worl-
quelle, von Max Wald (Gross-Beeren, l'auteur, 1906; 2° édition, 1907). Nous
suivons la 2" édition.
2. Gomme en Volapûk.
MAX WALI) : l'ANKEL 21
Voici le paradigme de la conjugaison :
Infinitif : liben — aimer.
Indicatif présent et futur : liba.
— passé :
libo.
Conditionnel présent :
libu.
— passé :
libà.
Impératif-optatif :
libe.
Participe présent :
libag
— passé :
libog
— passif :
libig.
Il n'y a pas de passif; on renverse la proposition, « comme en
arabe ».
Le verbe réfléchi s'indique par une s finale : u libas = il s'aime.
La négation s'indique par une n qu'on place où l'on veut : a
liban ^=je n'aime pas.
Les verbes les plus fréquents sont particulièrement courts :
ien = (Hre ; dien = devenir ; bien r= avoir ; kien = pouvoir ; sien =
devoir; vien = vouloir; Men = laisser.
Presque tous les adverbes primitifs sont monosyllabes. Citons
par exemple les interrogatifs : va = quand; vo =^ où; vi = com-
ment ; ko = pourquoi'] ja = oui, ne = non.
Les prépositions sont également monosyllabes. Elles régissent
toutes le nominatif.
Les conjonclions sont plus courtes encore ; elles se composent
presque toutes d'une seule lettre (consonne) qu'on prononce en
y ajoutant un e muet : b = mais ; c = encore ; d = parce que ; k :=
que ; j = déjà ; I = comme ; p = peut-être ; r = ou : t = <"/. On
obtient ainsi des phrases comme celles-ci : u la go 1 o — i7 est
aussi grand que toi.
L'ordre des mots est libre; mais il est recommandé de mettre
le sujet le premier, même dans les propositions relatives : son,
fat gasto ki = le fds que visitait le père.
Le vocabulaire se compose de racines aussi courtes que pos-
sible, empruntées surtout à l'anglais, puis à l'allemand, au fran-
çais et au latin, et ensuite à toutes les autres langues, y compris
l'arabe, le turc, le chinois et le japonais. Inutile d'ajouter que ce
choi.x ne tient aucun compte de l'internationalité; at=c/ieyai(en
1. La 1" t'dition donnait un participe futur actif : libug.
22 SYSTEMES MIXTES
turc). Certaines racines sont même choisies arbitrairement, et
alors l'auteur part de ce principe, que, là où 2 lettres suffisent à
distinguer un mot, il ne faut pas en mettre 3 : el = évoluUon,
ub = rêve, kag = col, ga ^ faim, paz = lapis. Môme les noms de
pays n'échappent pas au raccourcissement : germ = Allemagne,
âst = Aulriche, mad = Hongrie, ir = Irlande, tal = Italie, un =
États-Unis.
La dérivation est rudimentaire : le féminin se forme par le pré-
fixe i : idog = chienne; ig forme des adjectifs dérivés do sub-
stantifs : homig = /lumam. Le suffixe -er sert à former des noms
d'homme : tabler = menuisier; bulg = Bulgarie, bulger = Bulgare.
Le suffixe é sert à former toutes sortes de noms abstraits : tabé
= menuiserie ; jen = beau, jenê = beauté. Quand un verbe dérive
directement d'un substantif, les substantifs qui en dérivent se
forment au moyen de é ou de t : pul = poumon, pulen := respirer,
pulê = respiration, pult = souffle.
Les verbes immédiatement dérivés de substantifs reçoivent les
sens les plus invraisemblables : tik = ticket, tiken = prendre un
ticket ; af ^= singe, afen = imiter ; f ux = renard, fuxen = espionner ;
ren = renne, renen = courir ; frog = grenouille, frogen = prophé-
tiser. Le verbe dérivé d'un nom de vêtement signifie revêtir ce
vêtement ; le verbe dérivé d'un nom de maladie signifie être atteint
de cette maladie * le verbe dérivé d'un nom d'aliment signifie
consommer cet aliment; le verbe dérivé d'un nom d'arme signifie
faire usage de cette arme; mais le verbe dérivé du mot arm
[arme] signifie armer. Le verbe dérivé de maison signifie habiter ;
d'école, apprendre ; de fenélre, regarder ; de poste, envoyer ; de bou-
teille, secouer; de lune, marcher de nuit; demande, créer; et d'armée,
dévasler.
Les substantifs de qualité dérivent des adjectifs au moyen du
suffixe ê: jen = beau, jenê ^ beauté; jenen signifie embellir; de
bu —jeune, dérive buen= enfanter.
La composition s'effectue comme en anglais et en allemand :
pan = univers, kel = langue, d'où pankel ; vinfas = tonneau de vin
(D. Weinfass).
Voici une phrase de pankel : pa ora o j za al nir âig jât, oit nati
pankelag ; ce qui signifie : Peut-être entendrez-vous déjà à la pro-
chaine exposition universelle les divers peuples parler pankel. Il n'est
pas étonnant, dès lors, qu'un texte qui emploie 937 lettres en
allemand n'en emploie que 454 en pankel.
SYSTEMES A POSTERIORI
CARPOPHOllOPHILUS »
Nous «ivons dit dans notre Histoire que le premier projet de
langue a posteriori était celui de Sciiipp'ER (1839). Nous avons
trouvé depuis lors un projet analogue qui est antérieur de plus
d'un siècle, et qui est d'autant plus intéressant, qu'il remonte à
une époque où, sous l'influence de Leibniz et de son école, les
esprits étaient hantés de l'idée d'une langue philosophique.
L'auteur, qui se cache sous le pseudonyme de Carpoimiorophilus,
s'est simplement proposé d'élaborer une langue et écriture uni-
verselles purgées de toutes les difficultés des langues naturelles.
Pour cela, il a pris pour base le latin, en y supprimant toutes
les complications, irrégularités et exceptions ^
L'auteur (évidemment Allemand) réduit son alphabet à
16 lettres : a, e, i, o, u ; b, d, f, g, h, k, 1, m, n, r, s, pour éviter toute
confusion entre d et t, b et p, f et v ^ Il supprime la déclinaison ;
les cas seront distingués par des articles : Nominatif, ha ; Génitif,
he; Datif, hi; Accusatif, ho. Les substantifs forment leur pluriel
en -im (hébreu) : domus (maison), domusim.
Les adjectifs sont invariables et identiques aux adverbes. Leurs
degrés se forment analytiquement : magis bonus, summe bonus.
Les pronoms personnels gardent leurs flexions latines : ego, mihi,
me; du, dibi, de; nos, nobis; fos, fobis. Démonstratifs : hik, hok ; is.
Les verbes ont une conjugaison uniforme; pas de distinction de
1. Carpophoropuili novum inveniendae Scripturae Œcumenicae consiliuvt,
in Acta Erudilorum, Supplemenla, t. X, sert. 1 (Leipzig, 1734\
2. « FundaiiKMiluin iuijus lingu;r e.x Inlina deâuintuiii est, sed ita ordinata
oinnia, ut, sublatis oiimibus difflcultatibus, perpétua ubique sine ulla
exceptione observetur Analogia. »
3. C'est ce qu'a fait aussi Eichhorn, pour In môme raison (1887). V. notre
Hisloà'e, p. 293.
24 SYSTEMES A POSTERIORI
personne, les pronoms y pourvoient. Le présent est en -o, l'im-
parfait en -abam, l'impératif en -ade, le participe passif en -adus.
Toutes les autres formes sont analytiques, c'est-à-dire composées
avec les auxiliaires: habo, hababam pour les temps passés; fio
pour le futur; fakdo pour le passif, et esso comme auxiliaire de
fakdo, ce qui donne les formes suivantes au passif :
Présent : ego fakdo amadus =j^ suis aimé.
Imparfait: — fakdabam amadus = j'étais aimé.
Parfait: — esso fakdo amadus =^ j'ai été aimé.
Plus-que-parfait : — essabam fakdo amadus = j'avais été aimé.
Futur: — fio fakdo amadus =: je serai aimé K
Le subjonctif et l'infinitif sont identiques à l'indicatif présent:
ego non bosso de amo = je ne puis pas Vaimer ; du non bosso fakdo
amadus -=■ tu ne peux pas être aimé.
L'auteur emploie id pour sujet des verbes impersonnels, et
on = on. Comme particule interrogative il emploie an.
Il adopte le vocabulaire latin, en excluant les synonymes inu-
tiles, et en régularisant les dérivations, comme le montrent les
exemples suivants:
orno = orner
ornanda = ornement
ornadus = orné
ornalis = ornemental
ornalanda = ornementation
fallo = tromper
fallanda = tromperie
fallans = trompeur (subst.)
falladus = trompé
fallalis = trompeur (adj.)
Voici comme spécimen de cette langue la traduction du Pater
faite par l'auteur :
0 baderus noderus, ki du esso in seluma, fakdade sankadus ha
nominanda duus; adfenade ha rennanda duus; ha folanda duus fias-
sade felud in seluma, sik koke in derra. Ho banisa noderus diessalis
dade du nobis in hik diessa; ed remiddade du nobis ho debandaim
noderus, felud nos remiddo hi debansaim noderus; ed non indukade
du nobis in dendassanda; sed liberade nobis a malanda.
L'auteur compare son projet de langue à la pasigraphie de
SoLBRiG {Scriptura œcumenica per numéros), et on appréciera mieux
son mérite, si l'on se rappelle que pendant tout le .\vni« siècle on
ne proposa guère que des pasigraphies soi-disant logiques.
1. Ce système de conjugaison est calqué sur l'allomand : habo = haôen;
îio =werden (au futur); fakdo = werden (au passif), et esso = sein.
L. ZAMENHOF: ESPERANTO
Historique •
On sait que le D"" Zamenhof n'avait prétendu apporter que le
germe d'une langue auxiliaire, dont il remettait le développe-
ment et le perfectionnement, soit au public, soit à une Académie
compétente, et qu'il avait fait appel dès le début aux lumières de
la critique'^. Pendant les premières années, les critiques ne
manquèrent pas, soit de la part des volapûkistes concurrents,
soit même de la part des amis et adeptes de l'Espéranto, comme
en témoigne le journal mensuel Esperantislo, fondé en 1890 et
rédigé entièrement en Espéranto. La première correction (la
seule qui ait été faite jusqu'ici) porta sur les particules relatives
au temps : le D' Zamenhof leur avait assigné, on ne sait pourquoi,
la finale -an ian, kian, tian, clan, nenian), de sorte qu'elles se con-
fondaient avec l'accusatif singulier des adjectifs ia, kia, lia, etc.
Il remplaça la finale n par m, et obtint ainsi les particules connues
et usitées à présent : iam, kiam, tiam, ciam, neniam^.
1. Le journal Esperanlislo (1890-95) étant devenu introuvable, nous
n'avons *mi connaissance do son contenu que depuis l'apparition de notre
Histoire, d'ahord par M. Rosenhkhoe», ensuite i>ar le D' Javal, qui a fait
réimprimer 'os articles Pri reformoj en Espéranto publiés par le
D' Zamenhof en 1894.
2. A cette époque, il considérait comme l'unique • fundamento » de sa
laiigue son premier manuel de 1887, qui contenait « toute la grammaire •
et « un nombre suffisamment grand de mots » (Aldono al la Dua Libro, 1888,
p. 7). • Tout le reste doit être créé jjar la société humaine et par la vie,
comme nous voycms dans chacune <les langues vivantes {ibid., p. 7). » —
« Une langue universelle doit être préparée pas à pas, par le travail uni de
tout le monde civilisé » {ibid., p. C). • En un mot, la langue internatitmale
doit vivre, croître et progresser suivant les mêmes lois (jui président à l'éla-
boration de toutes les langues vivantes, et la fiunie que je lui ai donnée, la
grammaire et le vocabulaire que j'ai présentés, doivent être seulement le
fondement sur le(|uel sera élaborée la langue internationale réelle de l'avenir •
{ibid., p. 8).
3. Aldono al la Dua Libro (1888), p. 3-6.
26 SYSTÈMES A POSTERIORI
Dès 189iî, le D'' Zamenhof, résumant les propositions de chan-
gements déjà faites, écartait toutes celles qui produisaient une
« rupture » dans la langue, et les renvoyait à une Académie qui
ferait plus tard les réformes utiles (tout en avouant qu'alors bien
des réformes proposées seraient devenues inutiles) ; et il retenait
seulement celles qui lui paraissaient justes {pravaj) ou qui sem-
blaient approuvées par la majorité des Espérantistes. C'était :
1° la suppression des désinences si fréquentes oj, ojn, aj, ajn ;
2" la suppression des sons iaù, aùi, etc. ; 3° la suppression de
l'article (la). Il proposait en conséquence : 1" de supprimer les
finales n, j, jn, dans tous les adjectifs et pronoms, quand ils sont
accompagnés d'un substantif, de façon à dire : mi rakontos al vi
nova tre interesa historion ; mi venis kun ciu mia bona infanoj ;
donu al mi tiu via bêla librojn : mi amas la honesta homojn ; mi
amas la honestajn ; 2** délidcr la linale au, et de dire : adi', adi'a ;
3° de se passer de l'article. Bien entendu, ces trois simplifications
étaient facultatives, et non obligatoires*.
Un autre point était fortement critiqué, c'était le tableau des
pronoms et adverbes corrélatifs. Le D"" Zamenhof proposait de
supprimer (facultativement) l'i médian des séries ki, ti, ci, neni
(mais non pas l'i initial de la série ia), et de dire, par exemple :
k'u, tu, c'u, nen'u. Il remarquait, à la vérité, que cela produi-
rait des confusions : de kie avec ke, de ciu avec eu, de cie avec ce.
Mais il renvoyait toujours à une « Académie » le soin de faire
des réformes plus radicales.
En 1893, M. Gkabovvski (le c premier Espérantiste ») publiait
La Liro de la Esperantisloj, recueil de poésies en Espéranto com-
posées par lui, par le D-- Zamenhof et par d'autres Espérantistes
de talent, comme Léo Belmont, Devjatmn, Dombrowski, Gold-
BERG, etc., et il y introduisait quelques réformes phonétiques
destinées à rendre la langue plus harmonieuse et plus propre à
la poésie. Ces réformes se réduisaient à deux : usage de l'apo-
strophe, c'est-à-dire suppression de certaines lettres; substitution
de i à i. Il en résultait : 1" la suppression des « sons sauvages »
au, aùi, aùu, aùe, iaù, iaùe ; 2° la transformation facultative de
kiu, kio, kie, etc., en monosyllabes (kju, kjo, kje...) ; 3'^ le rétablis-
sement de l'accent à sa place étymologique, et l'allégement des
mots correspondants : neb'lo, ok'lo, reg'lo, speg'lo, suk'ro, az'no,
1. Esperanlisto, n" d avril 1892.
L. ZAMENIIOK : ESI'EKANTO
27
radjo, familjo, papiljo, nacjo, Germanjo, Francjo, Ital'io. En outre,
l'auteur substituait (fort logiquement) la finale adverbiale -e
à la finales au dans les mots hodie hodje), hiere, morge, ambe,
anke, ankore, balde, kvaze, etc. ; el il apostrophait antaù, kontraù,
cirkaù : anta", kontra', kontrastari, antadiri, cirkaigi, etc. (On
trouve même : kvanke pour kvankam.) l-lndn il substituait ed à
kaj, et lo à gi : il justiliait ce dernier pronom (emprunté à l'italien
et à l'espagnol) en le composant de l'article la apostrophé et delà
finale o des substantifs (l'o); il en déduisait régulièrement le pos-
sessif loa et, pour le pluriel : loj, loja. Tous ces petits change-
ments, très anodins, contribuaient à donner à la langue une
sonorité musicale et italienne.
Pendant ce temps, le D' Zamenhof, débordé par les projets de
réformes, décidait de n'en plus parler dans son journal Esperan-
tisio, et de ne les y publier que sous forme d'annonces payantes *.
(^est ainsi que parut, dans le n" de janvier 1894, un petit article
de M. Grabowski critiquant le tableau des pronoms et adverbes
corrélatifs, comme composé de mots arbitraires et monotones,
qui n'existent dans aucune langue, et que l'auteur qualifiait de
« volapukismes ». Il proposait de leur substituer des mots
empruntés aux langues romanes, qui seraient immédiatement
compris de tous les peuples romans et de tout Germain ou Slave
\in i)eu instruit :
al'or-e au lieu de tiain ;
caka —
cie —
iv-e —
ka, ko —
kand-e —
ki —
kom-e —
kval a —
kvalk-a, -o, -e
kvant-e -—
kvel-a, -0 —
kvesta, o —
Ciu ;
lie Ci ;
lie;
kiu, kio:
kiain ;
kiu;
kiel;
kia ;
ia, io, iel;
kioin ;
tiu, lio;
iiu ci, tio Ci;
kunk-e au lieu de ajn;
lo ~ iji;
nunk-e — neniam;
nul-a, -0, -e au lieu de neniu,
nenio, neniel ;
pok-e au lieu de ioin :
partut-e
sempre
sik
tal-a
tante
tot-o, aj
uv-e
cie;
Ciam ;
tiel:
tia;
tiom ;
Cio, CiuJ;
kie.
11 proposait en outre de substituer ed à kaj (comme on la vu).
1. Esperantisto, Juillrt 1893.
28 SYSTÈMES A POSTERIORI
eske à eu (demi-volapïikisme), kve (international) à ol (volapti-
kisme), mas (espagnol-portugais) à plej, etc. En somme, aux rai-
sons d'harmonie phonétique venait s'ajouter la tendance à
rendre VEsperanto moins artificiel et plus « a posteriori », donc
plus intelligible à première vue. Voici un spécimen de l'Espé-
ranto ainsi modifié :
« En kvesta loko mi ankor' uzas la okazon por esprimi proteston
kontra' ofte ripetata malvera opinjo : Ne alor" ni perfektigos nian
lingvon, kande lo estos akceptita de la mondo, sed — la mondo
akceptos Ion alor', kande nia lingvo estos perfekta. »
Pendant l'année 1893, le D'" Zamenhof avait formé une Ligue
Espérantiste, qui était destinée moins à réaliser les réformes qu'à
endiguer le courant réformiste, en décidant lesquelles on devait
accepter et lesquelles rejeter; ce devait être un paratonnerre
(fulmoforigilo *). C'était aussi pour lui un moyen de décliner la
responsabilité des réformes, et de la reporter sur l'ensemble des
Espérantisles*. Bien qu'il jugeAt toute réforme prématurée, il
se voyait obligé de céder au courant, et de proposer un projet
d'Espéranto réformé, sur lequel les membres de la Ligue
(abonnés de l'Esperantislo) seraient appelés à voter. Voici l'ana-
lyse de ce projet, contenu dans les n"» 1-6 de VEsperanUslo
de 1894='.
Le D"" Zamenhof annonce, dès le début, qu'il exposera « quelle
forme il donnerait à la langue, s'il commençait à la créer main-
tenant après six ans et demi de travail pratique et d'épreuves, et
après avoir entendu une telle multitude d'opinions et de conseils
divers, reçus des personnes, journaux et sociétés les plus divers,
des pays les plus divers du monde ».
Au sujet de l'alphabet, il propose d'abord de supprimer les
lettres accentuées, « qui se sont montrées en pratique un très
grave obstacle à la diffusion de la langue. A cause de ces lettres,
que les imprimeries ne possèdent pas, l'impression libre en tous
1. EsiieranListo, avril 1893.
3. D'ailleurs, le D"' Zamenhof avait dès 1888 décliné toute autorité et tout
droit sur la langue; elle devait appartenir au public, c'est-à-dire à ses
adeptes : « Tiu ci libreto estas la lasta vorto, kiun lui elparolas en rolo de
aùtoro. De tiu ci tago la estonteco de 1' lingvo internacia ne estas jaui pli
rnulte en uiiaj ituinoj, ol en la nianoj de cia alla amiko de la sankta ideo ».
Aldono al La Dua Libro, 1888, p. 19 et dernière.
2. Réimprimés par les soins du D' Emile Javal.
L. ZAMENllOF : ESPERANTO 29
lieux de livres dans ou sur notre langue, et la publication de notre
langue par les journaux, sont devenues presque absolument
impossibles ». Ensuite, il supprime plusieurs « sons superflus »,
qui olïrent quelque difficulté à certains peuples et dont la pro-
nonciation ne peut s'apprendre que par l'enseignement oral
(comme h, ], g, c). Néanmoins, il hésitait à supprimer h, et finale-
m,ent le conserva. Les Allemands confondent constamment s et
z: on supi)riniera le son z; la lettre z représentera le son c {ts), et
la lettre c le son s {ch français). L'alphabet se réduira ainsi aux
21 lettres : a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, 1, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, z.
Pour le j, le D"" Zamenhof, constatant qu'il offrait des diffi-
cultés à certains peuples, voulait d'abord le supprimer* ; mais il
se décida à le conserver, en prenant soin qu'il se trouve toujours
avant une voyelle.
Dans la grammaire, il proposait de suj)primer l'article défini
la, pour complaire aux Slaves (qui formaient alors les trois
quarts de ses adeptes), qui, n'ayant pas ce mot dans leur langue,
n'en comprennent pas l'usage et l'utilité; — de supprimer
l'accusatif, » qui offrq une grande difficulté à beaucoup de per-
sonnes et d'autre part est contraire à l'esprit commun de notre
langue », car elle n'a pas de déclinaison; — de former le pluriel
des substantifs par i substitué à o; de rendre ladjeclif inva-
riable, et semblable à l'adverbe, et par suite de lui donner pour
finale e; de remplacer pli par plu et plej par maksu; de prendre
pour pronoms personnels : mu, tu, lu (m.), élu (f.), lu (n.); nu,
vu, loru; su; et de supprimer oni*; de remplacer les désinences
verbales par les suivantes : a (infinitif), an (impératif), en (pré-
sent), in (passé), on(futur), un (conditionnel;; ent-e {seul participe
actif), at-e (seul participe passif); de supprimer la préposition
je 2, et d'employer la préposition versu pour indiquer la direction
(l'accusatif étant supprimé). Pour éviter les équivoques que
pouvaient produire ces simplifications grammaticales, il recom-
mandait de mettre en général le sujet avant le verbe et le régime
direct après le verbe, et de placer l'adjectif de manière à le
i. Il s't'toiuie que celte lettre paraisse dinicile à proiumcer iiii^me aux
peuples (lui possèdent ce son dans leur lanpue. Mais cela n'a rien d'éton-
nant, si l'on remarque que ces peuples sont habitués à prononcer le j avant
une voyelle (ja, je, jo, ju) et non pas après (aj, ej, oj, uj).
2. Oni et je furent rétablis dans le projet délinilif {ExiJerantisto, mai 1894,
p. 67), et les pronoms y prirent la forme suivante : mi, tu, lu. élu : nos,
vos, ilu ; su ; on.
30 SYSTÈMES A POSTERIORI
rattacher clairement à son substantif. Mais c'étaient là de simples
conseils pour les commençants, non des règles obligatoires qui
imposeraient une construction rigide et supprimeraient sans
nécessité la liberté de l'ordre des mots. Enfin, il supprimait le
tableau des particules corrélatives, et les remplaçait par des
particules a posteriori (latines ou romaines), que nous présen-
tons dans le tableau ci-contre (p. 31) '.
Comme on voit, la particule ci était supprimée; la particule ajn
était remplacée par kunku (L. -cimque : quicunque. ubicunqiie, etc.).
Dans les nombres, unu devenait un (pluriel uni), et naù était
remplacé par novu.
Pour les affixes, le D"" Zamenhof remplaçait a] par e (bonajo
par boneo), ec par it (boneco par bonito), ig par isk, uj par i, cj
et nj par le suffixe diminutif et (sans altération du radical). Le
préfixe ek ne devait plus signifier qu'une action momentanée;
le suffixe op était supprimé comme inutile. Le suffixe edz était
remplacé par le radical spos (L).
Parmi les particules, il remplaçait kaj par e, au par u, gis par
ad, for par ab, kun par kum, car par nam, eu par num, ec par
mem, mem par ipsu, jen par ekcu, jes par si, tuj par statim, ju...
des par kvantu... tantu, ol par kvam, po par a, pri par de (qui
conservait tous ses autres sens), en j)arin; da était supprimé.
Dans le vocabulaire, le changement d'ali)habet entraînait
certaines modifications d'orthographe : z était remplacé par s
(naso, mesure), et par suite kz parks eksemplo, eksista, etc.); c
était remplacé par z (szii. szienzo, szeptro) ou parc prononcé ch
(cigareto, cifro, cirklo, cirkularo, civiliso); c était remplacé aussi
parc (cagreno, cambre, capo, capitro, casta, cefo, cielo, cokolato),
parfois par k (dediko. kavalo. kamisoj ; s était remplacé parfois
par c (ecafodo, muco, kuca, macino, poco, tuca), parfois par s
(stopa, stupo, buselo), parfois par d'autres lettres plus étymolo-
giques (boko au lieu de buse), mais le plus souvent supprimé par
un changement de racine; h était remplacé par k : eko, kaoso,
kemio, arkitekturo, monako, monarko, mekaniko); g par g (angelo,
gardeno, gema, gêna, germe, gibo, girafe, larga, sovaga): la diph-
tongue au était remplacée, tantôt par av (lavda, plavda), tantôt
par a (atuno), tantôt par e (apleda), tantôt par u (anku, antu,
hodiu, kentru).
I. 11 est intéressant de les comparer au tableau proposé par M. Gra-
BOWSKI.
L. ZAMENIIOF : ESPERANTO
31
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32 SYSTÈMES A POSTERIORI
Le D'' Zamenhof ne voyait plus d'inconvénient à admettre des
radicaux rimant avec certains suffixes, comme matin, baldakin,
bobin, farin, kamin, kortin, kusin, bufet, buket, cigaret, cirkular,
kubit, planet, platin, ou comnien(:ant par des formes de préfixes
ou prépositions, comme défend (déjà admis), defekt, deboc,
detacment, rekolt, relat, repos, reproc.
Pour donner plus d'homogénéité à son vocabulaire et aussi
pour se passer des lettres proscrites, il expulsait toutes les
racines germaniques ou slaves qu'il avait admises, et les rem-
plaçait par des racines latines ou romanes : regret {bedaûr),
ukcel (bird), sofl {blov), pekt (brusl), grati (dank), gros [dik], dur
(daûr), spin Idoni), bib {drink, trink), iïlvHjaden),tnok{fajr,hejl), lim
(fajl), kut (fel, haut), pisk (fs), digit [fingr), obliv [forges), alien
(fremd), gel (frosl), prekoc (fru), host [gast), vitr {glas), krin (har),
juv (help), anu [jar), hors {krom), ultim ilast), aprend [lern), mens
(monat), dimanu {morgaû), vicen inajbar), absolute (nepre), solu {nur),
sakrifik (ofer), frekvent (o/<),dentel (puni), jus [rajt), margin {rand),
anel [ring), sembl («y/i), salv (sav), skum [saùm), bretel (se/A), invi
(send), nav (iîip), klavd (Uos), unt (smir), fun (s^nur), estât (somer),
hiver {vintr), ekonomi (spor), armari (srank), vis [sraûb)', acier (s/aZ),
blok (Uip), pietr (s/on), suller (s'u), deb (suZd), epol {sullr), solel(sun),
turgesk(.sueZ), sudor (Svit), di (tag), âsiet [teler) , cet (uaks), bnk [vang),
engag (varb), kalor [varm), evel (ue/c), kompon (v^rA), fud {vers), pari
(w/), tiemp (ue/er), fuet [vip), vokabl (yor/), vol {flug r=^ voler), vul
(vo/ = vouloir), kod (vost = queue), vuln {vund = blessure).
Môme les racines romanes étaient souvent remplacées par des
racines latines ou ramenées à leur forme étymologique : etad
(ag), akceler {akcel), obstetr (aku^), benedlk [ben), ram [branô), bok
(bus), cerebr (cerb), perikl (danger), deklin {deklinaci}, konjug (Aonju-
gaci), distrakt {distr), domink {dimanê), olfakt ijlar), solid (forlik),
fresk ifres), fulmin (faim), gutur (gorg), jov (yo/), delekt (yu),
pudor (hon/), Infant (m/a/i), judik (juy), okult (/cas), komprend, prend
[kompren, pren), kognosk {kon), kokv {kuir), lakrim (/arm), limit
{lim), nat (nay), niv (ney), pagin {pa§), parent (parenc), repent (pe/i/),
ping {pentr), ponder fpez), ped {pied et /u/), plesir [ple.zur), prek
(pmj), renkontr {renkont), rubr (ruy), obsid (siey), teror (/er«r),
karn {viand).
D'autres racines sont au contraire altérées dans le sens de
l'évolution, et en général raccourcies, souvent pour rétablir
l'accent étymologique : butr {buter), cifr {cifer), junipr {Juniper),
L. ZAMENHOF : ESPERANTO 33
kurv (knrb), muskl {muskol), nebl {nebul), okl (okul), orakl (orakol),
regl {régal), titl {Ulol).
Enfin il substituait à quelques racines non romanes des
dérivés ou composés : pedokorn {Imf), sposopropon {svat}, surkaval
[t'ajd), blanke pano [bulko) ; ou inversement il prenait des racines
romanes pour remplacer des dérivés de racines non romanes :
pektin (/fom?)-i7) ; mulin (miiel-il). En somme, il donnait à l'Espéranto
[aspect dune langue néo-latine. Il y conservait néanmoins
certaines formes propres à la phonétique germanique et slave,
comme les combinaisons de consonnes sz {sts), kz [kts) et kv;
collo-ci était même rendue plus fréquente par l'adoption des
relatifs latins commençant par qu (transcrit à l'allemande par
kv).
Voici le texte du Pater dans l'Espéranto réformé ' :
Patro nue, kvu esten in cielo, sankte estan tue nomo. venan
regito tue, estan volo tue, kom in cielo, sik anku sur tero. Pano
nue omnedie donan al nu hodiu e pardonan al nu debi nue, kom nu
anku pardonan al nue debenti; ne kondukan nu in tento, sed libe-
rigan nu de malbono.
Tel est le « dialecte » que le D"" Zamenhof proposait aux suf-
frages des abonnés de VEsperantisto, en spécifiant bien qu'il ne
désirait pas personnellement la réforme, mais qu'il avait cru
devoir élaborer un projet de réformes assez complet et assez
radical pour satisfaire l'ensemble des réformistes. Il priait les
abonnés de voter en toute liberté et sincérité pour une des
4 alternatives suivantes :
1*^ Conserver la langue telle quelle, sans aucun changement;
2° Adopter sans changement la langue réformée proposée par
le D"" Zamenhof;
3*5 Faire des réformes essentiellement différentes de celles pro-
])osées par le D' Zamenhof;
4° Adopter le projet du D-" Zamenhof moyennant des modifica-
tions de détail.
Le scrutin, fermé le 1" août 1894, donna les résultais suivants :
pour la i" alternative, 144 voix; pour la 2", 12; pour la 3", 2;
pour la 4«, 95. Comme aucune d'elles n'avait obtenu la majorité
des 2/3 des votants, il fallut, d'après une règle de la Ligue,
1. Quant il la grammaire, sinon (|Uiuit au vocabulaire (volo scrail rem-
placé par vulo).
COUTURAT KT LEAU. — NoUVclloS L. I. 3
34 SYSTÈMES A POSTERIORI
recommencer le vote. Le second scrutin, clos le l''" novembre,
donna les résultats suivants : pour la 1'"'' alternative, 137 voix;
pour la 2", 11 ; pour la 3°, 3; pour la 4% 93. Cette fois, la décision
était acquise : l'Espéranto devait rester inchangé. En commen-
tant ce résultat, le D'' Zamenhof déclara qu'une si petite collec-
tion d'hommes ne pouvait prendre une décision définitive et
pour toujours en une question qui intéresse le monde civilisé, ni
interdire qu'un jour, plus tard, on ne lit des changements à la
langue '.
Cette conclusion était d'autant plus sage que, comme nous
l'avons déjà dit, les trois quarts des Espérantistes d'alors étaient
Slaves, la plupart des autres des Germains; il n'y avait encore
que très peu de Français, et presque aucun représentant des
langues anglaise et romanes.
Comme on voit, le- projet de réformes du D'" Zamenhof avait
eu fort peu de succès auprès des réformistes mêmes, et la plu-
part d'entre eux ne l'auraient accepté qu'à corrections. Cette
expérience engendra chez l'auteur de V Espéranto la conviction
qu'aucune réforme ne pourrait jamais réussir, parce que les
réformistes, d'accord pour critiquer et pour changer, seraient
toujours désunis et môme opposés entre eux sur les réformes
positives à effectuer. C'est l'opinion qu'il exprimait dans une
lettre à son ami Trompeter (partisan des réformes) publiée dans
Lingvo internacia en février 1896 (l""" année, n" 2) : il disait que si
la réforme de 1894 n'avait pas réussi, c'était, d'une part, parce
qu'il y a autant d'opinions que de têtes; d'autre part, parce que
la Ligue n'avait pas assez d'autorité pour engager les Espéran-
tistes futurs, et que ce sentiment l'avait rendue prudente et con-
servatrice. On sait qu'à partir de ce moment MM. Gr.mîowski,
Chr. ScHMiDT et De Waiil quittèrent VEsperanto, le premier pour
collaborer au Linguist et élaborer 1' « analitic Modem Latin » ^ ; le
second, qui avait été l'éditeur de VEsperaniisto, entra le 4 mars 1896
dans la Kadem beviinetik volapûka et convertit le groupe espéran-
tiste (ci-devant volapûkiste) de Nïirnberg à Vidiom Neutral élaboré
par cette Académie 3; nous retrouverons le 3" à propos de Vidiom
Neutral. Nous devons ici mentionner ce fait, que l'Espéranto
1. Espnranliftto, décembre 1894, p. 162.
2. Voir notre Histoire, p. 474.
3. Ce groupe existe toujours sous le titre de Verein der Wellsprache-
freunde {Kluh de amiki de lingu universai).
L. ZAMENUOF : ESPERANTO 35
ri^lormé do IHUi a inspiré les auteurs de Y Idiom Neutral, comme
on peut s'en convaincre en comparant attentivement les deux
systèmes. A certains égards, l'Ksperanto réformé apparaît
comme une transition entre VEsperanto primitif et Vidiom \eulral.
11 conserve la structure lexicologiquc de VEsperanto, son système
de formation dos mots; et il a on commun avec le Neatral la sim-
plicité de lalphabol ot do la grammaire. 11 est plus a posteriori
que l'Espéranto classique, notamment par les particules, qui
jouent un si grand rôle dans le discours; mais dans sa conju-
gaison il est plus a priori et plus artificiel, car il adopte des
désinences arbitraires que rien ne justifie. Il présente ainsi un
mélange déconcertant de qualités et de défauts, d'améliorations
sérieuses et do détériorations graves (par rapport à l'Espéranto
primitif) qui justifient le peu de succès qu'il a eu auprès des
Espérantistos mémo réformistes, et qui expliquent l'échec du
monvomont réformiste de 1894.
11 nous reste à compléter l'historique de l'Espéranto depuis 1903
jusqu'à ce jour. Il na cessé de se propager dans de nouveaux
pays et do progresser dans ceux où il était déjà implanté. Il a
été notamment propagé aux États-Unis par M. le P'" Ostwald,
pendant le semestre (1903-1906) qu'il passa à l'Université Harvard;
auparavant, il y avait à peine 3 groupes espérantistos aux États-
Unis; aujourd'hui, on y trouve 32 groupes, affiliés à V American
Espéranto Association, qui publie un journal mensuel The American
Espéranto Journal; or, au 31 décembre 1906, il n'y en avait que 18.
Cela montre quelle confiance on doit accorder à l'assertion ten-
dancieuse du P"" MiJNSTERBERG, Bccueillie avec empressement et
répétée sans critique par le P'" Brugmann, à savoir que le mou-
vement espérantiste est en décadence aux États-Unis! Au total,
il y avait, au 31 décembre 1906, 482 groupes ou sociétés espéran-
tistos : 123 en Franco, 90 en Grande-Bretagne, 39 on Allemagne,
31 on Autriche. 30 on Suisse, 28 en Espagne, 20 en Russie, 18 en
Suède, 14 en Belgique, 15 en Bulgarie, 9 en Hollande, 7 en Italie,
6 à Malto, 2 on Danemark, 1 on Hongrie et 1 à Monaco; 30 en
Amérique, 7 on Asie, 6 en Afrique et 3 en Océanie '.
Pour le nombre des Espérantistos, il est difficile à évaluer*.
1. Waprës VEsperanlista Societaro publié par le Centra Oficejo; 2' édi-
tion, arrèU'M' au 31 (lérembre 1906.
2. V. G. Chavet : Où en sommes-nous? 1 broch. (Paris, Warnior, 1907.)
36 SYSTEMES A POSTERIORI
On sait que le D"" Zamenhof publie chaque année VAdresaro de
ceux qui lui ont envoyé leur adhésion au cours de l'année, et les
numérote à la suite. 11 y avait ainsi 13.103 adhérents inscrits au
l^"" janvier 1906; il y en a 16.382 au 1«' janvier il»07, ce qui donne
3.279 nouveaux inscrits pour l'année 1906, contre 1.903 pour
l'année 1905. Ces nombres officiels donnent du mouvement, et de
son accélération, une idée plus juste et plus exacte que les éva-
luations vagues et fantaisistes de certains propagandistes. Seu-
lement ÏAdresaro du D"" Zamenhof est forcément inexact, pour
deux raisons qui influent en sens contraire : l'une est que beau-
coup d'Espéranlistes négligent de s'y faire inscrire (moyennant
la modique somme de 0 fr. 40); l'autre est qu'on n'y fait aucune
radiation, soit pour décès, soit pour défection.
Une autre source de renseignements est le Tulmonda Esperan-
tisia Jarlibro, publié par M. F. dk .Mé.ml (Hachette, Paris). L'édi-
tion de 1907 contient les noms de tous les Espérantistes qui
appartiennent à des groupes ou sociétés, plus les noms des
Espérantistes non groupés qui ont envoyé leur adresse au rédac-
teur de cet Annuaire. Or le répertoire alphabétique de tous ces
noms occupe MO pages, dont chacune contient en moyenne
160 noms, ce qui fait 17.600 noms. L'édition de 1900 en conte-
nait 25.000'. Mais on y trouvait les noms de beaucoup de per-
sonnes qui ont cessé de faire partie de VEsperanlistaro, ou qui ne
savent pas un mot d'Espéranto ^. D'autre part, elle devait être
incomplète encore; et l'on ne sait pas dans quelle mesure ces
deux causes d'erreur pouvaient se balancer.
On essaie de déterminer le nombre des Espérantistes par des
données indirectes, comme celles-ci : VEsperanto en dix leçons, de
M. Cart, manuel français, s'est vendu à 66.000 exemplaires; la
brochure française à 10 centimes, à plus de 100.000 exemplaires;
et cela pour la France et les pays de langue française seulement.
D'autre part, les Clefs de Ckfec (coûtant 5 centimes, et pesant
5 grammes, de façon à pouvoir être insérées dans une lettre) se
sont vendues à 200.000 exemplaires (en 2 ans), et en 8 mois on a
vendu plus de 300.000 exemplaires de la brochure à 10 centimes
1. Le rédacteur s'était servi, croyons-nous, des listes des abonnés aux
journaux espérantistes.
2. 1! faut savoir que les groupes espérantistes comprennent des membres
approbuleurs, dont l'adhésion signifie en réalité (|u'ils approuvent l'idée
d'une L. I. en général, plutôt que VEsperanLo.
L. ZAMEMIOF : ESPERANTO 37
du iiK'^mc auteur : « Tout VEspernnlo et le moyen de l'apprendre
sans le(-()ns eu lisant une petite histoire »; clefs et broeliures
publiées dans les principales langues européennes. Seulement il
faut remarquer que les manuels sont achetés par toutes les per-
sonnes qui désirent a|)prendre l'Hsperanto et en entreprennent
l'étude; mais combien d'entre elles achèvent cette étude? Et com-
bien l'abandonnent à moitié chemin, ou oublient bientôt ce
qu'elles ont appris? Ouant aux brochures de j)ropagande, il ne
faut pas croire que chaque exemplaire vendu représente un
adepte, ou même un aspirant adepte : les adeptes zélés les
achètent par dizaines, par centaines, pour les répandre en toute
occasion, et cela d'autant plus qu'elles coûtent moins; il reste-
rait à savoir quelle est la fraction des graines semées qui < lève »
et fructifie; et peut-être n'est-elle pas de beaucoup supérieure à
la fraction des balles qui portent dans un tir de guerre. Si l'on
réfléchit que tout Espérantiste vraiment zélé et « pratiquant »
doit avoir adhéré à un groupe ou s'être abonné à un journal, on
estimera que les données du Tutmonda Jarlibro doivent encore
être les moins éloignées de la vérité. On voit ce qu'il faut penser
des évaluations « en l'air » qui donnent 100.000, 200.000, 300.000,
parfois même 1 million pour le nombre des Espérantistes.
Il se public 29 journaux ou revues espérantistes, dont M entiè-
rement en Espéranto. En outre, 16 journaux en langues nationales
publient régulièrement de l'Espéranto, et 24 sociétés (non com-
merciales) correspondent en Espéranto. 10 Congrès ont admis
ou recommandé l'usage de l'Espéranto, parmi lesquels le 1""" Con-
grès international des ouvriers peintres (Grenoble, sept. 1904), le
!«'■ Congrès international des Employés (London, avril 1906), le Con-
grès international des Sociétés d'action chrétienne [Genève, août 1906),
et le Congrès international de géologie qui doit se tenir à Stockholm
en 1910.
Les principaux événements de l'histoire de l'Espéranto depuis
4 ans ont été les 3 Congrès internationaux tenus successive-
ment à Boulogne en 1905, à Genève en 1906, à Cambridge en 1907.
Le premier réunit 650 adeptes, le second plus de 1.000, et le troi-
sième 1400, appartenant à une trentaine de nations différentes.
On y constata en grand ce que bien des expériences individuelles
avaient déjà prouvé : que des Espérantistes de nations quel-
conques, ayant appris la langue chacun dans son pays et parfois
même seulement par la lecture, arrivent d'emblée à se com-
38 SYSTÈMES A POSTERIOIU
prendre et à converser sans difficulté, et ne présentent que des
différences de prononciation insignifiantes, bien moins graves
et gênantes que celles qui existent entre les diverses provinces
de telle ou telle nation. L'expérience a ainsi donné un éclatant
démenti aux philologues qui, du fond de leur cabinet, sans
même s'informer des « faits » contemporains, déclarent qu'il est
impossible qu'une langue artificielle serve aux communications
orales et soit prononcée de la même manière par des adeptes
de tous pays. Pour la première fois, on vit une réunion interna-
tionale suivre, avec une égale facilité, les discours, les récita-
tions et les représentations, rire et applaudir avec ensemble aux
bons endroits, comme si les orateurs, les acteurs et tous les
auditeurs eussent appartenu à une seule et même langue mater-
nelle '.
Le premier Congrès, dont le succès fut dû en grande partie au
zèle organisateur de M. Michaux, président du groupe de Boulogne,
et à l'habile direction de M. Boirac, qui exerça la présidence
effective, fut le plus important par les décisions qui y furent prises.
Avant le Congrès, le D"" Zamenhof avait proposé de fonder une
Ligue espérantiste universelle pour assurer l'unité d'action et l'unité
de la langue. Mais ce projet rencontra une vive opposition dans
la majorité des congressistes, qui craignaient qu'un excès de
centralisation autoritaire ne fût au contraire funeste à la langue.
Beaucoup voyaient déjà avec déplaisir et avec inquiétude l'insti-
tution de la Koleldo oprobita; et le D"" Zamenhof déclara, aux
applaudissements unanimes, que la Kolekto aprobita cesserait
d'exister. Le Congrès renonça donc à toute organisation inter-
nationale, et se borna à instituer deux Comités, un Comité d'or-
ganisation des futurs Congrès, qui fut le bureau du premier Con-
grès, composé de MM. Zamenhof, Boirac, Michaux, Mybs, Pollen,
Sebert; Boulet, Derveaux, Grabowski et Kûhnl; et un Comité
linguistique composé de 99 Espérantistes de tous pays et de toutes
langues, auquel devaient être désormais renvoyées toutes les
questions relatives à la langue. Ce Comité linguistique (réduit
aujourd'hui à 94 membres) a pour président M. Boirac, recteur
de l'Université de Dijon.
1. En particulier, le Mariage forcé de Molière, traduit en Espéranto par
M. DuFEUTBEL, fut représenté avec grand succès par 9 acteurs amateurs
appartenant à 6 nations différentes, et qui n'avaient eu ensemble qu'une
ou deux répétitions.
L. ZAMENUOF *. ESPERANTO 39
Kniin le D"" Zamenliof fit voler par le Congrès une Déclaration
sur l'essence de l'Espéranlisme \ (lui semblait destinée surtout à
('clairer le public sur le caractère et le but de la |)ropagande
espérantiste. Elle affirmait que VEsperanto n'est qu'une langue
auxiliaire et ne»ilre qui ne vise nullement à supplanter les
langues nationales; qu'il n'est la propriété de personne tant au
point de vue matériel qu'au point de vue moral : quelle ne dépend
d'aucune personne, pas même du D"" Zamenliof, et que la seule
règle obligatoire pour tout Espérantiste est l'ouvrage Funda-
menlo de Espéranto -, où personne n'a le droit de l'aire de
changement. Le texte de cette Déclaration fut modifié sur les con-
seils du bureau du Congrès : on supprima un passage où le
l)"" Zamenhof déclarait (avec son désintéressement habituel et
affirmé dès l'origine) que, s'il apparaissait un autre moyen de
i'>aliser l'idée de L. I., meilleur, plus sûr et plus rapide que
VEsperanto, il s'y rallierait, et avec lui tous les Espérantistes. On
supprima en outre deux paragraphes dont l'un affirmait l'auto-
rité du « Centra Komitato » (le futur Comité linguistique) en matière
de langue, et l'autre annonçait la publication de manuels
approuvés par le D"^ . Zamenhof. Enfin le D' Zamenhof avait
d'abord dit qu'on ne pourrait pas faire « même le plus petit »
changement dans le Fundamento ^ ; sur les observations de certains
membres du bureau, les mots entre guillemets furent supprimés.
En résumé, cette « charte » de VEsperanto apparaissait alors
comme essenliellemcnt libérale, et comme tendant à réduii-e au
minimum la part de l'autorité dans le développement futur de la
langue, conformément aux intentions constantes et bien connues
de son auteur.
A la suite du Congrès de Boulogne fut fondé, en septembre 190a,
par la libéralité du D"" Emile Javal, le Centra Oficejo, destiné à
servir de centre d'informations pour les Espérantistes de tous
pays. Cette institution fut mal interprétée par certains, qui
crurent y voir un moyen déguisé d'instituer, par initiative
privée, ce lien central dont le Congrès avait repoussé l'idée.
1. Voir le texte du projet de Déclaration dan^r^ Line/vo internacia, 11)05,
p. 311, et celui de la />('c/«rrt/ion déllnilive, iôid., p. 397.
2. Cet ouvrnjre. publié nu luoinent du Congrès, est simplement la réim-
pression du premier mnuuel (d(> 1887), de VEkzercaro et de VUniversala
Vortaro.
3. Il voulait même y reproduire les fautes d'impression des éditions ori-
ginales !
40 SYSTÈMES A POSTERIORI
Mais ce malentendu fut bientôt dissipé. Le Centra Oficejo sert en
outre aux correspondances des deux Comités d'organisation et
linguistique. Il publie périodiquement une Liste des Sociétés,
consulats et journaux espérantistes, le compte-rendu officiel des
Congrès, et a entrepris de publier une bibliographie des œuvres
espérantistes.
Dans l'intervalle des deux premiers Congrès parut en Russie
une brochure anonyme en Espéranto, intitulée Homaranismo
[Hilelismo), où l'Espéranto était présenté comme un moyen do
fonder une sorte de religion de l'Humanité, dont on formulait
les « dogmes ». Bien que l'auteur de cette brochure déclarât qu'il
ne faut pas confondre l'homaranisme et Tespérantisme, il invo-
quait le succès du Congrès de Boulogne comme preuve de la
possibilité du règne de la justice et de la fraternité entre les
peuples. Cela inquiéta bon nombre d'Espérantistes, soit qu'ils ne
se souciassent pas d'abdiquer leurs croyances religieuses ou
philosophiques pour une religion « neutrement humaine » {neû-
trale homa), soit qu'ils craignissent que le public mal informé (ou
induit en erreur par les adversaires de l'Esperauto) ne confon-
dît l'Espéranto avec une secte religieuse ou philosophique, ce qui
lui eût fait évidemment le plus grand tort. Cet incident explique
la Déclaration de neutralité que le Comité d'organisation lut, avec
l'approbation du D"" Zamenhof, à l'ouverture du second Congrès *.
Pour affirmer la neutralité de la langue, on décida que toutes les
questions religieuses, politiques et sociales seraient rigoureuse-
ment exclues des séances publiques du Congrès. Mais, d'autre
part, comme l'Espéranto doit appartenir à tous, et servir à la
propagation de toutes les idées et à l'entente internationale de
leurs adeptes, ceux-ci étaient invités à se réunir en des séances
spéciales et privées, suivant leurs affinités doctrinales.
Du reste, ce second Congrès fut marqué par la formation de
groupes spéciaux à certaines professions, doctrines ou œuvres
internationales : membres de l'enseignement, journalistes, com-
1. Celte (iéclaration paraît d'autant moins inutile, que le D' Zamenhof,
dans son discours d'ouverture, exprima en son nom personnel les m(>mes
pensées de justice et de fraternité internationales, en déclarant qu'elles
constituent 1' . idée interne » de l'Espérantisiue (il les a encore exprimées
avec insistance dons son discours d'ouverture de Cambridge); on sait
d ailleurs, par tout ce qu'il a écrit en prose ou en vers, que ce sont ces
nobles et généreuses pensées qui lui ont inspiré son invention, et lui ont
donné le courage de la mener à bout. ,
L. ZAMENHOF : ESPERANTO 41
merçants, médecins et pharmaciens, officiers, marins, musiciens,
catholiques, socialistes, francs-maçons, antialcoolistes, sténo-
graphes, pacifistes, etc., tinrent des réunions internationales en
Espéranto I. Certaines de ces réunionsaboulirent à des fondations
de Sociétés : Sociélé inlernalionale des. juristes espéranlisles, président
M. Michaux; Société des joueurs d'échecs espér autistes, président
M. l'abbé Peu'ier ; i4ssocia/to/i scientifique internationale, président
M. le général Shukrt 2. A cette Société se rattache le Bureau
scientifique international fondé par M, de Saussure à Genève; depuis
le 1"^ janvier 1907 ce Bureau a assumé la direction de Vlnternacia
Sciencanevuo; il se propose de propager l'Ksperanto dans le monde
scientifique, et d'élaborer les vocabulaires techniques spéciaux
aux diverses sciences. En un mot, cette époque marque un chan-
gement dans l'orientation delà propagande et dans la structure
des groupements : tandis que jusqu'alors on avait formé surtout
des groupes locaux et des sociétés nationales ou régionales, on
s'est mis à former des associations professionnelles et spéciales
comprenant des membres de toutes nations. Il est certain que
ce second mode de groupement est celui qui manifeste le mieux
l'utilité d'une L. 1. et lui fournit son véritable domaine d'appli-
cation pratique.
Dans le domaine de la propagande, le Congrès de Genève a
pris une importante résolution (sur la proposition du Comité
d'organisation), en décidant de fonder, dans toutes les villes où
se trouvent des Espérantistes, groupés ou non, un Consulat espé-
rantiste, c'cst-à-dii'e un bureau d'informations, de correspondance
et de traduction pour tous les Espérantistes qui auraient afTaire
dans la ville pour un motif quelconque.
Au Congrès de Genève, le Lingva Komitato rendit compte de ses
premiers travaux. La première question qui lui ait été soumise
1. Depuis 1003, M. l'iibbc Peltier publie YEspero /ca/o/?A'«, journal mensuel ;
depuis HI04, M. Cakt pul)li<' VEsperanta Ligilo, jduinal mensuel imprimé
en - Bniille - |)(iur les aveugles. F>n janvier 1904 M. le pasleur Schneeberger
a fondé la société stpnoijraphique internationale; en novembre 1004,
M. Paul UoDET a \\nu\i) le Groupe médical espërantisle de France (prési-
dent. M. le prof, lîoucliard), qui a publié un Aiiulomia Vorlaro en latin,
français, anglais et Ksperanlo (Paris, Haclietle, 1900). En avril 1005,
M. Gaston Mo»;h a fondé le l^acifislo, société des pacifistes espéranlisles,
dont rorgane mensuel est \ Ëspero pacifisla. Déjà au l"' Congrès avaient eu
lieu des réunions spéciales de journalistes, de médecins, de catliuliqucs, de
francs-maçons et de pacillstes.
2. Elle compte déjà 600 membres {Int. Scienca Revuo, n" d'août 1907).
42 SYSTÈMES A POSTERIORI
est celle de la suppression des lettres accentuées, pour la télé-
graphie. Le D'" Javal avait été chargé de lenquéte et du rapport
sur cette question; il avait élaboré un premier projet, qui avait
été soumis aux membres du Comité linguistique; mais comme
toutes les réponses n'étaient pas encore reçues, il demanda un
nouveau délai. La mort du D"" Javal a interrompu ses travaux
sur cette question, et rien n'en a été publié *. Qu'il nous suffise de
dire qu'il avait trouvé un moyen de supprimer les lettres accen-
tuées par une simple réforme orthographique de la langue, et
que cette réforme devait, dans sa pensée, s'appliquer non seule-
ment aux télégrammes, mais à l'impression de textes Espéranto
dans les journaux et revues de tous les pays et dans toutes les
imprimeries du monde, de manière à supprimer le ])rincipal
obstacle que rencontre la propagande de l'Espéranto.
La seconde question traitée fut la correction de certaines tra-
ductions inexactes ou contradictoires de VUniversala Vorlaro. On
sait que dans cet ouvrage chaque racine Espéranto est traduite
en F. E. D. R. et Pol. ; or il arrive que les traductions d'une
même racine ne se correspondent pas. Il fallait évidemment les
rectifier, et c'était là un des * changements » reconnus nécessaires
dans le Fundamento proclamé d'ailleurs intangible. Le Liiujva
Komitalo reçut 29 rapports sur cette question; elle fut renvoyée
à une commission spéciale, et son rapporteur, M. C.art, a pro-
posé certaines corrections aux traductions françaises d'une
trentaine de mots; on fera le même travail pour les traductions
des autres langues.
Après ce travail, le Lingva KqmUalo entreprendra, sur la
demande de nombreux adeptes, de cataloguer et de contrôler les
racines nouvelles introduites dans les divers dictionnaires natio-
naux, afin d'assurer l'unité du vocabulaire et l'identité de sens
des racines nouvelles. A ce sujet, le Congrès de Genève a for-
mellement exprimé le vœu que le Lingva Komitato publie des
suppléments à VUniversala Vortaro.
Une autre question est à l'ordre du jour, et a fait l'objet d'un
rapport très étudié de M. Gaston Moch : c'est la transcription
des noms propres et des noms géographiques. Au Congrès de
Cambridge, le Lingva Komitato a institué plusieurs sous-comités
chargés d'étudier respectivement les traductions de VUniversala
1. Nous en rendons compte clans notre Rapport au Comité.
L. ZAMENUOK : ESPERANTO 43
Vorlaro; les nouvelles racines à introduire; les racines employées
parle D"" Zamenhof en dehors de ÏUniv. Vortaro: la transcription
des noms propres; enfin les diverses propositions de change-
ments ou additions.
Le Lingva Komitato se récuse pour l'élaboration des vocabu-
laires techniques, et se réserve seulement de les contnMer pour
assurer leur accord international. 11 fait appel à l'initiative
privée pour leur élaboration, et cette initiative n'a pas fait
défaut. Nous avons déjà mentionné ÏAnalomia Vortaro;
M. Ch. Verax a publié successivement un Vocabulaire photogra-
phique français-espéranto (Paris, Mendel, 1907) et un Vocabulaire
technique et technologique français-espéranto (Paris, Hachette, 1907) ' ;
M. RoLLET DE l'Ile, ingénieur de la marine, a entrepris avec
quelques collègues un vocabulaire technique de la marine; etc.
D'ailleurs, on commence à publier (en dehors de Vint. Scienca
Revuo) des ouvrages scientifiques en Espéranto : M. Bkicard a
publié un Matemalika Terminaro kaj Kreslomalio (Paris, Hachette,
1905), puis la traduction de la Koniinuo de M. Huxtington (Paris,
Gauthier-Villars, 1907).
Le Lingva Komitato a reçu une foule de demandes ou de propo-
sitions relatives à des changements, réformes ou corrections à
apporter à la langue, auxquelles il se déclare incapable de
répondre. Au surplus, il reconnaît que « presque toutes sont
contraires au Fandamento », et en conclut qu'elles ne doivent pas
être prises en considération. Du reste, depuis le Congrès de
Boulogne, le Fundamento est considéré comme une barrière à
opposer, non seulement à toute réforme, mais à toute innova-
tion. On interprète la Déclaration de Boulogne comme l'affirma-
tion de l'intangibilité perpétuelle de la langue; les rédacteurs
de journaux espérantistes ont, par une Déclaration spéciale '-,
promis d'observer cette intangibilité et de la faire observer par
leurs collaborateurs, et ils s'eflorcent d'imposer la même pro-
messe à leurs nouveaux confrères. 11 en-résulte que toute dis-
cussion théorique, toute critique même amicale est sévèrement
bannie des revues espérantistes, et qu'à toute objection on
1. En outre, une Eletnenla FoLografa Optiko (Paris, Presa Esperantista
Socielo, lUOO).
2. A Boulogne, 9 août 1905 (voir le texte dans Lingvo internacia, 1905,
p. 540-1). On s'engage notamment à « éviter tous actes et discussions qui
tendraient à changer d'une manière quelconque la langue de Zamenhof •.
44 SYSTEMES A POSTERIORI
répond par un Magister dixit : t Gela est (ou n'est pas) dans le
Fundamento '. » La Déclaration de Boulogne est présentée comme
un « contrat » entre le D"" Zamenhof et ses adeptes, et le Fun-
damento est considéré comme un « livre saint », comme le t pal-
ladium » de l'Espéranto ^.
1. Exemple : La Belga Sonorilo ayant critiqué l'emploi de l'adverbe au
lieu de l'adjectif, dans les i)hrases comme : « estas necese faritinn », on
lui répond : « Ni ne citos liajn argumentojn, car la krilikita foiino estas
en la Fundamento » (souligné dans l'oripinal). Linr/vo inlernacia, 1907,
p. 222.
2. Lingvo inlernacia, 1907, p. 222 (mai), p. 289-91 (juillet).
J. BRAAKMAN : MUNDOLINCO^
La brochure où ce projet est exposé a pour épigraphe cette
phrase de J.-J. Rousseau : « Toutes nos langues sont des ouvrages
de l'art ».
L'alphabet du MandoUnco est l'alphabet latin, moins k, q, x, y, z.
Le c a le son k. L'accent est toujours sur l'avant-dernière syllabe
du mot. L'article défini est el, l'article indéfini est un.
Les substantifs masculins ou neutres se terminent en o au singu-
lier, on i au pluriel : padro, padri. Les substantifs féminins se
terminent en a au singulier, en u au pluriel : padra [mère], padru.
Les adjectifs dérivent des substantifs au moyen du suffixe ne :
nasione, glorione, ou p"ar le simple changement de la finale o en e :
laboro, labore.
Les degrés se forment par des suffixes : iom (comparatif),
osime (superlatif) : bone, boniom, bonosime.
Les noms de nombre sont : un, du, très, cvarto, cvinto. siso,
septo, octo, nono, desem; desem et un... dudesem... sento,...
millo,... milliono.
Les nombres ordinaux se forment par le suffixe sime : unsime,
dusime...
Les pronoms personnels sont : au sing., mi, tu, il; au plur., mis,
tus, ils. Le réfiéchi est se.
Les pronoms possessifs sont : mione, tuone,ilone; misone, tusone,
ilsone; seone.
Les pronoms démonstratifs sont : ho, celui-ci; inho, celui-là; altro,
taie, misme, etc.
Le pronom relatif est : ci = qiu'. Les interrogatifs sont : cihomo,
cibestio (pour les animaux), ciresso (pour les choses).
\. [N'eilerlaiidsehc Spraakkunst] : Der wereldlaal v. El Mundolinco • door
J. Braakman : Gramatico del Mundolinco pro li de Hollando f adore.
Dusime edisio, Noordwijk. J.C. van Dillen, 1894 (1 brochure de 4 -f- 22 pajres
in 12").
46 SYSTEMES A POSTERIORI
Les pronoms indéfinis sont : unhomo, nonhomo ; resso = quelque
chose, nonresso = rien ; multi ; inmulti = peu ; non = aucun.
Les verbes se terminent par s à Tactif, pa
Présent : mi parles =^je parle.
i'al parlé.
'^avais parlé.
Futur: mi parlas = je parlerai.
Futur antérieur : mi parlus := j'aurai parlé.
Passé : mi parles = j
Plus-que-parfait : mi parlis
r au passif.
Le subjonctif se forme par l'infixc en : parlenos. Le condi-
tionnel, par linfixe eb : parlebos. L'impératif, par le suffixe
ende : parlende; le participe, par le suffixe endos : parlendos.
L'infinitif est semblable au présent : mis volos ludos^^ nous vou-
lons jouer.
Les temps du passif ne diffèrent de ceux de l'actif que par le
changement de s final en r. Le verbe aimer ayant pour radical
ament, aimé = amentoro. Oui := si, /ion = non.
L'auteur définit quelques préfixes: con, de, es, in (marque le
contraire), inter, pro, re, arsi {archi-) ; et quelques suffixes : asio
(action), ado (résultat), ario (lieu), isto (personne) : amentisto =
amant.
Comme il n'y a pas de déclinaison, le sujet se distingue du
régime par la place : mi cihomo intelligos ? = qui comprendsje ? —
cihomo mi intelligos? = qui me comprend"} Et l'auteur ajoute: El
pladasion del verbi, mi ci (sic !) his proscribos, essos mese fasile
diseros = Le placement des mots que je prescris ici est très facile à
apprendre (remarquer que mi sujet précède ci régime). Voici au
surplus un Parve provasio de corespondos en el Mundolinco :
Digne Amiso ! Hodie mi factos conesso con el nove universe linco
del sinjoro Braakman. Mi perstudies ho linco presimente en cvinto
hori! Con el firmate persuadasio, ce ho linco essos el fasilosime del
mundo, mi recomendos ho en mesesime al perstudasio. Con el mul-
tosime honorasio, Tuone C.
IDIOM NEUTRAL
A la suite de la publication de notre Histoire de la Langue uni-
verselle^, M. RosENBERGER, ayant trouvé justifiées quelques-unes
des critiques que nous y avions adressées à Vidiom neutral, pro-
posa à VAkademi les modifications suivantes ■^ :
1° Donner pour finale à lindicatif présent un e atone.
2° Admettre un accusatif facultatif formé par la désinence -n
(après une voyelle) ou -en (après une consonne).
3" Admettre un pluriel facultatif pour les adjectifs, quand un
même adjectif se rapporte à plusieurs substantifs, et le former au
moyen de la désinence -i (comme dans les substantifs). Ex. : tabl
e stul grandi.
4" Donner au pi'éfixe ne- le sens de contraire : neamik =
ennemi; et au préfixe no- (négation) le sens de contradictoire :
no ko s = rien ^ .
1. MM. RosEXBERGEK l't HoLMEs ayant signalé quelques détails inexacts
dans notre analyse, nous les avons eorrigés dans le second tirage de notre
Histoire (11)07). En voici la liste : kelkkos est un mot composé; kuande est
un mot primitif; le conditionnel n'est pas nécessairement employé après if
(si); remerciment se dit mersiad, et non mersi (mais une décision ulté-
rieure de VAkademi a ado|)té mersi au lieu de mersiad : cire. n° 80, 20 nov.
1906); enfin la série citée p. oOi est : viola = viole, violar := violer, Tiolet
= violette: et violon = violin. Nous avons corrigé quelques fautes d'impres-
sion : nostr au lieu de notr (p. 4S9), yuste au lieu de yust (p. 492), debti
au lieu de debiti (p. 496). M. Rosenberger fait remarquer en outre que le
sufllxe abl a les deux sens : qui peut iHre et qui est digne d'être, mais <|ue
le sens qui doit être est exprimé par le suffixe spécial and ; que les sub-
stantifs ciu'respondant aux mots français don, fuite, révolte, promesse, arrêt
ne sont pas f(U'més au moyen du suffixe asion : don, fug, revolt, promet,
arest; et que les deux sens du préfixe re i)euvent être distingués, au
besoin, par les deux mots retro {en arrière) et denove (de nouveau) : retro-
mitar, mitar denove.
2. Circulaire n" 75 (29 févr. 1904).
3. C'est par erreur que les deux mots « contraire, contradictoire » avaient
été intervertis dans les Résolutions de VAkademi et dans le manuel de
M. Rosenberger.
48 SYSTEMES A POSTERIORI
S" Employer le suffixe -eria pour désigner le lieu ' : taneria =
tannerie.
VAkademi approuva la Z° et la 4" propositions, et rejeta les
3 autres-. En outre, sur la proposition de M. Rosenberger, elle
adopta insendian pour pompier (au lieu d'insendier).
Voici en outre les principales e résolutions » prises par VAka-
demi depuis cette époque. Sur la proposition de M. Frost^ on
a décidé que le suffixe -ator, avec un radical verbal, indiquera
une chose qui agit : akumulator, flagreskator (alhimelle), movator
[moleiir], teksator métier à lisser), tornator [tour]. Le suffixe -er, au
contraire, indique une personne ou un animait qui a quelque rela-
tion avec la racine », et que le suffixe ist ne serait pas propre à
désigner: aksioner (actionnaire), penser {penseur), tekser (lisserand),
torner [lournear) ^.
Sur la proposition de MM. RosENUERGERet Bu.nto van Bvlevei.t,
qui reconnaissaient rincommodité du suffixe eri et de la finale
radicale i (dans astronomi, filosofi, geometri, etc. , on décida
que le suffixe -ia (jusqu'alors réservé aux noms de |)ays) servirait
à former des noms de sciences, d'arts ou de formes politiques,
avec des radicaux désignant des personnes ou des instruments
et finissant par -fon, -graf, -krat, -log, -mant. -metr, nom. pat. -sof,
-teg, -tom, -urg. Ex. : telefon-ia, stenograf ia, demokrat ia, teolo-
g-ia, nekromant-ia, geometr ia, astronom-ia, homeopat ia. filosof-ia,
strateg-ia, anatom-ia, metalurg-ia •.
La circulaire n» 87 29 déc. 1900) contient la i)roi)osilion sui-
vante de M. Rosenberger : Le suffixe -ist forme des adjectifs cor-
respondant aux substantifs ayant le suffixe -ism. Ex. feminism,
-ist ; altruism, -ist; absolutism,-ist ; kalvinism, -ist.
1. Au lieu (Je -eri, qui avait la forme d'un pluriel.
2. Circulaire n" 77 (30 nov. 1004), Rés. 143-149.
3. Qui avait remarqué qu'on employait à la fois er et ator pour les per-
sonnes pratiquant un métier, et ces deux suffixes indifféremment pour les
personnes et pour les choses (voir Rés. 54 et 138).
4. Circulaire n" 81 (31 oct. 1903), Rés. 1.30, 131. La Rés. 132 décide qu'on
pourra appliquer tout de suite les Rés. 150 et 151 (et non iiprès le délai de
cinq ans prévu par le règlement de VALademi). Cette résolution a pourelfet
de supprimer certains « mots Mackcnséniques » (doublets internationaux de
dérivés réguliers); ex. : protekter (proleklator, prote/dor) ; redakter (redak-
lator, redaktnr); redimer {redbnalor, redemplor); inventer ùnveniator,
inventov). Mais parfois on sacrifie ainsi l'internationalité : gladier (gladiator),
orer (orator). spekter {spektator), usurper {usurpaior).
0 Circulaire n" 80 (20 nov. 1906), Rés. 153. Les adjectifs correspondants
se fc.rment par-ik substitué à -ia, ce qui évite la rencontre de deux i: ana-
tomia, anatomik; filosofia, filosofik.
IDIOM NEL'TRAL 49
Kn dehors de ces résolutions d'ordre général, VAkademi a coii-
linué à adoplei- des radicaux ot des d»'rivrs nouveaux pour com-
pléter son vocal)ulairc, quckiues-uns pour corriger ou remplacer
des radicaux ou dérivés anciens'. Elle s'est surtout occupée des
noms propres, soit dos noms de personnes, soit des noms géo-
graphiques-. Pour les noms de personnes, historiques et mytho-
logiques, elle s'efforce de les transcrire phonétiquement dans
l'alphahet du .\enlrnl, qui est l'nlphaljot latin: Akil (Achille^, Apel
(Apelles), Baldr (?), Brut-o {Bnilus), Horas i Horace), Koredjio Xlorrhje),
Kromvel, Ksenofon, Loke, Lukul (Lacullus], Maté [Mathieu), Perikl
(PéricUh), Shekspir, Terens, Tor (?), Ulis, Vito (?), etc. ^
Le même système de ti'anscriplion phonétique (?) est appliqué
aux noms de villes, de fleuves, etc. : Avinion. Buloni (Boulogne),
Diuseldorf, Jerse. Kalé (Calais), Kane (Cannes), Keln (Kôln, Cologne),
Miunik (Miinchen , Neo-York, Sena (Seine), Tsiurig {Zurich).
Vtnw les noms géographiques, VAkademi a posé en principe
qnOn doit toujours distinguer entre german et germanian, rus et
rusian, c'est-à-dire entre celui qui appartient à une nation ou à
uiu^ race, et celui qui habite le pays correspondant. Ex. : « Rusiani
mult no aparten a nasionrus. » Par suite, on a adopté une série
i\r noms de pays du ty[)C suivant :
Egipt {Egyptien), Egiptia [Egypte), egiptian {habitant de l'Egypte).
Dans ce système, koré, yapon, portugal, etc.. désignent des indi-
vidus, tout comme grek, mongol, morav, normand, pers, rus, etc. ^
Mais ce système n'est pas toujours appliqué, ni applicable :
d'abord il y a beaucoup de noms de pays en ia qui sont primitifs
(ne dérivent pas d'un nom de peuple) : Fokia, Hesia, Libia. Sardi-
nia, Shampania [Cliampagne) , Siberia, Silesia, Siria, Tasmania ;
ensuite, il y en a beaucoup d'autres qui n'ont même pas hi df'si-
nence ia, et qui par suite sont forcément primitifs: Anhalt, Bra-
bant, Brunsvig, Epir, Galilé, Guiné, Kokinkin. Kostarlka, Monako,
1. On les trouve réunis dans Supplément zum Wôrlerbuch der Seul rai-
spracbe, par W. Rosenberger (Leipzig, Haberiancl, janv. 1900).
2. Elle ne s'en est ])as tenue au.\ réfries posées dans la (Hnmat nomik
(Grammaire normale <lu Volapiik) (juVlle avait pul)liée en 1802 : conserver
t'orttiojriaphe des noms propres de personnes et de villes; désifrner les
neuves par le nom (ju'ils portent à leur embouchure, et ne « traduire • dans
lu L. I. (|ue les noms de pays, et non les autres noms géogruphiques (même
de provinces).
3. Circulaire n° 88 (30 nuirs 1007)
4. On a admis comnu' radicaii.x cines (diinois), siames (-iatnois), qui
contiennent en réalité le sufllxe -es synonyme de an (v. circulaires 70 et 78).
COUTUHAT ET LkAC. — NoiIVOlU'S Ij. I. 4
30 SYSTÈMES A POSTERIORI
Panama, Peru, Piémont, Portorik, Sahara, S. Salvador, Sudan, Tibet,
Venesuela, Yudé. Pour ces derniers, on forme le nom de peuple
(ou d habitant) au moyen du suffixe an, en supprimant au besoin
l'a final du radical. 11 y a môme un cas où le radical d'un nom
de pays en -ia désigne, non un individu, mais une ville : Baden,
Badenia (grand-duché de Bade), Badenian.
Pour les noms de pays qui contiennent land et qui se terminent
en landia, on emploie le suffixe -er pour désigner la nation ou
race : Irlandia, Irlander = Irlandais, Irlandian = habitant de l'Ir-
lande. Pour ces mêmes noms, l'adjectif se forme régulièrement
au moyen du suffixe ik: Irlandik = d'Irlande. Cette catégorie
comprend en outre. Finlandia, Grenlandia, Nederlandia. Enfin les
Étals-Unis se disent Uniedstat.
M. RosENBERGER publie depuis janvier 1906 une petite revue
bimensuelle : Progrès, Revin internasional pro omni interesi de Idiom
Neutral, Organ de « Grup Neutralparlant » in S. Petersburg.
Nous y relèverons seulement les articles d'ordre linguistique.
Les Neutralistes n'ont pas été sans s'apercevoir que leur alphabet
un peu restreint les oblige à altérer assez gravement l'aspect d»-:
certains mots internationaux', notamment en remplaçant c et ;
par s. C'est ce qu'ont fait remarquer M. Bonto van Bvlevelt
(membre de ÏAkademi) et M. Molenaar (auteur de VUniversal)'^.
Pour satisfaire ces critiques et obtenir une orthographe plus
internationale, M. Mackensen proposa de réintégrer la lettre c
devant les voyelles e, i (avec le son tch) : cen, cent, centr, cerf,
cert. césar, ciel, cin (ou cigm, cir, cirkl, decembr, recivar, social,
spécial '.
Cette proposition suggéra à M. Rosenberger un projet de
réforme plus général et plus complet, par lequel il espérait
« rapprocher beaucoup Vorthographe du Neutral de celle de la majorité
des 7 langues principales (E., P., D., S., I., R., L.) sans abandonner
l'écriture phonétique suivant des règles fixes ^ ».
1. Cf. notre Histoire, p. 498.
2. M. Molenaar écrit par exemple : zensur, zent, zeris, zidr, zign, zep,
zedr, zerv (avec z = ts), au lieu de sensur, sent, seris, sidr, sign, sep,
sedr, serv.
3. Cette question (conciliation du graphisme et du phonétisme) avait été
discutée dans les circulaires n°' 16, 19, 39, 44 et 45. UAkade7ni subordonnait
en principe le graphisme au phonétisme (v. cire, n" 75, p. 3j.
4. Progrès, n" 5 (sept. 1906).
IDIOM NEUTHAL Rt
Ce projet consistait dans les propositions suivantes :
I" Remplacer k par c (prononcé A) devant a. o, u cf devant
une consonne : alcali, balcon, acusar. curs; clar, climat, crédit,
crom.
2" Remplacer k par q devant Tu bref (u consonne) : que. quai,
quande, quink, aqua. fréquent, sequar, tranquil.
:\" Remplacer ks par x : exist. exempt, text.
4*^ Restaurer le c de l'orlograplie internatif)nale, ef le pro-
noncer tch devant e, i : cek, celebr, cent, ceris, cign, cirk, accent,
ascendar, sceptr, excelent.
l)" Donner à g le son dj devant e, i : agio, ingénier, logi, giurn;
(W Restaurer la lettre z avec la prononciation c franc.) dans
les mots internationaux où elle existe : amazon, azot, zefir, zink.
En résumé, le son k s'écrirait désormais de quatre manières :
k, c, q, x; le son tsh de deux manières : c et tsh; le son dj de
deux manières : g et dj. Inversement, la lettre c aurait deux
sons : A- et tsh: et la lettre g aussi : g et dj. L'orthographe serait
moins phonétique, mais beaucoup plus internationale. M. Rosen-
berger regrette toutefois le son chuintant assigné à c devant e, i,
ce qui est un cas très fréquent, et qui n'est justifié que par une
seule langue l'italien). Ce projet modifierait l'orthographe de
700 radicaux, soit environ 12 p. 100.
En même temps, M. Rosenberger proposait de remplacer cer-
tains mots trop artificiels ou trop longs par d'autres plus natu-
rels et plus courts :
ist-kos
par
ci
siloke par
hi
elkos
—
te
sitempe —
nu
kelkos
—
ke
keloke —
quo
nokos
—
nil
tetempe —
tande
noun
—
nul
kekause —
per ke
kos
—
shos
tekause —
per te
Il proposait en outre le mot plusior {plusieurs), et des doublets
facultatifs pour quelques noms de peuples (à l'exemple de
M. Molenaar : angles (angl), espaniol (espan), frances (frans), ita-
lien (ital), portughes portugal .
Mais ce projet de réforme ne parut pas encore suffisant à
M. Edgar de Wahl, de Reval, ancien volapiikiste, ancien espé-
1. On a déjà kuande = quand (il sVcrirail : quande).
52 SYSTEMES A l'OSTERTORI
rantiste >, et ancien collaborateur du Linguisf^. Il trouvait que la
L. I. doit être encore « plus naturelle », plus rapi)rochée des
langues vivantes, c'est-à-dire des langues romanes, dont il avait
étudié la grammaire comparée. Il avait élaboré un projet de
langue que M. Rosenberger publia dans le n'^ 6 de Progrès. En
voici le résumé.
L'alphabet se compose des 25 lettres de l'alphabet romain, y
compris y, qui compte à la fois comme voyelle (h français) et
comme consonne (j allemand) ^. Il y a en outre deux digrammes :
ch {tch) et eu {eu F., o D), et une diphtongue : au (au D.): c se
prononce A-, sauf devant e, i, y, où il se prononce comme s * avec
la pointe de la langue entre les dents »*; s se prononce z entre
2 voyelles; et on la redouble dans ce cas si elle doit avoir le son
dur. L'accent est, comme en Neulral, avant la dernicr<> consonm*.
L'article défini est 1 (sic!), l'article indéfini est un Le pluriel se
forme au moyen de -s après une voyelle ou c; et de -es apr»'>s les
autres consonnes.
Les degrés de comparaison s'indifpient par plu, 1 plu: minu,
1 minu.
Les noms de nombre sont ceux du \eulral, excepté : ciïique, dece,
unce = deceun (11, duce = decedu 12), trice = decetri (13),
quatorce = decequator (14), dececinque (13); duente (20), triente
(30), etc. ; cente.
Les pronoms personnels ont deux cas, le nominatif et le cas
indirect (datif-accusatif) : eo, me; tu, te; il, le; lia, la; id; noi,
nos; voi, vos; ili, les (m. n.): las f/j; le réfléchi est se. Les pronoms
possessifs sont ceux du Seulral. Les pronoms interrogatifs-relatifs
sont : qui, que, quel, quai, quant; porqué = pourquoi, como ^= com-
ment, comme; onde =^ où. Les indéfinis : alqui =^ quelque, quelqu'un;
alque = quelque chose; null = aucun, personne; nunca ou jamas =
jamais.
Les verbes ont une triple conjugaison, qui dépend de la voyelle
de liaison a, e, i, qu'on ajoute au radical : ama, perde, fini. Cette
voyelle de liaison sera indiquée dans le dictionnaire.
1. H était un des deux abonnés tVUsperantisto qui votèrent pour le
3' point, c'cst-à-dirc réclamèrent d'autres réformes que celle que proposait
le D' Zamenhof (V. ci-dessus, p. 33).
2. Voir dans notre Hisioh^e le chapitre sur le Lingiiist.
3. Comme dans le Novilatin de M. Beermann.
4. Prononciation espagnole du c et du z.
perder,
finir.
perde.
fini.
perdi,
fini.
perderâ.
finira.
perderia,
tinirîa.
perdent,
finient.
perdit,
finit.
IDIOM NEUTRAL 53
Infini tir : amar,
Indicatif préseiil : ama,
Pivlrrit : amâ.
Futur : amarâ,
Conditionnel : amarîa,
Participe actif : amant,
Participe passé passif: amat,
Les temps indirects de l'actif sont composés au moyen de
l'auxiliaire aver; et tous les temps du passif au moyen de l'auxi-
liaire esser.
Il y a 10 verbes irréguliers par les formes du prétérit ou du
participe passif : aperir, covrir, dicer, facer, morir, offrir, poner,
tener, vider, voler.
L'adverbe est identique à l'adjectif; mais au besoin il pourra
prendre le suffixe men : talmen.
Les adjectifs dérivés de substantifs se forment au moyen des
suffixes généraux al ou ar natural, elementar, regular); du
suffixe -in pour marquer la similitude : infantin, canin: du suffixe
-at pour marquer la possession : barbât ' : du suffixe -bil ou -bl
pour marquer la possibilité; etc.
Pour les noms dérivés de verbes, il y a deux sortes de suffixes :
ceux qui s'appliquent au radical verbal (dépouillé de la voyelle
de liaison), à savoir or, id : amor, valid: et ceux qui s'appliquent
au participe passif (radical du supin latin), à savoir or, iv, ion :
orator, oration, vocativ.
Il y a environ !J0 verbes qui, tout en se conjuguant régulière-
ment, ont un second radical pour les dérivés en -or, -ion, -iv;
exemple : mitter, miss-ion; léger, lect-or; currer, curs-iv.
En somme, couime le remarque M. de Waiii. lui-même*, pour
savoir conjuguer un verbe il « suffit » d'en connaître par cœur
trois formes : l'infinitif et les 2 participes. On les trouvera sans
doute dans le dictionnaire, comme en latin!
En dérivation, les finales a, e, o tombent, mais les finales i, n
subsistent. En composition, on emploie i comme voyelle de
liaison.
M. Roscnberger s'est rallié aux vues de M. m: W.viii,, et a envoyé
à YAkademi, sous forme de Proyekt de Resolusion, un projet de
1. C'est eu même temps une désinence de participe passif.
2. Lettre du 8-9 oct. 1906 à M. Rosenberger (Progrès, u" 8, p. 17).
54 SYSTÈMES A POSTERIORI
réforme du Neatral qui ressemble beaucoup au projet de Wahl,
et que nous allons analyser à son tour, afin qu'on puisse les
comparer.
Le son k s'écrit c devant a, o, u, devant une consonne et à la
fin des mots : curs, clar, pisc, elastic. Il secrit qu devant e, i
(une se prononce pas) : squelet, tranquil. Il s'écrit q devant un u
consonne (qui se prononce) : aqua. ks s'écrit x : exempi, text.
c devant e, i se prononce s « avec la pointe de la langue entre
les dents > : cent, cerv, cign, cire; accent, scient, excellent. Le
son tsh s'écrit ch : chèque, chocolad, Chili. Le son dj s'écrit g
devante, i : ingénier, giurnal; z se prononce - (l'ran(^'ais) : azot,
zink. s entre deux voyelles se prononce aussi : : résolut, rosi; et
le son s dur entre deux voyelles s'écrit ss : esser.
Les voyelles accentuées sont longues, excepté devant deux
consonnes, auquel cas une voyelle est toujours brève : tass, pro-
gress, accusatio. Les finales ic, il, ul ne sont jamais accentuées :
elastic, amabil, artikul.
Les verbes ont chacun une voyelle de liaison, a, e ou i, indi-
quée dans le dictionnaire. L'infinitif se forme en ajoutant r à la
voyelle de liaison; l'indicatif présent, en supprimant l'r de l'infi-
nitif; le futur, en ajoutant à à l'infinitif, et le conditionnel en
ajoutant ia ^ L'imparfait se forme en ajoutant v, et le participe
actif en ajoutant nt au présent; seulement les verbes en i ajoutent
ev et ent : amav, perdev, finiev; amant, perdent, finient. Le parti-
cipe passif se forme en ajoutant t au présent, sauf que les
verbes en e changent cette voyelle en i : amat, perdit, finit.
M. RosE.N BERGER admet 8 participes passifs irréguliers : apert,
covert, dict, fact, mort, offert, posit, vist 2.
Les suffixes verbaux ion, or, iv remplacent les anciens asion,
ator, ativ: ils se joignent au participe passif. Mais 31 verbes
(avec leurs dérivés) ont un second radical (indiqué dans le dic-
tionnaire) pour ces 3 suffixes : mixar, mixt; cader, cas; caver,
caut; céder, cess; censer, cens; currer, curs; defender, defens:
ducer, duct; mitter, miss; morder, mors: mover, mot; nascer, nat;
peller, puis; pender, pens; primer, press: responder, respons;
rider, ris; rumper, rupt; seder, sess; scriber, script; solver, solut;
1. Voir le tableau donné plus haut d'après M. de Wahl.
2. Il est sous-entendu que les temps indirects (y compris le parfait) se
forment au moyen de l'au.xiliaire aver et du participe passif.
iniOM NEUTRAL 55
struer, struct; suader, suas; langer, tact: vader, vas; vider, vis';
vincer, vict; agir, act; patir, pass; sentir, sens; venir, vent.
l*()nr former des adjectifs tlérivés de substantifs, on emploie
en général le sufiixe al : annual, natural: et le suffixe ic seulement
quand les mots internationaux le contiennent : elastic. historic.
Eulin M. RosK.NiiEiu:KH propose de rétal)lir c au lieu de s à la
lia (les mots où il se trouve étymoloijriquement, eomnie : fugace,
▼ivace, féroce, glaci, menaci, place, race, pièce, speci, ofici. police,
price, prince, dulce : fianci ar. nuanci ar. comenci ar. essenci-al,
influenci-ar ; policia, agencia; pace (au lieu de paks); de nirme :
gratia, vernish.
H adopte la règle de M. de W.viil : les finales a, e, o disparais-
sent devant un suffixe, mais les finales i, u restent : gratia, gra-
tios; lege, légal; fili-o. filial; casu, casuistic
En conséquenee de la réforme orthographique, le .W'tilral
aurait la physionomie indiquée par les mots suivants : orquestr.
baldaquin, biscuit, banque, brique, cuirass, planch. antique, com-
municar, crashar, fabricar,masquar,nascer, piscar, riscar, traducer,
vocar, jocar.
En résumé, dans l'antinomie qui existe entre la régularité et
l'internationalité, les Neutralistes prennent parti pour l'interna-
tionalité, au détriment de la régularité. Ceux qui veulent une
langue « plus naturelle » leur retournent les objections qu'ils
adressent eux-mêmes à l'Espéranto, à savoir qu'ils obtiennent,
par régularité, îles formes « artificielles » et non internationales;
et ils sont ainsi amenés à compliquer leur langue pour la rendre
de plus en plus semblable aux langues vivantes (romanes). On a
déjà vu reparaître les formes multiples que revêt chaque verbe
irrégulier, et qu'il faut consigner dans les dictionnaires et
apprendre par cœur. Mais il semble que cette tendance ne puisse
pas s'arrêter en chemin, et soit au fond exclusive de toute
langue c artificielle » : car, si l'on veut une langue tout à fait a
posteriori, on ne pourra être satisfait que par une langue abso-
lument « naturelle », comme le latin ou le français; et du même
coup on aura perdu toute la régularité qui fait la simplicité et
la facilité, en un mot l'avantage pratique d'une langue artifi-
cielle.
1. Ct'la fiiit '■] radiciuix pour vider: vist. vis.
56 SYSTÈMES A POSTERIORI
M. Adam Mille», de Carlisle, espérantiste dissident rallié à
Vidiom Neuiral, propose de donner partout à la lettre c le son ch,
soit dans les mots où le son du existe : cek, cokolad, Cili, Cina;
soit dans les mots ou Ion emploie jusqu'ici sh : brocur, carm,
cercar, cef, cifr; soit dans les mots où le graphisme interna-
tional met un c : cent, celebr, ceris, centr, ciel: soi! dans les mots
où l'on emploie jusqu'ici k : cimi, cirurg; canal, caval, cant, cat,
calic ; soit enfin dans les désinences ic et acion : elektric, akademic,
katolic-ism ; deklamacion, proposacion. De cette manière, dit-il, on
rétablirait le graphisme étymologique, et on- aurait en même
temps une orthographe parfaitement régulière et phonétique.
Cela est vrai, mais ce serait trop souvent au détriment du pho-
nétisme, et cela rendrait certains mots méconnaissables à laudi-
tion (calic = c/ia/ic/i!)
Voici enlln les propositions émises tout récemment (juillet 1007)
j)ar M. le curé J. H. Pinth ', de Neudorf (Luxembourg).
Pour Vorlhographe : employer c (son ds ou s) devant e, i. si
l'internalionalité le réclame, et s'il ne termine pas le mot : facil,
celebr, scen. excepte. P^crire z pour le son ts : nazion. menzion,
redakzion, komenzar, dulz, feliz. Ecrire le son s par ss, quand il
suit une voyelle et ne précède pas une consonne; dans les mêmes
cas. s a le son z : lassar, tass, progress : ros, rosi.
Donner à g le son doux [y] devant e, i : gênerai, ingénier; et
l'écrire gh quand il a le son dur devant e, i : ghirland, ghitar.
Écrire dj pour les sons dsh, Ish.
Écrire x au lieu de ks : Luxemburg, exempl.
Conserver k à la fin des radicaux (amik) et quand il est inter-
national (kilometr). Le remplacer par q devant u demi-consouDc
suivi d'une voyelle) et devant e, i : quale, quink; qel, qi. Le rem-
placer dans les autres cas par c (prononcé A) : calm, acut, con-
cord, crear.
Il en résulte que c a deux sons, qui se trouvent réunis dans
des mots comme circuit, circumstanz.
M. PiNTii propose en outre d'adopter deux formes pour les
pronoms personnels, la 1"= pour le nominatif et le génitif, la 2«
pour le datif et l'accusatif: mi, me; tu, te: vo, vu; il, le; lia, la;
noi, nos; voi, vos; ili, les; ilai, las. Les quatre cas seront par
t. Né le 16 août 1853. Auteur d'une traduction de Vlmilalion en Volapûk
(1898) ; membre de YAkademi depuis le 31 mai 1905.
IDIOM NEUTRAL
î)7
exemple ; mi, de mi. a me, me. M. Pintii propose enfin d'adopter
2 conjugaisons distinguées par les voyelles de liaison a, e; en
voici le tableau :
indicatif présent :
don
vad.
— passé :
donav
vadev.
— futur :
donard
vaderô.
Conditionnel présent :
donaré
vaderé.
Impératif, 2" p, s. :
donâ
vadé.
— 1" p. pi. :
donam
vadem.
— 2" p. pi. :
donate
vadete.
Infinitif présent :
donar
vader.
— passé :
donavar
vadevar.
Participe actif présent
: donant
vadent.
— passé :
donavant
vadevant
— futur :
donarant
vaderant
Participe passif :
donat
vadit.
Gérondif :
donand
vadend.
Adjectif dérivé :
donabl
vadibl.
Lorsque le radical d'un verbe en er se termine par i, on réduit
à un seul les deux i des terminaisons : iit, iibl. Exemples : for-
mar, formabl, format, formazion ; comprender, comprendit, com-
prendibl: audier. audiev. audient, audienz, audit, audibl, auditiv,
auditor, audizion.
Depuis le 1'' janvier 1907 paraît à Bruxelles un périodique
mensuel : Idei international, revue in lin(jua earopean, publié par
M. HoNTO VAN Bvi.EVELT, membre de VAkademi, dans un
Neutral un peu hétérodoxe, comme il appert du titre même. Le
but de cette revue paraît être d'établir une coalition et une
fusion de tous les projets de langues « paneuropéennes » pour
battre en brèche VEsperanto. On y considère le Mundoliiuiiie, le
Naove-Roman, la Lingua Komun, VUniversal ', môme le Latino sine
Jlexione coninie des formes diverses d'une même solution; et on
est prêt à modifier le A'e»/ra/pour le rapprocher de ces idiomes.
Au surplus, la tendance et le ton général de celte revue sont
pI^t(^t polémiques que scientifiques: on n'y voit pas d'études
tln'oriques de linguistique, mais seulement des propositions
i. On (lit qur In criimniniri' de VUniversal est hirii siiporicun» à cello du
Neitlral (p. 43).
58 SYSTEMES A POSTERIORI
d'entente pratique et de compromis entre les divers auteurs.
Leur lien semble être moins la communauté des idées et du but
que l'hostilité à l'égard de VEsperanto ' ; et la preuve en est qu'on
invite ou qu'on accueille avec empressement des concours
comme ceux du D"" Nicolas et de M. Bollack, alors qu'on
exclut les seuls Espérantistes. Les critiques acerbes et malignes
du rédacteur principal n'épargnent même pas VAkademi dont il
fait partie et ses chefs. Il y a donc peu à attendre d'une telh'
entreprise, qui compromettrait plutôt le Neiiiral aux youx du
public impartial.
Historique.
Le manuel en langue hollandaise de M. Bonto van Bvleveli'.
que nous annoncions dans notre Histoire, a paru en 1903 (Haar-
lem, van der Heide). Le manuel en langue française a été entre-
pris par M. Chambonnaud. rédacteur du journal scolaire Les
Cinq Langues, à Limoges; il est prêt à être imprimé.
Il existe trois groupes de Neutralistes : un à Saint-Pétersbourg
(ancien groupe volapïikiste), présidé par M. Rosenbe'rger ; un à
Niirnberg (ancien groupe volapiikiste, puis espérantiste), présidé
par M. Chr. Schmidt; et un à Bruxelles, présidé par M. Bonto
van Bvlevelt. Ce dernier a publié une feuille de propagande
contenant des appréciations et témoignages en faveur de Vidiom
NeutraL M. Mackensen, membre de VAkademi, a fondé, le 4 jan-
vier 1907, à San Antonio (Texas), une International Language Society
qui publie des feuilles de propagande en anglais.
1. Une série d'articles est intitulée : Pro que noi es kontra Espéranto?
ELIAS MOLEE : TUTOMSin
L'auteur du Tutonish, Norvégien d'origine, né en Wisconsin en
1845. a vécu dès son enfance dans un milieu où étaient parlées
diverses langues germaniques, ce qui lui donna de bonne heure
l'idée d'une fusion des langues germaniques. En 1887, il publia
un premier essai Germanic-English que nous ne connaissons pas,
mais qui n'est que l'ébauche du Tntonish. L'auteur fait valoir en
faveur de son plan des considérations politiques, fait appel aux
sentiments « patriotiques » et « de race » des peuples-germa-
niques, et manifeste une slavophobie étrange. Il rêve une union
linguistique des peuples germaniques, une conférence diplo-
matique qui adopterait une langue inter-germanique. Parfois il
semble inviter les peuples romans à adopter de même une langue
inter-romane; mais au fond il croit que la langue inter-germa-
nique s'imposerait au monde. 11 espère même ([u'cUe supplante-
rait les langues nationales et deviendrait la langue unique des
l)euples germaniques. Il croit d'ailleurs qu'une langue ne peut
devenir internationale que si elle est d'abord nationale.
L'anglais serait la L. I. parfaite, s'il avait une orthographe
phonétique et s'il était purgé de ses éléments romans, qui en
altèrent Ihpmogénéité; cedouble desideratum, lauteur le réalise
dans sa propre langue, qui est un simple mélange d'anglais et
d'allemand, avec quelques éléments Scandinaves.
Son alphabet est très compliqué; il admet, outre les "> voyelles
a, e, i, 0, u, les combinaisons : aa (a long), le (i long), oo = uu yu
long), ae ( «D., è F.), ai, au, aw, ei, eu, oe, oi, diphtongues pro-
noncées à l'anglaise ou à l'allemande; y=u F. Il y a deux
digrammes : ch, sh, prononcés comme en anglais. Dans la trans-
1. Elias MoLGE : Tutonish or Anglo-German Union Tangue, i brochure.
208 |>. (Ctiioafro, Scroll, 1902); Tutonish, a teutonic international lanffuage,
1 biucluire, OG p. (chez rautour, Tacoina, 190i).
60 SYSTEMES A. POSTERIORI
cription des mots, le th anglais est remplacé par t ou d : 2u et ivh,
par V.
L'auteur proscrit rigoureusement les majuscules, qui « ne
sont pas démocratiques ».
Varlicle défini varie en nombre, et môme en genre au singulier :
do (m.), da (f.), du (n.), di (plur.)-
Varlicle indéfini est ein (sing.).
Le pluriel des substantifs se forme par addition de s ou es. 11 y
a un accusatif pour les substantifs, mais seulement dans la poésie
et dans les phrases inverties : il se forme au moyen de la dési-
nence em. On peut former le génitif au moyen de la désinence
on : god'on haus ^ la maison de Dieu ' .
L'adjeclifcst invariable et identique à l'adverbe.
Les degrés se forment au moyen des particules mor, most,
mindr, minst.
Les nonis de nombre sont : ein, to, tri, fir, fem, ses, syv, ot, ni,
ti; hundr (100), tusn (1000), einjon {un million). Les nombres
ordinaux en dérivent par l'adjonction de a.
Les pronoms personnels sonl : mi, dau, hi, shi, it; vi, ju, de; le
réfléchi, sich.
Les pronoms possessifs en dérivent par l'adjonction de o : mio,
dauo, etc.
Les pronoms relatifs sont : hu pour les personnes et vat pour
les choses.
Les verbes ne diffèrent pas des substantifs par le radical, qui
sert à la fois d'infinitif, d'impératif et d'indicatif présent. On
ajoute au radical n ou en pour former à la fois le passé et le par-
ticipe passé passif : mi givn —je donnai, givn = donné; on emploie
l'auxiliaire hav pour le parfait : mi hav givn =/ai donné; mihavn
givn =f avais donné; et l'auxiliaire vil pour le futur : mi vilgiv =
je donnerai, mi vil hav givn = f aurai donné. Il n'y a i)as de sub-
jonctif ni de conditionnel. Le participe présent actif a pour dési-
nence end.
Le passif se forme en ajoutant au radical verbal is {est) : bruk'is
= est employé ; tak'is = est pris.
V interrogation est marquée par l'inversion du sujet et du verbe.
Pour le vocabulaire, « dis sprak must bi so rein tutonish as
1. La lettre s doit être réservée au pluriel; employée à la fois pour le
pluriel et pour le génitif (comme en anglais), elle produit des confusions,
d après l'auteur.
KLIAS MOLEli : TLTOMSU 61
mogli » (ce4:te langue doit être aussi purement teutonne que pos-
sible); aussi l'auteur oxclut-il tous les mots d'origine romane ou
grcccpie qui se trouvent en anglais et môme en allemand, et les
remplace par des radicaux germaniques ou des composés auto-
nomes « scU'-explaining » (qui s'expliquent d'eux mOmes) : ainsi
on dit auga pour idée{D. auge = œil), et augal pour idéal; samleg
pour colkije, samili pour family, gefolk pour nation, gebring pour
nalnre, sendost poui" npôlre, einoism pour nionisni; par suit»;, on a
lies composés comme tviengefolki = inler national, samset = com-
position, overskuul = université, denk-lore = logique, vesn lore =
philosophie, plant-lore = botanique, star-lore = astronomie, fish-
lore = ichlhyologie, mor-ial^= pluriel.
L'auteur admet de nombreux préfixes et suffixes, qu'il onipniiit<;
tels quels à l'allemand sans en définir le sens. 11 admet aussi les
désinences 0 et a |)(jui' indiquer des personnes masc. ou l'ém. :
herlino = Berlinois, berlina = Berlinoise: er pour désigner une
personne en général; ist pour désigner un professionnel ; elpour
désigner, une chose, instrument ou action; u ou nu pour
former des substantifs abstraits de qualité ou d'action (gud :=
bon. gudu = bonté); et pour former les diminutifs; li pour for-
mer les adj(;ctifs et adverbes dérivés; ir pour les verbes
dérivés, etc. 11 faut remarquer le suffixe im, qui désigne la per-
sonne qui subit ou reçoit une action : tiechr = pro/esset/r, tiechim
=: élève; givr = donateur, givim = bénéficiaire du don.
Voici le Pater en Tuionis/i (brochure de 1904) • :
vio fadr hu bi in hevn, holirn bi dauo nam, dauo reik kom. dauo
vil bi dun an erd. as it bi in hevn; giv vi dis dag vio dagli bred, and
fergiv vi vio shulds, as vi fergiv vio shuldrs; lied vi net intu fer-
sieku, but befrie vi from ievl. (let so bi = ainsi soit-il!)
Dans sa brocburo de 1902, l'auteur coiulescend à indiquer
aux peuples romans comment ils pourraient former de leur côté
une langue inter-romane. Ils n'auraient qu'à substituer aux
articles du Tutonish les articles : lo, la, le, li: à ses pronoms
personnels les pronoms : mi, tu, il, el, id; nu, vu, lu, se; à ses
pronoms relatifs : ki, ku, ka; enfin à adopter des radicaux pure-
ment romans. Voici le Pater rédigé dans cette espèce de « panro-
man » :
1. Diiiis In hioctiurc de 11)02, hevn osl rcmpliii»' |>iir himi. reik par
reich, as p;ir als, and par en, not par nit, intu par inzu, befrie par frie,
from par fon.
62 SYSTEMES A POSTERIORI
nuo padr, ki bi in siel. sanktirn bi tuo nom, tuo regnu ven, tuo
vol bi fasn sur ter kom in siel; don nu boy nuo diali pan; et pardon
nu nuo débits, kom nu pardon nuo debitors; et induk nu non in
tentu, ma delivr nu de mal.
Sans critiquer le projet de langue de M. Molee, il nous sera
permis de faire remarquer quil s'inspire de motifs absolument
opposés à la fin humaine et civilisatrice de la L. I. et à la
neutralité que l'on exige d'elle *. D'ailleurs, même au point de
vue pratique, une seule L. I. vaut mieux que deux ou trois; si la
langue auxiliaire n'était pas unique, elle perdrait en grande
partie son utilité et sa raison d'être.
1. L'auteur op|)0:<e e.\|)res^it•mt!Ilt son projet à celui d' « une langue de
compiuinis (jui serait également facile à apprendre pour les races germa-
nique, romane, slave, sémili(|ue et mongolique ». (Lettre-circulaire du
18 février 1904, adressée aux journaux.)
H. MOLENAAU : UNIVERSAL {PANROMAN)^
Le D"" MoLENAAR est un publicistc bien connu dans les milieux
positivistes et pacifistes, directeur des revues Die Religion der
Menschheit et Menschheilsziele, et fondateur de la Ligue franco-alle-
mande. C'est la Langue bleue qui l'a amené à réfléchir sur le pro-
blème de la L. I. et à en élaborer une solution nouvelle, à une
époque où il ne connaissait encore que superficiellement, outre
la langue de M. Bollack, le Volapiikcl VEsperanto. 11 reproche au
Volapûk d'être trop artificiel, et à VEsperanto d'être un mélange
« barbare » de racines hétérogènes, de sorte que môme les racines
germaniques y sont méconnaissables et incompréhensibles aux
Allemands. L'auteur préfère une langue homogène, et par con-
séquent uniquement composée d'éléments latins ou romans; et il
assure qu'une telle langue a beaucoup plus de chances de plaire
à ses compatriotes qu'une langue mixte qui choque leur senti-
ment esthétique. C'est dans cet esprit qu'il a imaginé le Panro-
man, qu'il a ensuite nommé Universal pour ménager l'amour-
propre des peuples non-romans et affirmer l'internationalilé de
son projet : car il constate que les mots internationaux sont
presque tous latins ou romans. Il reproche en outre t"» VEsperanto
une grammaire trop compliquée, des désinences arbitraires et
trop peu harmonieuses (il l'appelle la langue des oj-aj-oj). Il
pense que la L. l. ne pourra jamais être trop simple, et il s'est
proposé d'élaborer une grammaire « ridiculement facile » qui
1. Die Wellsprache, art. dan^s la revue Die Religion der Menschheit,
mars 1003); Wie das Panroman enlsteht (ibid., mai iW-i) ; Espéranto oder
Panroman ? Das Weltspracheproblem tind seine einfachste Losung, 1 bro-
chure de 15 papes (1906) ; Universal-ling (Panroman), dans la revue Mensch-
heitsziele (11)06); Gramatik de Universal, pro Italiaui, Spauioli, Franzesi,
Anglesi, Germani, 1 l)r(u'hure de 36 pages (Leipzig, Piittmann, HH>6).
L'auteur a commencé eu 1907 à publier une petite revue : Unicersal-Kores-
po7idenz, organ pro perfekzion, kritik e propagand de Iniver.inl-Ling.
64 SYSTÈMES A POSTERIORI
tient tout entière à l'aise sur une carte postale. La L. I. doit cUre
selon lui compréhensible à première vue, sans étude préalable et
sans manuel, pour tout Européen cultivé. Et à ceux qui trouve-
raient que l'adoption exclusive d'éléments romans favorise les
peuples latins et rend la langue plus difficile à apprendre aux
autres, il répond qu'elle a pour ceux-ci l'avantage de les initier
au vocabulaire roman, do sorte qu'ils auraient bien moins
d'elTorts à faire ensuiPe pour apprendre le latin ou une langue
romane quelconque.
Gramm.\ire.
iJalphabel est l'alphabet latin, moins les lettres cet y, qui, avec
à, 0, û et w, ne sont employées que dans les noms propres, g est
toujours dur; q a le son de k, mais est toujours suivi de u; z
a le son ts (D.). Il faut y ajouter les deux digrammes ch (Ich) et
sh {ch).
L'accent est sur la voyelle qui précède la dernière consonne;
les exceptions sont indiquées par un accent typographique :
akademi.
L'article défini est lo(m.) la, (f.), le (n.) ; on l'emploie le moins
possible, principalement pour substantifier un adjectif lo bon,
la bon, le bon) et pour marquer le superlatif (la plus bel;.
L'article indéfini est un (singulier seulement).
Il n'y a pas de déclinaison. Les cas sont marqués par les prépo-
sitions: l'accusatif, identique au nominatif, est marqué par sa
place dans la phrase (après le verbe).
Le genre naturel (sexe) s'indique en ajoutant o (masc.) ou a
(fém.) au radical du substantif : filio, filia.
Le pluriel des substantifs se forme en ajoutant i au radical :
hom, bomi: filioi, filial.
L'adjectif est invariable, et peut précéder ou suivre le sub-
stantif.
Les degrés sont indiqués par plus (comparatif) et lo, la, le
plus (superlatif). On admet des comparatifs et superlatifs irrégu-
liers latins : major, melior, minor, anterior, superior ; maxim, minim,
optim, pessim proxim, ultim sont des superlatifs par la forme,
mais non par le sens).
Les adverbes dérivés se forment au moyen de la finale e ; mais
non les adverbes primitifs, comme plus, min [moins], etc.
11. MOLENAAH : L'NIVKHSAL (I'ANROMAN) 65
Les nombres cardinaux sont : un, du, tre, quar, quin, sex, sept,
okt, nov, dez ; undez ou unz (11), dudez ou duz (12), etc. ; vint (20),
trent, etc., novant ; zent, duzent, etc.; mil, milion, miliard (1.000
millions).
Les nombres ordinaux se forment au moyen du suffixe -im : unim,
duim, etc. On admet aussi les ordinaux irr» guliors (latins) sui-
vants : prim, sekund, terz, quart, quint, sext, oktav, non. Les
adverbes ordinaux se déduisent des adjectifs précédents par
l'adjonction régulière de e.
Les nombres fractionnaires sont : demi, terz, quart, quinim, etc.
/les nombres ordinaux).
Los nombres innlUplicalifs sont : simpl, dupl, tripl, quadrupl, quin-
tupl, sextupl, septupl, oktupl, nonupl. dekupl, etc.
Les pronoms personnels du singulier ont chacun trois formes :
Nom. :
jo
tu
lo (m.)
la (f.)
le (n.)
Datif :
mi
ti
li
li
11
Accus. :
me
te
lo
la
le
Ceux du pluriel n'ont qu'une forme : nos, vos, los (3 genres).
Le pronom réfléchi est se.
Les pronoms possessifs sont : mon, ton, son ; nostr. vostr, lor (sans
distinction de genre à la 3'' personne sing. ef plur ).
Les pronoms démonstratifs sont : is (iso, isa, ise), celui-ci, celle-ci,
ceci ; il (ilo, ila, ile^, celui-là, celle-là, cela.
Les pronoms inlerrogatifs-relatifs sont : qui(personne), que (chose) ;
quel, quel ; quai, de quelle espèce ; quant, combien.
Los pronoma indéfinis sont : ul(i\ quelk(un . alkun i , quelqueis);
quelkos, quelque chose ; quikunk, quiconque ; quekunk, quoi que ce
soit ; quelkunk, quelconque; nul(i), aucun{s) ; nemo, personne ; ni(hi)l,
rien ; pluri. plusieurs ; plurimi, la plupart ; shakun, chaque, chacun ;
tuti, tous ; tôt, tout (entier) ; altr(ii, aulre[s^ ; tal, tel.
La conjugaison est absolument régulière ; toutes les désinences
sont accentuées sur la dernière syllabe, excepté eva.
L'infinitif a la désinence er : eser, haber.
L'indicatif présent se réduit au radical : es, hab.
Le prétérit a la désinence eva : eseva, habeva.
Le futur — erô : eserô. haberô.
Le conditionnel — eré : eseré, haberé.
L'impératif, ainsi que le subjonctif ou optatif, a la désinence
e : ese, habe.
COUTCH.VT ET LkaU. — NoUVclioS L. I. 5
6g SYSTÈMES A POSTERIORI
Le participe présent a la désinence ent : esent, habent.
Le participe passé (passif?) — et : eset, habet.
Les temps composés de l'actif sont formés par l'auxiliaire
haber : parfait : hab eset; plus-que-parfait : habeva eset; futur
antérieur : habero eset.
Tous les temps du passif sont formés par l'auxiliaire eser joint
au participe passé : jo es amet, etc.
La négation est non, qui se place ad libitum (sic).
L'interrogation se marque en plaidant le sujet après le verbe
(contrairement à Tordre normal).
Les pronoms au datif ou à l'accusatif sont toujours après le
verbe (et après le sujet). Tous les verbes actifs (par le sens)
régissent l'accusatif. Les verbes réfléchis ne sont employés que
lorsque l'action est réellement réfléchie. Les verbes imperson-
nels n'ont pas de sujet grammatical.
Les principaux adverbes primitifs sont : si =^ oui, no = non,
non = ne pas ; ni... ni; non plus = ne plus ; hik = ici, ibi = là ;
ubi = où, ulu = quelque part ; nulu = nulle part ; rétro = en arrière ;
infra = en bas ; quand ; alor ; ankor ; nunk= maintenant ; semper =
toujours; jama =z jamais (aff/1 ; non jama = ne jamais (rtég.) ; ja =
déjà ; pui = puis ; bentost, sovent, tost, tard ; ank = aussi ; forse ^=
peut-être ; mem = même ; sik = ainsi ; kom = comme ; quant = com-
bien ; tant, apen, pok =^ peu, sat = assez, multe, trop.
Les prépositions sont presque toutes empruntées au latin, sauf
depui, près [près de), da {à partir de) ; a, ad, ante (avant), de, ex, in,
inter, intra. juxta, kon, kontra, per, post. pro. sekun {selon), sin
{sans), sub, super, sur, trans, ultra, usque, vers, zirka. Les princi-
pales prépositions dérivées sont : durant, malgrad, nonobstant,
tokant [louchant), exzept, travers, via ; a kaus de. in mank de, in faz
de, relativ a. On peut employer toutes les prépositions devant
un infinitif, et notamment por, post, sin.
Les principales conjonctions sont : e = e<, o = ou, or, dunk, ma =
mais, nam = car, si = si, ke = que, dum — pendant que, afin ke,
ante ke, benke = quoique, depui ke, durant ke, perke — parce que,
post ke, sin ke, sik tost ke = aussilol que, sik long ke — tant que,
tut vez ke = toutes les fois que, usque ke = jusqu'à ce que; porke =
pourquoi"!
II. MOLENAAR : UNIVERSAL (pANROMAN) 67
VoCAIiULAlRE.
Tout mot international est admis dans la langue, qu'il soit
latin ou non : ex. : klub, tram, knut. zolverein. Mais en règle géné-
rale, on adopte les mots qui existent : 1" dans deux ou plusieurs
langues romanes ; 2° dans une langue romane et une autre grande
langue : 3" en latin et dans une autre grande langue '. Les mots
nécessaires qui ne remplissent aucune de ces conditions sont
empruntés au latin, au fran(;ais, à l'italien ou à l'espagnol, sous
la forme la plus simple possible. Citons cpielques éclianlillons de
ce Vocabulaire : abandoner, adversar, akuser, alumet. ambasador,
angust(^/rot7s anoier [eniuiyer\. aprender, asasinat, av {oiseau , bok
[bnache^, chemi-, dejuner. deszender. di jour . dio (dieu , diskurs,
dikzionar, dokt, efort, eklatant, eskarpat, estai [élé], état (âge),
expekter (attendre), fazer [faire), flagel, for ilron), frisk (frais), futur,
grazer remercier), guer (fjuerre). guverner. haster, hibern (hiver),
humid, imag, imaginer, invenzion. irat (irrité), joker (plaisanter),
kader [tomber , kamber (changer), kamis (chemise), kaper prendre),
kaval, koler, kombat. konienzment. komunikazion, konozer (con-
naître), konquist. lanzer (lancer), lontan (lointain), lum et luz
{lumière), magnifik. mal {mauvais, mal), malad, marsher, mashin,
miszer (mêler), miter (envoyer), nas (nez), nav (navire\ niv (neige),
numer (nombre), obliger, obliver, obtiner. ofrer. oposer. orner,
parent-i, parler, péril, plesir, pol [pôle), poser, posibl, poter po»-
uoir , preger (prier), prender, prester. promiter, propager, protéger,
quiter, reflexion, remplazer. repliker, représentant, resoluzion.
retener, returner, rik riche , rok, rut, saper ^savoir], seduzer
(séduire), sit (soif), skop (but), sol (soleil et seul), sor (sœur), stranier
(étranger], sufizer \suffire\ sufrer, sukr, superstizion. suspirer.
tekt (toit), tirer lunc arme), toker [toucher), tor (une tour , tur (un
tour de touriste), trembler, trover, unik, user, util, vel (une voile),
velam (un voile), venger, vinzer ^'aincre), viser, voler vouloir),
volter (voler , voz (voix), ziel [ciel, zisor ^ciseaux].
Les noms de pays sont en général terminés en -ia: Anglia,
Austria, Belgia, Britania, Dania, Franzia, Germania, Italia, Polonia,
1. Lt's - grandes langues • semblent être les cinq langues (I., S., F.,
K., D.) dans Iesi|ucUos est traduit le Voi-ahulaire de VUniversal.
2. Laiitt'ur nous informe <|u'il remplace ch par k dans les mots kemi,
kimer. kirurgi et analogues.
6g SYSTÈMES A POSTERIORI
Russia, Spania, Svedia, Ungaria, même Brasilia ; mais : Sviz, Ho-
landa, Chile, China (chines), Japan.
L'auteur ne donne aucune indication sur son système de for-
mation des mots. Il donne bien une liste de préfixes et de
suffixes, mais, au lieu d'en définir le sens, il indique seulement
leurs équivalents formels dans les cinq langues. Or on sait que,
dans les langues vivantes, un môme affixe peut avoir plusieurs
sens, et même n'en avoir aucun : ce n'est pas définir les préfixes
in, ob, per, par exemple, que de dire qu'ils correspondent à in,
ob, per dans les cinq langues. Pour deux suffixes, ul et et, on
indique qu'ils sont des diminutifs. 11 est inutile que nous énu-
mérions les autres ; d'ailleurs il y en a qui semblent faire double
emploi : abl et ibP, ik et tik, iv et tiv, or et tor, ur et tur, itat,
tat et tud 2, sion, zion et azion, etc. 11 vaut mieux chercher dans
le vocabulaire comment l'auteur les emploie. Mais cette recherche
est assez difficile, car il n'indique aucune famille de mots; on
ne sait pas, par exemple, si ridikul est dérivé de rider i)ar le
suffixe ikul, ou est une racine indépendante; et parfois il ne met
dans le vocabulaire qu'un mot manifestement dérivé, comme
abundanz,diabolik,ignoranz, mélodies, exposizion, spektator, stretez
[étroitesse : suffixe ez?). Le suffixe itat semble indiquer la qualité
abstraite : divers-itat; mais ailleurs il paraît avoir un autre
sens : hered-itat {héritage), human-itat (humanité, ensemble des
hommes : Menschheit). Le suffixe -os semble signifier plein de :
montes, orgulos, petros; mais il a d'autres sens ailleurs : dut,
dûtes: monstres.
Inversement, la même relation est traduite par plusieurs
affixes ditîérents : kurver = courber; libérer : rénover = renouveler;
saner = guérir; mais on a : réaliser, perfekzioner, sanktifizer.
L'action exprimée par un verbe est souvent désignée par le
radical : demand, demander; désir, désirer; gard, garder; graz,
grazer {remercier); mais ailleurs elle est désignée par divers
suffixes : koronazion {couronnement), komenzment, pensament,
speranz, veng-enz, honor-enz.
Du reste, les formes des dérivés sont souvent irrégulières : à
côté du suffixe enz que nous venons de voir, on trouve ienz dans
obedienz : à côté de os, ios dans laborios, misterios, prezios,
silenzios. Parfois l'irrégularité est plus grave, et altère le radical :
1. Rekomendabl, admisibl.
2. Juven, juventud; on trouve môme iz : just, justiz.
II. MOI.ENAAR : UNIVERSAL (pANROMAN) 69
infant, infanz; reziper, rczepzion; solver, soluzion: szienz, szien-
tifik; komprender, komprensibl; imprimer, impres; aluder, alusion;
léger, lektor. Parfois niùmc il n'y a pas do rapport do dérivation
entre des mots appartenant à la même famille : grat (reconnais-
sant) et grazer {remercier); medik {médecin) et medizin; vit {vie) et
viver; reg (roi) et regin {reine): di et quotidian; irat et koler; etc.
l'^n revanche, il n'y a aucune relation de sens entre des mots
qui semblent dérivés les uns des autres et ont le môme radical :
adult et adulter; fund {fond) et funder i fonder) ; furn (four) et
furner [fournir); las .las) et laser [laisser); leg {loi) et léger [lire);
livr [livre) et livrer {livrer); ordin {ordre, arrangement) et ordiner
{ordonner, commander); prest [rapide) et prester {prêter), tent
{lente) et tenter {tenter); mor {mœurs) et morer {mourir), morl (la
mort) et morter {tuer) ; patr {père) et patrî {patrie), qui ne diffère du
pluriel de patr que j)ar l'accent; reg [roi) et reger [régner); kapel
{chapeau) et kapela {chapelle); kas {cas) et kaset [caisse), etc. lin
somme, l'auteur est parfois indécis, dans la formation des mots,
entre la régularité et la conformité aux langues naturelles (ainsi
il admet à la fois pensativ, régulier et espagnol, et pensieros.
italien); mais le plus souvent il sacrifie la régularité, et adopte
telles quelles les formes latines ou romanes (valer, valor: timer.
timor, timid; nezes = nécessaire, nezeser = avoir besoin, nezesiter
= nécessiter).
De même, pour la relation des noms de peuples aux noms de
pays, Vi'niversal ne se pique i)as de régularité, comme on voit
par le titre même de la Gramatik : Italiani, Spanioli, Franzesi.
Anglesi, Germant.
Les mots composés se forment comme en anglais et en alle-
mand : universal-ling, vapor-nav, post-kart ; on admet aussi la
formation romane : kongres de paz.
Voici la traduction du Pater en Universal :
Patr nostr, qui es in ziel. ton nom ese sanktifizet; ton regn vene;
ton voluntat ese fazet in ter kom in ziel. Done nos hodi nostr pan
quotidian; pardone nos nostr debiti, kom nos pardon a nostr debi-
tori; e non induze nos in tentazioni, ma libère nos de mal.
G. PEANO : LA'flSO SISE I-LEXIOSE^
M. Giuseppe Peano, professeur de mathématiques à l'Univer-
sité de Turin, membre de l'Académie, royale des Lincei, est un
des mathématiciens et des logiciens les plus distingués de ce
temps. Il a inventé en 1888 un système de calcul logique qu'il
a appliqué à l'analyse des principes et des démonstrations
mathématiques; il a fondé en 1891 la Revue de Mathémaliques
pour exposer ces recherches, avec le concours d'une pléiade de
savants qui étudient la logique et l'histoire des mathématiques*.
Il ne prétend pas inventer une langue nouvelle; il a surtout
étudié au point de vue théorique le problème de là langue inter-
nationale; nous n'avons donc pas ici à analyser une langue,
mais à résumer des vues théoriques.
L'origine ou l'occasion de ces études a été la publication, par
M. Couturat, de fragments inédits de Leibniz relatifs à la langue
universelle^. Dans ces fragments, Leibniz esquissait l'analyse
logique de la grammaire*. M. Peano reprend et pousse à bout
cette analyse. La déclinaison est inutile, car les cas peuvent être
indiqués et remplacés par les prépositions, et l'accusatif par
l'ordre des mots. Les genres sont inutiles, au moins dans les
1. G. Peano, De latino sine fleiione, dans Revue de Mathématiques,
t. VIII (1903); // Latino quale llngua ausiliare intemazionale, dans Atli
délia R. Accademia délie Scienze di Torino l'i janv. 1904); Vocabulario de
Latino internationale, comparato cum Anr/lo, Franco, Germano, Hispano,
Italo, Russo, Graeco et Sanscrito (!•' sept. 1904); l'onnulario Malliematico,
îî" édition (Tonno, Bocca, 1906), contenant une préface linguistique ot un
Vocabulario.
2. Voir L. Couturat, Les principes des mathématiques (Paris, Alcan,
1903).
3. La logique de Leibniz d'après des documents inédits (Paris, Alcan,
1901); Opuscules et fragments inédits de Leibniz (Paris, Alcan, 1903).
M. Couturat avait d'ailleurs été mis sur la voie de ces recherches par un
des disciples de M. Peano, M. Vagca.
4. Voir notre Histoire, p. 25-26.
(.. l'EANO : LATINO SINE FLEXIONE 71
adjectifs; on peut les indiquer par des particules comme is, ea, id.
Le pluriel est inutile, et le plus souvent redondant : quand on
dit : « l'homme a une bouche et deux oreilles », l'indication de
noml>ro contenue dans les substantifs (singulier ou pluriel) est
Buperllue: et quand il n'y a aucun mot indi(jnant le nombre, on
peut toujours ajouter un ou plusieurs. La distinction des per-
sonnes du verbe est évidemment inutile; celle des modes aussi,
car elle faitdoul)lo emploi avec les conjonctions; celle des temps
également, car, ou bien elle est superflue, comme quand on
dit : « Je vous ai «'crit hier, j'irai demain à Rome », ou bien elle
peut être remplacée par les adverbes de temps indiquant le
présent, le passé ou l'avenir*. En résumé, on peut supprimer
toutes les « flexions » et réduire les mots variables à leur radical
invariable.
M. Peano aboutissait ainsi, non pas à simplifier, mais à sup-
primer toute la grammaire : « Post reductione qui praecede,
nomen et verbo fie inflexibile; toto grammatica latino evanesce - ».
Quant au vocal)ulaire, il l'empruntait au latin, en réduisant les
noms et les verbes h leur radical invariable (suivant des règles
philologiques générales).
Mais, dès l'origine, M. Peano prévoyait qu'on devrait admettre
en outre les mots internationaux modernes, comme melro, dyne;
1. Dans une proinièrc nkluclioii, M. Peano conservait les désinences
verbales suivantes : -vi. -nte, -ndo. -to, -turo, -r : l'indicatif présent, iden-
tique à l'infinitif, était le radical, c'est-à-dire l'inlinitif latin moins la finale
-re (ama) : le passé était ama-vi; le participe présent actif ama-nte ; le
participe futur actif ama-turo ; le participe passif, ama-to ; le pérondif
ama-ndo ; et l'infinitif |»assif ama-r. Les mêmes (Inales s'appliiiuaient à
toutes les conjugaisons latines : dele, dele-vi, dele-nte, dele-ndo, dele-to,
dele-turo, dele-r. Les verbes déponents étaient transformés en actifs :
horta. vere, funge. parti; et les irréjîuliers posse, velle, ferre recevaient
pour radical : pote, vole. fere. — Mais ces six formes verbales peuvent être
remplacées par des périphrases analytii|ues :
laudavi = lauda in passalo.
laudante = (lui lauda.
laudando = dum lauda.
laudato = qui aliquis lauda.
(c.-à-d. quem aliquis laudat, en vertu de la règle (jui fixe l'ordre des mots)
lauda-tiiro =:qui lauda iti futuro.
Petro lauda-r ab Paulo = l'aulo lauda Petto.
2. Ailleurs il dit : « In frramnuitica minima é la jrrammatica nulla ». Dans
s(ui premier article, à nu-sure (fu'il indiijue une réduction, il I'ai)plique dans
la suite; de sorte (|ue cet article, commencé en latin classi(iue, s'achève en
latino sine flp.vionc.
72 SYSTEMES A POSTERIORI
et les mots du latin populaire, qui sont communs à deux au
moins des langues romanes (comme caballus\
Il admettait en outre la nécessité de simplifier et de régula-
riser la dérivatio*n et la composition des mots latins, toujours
en analysant les formes classiques et en les remplaçant par des
périphrases analytiques '. Le substantif abstrait d'un adjectif
équivaut à cet adjectif : bonitas = bono: le substantif abstrait
d'un verbe équivaut à ce verbe : laudaHo= lauda; nmor = ama.
Enfin l'auteur admet la composition des mots suivant la méthode
grecque et allemande, les éléments restant invariables.
Le maniement de cette langue se réduit donc à juxtaposer,
dans un ordre logique, des mots et particules invaiiables. « Le
latin sans flexion est un peu difficile à écrire; mais il est très
facile à lire. » Quand on sait le latin, on comprend cette langue
à première vue; quand on ne le sait pas, on peut la déchilTrer
à l'aide d'un dictionnaire latin-national. Et d'ailleurs la plupart
des mots latins sont connus, étant internationaux (surtout dans
les mathématiques, auxquelles M. Peano applique naturelle-
ment ce système). Ce n'est pas une « langue nouvelle », comme
sont les langues artificielles, dont le vocabulaire est toujours
plus ou moins arbitraire; et toutes les difficultés du latin, qui
résident dans la grammaire, et qui empochent de l'employer
comme L. I. pratique, ont disparu. Le Laiino sine Jlexione est plus
simple et plus facile que toutes les langues artificielles (qui ont
encore une grammaire) et il a l'avantage d'un vocabulaire natu-
rel. L'auteur, qui l'emploie uniquement comme langue écrite,
ne donne pas de règles de prononciation.
Depuis 1903, la Revue de Mathématiques (j)artie du t. VIII) et le
Formulaire de Mathématiques {">^ édition) sont rédigés en Latino sine
Jlexione; ce qui implique que les collaborateurs de M. Peano
emploient cette langue 2. Bientôt on a reconnu l'utilité de la flexion
du pluriel, et on a employé à cette fin un -s : Theoria de congruen-
tlas intra numéros integro », de M. Cipolla K On emploie comme
1. Par exemple, il a ((ualifié l'un de nous de " labor ne-fatiga qui .,
c'est-à-dire travailleur infatigable (iitt. : (|ue le travail ne fatigue pas)..
2. 11 vient de paraître un traité de mathéinatiques en latino sine flpxione :
G. Pagliero, Applicationes de Calculo infinitésimale, 1 vol. 8" de 215 pages
(Torino, Paravia, 1907). On y remarque le mol- longore = lonaueur (L. lon-
gitudo).
3. Revue de Mathématiques, t. VIII, p. 89. D'ailleurs, M. Peano avait
déclare qu'il ne prétendait pas éliminer toutes les flexions dont il avait
G. l'EANO : LATINO SINE FLEXIONE 73
démonstratif la particule ce. Un collaborateur anglais emploie vol
comme auxiliaire du futur (me vol ]^nh\ica^= je publierai) ci fait
toujours précéder l'infinitif de de ou ad'. 11 le remplace par le
gérondif après ab : ab dando ^ On est obligé d'employer les
mots français à propos, détail, faute d'équivalents latins. Cela
semble indiquer que l'on ne peut se passer, ni de quelques
régies de grammaire, ni d'un vocabulaire spécial à la L. 1.
Au surplus, c'est vers le vocabulaire international que M. Peano
a dirigé ses travaux depuis lors. Dès l'origine, il avait constaté
la convergence des deux tendances qui se manifestent aujour-
d'hui dans le domaine de la L. I. : celle qui part du latin clas-
sique et qui tend à en simplifier la grammaire et à en moder-
niser le vocabulaire, et celle qui part de Vexislence de mots
internationaux, et vise à compléter ce vocabulaire international
et à lui appliquer une grammaire aussi simple et neutre que
possible. Parmi les projets appartenant à cette dernière série, il
marque une préférence pour Vidiom Neutral, à cause de la méthode
scientifique avec laquelle il a élaboré son vocabulaire interna-
tional : « c'est, dit-il, un vaste recueil de faits indiscutables ».
Et il constate que tous ces projets, internationaux ou néo-latins,
se ressemblent de plus en plus, au point de « paraître des dia-
lectes d'une même langue », et ressemblent aussi l)eaucoup aux
langues romanes, filles du latin, notamment au français et à
l'italien ^.
Cette ressemblance, qui indique « que la question est mûre »,
vient surtout de ce fait que presque tous les mots internationaux
sont d'origine latine, fait qu'explique suflisanmient l'histoire de
la civilisation européenne. M. Peano a été ainsi conduit à étu-
dier le vocabulaire latin au point de vue de son internationalité
prouvé l;i iinn-ii('cesï<ité ; il adiiicl ([iruiic (loxiou iiuililc au point de vue
l(if;i(|iio soit util»' ot conuuodo en prati(iue : e.x. le participe, bien (|ue : lau-
dante = qui lauda, et le passif (sufdxe re), hien iiu'on puisse s'en passer
en renversant la proposition.
1. Ifjid., p. 122, note 2; et passim.
2. I/nd., p. 132.
3. S'otilias supur linç/ua internationale, en Revue de Mathf'maliqueSy
t. VIII, p. 159. M. PfiANO a commis en cet endroit une méprise : M. Michaux,
voulant montrer (|ue le Seulnd et le Panroman ne diffèrent jruère de l'Kspe-
ranlo (|ue par Tabsence des flexions ;rrnmmaticales, ji traduit des spécimens
de ces deux idiomes en Espéranto, en supprimant les llexions de celle der-
nière iaufrue; M. Peano a cru (|u"il s'apissail d'un nouveau projet de L. 1,
appelé Espéranto sen lerno, (|ui serait un Espéranto sine flexione.
74 SYSTÈMES A POSTERIORI
actuelle, et à rechercher les éléments latins qui sont communs
aux six principales langues européennes, ou du moins à la plu-
part d'entre elles. Nous ne pouvons analyser ici ce travail, dont
le détail seul est intéressant. Nous citerons seulement, comme
exemples caractéristiques, les formes que INI. Peano trouve pour
les noms de nombre ' : un, du, tri, quar, quin, sex, sep, oct, nov,
dec, cent, mil; le radical absolument international du verbe e/re,
qui est es; les formes que M. Peano assigne, par des considéra-
tions linguistiques, à l'article défini : o (masc), a (fém.), to
(neutre); les pronoms personnels : me, te, nos, vos; se: les pro-
noms démonstratifs : isto, illo; le relatif : que; les indéfinis :
omni, uUo, nulle, alio, multo, pauco. Les prépositions et conjonc-
tions sont latines (post est pris sous sa forme primitive pos);
l'auteur remarque que les conjonctions sont la partie la moins
internationale du vocabulaire.
Enfin, l'analyse des formes internationales et latines a amené
M. Peano à dégager les éléments des mots ^racines, affixes et
llexions) et à élaborer une « grammaire rationnelle » analogue à
celle que Leibniz esquissait dans ses brouillons manuscrits. On
désignera, pour abréger, le substantif ou nom par N, l'adjectif
par A, le verbe par V. De l'équivalence :
me vive = me es vivo = me habe vita
on conclut que :
V = es + Ar=habe + N,
d'où :
es = V — A, habe = V - N,
ce qui est une façon symbolique de dire que es sert à former
un verbe avec un adjectif, et habe à former un verbe avec un
substantif. On a d'autre part :
que vive = vivo,
c'est-à-dire :
que + V = A, que = A — V — — es.
Cela signifie (et montre) que que exprime la relation inverse du
1. Nous avons remarqué, au cours de nos études sur les lanp'ues artifi-
cielles, que les formes ([ue chacune d'elles adopte pour les noms de nombre
caractérisent son degré d'internationalité (v. Histoire, p. 550). Sur ce point
se manifeste en j)articulier la convergence constatée par M. Peano et par
nous-mêmes.
G. PEANO : LA UNO SINE FLEXIONE 75
verbe être; et en effet, « qui est beau = beau » : qui et esl se
détruisent mutuellement (ce qu'exprime symboliquement l'éga-
lité : que -f es = 0).
Le participe actif, on l'a vu, équivaut au relatif :
clamante = que clama
de sorte que :
-nte = que = — es
Et en elîot, le participe es-ente a une valeur nulle; il n'existe
pas en latin.
Le suffixe -nte a pour synonyme le suffixe -tore qui désigne
souvent l'agent ou le professionnel :
laudatore = que lauda := laudante,
donc :
-tore = -nte.
Voyons maintenant la relation du substantif et de l'adjectif.
De l'équivalence :
habe libertate =: es libero
on conclut :
libertate — libero = es — habe — (V — A) — (V — N) = N — A '.
Ainsi le suffixe -tate est la « différence » symbolique du nom et'
de l'adjectif, c'est-à-dire qu'il sert à transformer un adjectif en
. substantif de qualité-.
De môme, de léquivalence :
gaudioso -- habente gaudio = cum gaudio
on déduit :
-oso = cum = habente = que habe = (A — V) -f (V — - N) = A -— N
Ainsi le suffixe -oso ^^^qui a, pourvu de) est l'inverse du suffixe
-tate : il sert à transformer le nom de qualité en un adjectif.
M. Peano remarque encore qu'un participe (A — V) équivaut à
une préposition :
sequente me = post me :
inversement, le verbe èlre joint à une préposition équivaut à un
verbe actif :
es post = seque.
1. Nous ne pouvons évidemment expliquer ici on diHnil ce rnlcul symbo-
lique.
2. Ceci contredit et corriffo riclentiflcation antérieure (l»> hojiilas el de
bono.
76 SYSTEMES A POSTERIORI
Pour étudier les relations de l'actif et du passif, il convient
d'introduire un symbole de conversion, C, défini comme suit :
Paulo lauda-C Petro = Petro lauda Paulo.
On voit que ce symbole a pour effet de renverser la relation
exprimée par le verbe; il correspond au passif: lauda -C=:laudar
ab. Il ne s'applique pas seulement aux verbes : praecede C =
seque, mais aux prépositions : prae C = post. Mais on a dautre
part l'équivalence :
pâtre ama filio = filio es amato ab pâtre
d'où l'on conclut que :
es + -to = C
ou :
to=3A-V + C
Telle est la « valeur » du suffixe du participe passif. Or, soit
liberato (participe passif de liberare — délivrer); il équivaut à
libero {libre), donc :
libéra + A — V + C — libero
libéra — libero = V — A — C
Or la « différence » de libéra et libero est le verbe : fac, redde
(suffixe latin -ficare). On voit qu'il est l'inverse du suffixe -to : (>t
en effet les deux se détruisent : liberato = libero.
Nous bornerons là cette analyse, en citant encore la curieuse
série suivante : d'un adjectif X on peut déduire ;i autres mots
par les opérations suivantes :
X = sano {sain) ;
X + V — A = sanesce {devenir sain) ;
X + N — A = sanitate {qualité de sain ) ;
X + G = sanatore {qui rend sain);
X+V — A+C = sana {rendre sain) ;
X+N — A+C = virtute de sana {pouvoir de rendre sain).
Les 3 premiers mots s'opposent aux 3 derniers comme le passif
à l'actif.
On voit que ces théories de logique grammaticale ont une
portée générale; elles peuvent s'appliquer à l'analyse et à la cri-
tique de n'importe quelle langue, naturelle ou artificielle. Quant
au vocabulaire de M. Peano, c'est un précieux recueil de données
linguistiques intéressantes et précises.
J. HUMMLER : MUNDEUNGVA^
L'alphabet est celui du latin, sans q ni y, et avec s (pro-
noncé ch).
Les substantifs masculins se terminent en o, féminins en a,
neutres en e : patro ; patra, mère.
La déclinaison so fait an moyen de prépositions : da patro =
du père, de patro = au père, di patro = /e père (accusatif). Le
pluriel se forme au moyen de s : patro8 = /es pères. II ne parait
pas y avoir d'article.
L'adjectif invariable se termine par i. Ses degrés se forment,
le comparatif en ajoutant ori, le superlatif en ajoutant osi :
maigm = grand, magniori =p///s grand, magniosi^/e plus grand.
Ils peuvent s"appli([uer aussi aux substantifs.
Les noms de nombre sont : uno, duo, trio, karo, kino. seto, sito,
oto. novo, deko ; duos = 20 -, zento — 100 ; milo.
Nombres ordinaux : uneto, dueto, etc. Adverbes ordinaux :
nnanào = premièrement. Nombres multiplicatifs : duoma = deao-
fois. Nombres fractionnaires : duoparte = demi, moitié. Nombres
distributifs : a duo =à deux. Substantifs numéraux : uner = Hrti7é.
Los pronoms personnels sont : ego, je; elo, tu; ero, il; efo, elle; eso,
//(neutre); egos, nous; elos, vous; eros. efos, esos ; eliso = vous
(de politesse). Ils se déclinent comme suit :
Nom. :
ego
egos
Gén. :
ega
egas
Dat. :
ege
eges.
Ace. :
egi
egis.
1. Mundelingva. Problem einer interna tionalen Verkehrs-Sprache fur
aile Menschen. Auf lalfinischcr GnunIInjrc. Kurzqefasste Grammalik mit
Wôrterbuch, von Iiu.M.MLKn John (t brochure <h' 8 pajros, choz l'auteur,
Saulgau, 1904).
2. 20 est le pluriel de 2, comme en Volapùk.
78
SYSTEMES A POSTERIORI
Le pronom réfléchi est isi (soi).
Les pronoms possessifs se forment par l'adjonction de i au
génitif des personnels : egai, egasi, etc.
Les pronoms démonstratifs sont : do=^celui; iào ^ celui-ci ; ilo =
celui-là ; iodo = le même ; ipso = même ; omno = chaque, omnos =
tous ; nono = aucun ; nemo = personne ; alido = un autre ; talo =: tel,
gvalo = quel.
Le pronom interrogatif est : kis = (yuoi, ]s.i80^=qui. Le pronom
reZa/i/ (distinct du précédent) est: kelo = qui . Tous ces pronoms
se déclinent par les finales a, e, i.
La conjugaison s'effectue entièrement par des auxiliaires : hava
pour l'actif, veda pour le passif. Soit le radical ame = amour.
On a les formes suivantes :
ACTIF
Indicatif présent : (hava) ame
— imparfait : havae ame
— parfait : hâve ame
— plus-que-parfait : havi ame
— futur : havo ame
— futur antérieur : havu ame
Subjonctif présent :
— passé
Conditionnel :
Optatif :
Impératif :
Infinitif présent :
— passé :
Participe :
eva ame
eve ame
vida ame
amare
amaro
amire.
hâve amire.
amando
PASSIF
veda ame.
vedae ame.
vede ame.
vedi ame.
vedo ame.
vedu ame.
eveda ame.
evede ame.
voda ame.
veda amare.
veda amaro.
amati.
Le verbe être — sumire se conjugue comme suit : Indicatif
présent : sum(a), parfait : sume, etc. Subjonctif présent : sim(a),
passé : sime, etc.
Les adverbes dérivés se terminent en io; ils forment leurs
degrés par iori, iosi, comme les adjectifs.
Le vocabulaire comprend les mots latins, internationaux et
techniques, inaltérés, sauf par la finale. Les prépositions et con-
jonctions sont empruntées au latin, et plus ou moins modifiées.
Oui se dit ju; non, no.
L'auteur admet quelques préfixes, qui sont des prépositions
latines (ah, ad, ex, in, kon, kontra, per, pro, re, sub, super, etc.)
.1. IIUMMLER : Ml.NUELl.NGVA 79
auxquelles il faut ajoulerma, préfixe augmentatif, et mi ou mis,
préfixe diminutif ( madome —paZais, midome = cabane), et quel-
ques suffixes dont les i)rincipaux sont : an (habitant), arium
(collection), ero (profession), ate (action), ite (qualité), ine (dimi-
nutif), or, ator (agent). Il y a des préfixes de parenté : pofilio =
petit-fils, pofrato = neveu ; kofrato = beau-frère, kopatro =: beau-père ;
et un suffixe es indiquant l'héritier présomjjtif : regeso := prince-
royal.
L'auteur annonce qu'il a en manuscrit une grammaire et un
vocabulaire complets.
A. ZAKRZEWSKl : LINGLA INTERNAClONALi
M. Adam Zakrzevvski, membre de la Délégation, secrétaire-f?érant
de la Société pour V encouragement de l'industrie et du commerce de
Varsovie, membre collaborateur de l'Académie des Sciences de
Cracovie, a publié en 1905, en polonais, un ouvrage intitulé : La
langue internationale : histoire, critique, conclusions. Dans un l*"" cha-
pitre, il expose l'état de la question, l'œuvre entreprise par la
Délégation, et les résultats de sa propagande. Au chap. ii, il passe
en revue les principaux projets ou essais de L. I., sauf les trois
nommés ci-après. Au chap. m, il fait un exposé original el
détaillé des principes et de la grammaire de V Espéranto. Au
chap. IV, il analyse (plus brièvement) la Langue bleue; et au
chap. V, Vidiom Neutral. Le chap. vi contient la critique et les
conclusions. L'auteur appelle l'attention de la Délégation (ou
plutôt de son Comité) sur les points suivants : inutilité des lettres
accentuées; inutilité de l'article; nécessité de particules spéciales
pour indiquer les cas; utilité de formes spéciales pour les
nombres 20, 30.... 90: puis il adresse à VEsperanto en particulier
quelques critiques : le vocabulaire n'est pas assez homogène;
la finale a des adjectifs est contraire à l'internationalité (qui lui
assigne le sens du féminin); on abuse de certains préfix^es
(notamment mal), et de la régularité des dérivations (quelques
féminins irréguliers seraient utiles). L'ouvrage se termine par
3 appendices : le 3»^ contient une liste chronologique des divers
projets de L. L; le 2% une étude sur l'alphabet tel qu'il est dans
les langues européennes et tel qu'il devrait être dans la L. I;
enfin le !«'• contient, à titre de document, V « esquisse d'un projet »
de L. I. élaboré par l'auteur en 1896. 11 s'est depuis lors rallié à
1. Jezijk Miedzijnaroilowy : Hislorya, Krytyka, Wnioski, pur Adam
Zakrzevvski, 1 vol. 8° de 150 pages (Varsovie, Arct, 1905).
A. ZAKRZEWSKI : LINGUA INTERNACIONAL 81
VEsperanto*, et il ne considère plus son projet que comme un
document historique, et comme l'expression de certaines idées
ou préférences théoriques *. C'est à ce titre que nous le présen-
tons ici.
Grammaire,
L'alphabet se compose des 25 lettres de l'alphabet romain, avec
les prononciations suivantes : c = ts,g dur, j =j F.,q = Ich, u = ou,
x=c/i D., Y = ch F. (s/iE., sc/iD.), z^::F, L'auteur fait remarquer
que cet alphabet fournit une orthographe absolument phoné-
tique; qu'il supprime tous signes diacritiques, digrammes et
diphtongues ^, et qu'il permet d'imprimer un texte dans toutes
les imprimeries du monde *.
Vaccent est sur la dernière syllabe des mots finissant par une
consonne, et sur l'avant-dernière syllabe dos mots finissant par
une voyelle. Font exception le suffixe ità(nece8ità), et les finales
verbales, qui ont l'accent sur leur a initial.
Il n'y a pas d'article. L'auteur le juge inutile, puisque les lan-
gues slaves et le latin s'en passent.
Les substantifs se déclinent au moyen des particules (préposi-
tions) del (génitif), al (datif), el (accusatif), ol (ablatif). Ils forment
leur pluriel en ajoutant i au radical, ou en le substituant à la
voyelle finale : vir, viri; lupo, lupi; terra, terri.
Les féminins dérivés se forment au moyen du suffixe in : bovo,
bovin. Il y a dix féminins irréguliers ou indépendants • : mater
(pater), soror (frater), femina (homo), mulier (vir), {femme, homme
mariés), virgin (juveno), etc.
1. 11 es^t trésorier du groupe espérantiste de Varsovie, et vient de publier
une Gramatykajezijka Espéranto (Arct, 1907).
2. L'auttMir ne counaissait, au cours do son travail, quo VEsperanlo, le
VolapUk, la Langue bleue, et le Sov Latin du IV Rosa. Il s'est inspiré de
VEsperanlo pour la ^raunnaire et du Sov Latin pour le vocabulaire. Il
nous avait couiiuuniciué une traduction française de son projet dès le mois
de déccnibre 1!)03.
:{. Les voycl!(>s i, u, devant ou après une autre voyelle, se prononcent
brièvement, comme des demi-voyelles ou des consonnes.
4. Si l'on répugnait trop à donner à q le son Ich, l'auteur propose de
donner ce son à c, et do remplacer la lettre c par la lettre s. Au lieu de y,
il i>roi>oscrait l'h renversé de M. Bollack, c'est-à-dire la lettre russe qui
ligure le son Ich.
."). L'auteur soutient à ce sujet que mère, sœur ne sont pas [troprement
les féminins de père, frère. C'est une opinion qui a été émise depuis par
M. le Prof. Leskien, de Leipzig.
CouTURAT ET Leau. — NouvoUcs L. I. 6
^ SYSTEMES A POSTERIORI
Uadjectif est invariable, sauf quand il est employé substanti-
vement : et alors il prend la forme des substantifs.
Les degrés se forment au moyen des particules suivantes :
ma.s=^ plus, aimas = le plus, min = moins, almin=/e moins; to =
autant. On emploie ke après les comparatifs, de après les super-
latifs.
Six adjectifs ont des degrés irréguliers, parce que ceux-ci
sont racines de mots internationaux : bon, melior, optimal;
mal, peior, pesimal; grand, maior, masimal; parv, minor, minimal;
ait, superior, supremal; inf, inferior, infimal.
Les nombres cardinaux sont : un, du, tri, kar, kin, ses, set, ok,
non, dez; dinta (20), trinta, karinta, kininta, sesinta, septinta,
oktinta, noninta; cento, mil. 11 = undez; 12=:dudez: 13 =
tridez •, etc.
Les adjectifs ordinaux se déduisent des précédents au moyen du
suffixe -al (des adjectifs dérivés) : unal, dual ^.... Les adjectifs
multiplicatifs, au moyen du suffixe obi; les nombres fraction
naires, au moyen du suffixe on; les distributifs, au moyen
du suffixe nu : trinu = trois par trois ; les nombres collectifs, au
moyen du suffixe ena : dezena= dizaine; enfin les nomlires d'es-
pèces, au moyen du suffixe -ik : unik = unique, trinik = de trois
sortes.
Les pronoms personnels sont au sing. : me !'*=), tu (2'), vo (2" p.
polie), il (3" m.), la (f.), lo (n.); au pluriel : noi, voi, 11. Le pronom
réfléchi est se ; l'indéfini : on.
Les pronoms possessifs sont : meal, tuai, voal, ilal, lai, loi ; noal,
voal, liai, seal.
Les pronoms démonstratifs sont : ti, ta, to =^ celui-ci, celle-ci, ceci ;
is, ea, id = celui-là, celle-là, cela (pluriel: ii, ei, idi).
Les pronoms interrogatifs-relatifs sont : ki = qui, kod = quoi.
Les principaux pronoms indéfinis sont : nul = aucun, nemo =
personne, nil = rien ; altr = autre, neutr = ni Vun ni l'autre. Au
surplus, l'auteur adopte tous les pronoms latins : kidam, kodam;
isdem, eadem, idem ; kilibet, kolibet; aliki, alikod, etc.
Il admet une corrélation entre les démonstratifs et les relatifs :
tel, kel ; tant, kant ; tôt, kot, etc.
Les verbes suivraient la conjugaison suivante : l'infinitif ajou-
1. Cette irrégularité a pour but d'éviter des confusions possibles : du,
ièktri; dudek, tri et dudek-tri (en Espéranto).
2. On ajoute un t à kar et à ok dans tous les dérivés.
A. ZAKRZEWSKI : LINGUA INTERNACIONAL 83
torait -ar au radical ; l'indicatif présent, -am; l'imparfait, -avam;
le passé défini, -avim ; le plus-quc-parl'ait, -averam; le futur,
-abom; le futur antérieur, -abebom ; le conditionnel présent,
-ambo ; le conditionnel passé, -avimbo; l'impératif, -ud; l'optatif,
-aq ; les participes actifs, présent: ant, passé: -avant, futur:
-abont ; les participes passifs, présent : -at, passé : -aval, futur :
-abot.
Le passif SG forme au moyen du verbe estar {être) ei du parti-
cipe passif. Le complément du passif est précédé de la préposi-
tion den.
Les verbes réfléchis se forment avec se à toutes les personnes
(comme en russe).
Les verbes impersonnels n'ont pas de sujet grammatical : pluam
= il pleut. L'interrogation est marquée (à défaut d'un mot intcr-
rogatif) par la particule qu.
Les adverbes dérivés se forment en ajoutant -e aux adjectifs :
bone, facile, vokale, reale. Ils forment régulièrement leurs degrés,
sauf: bone. meliore, optime; maie, peiore, pesime ; grande, magis,
masime ; parve, minus, minime.
Les principaux adverbes primitifs sont : ice = ici, ibie =: là ;
sube = en bas, supre = en haut ; prope, vicine = auprès; prokule =
loin ; destre, sinistre ; ubie = où, unde = d'où, omne = partout,
aliunde = ailleurs, alice = n'importe où ; — nune = maintenant,
olime = jadis, nupre = récemment, sempre = toujours, nunce =
Jamais, hodie = aujourd'hui, hère = hier, crase = demain ; kande
:= quand, alikande = n'importe quand ; — multe = beaucoup, sate =^
assez, nimie = trop, tante = autant ; — si = oui, ne = non.
Les principales prépositions sont : ab = de, ad = vers, ante =
avant, cis = en deçà de, ultra = au delà de, in = dans, ekce = hors
de, kum = avec, sine = sans, per, post, pro, prêter, super, sub ;
ver = l'ers. 11 y a une préposition de sens indéterminé ob (cf. je
Espéranto).
Les principales conjonctions sont : e = e<, or = aut= ou, eciam
= aussi, vel = oh bien, ergo = donc, nam = car, sed = mais, se =
si, kia = parce que, ut = pour que, post kam = après que.
Vocabulaire.
L'auteur emprunte autant que possible ses mots au latin, par
raison d'homogénéité, et parce que la plupart des mots interna-
tionaux sont d'origine latine. 11 trouve que le mélange de racines
34 SYSTÈMES A POSTERIORI
d'origine diverse déconcerte môme ceux qui les connaissent,
parce qu'ils ne s'attendent pas à retrouver une racine germanique
au milieu de mots romans.
Il donne des règles pour l'orthographe des mots latins ; les
noms de la 4''« déclinaison gardent l'a du nominatif : vita, terra ;
ceux de la 2'= remplacent par o Vi du génitif : lupo, templo, agro,
puero ; ceux de la 4" changent us ou u en o : frukto, kanto, domo,
korno ; ceux de [la 5'' perdent Vs final : re, die, facie ; ceux de la
3" deviennent, suivant les cas : honor, animal, nomen, mare, poema ;
liberta, virtu, opero, oso, oro, doto, pedo, nokto, lapido, dento,
milite, lego, ordino, naciono (exception : homo).
Il y a des adjectifs primitifs, qui subissent les mêmes règles:
bon, ait, fidel, stult, long, felic. Quant aux adjectifs dérivés, ils
se forment au moyen du suffixe al (en supprimant, s'il y a lieu,
la voyelle finale du substantif) : vital, vokal, glorial, pedal.
Pour obtenir l'infinitif des verbes, il suffit de remplacer l'o de
l'indicatif présent latin (f" pers. sing.) par -ar: amar, monear,
legar, audiar.
L'auteur admet en outre les mots internationaux non latins :
statistika, psixologia, telefon, ventilator, lokomotiv, automobil,
metr, gram, atom, brom, fosfor, tifus, astma, bal, koncert, opéra,
bar, hôtel, restoran, bank, qek, frak, sport, vagon, park, trotuar, etc.
Mais il substitue aux dérivés nationaux les dérivés réguliers et
propres à sa langue : homal, bankal, sistem metral ; telefonar ; etc.
Pour les noms de pays, ils conservent leur forme latine ou
prennent une forme analogue : Europa, Asia, Afrika, Amerika ;
Francia, Polonia, Anglia, Russia, Germania, Dania.
Les noms des habitants se forment, pour les 5 parties du
monde, au moyen du suffixe -ano : Europano, Amerikano ; et pour
les autres pays, en remplaçant ia par -o : Anglo, Polono.... Fémi-
nins : Amerikanin, Polonin. Adjectifs : amerikal, italial.
Pour la dérivation, nous connaissons déjà les suffixes o, al,
ar, e qui servent à former le substantif, l'adjectif, le verbe et l'ad-
verbe d'une même famille : voko, vokal, vokar, vokale ; et le suf-
fixe du féminin in. Il y a en outre :
-ità, qui forme les substantifs de qualité : félicita, fidelità ;
-ist, qui forme les noms des professionnels ou des partisans :
artist, botist, buddist, monarxist ;
-ism, qui forme les noms de doctrines : buddism, monarxism.
ne- marque l'absence ou négation : nefidel.
A. ZAKRZEWSKI : LINGUA INTERNACIONAL 85
pre- marque un degré élevé : prelaudar.
semi- signine la moitié : semihora, seminsula.
dis- marque désunion ou dissémination : disharmonia, disse-
minar.
Les prépositions servent de préfixes avec leur sens ordinaire :
ear = aller, abear = s'en aller, inear = entrer, ekcear = sortir,
antear =: précéder, postear = suivre, etc.
Dans le 2" appendice, l'auteur expose en détail les raisons qui
l'ont conduit à adopter son alphabet et qui lui paraissent le jus-
tifier. Il constate d'abord qu'aucune de nos langues naturelles
(sauf l'espagnol) n"a une orthographe rigoureusement phoné-
tique ; une même lettre y représente plusieurs sons, et le même
son y est figuré par plusieurs lettres ou groupes de lettres. Il
pose en principe que la L. I. doit avoir une orthographe phoné
tique : à chaque son doit correspondre une lettre, et à chaque
lettre un son. Il en conclut qu'il faut exclure les diphtongues et
les digrammes; d'autre part, il est très désirable, pour la com-
modité pratique, qu'on n'emploie aucun signe diacritique. Il
faut renoncer à l'ambition chimérique (de quelques auteurs de
L. I.) d'introduire dans l'alphabet international tous les sons des
diverses langues ; l'alphabet phonétique de M. Pereira ', qui s'ap-
plique à 40 langues européennes, comprend une centaine de
lettres. Il faut d'ailleurs n'admettre que des sons purs et bien
distincts, et non pas des nuances aisées à confondre, comme
é, è, é. UEsperanto a raison de n'admettre que les cinq voyelles
a, e, i, 0, u ; mais il a le tort d'admettre des diphtongues (formées
par les demi-consonnes j et û), et cela sans doute pour éviter le
déplacement de l'accent (dans hodiaû, aùdi, homoj, belaj, Polujo) ;
et la preuve en est qu'il laisse subsister 11 demi-consonne là où
il n'apasd'inlluence sur l'accent (cielo, manière). Il a o consonnes
accentuées ; parmi elles, le son g paraît inutile, et peut au besoin
être représenté pardj. Les 4 autres :c, s, jet h représentent au con-
traire des sons indispensables àla L. 1. (le remplacement de h par
1. José Ma Arloagn Pereira, Alphabet phonétique des principales langues
usuelles (1900). Cf. Studkr, Essai de réforme orthographique internationale
en 40 langues (Pari;;, Dcla^^rravc, 1902). Sur (ctlc (luosUoii tli* l'alpliabot
|)honéti(iU(' inU'rnational, consulter : Exposé des principes de l\issociation
phonétique internationale, 1 broihure par Paul Passy; t't Christian Garnies,
Méthode de transcription rationnelle générale des noms géographiques
(Paris, Leroux, 1899).
86 SYSTÈMES A POSTERIORI
k défigurerait les mots d'origine grecque) ; mais il faut les rem-
placer par des lettres simples et sans accents. Or il reste justement
4 lettres disponibles de l'alphabet romain : j, q, x, y. Il est naturel
de prendre j pour le son du j français, et x pour le son ch D. (que
cette lettre figure en grec et dans les langues slaves). Restent q
et y, auxquelles l'auteur attribue les sons tch et ch. Il essaie de
justifier ce choix arbitraire en montrant que dans les diverses
langues vivantes la mrme lettre a des sons tout différents, qui
surprennent l'étranger novice, et auxquels il s'habitue très vite.
Dira-t-on qu'on altère ainsi l'aspect des mots internationaux
pour ne garder que leur phonétisme ? Mais c'est là une néces-
sité inéluctable, et c'est ce que l'Espéranto fait déjà, avec raison,
en écrivant fiziko, filozofio, krajono, buso, sangi, etc., à l'exemple
du polonais, qui écrit par exemple : folo<jraJja, kryzys, szarza
[charge], zurnalK C'est une habitude à prendre, et qui est vite
prise, comme le prouve l'expérience des langues vivantes.
1. Il écrit aussi : egzempl.
H. TRISCHEN : ArOA'J5L7iVGFO»
La Mondlinçivo est, de l'aveu môme de son auteur, uu Espéranto
réformé. L'alphabet est celui de l'Espéranto, avec les différences
suivantes : s se prononce z; c se prononce s (dur, ss); z se pro-
nonce ts; toutes les lettres accentuées sont conservées, y compris
h, et on ajoute x pour désigner le ch allemand doux (ic/i, nichl)^
La déclinaison porte sur l'article :
Sin<r. Plur.
Nom. la patro las patros.
Gén. del patro dels patros.
Dat. al patro als patros.
Ace. lan patro(n) lans patro(n)8.
Comme on voit, le signe du pluriel est s, et affecte à la fois
l'article et le substantif. On ne dit pas comment se décline ua
substantif qui n'a pas d'article défini.
Dans la conjugaison, il y a 3 temps simples, formés par les
désinences es (présent), as (imparfait), os (futur), et 3 temps « par-
faits » ou antérieurs, qui se déduisent des précédents par un
préfixe e (l'augment grec). Exemple :
mi laudes, je loue mi elaùdes, /ai loué.
mi laùdas, je louais mi elatidas, /avais loué.
mi laûdos, je louerai mi elaùdos. /aurai loué.
Les modes se forment en intercalant les suffixes suivants entre
le radical et la désinence : eb pour le conditionnel, ib pour l'im-
pératif (optatif). Il y a 3 infinitifs et 3 participes, tous formés
par les suffixes ent, ant, ont correspondant aux 3 temps : amenti,
amanti, amonti : amenta, amanta, amonta.
1. Mondlinfji'o, provisorisclip Aufstellunrj einer internalionalen Verkehrê-
sp.-ache von IL Trischen (Dresdon, Pierson, 1906).
88 SYSTÈMES A POSTERIORI
Le passif se forme en préfixant p (on pa devant une consonne)
aux formes de l'actif (comme en Volapiik).
Les pronoms personnels sont au singulier : mi, vi, li, si, gi; et
au pluriel : mis {nous), vis (vous), lis {ils), sis (ei!/es), gis. De même
le réfléchi si a un pluriel : sis.
L'auteur conserve le tableau des particules de Y Espéranto (sauf
le changement de nenia, neniu, etc., en nonia, noniu,...), tout en
déclarant qu'il est logique, mais arbitraire.
Les noms de nombre sont les mômes qu'en Espéranto, sauf
que po est distributif (pokvin =cmg par cinq), et que le substantif
a le sens ordinal : unuo = le premier.
La plupart des prépositions et conjonctions sont empruntées
à l'Espéranto, sauf : to (ù), ab (depuis), ulter {au delà), ziter (en deçà),
jukst (auprès); kontra, cirka; aùt (ou), kar {car), parce {parce que),
et... et {tant... que).
La formation des mots est la même qu'en Espéranto, mais
quelques affixes sont ajoutés ou modifiés :
ab- est défini par les préfixes D. ver-, ent- : abusi = abuser.
be-est défini par les préfixes D. be~, ge-, er- : bevenki ^uamcre.
-av désigne une science {Volapiik) : naturavo = histoire naturelle.
-ek (au lieu de ec) forme « l'idée abstraite d'un adjectif ou d'un
verbe » : vereko = vérité ; truzidi = tuer, truzideko = meurtre.
-ilm (comme ar) désigne une collectivité : homilmo = humanité.
-inj (comme et) forme des diminutifs : hominjo = un petit
homme.
-ov (comme em) désigne le penchant à : cii = sauoir, ciove =:
curieux (de savoir).
Enfin -ul sert à transformer les adjectifs en substantifs : sagulo
= un sage.
Le préfixe négatif est ne, mais l'adverbe de négation est non.
L'auteur propose de changer les noms des saisons, qu'il trouve
« barbares » : flortempo, varmtempo, frukttempo, negtempo ou
froatempo'; et les noms des jours de la semaine : ripozodio
{dimanche)'^, duadio {lundi),... kvaradio ou mezodelsemajno {mer-
credi),... sepadio ou finodelsemajno {samedi).
Tel est, en raccourci, le projet par lequel l'auteur essaie de
1. Il oublie évidemment que ces désignalions seraient des contre-sens
dans l'hémisphère austral.
2. Gomment dira-t-on : le repos dominical ?
H. TRISCIIEN : MONDLINGVO 89
remédier aux« nombreux défauts » de l'Espéranto, sans d'ailleurs
spécifier ces défauts, ni formuler les principes sur lesquels
s'appuie son propre système. Il le présente du reste comme
provisoire (il remet à plus tard la publication du vocabulaire;, et
appelle les critiques et les conseils.
F. GREENWOOD : EKSELSIORO ET ULLA'
Le Dr Frédéric Greenwood, médecin à Portsmouth (Angl.),
Espérantiste n^ 8.273, a d'abord éprouvé le besoin de « simplifier >
YEsperanto, notamment en y supprimant les accents, certaines
combinaisons de consonnes difficiles à prononcer (gn, gv, kn, kv,
sv, pv, ft), les flexions inutiles, et les mots composés trop longs.
VEkselsioro est un Espéranto fait « pour le peuple », « pour les
masses ». Nous nous bornerons à indiquer les points sur lesquels
il diffère de V Espéranto.
L'alphabet n'a. que 23 lettres, toutes celles de l'alphabet romain,
moins q et y; c = <c/i (c Esp.), x = ch (s Esp.), z = /'s (c Esp.); j
=j français (j Esp.). Le j Espéranto est remplacé par un i qui
forme diphtongue avec la voyelle précédente : bêlai, viroi; kai,
ciui*.
Les adjectifs sont invariables, sauf quand ils sont isolés.
La particule du superlatif est pie (au lieu de plej).
Les noms de nombre sont les mêmes, sauf que kv est remplacé
comme partout par ku : kuar, kuin.
Les pronoms personnels sont les mômes, sauf le changement
d'orthographe : mi, zi, li, xi, gi; ni, vi, ili; si.
La conjugaison est la môme, excepté pour le subjonctif, qui est
formé avec l'auxiliaire magi (E. may) : por ke mi magas kanti =
pour que je chante.
Les affixes de dérivation sont les mêmes, sauf mal, remplacé
par ma; ej, remplacé par ei ; ec, remplacé par ez; et ig, remplacé
par ij : mabona, lakteio, belezo, varmiji.
1. Ekselsioro, the new universat language for ail nations, by Frod. Green-
wood, 1 placiuotte, 8 jmges (London, Miller & Gill, 1906). — Ulla, t ulo
lincjua a otrs (Londoii, Miller & Gill, 1906).
2. Liiuteur ne dit pus ce que devient g; il le remplace tantôt par g (gi),
tantôt par j (voir exemples plus bas).
F. GREENWOOD : EKSELSIORO ET ULLA 91
I/autciH" copie les idiotismes de dérivation de l'Espéranto :
adresato = desUnalaire (d'une lettre).
11 prend des libertés avec le suffixe -lando, qu'il abrège en -ando
dans Ânglando.
L'accusalir devient facidtatif, sOit pour la direction, soit même
|)Our le régime direct : Laktisto metas la lakto en la Iakteio; la
infano amas sia patrino. Mais on conserve l'accusatif dit « de
(larlé » : mi amas xi pli ol vi (sous-cnt. : amas xi) ; mi amas xi pli
ol v'in (sous-ent. : mi amas).
Nous remarquons les modifications orthographiques suivantes:
linguo, aksepti, eksepto. fasila,lejo (lego, loi), desiri (deziri), sidoni
(sindoni), sertigi certigij, xanjo, xuldo, hodau hodiaù , jentilezo,
nasio. fixo (fiso), pajo (pago), poxto (posto), resevi (ricevi), skii
(scii), nesesa, esenso, sosieto, propozisio, prezisa, tizio ^ftizo).
Mais l'auteur ne se contenta pas de corriger YEsperanto; il
lança la même année une nouvelle langue, VUlla (ula = univers,
ulo = universel, de E. lohole) et fonda une Ulla Society à Bridlington
(Angleterre).
L'Ulla est présenté comme « un anglais simplifié ». Son alpha-
bet est l'alphabet anglais, avec â(U., è F.) De ce que « toutes les
lettres se prononcent comme dans l'alphabet >, l'auteur croit
pouvoir simi)lifier l'orthographe de certains mots en attribuant
à chaque lettre son nom : exemples : xmpla = exemple (x := eXy
m = ein); intrste, komprne.
L'article indéfini est t, pluriel 11, Vindéfmi a, rarement employé.
Les siibslanlifs se terminent par a (masc.) ou par à (féminin).
Ils forment leur pluriel par adjonction de s : homa, homà; homas,
homàs.
Les adjectifs se terminent en o : le comparatif se forme en
ajoutant r, le superlatif en ajoutant s : bono, bonor, bonos. Or et
os peuvent être employés isolément comme particules.
Les adverbes dérivés se terminent en 1 ou li.
Les nombres cardinaux se terminent tous en o : uno, duo, tro,
kato, cinko, sexo, seto, otto, novo, deo; elvo = H, duso = 12;
cento, milo, milouo.
Ils servent à former les noms de mois (par changement de To
final en a) et les noms do jours, par adjonction de dà : anodà =
lundi, etc.
92 SYSTÈMES A POSTERIORI
Les nombres ordinaux dérivent des cardinaux par adjonction de
o, ce qui fait qu'ils se terminent par oo : troo.
Les adverbes ordinaux se forment en remplaçant l'o du nombre
cardinal par i : tri.
Les pronoms personnels sont au sing. : ju (f*), du (2"), lu (3« m.),
su (3« f.), tu (3« n.) ; vu (f»), u (2«), nu (3'=). Leur cas indirect (datif
ou accusatif)seformepar addition de r: jur, dur.... Et le possessif
(ou génitif) par addition de s : jus, dus....
Les verbes n'ont que 3 formes : une forme en e, qui est l'indica-
tif présent; une forme en ed, qui est à la fois le passé et le par-
ticipe passif; et une forme en en, qui est le participe actif et le
gérondif (employé, à l'anglaise, au lieu de rinfinitif). Exemple, le
verbe être = este, ested, esten. Tous les autres temps et modes se
forment au moyen d'auxiliaires :
Parfait : ave ested.
Plus-que-parfait : aven ested.
Futur : seo este.
Futur antérieur : seo ave ested.
Conditionnel présent : sic este.
— passé : sio ave ested.
Subjonctif présent : mâo este.
— passé : mio este.
Participe passé actif : ave ested.
Le passif est : este esten.
L'interrogation se marque par l'inversion du sujet.
La dérivation s'effectue au moyen des suffixes suivants : -ar
désigne une collection : onqa. = personne, ongara = nation; -ta
indique une idée abstraite (F. -tien, D. -ung) : ongarata = natio-
nalité; -na indique une qualité; bonona = bonté; le préfixe ne-
forme à la fois les négatifs et les contraires : nebono = mauvais,
nejuno = vieux, nemàm = différent : -in forme les diminutifs et
les mots caressants; -za, -zâ indique un professionnel (masc. ou
fém.) : skribza = écrivain; -va ou -vo signifie plein de (E. fui, D.
voll);-làsigmrievide de, manquant de, sans {E. less, D. los); -ja forme
les noms de nationaux : Ena = Angleterre, Enaja = Anglais; et la
avec un nom de nation désigne la langue : enajala — la langue
anglaise. D'où : Ulla = langue universelle. Le manuel de VUlla con-
tient un vocabulaire en 8 langues; Ulla, Xlja (Ekselsioro), Enaja,
F. GREENWOOD : EKSELSIORO ET L'LLA 93
Esperaja {Espéranto), Fraja (français), Graja (allemand), Itaja (ita-
lien), Spaja (ospagnol).
L'auteur, qui dit avoir étudié beaucoup de langues « anciennes,
et modernes, vivantes et mortes, orientales et occidentales »,
compose son vocabulaire de racines empruntées au hasard aux
langues vivantes, surtout à l'anglais et à l'allemand, en recherchant
la brièveté, et en les défigurant comme on vient de le voir pour
les noms de pays. Dans la composition des mots, il suit servile-
ment et même aveuglément le modèle de l'anglais. En voici un
exemple curieux. For, en anglais, signifie car: l'auteur le traduit
par kar; mais il signifie aussi pour : l'auteur traduit pour par kar.
Pour (L. pro) entre en composition dans beaucoup de mots;
l'auteur traduit pronom par karnoma. Pardonner se dit forgive :
l'auteur traduit : kardonne. Enfin il traduit fore (avant) par kari,
there {là) par la et par suite therefore par la kari. Péri =: Ihroughy
aus = oui, donc : péri aus = Ihroughoui.
Il est d'ailleurs dupe de tous les idiotismes de sa langue natio-
nale. Aber (D.) traduit mais (E. but); il nhésite donc pas à dire
neunoo aber uno pour avant- dernier (E. : last but onel).
Dans la dérivation, il suit les errements du Volapiik avec ses
suffixes caractéristiques : le suffixe àk désigne les maladies :
dentàka = mal de dents ; par une fausse analogie, on a : gutàka =
goutte.
Voici le Prt/er traduit on Ulla :
Vus Patra hoo este n ciela, sankted este dus noma, dus rexdoma
vene, dus désira este fàred n terra als tu este n ciela; donne vur
vus pa dàli; à kardonne vur vus detas, aïs vu kardonne vus detzas;
à gide vur ne dans temtata, aber délivre vur el evla.
Telle est la langue que l'auteur propose « pour les usages
commerciaux et littéraires », et qu'il déclare « aussi belle que
le français, aussi musicale que l'italien et aussi pratique que
l'anglais ».
C. SPITZER : PARLA ».
M. Cari Spitzer, ancien négociant, conseiller municipal de
Heidelberg, trouve les langues proposées j usqu'ici (ro/apù/f,£spe-
ranto, etc.) trop arbitraires et trop compliquées pour les besoins
pratiques des gens d'aflaires; et c'est à ce point de vue qu'il s'est
placé pour élaborer une langue auxiliaire plus simple et plus
€Ourte. « Une L. I. doit être d'une construction purement systé-
matique, logique, et ne doit pas contenir une lettre de plus qu'il
n'est absolument nécessaire pour exprimer la pensée humaine. »
GiUMMAIRE.
Valphabet est l'alphabet romain, moins q, x, y, z. Les cinq
A oyelles a, e, i, o, u ont leur son allemand ou italien ; j * a le son
duj allemand (y français); c = ts.
Vaccent est toujours sur l'avant-dcrnière syllabe.
En principe, tout mot se compose d'un radical, d'une « forme »
(suffixe) constituée par une ou plusieurs voyelles, et d'une finale
{lettre unique). L'un ou l'autre de ces deux derniers éléments
peut d'ailleurs manquer.
Les substantifs et pronoms ont la finale a au sing., e au plu-
riel; les adjectifs et adverbes la finale o; les verbes ont la finale i
(à tous les temps et modes); les noms de nombre ont la finale s,
les prépositions la finale n, les conjonctions la finale t, les inter-
jections la finale h; les noms propres et les mots étrangers la
finale u.
Voici maintenant comment les « formes » interviennent pour
1. C. Spitzer : Parla, ist die systematische Kiirz-Sprache fur iiiternatio-
JHilen Verkehr. Brochuro de 31 pajfes distribuée par l'auteur (Heidelberc,
11)07). 1 V c
2. Que l'auteur range parmi les voyelles.
C. SPITZER : PARLA 95
fournir les flexions grammaticales et les dérivations. Partons du
radicallab : laba = travail, le pluriel est làbe = travaux . Le suffixe
i forme le nom de personne (mâle) : labia = travailleur; e le nom
de personne (femelle) : labeA = travailleuse ; o désigne la collec-
tivité : laboa = ensemble des travailleurs; a désigne l'instrument :
lahaa -— outil; j forme le diminutif : labja = petit travail; u le
péjoratif : labua =^ mauvais travail. Naturellement, ces divers
suffixes peuvent se superposer : labjia = petit travailleur; labjee
= petites travailleuses ; etc.
Les cas du substantif sont marqués par des prépositions;
l'accusatif est marqué en cas de besoin par la préposition la.
Passons à l'adjectif : labo = travailleur (diligent); ici, le suffixe
a forme le comparatif : labao = plus travailleur; e, le superlatif :
labeo = le plus travailleur ; 1, le comparatif d'infériorité : labio =
moins travailleur ; o le superlatif d'infériorité : laboo = le moins
travailleur; u signifie trop : labuo =: trop travailleur.
Les noms de nombre sont : uns, dus, ires, kvas,kvis, sis, ses, ots,
nos, des; cens; mils; unsa = l'un; unsia = le premier; unfos =
une fois.
Les pronoms personnels sont : ja, ta, sia (m.), sea (f.), sa (n.); je
(nous), te (nous), sie, see, se; e = vous poli;, su = il indéterminé),
nu = on. Tous ces pronoms deviennent réfléchis par répétition
do la voyelle : jaa sedi =je m'assieds; siaa flattai = Use flattait.
Les adjectifs possessifs ne sont que les pronoms personnels mis
devant les substantifs correspondants.
Les pronoms possessifs en dérivent par le suffixe ja i^plur. je) :
jaja = le mien, jeja ■= le nôtre, seaja = le sien (à elle), etc.
Les pronoms interrogatifs-relalifs sont : kia = qui, ka = quoi, kva
= quel.
Les pronoms démonstratifs et indéfinis sont : ca = celui-ci, jena
= celui-là, jeda := chaque, tuta = tout, nona = aucun, multa =
beaucoup, soma = quelques, irga = n'importe quel, sama = le même,
altra = autre, tala = tel, etc. Comme adjectifs, ils changent l'a
final en o.
Le verbe n'a, à l'infinitif et à l'indicatif présent, que la finale i :
labi = travailler, ja labi := je travaille. Le passé a pour suffixe
a : ja labai ^^fai travaillé; le futur, e : ja label =^je travaillerai; le
plus-que-parfait, u : ja labui = j'avais travaillé; le subjonctif, o :
ja laboi = que je travaille ; l'impératif, j : labji = travaille ; le
participe, i : labii = travaillant. Les autres formes sont composées
96 SYSTÈMES A POSTERIORI
de plusieurs suffixes : ainsi le conditionnel présent : ja laboei =^je
travaillerais; le conditionnel passé : ja laboai = j'aurais travaillé.
Le passif se forme en ajoutant -et au radical : labeti = être
travaillé; labetai= avoir été travaillé; etc.
Les adverbes primitifs se terminent tous en o : jo = oui, no =
non; kvo = ici, lo= là; so ^= ainsi; sempo=: toujours; Jiono= jamais;
spesso = souvent; noloko = nulle part; solo = seulement; selfo =
même ; sko = déjà, etc.
Les prépositions se terminent toutes en n : an = à, en = de, in
r= dans, on := sur, un = sous, esen = hors de, fon ^= pour, kon =
avec, pen = à travers, pon =^ après, ron = autour; selon; sen =
sans, sin = depuis. Elles peuvent toutes engendrer des adjectifs-
adverbes au moyen de la finale -o, des substantifs au moyen de
la finale -a {le dessus, le dedans, etc.) et môme des verbes au
moyen de la finale -i {être dedans, dehors).
Les conjonctions se terminent toutes en t : et; ut = ou; but,
mart = mais; set = quand, si; jet = encore, nit... nit = ni... ni,
okt = aussi, dat := que. kat = puisque, fint = pour que, trot =
quoique.
Le vocabulaire est composé de racines plus ou moins interna-
tionales, en tout cas empruntées à l'une ou l'autre des princi-
pales langues européennes (surtout romanes) et choisies les
plus courtes possible (généralement monosyllabiques) : kosa ^=
chose, hasta = hâte, goda =joie, fabra = fabrique, mikia = ami,
nemia = ennemi, libéra = liberté, felica = bonheur, kamica =
chemise, faima =:faim, doca = doctrine, sisma = système, parla =
langue, testia = témoin, stanca = chambre, koda = queue, skruba
= vis, skola == école.
Voici quelques adjectifs : piaco = agréable, piacono = désa-
gréable; pleno = plein, vido = vide, felico = heureux, godo =
joyeux, poro = poreux, paco = pacifique.
Certains radicaux sont manifestement empruntés à V Espéranto :
eblo = possible, lerto = habile.
Citons enfin quelques verbes : dici = dire, doci = enseigner,
lesi = lire, cibi =^ manger, bibi = boire, nasi = flairer, permi =
permettre, pardi = pardonner, liberi = délivrer, godi ^ réjouir. Les
verbes les plus usités ont pour radical une simple consonne : di
= donner, fi = faire, hi = avoir, pi = pouvoir, vi = vouloir; le verbe
être n'a même plus de radical, et se réduit aux désinences : i =
être, ja i =je suis, ja ai = fêtais, etc.
C. Sl'ITZEH : PARLA 97
(^omme on a pu le voir parles exemples déjà cités, l'auteur ne
s'est pas préoccupé de régler le sens des dérivations immédiates :
goda, godo, godi; pora, poro; paca, paco; libero. liberi; etc. De
niènie il dira : filosofa -= philosophie, filosofia -- un philosophe,
filosofea = femme philosophe, filosofo ^ philosophique, filosofi =
philosopher.
Il dira indifféremment patrea ou madrea pour mère, bien que
madr ne puisse pas avoir de masculin; do môme : fratea ou sorea
pour sœur. 11 no règle pas davantage les dérivations médiates;
par exemple lo suflixo -jo transforme un substantif en adjoctif,
-ja un adjectif ou un verbe en substantif : labija = le travail,
laboja = la diligence, l'assiduité au travail. Mais pourquoi laboja
désigne-t-il la qualité de labo, et pourquoi labo désigno-l-il celui
qui aime à labi? On no nous le dit pas.
Toutefois, l'auteur énumère 28 préfixes dont il définit le sens :
a = à, vers; e = hors de; i = dans; o = sur; u = sous (comparer
avoc les prépositions) ; ko = avec, pe = à travers, po = après,
pre = avant, re = en arrière, ri = de nouveau.
11 cite aussi 0 suffixes usuels : sa qui désigne une maladie ou
uiK» douleur : denta-sa; la, qui désigne un outil: pafi-la ' : ba,
(|ui signifie ce qui tiont : kantela-ba (candélabre); -ta, qui désigne
un récipient : sukra-ta (sucrier) ; ra, qui désigne un espace : horsa-
ra [écurie); -ria, qui désigne lo maître ou chef : urbaria (maire '■).
Les préfixes et suffixes sont, comme on voit, séparés du radical
par des traits d'union.
La composition dos mots se fait comme en allemand et en
anglais : laba-tida = le temps du travail; spara kassa = caisse
d'épartjne ; pluva tida = hiver (temps de la pluie) ; ura-fabra =
horlogerie (fabrique .
Voici un spécimen du Parla :
I-duciia en ca isma (sisma?) oei ten vensi fon lernii juna. fon
internato trada et trava, arta et cienca; sa sparoei mo tida et mo
mona, kat prot skribi germano, franco et selfo englo, nu nedi cirko
kvades en cens mao cifre.
il ne sera peut-être pas inutile d'en donner la traduction :
L'introduction de ce système serait à désirer pour la jeunesse stu-
dieuse, pour le commerce et les voyages internationaux, l'art et la
science; elle économiserait beaucoup de temps et beaucoup d'argent, car
1. C'est |)robnblorii(Mil lo pafilo Es|ieraiilo (fusil).
CouTLUAT ET Leau. — Nouvelles L. I. 7
98 SYSTEMES A POSTERIORI
pour écrire en allemand, en français et même en anglais, on a besoin
d'environ quarante pour cent de plus de lettres.
L'auteur constate en effet que cette phrase contient iOl lettres
et sa traduction allemande 2o4- ' ; mais, en fait de brièveté, il reste
bien inférieur au Pankel.
i. Ajoutons (jue sa Iradmlioii francuisi' on conlicnt 201.
E. BEERMANN : NOVILATIN ^
On sait que le D"" Bekrmann avait publié en 1895 un Novilatiin, et
(ju'il avait ensuite pris part aux discussions du Linguisl {i8'ùù-9~).
Depuis lors, il a exposé ses idées sur le sujet dans un € Pro-
f,'ramme » du gymnase d'Erfurt, dont il est professeur ^ ; et il a
•Haboré et développé la langue dont il n'avait donné en 189o
«lu'une « esquisse » déjà bien étudiée. Le nom qu'il lui donne
peut induire en erreur sur les principes directeurs de cette
langue : elle n'est pas exclusivement fondée sur le latin, mais
bien plutôt sur les éléments internationaux, c'est-à-dire communs
aux six principales langues européennes (D., E., F., L, R., S.);
<^t l'auteur considère comme internationaux les éléments qui
donnent lieu à des dérivés internationaux [ov dans oval par
exemple'). C'est seulement quand cette internationalité fait
défaut qu'il a recours du latin, dans un esprit de neutralité, et
aussi dans l'intérêt de l'homogénéité, parce que c'est au latin
(et au grec latinisé) qu'appartiennent déjà la i)lupart des élé-
ments internationaux *. Si donc sa langue est latine, c'est
parce qu'elle vise d'abord à être internationale. Seulement,
dans la grammaire et dans la formation des mots, la L. I. ne
doit pas remonter au latin, mais suivre l'évolution qui a donné
naissance aux langues modernes : elle préférera l'analytisme au
synthétisme, et adoptera les racines, môme latines, sous leur
1. Die internationale Hilfssprache Novilatin. Kin Voisihlag voii 1)' Erust
Beeumann, Gyinnasialprofossor. 211 pages in-8". Leipzig, Dielericli, 1907.
2. Zur Wellsprache-Frage. Erfurt, 1901.
3. Pour i)ré(isor, l'auteiir considère coimne inlornalionaiix les oléinenU
<|ui sont ((iiiimmis à trois au moins ties six langues, (juand elles ne sont
pas les trois langues romanes (F. I. S.). Exemples : viaj (E. F. I. S.), kork
(I). E. S.). Stul (I). E. R.). On voit par «es exemples ([ue les élénn-nls inter-
nationaux ne sont pas toujours latins ni mônnv ronnins.
4. Exemple : juvar juiur traduire D. hclfen, E. help, F. aider, I. aiutare^
S. ayudar.
100 SYSTEMES A POSTERIORI
forme moderne, abrégée ou simplifiée. Comme elle repose sur
une base « naturelle », elle peut et même doit sacrifier un peu
la régularité, pour se rapprocher davantage des langues
vivantes. Dans la grammaire, elle visera à la simplicité et à la
brièveté plutôt qu'à l'internationalité. Elle ne s'interdit pas les
formations nouvelles, soit par dérivation progressive (d'une
racine à ses dérivés), soit par dérivation régressive (à l'exemple
des langues naturelles, qui ont tiré envoi d'envoyer, estime d'es/i
mer), soit par la composition (à l'exemple de l'allemand et de
l'anglais). Dans l'orthographe aussi, l'auteur subordonne la
régularité à l'opportunité, à la conformité aux usages de nos
langues : par exemple, il n'hésite pas à employer la lettre x avec
le son complexe As, ni à représenter le son simple ch par le
digramme sh. 11 conserve le q latin, mais remplace gu par qv (à
l'allemande). 11 montre qu'aucune des langues artificielles qui
visent à la régularité absolue ne sont vraiment régulières; et il
fait notamment de YEsperanto une critique pénétrante, en lui
reprochant surtout son internationalité insuffisante (notamment
dans les affixes et flexions) et sa dérivation obscure et irrégulière
(surtout dans les dérivations immédiates). Il ne prétend pas que
sa langue soit exempte de défauts, et il attribue ceux qu'elle
peut avoir à son souci de se rapprocher le plus possible des
formes des langues naturelles.
Grammaire.
Valphahet comprend 27 « lettres » : 5 voyelles : a, e, i, o, u (ou):
20 consonnes : b, c {ts), d, f, g (dur), h, j ij français), k, 1, m, n, p,
g (k), r, s (dur), t, v, x (ks), y, z {z français); et 2 digrammes : sh
{ch français), ch (dont la prononciation n'est pas indiquée, bien
que le ch allemand ait au moins 2 sons différents). La lettre y a,
comme consonne, le son de y dans yeux (/ D.), et, comme
voyelle, le son de û (u F.). L'auteur admet en outre les lettres à,
ô, û, w et th dans les « mots étrangers » (noms propres?) 11
n'y a qu'une seule diphtongue : au; eu fait deux syllabes.
Vaccent tombe en général sur la voyelle qui précède la dernière
consonne du radical (sapon, pûlvre, filio), ou sinon, sur la pre-
mière des 3 dernières syllabes : pluie. Mais il y a des exceptions,
et alors l'accent est marqué dans l'écriture (comme en S.).
Les voyelles sont longues quand elles ne sont suivies que d'une
E. BEERMANN : NOVILATIN 101
consonne (ch, sh comptent pour une, x pour deux), ou de deux
consonnes dont la 2" est 1 ou r, et la l'"'' n'est ni 1 ni r i pâtre,
ânle); elles sont courtes dans les autres cas.
Aussi le redoublement des consonnes est-il un moyen dont
l'auteur se sert pour distinguer les voyelles brèves, et par suite
certains mots : kok= coke, ko}sk = coq; f er = saui'agfe, teTT=fer;
cel = ciel, cell ^ cellule K Les voyelles brèves sont en général
ouvertes, et les voyelles longues fermées.
L'ar/ic/e défini est i, l'article indéfini est u; tous deux invaria-
bles. Ils fusionnent avec les prépositions terminées par une
voyelle : ai {au), au (à un).
Il n'y a pas de déclinaison. Les cas sont marqués par les pré-
positions: l'accusatif est semblable au nominatif. 11 n'y a pas de
genre grammatical; quand une môme racine peut exprimer les
deux genres, on lui ajoute -o pour le masculin et -a pour le
féminin : kano ^chien, kana ^= chienne . Pour les noms de per-
sonnes on emploie aussi -ess comme suffixe féminin : princa =
princess.
Le pluriel est indiqué dans les substantifs par l'adjonction
de -s (si la finale est voyelle) ou -es (si elle est consonne) :
kanos, kanas; dom, dômes.
Vadjeclif est en général invariable : u bell kano, u bell kana,
i bell kanas. Mais, s'il est nécessaire, il peut prendre les mar-
(|ues du genre et du pluriel (et par suite se substantifie) :
u bello:=: un bel homme, u bella = une belle [le beau neutre se dit :
i bell). Les degrés se marquent par les adverbes : plu {plus), ma
{le plus), mins {moins), pess {le moins). Que après un comparatif se
dit qvam; de après un superlatif, da.
Les noms de nombre cardinaux sont : zer 0 , un, bi. tri, qvadre,
qvin, sex (se- en composition), sept, okt, non, dec; cent; mill. Les
nombres composés se disent : decun =: Il ; bidec = 20 , bidec
un = 21 ; etc.
Les nombres ordinaux se forment au moyen du suffixe im :
unim, bim. trim,... Le nombre cardinal remplace le nombre
ordinal quand on le met après le substantif.
Les nombres mulliplicalifs se forment au moyen du suffi.xe -iple
ou -pie : uniple = stmp/e ; biple (ou duple) =double; triple, etc.
i. 1,0 (loubh' c se prononce donc comme un seul {ts) : kacciar = chasser
(kalsiar).
^2 SYSTEMES A POSTERIORI
Les nombres fractionnaires se forment au moyen du suffixe ul
(diminutif) : biul (ou semie) ^demi, innl = tiers, qvadrul = quarl.
Les nombres de fois se forment au moyen du suffixe ic (ou du
mot vie =fois) : unie, bic, trie,..- ; unimic = la première fois.
Les nombres distribatifs s'expriment par la particule a : a Li,
a tri, etc.
Les nombres cardinaux se substantifient de deux manières : au
moyen du suffixe -er, pour désigner le nombre même : uner, hier,
trier,... et au moyen du suffixe -ità, età, pour exprimer la qualité
du nombre : unità; hietà-= dualité, trietà ^=-lrinilé, etc.
Les pronoms personnels sont : me, te, lo (m.), la (f.) le, lie (n.);
noa, vos,los (m.), las (f.) les (neutre). Réfléchi : se; indéfini :om (on).
Les pronoms possessifs sont : mue, tue, lue (3 genres i; nostre,
vostre, lostre (3 genres); sue. Ils prennent au besoin les dési-
Bcnccs de genre : i muo = le mien ; i tua = la tienne.
Les pronoms démonstratifs sont, d'abord les pronoms personnels
de la 3® personne; ensuite ist pour les objets rapprochés, et ill
pour les objets éloignés, qui deviennent aux 3 genres respecti-
vement : isto, ista, istie; illo, illa, illie.
Les pronoms relatifs sont : qvo (m.), qva (f.), qve, qvie (n.);
qval = quel (de quelle espèce), qygini=: combien grand, ou combien.
Ceux-ci ont pour corrélatifs : lai =/«/; lant= si grand, si nom-
hreux.
Les formes neutres en-ie (lie, illie, istie, qvie) sont des neutres
indéterminés, se l'apportant généralement à un objet indéfini ou
à une proposition; elles se distinguent des neutres déterminés
(formés en -e, ou sans désinence) qui se rapportent à une chose
particulière et déjà nommée.
Les pronoms indéfinis sont : aliqvo = quelqu'un, aliqve = quelque
chose; qvokunk = yuicongue, qviekunk = fyuoi que ce soit; null :=
aucun, nnllo^= personne, nullie= rien; omne = chaque, tout; omno =
chacun; nonull = quelques ; kom^lnr — plusieurs ; a\\.re= autre; pse,
même (L. ipse); i pse, le même (identité; L. idem).
La conjugaison est régulière, et repose sur le radical verbal, qu'on
obtient en supprimant l'r final de l'infinitif». Il n'y a pas de
variation de personne et de nombre.
1. Étymologiquement, ce radical est obtenu en supprimant la désinence
-tus du i)articipe passif latin, de sorte que; tous les radicaux se terminent
vn -a ou on -i : ama-tus, meri-tus, moli-tus, obli-tus, et que les 4 conju-
gaisous latines rentrent dans un seul paradigme.
E. BEERMANN : NOVILATIN 103
l.'indicalif présent est identique au radical : me ama, me puni.
Le prétérit se forme en ajoutant b au radical : me amab, me
punib.
Le futur se forme analytiquemcnt au moyen de l'infinitif et de
l'auxiliaire fir (devenir) : me fi amar, me fi punir.
Le conditionnel se forme en ajoutant ss au radical : me amass,
me puniss.
L't/np^'ra/t/' consiste dans le radical accentué sur la finale : amà.
puni. On peut aussi le traduire par une périphrase : te dobi
amar = tu dois aimer.
Le participe actif se forme en ajoutant nt au radical : amant,
punint.
Le participe passif se forme en ajoutant t au radical : amat,
punit.
Les temps comj)Osés de l'actif se forment au moyen de l'auxi-
liaire har (avoir) : me ha amat ^fai aimé; me hab amat = /avais
aimé : me fi bar amat = j'aurai aimé : me hass amat := j'aurais aimé;
bar amat = avoir aimé; bantamat = ayant aimé. Il y a aussi des
formes composées au moyen de fir : fir amar = devoir aimer;
fint amar ^= devant aimer.
Le passif se forme au moyen du participe passif précédé de
l'auxiliaire sir (être), qui se conjugue régulièrement; exemple : me
fi sir amat = je serai aimé; me fi bar sit amat ^= j'aurai été aimé.
On peut mettre au sub/onc/t/" toutes les formes de l'indicatif et
du conditionnel, en leur ajoutant la désinence -ye. Le subjonctif
sert à indiquer la possibilité ou l'incertitude (par exemple, dans
le discours indirect). L'impératif n'est employé que dans les
l)ropositions principales et le discours direct; autrement on le
rend par dobir (rfwoir).
Les verbes réflécfiis prennent le pronom se à la 3'" personne et
peuvent le prendre aussi aux 2 premières (comme en R.); les
verbes réciproques s'indiquent par sese. Les verbes impersonnels
ont pour sujet le.
Les principaux adverbes sont : ta := oui, no =/ion, ne... pas, ja
= déjà, adu ;= encore, ec = même, vix = à peine. L'auteur établit
une corrélation de forme entre les adverbes de lieu, de temps et
de manière : les adverbes de lieu qui indiquent où l'on est se
terminent en i; — où l'on va, en -ors; — d'où l'on vient, en -ind;
les adverbes de temps, en -u; les adverbes de manière, en -am.
Ces finales se combinent avec les radicaux démonstratifs, 1,
104
SYSTÈMES A POSTERIORI
ill, ist; interrogalif- relatif qv; indéfinis : aliqv, null, omn, altr,
comme le montre le tableau suivant (composé par nous) :
li
lors
lind
la
lam
{là)
{là)
{de là)
{alors)
(ainsi)
illi
illors
illu
illam
{là)
[là)
{alors) {de
cette manière-là)
isti
istors
istu
istam
(ici)
(ici)
{maintenant) {di
? cette manière-ci)
qvi
qvors
qyind
qvu
qvam
(oh)
(où)
[d'où)
{quand)
{comment}
aliqvi
{quelque part)
nulli
nulla
{nulle part)
(jamais)
omni
omnu
{partout)
{toujours)
altri
{ailleurs)
Tous les adverbes de manière, dérivés d'adjectifs, se terminent
aussi en -am : lentam, fidelam.
Les principales preposthons sont : a, de; en = dans {sans mouv.);
aen=: dans (avec mouv.); ess = hors de; per = à travers; sur; su
= sous ; vers ; abs = loin de ; pre = avant, po = après ; depo = depuis :
us =^jusquà; o = à cause de; pro = pour; per = au moyen de; ko
:= avec ; sin = sans ; tra = pendant ; do = au sujet de ; tro =: malgré ;
gra = grâce à. Le régime des verbes passifs prend la préposition
per ou de.
En composition, les prépositions conservent leur forme latine
et internationale, avec les déformations que l'assimilation leur
impose : ko-unar, kom-probar, kol-lektar, kon-sumar, kor-ruptar.
Les prépositions forment avec les pronoms des adverbes
dérivés : leen = {là-) dedans; qveen := dans quoi; leo =à cause de
cela; qveo ^= pourquoi; etc.
Les principales conjonctions sont : e = e< ; ve ^ ou; ne = ni; na
= car; sed = mais ; se = si; ke = que.
Les conjonctions dérivées sont composées de prépositions
suivies de ke : oke = parce que, trake —pendant que.
Dans la syntaxe, l'auteur permet toute la liberté compatible
avec la clarté. Toutefois il recommande l'ordre normal suivant :
E. BEERMANN : NOVILATIN 105
sujcl, verbe, régime direct, régime indirect. La négation (no) pré-
cède immédiatement le mot sur lequel elle porte. L'interrogation
s'exprime par l'inversion du verbe et du sujet (comme en 1)., F.)
ou se traduit par silk (abréviation de si le ke =: esl-ce que), en
conservant l'ordre normal. Dans les pro[)ositions relatives, le
relatif doit être autant que possible en avant.
Vocabulaire.
L'ouvrage du I)'" Beermann contient un double dictionnaire
novilatin-allemand et allemand-novilatin qui comprend environ
3.0OO radicaux.
Nous avons indiqué d'après quel critérium d'internationalité
l'auteur a choisi ces radicaux. Toutefois, quand aucune racine
internationale ne s'impose, il choisit à son gré dans n'importe
quelle langue, en cherchant surtout des racines courtes : ainsi
pour oiseau il adopte le russe ptic, pour serin le russe cij, pour
canard le russe utke, pour jument l'espagnol yegve, pour bas (vête-
ment) le russe shulk: pour flairer l'anglais smell ar, pour planer
l'allemand sveb-ar, etc. Pour cheval, il a choisi vred (bas-latin
veredus, d'où viennent à la fois I). Pferd et F. palefroi). Pour les
racines latines, il préfère toujours la forme la plus brève ' : lap
[pierre], limp (limpide), tep {tiède), pav (peureux;, est [été), esar
(manger); cela l'amène souvent à sacrifier une syllabe atone, pour
conserver la place de l'accent : anle [anneau), ansre (oie), bakle
(bâton), barbre (barbare), celre \rapide), deble débile), did [doigt).
dilg (diligent), ebre (ivoire), emle (émulation), fedre et konfedre (con-
fédération), femne (femme), fenstre fenêtre , fible agrafe), fistle
(fistule), funre (deuil , gnltre \g osier;, humre ou umre épaule), insle
(île), kalkle (calcul), kolre (colère), latre (côté), makie (tache), margne
(bord), marmre (marbre), mlsre (misérable , modre (modération),
numre (nombre), okle (œil), onre (charge), o]pTe ^œuvre). oskle (baiser),
pable (fourrage), pekre (bétail), pokle (coupe), postle (demande),
pulvre (poussière), pustle (pustule), setle (soie de porc\ sitle (seau),
skatle (boite), skruple [scrupule;, spekle (miroir), stiplar stipulen.
tiile (titre), tolre (tolérance), tontre (tonnerre), trémie tremblement ,
tigle (tuile), vaskle (vaisseau), venre {vénération . vetre (vieux),
vitle (veau), vulnre (blessure;, val valide, vem [véhément), klem
1. Mais, (l'autre part, il adopte un uiot aussi lung ((uo bellettristikalies.
gonnunismo <|ui soniblu barbare aux Frunguis.
106 SYSTEMES A POSTERIORI
{clément), hum {humide); de mt^ine il prendra les formes anglaises
battle pour bataille et bottle pour bouteille, et abrégera redingote
en ringot '.
Il emprunte souvent au latin des racines mortes, c'est-à-dire
qui n'ont pas passé dans les langues romanes ou n'y sont repré
senlées que par des dérivés rares et peu connus : acin [grappe],
uv (raisin), ult-ar {venger), jub {crinière), oit [bouchée), kramb
(chou), skrof (truie, à côté de porka s skatir [jaillir), fultar {appuyer),
kuntar {hésiter), mad (humide), patell (assiette), met (but), gen (joue),
aulè {rideau), stram [paille, litière), putam \C0(jue, cosse), farcim
(saucisse), molt (amende), egrot (malade), ignav (lâche), pigre (pares-
seux), munde (propre), nasturcie (cresson). On trouve même des
mots grecs pour désigner des objets très ordinaires comme
kolaf = soufflet, petas = chapeau ; à côté de mots tout modernes,
comme boi E. boy), bill (E.), bond (E. obligation), hunt (E. chasse
à courre), byr (bureau), boU I. timbre), bursho [h. étudiant), her
(D. monsieur) ; et cela produit des composés d'un singulier elîet
comme pistoro-boi = gfarçon boulanger: leitre-ka^ps -= portefeuille,
post-pyx =: boite aux lettres, petas-pyx = boîte à chapeau.
Souvent l'auteur détermine la forme de la racine par dériva-
tion régressive, par exemple : kordie = cœur (à cause de kordialj ;
ficil = facile idifficil), ficir = faire; mestre = mois (trimestre ;
numrot -= numéro (numrotar); trus = choc; translar = traduire
(translacion) ; glektar = s'occuper de (neglektar) ; gnir = connaître,
agnir = reconnaître; utir = être utile; relar = être en relation avec
(relacion); parres ^= parents (de parricidie!).
Les remarques précédentes ayant une apparence critique, nous
devons dire aussi qu'on trouve dans le Novilalin beaucoup de
racines vraiment internationales et bien choisies : affirmar,
akkusar, allegar (alléguer), ascensar, aspekt-ar, bassar {baisser ,
civo (citoyen), decept-ar (décevoir), deklarar, deklinar, delektar
{réjouir^, demonstrar, digne (dignità), diskurs, eqvipar équiper),
ev (âge), evenie [événement), explik-ar, famie (faim), fekund, flagell,
fors {peut-être), fren {rêne, frein), fugir (fuir), furir (être en fureur),
1. Ces abréviations produisent, comme on voit, des accuniulations de
tonsonncs parfois assez dures. L'auteur conseille de les adoucir en y inter-
calant au besoin un e muet. En revanche, il supprime le k entre 2 <-on-
sonnes, suivant Pexemjjle des langues romanes : punto, santo; funcion ;
mats : frakcion. En général, il ne recule jamais devant les coinhiiiaisons
?-erniani(iues kc, se, si dures pour les bouches romanes (de mènu' (lue
qv). '
E. HEEHMANN : NOVILATIN 107
furt [vol), fusil, gaudie {joie), hast-ar {se hâter), hesitar, inflar {enfler),
inici-ar {commencer, entreprendre), invent-ar [inventer), junt-ar
[joindre), judiko [juge), kamis [chemise , kapill [cheveu), kargar
(charger), kavall [cheval nol)le), kavalkar [aller à cheval), klam-ar
{crier), klusar {fermer à clef), koktar [cuire), kommod (commode, adj.),
kompuls-ar [contraindre), konsult-ar, kontest-ar, konvers ar, ment
[esprit), neg-ar [nier), nupre [récent), oblig-ar obliger), obsidir
{assiéger), offrir, parsar {épargner), pikt-ar {peindre), prekar [prier),
prestar {prêter), qvestar [interroger), racion [raison), regrettar,
repulsar, salvar [sauver), sapor-ar {avoir du goût), seduktar, sejurn-ar,
sekur {en sécurité), sempre {toujours), silv { forêt), single {particu-
lier), skop {but), skum [écume), socio [membre de société', tens-ar
[tendre), testo (témoin), timbre (du son), transparint, tren [train de
cliomin de fer), trup, turb-ar {troubler), vakue {vide', vicin [voisin),
vikt-ar [vaincre), volt (voûte).
Dans la dérivation, l'auteur distingue avec soin les dérivés qui
viennent de racines verbales et ceux qui viennent de racines
nominales.
Les dérivés de racines verbales se forment à l'aide des suffixes :
1" -tor, qui désigne l'agent (animé ou inanimé) : fundatoro, ven-
tilator. Mais la désinence ator s'abrège en or dans les verbes en
sar et tar (mais pas en itar) : raptoro, skriptoro ; et, en général, il
est permis et conseillé de faire cette abréviation : lavora (lavatora),
fumoro (fumatoro), salvoro (salvatoro).
2" -cion, qui désigne l'action exprimée par le verbe : deklara-
cion, expedicion. Mais pour les verbes en sar, sacion sabrège en
sion*; pour les verbes en star, stacion sabrège en stion: pour
les verbes en tar (mais pas en itar), tacion s'abrège en cion :
cxklusion, exhaustion, direkcion; mais : gravitacion. D'ailleurs.
il est recommandé d'alléger ces mots en supprimant la dési-
nence ion toutes les fois que la clarté le permet : exklus au lieu
d'exklusion. adopt au lieu dadopcion -.
3" -d forme des substantifs qui ont le sens de participes passifs,
mais avec les verbes en ar seulement : salad = salade (chose
salée): intrad = entrée.
4' -ment désigne le moyen : impediment, nutriment, regla-
ment.
1. Ptiurlaiit : konversacion peut-il dev»Miir konversion ?
2. GoufoniUMiu'iit au procôcJé de dorivatidii logressivc dniU nos laiij;iu's
donnent roxeniple, en prenant le radical verbal pour !e substantif d'aeli«>n.
108 SYSTEMES A POSTERIORI
^W-kle désigne plus spécialement l'instrument ou outil : arakle
= charrue, vehikle = véhicule.
6° -ble forme des adjectifs qui signifient la possibilité, avec le
sens passi/ quand le verbe est transitif: lektable =: lisible; kredible
= croyable; gaudible = réjouissant; terrible.
70-mne forme dos adjectifs qui signifient la nécessité : lektamne
= quil faut lire ; audimne ^= qu'il faut entendre.
Les dérivés de racines nominales se forment à l'aide des sul-
fixes suivants (on supprime toujours les finales -e, -à, et la finale
ie devant les suffixes commençant par i) :
1'^ -er désigne des êtres qui s'occupent de la chose ou des
objets qui ont une relation quelconque avec la chose désignée
par la racine : librero := libraire; bukker = fume-cigares ; nukker
= oreiller. Les agents en -er se distinguent des agents en -or en
ce qu'ils sont plutôt des professionnels : kurriero = courrier;
kurritoro = coureur.
Le suffixe er est remplacé par ist en matière d'art, de science,
de religion, de politique : juriste, pietisto <.
2-^ -ie ou -ità forment des substantifs de choses dérivés de
substantifs d'êtres, ie ayant plutôt un sens concret, et ità un
sens abstrait : juste = un juste, justie, justità = justice; sano = un
homme sain, sanie, sanità = santé; librerie =: librairie; heredie =
héritage; Russe = Russe, Russie.
Le radical subit parfois des modifications devant ces suffixes :
pie donne pietà; astut donne astucie; frisk, friscie; fysik (adj.),
fysicie ^= la physique.
3° -aj et -arie forment des substantifs collectifs, le second réservé
aux collections artificielles : villaj = village (de vill = maison de
campagne), viaj = voyage (de vie = route); herbarie =^ herbier,
aqvarie ; rosarie =: rosaire.
4' -ul et -ett forment des diminutifs : et marque simplement la
petitesse, ul marque un changement d'espèce : agnett = petite
brebis, agnul = agneau, agnulett = petit agneau.
50 -ott forme les augmentatifs : foss = fosse, fossott :=^mine.
0° -astro et -ard forment les péjoratifs, le premier réservé aux
personnes : kritikastro, medikastro.
Les suffixes suivants servent à former des adjectifs :
1. Nous ne pouvons pas comprendre la distinction suivante établie par
l'auteur : piktoro = peintre, piktero = marchand de tableaux, piktisto
= amateur de peinture.
E. BEERMANN : NOVILATIN 109
1" -al et -il indiquent co qui a rapport à l'objet exprimé par la
racino : al s'emploie pour les noms de choses, -il pour les noms
de personnes : familial, puéril. Quand le radical se termine en 1,
al est remplacé i)ar ar : poplar =: populaire. Quand le radical se
termine en -ik, il est remplacé par al : amikal, rustikal; quand
le radical se termine en al, al est remplacé par ik : animalik.
Enfin il y a des exceptions : les radicaux en tre engendrent des
adjectifs en -tern : patern, matern, fratern, extern. Duko fait ducil.
2" -os signifie * pourvu de « : korajos = courageux; karnos =
charnu. Les substantifs en -ion forment ces adjectifs en -ios :
religios, sedicios.
.3o -ac forme les adjectifs de matière : lignac = en bois, koriac
= en cuir, aurac = en or^ etc.
4° -an signifie « qui est dans » ou « qui vient de » : Chin, Chinan
^= Chinois; republikan. Ce suffixe s'applique aux noms de per-
sonnes en -io : Horacian; mais pour les autres il est remplacé par
-ik : Ciceronik.
5° -iv forme avec le radical du supin des adjectifs verbaux
synonymes du participe actif, avec l'idée d'une action durable :
deiensiv, lukrativ. Comme le radical est irrégulier, on doit
apprendre ces dérivés dans le dictionnaire.
0" -ugne traduit le D. -arlig (qui indique la manière d'être) :
bonugne = bon ; malugne = méchant.
7' -eg(du verbe L. egere := manquer) signifie « qui manque de » :
korajeg ^=sans courage ; glorieg =sans gloire ; perikleg = sans danger.
8° -av (du verbe L. avères désirer), signifie « avide de » : gloriav
= ambitieux ; sangvav = sanguinaire.
T -egne signifie « digne de » : estimegne = estimable.
10" -ifer signifie « qui porte, qui contient » : mammifer, konifer.
metallifer. Quelquefois remplacé par-iger : laniger.
11 reste à étudier les verbes dérivés de racines nominales par
simple adjonction de la désinence -ar ou -ir. Quand la racine est
substantive, la relation du verbe au substantif est indéterminée
(comme dans nos langues), et doit être apprise dans le diction-
naire (ou par l'usage) '. Quand la racine est adjeclive, le verbe en
-ir signifie être : sanir= être bien portant ; et le verbe en ar signifie
rendre : purar = nettoyer.
1. L'auteur, (\\n a iTiti(|Uo avec sévôriU» (et non sans justesse) l'irréjrula-
rité des dérivations de VEsperanto, lui fait pràee sur ce point, pnn-e qu'il
n'a pas pu y apporter lui-même la réjïularité lojritiue qu'il exige ailleurs.
110 SYSTEMES A POSTERIORI
Le suffixe -ificir forme aussi des verbes ayant le sens de rendre
tel, avec une nuance : purificir ^ épurer, raffiner (sens technique).
Le suffixe -escir forme des verbes ayant le sens de devenir :
maturescir = tndrir. Il équivaut au verbe Ut = devenir : kaldescir
=: fir kald = devenir chaud.
L'auteur fait usage dans son vocabulaire d'un préfixe non
mentionné dans la grammaire, à savoir dis, dont le sens ressort
des exemples suivants : disestim = mésestime; disgust = dégoût;
dlshable = malhabile; dishonor. disinfekt, disordne; displicir =
déplaire; dissukcedir =: échouer; disus-ar = abus -er.
Pour les noms de peuples et de pays, l'auteur n a pas de sys-
tème exclusif : à côté de : Afrik-an, Amerik-an, Asie, asian; Austrie,
austrian: Brasil-an, Chili-an; Chin-an; Italie, italian, on trouve :
arab, Arabie; bohem, Bohemie: britann, Britannie; bulgar, Bulga-
rie; dan. Danie; deutsh. Deutshie; engle. Englie; franc, Francie;
japon, Japonie; russ, Russie.
La composition des mots se fait comme en allemand et en
anglais, les éléments étant séparés par un trait d'union :
fenstre- vitre, agre-kultur. Le mot principal est généralement le
dernier, excepté quand il est un verbe à l'impératif : portafolie.
Une composition plus intime est la fusion d'un adjectif et d'un
substantif en un seul mot : mediev = moyen âge. Autre exemple :
preokles = /«/tei/es. On introduit i comme voyelle de liaison pour
l'euphonie : novilatin, grandiduk.
L'ouvrage du D"" Bi:ermann contient des spécimens étendus et
très variés de Novilatin : traductions de latin (Cicéron), d'allemand
(v. Hartmann), d'anglais (Irving), d'Espéranto ', de français (Zola),
d'Mom neutral, d'italien (de Amicis), de russe (Turgeniev),
d'espagnol (Cervantes), de grec ancien (Longus), etc. Citons, à
titre d'exemple, la célèbre apostrophe de Cicéron à Catilina :
« Oh tempères, oh mores! I sénat sensa lie, i konsulo vidi lie;
tamne isto vivi! Vivi lo? No, lo veni psam aen i sénat, lo participa
se dei publik konsult, lo nota e désigna ko sue okles omno de nos a
massakre; sed nos, i korajôs vires, kredi safficir i republik, se nos
evitass i furie e i armes de isto ! »
1. La « Letero pri devLMio de Espéranto », traduite par V. Gernet d'après
l'original russe du D' Zamenhof.
NOUVELLES DIVERSES
Apres la mort de M. Frederick William Dyer (1826-1906), deux
de ses amis, MM. A. Gottsciiling et H. P. Lakeman, ont entrepris
de publier ses œuvres et inventions inédites, à savoir : The Lan-
(jiiage of Lighl, The Chromoinetricon, et The Floiuing Phonography, et
de fonder un Dyer Lingua Lucida Society pour l'élaboration et la
propagation de sa langue artificielle, dont nous avons donné un
aperçu dans notre Histoire (p. 77). Voici quels sont les traits
essentiels de cette langue : chaque lettre a une signification, de
sorte que chaque mot s'explique de lui-même (self-explanalory)
par sa composition. Le dictionnaire est la classification scienti-
fique de tous les concepts ; enfin il n'y a pas de grammaire.
M. l'abbé Marchand, inventeur du Dilpok, * langue internatio-
nale éclectique, la plus belle, la plus concise, la seule conforme
aux procédés classiques », que nous avons analysé dans notre
Histoire, a publié depuis deux ans un « Lernal » : Une langue inter-
nationale en six leçons; un < Vortal » : Dictionnaire complet dilpoque-
français; un Dictionnaire complet f rançais-dilpoque ; des Éléments de
sténographie dilpoqne, enfin une traduction dilpoque de Paul et
Virginy.lo célèbre roman de Bernardin do Saint-Pierre (1907);
chez l'auteur, à Bétoncourt-les-Ménétriers (Haute-Saône).
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos v
Abréviations et signes vi
Index des noms propres vu
SYSTÈMES A PRIORI
C. Meriggi : Blaia Zimondal (1884) i
M. Talundberg : Perio (1904) 3
SYSTÈMES MIXTES
A. Hoessrich : Tal (1903) 13
V. Hély : Es'juisse d'une grammaire (19011) lf>
M. MVsXd : l'ankel (1906) 20
SYSTÈMES A POSTERIORI
Carpophorophilus (1734) 23
L. Zamenhof : Espéranto (188") 25
J. Braakman : Mundolinco (1894) 45
Idiom Neutral (1902) 47
E. Molee : Tutonish (1902). 50
H. Molenaar : Universal ou l'anroman (1903) C3
G. Peano : Latino sine flexions (1903) "0
J. Hummler : Mundeiinqua ( 1904) 77
A. Zakrzewski : Lingiia inlernacional (1905) 80
H Trischen : Mondlingvo (1906) 87
F. Greenwood : Eksehioro et Ulla (190G) 90
C. Spitzer : Parla ( 1907) 94
E. Beermann : Novilatin ( 1907) 99
Nouvelles diverses 111
Tableau synoptique des principales langues a posteriori.
1253-07. — Coulommicrs. Iinp. Paul BRODARD. — 9-07.
SCHIPFER(1839)
DEnUDELLE(1858) ...
PiRR0(1868)
VOLK ET FUCHS (1883).
courtonne (1885)
Steiner (1885)
lMCHHORN(i887)
Zamenhof (1887)
Lauda (1888)
Lingua (1888)
RosA (1890)
LoTT(1890)
Heintzeler (1893)
Zamenhof (1894)
Stempfl (1894)
Beermann (1895)
Idioin Neutral (1902)..
Molenaar(1903)
Zakrzewski (1905)...
Beermann (1907)
ALPHABET HOMAI.N
LETTRKS
EN PLUS
LETIRES
EN MOINS
œ, sh, ch, gh
Ih, n
il, ff (ch)
a, ô
a, n, c, vv
à, è, o, il, c,
ch, sch
il, ô, ii, sh, vv
c, g, h, j, s, u
a, ô, ii
y', œ, aw, c', j',
v', sh, ch, ph, th
ch, sh
ii, O, ii, ph, zh,
w, ch, sh
sh
ch, sh
ch, sh
k
u, (|, X
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h, k, ((, X, y, z
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